==> Droit romain
Le concept d’indivision n’était pas étranger au droit romain. Les romains le connaissaient sous le nom de consortium.
Le consortium, en droit romain archaïque, est la manifestation la plus ancienne d’une sorte d’indivision héréditaire.
Il s’établit de plein droit au décès du pater familias et est constitué entre les descendants directs.
Le consortium avait pour vocation principale de maintenir l’unité patrimoniale de la famille et d’éviter le morcellement des biens dans une société principalement agraire.
En effet, dans le cadre de ce dispositif, les biens du pater familias demeurent indivisibles et inaliénables, ce qui permettait d’assurer la continuité patrimoniale, laquelle primait sur les intérêts individuels, particulièrement dans un contexte de crise suivant la disparition du chef de famille.
Puis le consortium va connaître une évolution majeure avec l’adoption de la loi des XII Tables vers 450 av. J.-C.
Cette loi va, en effet, introduire la possibilité pour les héritiers de réclamer, à titre individuel, leur part dans la succession en exerçant une action en partage : l’actio familiae eriscundae.
L’institution de cette action légale a eu pour effet direct de rendre l’indivision créée par le consortium précaire, ses membres étant désormais autorisés à en sortir à tout moment.
À l’analyse, cette évolution du droit romain met en lumière un changement fondamental dans les perceptions et les pratiques de la propriété.
Plus précisément, cela révèle une évolution des valeurs sociales, où les droits individuels commencent à être expressément reconnus et protégés par la loi.
La possibilité pour chaque héritier de demander le partage signifie non seulement une reconnaissance de son autonomie en tant qu’individu, mais aussi une adaptation du droit aux réalités économiques et familiales en mutation.
==> Ancien droit
À l’instar de l’ère romaine, l’époque féodale connaît de nombreuses formes de propriétés collectives en raison du fort esprit communautaire qui parcourt toutes les strates de la société.
Les communautés dites « taisibles » illustrent parfaitement cette orientation, où les biens, notamment meubles, étaient mis en commun par des personnes qui vivaient ensemble, souvent sans obéir à des règles formelles mais plutôt en suivant des coutumes locales.
Cette mise en commun créait une entité où la propriété était reconnue comme appartenant à la communauté et non à des individus isolés.
Historiquement, ces formes de propriété collective, bien que facilitant la cohabitation et la gestion conjointe des ressources, ne permettaient pas une individualisation des droits de propriété, ce qui se traduisait par une impossibilité de revendiquer une quote-part spécifique du bien commun.
Avec le temps, notamment à partir du XVIe siècle, la jurisprudence a commencé à remettre en question et finalement à rejeter les clauses interdisant le partage des biens en indivision. Cette évolution marque une transition significative d’une gestion purement communautaire vers une reconnaissance accrue des droits individuels.
Cette mutation s’est traduite par la possibilité accordée à chaque coïndivisaire de demander le partage des biens communs, affirmant ainsi la liberté individuelle face au collectif.
La doctrine, en particulier Domat, a joué un rôle crucial dans cette évolution en distinguant la communauté et l’indivision.
Domat affirmait en ce sens que même si la propriété en indivision était exercée de manière collective, chaque coïndivisaire était titulaire d’un droit individuel sur la chose commune.
Il en est résulté l’admission que la situation d’indivision présentait un caractère nécessairement précaire, puisque pouvant être dissoute à la demande de n’importe quel indivisaire et à tout moment.
==> Code civil de 1804
La Révolution française a manifesté une hostilité des plus dures à l’endroit des formes collectives d’appropriation des biens, associées à l’Ancien Régime et à ses abus.
En nationalisant les biens de l’Église et des corporations, les révolutionnaires ont promu une vision où la propriété devait être essentiellement individuelle et absolue, comme le prévoit l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Cette conception très individualiste de la propriété n’est pas sans avoir influencé les rédacteurs du Code civil, qui ont cherché à éliminer les reliquats de propriété collective, considérés comme étant potentiellement source de menace et de danger quant à la répartition et la bonne exploitation des richesses.
Leur crainte résidait notamment dans le pouvoir politique et économique que des techniques d’appropriation collective seraient susceptibles de procurer à des groupements privés qui seraient alors en position d’exercer un rapport de force avec l’État au préjudice de l’intérêt général.
Cette orientation a donné lieu à une réduction à la portion congrue de la place faite à la propriété collective dans le Code civil.
Aussi, parmi toutes les formes de propriété collective qui prospéraient sous l’ancien régime, seules l’indivision et la copropriété ont été retenues par le législateur.
S’agissant de l’indivision, elle est envisagée comme ne pouvant résulter que d’un cas fortuit (décès, dissolution d’une personne morale etc.).
Au fond, elle apparaît comme une sorte d’anomalie à laquelle il doit être remédié ; raison pour laquelle la seule disposition consacrée à l’indivision se concentre sur le droit pour tout indivisaire d’en sortir en provoquant le partage du bien indivis.
L’article 815 du Code civil – qui est toujours en vigueur et n’a que peu été modifié – prévoyait en ce sens que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision ; et le partage peut être toujours provoqué nonobstant prohibitions et conventions contraires »
Cette disposition garantit donc pour chaque coïndivisaire le droit de réclamer, à sa guise, l’attribution de sa quote-part, affirmant ainsi la primauté de la propriété individuelle et le caractère temporaire et précaire de toute situation d’indivision.
S’agissant de la gestion de l’indivision, les rédacteurs du Code civil ont institué le principe de l’unanimité quant à la prise de décision pour toute action affectant substantiellement le bien indivis.
Ce principe, tout en respectant le droit de chaque coïndivisaire à disposer de sa part individuellement, vise à prévenir les conflits et les abus potentiels en exigeant un accord de toutes les parties prenantes pour les décisions importantes.
Si le Code civil privilégiait, en 1804, l’option du partage afin de mettre fin à la situation d’indivision, il offrait également aux coïndivisaires une solution intermédiaire en leur permettant de maintenir temporairement l’indivision par la conclusion d’une convention dont la durée ne pouvait pas excéder 5 ans, sauf à être renouvelée.
==> Projets de réformes du régime de l’indivision
Face aux défis pratiques posés par l’indivision, notamment s’agissant de la gestion des biens indivis, plusieurs propositions de réforme ont été formulées au cours de la première moitié du XXe siècle.
L’objectif visé par les artisans de ces propositions était de préciser le régime applicable à l’indivision en raison de ses trop nombreuses lacunes originelles.
Ainsi, en 1930, la Société d’études législatives a proposé de prévoir, par exemple, la possibilité de désigner un gérant d’indivision qui serait investi du pouvoir d’accomplir des actes d’administration sur le bien indivis. Il a encore été envisagé de conférer aux coïndivisaires un droit de préemption appelé à se substituer au retrait successoral en cas de cession de parts indivises.
Ces propositions ont été partiellement adoptées par le décret-loi du 17 juin 1938, qui a, par ailleurs, introduit la possibilité de maintenir de force l’indivision pour des exploitations agricoles de taille modeste pour une période maximale de cinq ans.
Plus tard, la Commission de réforme du Code civil constituée en 1945 a continué sur cette lancée en proposant l’instauration de règles générales d’organisation de l’indivision.
Si les propositions formulées par cette commission n’ont finalement pas été retenues par le législateur de l’époque, elles ont toutefois contribué à nourrir les travaux parlementaires qui ont conduit à l’adoption de la loi du 31 décembre 1976, laquelle a opéré une réforme profonde du régime de l’opération.
==> Loi du 31 décembre 1976
La loi n° 76-1286 du 31 décembre 1976 relative à l’organisation de l’indivision a marqué une étape importante, sinon décisive, dans l’évolution du régime de l’indivision.
La réforme opérée par cette loi est le fruit d’un long processus de consultation et de débat parlementaire.
Comme vu précédemment, avant 1976, les règles régissant l’indivision étaient relativement sommaires et insuffisantes pour traiter de manière adéquate les situations complexes d’indivision.
La loi de 1976 a façonné un véritable statut juridique de l’indivision, en envisageant désormais deux régimes distincts applicables à l’indivision : un régime légal et un régime conventionnel.
S’agissant du régime légal, la loi a assoupli les règles de gestion en prévoyant que les décisions concernant la gestion courante des biens indivis puissent être prises à la majorité des deux tiers des droits des indivisaires.
Elle a encore permis la nomination d’un gérant, choisi par une majorité des indivisaires ou, à défaut de majorité, désigné par le juge. Le gérant dispose alors de pouvoirs étendus pour administrer les biens, sous réserve de certaines restrictions nécessitant l’approbation des coïndivisaires ou du juge.
La loi de 1976 a également assoupli les règles de partage, en admettant d’un côté, qu’un coïndivisaire puisse sortir de l’indivision et, d’un autre côté, que les autres coïndivisaires y demeurent.
S’agissant du régime conventionnel, il est désormais admis que l’indivision puisse ne pas consister en une situation temporaire. Elle peut devenir une situation permanente au moyen de la conclusion d’une convention laquelle a vocation à régir les rapports entre coïndivisaires.
Il peut être observé que les règles qui encadrent l’indivision conventionnelle ont été rassemblées dans un titre du Code civil qui suit celui consacré à la société.
Les conventions relatives à l’exercice des droits indivis sont, en effet, régies aux articles 1873-1 à 1873-18 du Code civil.
==> Loi du 23 juin 2006
La loi n°2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités a procédé à une réforme substantielle du régime de l’indivision tout en s’inscrivant dans la continuité de la réforme opérée par la loi du 31 décembre 1976.
L’objectif poursuivi et affiché par le législateur était de faciliter la gestion de l’indivision jugée encore trop complexe à l’époque.
L’un des apports majeurs de la loi du 23 juin 2006 est d’avoir substitué à la règle de l’unanimité la majorité des deux tiers pour les actes d’administration
La loi a aussi permis aux indivisaires majoritaires de donner à l’un d’eux, ou à un tiers, un mandat général d’administration, facilitant ainsi la gestion quotidienne sans requérir l’accord de tous les indivisaires pour chaque décision.
Une autre modification importante concerne les mesures conservatoires. La loi précise que ces mesures peuvent être prises par tout indivisaire, sans qu’il soit nécessaire de justifier d’une urgence, ce qui représente un assouplissement significatif par rapport à la jurisprudence antérieure qui limitait ces mesures aux situations de péril imminent.
Au-delà des modifications textuelles de fond, il peut être observé que la loi du 23 juin 2006 a procédé à une réorganisation formelle du Chapitre du Code civil dédié à l’indivision, en répartissant les dispositions de ce chapitre entre quatre sections annonçant le thème abordé.
Enfin, comme relevé par les auteurs, si l’on ressent dans la réforme opérée en 2006 une forte influence du droit des sociétés, le législateur n’a pas franchi le pas en reconnaissant la personnalité morale à l’indivision. L’indivision se limite à permettre l’appropriation et la gestion collective d’un bien. Elle est toutefois dépourvue de tout intérêt propre. Tout au plus, les textes évoquent l’existence d’un intérêt commun.
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