Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

La durée de l’indivision

L’indivision est une situation juridique qui intervient fréquemment à la suite d’une succession ou d’une dissolution de communauté. Elle impose aux cohéritiers ou co-indivisaires de gérer conjointement un patrimoine indivis jusqu’à ce qu’un partage intervienne.

Si l’indivision est souvent perçue comme une phase transitoire, la question de sa durée reste cruciale, notamment en raison des implications patrimoniales et personnelles qu’elle engendre. Quelle est la durée légale de l’indivision et dans quelles conditions peut-elle se prolonger ou s’achever ?

L’indivision peut, en effet, durer aussi longtemps que les indivisaires ne manifestent pas la volonté de la dissoudre, mais elle peut également prendre fin de manière plus précoce en raison de divers événements ou décisions. La complexité de cette situation juridique réside dans la nécessité de concilier des intérêts parfois divergents tout en respectant les règles légales qui encadrent la gestion et le partage des biens indivis. Dans ce contexte, il devient essentiel de comprendre les mécanismes qui régissent la durée de l’indivision afin d’anticiper ses conséquences et d’éviter d’éventuels conflits.

I) Le principe

A) L’indivision : une situation précaire

Le régime de l’indivision, tel qu’il est prévu par le droit français, repose sur un principe fondamental de précarité, qui exprime le caractère transitoire de cette situation juridique.

L’indivision n’a pas vocation à se maintenir indéfiniment. L’article 815 du Code civil, qui énonce que « nul ne peut être contraint de demeurer dans l’indivision », consacre ce principe.

La règle énoncée suggère que l’indivision est par essence provisoire et qu’elle ne peut être imposée à un indivisaire contre sa volonté.

L’indivision repose sur l’idée que le droit de propriété tend naturellement vers l’appropriation individuelle. Comme l’explique Jean Carbonnier, « l’indivision n’est jamais une situation de stabilité, mais un passage temporaire vers la division et la propriété individuelle »[1].

Cette précarité intrinsèque, que Christophe Albiges qualifie de « situation juridique fragile, sans caractère pérenne », s’infère de la règle selon laquelle chaque indivisaire dispose d’un droit au partage, lui permettant de sortir de l’indivision à tout moment, sans justification particulière.

Cette précarité s’impose quelle que soit l’origine de l’indivision. Cela est notamment illustré par la jurisprudence concernant les époux mariés sous le régime de la séparation de biens.

Bien qu’ils aient opté pour un régime matrimonial distinct des régimes communautaires, ces derniers bénéficient d’un droit au partage des biens indivis acquis pendant le mariage.

Ce droit peut être exercé à tout moment, même avant la dissolution du mariage. Dans un arrêt de principe, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que les époux séparés de biens, tout comme d’autres indivisaires, peuvent solliciter le partage des biens indivis sans attendre une circonstance particulière, telle que la dissolution du mariage (Cass. 1ère civ., 14 nov. 2000, n°98-22.936).

Cette décision réaffirme ainsi que, même dans le cadre matrimonial, la précarité de l’indivision prime, en ce sens que la sortie de cette situation est toujours possible, indépendamment de la nature des biens indivis ou du contexte familial.

La vocation du régime de l’indivision est donc de conduire, tôt ou tard, à une appropriation individuelle des biens indivis.

L’indivision, bien qu’elle permette de partager temporairement la propriété de biens entre plusieurs personnes, qu’elle soit successorale ou non, n’a jamais été conçue pour durer.

Le droit français privilégie la propriété individuelle, considérée comme un état plus stable et définitif. Cette conception repose sur une idée profonde : les biens indivis sont appelés à être partagés, vendus ou à faire l’objet d’une attribution individuelle.

À cet égard, François Zenati-Castaing observe que « l’indivision est une forme de copropriété par nature instable, dans laquelle les décisions importantes sont soumises à une logique de consensus fragile »[2].

Aussi, toute indivision est destinée à préparer la transition vers une propriété divisée, et la précarité inhérente à ce régime découle de la possibilité constante pour chaque indivisaire de provoquer le partage.

B) Le droit au partage : l’expression de la précarité

Le principe de précarité de l’indivision s’exprime principalement par le droit au partage, un droit qui présente trois caractéristiques fondamentales : il est impératif, discrétionnaire et imprescriptible. Ces trois éléments se rejoignent et se complètent pour faire du droit au partage un droit absolu, garantissant à chaque indivisaire la possibilité de mettre fin à l’indivision à tout moment.

Premièrement, le caractère impératif du droit au partage découle directement de l’article 815 du Code civil, qui énonce que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision ». Ce droit est d’ordre public, ce qui signifie que même des conventions conclues entre les indivisaires ne peuvent priver l’un d’entre eux de cette faculté. L’indivision étant perçue en droit français comme un état transitoire et précaire, chaque indivisaire doit pouvoir retrouver, quand il le souhaite, la situation normale de la propriété individuelle.

Deuxièmement, le droit au partage est discrétionnaire, ce qui signifie que l’indivisaire peut l’exercer sans avoir à justifier de motifs particuliers. La méfiance traditionnelle à l’égard de l’indivision en droit français a conduit à consacrer ce droit comme un levier permettant à chacun de sortir de l’indivision sans contrainte. Le juge ne peut contrôler les raisons d’une demande de partage, renforçant ainsi la liberté des indivisaires de ne pas rester dans une situation collective indéfinie.

Troisièmement, le droit au partage est imprescriptible : il ne s’éteint jamais, quel que soit le temps qui s’est écoulé depuis la formation de l’indivision. Chaque indivisaire conserve en permanence la faculté de demander le partage, même après une longue période. Cela reflète l’idée que l’indivision n’est qu’une parenthèse dans la jouissance des droits de propriété, et que le partage tend toujours à restaurer la propriété privative.

Ces trois caractères s’articulent pour faire du partage un droit fondamental et absolu, garantissant la possibilité de sortir de l’indivision à tout moment, ce qui illustre la précarité inhérente à cette situation juridique.

1. Un droit impératif

Le caractère impératif du droit au partage signifie qu’il s’impose à tous les indivisaires et qu’aucun d’eux ne peut renoncer de manière permanente à la possibilité de sortir de l’indivision.

Le droit au partage ne peut donc pas être écarté, ni par une convention, ni par une clause contractuelle, sauf dans les limites strictes prévues par la loi.

Cette protection absolue garantit à chaque indivisaire la possibilité de provoquer à tout moment la dissolution de l’indivision, assurant ainsi la préservation du droit de propriété individuel.

Le législateur a prévu quelques exceptions au droit immédiat au partage, notamment à travers les conventions d’indivision temporaires (articles 1873-1 et suivants du Code civil), mais celles-ci ne peuvent excéder une durée déterminée.

Toute clause qui priverait un indivisaire de ce droit de manière permanente est réputée non écrite (art. 1873-5 C. civ.).

La jurisprudence est constante à cet égard. Par exemple, la Cour de cassation a rappelé dans un arrêt du 29 juin 2011 (Cass. 1re civ., 29 juin 2011, n° 10-25.098) que ce droit est absolu et que l’opposition des autres indivisaires ne peut empêcher un indivisaire, même en liquidation judiciaire, de demander le partage.

==>Le caractère impératif du partage à l’égard des indivisaires

L’une des principales conséquences du caractère impératif du droit au partage est que les indivisaires ne peuvent pas, de manière définitive, renoncer à leur droit de demander le partage.

La raison en est que l’indivision est une situation transitoire, vouée à prendre fin par le partage, car la propriété tend naturellement à se diriger vers une appropriation individuelle.

Ce droit de demander le partage est imprescriptible et peut être exercé à tout moment, dès lors que l’indivision existe, en dépit de la volonté des autres co-indivisaires.

Toute convention ou clause qui, dès lors, tenterait de priver un indivisaire de cette faculté serait réputée non écrite en vertu de l’article 1873-5 du Code civil.

La jurisprudence est constante sur ce point et a réaffirmé à plusieurs reprises l’impossibilité pour un indivisaire de renoncer définitivement à son droit au partage.

Par exemple, dans un arrêt du 29 juin 2011, la Cour de cassation a rappelé que le droit au partage s’impose de manière absolue à tous les indivisaires, et que toute clause empêchant un indivisaire de provoquer le partage est nulle (Cass. 1ère civ., 29 juin 2011, n°10-25.098).

Cependant, une renonciation temporaire au droit au partage est possible, mais seulement dans le respect des conditions strictes encadrées par la loi.

La loi du 31 décembre 1976, à travers les articles 1873-1 et suivants du Code civil, permet aux indivisaires de conclure une convention d’indivision par laquelle ils acceptent de maintenir temporairement l’indivision. Cette convention doit être conclue à l’unanimité entre les indivisaires, et elle est limitée dans le temps : elle ne peut excéder cinq ans, bien qu’elle soit renouvelable.

Toutefois, ces conventions de maintien dans l’indivision ne privent pas les indivisaires de leur droit fondamental de sortir de l’indivision une fois le délai écoulé.

Une renonciation temporaire au partage, bien que possible dans les limites légales, ne doit jamais constituer une atteinte à l’exercice du droit au partage une fois les conditions convenues ou le délai expiré.

En vertu de la théorie de l’autonomie de la volonté, les indivisaires sont libres de convenir des modalités d’exercice de leur droit au partage, tant que ces aménagements n’affectent pas le principe même de ce droit.

Cela signifie que les indivisaires peuvent, par exemple, s’interdire temporairement de demander une licitation (c’est-à-dire la vente des biens indivis aux enchères publiques), ou encore convenir de reporter le partage sous condition suspensive ou résolutoire.

Ces aménagements sont valables tant qu’ils ne compromettent pas de manière définitive le droit au partage et respectent les conditions de durée et de consentement imposées par la loi.

Par exemple, il a été jugé que les indivisaires peuvent conclure un accord par lequel ils s’engagent à ne pas demander la licitation d’un bien indivis pendant une durée déterminée, ce qui constitue un aménagement des modalités du partage sans porter atteinte au principe même du droit au partage.

De même, les indivisaires peuvent convenir d’un partage différé sous condition, dès lors que cette condition est licite et ne contredit pas le caractère imprescriptible du droit au partage.

Ces aménagements contractuels reflètent l’idée que, bien que le droit au partage soit impératif, les indivisaires disposent d’une certaine marge de manœuvre pour organiser la gestion de l’indivision et adapter l’exercice de leurs droits aux besoins spécifiques de la situation. L’autonomie des volontés des indivisaires est donc respectée, tant qu’elle n’entrave pas le droit fondamental de demander le partage.

==>Le caractère impératif du partage à l’égard de l’auteur des indivisaires

Le caractère impératif du droit au partage s’étend également à l’auteur des indivisaires, c’est-à-dire au donateur ou au testateur qui a constitué l’indivision par une libéralité ou un testament.

En effet, la loi garantit que même dans le cadre d’une disposition à titre gratuit, le droit de demander le partage reste un droit fondamental auquel l’auteur de l’indivision ne peut déroger de manière permanente.

Il est essentiel de préserver cette faculté pour éviter qu’une indivision ne devienne perpétuelle, ce qui serait contraire à l’esprit de la propriété individuelle.

Aussi, la liberté de l’auteur de l’indivision, que ce soit un donateur ou un testateur, est strictement encadrée.

Selon l’article 815 du Code civil, il n’est pas possible d’imposer une indivision au-delà d’une certaine durée, même par disposition testamentaire ou donation.

En effet, la loi ne permet que des exceptions temporaires au droit au partage, sous certaines conditions.

Par exemple, la loi du 31 décembre 1976, à travers les articles 1873-1 et suivants du Code civil, permet aux indivisaires de conclure une convention de maintien dans l’indivision pour une durée déterminée ou même indéterminée sous certaines conditions.

Toutefois, ces conventions ne peuvent jamais empêcher un indivisaire de demander le partage à un moment donné.

Il est important de noter que, dans le cadre d’une disposition testamentaire, un testateur ne peut imposer à ses héritiers de rester dans l’indivision au-delà de cinq ans, sauf si les conditions légales strictes permettant un maintien prolongé sont remplies, notamment dans le cadre d’une gestion commune ou d’une indivision conventionnelle. Toute tentative d’imposer une indivision perpétuelle ou de priver définitivement les indivisaires de leur droit au partage serait réputée non écrite.

La jurisprudence a confirmé à plusieurs reprises la nullité des clauses qui imposeraient une indivision perpétuelle ou indéfinie.

Le caractère d’ordre public du droit au partage implique que toute clause qui priverait un indivisaire de la faculté de demander le partage, au-delà des limites légales, est réputée non écrite.

Par exemple, dans un arrêt du 13 avril 2016 (Cass. 1ère civ., 13 avr. 2016, n°15-13.312), la Cour de cassation a jugé qu’une clause testamentaire visant à maintenir les indivisaires dans une indivision perpétuelle était nulle, car elle portait atteinte au droit absolu de demander le partage.

Cependant, la question de la validité des clauses testamentaires imposant un maintien temporaire dans l’indivision reste sujette à débat.

Bien que la jurisprudence soit claire sur l’impossibilité d’imposer une indivision perpétuelle, certaines dispositions peuvent être considérées comme valides lorsqu’elles visent à protéger un intérêt commun aux indivisaires.

Dans ce cas, le testateur peut limiter temporairement le droit au partage, mais sans priver définitivement les héritiers de cette faculté.

L’objectif de telles clauses pourrait être de préserver le patrimoine indivis ou de permettre une gestion collective dans l’intérêt de tous les indivisaires.

Toutefois, ces clauses doivent respecter certaines conditions, notamment qu’elles n’empêchent pas les indivisaires de sortir de l’indivision en cas de difficultés majeures ou de mauvaise foi de l’un des co-indivisaires.

Ainsi, le maintien dans l’indivision doit être justifié par un intérêt légitime et ne peut être imposé de manière arbitraire.

La loi du 23 juin 2006 a apporté des précisions sur la possibilité pour le de cujus d’imposer certaines restrictions au droit de partage.

En particulier, cette loi permet la nomination d’un mandataire à effet posthume, chargé de gérer tout ou partie de la succession pour le compte des héritiers.

Ce mandat, qui peut durer jusqu’à cinq ans, prorogeable sous certaines conditions, peut temporairement priver les héritiers de leur droit au partage, mais uniquement dans l’intérêt légitime de la gestion du patrimoine ou des besoins des héritiers.

Le mandat à effet posthume, bien que limitant temporairement le droit au partage, est lui aussi strictement encadré. Il ne peut pas aboutir à une situation où les héritiers seraient définitivement privés de leur droit de sortir de l’indivision.

Le juge peut intervenir pour mettre fin à ce mandat si les conditions légales ne sont plus remplies, assurant ainsi que le caractère fondamental du droit au partage est toujours préservé.

==>Le caractère impératif du partage à l’égard du juge

Le caractère impératif du droit au partage s’impose non seulement aux indivisaires, mais également au juge, qui doit respecter et garantir ce droit fondamental dans ses décisions.

En effet, lorsqu’il est saisi d’une demande tendant à la fin de l’indivision, le juge ne peut pas, de sa propre initiative, empêcher le partage.

Le droit au partage étant un droit d’ordre public, toute décision judiciaire qui priverait un indivisaire de ce droit serait contraire à la loi.

Le juge ne peut donc ni refuser de prononcer le partage, ni en limiter l’exercice, sauf dans les cas expressément prévus par la loi.

Cette limitation du pouvoir judiciaire est une conséquence directe du caractère d’ordre public du droit au partage, qui protège les indivisaires contre toute mesure judiciaire pouvant prolonger indûment une situation d’indivision subie.

Cette règle découle du principe selon lequel « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision ». Elle confère aux indivisaires une faculté de sortie de l’indivision qui ne peut être entravée que temporairement et sous certaines conditions strictes, prévues par le Code civil.

L’article 815-5 du Code civil prévoit une exception à ce principe en permettant au juge de surseoir temporairement au partage dans des situations bien précises. Cette disposition a été envisagée aux fins de répondre aux cas où un partage immédiat risquerait de causer un préjudice grave à un ou plusieurs indivisaires.

Par exemple, le juge peut accorder un sursis lorsqu’il estime que le partage serait prématuré ou que certaines circonstances économiques ou personnelles justifient un délai avant de procéder au partage. Cela peut concerner des situations où la vente d’un bien indivis entraînerait une dépréciation significative de sa valeur, ou encore des situations où un indivisaire est dans une situation de vulnérabilité ou de précarité.

Cependant, ce sursis est temporaire et ne peut pas avoir pour effet de remettre en cause le caractère impératif du droit au partage. En effet, la suspension du partage ne peut être accordée que pour une durée limitée et justifiée par les circonstances. Le juge doit motiver sa décision et préciser les conditions et la durée du sursis, car l’objectif reste de préserver le droit de chacun de sortir de l’indivision, tout en évitant un préjudice disproportionné.

Même dans les cas où le juge accorde un sursis au partage, son rôle est de trouver un équilibre entre les intérêts des indivisaires. Il doit veiller à ce que le sursis n’entraîne pas une situation d’indivision prolongée qui pourrait être ressentie comme une injustice par les indivisaires désirant mettre fin à cette situation. Ainsi, tout sursis doit rester proportionné et ne peut s’appliquer que dans les conditions définies par la loi.

La jurisprudence a confirmé cette approche, rappelant que le sursis au partage ne peut être accordé que pour éviter un préjudice grave à l’un des indivisaires, mais qu’il ne peut jamais avoir pour effet de priver un indivisaire de son droit au partage de manière définitive ou prolongée au-delà de ce qui est nécessaire.

Par exemple, la Cour de cassation, dans un arrêt du 10 février 2015, a rappelé que même si un indivisaire fait l’objet d’une procédure collective, cette situation ne saurait empêcher un autre indivisaire de demander le partage (Cass. 1re civ., 10 févr. 2015, n°13-24.659).

Outre l’article 815-5, le juge dispose également du pouvoir de surseoir à statuer lorsqu’une difficulté préalable doit être résolue avant de pouvoir procéder au partage.

Par exemple, si une contestation sur la validité d’un testament doit être résolue avant que le partage puisse être ordonné, le juge peut surseoir à statuer jusqu’à ce que cette question soit tranchée.

2. Un droit discrétionnaire

Le caractère discrétionnaire du droit au partage permet à tout co-indivisaire de demander le partage sans avoir à fournir de justification ou de motif légitime.

Autrement dit, l’indivisaire n’a aucune obligation de démontrer que la poursuite de l’indivision lui est préjudiciable, ni d’attendre une circonstance particulière pour demander à en sortir.

L’absence d’exigence de justification permet de garantir que l’indivision ne soit jamais subie par un co-indivisaire.

François Zenati-Castaing explique en ce sens que « la liberté d’exercer ce droit, sans condition ni justification, est une manifestation directe du droit de propriété et de la volonté du législateur d’éviter la perpétuation d’une indivision subie »[1].

Ce caractère discrétionnaire assure ainsi que l’indivisaire, qu’il s’agisse d’une indivision successorale ou de tout autre forme d’indivision, conserve à tout moment la faculté de récupérer sa part de propriété exclusive. Il s’agit d’un droit absolu, qui s’impose aux co-indivisaires sans restriction.

La jurisprudence réaffirme régulièrement cette règle en insistant sur la liberté absolue de chaque indivisaire de provoquer le partage, et ce, sans motif particulier.

Un arrêt fondateur de la Cour de cassation du 26 décembre 1866 a précisé que la demande en partage n’a pas à être fondée sur des motifs légitimes et ne peut être considérée comme un abus de droit, même si elle est désavantageuse pour les autres indivisaires.

Cela signifie qu’un indivisaire peut provoquer le partage même lorsque cette décision s’avère préjudiciable pour les autres co-indivisaires.

Ce caractère discrétionnaire est essentiel pour préserver la précarité intrinsèque du régime de l’indivision, permettant à chaque indivisaire de mettre un terme à cette situation selon sa propre volonté, et ce, sans subir d’opposition.

De manière corrélative, les autres indivisaires ne peuvent empêcher l’un d’eux de sortir de l’indivision, peu importe les circonstances.

Le caractère absolu du droit au partage s’impose également aux juridictions saisies.

En effet, à l’exception des cas prévus par la loi permettant de maintenir temporairement la situation d’indivision, comme le sursis judiciaire (article 815-5 du Code civil), toute juridiction doit accéder à une demande de partage formulée par un indivisaire. La Cour de cassation a confirmé, dès le 19e siècle, que le juge ne dispose pas de la faculté de refuser le partage, quelles que soient les circonstances.

Dans l’arrêt du 26 décembre 1866, elle affirma en ce sens que le partage peut être provoqué à tout moment, peu importe l’absence de motif sérieux ou légitime lors de la demande.

De même, la faible valeur des biens indivis ne constitue pas un obstacle à l’exercice de ce droit, comme rappelé dans un arrêt du 30 mai 1877 (Cass. civ. 30 mai 1877).

Cette liberté s’étend même aux indivisaires en situation particulière, comme ceux placés en liquidation judiciaire.

Dans un arrêt du 29 juin 2011, la Cour de cassation a, par exemple, affirmé qu’un indivisaire faisant l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire pouvait demander le partage sans que les autres indivisaires ne puissent s’y opposer (Cass. 1ère civ. 29 juin 2011, n°10-25.098).

Par ailleurs, le droit de tout indivisaire à demander le partage, absolu et discrétionnaire, prime sur toute disposition testamentaire qui tenterait d’y porter atteinte.

Ainsi, un testateur ne saurait contraindre ses héritiers à rester en indivision, qu’il s’agisse d’une durée illimitée ou même temporaire, sans enfreindre ce droit fondamental.

La jurisprudence est constante à ce sujet : toute clause testamentaire qui restreindrait l’exercice le droit au partage, en imposant par exemple une indivision perpétuelle ou en dissuadant un héritier de demander le partage, est réputée non écrite.

C’est ce que la Cour de cassation a réaffirmé dans un arrêt du 13 avril 2016 (Cass. 1re civ., 13 avr. 2016, n° 15-13.312), en invalidant une stipulation testamentaire visant à maintenir indéfiniment l’indivision.

Dans cette affaire, la Cour de cassation a été saisie d’un litige concernant une stipulation testamentaire imposant une indivision aux héritiers. Le disposant avait inséré une clause pénale dans son testament, stipulant qu’un héritier qui exercerait son droit de demander le partage se verrait infliger une réduction de sa part dans la succession.

Cette disposition avait pour objectif d’empêcher, à tout le moins de dissuader, les héritiers de rompre l’indivision établie par le défunt, même si elle n’était pas à durée déterminée.

La question soulevée devant la Cour de cassation était donc de savoir si une telle clause était valide et si elle pouvait être opposée aux héritiers indivisaires.

Le testateur, en insérant cette clause, tentait manifestement de restreindre l’exercice du droit absolu et discrétionnaire de chaque indivisaire de demander le partage.

Cependant, la Cour de cassation a rappelé que ce droit est protégé par la loi, et qu’il ne peut être entravé, même par des volontés testamentaires explicites.

Plus précisément, elle a jugé que la stipulation testamentaire en question devait être réputée non écrite, car elle portait une atteinte excessive au droit des héritiers de demander le partage.

La Haute juridiction a souligné que ce droit est absolu et ne peut souffrir aucune limitation, qu’elle soit directe ou indirecte, notamment par le biais d’une clause pénale dissuasive.

Cette décision s’inscrit dans le droit fil d’une jurisprudence constante visant à protéger l’autonomie des héritiers indivisaires et à préserver leur faculté de sortir de l’indivision à tout moment.

En statuant ainsi, la Cour de cassation a non seulement invalidé la clause pénale insérée dans le testament, mais elle a également réaffirmé le caractère absolu et discrétionnaire du droit au partage : le testateur ne peut imposer à ses héritiers des contraintes qui porteraient atteinte à l’essence même de leur droit au partage. Ce droit prime sur toute volonté testamentaire visant à prolonger l’indivision, et toute clause contraire doit être écartée.

De même, même lorsque le testateur impose une indivision pour une durée limitée, comparable à ce qui est prévu pour l’indivision conventionnelle (limitée à cinq ans), cette contrainte ne saurait s’imposer aux héritiers.

La jurisprudence l’a confirmé à plusieurs reprises (V. notamment Cass. 1ère civ. 5 janv. 1977, n°75-15.199), et cette position n’a pas été remise en cause par la réforme de 1976.

Ainsi, qu’il s’agisse d’une indivision perpétuelle ou temporaire, toute tentative du testateur d’imposer sa durée, même assortie de sanctions, contrevient au droit inaliénable de tout indivisaire de demander le partage. Toute clause allant dans ce sens se voit automatiquement privée d’effet, étant réputée non écrite.

3. Un droit imprescriptible

==>L’exclusion de la prescription extinctive

Le droit au partage se distingue par son caractère imprescriptible, c’est-à-dire qu’il ne s’éteint jamais, quel que soit le temps écoulé depuis la constitution de l’indivision.

La Cour de cassation a rappelé ce principe notamment dans un arrêt du 12 décembre 2007 aux termes duquel elle a jugé que « le droit de demander le partage étant imprescriptible, celui-ci peut toujours être provoqué, à moins qu’il n’y ait été sursis par jugement ou convention » (Cass. 1ère civ., 12 déc. 2007, n°06-20.830).

Dans cette affaire, la demande de partage concernait une succession vieille de plus de 70 ans, et la Cour a confirmé que le délai écoulé ne faisait pas obstacle à cette action. Cet arrêt illustre de manière claire l’absence de toute prescription extinctive pour l’action en partage, même en présence d’une indivision très ancienne.

Cette règle vise à protéger le droit de propriété de chaque indivisaire, en lui offrant la possibilité de retrouver à tout moment une pleine maîtrise de sa part de bien.

Des auteurs soulignent à cet égard que « le droit au partage est intrinsèquement lié à la protection de la propriété individuelle et ne saurait être anéanti par l’écoulement du temps »[4]. Dans le même sens Planiol et Ripert ont écrit que « le droit de sortir d’indivision ne se perd pas par non-usage »[5].

Cette position doctrinale met en évidence la nature temporaire de l’indivision, conçue pour cesser dès lors qu’un indivisaire le souhaite. L’imprescriptibilité du droit au partage en est la manifestation la plus claire.

En tout état de cause, bien que la prescription extinctive puisse entraîner l’extinction de certains droits par l’écoulement du temps, elle ne s’applique pas à l’action en partage.

Ce principe, fermement établi par la jurisprudence, est illustré notamment par un ancien arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 décembre 1937 (Cass. req., 13 déc. 1937).

Elle y a confirmé que le droit au partage échappe à toute forme de prescription extinctive. Cette décision réaffirme le caractère fondamentalement imprescriptible de ce droit, garantissant à tout indivisaire la faculté de provoquer la fin de l’indivision, quel que soit le temps écoulé depuis sa constitution.

Ainsi, même en cas d’indivision prolongée, chaque indivisaire conserve la possibilité de demander le partage à tout moment. Ce droit est protégé contre toute forme d’inertie, qu’elle soit intentionnelle ou non, de la part des autres indivisaires. Cela évite que l’indivision ne se perpétue simplement par défaut d’action ou par négligence de certains indivisaires.

En ce sens, l’imprescriptibilité du droit au partage agit comme une garantie contre l’inaction, préservant le droit de chaque co-indivisaire à mettre fin à cette situation à tout moment, sans qu’un quelconque délai puisse jouer en défaveur de cette prérogative.

==>Le jeu de la prescription acquisitive

Reste que si le droit au partage est imprescriptible, la prescription acquisitive constitue une exception à ce principe.

En effet, bien que la prescription extinctive ne puisse éteindre le droit de demander le partage, il est possible, sous certaines conditions, qu’un indivisaire ou un tiers acquière la propriété d’un bien indivis par possession prolongée.

L’article 816 du Code civil dispose en ce sens que « le partage ne peut être demandé s’il y a eu possession suffisante pour acquérir la prescription ».

Cela signifie que si un bien indivis a été possédé de manière continue, paisible, publique et non équivoque pendant un délai de trente ans, l’usucapion permet à l’indivisaire ou au tiers possesseur de faire sortir ce bien de l’indivision, le privant ainsi de son caractère indivis.

L’usucapion, qui repose sur des conditions rigoureuses de possession, s’applique donc uniquement à des biens spécifiques au sein de l’indivision, et non à l’ensemble d’une succession ou d’un patrimoine indivis dans son intégralité.

Cela se justifie par la nature même de l’indivision, qui repose sur une co-titularité de droits de propriété, chacun des indivisaires jouissant de l’ensemble des biens indivis sans en détenir la propriété exclusive.

Certains auteurs soutiennent qu’une succession, en tant qu’universalité juridique, ne peut faire l’objet d’une possession prolongée dans son ensemble, car il serait difficile, voire impossible, de posséder une telle universalité de manière non équivoque et exclusive.

En raison de la diversité des biens qui la composent et de la nature collective des droits indivisaires, ils estiment que la possession, pour être effective et produire des effets juridiques, doit porter sur des biens déterminés, spécifiquement identifiés, plutôt que sur l’ensemble des biens formant l’indivision.

Les tenants de cette thèse considèrent que « l’usucapion ne peut jouer que relativement à des biens envisagés ut singuli », c’est-à-dire individuellement, et non sur l’intégralité d’une succession ou d’une indivision, laquelle est perçue comme une universalité juridique insusceptible de possession exclusive[6].

Cependant, d’autres auteurs adoptent une approche plus large et nuancée de l’usucapion.

Ils soutiennent qu’il serait possible, sous certaines conditions, d’acquérir par prescription acquisitive non seulement des biens spécifiques, mais également un ensemble de biens constituant l’actif successoral, dès lors que ces biens sont suffisamment identifiés au sein de l’universalité juridique de la succession.

Selon cette approche, l’usucapion ne porterait pas sur l’universalité en tant que telle, mais sur les éléments patrimoniaux qui la composent, ce qui permettrait à un indivisaire de prescrire l’intégralité de l’actif successoral ou de l’indivision.

Cette position a trouvé un certain écho dans la jurisprudence. En effet, la Cour de cassation a admis, dans un arrêt du 4 juillet 1853, que la prescription acquisitive pouvait, dans certaines circonstances, s’appliquer à l’ensemble des biens dépendant d’une succession.

Cet arrêt confirme l’interprétation selon laquelle l’usucapion, bien qu’habituellement limitée à des biens déterminés, peut dans des cas particuliers s’étendre à un ensemble de biens indivis, lorsque les conditions de la possession sont réunies.

L’article 816 du Code civil, qui dispose que « le partage ne peut être demandé s’il y a eu possession suffisante pour acquérir la prescription », consacre ce mécanisme, en permettant qu’un bien indivis puisse être usucapé et sortir ainsi de l’indivision, rendant le partage inapplicable à ce bien.

Quoi qu’il en doit, l’application de l’usucapion, même sur des biens indivis, repose sur le respect strict des conditions de la prescription acquisitive, telles qu’énoncées dans l’article 2261 du Code civil.

Pour que la possession puisse conduire à l’acquisition d’un bien par usucapion, elle doit être paisible, continue, publique et non équivoque, et ce, pendant un délai de trente ans, si aucun titre translatif de propriété n’est invoqué.

La jurisprudence et la doctrine insistent sur le caractère exclusif de la possession, particulièrement en matière d’indivision, où les actes accomplis par un indivisaire tendent souvent à être interprétés comme des actes de gestion collective plutôt que comme des manifestations d’une volonté d’exclusivité.

A cet égard, la possession en situation d’indivision présente une difficulté particulière : les actes de gestion ou d’usage par un coïndivisaire sont généralement équivoques, car ils peuvent être perçus comme l’exercice normal des droits indivis, et non comme une appropriation exclusive.

Selon Planiol et Ripert, la possession d’un bien indivis par un coïndivisaire est souvent indéterminée, car elle reflète une jouissance commune plutôt qu’une propriété individuelle. Les actes de possession ne peuvent donc permettre l’usucapion que s’ils traduisent une intention manifeste de se comporter en propriétaire exclusif, incompatible avec la qualité d’indivisaire.

La jurisprudence est venue confirmer cette exigence. Ainsi, dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation a rappelé que les juges du fond doivent rechercher si le possesseur indivis s’est comporté en propriétaire exclusif, c’est-à-dire s’il a accompli des actes montrant son intention de s’approprier le bien pour lui seul (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 27 oct. 1993, n° 91-13.286). En l’absence d’actes exclusifs et non équivoques, la prescription acquisitive ne peut prospérer, et le bien demeure dans l’indivision.

Il peut être observé que le vice d’équivoque est l’un des principaux obstacles à la mise en œuvre de l’usucapion dans le cadre de l’indivision.

Ce vice se manifeste lorsque la possession invoquée par l’indivisaire n’est pas clairement distincte de celle que pourrait exercer un autre indivisaire.

Par exemple, un indivisaire qui se contente d’occuper un bien indivis ou d’en tirer des revenus comme le ferait tout autre coïndivisaire ne pourra prétendre à l’usucapion, car ces actes ne montrent pas une volonté d’exclusivité (Cass. 3e civ., 27 nov. 1985, n°84-15.259). À l’inverse, des actes significatifs, tels que l’accomplissement de travaux importants sans en informer les autres indivisaires ou la perception exclusive des fruits du bien, peuvent constituer des indices d’une volonté d’exclusivité, susceptibles de permettre l’usucapion (Cass. 3e civ., 25 févr. 1998, n° 96-15.045).

Pour que la prescription acquisitive puisse être opposée avec succès aux autres indivisaires, il est nécessaire que l’indivisaire prétendant à l’usucapion se soit comporté en véritable propriétaire exclusif. Cette exclusivité doit être démontrée par des actes incompatibles avec la qualité d’indivisaire, c’est-à-dire des actes qui ne relèvent pas simplement de la gestion ordinaire de l’indivision, mais qui traduisent une appropriation personnelle du bien.

Le délai de prescription requis pour l’usucapion en matière d’indivision est de trente ans. La prescription abrégée de dix ans, applicable dans certains cas lorsque le possesseur dispose d’un juste titre, ne trouve pas à s’appliquer dans ce contexte, en raison de l’absence de titre translatif au profit de l’indivisaire.

Ce principe a été établi par la jurisprudence, qui exclut la possibilité pour un indivisaire de prescrire en moins de trente ans en invoquant un partage irrégulier ou un acte de gestion comme titre translatif (V. en ce sens Cass. req., 4 août 1870).

Cependant, dans le cadre de la copropriété, il est possible pour l’ensemble des copropriétaires d’acquérir des parties communes par prescription abrégée, comme rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 30 avril 2003 .

Aux termes de cet arrêt, elle a, en effet, jugé que « les actes de vente de biens immobiliers, constitués par des lots de copropriété qui sont nécessairement composés de parties privatives et de quotes-parts de parties communes, peuvent être le juste titre qui permet à l’ensemble des copropriétaires de prescrire, selon les modalités de l’article 2265 du Code civil, sur les parties communes de la copropriété, les droits indivis de propriété qu’ils ont acquis accessoirement aux droits exclusifs qu’ils détiennent sur les parties privatives de leurs lots » (Cass. 3e civ., 30 avr. 2003, n° 01-15.078).

Au total, l’usucapion, bien que potentiellement applicable à des biens indivis, reste un mécanisme d’exception nécessitant des conditions strictes. La possession doit être exclusive, continue, paisible, publique et non équivoque, et ce, pendant une période de trente ans.

Si ces conditions ne sont pas réunies, le bien demeurera dans l’indivision et restera éligible au partage, étant précisé que la jurisprudence exclut toute possibilité d’usucapion lorsque la possession invoquée par l’indivisaire se confond avec l’usage ordinaire d’un bien indivis, ce qui nécessité alors une véritable appropriation exclusive pour que la prescription acquisitive puisse produire ses effets.

II) Les exceptions

Le droit au partage, bien qu’absolu et imprescriptible, connaît plusieurs tempéraments qui permettent de maintenir l’indivision dans certains cas.

Ces tempéraments visent à protéger des intérêts spécifiques ou à éviter des conséquences préjudiciables liées à un partage immédiat.

Le sursis au partage, par exemple, permet de différer cette opération lorsque le partage risque de porter atteinte à la valeur des biens indivis ou aux intérêts des coïndivisaires.

De même, le maintien forcé dans l’indivision peut être imposé par le juge, notamment en cas de biens particuliers comme des exploitations agricoles ou des locaux professionnels.

L’attribution éliminatoire est une autre exception importante, permettant aux indivisaires qui souhaitent rester dans l’indivision d’exclure un coïndivisaire demandant le partage.

Enfin, certains biens, par leur nature particulière, comme les sépultures ou souvenirs de famille, échappent au partage et demeurent indivis.

Ces divers mécanismes illustrent les limites du droit au partage, lorsque des intérêts économiques, affectifs ou symboliques nécessitent le maintien de l’indivision.

A) Le sursis au partage

Le sursis au partage constitue une exception au principe de libre sortie de l’indivision, et permet temporairement de suspendre le partage des biens indivis.

Il s’agit d’une mesure particulièrement encadrée, justifiée dans des circonstances où le partage immédiat risquerait de porter atteinte aux intérêts économiques des indivisaires ou à la gestion des biens indivis.

Le sursis au partage est régi par l’article 820 du Code civil, issu de la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, qui a renforcé la possibilité de maintenir provisoirement l’indivision dans des cas spécifiques.

Le sursis au partage se distingue ainsi du maintien forcé dans l’indivision, dont l’objectif est d’assurer la protection d’intérêts légitimes sur une plus longue durée.

1. Le domaine du sursis au partage

Le sursis au partage, prévu par l’article 820 du Code civil, est donc une mesure exceptionnelle qui permet de suspendre temporairement le partage des biens indivis lorsqu’un partage immédiat serait inapproprié.

Cette mesure intervient dans deux hypothèses principales :

  • D’une part, lorsque le partage pourrait nuire à la valeur des biens
  • D’autre part, lorsqu’un indivisaire envisage de reprendre une entreprise dépendant de la succession, mais nécessite un délai pour être prêt à cette reprise.

a. Le risque d’atteinte à la valeur des biens indivis

Le premier cas de sursis concerne le risque d’atteinte à la valeur des biens indivis si le partage intervient à un moment inopportun.

L’objectif est de protéger les intérêts communs des indivisaires en évitant de dévaloriser les biens concernés. Le sursis peut ainsi être demandé lorsque le partage immédiat risquerait de provoquer une vente judiciaire en période de crise immobilière, ou lorsque la valeur des biens est susceptible d’évoluer positivement dans un avenir proche.

Par exemple, si un bien indivis est situé dans une zone sujette à des projets d’urbanisme ou à des modifications du Plan Local d’Urbanisme (PLU), sa valeur pourrait fluctuer en fonction des décisions administratives à venir.

De même, le sursis peut être sollicité si l’un des biens indivis est en cours de rénovation, et que les travaux doivent être terminés pour maximiser la valeur du bien avant tout partage. Ce cas de sursis se fonde sur l’idée que le report du partage préserverait la valeur économique des biens indivis pour le bénéfice de tous les indivisaires.

Il est important de noter que ce sursis ne s’applique pas uniquement en cas de perte immédiate de valeur, mais peut également être invoqué lorsqu’une plus-value est attendue dans un avenir proche.

Par exemple, un indivisaire pourrait solliciter un sursis au partage dans l’attente d’une amélioration des conditions économiques, d’une décision administrative favorable, ou d’une situation plus avantageuse sur le marché immobilier.

b. La reprise d’une entreprise par un indivisaire

Le second cas de sursis concerne spécifiquement les indivisions successorales.

Ici, le sursis au partage permet de différer le partage lorsqu’un des indivisaires souhaite reprendre une entreprise dépendant de la succession, qu’elle soit agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, mais qu’il nécessite un délai pour y parvenir. Ce cas est directement lié à la situation de l’entreprise et à la capacité de l’indivisaire de l’exploiter.

Cette hypothèse suppose que l’indivisaire demandeur du sursis puisse, dans un avenir proche, être en mesure de reprendre l’entreprise en répondant aux exigences professionnelles et financières nécessaires.

Le sursis permet donc de lui laisser le temps d’acquérir les qualifications ou financements requis pour exploiter l’entreprise de manière indépendante. Toutefois, si la reprise par l’indivisaire concerné est jugée improbable ou irréalisable, le sursis peut être refusé par le tribunal.

Cette faculté est ouverte pour protéger l’exploitation d’entreprises agricoles, mais s’est depuis étendue à toute entreprise commerciale ou libérale dépendant d’une indivision successorale.

2. Les conditions de la demande de sursis au partage

Pour que la demande de sursis au partage soit recevable, plusieurs conditions doivent être réunies.

Ces conditions permettent de garantir que le sursis ne soit accordé que dans des situations véritablement justifiées, où il est dans l’intérêt de préserver l’indivision pour éviter des conséquences défavorables pour les biens ou les indivisaires.

a. Le demandeur : seul un indivisaire peut solliciter le sursis

La demande de sursis au partage ne peut être formulée que par un indivisaire. Il incombe à cet indivisaire de démontrer que le report du partage est justifié par l’un des motifs prévus par l’article 820 du Code civil, à savoir :

  • Préserver la valeur des biens : l’indivisaire doit prouver que le partage immédiat pourrait entraîner une perte de valeur des biens indivis, en raison par exemple de conditions économiques défavorables ou de travaux non achevés.
  • Faciliter la reprise d’une entreprise : dans le cadre d’une indivision successorale, un indivisaire qui souhaite reprendre une entreprise (qu’elle soit agricole, industrielle, commerciale, artisanale ou libérale) peut solliciter un sursis pour obtenir le temps nécessaire à l’acquisition des compétences, des financements, ou d’autres ressources indispensables pour assurer la continuité de l’activité.

Ce droit de solliciter le sursis est exclusivement réservé aux indivisaires. En principe, les créanciers des indivisaires ou des tiers ne peuvent pas formuler une telle demande, même s’ils ont un intérêt financier dans l’issue du partage. Par exemple, un créancier ne pourrait pas invoquer la nécessité de reporter le partage pour garantir le remboursement de ses créances.

Cependant, une nuance s’impose lorsqu’un créancier agit dans le cadre de l’action oblique, en se substituant à son débiteur indivisaire pour provoquer le partage.

Dans ce cas, la Cour de cassation a affirmé que la demande de sursis au partage reste recevable, même lorsque le partage est demandé par un créancier agissant sur le fondement de l’action oblique.

En effet, dans un arrêt du 6 février 1996, la Cour a jugé que les indivisaires peuvent, en réponse à une demande de partage formulée par un créancier de l’un d’eux, solliciter un sursis au partage (Cass. 1ère civ., 6 février 1996, n°93-21.320).

Le créancier, agissant par l’action oblique, exerce les droits de son débiteur et se voit opposer les mêmes exceptions que ce dernier, notamment celle du sursis.

Ainsi, même lorsque le partage est initié par un créancier dans le cadre de l’action oblique, le sursis au partage peut être demandé par les indivisaires concernés.

Dans ce contexte, ils doivent démontrer que l’une des conditions prévues par l’article 820 du Code civil est remplie, telles que la préservation de la valeur des biens ou la reprise d’une entreprise.

b. Temporalité de la demande

La demande de sursis au partage est encadrée par un cadre temporel précis et doit être introduite en réponse à une demande de partage.

En pratique, cela signifie qu’elle intervient généralement sous la forme d’une demande reconventionnelle, c’est-à-dire qu’un indivisaire sollicite le sursis lorsque l’autre partie a initié une procédure de partage des biens indivis.

Cette demande de sursis peut être présentée à tout stade de la procédure de partage, tant que le partage n’a pas été définitivement prononcé par une décision irrévocable.

En effet, la jurisprudence a reconnu qu’il est possible de formuler une demande de sursis pour la première fois en cause d’appel.

Ainsi, même après une décision de première instance ordonnant le partage, un indivisaire peut introduire une demande de sursis en appel, tant que cette décision n’est pas devenue irrévocable. La Cour de cassation a réaffirmé ce principe dans un arrêt du 3 octobre 2019 (Cass. 1re civ., 3 oct. 2019, n° 18-21.200), validant ainsi la possibilité pour un indivisaire d’introduire une telle demande à n’importe quel moment de la procédure, dès lors que le partage n’a pas encore été ordonné de manière définitive.

Toutefois, une fois qu’un jugement de partage a été rendu et qu’il est devenu définitif, aucune demande de sursis ne sera recevable.

Cette interdiction découle du principe de l’autorité de la chose jugée.

En d’autres termes, lorsqu’une juridiction a définitivement statué sur le partage des biens indivis, la demande de sursis au partage serait en contradiction directe avec la décision rendue. Le maintien des biens dans l’indivision serait incompatible avec un partage déjà ordonné.

Par conséquent, toute demande de sursis introduite après qu’un jugement irrévocable a été rendu serait nécessairement rejetée, comme l’a rappelé la Cour dans plusieurs décisions antérieures (Cass. 1ère civ., 15 mai 1979, 78-10.266).

Ainsi, la temporalité de la demande est un élément crucial à prendre en compte quant à sa recevabilité : tant que le jugement de partage n’a pas acquis un caractère définitif, le sursis peut être demandé, y compris pour la première fois en cause d’appel. Mais une fois le partage devenu irrévocable, la demande de sursis est irrecevable et ne pourra plus être examinée.

3. Les modalités d’exercice de la demande de sursis

La demande de sursis au partage est soumise à un cadre procédural rigoureux, tant en ce qui concerne la juridiction compétente que les conditions de recevabilité.

==>Juridiction compétente

En vertu de l’article 1381 du Code de procédure civile, c’est le tribunal judiciaire qui est, en principe, compétent pour examiner les demandes de sursis au partage.

Cependant, lorsque la demande de partage concerne des biens indivis entre époux, concubins ou partenaires de PACS, la compétence est dévolue au juge aux affaires familiales.

Cette règle, énoncée à l’article L. 213-3 du Code de l’organisation judiciaire, vise à simplifier et centraliser les contentieux liés aux relations familiales, en attribuant cette matière à un juge spécialisé dans ce type de conflits.

==>La nature contentieuse de la demande de sursis

La demande de sursis au partage est une demande contentieuse qui intervient nécessairement dans le cadre d’une procédure en partage.

Elle n’existe pas de manière autonome, mais est toujours liée à une instance préalable introduite en vue d’obtenir un partage des biens indivis.

Généralement, cette demande est formulée par un indivisaire en réponse à une demande initiale de partage, souvent sous la forme d’une demande reconventionnelle.

L’objectif est de reporter le partage afin de préserver la valeur des biens indivis ou de permettre la reprise d’une entreprise par l’un des indivisaires.

Il est également important de noter que le sursis au partage doit être motivé par des raisons économiques légitimes ou par la nécessité de permettre à un indivisaire de reprendre une entreprise.

Le tribunal, qui est saisi de la demande, dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation pour évaluer la pertinence et la légitimité de la demande. Ce pouvoir est essentiel car il permet au juge de s’assurer que la suspension du partage répond à des critères objectifs et qu’elle est dans l’intérêt des indivisaires.

Cette règle a été rappelée par la Cour de cassation notamment dans un arrêt rendu le 8 janvier 1985 (Cass. 1re civ., 8 janv. 1985, n°83-13.659).

==>Pouvoirs du juge

Le tribunal, saisi de la demande de sursis, dispose d’une marge d’appréciation importante quant aux biens indivis concernés.

En effet, l’article 820 du Code civil précise que le sursis peut s’appliquer à l’ensemble des biens indivis ou uniquement à certains d’entre eux.

Le juge doit dès lors décider si le sursis doit être global, c’est-à-dire concerner tous les biens de l’indivision, ou limité à certains biens spécifiques, en fonction des circonstances de l’affaire.

Par exemple, si le partage d’un bien indivis risque de porter atteinte à la valeur globale de la masse successorale, le juge pourra ordonner un sursis pour ce bien précis, tout en permettant le partage des autres biens.

==>Durée du sursis

L’article 820 du Code civil prévoit que « le tribunal peut surseoir au partage pour deux années au plus ».

Il s’agit là d’un délai maximal que peut accorder le juge lorsqu’il prononce un sursis au partage.

Ce délai a été fixé pour éviter que le maintien de l’indivision ne devienne une situation indéfinie, tout en garantissant une marge de manœuvre suffisante pour surmonter les obstacles économiques ou personnels justifiant la demande.

Le législateur a choisi cette durée pour permettre aux indivisaires de préparer sereinement un partage ou une reprise, sans pour autant immobiliser indéfiniment les biens de l’indivision, ce qui pourrait porter atteinte aux droits des autres coïndivisaires.

==>Appréciation de la durée du sursis

S’agissant de la fixation du délai, il peut être observé que le juge, lorsqu’il statue, dispose d’un pouvoir souverain pour ajuster la durée du sursis en fonction des circonstances propres à chaque affaire.

Il n’est pas obligé de toujours accorder la durée maximale de deux ans, mais peut, au contraire, fixer une durée inférieure si les éléments du dossier ne justifient pas une suspension aussi longue.

Par exemple, si les conditions économiques doivent s’améliorer dans un laps de temps plus court ou si les travaux sur un bien indivis sont sur le point d’être achevés, le juge pourra estimer qu’une période de sursis plus brève suffira pour atteindre l’objectif poursuivi.

A cet égard, dans un arrêt du 8 janvier 1985 la Cour de cassation a rappelé que les juges du fond disposaient d’une liberté totale pour fixer la durée du sursis en tenant compte des particularités de chaque situation, notamment des éléments économiques ou des projets de reprise d’entreprise (Cass. 1ère civ., 8 janv. 1985, n°83-13.659). Ce pouvoir discrétionnaire leur permet de s’adapter aux circonstances et de garantir que le sursis reste proportionné aux enjeux en cause.

De plus, si un indivisaire tente de prolonger de facto la durée du sursis en multipliant les recours ou en ralentissant la procédure, les juges peuvent tenir compte des délais procéduraux accumulés lors de l’examen de la demande initiale.

En effet, le temps passé en procédure peut déjà constituer une forme de sursis, comme l’a relevé la jurisprudence, et justifier un rejet de la demande si celle-ci apparaît abusive ou si elle prolonge indûment l’indivision.

==>Non-renouvellement du sursis

L’article 820 du Code civil dispose que la durée du sursis ne peut excéder deux ans, et ce délai est non renouvelable.

En conséquence, une fois le sursis octroyé pour une période de deux ans, aucun nouveau sursis ne pourra être sollicité pour les mêmes biens, contrairement à ce qui est permis dans le cadre du maintien conventionnel de l’indivision.

Toutefois, s’il a été initialement accordé pour une durée inférieure à deux ans, il est admis qu’une prorogation puisse être demandée, tant que la durée totale du sursis ne dépasse pas les deux ans. Cela permet une certaine flexibilité dans l’application de cette mesure, en fonction des circonstances spécifiques à chaque affaire.

En revanche, si les biens concernés par le sursis ont changé, il est possible de demander un nouveau sursis pour ces autres biens, sans que cela entre en conflit avec le principe de non-renouvellement. Cette faculté vise à protéger les intérêts des indivisaires tout en respectant le cadre temporel strict imposé par la loi.

==>Disparition du fondement du sursis

Le sursis au partage repose sur des motifs économiques ou des raisons liées à la reprise d’une entreprise indivise. Toutefois, il est possible que ces motifs disparaissent avant l’expiration du délai de sursis.

Par exemple, si un projet de rénovation d’un immeuble indivis est finalisé plus tôt que prévu, ou si des droits litigieux sur un bien indivis sont tranchés par une décision de justice avant l’expiration du sursis, les raisons initiales justifiant la suspension du partage disparaissent, permettant ainsi de relancer le processus de partage.

Dans ces cas, il est possible de revenir devant le tribunal judiciaire pour demander la levée anticipée du sursis, permettant ainsi de relancer la procédure de partage.

La jurisprudence et la doctrine sont favorables à une telle demande, car le sursis doit être justifié par une nécessité objective. Si cette nécessité disparaît, il est logique de permettre aux indivisaires de reprendre la procédure de partage sans attendre l’expiration du délai initialement fixé.

4. Les effets de la demande de sursis

==>Suspension du partage

L’effet principal du sursis est de reporter le partage des biens indivis pendant la durée fixée par le juge, qui ne peut excéder deux ans.

Durant cette période, l’indivision est maintenue dans sa forme actuelle, et aucun acte de partage ne peut être entrepris, même si l’une des parties en exprime la volonté.

Le sursis permet ainsi de geler la situation juridique des biens indivis afin d’éviter une vente ou un partage dans des conditions défavorables, notamment sur le plan économique ou organisationnel (par exemple, en cas de reprise différée d’une entreprise).

Cependant, le sursis n’a pas pour vocation de transformer l’indivision en situation définitive.

À l’expiration du délai fixé par le juge, le partage devra obligatoirement intervenir, à moins que les indivisaires ne décident de maintenir volontairement l’indivision par le biais d’une convention.

Dans ce cas, les parties peuvent se prévaloir des dispositions des articles 1873-1 et suivants du Code civil, qui permettent de conclure des conventions d’indivision afin de prolonger celle-ci au-delà du délai imposé par le juge. Ce maintien conventionnel est donc distinct du sursis judiciaire, qui, lui, reste strictement temporaire.

==>Absence d’incidence sur les droits des indivisaires

Bien que le partage soit suspendu pendant la durée du sursis, cette suspension n’a pas d’incidence sur les droits des indivisaires quant à la jouissance ou la gestion des biens indivis.

Les indivisaires continuent de disposer de leurs droits ordinaires, notamment en ce qui concerne l’utilisation des biens indivis. Par exemple, si un bien immobilier est loué, les revenus locatifs continueront d’être répartis entre les indivisaires, conformément aux règles normales de l’indivision.

En matière de gestion, les règles prévues par le Code civil pour l’indivision demeurent applicables.

Ainsi, toute décision relative à la gestion courante des biens indivis peut être prise à la majorité des deux tiers, comme le prévoit l’article 815-3 du Code civil.

Les actes de disposition (vente d’un bien, par exemple) nécessitent, quant à eux, l’unanimité des indivisaires. Le sursis n’a donc pas pour effet de restreindre les prérogatives de gestion des indivisaires, mais il interdit simplement de procéder au partage pendant la période concernée.

Il est important de souligner que le sursis, bien qu’il suspende le partage, n’est pas une période d’inertie. Les indivisaires peuvent continuer à valoriser et exploiter les biens indivis, à condition que ces actes soient conformes à l’intérêt commun et respectent les règles de gestion applicables.

==>Absence d’incidence sur les droits des créanciers

Le sursis au partage n’affecte pas directement les droits des créanciers des indivisaires.

En effet, les créanciers conservent la faculté de poursuivre leurs actions sur la part indivise de l’indivisaire débiteur, conformément aux dispositions de l’article 815-17 du Code civil, qui leur permet de saisir la part indivise d’un débiteur en difficulté.

Néanmoins, si un créancier engage une procédure pour obtenir la saisie de la part indivise d’un indivisaire, la suspension du partage peut être invoquée pour différer la liquidation de cette part dans l’intérêt de tous les indivisaires.

Dans cette hypothèse, le créancier n’est pas privé de son droit, mais la réalisation effective du partage pourrait être reportée jusqu’à l’expiration du délai du sursis. Cela permet d’éviter que le partage soit précipité à un moment défavorable pour l’ensemble des indivisaires, ce qui pourrait entraîner une vente forcée des biens à une valeur inférieure à leur potentiel économique.

La jurisprudence a souligné l’importance de cet équilibre entre les droits des créanciers et la préservation de l’intérêt collectif des indivisaires.

Ainsi, les juges peuvent, en fonction des circonstances, accepter ou refuser d’accélérer une liquidation si cela porte atteinte à la valeur des biens indivis ou compromet une reprise d’entreprise par un indivisaire.

B) Le maintien forcé dans l’indivision

Le maintien forcé dans l’indivision par décision judiciaire constitue une mesure exceptionnelle permettant de retarder le partage des biens indivis lorsqu’il existe un risque que ce partage porte atteinte aux intérêts des indivisaires.

L’objectif de cette mesure, encadrée par les articles 820 et suivants du Code civil, est d’éviter une dissolution précipitée de l’indivision lorsque celle-ci pourrait compromettre la valeur des biens indivis ou nuire à la continuité d’une entreprise ou d’un patrimoine familial.

Introduite initialement par la loi du 31 décembre 1976, cette faculté a été réaffirmée et précisée par la réforme des successions et libéralités du 23 juin 2006, qui a intégré cette possibilité dans le chapitre VIII du Code civil, relatif au partage.

Dans certaines situations, notamment lorsque des biens indivis sont liés à une entreprise agricole ou à un projet d’exploitation, ou encore lorsqu’un partage immédiat pourrait entraîner une dévalorisation significative des biens, le juge peut être saisi pour maintenir l’indivision.

Le juge, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation souveraine, évalue les intérêts en présence et les circonstances spécifiques de chaque affaire avant de décider du maintien temporaire de l’indivision.

Cette mesure s’applique en principe aux indivisions successorales, mais elle peut également être invoquée dans le cadre d’indivisions post-communautaires ou d’indivisions résultant de la séparation de biens entre époux, conformément aux articles 1476 et 1542 du Code civil.

L’idée centrale est de protéger des intérêts économiques ou familiaux en maintenant temporairement l’indivision, tout en respectant les exigences légales et procédurales fixées par la loi, telles que la limitation de la durée de ce maintien, qui ne peut excéder cinq ans, sauf exceptions prévues par le texte.

1. Domaine du maintien forcé dans l’indivision

Le maintien forcé dans l’indivision par décision judiciaire concerne certains biens indivis dont le partage immédiat pourrait porter préjudice aux indivisaires.

Ce mécanisme est destiné à protéger des intérêts spécifiques en permettant la prolongation de l’indivision dans des cas particuliers, notamment lorsqu’il est important de maintenir la valeur ou la continuité d’exploitation de certains biens. Ce maintien se décline principalement autour des biens concernés et des personnes qui peuvent demander cette mesure.

a. Les biens concernés

Le champ d’application du maintien judiciaire dans l’indivision, tel que défini par les articles 821 et suivants du Code civil, concerne un ensemble varié de biens.

Le maintien dans l’indivision peut être ordonné pour des exploitations agricoles, des locaux à usage d’habitation ou professionnel, ainsi que des objets mobiliers nécessaires à l’exercice d’une profession ou à la gestion d’une entreprise.

i. Les exploitations agricoles et entreprises

==>Principe

Le maintien judiciaire dans l’indivision, initialement prévu pour les exploitations agricoles, a été élargi par la loi du 23 juin 2006 pour s’adapter aux réalités économiques modernes.

Désormais, il s’applique également aux entreprises commerciales, artisanales, industrielles et libérales. L’objectif principal de cette extension est de préserver la continuité des activités économiques familiales, même au-delà du domaine agricole.

Le législateur a reconnu que, de nos jours, de nombreuses familles détiennent des parts dans des entreprises non agricoles, et qu’un partage immédiat pourrait compromettre la viabilité de ces entreprises.

Avant cette réforme, la loi se concentrait principalement sur les exploitations agricoles, permettant de maintenir en indivision les biens nécessaires à l’exploitation agricole mise en valeur par le défunt ou son conjoint.

Cette protection était justifiée par le fait que ces exploitations représentaient souvent la principale source de revenus des indivisaires. La réforme de 2006 a étendu cette protection à d’autres types d’entreprises, tenant compte de la diversité des biens dans les patrimoines familiaux.

==>Conditions

Pour bénéficier du maintien judiciaire dans l’indivision, plusieurs conditions doivent être remplies, que le juge évalue au cas par cas, conformément à l’article 821, alinéa 1er, du Code civil.

L’une des conditions essentielles est que l’entreprise ait été effectivement exploitée par le défunt ou son conjoint avant le décès.

Cette exploitation directe doit être prouvée, et il ne suffit pas que l’entreprise ait simplement procuré des revenus au défunt ou à son conjoint.

La doctrine souligne l’importance de l’implication personnelle du défunt ou de son conjoint dans l’exploitation de l’entreprise.

Cela inclut non seulement les activités matérielles, mais aussi les tâches de gestion, d’administration ou de direction de l’entreprise.

En revanche, si l’entreprise était louée à un tiers ou donnée en location-gérance, le maintien en indivision ne pourrait être accordé, faute d’exploitation directe.

Le juge doit également évaluer les risques économiques liés à un partage immédiat, notamment le risque de dévalorisation des biens indivis.

Si, par exemple, un bien immobilier affecté à une entreprise est en cours de rénovation ou fait l’objet de projets d’urbanisme susceptibles d’augmenter sa valeur, un partage précipité pourrait le dévaloriser.

L’article 821, alinéa 3, du Code civil invite ainsi le juge à considérer les moyens d’existence que les indivisaires peuvent tirer de ces biens, renforçant l’idée de préserver temporairement l’indivision pour protéger la valeur économique du patrimoine.

Par ailleurs, la sauvegarde d’une entreprise familiale est un autre motif fréquent justifiant le maintien. Un commerce, une entreprise artisanale ou industrielle en indivision pourrait voir sa viabilité compromise par un partage immédiat. Le maintien temporaire de l’indivision permet de laisser le temps aux héritiers de s’organiser, soit pour reprendre l’exploitation, soit pour trouver une solution de transmission ou de cession dans de meilleures conditions.

==>Tempérament

L’article 821, alinéa 4, du Code civil apporte une nuance au principe du maintien judiciaire, en permettant ce maintien même lorsque certains éléments de l’exploitation appartenaient déjà, avant l’ouverture de la succession, à un héritier ou au conjoint survivant. Cette disposition permet ainsi de maintenir l’unité de l’exploitation familiale, même si certains des biens qui la composent ne sont pas formellement indivis.

Concrètement, cela signifie que le fait qu’un héritier ou un conjoint détenait déjà des droits de propriété sur certains biens de l’exploitation ne fait pas obstacle au maintien de l’indivision pour l’ensemble de l’exploitation.

Par exemple, un immeuble faisant partie de l’exploitation, mais appartenant en propre à un héritier ou au conjoint, ne sera pas exclu du régime de l’indivision si cela permet de préserver l’unité de l’entreprise familiale.

Ce mécanisme favorise ainsi la protection globale du patrimoine familial, en permettant de maintenir en indivision l’exploitation dans son intégralité, même en présence de biens déjà en propriété individuelle.

ii. Les droits sociaux

Un autre aspect de la réforme entreprise en 2006 est l’inclusion des droits sociaux dans le champ du dispositif de maintien judiciaire de l’indivision.

L’article 821, al. 2e du Code civil permet désormais aux indivisaires de demander le maintien de l’indivision sur des actions ou des parts sociales, quelle que soit la nature de la société.

Cette extension vise à éviter la vente précipitée des parts ou actions d’une société, ce qui pourrait compromettre le contrôle de l’entreprise par les héritiers ou affecter la gestion de la société.

Dans le cas où le défunt détenait des parts dans une société commerciale, artisanale ou libérale, par exemple une entreprise de taille familiale, le partage des droits sociaux pourrait fragmenter la détention des actions, entraîner la dilution du contrôle familial sur l’entreprise, voire conduire à la vente des parts à des tiers, compromettant ainsi la gestion et la survie de l’entreprise.

Le maintien de l’indivision permet de temporiser ces effets et de préserver l’intégrité de la participation des héritiers dans l’entreprise. Cette protection est particulièrement nécessaire lorsque la société joue un rôle important dans le revenu des indivisaires ou constitue une activité économique clé.

Le maintien des droits sociaux dans l’indivision s’applique non seulement aux parts d’entreprises familiales, mais également aux actions de sociétés plus complexes.

Ce mécanisme est donc destiné à protéger non seulement les petites entreprises mais également les participations dans des sociétés plus importantes, où le contrôle familial est un enjeu stratégique.

iii. Les locaux à usage d’habitation ou professionnel

L’article 821-1 du Code civil permet de maintenir en indivision des locaux à usage d’habitation ou professionnel sous certaines conditions, afin de préserver la stabilité familiale ou la continuité d’une activité économique.

?: La préservation du logement familial et des meubles le garnissant

==>Le logement familial

Le logement à usage d’habitation peut faire l’objet d’un maintien forcé en indivision de aux fins d’assurer la préservation du logement familial après le décès d’un indivisaire.

En effet, le maintien de l’indivision vise à protéger la résidence principale du défunt et de ses héritiers, permettant à ces derniers de continuer à occuper le domicile familial sans subir les conséquences immédiates d’un partage.

Selon le professeur Michel Grimaldi, cette mesure vise à protéger la résidence principale contre une dissolution précipitée de l’indivision, permettant aux héritiers de rester dans un cadre familier le temps que les conditions d’un partage plus équitable soient réunies.

Le législateur entend ainsi éviter que les héritiers soient contraints à un partage ou une vente anticipée du bien immobilier, ce qui pourrait non seulement les déloger mais également causer une perte de valeur dans le cadre d’une vente forcée.

Cette continuité est particulièrement importante lorsque les descendants mineurs sont impliqués, comme l’a relevé la jurisprudence (Cass. 1ère civ., 12 juill. 2017, 16-20.915).

Le maintien en indivision repose sur plusieurs conditions strictement encadrées par la loi, que le tribunal doit vérifier avant d’accorder cette mesure.

Ces conditions varient selon la présence de descendants mineurs ou de conjoint survivant :

  • Conditions tenant au bien
    • L’une des conditions pour bénéficier du maintien en indivision est que le logement ait été effectivement utilisé comme résidence principale par le défunt ou son conjoint au moment du décès.
    • L’article 821-1 du Code civil exige que le bien immobilier ait été utilisé à des fins d’habitation, ce qui signifie qu’il ne suffit pas qu’il fasse partie du patrimoine indivis ; il doit constituer le lieu de vie principal du défunt ou de ses héritiers.
    • Cette condition vise à protéger les héritiers et/ou le conjoint survivant en leur garantissant un maintien temporaire dans la résidence qui constituait leur logement quotidien.
    • En revanche, les résidences secondaires ou les biens immobiliers occupés par des tiers au moment du décès sont exclus de ce maintien, conformément à la jurisprudence.
  • Conditions tenant aux personnes
    • En présence de descendants mineurs
      • L’article 822 du Code civil prévoit que le maintien en indivision du logement familial peut bénéficier aux héritiers mineurs, à condition qu’ils soient des héritiers directs du défunt.
      • Ainsi, seuls les enfants mineurs venant directement à la succession sont protégés par cette disposition, à l’exclusion des petits-enfants devenus héritiers suite au décès d’un parent intermédiaire (Cass. 1re civ., 28 oct. 1969).
    • Conditions en présence d’un conjoint survivant
      • En présence d’un conjoint survivant, plusieurs conditions doivent être remplies pour bénéficier du maintien en indivision.
      • Selon l’article 822, alinéa 2, du Code civil, le conjoint doit être copropriétaire du bien au moment du décès, que ce soit en vertu d’une acquisition antérieure ou à la suite de la succession.
      • Ainsi, le conjoint survivant doit détenir des droits en pleine propriété, ce qui exclut le simple usufruitier du bénéfice de ce mécanisme (Cass. 1re civ., 14 mars 1984).
      • De plus, si le logement concerné a un usage mixte (professionnel et résidentiel), le conjoint survivant doit prouver qu’il y résidait au moment du décès pour bénéficier du maintien.
      • L’article 822, alinéa 3, du Code civil impose ainsi une résidence effective pour garantir que le conjoint puisse continuer à y habiter, conformément à la finalité de cette disposition.

Il peut être observé que le tribunal, saisi d’une demande de maintien, doit examiner la situation pour s’assurer que les conditions d’utilisation du logement étaient remplies au moment du décès.

Le tribunal doit également apprécier si le maintien en indivision est justifié dans la situation concrète des indivisaires, notamment pour éviter que le partage immédiat ne déstabilise leur cadre de vie.

Plus précisément, le juge doit tenir compte de l’intérêt des parties en présence et des circonstances particulières, afin de garantir une application équitable de la mesure.

==>Les meubles garnissant le logement familial

Le maintien en indivision prévu par l’article 821-1 du Code civil ne concerne pas uniquement le logement familial, mais également les meubles garnissant le logement.

La loi prévoit ainsi que les objets mobiliers indispensables à la vie quotidienne ou au confort des héritiers peuvent également être protégés par le maintien en indivision.

Il s’agit plus précisément des meubles meublants servant à l’habitation quotidienne, tels que le mobilier, les équipements ménagers ou autres objets nécessaires à la vie dans la résidence principale. Cela permet de garantir que les héritiers peuvent continuer à utiliser le logement avec les équipements nécessaires à leur confort.

En revanche, les objets de valeur personnelle ou non indispensables à l’habitation peuvent être exclus du maintien en indivision et faire l’objet d’une demande de partage séparée.

La jurisprudence a précisé que les objets de collection, œuvres d’art ou autres biens non essentiels à la vie quotidienne peuvent être licités en dehors du maintien du logement.

?: La préservation des locaux professionnels

Les locaux à usage professionnel peuvent également faire l’objet d’un maintien forcé en indivision. Il s’agit là d’une mesure essentielle pour assurer la continuité de l’activité professionnelle exercée par le défunt au moment de son décès.

Ce mécanisme vise à éviter qu’un partage immédiat des biens nécessaires à l’exploitation ne perturbe ou n’interrompe l’activité économique, ce qui pourrait avoir des conséquences néfastes tant pour les héritiers que pour les employés ou clients de l’entreprise.

Selon le professeur Michel Grimaldi, cette disposition permet de préserver l’outil de travail du défunt, garantissant ainsi la pérennité de l’entreprise familiale ou de l’activité libérale, le temps que les héritiers puissent organiser la succession de manière optimale.

En protégeant les locaux professionnels et les biens qui y sont attachés, la loi entend éviter une déstabilisation économique qui pourrait résulter d’un partage précipité.

Le maintien en indivision des locaux professionnels repose sur plusieurs conditions strictes, que le tribunal doit vérifier avant d’accorder cette mesure, de manière similaire à celles applicables pour le logement familial.

  • Conditions tenant aux biens concernés
    • Exploitation effective des locaux
      • Une condition essentielle pour bénéficier du maintien en indivision est que les locaux aient été effectivement utilisés à des fins professionnelles par le défunt ou son conjoint au moment du décès.
      • L’article 821-1 du Code civil dispose que le bien doit avoir servi directement à l’activité exercée, qu’il s’agisse d’un cabinet médical, d’un atelier d’artisan, d’un bureau pour une profession libérale, etc.
      • Cette exigence vise à s’assurer que le maintien en indivision est justifié par la nécessité de poursuivre l’activité professionnelle sans interruption.
      • Comme souligné par des auteurs, il ne suffit pas que le défunt ait été propriétaire de locaux à usage professionnel ; il faut que ceux-ci aient été utilisés par lui ou son conjoint pour l’exercice de leur activité[7].
      • Les locaux qui étaient loués à des tiers ou qui n’étaient pas utilisés par le défunt pour son activité professionnelle sont donc exclus de cette mesure.
    • Utilisation des objets mobiliers nécessaires à l’activité
      • Le maintien en indivision peut également s’étendre aux objets mobiliers affectés à l’activité professionnelle, tels que les équipements, outils ou meubles indispensables à l’exploitation.
      • Ces biens doivent avoir été utilisés par le défunt pour sa profession, ce qui exclut les objets personnels ou non liés à l’activité.
      • A cet égard, le tribunal, saisi d’une demande de maintien, doit vérifier que ces objets sont indispensables pour la poursuite de l’activité avant de décider de leur inclusion dans l’indivision maintenue.
      • Cette appréciation permet d’éviter que des biens non nécessaires soient indûment soustraits au partage.
  • Conditions tenant aux personnes concernées
    • Les conditions du maintien en indivision des locaux professionnels peuvent varier selon la présence d’un conjoint survivant ou de descendants mineurs, à l’image de ce qui est prévu pour le logement familial.
      • En présence de descendants mineurs
        • L’article 822 du Code civil prévoit que le maintien en indivision peut être demandé pour protéger les intérêts des héritiers mineurs, à condition qu’ils viennent directement à la succession.
        • Le tribunal doit alors s’assurer que les locaux professionnels étaient effectivement utilisés par le défunt ou son conjoint pour l’activité professionnelle, et que le maintien est dans l’intérêt des enfants mineurs.
      • En présence d’un conjoint survivant
        • Le conjoint survivant peut également bénéficier du maintien en indivision des locaux professionnels, sous réserve de certaines conditions.
        • Selon l’article 822, alinéa 2, du Code civil, le conjoint doit être copropriétaire du bien au moment du décès, soit en vertu d’une acquisition antérieure, soit à la suite de la succession.
        • La jurisprudence a précisé que le conjoint survivant doit détenir des droits en pleine propriété, l’usufruit ne suffisant pas pour bénéficier de cette mesure (Cass. 1re civ., 14 mars 1984).
        • De plus, le conjoint survivant doit démontrer que le maintien en indivision est nécessaire pour la poursuite de l’activité professionnelle, soit parce qu’il entend lui-même continuer l’exploitation, soit pour faciliter une transition en faveur des héritiers.

En tout état de cause, il appartiendra au juge d’apprécier les circonstances économiques et les conséquences potentielles d’un partage immédiat avant d’ordonner un maintien temporaire.

Il doit tenir compte de l’intérêt commun des indivisaires et de la nécessité de préserver la viabilité de l’activité professionnelle.

b. Les personnes concernées

Le maintien forcé dans l’indivision n’est pas ouvert à tous les indivisaires de manière indifférenciée.

Les articles 822 et 823 du Code civil encadrent les bénéficiaires de cette mesure en limitant les personnes pouvant formuler une telle demande.

i. Le maintien de l’indivision en présence de descendants mineurs

L’article 822 du Code civil prévoit une mesure de protection particulière pour les héritiers mineurs, en permettant le maintien des biens indivis à leur bénéfice.

Le maintien de l’indivision pour les descendants mineurs a pour but de préserver le patrimoine indivis, en évitant un partage qui pourrait s’avérer prématuré ou défavorable aux intérêts des enfants.

Les biens indivis peuvent inclure des actifs de grande valeur, comme une entreprise, des droits sociaux ou des biens immobiliers. Or, le partage immédiat de ces biens risquerait de diluer leur valeur ou de les rendre inexploitables, notamment si aucun des héritiers majeurs ou le conjoint survivant n’est en mesure de les reprendre.

Ainsi, le maintien dans l’indivision permet de différer le partage jusqu’à ce que les descendants mineurs atteignent la majorité, leur laissant ainsi le temps de se préparer, d’acquérir les compétences ou les ressources nécessaires pour éventuellement reprendre une entreprise familiale ou exploiter des biens indivis dans des conditions plus favorables.

Cette solution temporaire permet d’éviter la vente forcée des biens indivis à un moment où les conditions économiques ne seraient pas optimales, ou alors que les héritiers ne sont pas en mesure d’assumer leur gestion.

Cette mesure trouve notamment une application dans le cadre d’entreprises agricoles ou artisanales, où les héritiers mineurs pourraient envisager de reprendre l’exploitation à leur majorité.

Par exemple, si un père exploitait une ferme ou un atelier artisanal et décède en laissant des enfants mineurs, le partage immédiat des biens indivis pourrait compromettre la continuité de l’activité, en conduisant à la vente de l’exploitation.

Le maintien de l’indivision permet de préserver l’entreprise le temps que les héritiers mineurs atteignent l’âge adulte et soient capables de décider s’ils souhaitent reprendre l’activité ou vendre les biens dans de meilleures conditions.

De même, pour les biens immobiliers indivis, tels qu’une résidence familiale ou des locaux professionnels, le maintien de l’indivision garantit aux descendants mineurs la possibilité de disposer de ces biens une fois leur majorité atteinte, en évitant que le patrimoine familial ne soit dilapidé avant qu’ils puissent en assumer la gestion ou en tirer un profit.

L’article 822 du Code civil encadre les modalités de la demande de maintien de l’indivision au bénéfice des descendants mineurs. Cette demande peut être formée par plusieurs acteurs :

  • Le conjoint survivant
  • Un autre héritier majeur
  • Le représentant légal des mineurs

Cette diversité des requérants potentiels vise à offrir une protection maximale aux intérêts des enfants, en permettant à toute personne ayant un intérêt légitime dans la protection des biens indivis de solliciter le maintien de l’indivision.

Le rôle du représentant légal des mineurs est particulièrement important dans ce contexte, car c’est lui qui aura la charge de veiller à la bonne gestion des biens indivis en attendant que les héritiers mineurs atteignent la majorité.

Si le conjoint survivant, qui est souvent également le parent des enfants mineurs, décide de solliciter le maintien de l’indivision, il pourra ainsi s’assurer que les biens sont conservés dans de bonnes conditions jusqu’à ce que les enfants puissent exercer eux-mêmes leurs droits.

Le maintien de l’indivision au bénéfice des héritiers mineurs est limité dans le temps. Il ne peut, en principe, durer au-delà de la majorité du plus jeune des descendants concernés.

Cette durée maximale garantit que les enfants auront la possibilité, dès qu’ils atteindront l’âge adulte, de décider de la suite à donner aux biens indivis, que ce soit par la vente ou la poursuite de leur exploitation.

Pendant toute la durée du maintien de l’indivision, les règles habituelles de gestion de l’indivision continuent de s’appliquer. Cela signifie que les indivisaires doivent veiller à la bonne conservation des biens, et que les décisions relatives à leur administration doivent être prises de manière collégiale, conformément aux principes du Code civil.

Le maintien de l’indivision n’implique donc pas une gestion exclusive par l’un des héritiers ou par le conjoint survivant, mais repose sur une cogestion des biens, encadrée par le juge en cas de litige.

ii. Le maintien de l’indivision en présence d’un conjoint survivant

En l’absence de descendants mineurs, le conjoint survivant dispose d’une prérogative particulière lui permettant de demander le maintien de l’indivision.

Cette faculté, prévue par l’article 822, alinéa 2 du Code civil, vise à offrir une protection au conjoint survivant en lui permettant de préserver l’usage des biens indivis, qu’il s’agisse du logement familial ou de locaux professionnels, tout en évitant un partage précipité qui pourrait compromettre sa situation économique ou personnelle.

L’une des conditions pour que le conjoint survivant puisse bénéficier du maintien de l’indivision est qu’il soit copropriétaire des biens indivis.

Cette copropriété peut résulter d’une acquisition conjointe avant le décès, comme c’est souvent le cas dans les régimes matrimoniaux de séparation de biens, ou découler directement de la dévolution successorale.

Ainsi, si le conjoint survivant hérite d’une part des biens, il peut demander à en différer le partage, lui permettant de continuer à en jouir et à les gérer de manière provisoire.

Ce mécanisme a une portée particulièrement protectrice dans le cadre de l’habitation principale du couple.

Le maintien de l’indivision permet au conjoint de continuer à résider dans le logement familial sans craindre une vente forcée ou un partage immédiat, qui pourrait le priver de son cadre de vie.

Cette règle est d’autant plus importante lorsque le conjoint survivant ne dispose pas des moyens financiers pour racheter les parts des autres indivisaires ou pour se reloger dans des conditions similaires.

Il en va de même pour les locaux professionnels, notamment lorsque le conjoint survivant a été associé à l’exploitation d’une entreprise ou d’un commerce familial.

Le maintien de l’indivision permet de préserver l’activité économique, offrant au conjoint la possibilité de continuer l’exploitation sans interruption due à un partage qui pourrait désorganiser l’entreprise ou provoquer sa dissolution. Cette continuité est fondamentale pour éviter une dépréciation immédiate des biens ou une perte de rentabilité.

Cependant, une distinction importante est à faire entre la qualité de copropriétaire et celle d’usufruitier.

La jurisprudence a clairement établi que le conjoint survivant ne peut bénéficier du maintien de l’indivision s’il n’a que la qualité d’usufruitier, comme l’a confirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 14 mars 1984 (Cass. 1ère civ. 14 mars 1984, n°83-10.196).

Dans ce cas, l’usufruit ne confère pas un droit de propriété, mais seulement un droit d’usage temporaire sur les biens, ce qui exclut la possibilité de maintenir l’indivision pour ces biens.

En d’autres termes, le conjoint qui ne détient que l’usufruit n’a pas la capacité juridique de demander le maintien de l’indivision, car cette mesure est réservée aux propriétaires indivis.

Cette distinction peut s’avérer particulièrement défavorable pour les conjoints survivants qui, bien que disposant de droits d’usufruit sur le logement ou les locaux professionnels, ne peuvent prétendre à un maintien de l’indivision et sont donc potentiellement confrontés à un partage immédiat.

iii. Le maintien de l’indivision en l’absence de conjoint survivant

Lorsque ni conjoint survivant ni descendants mineurs ne sont présents, le Code civil ne prévoit pas la possibilité pour d’autres héritiers de demander un maintien forcé de l’indivision.

Le principe général du droit des successions reste que tout indivisaire a le droit de demander le partage, sauf disposition contraire légale ou conventionnelle.

Le maintien forcé est une exception à ce principe, limitée aux cas spécifiques visés par les articles 821 à 822 du Code civil.

Dans les cas où ni le conjoint survivant, ni les descendants mineurs ne sont présents, le droit de demander le partage reprend sa force et les héritiers adultes peuvent exiger le partage immédiat.

Il n’existe donc pas de maintien forcé de l’indivision pour les autres indivisaires en l’absence de conjoint survivant ou de descendants mineurs, même si la liquidation pourrait entraîner la dépréciation des biens ou la dislocation d’une entreprise familiale.

2. Modalités du maintien forcé dans l’indivision

==>Compétence juridictionnelle

La demande de maintien forcé en indivision, qu’il s’agisse de locaux à usage d’habitation, professionnels ou d’une entreprise, doit être introduite devant le Tribunal judiciaire, conformément à l’article 1381 du Code de procédure civile.

Cependant, la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 a introduit une exception importante.

Lorsque l’indivision intervient dans le cadre de la sphère familiale, par exemple entre époux, concubins ou partenaires, c’est le juge aux affaires familiales qui devient compétent pour statuer sur ces demandes.

L’article 213-3 du Code de l’organisation judiciaire prévoit en ce sens que le juge aux affaires familiales connaît notamment :

  • D’une part, « des indivisions entre personnes liées par un pacte civil de solidarité ou entre concubins, de la séparation de biens judiciaire, sous réserve des compétences du président du tribunal judiciaire et du juge des tutelles des majeurs » »
  • D’autre part, « du partage des intérêts patrimoniaux des époux, des personnes liées par un pacte civil de solidarité et des concubins, sauf en cas de décès ou de déclaration d’absence »

La compétence du Juge aux affaires familiales s’étend, en outre, aux situations de divorce et plus particulièrement à l’hypothèse visée par l’article 267 du Code civil qui prévoit que « à défaut d’un règlement conventionnel par les époux, le juge statue sur leurs demandes de maintien dans l’indivision ».

==>Limitation dans le temps

  • Principe
    • Le maintien judiciaire dans l’indivision, tel que prévu par l’article 823 du Code civil, est une mesure temporaire conçue pour protéger les intérêts des indivisaires tout en respectant le droit de chacun à demander le partage.
    • Le caractère impératif du droit au partage, qui ne peut être indéfiniment écarté, guide cette limitation dans le temps.
    • En effet, la durée maximale du maintien judiciaire ne peut excéder cinq ans.
    • Cette disposition vise à trouver un équilibre entre la nécessité de maintenir l’indivision pour des raisons économiques ou familiales et le respect du droit au partage, lequel constitue un droit fondamental des indivisaires.
  • Tempéraments
    • L’article 823 du Code civil précise que cette mesure, bien que temporaire, peut être renouvelée dans certaines circonstances.
      • Première circonstance
        • En présence de descendants mineurs, l’indivision peut être maintenue jusqu’à la majorité du plus jeune d’entre eux, garantissant ainsi une protection accrue pour ces héritiers vulnérables.
      • Seconde circonstance
        • Le maintien forcé en indivision peut également être prolongé au bénéfice du conjoint survivant, sous réserve que celui-ci ait été copropriétaire des biens indivis avant le décès.
        • Dans ce cas, le juge peut renouveler la mesure tous les cinq ans jusqu’au décès du conjoint, comme l’a précisé la Cour de cassation dans un arrêt du 12 juillet 2017 (Cass. 1re civ., 12 juill. 2017, n°16-20.915).

Il est cependant important de noter que la prolongation ne peut être ordonnée dès le départ pour une durée supérieure à cinq ans, ce qui permet d’évaluer périodiquement la situation et d’ajuster la mesure si nécessaire.

==>Pouvoirs du juge

Le juge dispose d’une grande latitude pour déterminer les modalités du maintien en indivision.

Il peut ordonner que l’indivision soit conservée sur l’ensemble des biens ou seulement sur certains d’entre eux, permettant ainsi un partage partiel pour les autres biens.

Cette flexibilité permet au juge de s’adapter aux circonstances particulières de chaque situation, en prenant en compte la nature des biens indivis et les besoins spécifiques des indivisaires.

Le tribunal peut ainsi fixer des conditions qui garantissent une exploitation optimale des biens tout en respectant les droits des coïndivisaires.

==>Éléments d’appréciation du juge

Le maintien judiciaire dans l’indivision, conformément à l’article 821 du Code civil, doit être fondé sur une évaluation approfondie des intérêts en présence.

Le juge dispose d’une grande latitude pour apprécier les demandes de maintien en indivision, mais il est tenu de motiver sa décision en tenant compte des critères légaux.

En particulier, l’article 821, alinéa 3, du Code civil prévoit que le tribunal doit statuer en fonction des « intérêts en présence et des moyens d’existence que la famille peut tirer des biens indivis ».

Cette évaluation implique que le juge prenne en considération non seulement l’intérêt des indivisaires demandant le maintien de l’indivision, mais également celui des autres co-indivisaires qui peuvent souhaiter sortir de cette situation.

La finalité de cette mesure est de garantir que l’indivision soit maintenue uniquement lorsque cela sert un objectif légitime, comme la préservation d’une activité économique ou la stabilité du logement familial.

Dans ce cadre, il est crucial que la décision du juge reflète un examen comparatif des intérêts en jeu.

Ainsi, par exemple, le maintien de l’indivision peut être refusé si le tribunal estime que les créanciers du défunt doivent pouvoir recouvrer leurs créances, comme cela a été jugé dans une affaire où l’endettement du défunt nécessitait la vente de l’immeuble indivis (CA Reims, ch. civ., 16 janv. 2003).

Le juge doit ainsi chercher à équilibrer les besoins de ceux qui souhaitent maintenir l’indivision, notamment pour des raisons économiques ou familiales, avec le droit des autres indivisaires de demander le partage immédiat.

La motivation du tribunal doit démontrer que tous les éléments pertinents ont été pris en compte, et que la décision vise à éviter une prolongation injustifiée de l’indivision ou une atteinte disproportionnée aux droits des co-indivisaires.

==>La formulation de demandes concurrentes

Certains textes encadrant l’attribution préférentielle prévoient des cas où il est admis qu’une demande de maintien en indivision puisse être formée. C’est notamment le cas pour les exploitations agricoles ne dépassant pas certaines limites de superficie, conformément à l’article 832 du Code civil.

Il en va de même pour l’attribution préférentielle demandée en vue de constituer un groupement foncier agricole (GFA), en vertu de l’article 832-1 du même code.

Par ailleurs, le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut, sous certaines conditions, demander à bénéficier d’un bail à long terme sur certains biens indivis.

La question qui alors se pose est de savoir l’ordre de priorité du traitement des demandes en cas de formulation de demandes concurrentes.

Faut-il d’abord statuer sur la demande d’attribution préférentielle, qui octroie la propriété exclusive d’un bien indivis à l’un des héritiers, ou sur le maintien en indivision, qui a pour but de retarder le partage des biens concernés ?

Certains auteurs estiment que le juge conserve une importante liberté d’appréciation pour trancher selon les circonstances propres à chaque affaire. Ils soutiennent qu’aucune cause de préférence légale ne devrait prévaloir entre ces deux demandes, le maintien en indivision et l’attribution préférentielle ayant des objectifs distincts. En ce sens, il appartiendrait au juge d’évaluer, au cas par cas, laquelle des demandes doit être priorisée.

Cependant, la Cour de cassation a tranché la question dans un arrêt du 22 mai 2007, en précisant que l’attribution préférentielle devait être examinée en priorité.

Dans cette décision, elle a jugé « qu’il résulte de l’article 815, alinéa 3, du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 qu’une demande d’attribution préférentielle doit être examinée préalablement à une demande de maintien dans l’indivision et indépendamment de celle-ci » (Cass. 1re civ., 22 mai 2007, n°04-20.205).

Cette priorité accordée à l’attribution préférentielle s’explique par la nature même de cette demande, qui tend à attribuer à un indivisaire un droit de propriété exclusif sur un bien indivis.

L’attribution préférentielle met donc fin à l’indivision sur ce bien, tandis que le maintien en indivision est une mesure temporaire visant à différer le partage des biens dans leur ensemble ou en partie.

Ainsi, le juge privilégie logiquement la solution plus définitive qu’offre l’attribution préférentielle avant de se prononcer sur la continuité de l’indivision. Cette approche permet de protéger plus efficacement les droits des indivisaires et d’éviter une gestion prolongée et incertaine des biens indivis.

3. Effets du maintien forcé dans l’indivision

Le principal effet du maintien judiciaire est de suspendre la possibilité de demander le partage pendant la durée fixée par le juge.

Durant cette période, l’indivision est maintenue, et les indivisaires continuent de jouir et de gérer les biens indivis selon les règles habituelles de gestion. Ils conservent leurs droits de jouissance, de gestion et d’administration sur les biens, mais ils ne peuvent pas demander le partage avant l’expiration de la période fixée par le tribunal.

Pendant la durée du maintien, les indivisaires doivent continuer à gérer les biens indivis dans l’intérêt commun, conformément aux règles de la gestion de l’indivision prévues par le Code civil. Cela inclut notamment la réalisation des actes conservatoires et d’administration, dans le respect de l’accord des autres indivisaires ou, à défaut, des règles de majorité.

Si les circonstances qui justifiaient le maintien disparaissent avant l’expiration du délai fixé, un indivisaire peut demander au tribunal de mettre fin au maintien de l’indivision.

Par exemple, si les travaux qui devaient permettre une meilleure valorisation d’un bien indivis sont achevés plus rapidement que prévu, ou si l’indivisaire qui devait reprendre une entreprise décède, la mesure de maintien peut perdre sa raison d’être. Le tribunal dispose alors d’un pouvoir discrétionnaire pour statuer sur la demande de fin anticipée du maintien.

Il est important de noter que, sauf exception liée à la présence d’héritiers mineurs, le maintien judiciaire ne peut être renouvelé au-delà des cinq ans prévus par la loi.

Les indivisaires retrouvent leur droit de demander le partage à l’expiration de ce délai. Toutefois, si tous les indivisaires sont d’accord, ils peuvent prolonger l’indivision de manière conventionnelle après l’expiration du maintien forcé.

C) L’attribution éliminatoire

Il est un mécanisme dans le Code civil qui vise à résoudre une situation qui se rencontre fréquemment en matière d’indivision.

Il s’agit du cas où l’un des indivisaires souhaite provoquer le partage, tandis que les autres préfèrent maintenir l’indivision.

Pour répondre à cette situation, le législateur a institué un dispositif qui permet aux indivisaires qui souhaitent poursuivre l’indivision de faire en sorte que celui qui désire sortir en soit exclu, tout en garantissant une compensation financière équitable pour sa part.

Il s’agit donc d’un compromis entre les intérêts des différentes parties, qui répond à la nécessité de préserver l’intégrité de l’indivision, particulièrement dans les situations impliquant des biens de grande valeur patrimoniale.

Certains auteurs ont qualifié ce mécanisme, prévu à l’article 824 du Code civil, d’« attribution éliminatoire », terme qui reflète la logique sous-jacente de cette disposition juridique.

Ce concept a été formulé pour la première fois par M. Dagot[8]. L’idée est que, pour préserver l’indivision, un ou plusieurs indivisaires peuvent être exclus de celle-ci, parfois contre leur gré, mais en contrepartie d’une compensation financière correspondant à la valeur de leur part indivise.

La qualification d’« attribution éliminatoire » a rapidement trouvé un écho non seulement dans la doctrine mais également dans la jurisprudence.

Ainsi, dès 1979, la Cour de cassation a adopté cette formule (Cass. 1re civ., 2 oct. 1979, n°78-11.385) pour désigner cette procédure par laquelle un indivisaire est « éliminé » de l’indivision par le biais d’une attribution compensatoire de sa part. Elle a également eu recours à cette expression dans un arrêt du 9 juin 2010 (Cass. 1ère civ., 9 juin 2010, n°09-10.513).

Le mécanisme de l’attribution éliminatoire autorise donc le juge à ordonner que l’indivisaire désireux de provoquer le partage soit indemnisé pour sa part, tandis que les autres continuent à gérer l’indivision. Il s’agit là d’une véritable procédure d’allotissement anticipé, selon la terminologie utilisée par des auteurs, où l’attribution de la valeur du bien remplace la délivrance de la propriété elle-même[9].

Bien que l’attribution éliminatoire porte un nom aux connotations fortes, elle vise en réalité à assurer un équilibre délicat entre le droit de chaque indivisaire de demander le partage, principe fondamental de l’indivision consacré à l’article 815 du Code civil, et la volonté de préserver l’intégrité d’un bien indivis pour éviter une dispersion préjudiciable à certains indivisaires.

Historiquement, ce mécanisme puise ses racines dans l’ancien article 815, alinéa 3 du Code civil, introduit par la loi du 31 décembre 1976.

À l’origine, cette disposition avait pour objectif d’apporter une certaine stabilité au sein de l’indivision, notamment dans les situations de succession ou lorsque les biens indivis représentaient une valeur patrimoniale significative.

L’idée générale était d’éviter des ruptures trop fréquentes ou précipitées de l’indivision, qui auraient pu entraîner des ventes forcées, souvent défavorables aux héritiers désireux de préserver l’unité du patrimoine.

Cependant, cette approche initiale, bien que protectrice, révélait certaines limites en termes de flexibilité et d’adaptation aux situations individuelles. C’est pourquoi, avec la réforme des successions et des libéralités du 23 juin 2006, le régime de l’attribution éliminatoire a été revu en profondeur.

En effet, la réforme entreprise en 2006 a non seulement modernisé le droit des successions, mais elle a aussi apporté des précisions quant aux modalités d’exercice de l’attribution éliminatoire, en posant des conditions précises.

Ce mécanisme permet désormais aux indivisaires, sous certaines conditions, d’acquérir les parts de celui qui souhaite quitter l’indivision, en offrant une compensation financière équitable.

Ce faisant, il s’agit non seulement d’éviter une vente forcée des biens indivis, mais aussi de protéger les intérêts des autres indivisaires qui peuvent vouloir conserver le bien en indivision pour des raisons économiques, familiales ou sentimentales.

Aujourd’hui, l’article 824 du Code civil dispose que « si des indivisaires entendent demeurer dans l’indivision, le tribunal peut, à la demande de l’un ou de plusieurs d’entre eux, en fonction des intérêts en présence et sans préjudice de l’application des articles 831 à 832-3, attribuer sa part à celui qui a demandé le partage. »

Ainsi, ce dispositif permet de concilier les aspirations contradictoires des indivisaires, en offrant une solution juridique équilibrée qui préserve à la fois la pérennité de l’indivision et les droits de celui qui souhaite s’en retirer.

Pour mieux comprendre la portée et l’efficacité de ce mécanisme, il est essentiel d’examiner les conditions préalables à sa mise en œuvre, les modalités de la procédure d’attribution éliminatoire ainsi que ses conséquences sur l’indivision et les droits des parties concernées.

1. Les conditions de l’attribution éliminatoire

La mise en œuvre du mécanisme de l’attribution éliminatoire requiert la réunion de plusieurs conditions cumulatives.

a. Une demande préalable de partage

La première condition devant être observée pour que puisse être ordonnée l’attribution éliminatoire est la formulation préalable d’une demande en partage.

L’attribution éliminatoire est intrinsèquement liée à l’existence d’une demande en partage, et ce mécanisme ne peut être invoqué qu’en réponse à une telle demande.

Il s’agit en effet d’une demande reconventionnelle formulée par les indivisaires ou leurs créanciers, visant à contrer une demande initiale de partage, en offrant une alternative qui permet de maintenir l’indivision tout en indemnisant équitablement l’indivisaire souhaitant se retirer.

Ainsi, pour que cette attribution puisse être ordonnée, il est impératif qu’une demande en partage soit effectivement formulée au préalable, comme le souligne la jurisprudence.

Par exemple, dans un arrêt du 16 décembre 1986, la Cour de cassation a clairement établi que l’attribution éliminatoire devient caduque si la demande en partage est abandonnée.

Elle a précisé en ce sens que « l’existence d’une demande en partage étant la condition même de la demande de maintien dans l’indivision formée en application de l’article 815, alinéa 3, du Code civil, cette dernière demande devient sans objet du fait du désistement de l’instance en partage » (Cass. 1ère civ., 16 déc. 1986, n°83-10.501).

Cette exigence vise à éviter que l’attribution éliminatoire ne soit détournée de son objectif en étant utilisée de manière abusive.

De plus, la demande en partage doit concerner l’ensemble des biens indivis, comme l’a précisé la Cour de cassation dans un arrêt du 15 mai 2008, en affirmant que « l’attribution éliminatoire suppose que l’attributaire ait demandé un partage global » (Cass. 1ère civ., 15 mai 2008, n°07-13.330).

En d’autres termes, un partage partiel ne suffirait pas pour justifier l’application de ce mécanisme, et il revient donc aux juges de s’assurer que la demande en partage est globale avant d’examiner une demande d’attribution éliminatoire.

Enfin, il est essentiel de rappeler que l’attribution éliminatoire vise à protéger les indivisaires qui souhaitent rester dans l’indivision contre ceux qui souhaitent en sortir, et ce mécanisme ne peut être activé qu’en présence d’une véritable demande en partage.

b. Le nombre d’indivisaires

L’attribution éliminatoire repose sur la nécessité de maintenir partiellement l’indivision après l’éviction d’un indivisaire. Pour cette raison, il est impératif que l’indivision concerne au moins trois indivisaires.

En effet, il s’infère de l’article 824 du Code civil que l’attribution éliminatoire suppose qu’au moins deux indivisaires subsistent après l’éviction de celui qui souhaite se retirer.

Cette disposition prévoit, pour mémoire, que, lorsqu’un indivisaire souhaite sortir de l’indivision, les autres indivisaires peuvent demander à rester dans l’indivision, à charge de verser une compensation financière à l’indivisaire évincé.

Cela suppose donc nécessairement la présence d’au moins deux indivisaires après l’éviction, car l’indivision ne pourrait subsister si un seul indivisaire restait.

C’est ce que la Cour de cassation a rappelé dans un arrêt du 1er octobre 1996, en jugeant que « l’attribution éliminatoire implique nécessairement un maintien partiel de l’indivision et, en conséquence, la présence d’au moins trois indivisaires » (Cass. 1ère civ., 1er oct. 1996, n° 94-19.097).

L’exigence de la présence de plusieurs indivisaires se justifie par la nature même de l’attribution éliminatoire.

Cette dernière ne peut être utilisée que pour maintenir une indivision partielle, ce qui ne serait pas possible si, après l’exclusion d’un indivisaire, il ne reste qu’un seul indivisaire.

Un tel cas reviendrait à une extinction pure et simple de l’indivision, assimilable à un partage total, régime qui obéit à des règles différentes.

Comme le souligne certains auteurs, une indivision impliquant seulement deux indivisaires, comme dans les indivisions post-communautaires entre époux, ne permet pas l’application de l’attribution éliminatoire car il ne resterait plus qu’un seul indivisaire après l’éviction, ce qui est incompatible avec le maintien de l’indivision[10].

Cette règle trouve son fondement dans la volonté d’éviter toute confusion entre l’attribution éliminatoire, qui permet de maintenir l’indivision tout en indemnisant le demandeur au partage, et le régime du partage total, qui entraîne une sortie complète de l’indivision.

La Cour de cassation a confirmé cette analyse en excluant l’application de l’attribution éliminatoire dans les cas où il n’existe que deux indivisaires, soulignant que cela reviendrait à confondre deux régimes juridiques distincts (Cass. 1ère civ., 1er oct. 1996, n° 94-19.097).

Il est donc impératif que plusieurs défendeurs soient présents à l’action en partage pour que ce mécanisme puisse être mis en œuvre, comme l’article 824 du Code civil le suggère en disposant que « des indivisaires [doivent] entendre demeurer dans l’indivision ».

En pratique, cela limite l’usage de l’attribution éliminatoire aux indivisions complexes impliquant plus de deux indivisaires, telles que les indivisions successorales ou les copropriétés familiales où plusieurs membres de la famille souhaitent préserver l’indivision, tandis qu’un autre indivisaire cherche à en sortir.

L’exigence de la présence de trois indivisaires vise ainsi de garantir que l’attribution éliminatoire ne soit pas utilisée de manière détournée ou inappropriée.

c. L’origine de l’indivision

L’origine de l’indivision n’a pas d’importance pour l’application du mécanisme de l’attribution éliminatoire.

Que l’indivision découle d’une succession, d’un acte conventionnel, ou encore d’un régime matrimonial, l’attribution éliminatoire peut être mise en œuvre dès lors que les conditions prévues par l’article 824 du Code civil sont remplies.

En effet, la loi ne distingue pas entre les diverses sources d’indivision et permet, dans tous les cas où plusieurs indivisaires souhaitent maintenir l’indivision, d’évincer celui qui souhaite en sortir, sous réserve d’une juste compensation.

Ainsi, dans un arrêt du 3 décembre 2014, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que « l’attribution éliminatoire peut être demandée, sous les conditions prévues par la loi, lors du partage d’une indivision conventionnelle » (Cass. 1ère civ., 3 déc. 2014, n°13-27.627).

Cet arrêt confirme que l’attribution éliminatoire s’applique aussi bien aux indivisions successorales qu’aux indivisions conventionnelles, dès lors que les conditions légales sont respectées.

Cela signifie qu’un indivisaire qui se trouve dans une indivision résultant d’une convention ou d’une succession peut être évincé, à condition que les autres indivisaires acceptent de le dédommager de la valeur de ses droits.

Cependant, une exception notable existe : l’attribution éliminatoire ne peut être exercée au sein d’une indivision entre époux, en particulier lorsqu’il s’agit d’une indivision post-communautaire.

En effet, l’indivision post-communautaire, qui résulte de la dissolution du régime de communauté entre époux, ne permet pas l’application de ce mécanisme. Cette limitation vise à éviter la réalisation d’un partage partiel déguisé.

L’attribution éliminatoire implique, en effet, la possibilité de maintenir une indivision partielle, ce qui n’est pas possible dans une indivision ne concernant que deux ex-époux.

Comme évoqué précédemment, l’application de l’attribution éliminatoire dans ce type d’indivision reviendrait à un partage total. Or cela relève d’un autre régime juridique.

Ainsi, bien que l’origine de l’indivision soit généralement sans incidence sur la possibilité de recourir à l’attribution éliminatoire, la situation particulière des indivisions post-communautaires entre époux en est exclue, ce qui évite toute confusion entre l’attribution éliminatoire et le régime du partage pur et simple.

d. L’absence de demande d’attribution préférentielle

L’attribution éliminatoire ne peut être envisagée si l’indivisaire visé par l’éviction bénéficie d’un droit à l’attribution préférentielle.

L’attribution préférentielle, en vertu des articles 831 à 832-3 du Code civil, permet à certains indivisaires de se voir attribuer certains biens indivis, tels que la résidence principale ou des biens utilisés pour l’exploitation d’une activité professionnelle, sous réserve de verser une compensation aux autres indivisaires.

Selon l’article 824, alinéa 1er, du Code civil, l’attribution éliminatoire est mise en œuvre « sans préjudice de l’application des articles 831 à 832-3 », ce qui signifie en substance que l’attribution préférentielle prime sur toute demande d’attribution éliminatoire.

Ainsi, si un indivisaire formule une demande d’attribution préférentielle, celle-ci doit être examinée en priorité.

La Cour de cassation a notamment réaffirmé ce principe dans un arrêt du 1er octobre 1996, en jugeant que l’attribution préférentielle prime nécessairement sur l’attribution éliminatoire (Cass. 1re civ., 1er oct. 1996, n°94-19.097).

Cela est illustré par plusieurs situations :

  • Première situation
    • Si seule une demande d’attribution éliminatoire est formulée, les juges ne peuvent pas, sans modifier l’objet du litige, examiner d’office si l’indivisaire visé pourrait bénéficier d’une attribution préférentielle, si celle-ci n’a pas été expressément sollicitée (Cass. 1re civ., 1er oct. 1996, n°94-19.097).
    • Ainsi, l’attribution préférentielle doit être explicitement demandée par l’indivisaire concerné, faute de quoi elle ne sera pas prise en compte.
  • Deuxième situation
    • la Cour de cassation a précisé, dans un arrêt du 15 mai 2008, que l’attribution éliminatoire pouvait résulter d’une demande d’attribution préférentielle lorsque celle-ci porte sur l’ensemble des biens indivis.
    • Ce fut le cas dans une affaire concernant une exploitation agricole indivise (Cass. 1ère civ., 15 mai 2008, n° 07-13.179 et 07-13.330).
    • Cela montre que, dans certaines situations, une demande d’attribution préférentielle peut aboutir à une attribution éliminatoire si les autres conditions légales sont réunies.
  • Troisième situation
    • si les deux demandes – attribution préférentielle et attribution éliminatoire – sont formulées simultanément, la demande d’attribution préférentielle doit être traitée en priorité.
    • La Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 22 mai 2007 que la demande d’attribution préférentielle doit être examinée avant toute demande de maintien dans l’indivision par attribution éliminatoire (Cass. 1ère civ., 22 mai 2007, n° 04-20.205).
    • Cette approche est soutenue par la doctrine, qui reconnaît que l’article 824, alinéa 1er, consacre la priorité de l’attribution préférentielle, favorisant ainsi la propriété individuelle au détriment du maintien de l’indivision lorsque cela est justifié.

Ce système de priorité protège les indivisaires ayant un lien particulier avec certains biens indivis, en particulier lorsque ces biens sont essentiels, comme la résidence familiale ou une exploitation agricole.

L’attribution préférentielle, étant un droit, ne peut être supplantée par une demande d’attribution éliminatoire, laquelle demeure un mécanisme défensif permettant aux autres indivisaires de maintenir l’indivision.

En pratique, si un indivisaire sollicite une attribution préférentielle, le juge doit statuer sur cette demande avant de considérer toute éviction par le biais de l’attribution éliminatoire.

En conséquence, pour que l’attribution éliminatoire soit applicable, il est impératif que l’indivisaire visé ne soit pas en droit de réclamer une attribution préférentielle.

Si tel est le cas, la demande d’attribution préférentielle doit être examinée en priorité et, le cas échéant, accordée, rendant la demande d’attribution éliminatoire sans objet. Cela renforce la cohérence du droit des successions et des indivisions en hiérarchisant les droits des indivisaires en fonction de l’importance de leurs intérêts légitimes, comme l’ont souligné F. Terré et Ph. Simler dans leur analyse des biens et des successions.

2. Le cadre procédural de l’attribution éliminatoire

a. Demandeur de l’attribution éliminatoire

L’attribution éliminatoire est un mécanisme spécifique qui ne peut être demandé que par les indivisaires défendeurs à une action en partage, et uniquement dans l’objectif de maintenir l’indivision.

L’article 824, alinéa 1er du Code civil, encadre strictement ce dispositif en précisant que la demande peut être formulée par un ou plusieurs indivisaires défendeurs, à condition qu’ils souhaitent demeurer dans l’indivision (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 6 janv. 1987, no 85-10.175).

L’indivisaire qui demande le partage, et donc cherche à sortir de l’indivision, est exclu de la possibilité de solliciter l’attribution éliminatoire. Ce mécanisme est clairement réservé à ceux qui, dans l’intérêt de conserver l’indivision, souhaitent écarter un indivisaire qui souhaite en sortir.

L’intérêt de cette restriction est double :

  • D’une part, il s’agit d’éviter que l’indivisaire qui initie l’action en partage, c’est-à-dire celui qui désire mettre fin à l’indivision, puisse ensuite contrecarrer sa propre démarche en demandant l’attribution éliminatoire.
  • D’autre part, cette limitation protège les droits des autres indivisaires, en leur permettant de se maintenir ensemble dans l’indivision, mais sans offrir la même protection à celui qui a initialement souhaité s’en détacher. Cela confirme que l’attribution éliminatoire est un mécanisme de défense, réservé aux indivisaires qui n’ont pas l’intention de quitter l’indivision.

L’un des points essentiels à retenir est que l’attribution éliminatoire peut être demandée par un seul des indivisaires défendeurs, même si les autres ne souhaitent pas maintenir l’indivision.

Par exemple, si plusieurs indivisaires sont défendeurs à l’action en partage, un seul d’entre eux peut formuler la demande d’attribution éliminatoire, et cette demande sera recevable, à condition bien entendu que les autres conditions soient réunies.

Dans une telle situation, le tribunal devra évaluer la demande au regard des intérêts des autres indivisaires, même s’ils ne sont pas eux-mêmes demandeurs de l’attribution éliminatoire.

Ainsi, il est tout à fait envisageable qu’un indivisaire puisse demander seul l’attribution éliminatoire, contre l’avis des autres indivisaires défendeurs, mais la décision finale reposera sur une appréciation judiciaire qui tiendra compte de tous les intérêts en présence.

La Cour de cassation a clarifié ce point, notamment dans un arrêt du 28 novembre 2007 (Cass. 1re civ., 28 nov. 2007, n°06-18.490), en rappelant que seul un indivisaire défendeur à l’action en partage pouvait invoquer l’attribution éliminatoire.

Ce principe découle de la nature même de l’attribution éliminatoire, qui vise à préserver l’indivision entre les coïndivisaires.

Si tous les indivisaires sont d’accord pour demander le partage, la question de l’attribution éliminatoire ne se pose plus, car l’objectif premier de ce mécanisme est d’éviter la dissolution de l’indivision lorsque certains indivisaires souhaitent la maintenir.

En pratique, la demande d’attribution éliminatoire est souvent motivée par des considérations économiques, familiales ou patrimoniales.

Par exemple, un indivisaire peut demander à écarter un coïndivisaire pour préserver la cohésion d’une exploitation agricole ou d’un bien familial. Dans ces situations, le juge devra apprécier si les motifs invoqués pour demander l’attribution éliminatoire sont légitimes et compatibles avec les intérêts des autres indivisaires, même si ces derniers ne partagent pas l’intention de maintenir l’indivision.

Enfin, il convient de noter que l’attribution éliminatoire, bien que réservée aux défendeurs à l’action en partage, ne prive pas les indivisaires restants de la possibilité de formuler d’autres demandes, telles que des demandes de compensation financière ou des arrangements amiables, afin de parvenir à une solution équitable pour toutes les parties concernées.

Le tribunal reste libre d’apprécier les circonstances spécifiques de chaque affaire et d’arbitrer en fonction des intérêts en présence.

b. Temporalité de la demande

L’attribution éliminatoire peut être demandée à tout moment tant que le partage de l’indivision n’a pas été définitivement consommé.

Cette flexibilité procédurale permet aux indivisaires défendeurs à l’action en partage de solliciter l’attribution éliminatoire même après l’ouverture de la procédure, et, dans certains cas, jusqu’en appel.

La Cour d’appel de Lyon a ainsi admis, dans un arrêt du 11 avril 1979, que cette demande pouvait être formulée pour la première fois devant la juridiction d’appel, soulignant que la demande d’attribution éliminatoire peut intervenir en tout état de cause, tant que le partage n’a pas été réalisé ou définitivement clôturé (CA Lyon, 11 avr. 1979).

c. Compatibilité de la demande avec des décisions devenues définitives

==>Principe

Un des aspects les plus délicats de l’attribution éliminatoire concerne sa compatibilité avec une décision judiciaire ayant déjà ordonné le partage des biens indivis.

En effet, la question se pose de savoir si une demande d’attribution éliminatoire, qui implique le maintien partiel de l’indivision, peut être formulée après qu’un jugement a ordonné la dissolution de l’indivision par le partage.

Initialement, la Cour de cassation avait adopté une position stricte sur cette question.

Dans un arrêt du 15 mai 1979, elle a estimé que l’attribution éliminatoire était de nature à porter atteinte à l’autorité de la chose jugée lorsqu’un jugement définitif avait déjà ordonné le partage (Cass. 1re civ., 15 mai 1979, n° 78-10.266).

Selon cette approche, une fois le partage ordonné par un jugement définitif, il n’est plus possible de solliciter une attribution éliminatoire, car cela reviendrait à contredire la décision judiciaire qui vise à mettre fin à l’indivision. L’attribution éliminatoire ne pourrait donc être sollicitée qu’avant que le jugement ordonnant le partage ne devienne définitif.

Par suite, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence dans un arrêt du 10 juillet 1990.

En l’espèce, deux indivisaires avaient demandé l’application de l’attribution éliminatoire en vertu de l’article 815, alinéa 3, du Code civil, à la suite d’un jugement ayant ordonné le partage de la succession de leur mère.

Le litige portait sur la question de savoir si l’attribution éliminatoire pouvait être sollicitée après qu’un jugement avait déjà ordonné le partage.

La Cour d’appel d’Angers avait rejeté la demande des deux indivisaires, estimant que le maintien de l’indivision irait à l’encontre du jugement de 1983 ayant ordonné le partage de la succession. Selon la cour d’appel, une telle demande était incompatible avec les décisions antérieures, notamment un jugement de 1986 qui prescrivait la licitation des biens indivis.

Toutefois, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel, revenant ainsi sur sa jurisprudence antérieure.

Elle a jugé, en effet, que l’attribution éliminatoire permet non seulement de maintenir l’indivision entre certains indivisaires, mais aussi de procéder à l’allotissement des autres indivisaires, et donc à la réalisation d’un partage partiel.

Ce mécanisme n’était donc pas incompatible avec un jugement antérieur qui se bornait à ordonner le partage, tant que les opérations de licitation n’avaient pas encore acquis force de chose jugée.

Aussi, pour la Cour de cassation, l’application de l’attribution éliminatoire ne contredit pas un jugement ordonnant le partage des biens indivis, tant que ce jugement n’a pas prescrit de manière irrévocable une licitation ou une autre modalité incompatible avec le maintien de l’indivision. Ce raisonnement repose sur l’idée que l’attribution éliminatoire, en permettant d’allotir certains indivisaires tout en maintenant l’indivision pour d’autres, constitue une forme de partage partiel.

Cinq ans plus tard, la Cour de cassation a confirmé sa position dans un arrêt du 7 juin 1995 (Cass. 1ère civ., 7 juin 1995, n°93-14.766).

Dans cette affaire, un indivisaire avait sollicité la liquidation-partage d’une succession comprenant un immeuble.

Ses coïndivisaires avaient alors demandé à demeurer dans l’indivision, en se fondant sur l’article 815, alinéa 3, du Code civil, tout en offrant de racheter la part de l’indivisaire demandeur de partage.

La cour d’appel avait ordonné la liquidation-partage de la succession, tout en donnant acte aux coïndivisaires de leur volonté de demeurer dans l’indivision, sous réserve de l’évaluation des biens à partager.

Après l’évaluation des biens par un expert, la cour d’appel avait finalement décidé de maintenir les coïndivisaires dans l’indivision et de leur attribuer la part de l’indivisaire demandeur, moyennant le versement d’une somme représentant la valeur de sa part.

Ce dernier a alors formé un pourvoi en cassation, soutenant que le prononcé d’un partage excluait tout maintien de l’indivision partielle, rendant incompatible l’application de l’article 815, alinéa 3.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi, en affirmant que l’attribution éliminatoire, prévue par l’article 815, alinéa 3, permet de maintenir l’indivision entre certains indivisaires tout en attribuant la part de l’indivisaire demandeur.

Ce mécanisme aboutit donc à un partage partiel, et n’est pas incompatible avec un jugement antérieur ordonnant le partage, tant que celui-ci ne prescrit pas de licitation des biens indivis.

Ainsi, la Cour de cassation a jugé qu’il n’y avait aucune incompatibilité entre le jugement ordonnant la liquidation-partage et le maintien partiel de l’indivision par attribution éliminatoire.

L’arrêt du 7 juin 1995 confirme donc que l’attribution éliminatoire constitue une modalité de partage partiel, permettant à certains indivisaires de demeurer dans l’indivision tout en indemnisant l’indivisaire qui souhaite sortir.

==>Tempéraments

Il existe des situations où l’attribution éliminatoire reste incompatible avec certaines décisions judiciaires. C’est le cas, par exemple, des jugements qui ordonnent la licitation des biens indivis.

Pour mémoire, la licitation, qui consiste à vendre les biens aux enchères pour répartir le produit de la vente entre les indivisaires, entraîne une dissolution totale de l’indivision, rendant toute demande d’attribution éliminatoire impossible après coup.

Un jugement définitif ordonnant la licitation des biens empêche donc toute possibilité ultérieure de solliciter une attribution éliminatoire.

Toutefois, si la licitation ne concerne qu’une partie des biens indivis, rien n’empêche une attribution éliminatoire portant sur les autres biens restants (Cass. 1ère civ., 7 juin 1995, n°93-14.766).

Par ailleurs, d’autres décisions judiciaires peuvent également poser des difficultés de compatibilité avec l’attribution éliminatoire. C’est notamment le cas des décisions ordonnant un partage en nature des biens, ou celles qui prévoient la composition des lots par tirage au sort.

Ces modes de partage peuvent rendre l’attribution éliminatoire difficile à mettre en œuvre, voire incompatible, selon les modalités spécifiques du jugement rendu.

A l’analyse, ces situations doivent être examinées au cas par cas pour évaluer si l’attribution éliminatoire est envisageable sans contredire l’autorité de la chose jugée.

d. Appréciation par le juge des intérêts en présence

Le juge, saisi d’une demande d’attribution éliminatoire, exerce un large pouvoir d’appréciation pour statuer tant sur la recevabilité que sur le bien-fondé de cette demande.

Contrairement à d’autres dispositifs relevant du droit de l’indivision, l’attribution éliminatoire ne requiert pas que les indivisaires fournissent une justification particulière démontrant un intérêt spécifique à maintenir l’indivision entre eux.

En effet, la Cour de cassation a clairement énoncé, dans un arrêt du 19 mars 2008, que les indivisaires ne sont pas tenus de prouver un intérêt particulier pour que leur demande soit recevable (Cass. 1re civ., 19 mars 2008, n° 06-17.805).

Cette latitude accordée au juge lui permet d’examiner la demande d’attribution éliminatoire à la lumière des intérêts en présence, en tenant compte des spécificités de chaque affaire.

Ainsi, il revient au tribunal de peser les arguments des parties et d’évaluer si le maintien de l’indivision entre certains indivisaires, et l’éviction d’un autre, est justifié par les circonstances.

Ce pouvoir d’appréciation souverain se traduit par une flexibilité dans l’application du mécanisme, permettant au juge de tenir compte non seulement des aspects juridiques, mais également des considérations pratiques et émotionnelles qui peuvent sous-tendre la demande.

Dans certaines affaires, la jurisprudence a souligné que le maintien de l’indivision peut être motivé par des raisons familiales, liées à la préservation d’un bien ayant une valeur affective ou historique particulière pour les indivisaires.

À titre d’exemple, la préservation d’une exploitation agricole, transmise de génération en génération, peut justifier le maintien de l’indivision, même si un coïndivisaire souhaite en sortir.

Une telle situation permet de préserver l’intégrité de l’exploitation et d’assurer sa pérennité économique.

Ce type de raisonnement a été retenu par la jurisprudence, notamment dans l’arrêt de la Cour de cassation du 19 mars 2008 (Cass. 1re civ., 19 mars 2008, n°06-17.805), où la Cour a affirmé que les indivisaires n’avaient pas besoin de justifier d’un intérêt particulier pour maintenir l’indivision, laissant ainsi au juge un large pouvoir d’appréciation.

De même, la conservation d’un local professionnel peut légitimer le maintien de l’indivision pour des raisons économiques. Par exemple, dans l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 15 juin 2000 (CA Aix-en-Provence, 15 juin 2000, JurisData n° 2000-043782), le maintien d’un local commercial dans l’indivision a été considéré comme nécessaire pour permettre à un coïndivisaire de continuer à exploiter une activité génératrice de revenus pour la famille.

Par ailleurs, le maintien dans l’indivision peut être motivé par des raisons familiales lorsque le bien concerné est utilisé comme résidence depuis plusieurs générations.

La Cour d’appel de Douai, dans une décision du 6 janvier 1992 (CA Douai, 6 janv. 1992), a jugé qu’un intérêt familial fort pouvait justifier le maintien d’un immeuble dans l’indivision, afin de conserver un bien chargé d’histoire pour les générations futures.

De même, dans un arrêt du 17 février 1992, la Cour d’appel de Limoges (CA Limoges, 17 févr. 1992) a reconnu la validité de “raisons familiales” comme fondement légitime pour refuser la sortie de l’indivision et accorder l’attribution éliminatoire.

Enfin, la préservation d’un projet commun entre coïndivisaires, comme un projet immobilier sur un terrain familial, peut également justifier l’attribution éliminatoire. Ce type de motivation a été reconnu dans plusieurs arrêts, notamment pour permettre à certains indivisaires de poursuivre des projets économiques ou familiaux de long terme, tout en assurant une juste indemnisation de l’indivisaire souhaitant sortir de l’indivision.

Ces exemples illustrent bien la grande latitude dont disposent les juges pour apprécier les situations qui leur sont soumises. Qu’il s’agisse de préserver un bien économique essentiel, un patrimoine familial, ou de soutenir des projets communs, l’attribution éliminatoire permet de concilier les intérêts divergents des indivisaires tout en assurant la continuité de l’indivision lorsque cela est justifié.

En revanche, cette liberté d’appréciation n’est pas absolue. Le juge doit motiver sa décision et prendre en compte l’ensemble des éléments du dossier pour rendre une décision équilibrée.

3. Les modalités de l’attribution éliminatoire

L’attribution éliminatoire peut être réalisée de différentes manières, en fonction de la nature des biens indivis et des préférences des parties.

La loi permet au juge d’opter pour une attribution en nature, si les biens s’y prêtent, ou en argent, si une telle attribution est plus appropriée ou si les fonds indivis sont disponibles.

a. Attribution en argent

L’attribution en argent, en tant que modalité de sortie d’un indivisaire, est expressément prévue par l’article 824, alinéa 2, du Code civil.

Elle constitue une alternative à l’attribution en nature, particulièrement lorsque cette dernière s’avère difficile à réaliser en raison de la nature des biens indivis ou des préférences des parties.

Cette modalité d’attribution en argent nécessite toutefois une disponibilité suffisante de liquidités dans l’indivision.

En cas d’insuffisance des fonds indivis, les indivisaires ayant sollicité l’attribution éliminatoire sont tenus de financer le complément.

L’article 824, alinéa 2, précise que les indivisaires à l’origine de cette demande peuvent avancer des fonds personnels pour compenser ce manque, tout en offrant aux autres indivisaires la possibilité de contribuer volontairement à ce financement.

Les indivisaires qui ne sont pas à l’origine de la demande d’attribution éliminatoire ne sont pas obligés de participer au financement du complément, mais peuvent choisir de le faire.

Cette participation facultative leur permet de voir leurs parts augmenter proportionnellement à leur contribution. Cela peut s’avérer intéressant pour ceux qui souhaitent maintenir l’indivision ou éviter que les autres indivisaires prennent une part trop importante dans celle-ci.

Ce mécanisme repose sur l’idée que ceux qui financent l’attribution, que ce soit en nature ou en espèces, voient leur part dans l’indivision croître en fonction de leur apport, conformément aux dispositions de l’article 824, alinéa 4 du Code civil.

L’utilisation des fonds indivis pour financer l’allotissement est privilégiée. Toutefois, lorsque les liquidités manquent, le recours aux fonds personnels devient nécessaire.

Cette possibilité a été confirmée par la jurisprudence, notamment dans une décision de la Cour de cassation du 6 janvier 1987, où le financement de l’attribution éliminatoire a été entièrement assuré par les fonds personnels des indivisaires restants (Cass. 1ère civ., 6 janv. 1987, n°85-10.175).

Dans ce cas, les indivisaires qui avancent les fonds ne disposent pas d’une créance envers l’indivision, mais voient leur part augmentée proportionnellement à leur versement.

Ce type de financement, bien qu’il puisse ressembler à une cession de droits dans l’indivision, se distingue par le fait qu’il vise à maintenir l’indivision, tout en indemnisant équitablement l’indivisaire sortant.

Ainsi, l’attribution en argent permet de concilier deux intérêts opposés : le droit pour un indivisaire de sortir de l’indivision et la volonté des autres indivisaires de la maintenir. Le mécanisme assure une solution équilibrée entre ces deux objectifs, tout en offrant une flexibilité dans les modalités de financement et dans l’allocation des biens.

b. Attribution en nature

L’attribution en nature, lorsque les biens indivis sont « aisément détachables » du reste des biens indivis, permet au juge d’attribuer directement au coïndivisaire sortant une partie des biens indivis.

Cette solution, historiquement régie par l’article 815, alinéa 3 du Code civil avant la réforme de 2006, demeure toujours possible, bien que la loi privilégie désormais les compensations monétaires en raison de leur adéquation aux exigences économiques modernes.

L’attribution en nature reste donc une solution viable lorsque la nature des biens s’y prête et que leur division physique est aisée.

Le juge dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour décider de cette forme d’attribution.

La condition principale est que la part du coïndivisaire soit facilement détachable du reste des biens indivis. Cela signifie qu’un bien spécifique ou une partie de celui-ci doit pouvoir être alloti sans compromettre la valeur ou l’usage des biens restants. Si cette condition n’est pas remplie, une compensation en argent est souvent ordonnée, car plus simple à mettre en œuvre.

Cependant, même lorsque l’attribution en nature est décidée, il peut arriver que la valeur des biens attribués dépasse les droits du coïndivisaire sortant.

Dans ce cas, une soulte peut être exigée, c’est-à-dire que le coïndivisaire bénéficiaire de l’attribution doit verser une somme d’argent aux autres indivisaires pour compenser la différence de valeur.

Cette pratique est admise par la doctrine à condition toutefois que les autres indivisaires soient d’accord avec cette solution.

Le cumul d’une attribution en nature avec le versement d’une soulte est une solution pragmatique qui permet de respecter les droits de chaque indivisaire tout en facilitant un partage équitable.

Reste que, dans son évaluation, le juge doit veiller à ce que cette solution n’engendre pas de déséquilibre entre les coïndivisaires et que les droits de chacun soient scrupuleusement respectés.

4. Les effets de l’attribution éliminatoire

a. Un partage partiel

L’attribution éliminatoire, prévue par l’article 824 du Code civil, s’analyse en un partage partiel, destiné à évincer l’indivisaire qui demande la sortie de l’indivision, tout en permettant aux autres indivisaires de maintenir l’indivision sur les biens restants.

Contrairement toutefois au partage ordinaire, qui nécessite l’accord unanime des indivisaires, l’attribution éliminatoire est une exception au principe de l’unanimité qui s’applique dans le cadre d’une indivision, dans la mesure où lorsqu’elle est ordonnée elle s’impose à tous.

La Cour de cassation a statué en ce sens, dans un arrêt du 28 novembre 2007 en jugeant que « l’attribution éliminatoire prévue par l’article 815, alinéa 3, du code civil alors applicable, aboutit à l’allotissement de certains indivisaires et donc à la réalisation d’un partage partiel s’imposant à tous les coïndivisaires » (Cass. 1ère civ. 28 nov. 2007, n°06-16.566).

Au fond, l’attribution éliminatoire permet de concilier deux intérêts souvent divergents : celui de l’indivisaire qui souhaite sortir de l’indivision, et celui des autres coïndivisaires qui préfèrent maintenir le cadre indivis sans recourir à la liquidation.

En ce sens, ce mécanisme préserve l’intégrité des biens indivis, évitant leur mise en vente forcée, et constitue une réponse particulièrement adaptée aux situations où des raisons économiques ou familiales justifient la continuité de l’indivision.

b. Les incidences du partage partiel

==>L’effet déclaratif

L’attribution éliminatoire, comme tout partage, est une opération qui produit un effet déclaratif, ce qui signifie qu’elle produit ses effets rétroactivement à la date de constitution de l’indivision.

Selon l’article 883 du Code civil, chaque indivisaire est considéré comme ayant été propriétaire des biens qui lui sont attribués dès le début de l’indivision, même si cette attribution intervient tardivement.

Cette rétroactivité implique que l’indivisaire évincé est censé avoir été titulaire des droits attachés aux biens indivis dès l’origine, ce qui inclut les fruits et revenus produits pendant la période d’indivision.

Ce principe, bien ancré en droit civil, assure la continuité de la propriété des biens, en faisant remonter rétroactivement les droits à la date de constitution de l’indivision, sans qu’il y ait de transfert progressif à compter de la décision judiciaire.

Aussi, l’effet déclaratif du partage représente une certaine sécurité juridique pour les coïndivisaires. Les biens attribués à l’indivisaire sortant sont censés avoir toujours été sa propriété exclusive, non seulement à partir du jugement mais rétroactivement depuis l’ouverture de l’indivision.

==>L’action en complément de part

L’attribution éliminatoire, parce qu’elle opère un partage partiel, est également soumise aux règles de la rescision pour lésion prévues par l’article 890 du Code civil.

Si l’indivisaire évincé estime avoir été lésé de plus du quart lors du partage, il peut exercer une action en complément de part.

Cette action permet de rééquilibrer la répartition des biens lorsque l’un des indivisaires a reçu une valeur inférieure à ses droits.

Cependant, la doctrine suggère que cette action est difficile à mettre en œuvre lorsque la valeur des biens a été fixée par une expertise ordonnée par le tribunal.

En effet, lorsque le juge se prononce sur la base d’une expertise, les possibilités de contester la répartition pour lésion sont réduites, notamment en raison de l’autorité de la chose jugée.

==>Droit de préemption

L’attribution éliminatoire, en raison de son caractère déclaratif, échappe aux règles relatives au droit de préemption.

En principe, le droit de préemption s’applique lors d’une cession à titre onéreux, offrant à certaines parties, comme un locataire ou une collectivité publique, la possibilité de se substituer à l’acquéreur d’un bien.

Toutefois, le partage, et par extension l’attribution éliminatoire, ne sont pas considérés comme des cessions à titre onéreux.

En effet, le partage présente un caractère déclaratif et ne constitue pas, à ce titre, une aliénation des droits indivis, mais plutôt la reconnaissance des droits existants sur les biens attribués.

La jurisprudence confirme que l’attribution d’une part indivise à un cohéritier, même contre une compensation financière, ne déclenche pas le droit de préemption (Cass. soc., 16 avr. 1970 : Bull. civ. III, n° 242). Cette exclusion protège les indivisaires contre l’intervention de tiers qui pourraient compliquer la sortie de l’indivision.

D) Les biens exclus du partage à raison de leur nature

Certains biens, en raison de leur nature particulière, échappent au partage dans le cadre d’une indivision.

Ces exclusions sont justifiées par des considérations tenant à la préservation de l’intégrité du patrimoine, à des motifs d’ordre familial, culturel, ou économique.

==>Les sépultures et tombeaux

Les tombeaux et sépultures sont des biens destinés à être exploités par une famille ou un groupe de personnes déterminées, ce qui rend leur partage impossible.

En principe, le droit de s’y faire inhumer appartient de manière indivise aux membres de la famille, notamment les ascendants, les descendants et le conjoint (Cass. 1ère civ. 15 mars 1978).

Tout partage d’un tel bien est exclu, car il est soumis à une propriété collective au sein de la famille, qui vise à garantir sa destination perpétuelle. Cette affectation familiale implique aussi qu’aucun tiers étranger à la famille ne puisse y être inhumé sans le consentement unanime des ayants droit.

==>Les souvenirs de famille

Les objets ayant une valeur morale et symbolique forte pour une famille, tels que des portraits, des archives, des décorations de guerre ou d’autres souvenirs de famille, échappent également au partage.

Ces biens, dotés d’une valeur émotionnelle dépassant leur simple valeur vénale, sont considérés comme insaisissables, incessibles et non partageables. La jurisprudence reconnaît que ces souvenirs sont protégés en tant que biens familiaux particuliers, dont la dévolution successorale suit des règles spécifiques visant à préserver leur intégrité et leur caractère symbolique (Cass. 2e civ., 29 mars 1995, n°93-18.769).

==>Les biens ayant une valeur historique ou artistique

Les biens classés ou inscrits au titre des monuments historiques, tels que des œuvres d’art ou des objets ayant une valeur patrimoniale, sont également exclus du partage.

Leur protection vise à assurer leur conservation et leur transmission aux générations futures.

Ces biens ne peuvent pas être divisés ou aliénés sans l’accord des autorités compétentes, et leur partage dans le cadre d’une succession ou d’une indivision est souvent inenvisageable sans l’intervention des services de protection du patrimoine.

Ils bénéficient ainsi d’une protection particulière qui en fait des biens non partageables, leur valeur culturelle devant être préservée dans son ensemble.

  1. J. Carbonnier, Droit civil – Les biens, éd. PUF, 2004, ?
  2. F. Zenati-Castaing, Les biens, éd. PUF, 2008, p. 347 ?
  3. F. Zenati-Castaing, Les biens, éd. PUF, 2008, p. 347. ?
  4. Ph. Malaurie, L. Aynès et M. Julienne, Les biens, éd. Lextenso, p. 819. ?
  5. M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. IV, par J. Maury et H. Vialleton, éd. LGDJ, 1956, n° 495, p. 693. ?
  6. F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Droit civil, Les successions, les libéralités,éd. Dalloz, 2014, n° 1013, p. 893. ?
  7. Ph. Malaurie et C. Brenner, Droit des successions, 9? éd., Defrénois, 2020, n° 708 ?
  8. JCP 1977, I, 2858, n°104 ?
  9. Ph. Malaurie et Cl. Brenner, Droit des successions et des libéralités : LGDJ, 10e éd., 2022, n° 711. ?
  10. V. en ce sens M. Grimaldi, Droit des successions, LexisNexis, 8e éd., n° 920) ?

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