Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

Droits successoraux dévolus au conjoint survivant: évolutions

==> Vue générale

Bien qu’il soit admis, aujourd’hui, que deux personnes puissent entreprendre une communauté de vie en dehors des liens du mariage, celui-ci demeure la seule forme d’union conférant à chacun de ses membres des droits dans la succession de l’autre.

Le concubinage, par exemple, s’il est certes désormais reconnu par le Code civil (art. 515-8), les concubins n’en restent pas moins regardés par la loi comme des étrangers l’un pour l’autre. La conséquence en est qu’ils ne s’auraient se prévaloir d’aucune vocation successorale.

Il en va de même pour les couples ayant opté pour la conclusion d’un PACS. Cette nouvelle forme d’union, instituée par la loi du 15 novembre 1999, ne confère aux partenaires que des droits limités.

Tout au plus, la loi reconnaît au partenaire survivant le droit d’occuper gratuitement, pendant une période d’un an, le logement qui servait de résidence principale au couple (art. 515-6, al. 3e C. civ.). Ce dernier se voit également conférer le droit de solliciter l’attribution préférentielle de certains biens (art. 515-6, al. 1er C. civ.).

Ces quelques avantages reconnus au partenaire survivant, s’ils lui procurent une situation préférable à celle du concubin, sont très éloignés des droits que le statut de conjoint confère à une personne mariée.

Le Code civil reconnaît, en effet, au conjoint survivant une véritable vocation successorale, soit une vocation à prendre part au partage du patrimoine du défunt.

==> Ancien droit

  • Pays de droit écrit
    • Sous l’influence du droit romain, les règles des pays de droit écrit conféraient au conjoint survivant, le plus souvent la femme, un certain nombre de droits dans la succession.
    • L’un de ces droits était appelé la « quarte du conjoint pauvre ».
    • Ce droit reconnu à la veuve, lui permettait, si elle se trouvait dans une situation de précarité financière après le décès de son époux, de réclamer jusqu’à un quart de la succession de son défunt mari.
    • La « quarte » était calculée sur la base de la valeur totale de la succession après règlement des dettes.
    • À cet égard, la veuve se voyait reconnaître un droit prioritaire sur les autres héritiers pour ce quart de la succession, garantissant ainsi que son sort ne dépende pas de la générosité des autres héritiers ou du solde restant de la succession après règlement des dettes.
  • Pays de droit coutumier
    • En contraste avec le droit écrit, le droit coutumier, reconnaissait à la femme mariée au décès de son époux ce que l’on appelait le douaire.
    • Le douaire était un droit d’usufruit accordé à la veuve sur une partie des immeubles du défunt mari.
    • Ce droit était généralement limité à la durée de vie de la veuve, et ne pouvait être transmis à ses héritiers.
    • Le douaire remplissait plusieurs fonctions :
      • Protection économique de la veuve : il garantissait à la veuve un logement et une source de revenus (par exemple, à travers les loyers ou les produits de la terre) après le décès de son mari. Cela était particulièrement important dans une société où les femmes pouvaient difficilement exercer librement une activité professionnelle.
      • Préserver les biens fonciers dans la famille : en limitant l’usufruit au temps de vie de la veuve, le douaire assurait que les biens fonciers reviendraient aux héritiers directs du défunt, souvent les enfants, après le décès de la veuve. Cela contribuait à maintenir la continuité patrimoniale et économique de la famille.
      • Aspect social et familial : le douaire exprimait également un engagement social et familial, reconnaissant la contribution de la veuve à la famille durant son mariage, et lui assurant une position respectée et sécurisée dans la famille élargie après la mort de son mari.

==> Révolution

Entre 1790 et 1793, plusieurs réformes ont été conduites aux fins de modifier en profondeur le droit des successions. Ces réformes visaient principalement à assurer une égalité des droits entre les citoyens en abolissant les privilèges de la noblesse et du clergé.

Durant cette période, les avantages spécifiquement accordés au conjoint survivant, tels que la « quarte du conjoint pauvre » et le douaire, ont été supprimés. Ces avantages étaient perçus par les révolutionnaires comme des vestiges de l’ancien régime féodal où certains groupes sociaux bénéficiaient de droits supérieurs sur la base de leur statut ou de leur genre.

La suppression de ces droits a eu une incidence directe sur la situation financière des femmes, qui se retrouvaient, au décès de leur mari, sans protection juridique face aux héritiers en ligne directe, les liens du sang présidant à la dévolution successorale.

Cette situation rendait ainsi les veuves totalement dépendantes des dispositions testamentaires ou de la bonne volonté des héritiers.

==> Code Napoléon

Nonobstant les critiques formulées à l’encontre des lois révolutionnaires, le Code civil de 1804 n’a que très peu amélioré le sort du conjoint survivant.

Tout au plus, l’ancien article 767 reconnaissait au conjoint survivant le droit d’hériter des biens du défunt que dans le cas où ce dernier ne laissait aucun parent jusqu’au douzième degré inclus.

Cette disposition révèle une vision des rédacteurs du Code civil de la famille fondée essentiellement sur les liens de sang, où la priorité était donnée à la transmission des biens dans la lignée biologique directe ou collatérale élargie.

À cet égard, la condition posée par l’article 767 était si restrictive qu’elle rendait presque illusoire le droit du conjoint à hériter directement de son époux ou épouse.

En effet, la probabilité qu’il n’existe aucun parent jusqu’au douzième degré était extrêmement faible, ce qui signifie que dans la plupart des cas, le conjoint survivant était effectivement exclu de la succession directe.

En limitant de manière si stricte les droits du conjoint survivant, le Code civil ignorait les besoins de protection et de sécurité économique qui pourraient échoir au conjoint après le décès du défunt, en particulier dans un contexte où les autres formes de soutien social ou familial pouvaient ne pas être disponibles.

Cette approche a été vivement critiquée pour son manque de compassion et de réalisme, étant donné les implications pratiques pour les conjoints survivants souvent laissés dans la précarité. Cette situation, jugée par beaucoup peu satisfaisante, a conduit le législateur à intervenir dès la fin du XIXe siècle.

==> Loi du 9 mars 1891

La loi du 9 mars 1891 constitue une nouvelle étape dans l’évolution du droit des successions, marquant une rupture significative avec les dispositions très restrictives antérieures en matière de droits du conjoint survivant.

Cette loi a introduit un changement profond en reconnaissant le droit d’usufruit du conjoint survivant sur la succession du défunt, ajusté selon la proximité des parents concurrents.

En effet, avant l’adoption de cette loi, le conjoint survivant était largement désavantagé dans la succession, ne recevant des droits que dans des circonstances très limitées.

La loi de 1891 rompt avec l’approche classique en reconnaissant au conjoint survivant une vocation successorale en usufruit, c’est-à-dire le droit d’utiliser et de tirer profit des biens de la succession pendant sa vie, la nue-propriété revenant aux parents par le sang.

L’étendue de l’usufruit octroyé au conjoint survivant dépendait de la proximité des autres héritiers présents dans la succession avec le de cujus.

Plus les parents concurrents étaient éloignés, plus l’usufruit attribué au conjoint était étendu. Ce dispositif réalisait un équilibre entre la protection du conjoint survivant et les droits des héritiers par le sang.

La doctrine souligne que la loi du 9 mars 1891 illustre une évolution de la perception du conjoint survivant dans la famille et la société. Le passage d’une vision où le conjoint est presque un étranger dans la succession à une reconnaissance de son rôle essentiel et de son besoin de protection économique après le décès du défunt marque un changement significatif dans l’approche du législateur.

En offrant un usufruit au conjoint survivant, la loi renforce ainsi la sécurité financière de ce dernier et reconnaît sa contribution à la constitution du patrimoine familial. Cela contribue également à maintenir une certaine continuité dans la gestion des biens familiaux, évitant une rupture brutale qui pourrait survenir si tous les biens étaient transférés immédiatement à d’autres héritiers.

Bien que la loi ait été un progrès notable, elle n’était toutefois pas exempte de critiques. Par exemple, l’usufruit peut parfois créer des tensions entre le conjoint survivant et les héritiers directs, particulièrement quand il s’agit de la gestion ou de la vente des biens. Ces défis ont nécessité des ajustements et des clarifications ultérieures dans la jurisprudence et les lois postérieures.

au cours des siècles suivants, où les législateurs ont progressivement élargi les droits successoraux du conjoint survivant, reconnaissant leur rôle central dans la famille et leur vulnérabilité potentielle en l’absence de leur partenaire.

==> Lois des 3 décembre 1930 et 26 mars 1957

Dans les années 1930, la société française commençait à subir des transformations importantes. La législation en vigueur n’était plus en adéquation aux réalités sociales, notamment en ce qui concerne la protection des conjoints survivants.

C’est dans ce contexte qu’a été adoptée la loi du 3 décembre 1930. Jusqu’à l’adoption de cette loi, le conjoint survivant ne se voyait reconnaître des droits en pleine propriété dans la succession qu’en l’absence de parent successible en degré.

La loi du 3 décembre 1930 a mis fin à cette situation en attribuant au conjoint survivant la moitié de la succession en pleine propriété pour le cas où le défunt laisserait derrière lui des parents ou des collatéraux dans une seule ligne.

La loi du 26 mars 1957, quant à elle, va encore plus loin en attribuant au conjoint survivant :

  • La totalité de la succession en pleine propriété pour le cas où le défunt ne laisserait derrière lui que des collatéraux
  • La moitié de la succession en pleine propriété pour le cas où le défunt laisserait derrière lui des ascendants dans une branche et des collatéraux dans l’autre branche

==> Loi du 3 janvier 1972

Pour mémoire, avant l’adoption de la loi du 3 janvier 1972, les enfants adultérins étaient souvent exclus de la succession ou avaient des droits très limités par rapport aux enfants légitimes.

Cette discrimination était fondée sur des considérations morales et sociales qui distinguaient les enfants selon les circonstances de leur naissance.

La loi du 3 janvier 1972 a aboli ces distinctions, en traitant tous les enfants de manière égale devant la loi, quelle que soit la nature de leur filiation.

En introduisant les enfants adultérins dans l’équation successorale, il en est résulté mécaniquement une augmentation du nombre de prétendants à la succession, ce qui était susceptible d’avoir pour effet de diminuer la part disponible pour le conjoint survivant, surtout dans les familles où les ressources étaient limitées.

Conscient que l’instauration du principe d’égalité des filiations pourrait défavoriser le conjoint survivant dans certaines configurations familiales, le législateur a prévu dans la loi du 3 janvier 1972 un certain nombre de mesures correctrices. L’objectif recherché était de s’assurer que le conjoint ne serait pas indûment lésé par cette nouvelle répartition des droits successoraux.

À cet égard, la loi prend en compte des situations où le conjoint survivant pourrait se retrouver en concurrence avec des enfants adultérins, qui, sans l’adoption de la nouvelle loi, n’auraient peut-être pas participé à la succession. Pour ces cas, des dispositions sont mises en place pour protéger les intérêts économiques et la sécurité du conjoint survivant.

L’ancien article 759 du Code civil, issu de la loi du 3 janvier 1972, disposait ainsi que les enfants naturels dont le père ou la mère était, au temps de leur conception, engagé dans les liens du mariage avec une autre personne, n’excluent pas celle-ci de la succession de leur auteur, lorsque, à leur défaut, elle y eût été appelée.

En pareil cas, ils ne recevront, quel que soit leur nombre, que la moitié de ce qui, en leur absence, aurait été dévolu au conjoint selon les articles précités, le calcul étant fait ligne par ligne.

==> Lois du 3 décembre 2001 et 23 juin 2006

Les lois des 3 décembre 2001 et 23 juin 2006 ont marqué une étape décisive dans l’évolution des droits reconnus au conjoint survivant dans la succession.

Le législateur s’est, ni plus ni moins, fixé pour objectif que de « donner au conjoint survivant des droits qui reflètent la place qu’il occupait dans la vie du défunt ».

La poursuite de cette ambition s’est traduite par le renforcement significatif des droits du conjoint survivant dans la succession.

Désormais, en présence d’enfants communs, le conjoint survivant reçoit, au choix, le quart de la succession en pleine propriété ou la totalité de la succession en usufruit. En présence d’enfants d’un premier lit, le conjoint survivant ne peut prétendre qu’à un quart en pleine propriété.

En l’absence de descendants et en présence des père et mère, le conjoint survivant recueille la moitié de la succession, les trois quarts si un seul survit. Quant aux frère et sœur, le conjoint survivant prime sur ces derniers en cas de concours. Il en va de même en présence d’ascendants ordinaires ou de collatéraux ordinaires.

Outre la part de la succession dévolue au conjoint survivant, il lui est reconnu, sous certaines conditions, un droit viager au logement dans le lieu où le couple avait établi sa résidence principale.

À l’analyse, les réformes opérées par les lois du 3 décembre 2001 et 23 juin 2006 ont instauré une véritable vocation successorale à la faveur du conjoint survivant, celui-ci se voyant octroyer une place de choix dans l’ordre de la dévolution légale.

À cet égard, une section entière du Code civil est consacrée à cette vocation successorale du conjoint survivant, laquelle est désormais régie aux articles 756 à 767.

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