Pour que le régime de l’indivision puisse s’appliquer, encore faut-il être en présence d’un bien.
Classiquement, le bien est défini comme une richesse économique susceptible de faire l’objet d’une circulation juridique.
Les richesses sont de deux ordres :
- Les choses
- Les droits
I) Les choses
Il s’agit, selon Frédéric Zénati, « des entités naturelles ou artificielles ; corporelles ou incorporelles, qui se distinguent des personnes »[1].
Il est admis que toutes les choses sont susceptibles de faire l’objet d’une indivision, pourvu qu’elles soient appropriables.
Une indivision peut ainsi être constituée tout autant sur une chose corporelle, que sur une chose incorporelle. Elle pourra également avoir pour objet un meuble ou un immeuble.
En définitive, toutes les choses peuvent faire l’objet d’une indivision, à tout le moins dès lors qu’elles sont appropriables.
Rémy Libchaber définit l’appropriabilité comme l’aptitude d’une chose « à être soustraite à un usage collectif, au profit d’une dévolution individuelle, exclusive de toute intervention extérieure »[2]
Aussi, pour accéder au statut de bien une chose doit pouvoir donner lieu à réservation individuelle.
Or à l’examen, toutes les choses ne sont pas susceptibles d’appropriation exclusive. Il est, en effet, des cas où le droit refuse à une chose d’accéder au statut de bien :
- Soit parce qu’elle appartient à tous
- Soit parce qu’elle n’a été appropriée par personne
- Soit parce qu’elle est hors du commerce
II) Les droits
Les droits – subjectifs – se définissent comme des prérogatives reconnues aux sujets de droit – par le droit objectif – dont l’atteinte peut être sanctionnée en justice.
Il existe deux catégories de droits subjectifs :
- Les droits patrimoniaux
- Les droits extrapatrimoniaux
Dans la mesure où les droits extrapatrimoniaux sont, incessibles, intransmissibles, insaisissables et imprescriptibles, ils sont insusceptibles d’endosser la qualification de biens et, par voie de conséquence, de faire l’objet d’une indivision.
Aussi, seuls les droits patrimoniaux intéressent le droit de l’indivision. À cet égard, on les définit comme les droits subjectifs appréciables en argent. Ils possèdent une valeur pécuniaire. Ils sont, en conséquence, disponibles, ce qui signifie qu’ils peuvent faire notamment l’objet d’opérations translatives.
Les droits patrimoniaux se scindent en deux catégories :
- Les droits réels (le droit de propriété est l’archétype du droit réel)
- Les droits personnels (le droit de créance : obligation de donner, faire ou ne pas faire)
A) Les droits réels
Les droits réels sont ceux qui confèrent à leur titulaire un pouvoir direct et immédiat sur une chose.
Il en existe deux sortes :
- Les droits réels principaux
- Les droits réels accessoires
1. Les droits réels principaux
Au nombre des droits réels principaux, on compte :
- D’une part, les droits se rapportant à la propriété
- D’autre part, les droits se rapportant aux servitudes
==>S’agissant des droits se rapportant à la propriété
Si la pleine propriété est le terrain d’élection premier de l’indivision, il est admis, de longue date, que puisse également exister une situation d’indivision entre titulaires de démembrements du droit de propriété (usus, fructus et abusus), pourvu que ces démembrements soient de même nature.
Par même nature, il faut comprendre que les droits réels qui sont en concours portent sur un ou plusieurs démembrements du droit de propriété qui correspondent.
Ainsi, par exemple, il ne saurait y avoir d’indivision entre un usufruitier et un nu-propriétaire.
On peut en revanche parfaitement envisager l’existence d’une situation d’indivision entre plusieurs personnes qui seraient titulaires de droits d’usufruit concurrents, comme énoncé par l’article 815-18 du Code civil.
De la même manière, il est admis que la nue-propriété d’un bien puisse être détenue en indivision.
Dans un arrêt du 7 juillet 2016, la Cour de cassation est allée encore plus loin en jugeant que l’indivision pouvait également porter sur un droit d’usage et d’habitation (Cass. 3e civ. 7 juill. 2016, n°15-10.278).
==>S’agissant des droits se rapportant aux servitudes
Très tôt, la question s’est posée de savoir si une servitude pouvait être constituée sur un bien indivis.
Pour mémoire, l’article 637 du Code civil définit la servitude comme « une charge imposée sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire. »
Si certaines décisions rendues au cours de la première moitié du XIXe siècle ont admis la constitution de servitudes sur des biens indivis, la Cour de cassation écarte désormais de façon constante cette possibilité.
La Troisième chambre civile a notamment statué en ce sens dans un arrêt du 27 mai 2009 (Cass. 3e civ. 27 mai 2009, n°08-14.376).
La solution adoptée par la Haute juridiction se justifie pleinement dans la mesure où la constitution d’une servitude requiert l’existence de deux fonds appartenant à des propriétaires différents.
Or les coïndivisaires sont propriétaires d’un seul et même bien. Aussi, reconnaître qu’une servitude puisse être constituée sur un bien indivis reviendrait à admettre qu’une servitude soit établie sur son propre bien.
2. Les droits réels accessoires
Certains droits réels sont qualifiés d’accessoires, car ils constituent l’accessoire d’un droit personnel qu’ils ont vocation à garantir.
Leur particularité est de ne conférer à leur titulaire aucune des utilités économiques de la chose ; ils permettent seulement d’appréhender sa valeur marchande en cas de défaillance du débiteur principal.
Au nombre des sûretés réelles, on compte notamment le gage, l’hypothèque ou encore le nantissement.
Parce que les droits réels accessoires ne s’analysent pas en des droits de propriété démembrés, leur constitution sur un bien n’a pas pour effet de priver son propriétaire de ses prérogatives qui donc peut toujours bénéficier de ses utilités.
Ce n’est qu’en cas de réalisation de la garantie dont le bien est grevé, que le garant sera dépossédé de la propriété de son bien.
À la question de savoir si la constitution de sûretés réelles par plusieurs débiteurs sur un même bien est de nature à créer entre eux une situation d’indivision, il y a lieu de répondre par la négative.
Si, en effet, les sûretés réelles confèrent à leur titulaire un droit réel sur la chose, leur constitution et leur mise en œuvre, obéissent au droit des obligations. La raison en est qu’une sûreté – même réelle – est toujours attachée à un droit personnel.
Aussi, les titulaires de sûretés constituées sur un même bien entretiennent entre eux des rapports, non pas de coïndivisaires, mais de codébiteurs.
Il en résulte que, en cas de réalisation de la sûreté, il ne sera procédé à aucun partage du bien affecté en garantie entre les codébiteurs, comme le commanderait la logique qui préside au droit de l’indivision.
Le bien sera, au contraire, attribué dans son intégralité au débiteur qui occupe le rang le plus élevé, soit celui qui a inscrit sa sûreté en premier.
B) Les droits personnels
Le droit réel est celui qui confère à son titulaire un pouvoir non pas sur une chose, mais contre une personne.
Plus précisément le droit personnel consiste en la prérogative qui échoit à une personne, le créancier, d’exiger d’une autre, le débiteur, l’exécution d’une prestation.
À la différence du droit réel, le droit personnel établit une relation, non pas entre une personne et une chose mais entre deux personnes entre elles
En tout état de cause, droit personnel est pourvu de deux facettes :
- Dans sa face active, le droit personnel est qualifié de créance
- Dans sa face passive, le droit personnel est qualifié de dette
À l’analyse, seules les créances sont susceptibles de faire l’objet d’un droit de propriété, puisque nécessairement inscrites à l’actif du patrimoine de leur titulaire.
Il peut toutefois être observé que la propriété des créances a été discutée en doctrine.
Deux thèses s’affrontent :
- Première thèse
- Shalev Ginossar a défendu l’idée que les créances peuvent faire l’objet d’un droit de propriété.
- Selon lui, la créance revêt toutes les caractéristiques d’un bien (elle possède une valeur économique et elle est transmissible).
- Surtout, pour cet auteur, le droit de propriété ne serait autre qu’un moyen de s’approprier des choses. Or parmi les choses, il y a les droits personnels.
- Les créances peuvent ainsi faire l’objet d’un droit de propriété.
- Seconde thèse
- Les auteurs contestant l’assimilation des créances à des biens reprochent à cette thèse d’exprimer une vision purement comptable des opérations économiques.
- Cette thèse nie l’existence du rapport qui s’établit entre deux personnes dans le cadre de l’exercice d’un droit personnel.
- L’exercice d’un droit réel sur une créance suppose que le propriétaire puisse modifier, à sa guise, le contenu de la créance. Il est, en effet, censé pouvoir abuser de la chose qu’il détient.
- Cela est pourtant impossible s’agissant d’une créance, car pour en abuser il doit nécessairement satisfaire aux exigences du mutus dissensus.
- Pour cette raison, une créance ne saurait faire l’objet d’un droit de propriété
Entre les deux thèses, le Conseil constitutionnel semble avoir tranché en faveur de la première, soit celle soutenue par Ginossar (Décision 99-425 DC – 29 décembre 1999 – Loi de finances rectificative pour 1999 ; Décision 2010-607 DC – 10 juin 2010 – Loi relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée).
Aussi, parce que les créances peuvent être assimilées à des biens, il est admis qu’elles puissent faire l’objet d’une indivision.
En application du principe d’indivisibilité du paiement (art. 1342-4, al. 1er C. civ.), il devrait en résulter l’impossibilité pour les coindivisaires d’obtenir séparément le règlement de la quote-part de la créance qui leur revient.
L’article 1309, al. 1er du Code civil prévoit toutefois que, lorsque la situation d’indivision procède de l’ouverture d’une succession, la créance se divise entre les successeurs du de cujus.
Cela signifie que chaque coindivisaire est fondé à poursuivre individuellement le recouvrement de sa part dans la créance indivise, y compris en présence d’une créance solidaire prévoit 1309, al. 1er du Code civil.
Dans un arrêt du 11 octobre 1988, la Cour de cassation a précisé que « le principe de la divisibilité des obligations s’applique aux héritiers qui ne peuvent poursuivre le recouvrement des créances du défunt que pour les parts dont ils sont saisis » (Cass. 1ère civ. 11 oct. 1988, n°86-11860).
Si dès lors un indivisaire a reçu paiement au-delà de sa quote-part, il deviendra débiteur envers ses coindivisaires à hauteur de la portion excédentaire de la créance indivise recouvrée.
Compte tenu de ce qu’il est admis qu’une créance indivise se divise entre successeurs, la question se pose de savoir si l’on est bien en présence d’une situation d’indivision laquelle ne devrait pas admettre la division du paiement.
À l’analyse, comme souligné par la doctrine, l’admission de la division de la créance entre successeurs n’est pas incompatible avec le caractère indivis de cette dernière.
En effet, la situation d’indivision de la créance explique notamment pourquoi sa cession, avant le partage, requiert l’accord unanime de tous les indivisaires ou encore que les créanciers de l’indivision puissent exercer des poursuites sur la créance indivise.
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