Le Droit dans tous ses états

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Modes de preuve : les écrits ne valant pas preuve parfaite

Contrairement à ce que suggère l’article 1364 du Code civil, l’acte sous seing privé et l’acte authentique ne sont pas les seuls écrits à pouvoir être invoqués comme moyen de preuve.

Il est d’autres formes d’écrits qui peuvent être produits par les plaideurs au soutien de leurs allégations.

Faute de répondre aux exigences de la preuve littérale, ces écrits ne sont toutefois pas admis pour faire la preuve des actes juridiques dont le montant est supérieur à 1.500 euros, sauf à être complétés par des éléments de preuve extrinsèques (art. 1361 C. civ.).

Lorsqu’ils sont admis, notamment pour faire la preuve d’un fait juridique, leur force probante est, en tout état de cause, laissée à l’appréciation du juge auquel il appartient de se fier à son intime conviction.

Au nombre des écrits reçus comme preuve imparfaite, on compte traditionnellement :

  • Les registres et documents professionnels
  • Les registres et papiers domestiques
  • Les mentions libératoires

I) Les registres et documents professionnels

A) L’obligation de tenue de registres et documents professionnels

En application de l’article L. 123-12 du Code de commerce et des articles R. 123-172 et suivants du même Code, pèse sur les commerçants une obligation de tenir un certain nombre de registres et documents de nature comptable.

Il leur appartient notamment d’établir :

  • Un livre-journal dans lequel sont reportées toutes les opérations effectuées quotidiennement
  • Un grand livre qui vise à reprendre les opérations figurant dans le livre-journal et à les répartir en plusieurs catégories
  • Un livre d’inventaire qui répertorie les actifs et les passifs de l’entreprise
  • Un bilan comptable qui permet de rendre compte du patrimoine de l’entreprise
  • Un compte de résultat qui consiste en état financier présentant les revenus, les dépenses et le bénéfice ou la perte de l’entreprise sur une période donnée

Ces différents documents forment la catégorie de ce que l’on appelle les livres de commerce.

L’article L. 123-22 du Code de commerce précise que les documents comptables et leurs pièces justificatives doivent être conservés pendant dix ans à compter de leur clôture.

La raison en est qu’ils doivent pouvoir être produits par le commerçant en cas notamment de contrôle fiscal ou de réquisition émanant d’une autorité. Là n’est pas la seule justification de l’obligation de conservation.

Cette exigence doit également être rapprochée de la règle admettant les livres de commerce comme moyen preuve en cas de litige avec le commerçant.

B) Force probante

Les règles régissant la force probante reconnue aux registres et documents professionnels ne sont pas les mêmes selon que le litige oppose un professionnel à un particulier ou selon qu’il oppose deux professionnels.

1. Les litiges opposant un professionnel à un particulier

La force probante des registres et documents professionnels diffère selon qu’ils sont invoqués contre leur auteur ou par leur auteur

?Les registres et documents professionnels sont produits contre leur auteur

Dans cette hypothèse, l’article 1378 du Code civil prévoit « les registres et documents que les professionnels doivent tenir ou établir ont, contre leur auteur, la même force probante que les écrits sous signature privée […] ».

Ainsi, est-il reconnu aux livres de commerce la même valeur probatoire qu’un écrit, quand bien même ils ne remplissent pas les conditions de la preuve littérale.

Ils font donc foi jusqu’à la preuve du contraire, étant précisé que, en présence d’un acte supérieur à 1500 euros, seule une preuve parfaite (écrit, aveu judiciaire ou serment décisoire) est admise pour établir le contenu de cet acte.

À cet égard, l’article 1378 du Code civil in fine précise que celui qui se prévaut de registres ou documents professionnels « ne peut en diviser les mentions pour n’en retenir que celles qui lui sont favorables. »

Cela signifie qu’il ne saurait se prévaloir des seules mentions servant ses allégations et rejeter celles qui desservent sa cause.

Autrement dit, lorsque des livres de commerce sont produits aux débats ils doivent nécessairement être reçus en bloc par le juge, sans que le demandeur puisse soigneusement sélectionner les fragments du document invoqué lui permettant d’établir son allégation.

De toute évidence, il s’agit là d’une reprise du principe d’indivisibilité qui joue en matière d’aveu judiciaire (art. 1383-2, al. 3 C. civ.).

?Les registres et documents professionnels sont produits par leur auteur

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1329 du Code civil prévoyait que « les registres des marchands ne font point, contre les personnes non marchandes, preuve des fournitures qui y sont portées, sauf ce qui sera dit à l’égard du serment. »

Il s’inférait de cette disposition le principe selon lequel un commerçant était privé de la faculté de produire en justice ses propres livres de commerce à l’encontre d’un particulier.

Pour établir le bien-fondé de ses allégations, il n’avait d’autre choix que de se soumettre aux règles du droit commun de la preuve.

Aussi, en présence d’un acte juridique supérieur à 1500 euros, lui fallait-il produire un mode de preuve parfait.

À l’occasion de la réforme du droit de la preuve opéré par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 la règle énoncée par l’ancien article 1329 du Code civil n’a pas été reprise par le législateur.

Est-ce à dire que qu’il est désormais admis qu’un professionnel puisse se prévaloir des livres de commerce dont il est l’auteur pour faire la preuve contre un particulier ?

Les auteurs s’accordent à dire qu’il n’en est rien. Au soutien de cette thèse, il est avancé que le principe « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même » énoncé par l’article 1363 du Code civil y fait obstacle.

Cette interdiction qui empêche le professionnel d’établir en justice ses allégations au moyen de documents dont il est l’auteur ne jouera toutefois que pour la preuve des actes juridiques. Elle n’a pas vocation à s’appliquer pour la preuve des faits juridiques et plus généralement dans tous les domaines où la preuve est livre.

2. Les litiges entre professionnels

Lorsque le litige oppose deux professionnels, la force probante des registres et documents professionnels n’est pas réglée par l’article 1378 du Code civil qui ne s’applique qu’aux litiges opposant un professionnel à un particulier.

Aussi, est-ce vers l’article L. 123-23 du Code de commerce qu’il convient de se tourner.

Cette disposition distingue selon que la comptabilité du professionnel a été régulièrement ou irrégulièrement tenue :

  • La comptabilité a été régulièrement tenue
    • Dans cette hypothèse, l’article L. 123-23 du Code de commerce prévoit que la comptabilité « peut être admise en justice pour faire preuve entre commerçants pour faits de commerce. »
    • Il ressort de cette disposition que les registres et documents professionnels peuvent être invoqués, tant contre leur auteur, que par leur auteur.
    • Il s’agit là manifestement d’une dérogation au principe « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même ».
    • Il est ainsi admis qu’un professionnel puisse produire en justice sa propre comptabilité au soutien de ses allégations (Cass. com. 21 nov. 2006, n°05-15.128)
    • La Cour de cassation a toutefois rappelé dans un arrêt du 17 novembre 2009 que la force probante des documents produits était soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. com. 17 nov. 2009, n°08-20.957).
  • La comptabilité a été irrégulièrement tenue
    • Dans cette hypothèse l’article L. 123-23 du Code de commerce prévoit que la comptabilité ne peut être invoquée par son auteur à son profit.
    • Aussi, ne pourra-t-elle être produite qu’à l’encontre de ce dernier.

Le dernier alinéa de l’article L. 123-23 du Code de commerce précise enfin que « la communication des documents comptables ne peut être ordonnée en justice que dans les affaires de succession, communauté, partage de société et en cas de redressement ou de liquidation judiciaires. »

II) Les registres et papiers domestiques

Contrairement aux professionnels que plusieurs dispositions du Code de commerce contraignent à tenir un certain nombre de documents et registres de nature comptable, les particuliers ne sont pas assujettis à une telle obligation.

La conséquence en est l’absence de force probante, de principe, des registres et documents qu’ils sont susceptibles de tenir au nombre desquels figurent notamment les notes, journaux, agendas, fichiers informatiques et plus généralement toutes sortes d’écritures faisant état d’opérations juridiques, comptables ou d’événements.

Est-ce à dire que ces documents ne peuvent pas être produits en justice ? Le législateur n’a pas souhaité poser d’interdiction absolue en la matière.

Il a néanmoins cantonné la valeur probatoire reconnue aux registres et papiers dits domestiques, laquelle est régie à l’article 1378-1 du Code civil.

Cette disposition distingue selon que les registres et papiers domestiques sont produits par ou contre leur auteur.

Une troisième hypothèse se dégage de la jurisprudence : le cas où les documents domestiques sont produits dans le cadre d’une succession.

A) Les registres et papiers domestiques produits par leur auteur

?Principe

L’article 1378-1 du Code civil prévoit que « les registres et papiers domestiques ne font pas preuve au profit de celui qui les a écrits. »

Il ressort de cette disposition que les documents tenus par un particulier sont dépourvus de force probante lorsqu’ils sont produits en justice au soutien de ses propres allégations.

Il s’agit là d’une déclinaison du principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même (art. 1363 C. civ.)

?Tempéraments

L’interdiction pour un particulier de verser aux débats les documents domestiques qu’il a lui-même établis ne devrait pas jouer dans les domaines où la preuve est libre.

Par ailleurs, pour la preuve des actes juridiques, conformément à la jurisprudence antérieure, ils devraient valoir malgré toute comme simples indices soumis à l’appréciation des juges du fond.

Ils devraient, autrement dit, pouvoir être invoqués pour compléter un commencement de preuve par écrit.

?Exceptions

Par exception, certaines dispositions du Code civil admettent que l’auteur de registres et papiers domestiques puisse les produire en justice au soutien de ses propres allégations.

L’article 46 du Code civil prévoit, par exemple, que pour les actes d’état civil « lorsqu’il n’aura pas existé de registres, ou qu’ils seront perdus, la preuve en sera reçue tant par titres que par témoins ; et, dans ces cas, les mariages, naissances et décès pourront être prouvés tant par les registres et papiers émanés des pères et mères décédés, que par témoins. »

L’article 1402 du Code civil dispose encore, s’agissant de la preuve devant être rapportée par un époux souhaitant conserver la propriété en propre de la propriété d’un bien que « à défaut d’inventaire ou autre preuve préconstituée, le juge pourra prendre en considération tous écrits, notamment titres de famille, registres et papiers domestiques, ainsi que documents de banque et factures. »

Il est ainsi un certain nombre de dispositions qui reconnaissent aux registres et papiers domestiques une valeur probatoire lorsqu’ils sont produits par leur auteur.

B) Les registres et papiers domestiques produits contre leur auteur

L’article 1378-1 du Code civil prévoit que les registres et papiers domestiques ne peuvent faire preuve contre leur auteur que dans deux situations très spécifiques :

  • Première situation
    • Le texte dit « dans tous les cas où ils énoncent formellement un paiement reçu »
    • Il s’agit autrement dit de l’hypothèse où le document domestique produit contre son auteur mentionne expressément que celui-ci a reçu paiement en sa qualité de créancier.
  • Seconde situation
    • L’article 1378-1 vise l’hypothèse où le document contient la mention expresse que l’écrit a été fait pour suppléer le défaut du titre en faveur de qui ils énoncent une obligation

Dans ces deux situations, les documents domestiques versés aux débats ont la même valeur probatoire qu’un écrit au sens de l’article 1359 du Code civil. Néanmoins, ils ne font foi que jusqu’à preuve du contraire.

En dehors des deux situations visées par l’article 1378-1 du Code civil, conformément à l’article 1362 du Code civil, les registres et papiers domestiques peuvent constituer un commencement de preuve par écrit à la condition :

  • D’une part, qu’ils émanent de celui à qui ils sont opposés
  • D’autre part, qu’ils rendent vraisemblable ce qui est allégué

C) Les registres et papiers domestiques produits postérieurement au décès de leur auteur

La question s’est posée de savoir si l’on devait reconnaître une valeur probatoire aux registres et papiers domestiques établis par une personne décédée.

Cette situation se rencontrera notamment dans le cadre de la liquidation de la succession de cette dernière.

Dans un arrêt du 28 février 2006 la Cour de cassation a jugé que « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’interprétation que la cour d’appel a estimé qu’il ressortait des écrits et papiers domestiques rédigés et tenus par Madeleine de X… Z… que son fils, Charles Hugues, était débiteur envers sa succession des sommes qu’elle lui avait prêtées en plusieurs versements » (Cass. 1ère civ. 28 févr. 2006, n°03-15.306).

L’enseignement qu’il y a lieu de retenir de cette décision, c’est que les documents domestiques établis par une personne décédée ne peuvent valoir tout au plus que comme de simples indices soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond.

III) Les mentions libératoires

La preuve du paiement présente un enjeu majeur, dans la mesure où, en cas de litige, elle détermine le sort de l’obligation dont le débiteur se prétend être déchargée.

En principe, conformément à l’article 1353, al. 2e du Code civil, la charge de la preuve pèse sur le débiteur de l’obligation.

Il est toutefois des textes qui instituent, en certaines circonstances, des présomptions de paiement, ce qui a pour conséquence de renverser la charge de la preuve qui dès lors pèse, non plus sur le débiteur, mais sur le créancier.

Tel est notamment le cas en présence d’une mention apposée sur un titre constatant la créance.

L’article 1378-2 du Code civil prévoit que :

  • D’une part, « la mention d’un paiement ou d’une autre cause de libération portée par le créancier sur un titre original qui est toujours resté en sa possession vaut présomption simple de libération du débiteur. »
  • D’autre part, « il en est de même de la mention portée sur le double d’un titre ou d’une quittance, pourvu que ce double soit entre les mains du débiteur. »

Il ressort de cette disposition que dans l’hypothèse où une mention établissant la libération du débiteur figure, tantôt sur le titre constatant la créance détenue en original par le créancier, tantôt sur le double de ce titre détenu par le débiteur, la charge de la preuve du paiement est inversée.

La mention apposée sur le titre fait, en effet, présumer le paiement de sorte que c’est au créancier qu’il revient d’établir qu’il n’a pas été payé.

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