Si, la fonction de l’indivision est, aujourd’hui, parfaitement identifiée – permettre l’appropriation et la gestion collective d’un ou plusieurs biens – sa nature est, en revanche, discutée en doctrine.
En effet, il est plusieurs conceptions de l’indivision qui ont évolué avec le temps et au fil des réformes législatives : une conception individuelle et une conception collective.
- Conception individuelle de l’indivision
- Traditionnellement, l’indivision est présentée comme une simple conjonction de droits individuels sur un bien commun.
- Des auteurs, tel que Planiol, voient l’indivision, non comme une propriété collective, mais comme une co-titularité du droit de propriété, où chaque indivisaire détient une fraction du droit sur le bien entier.
- La co-titularité implique que chaque indivisaire détient une part proportionnelle du droit de propriété sur le bien entier. Ces parts sont souvent exprimées en fractions ou en pourcentages qui représentent la part de chaque coïndivisaire dans la propriété globale.
- Chaque indivisaire peut exercer son droit en proportion de sa part. Cela inclut le droit de bénéficier de l’utilisation du bien et de recevoir une part proportionnelle des revenus générés par celui-ci.
- Toutefois, pour certaines décisions majeures, comme la vente du bien, l’accord de tous les indivisaires ou une majorité spécifiée par la loi peut être nécessaire.
- Planiol met en avant l’idée que dans l’indivision, « c’est le droit de propriété qui est partagé ».
- Il souligne que bien que le bien lui-même reste indivis, le droit de propriété est divisé en parts distinctes que chaque coïndivisaire peut gérer, aliéner, ou hypothéquer de manière indépendante dans les limites de sa quote-part.
- Selon cette thèse, chaque indivisaire peut, par exemple, céder ou hypothéquer sa part sans nécessiter l’accord des autres indivisaires.
- Cette faculté reconnue à tous les coïndivisaires de disposer de leur quote-part renforce la conception individualiste de l’indivision.
- Au fond, l’indivision devrait être regardée comme un ensemble de droits fractionnables plutôt que comme un droit unique et indivisible.
- Dans le sens de cette conception, il peut être observé que, au fil des réformes, le législateur a fermement maintenu le principe selon lequel chaque coïndivisaire demeure titulaire d’un droit individuel sur sa quote-part du bien.
- C’est là la preuve que le droit dont est titulaire chaque coïndivisaire est profondément individuel, comme l’illustre l’adage latin « Totum in toto et totum in qualibet parte », signifiant, selon la traduction du Doyen Carbonnier, que « chacun en a sa part et tous l’ont tout entier ».
- Conception collective de l’indivision
- Selon cette conception, l’indivision constituerait une forme de propriété collective en ce sens que les indivisaires partageraient un droit commun sur la chose.
- Dans ce cas, l’indivision est envisagée comme un tout indissociable où le droit de propriété est exercé collectivement par tous les membres.
- Ces derniers ne seraient donc pas titulaires d’un droit individuel de propriété ; ils se partageraient, tout au contraire, un même droit – collectif – de propriété.
- C’est cette titularité commune du droit de propriété qui expliquerait pourquoi, en situation d’indivision, les décisions concernant la gestion du bien requièrent l’unanimité ou une majorité qualifiée pour les actes les plus graves.
- À cet égard, parce que l’indivision formerait un ensemble unitaire, d’aucuns arguent qu’elle serait dotée d’une certaine autonomie, capable de poursuivre des intérêts propres susceptibles de différer de ceux des coïndivisaires pris isolément.
- Cette vision est renforcée par des notions telles que l’« intérêt commun », utilisées tant par le législateur que par la jurisprudence pour justifier l’adoption de décisions qui prennent en compte l’intérêt de l’indivision comme un tout.
- Mais alors, si l’indivision est pourvue d’un un intérêt propre distinct de celui de ses membres, est-ce à dire qu’elle pourrait se voir reconnaître la personnalité morale ?
- Bien que séduisante, cette thèse est régulièrement écartée par la Cour de cassation.
- Dans un arrêt du 25 octobre 2005, la Cour de cassation a, par exemple, décidé que « l’indivision existant entre les ex-époux ne [constitue] pas une personne morale ayant la personnalité juridique » (Cass. 1ère civ. 25 octobre 2005, n°03-20.382).
- Plus tard, pour confirmer l’annulation d’un commandement de payer délivré au nom d’une indivision, la Deuxième chambre civile a expressément affirmé dans un arrêt du 9 juin 2011, que l’indivision était « dépourvue de la personnalité juridique » (Cass. 2e civ. 9 juin 2009, n°10-19.241).
- Dans un arrêt du 16 mars 2017, la Haute juridiction a encore jugé que « le bail conclu au nom d’une indivision dépourvue de personnalité juridique est nul de nullité absolue » (Cass. 3e civ. 16 mars 2017, n°16-13.063).
- Il s’évince de ces décisions, que l’indivision ne possède pas la personnalité morale.
- Les indivisaires sont les seuls titulaires des droits réels sur les biens, raison pour laquelle la loi leur confère le droit discrétionnaire de demander le partage du bien indivis aux fins de se voir attribuer leur quote-part.
- Pratiquement, l’absence de reconnaissance de la personnalité morale à l’indivision signifie que les coïndivisaires ne sauraient exercer une action en justice au nom de l’indivision ou contracter des obligations au nom de cette même indivision.
- Si donc l’indivision ne possède pas de personnalité juridique, les réformes récentes, notamment celle opérée par la loi du 23 juin 2006, ont introduit des éléments de personnification de l’indivision, rapprochant son régime de celui des personnes morales.
- La loi permet ainsi désormais aux indivisaires représentant au moins deux tiers des droits d’accomplir certains actes d’administration sans que cela ne requière l’accord de tous.
- Cette évolution révèle une inclination vers une gestion plus souple et plus efficace des biens indivis, tout en tenant compte de l’intérêt collectif qui peut parfois prévaloir sur les intérêts individuels.
Au total, les conceptions individuelle et collective de l’indivision ne sont peut-être pas si irréconciliables qu’il y paraît.
Certains auteurs soutiennent, à raison, que l’indivision présente, par nature, une « double face »[1] en ce qu’elle forme tout à la fois une communauté de droits individuels et un ensemble unitaire porteur d’un intérêt collectif.
Cette dualité est le fruit d’un compromis législatif établi en 1976, qui visait à harmoniser les droits strictement individuels de chaque coïndivisaire avec les besoins d’une gestion collective et efficace des biens indivis.
D’un côté, la loi reconnaît et protège le droit de chaque indivisaire à demander le partage des biens, garantissant ainsi l’autonomie personnelle et évitant toute contrainte de rester lié indéfiniment à une indivision. Ce droit individuel est garanti par la règle de l’unanimité, nécessitant l’accord de tous les indivisaires pour toute décision substantielle concernant le bien commun, ce qui réaffirme l’importance accordée à la volonté individuelle.
D’un autre côté, les textes favorisent une gestion plus souple de l’indivision à travers la possibilité de désigner un gérant.
Cette orientation vers une gestion collective est conçue pour répondre aux exigences d’un intérêt commun, qui transcende les droits individuels pour se concentrer sur la préservation et l’optimisation de la valeur des biens partagés.
Ce compromis entre respect des droits individuels et efficacité de la gestion collective donne lieu à une complexité intrinsèque du régime de l’indivision. Il s’agit d’un équilibre nécessaire pour permettre à la fois la protection des intérêts personnels et la réalisation des objectifs communs.
En 1976 et 2006, le législateur n’a nullement été guidée par la volonté dépouiller les coïndivisaires de leurs prérogatives individuelles, mais plutôt par l’ambition de leur offrir des mécanismes permettant une coexistence harmonieuse de droits parfois contradictoires au sein de l’indivision.
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J. Patarin, La double face du régime juridique de l’indivision, in Mél. D. Holleaux : Litec 1990, p. 332 ?