Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

Modes de preuve: le serment décisoire

?Vue générale

Dans son acception courante le serment se définit comme l’« affirmation ou promesse en prenant à témoin Dieu, ou ce que l’on regarde comme saint, comme divin.»[1].

Le serment présente ainsi la particularité de comporter une dimension spirituelle, sinon divine. À cet égard, le mot « serment » vient du latin « sacramentum », soit la promesse faite en prenant à témoin Dieu, un être ou un objet sacré.

En prêtant serment, le jureur s’en remet en quelque sorte à une puissance supérieure qui, en cas de parjure, est susceptible de lui infliger un châtiment dont les conséquences sont bien plus graves que celles attachées aux lois humaines.

Ce qui se joue avec le serment, c’est, au-delà des sanctions civiles et pénales auxquelles s’expose le jureur, son honneur, sa dignité, sa réputation et, plus encore, selon certaines croyances, son sort après la mort.

Quelles que soient les croyances ou valeurs sur lesquelles repose le serment, comme souligné par un auteur, « le plus petit commun dénominateur du mot serment réside dans l’expression solennelle d’une parole »[2].

Classiquement, on distingue deux sortes de serments : le serment promissoire et le serment probatoire.

  • S’agissant du serment promissoire
    • Le serment promissoire est défini comme « l’engagement de remplir les devoirs de sa charge ou de son état selon les règles déontologiques (serment professionnel des magistrats, avocats, médecins, etc.), soit dans la promesse d’accomplir au mieux l’acte qui est demandé (le témoin juge de dire la vérité, l’expert d’agir avec conscience et objectivité »[3].
    • Ce type de serment vise ainsi à prendre un engagement pour le futur et plus précisément à promettre d’adopter une conduite conforme à celle attendue par l’autorité devant laquelle on prête serment.
  • S’agissant du serment probatoire
    • Le serment probatoire est défini comme « la déclaration par laquelle un plaideur affirme, d’une manière solennelle et devant un juge, la réalité d’un fait qui lui est favorable »[4].
    • Ce serment, qualifié également de judiciaire, se distingue du serment promissoire en ce que consiste, non pas à s’engager pour le futur, mais à attester de la véracité d’un fait passé.

Nous ne nous focaliserons ici que sur le serment probatoire dont l’origine est lointaine.

?Origines du serment probatoire

Le serment est l’un des modes de preuve les plus anciens. Dès l’Antiquité il a été utilisé comme un moyen de résoudre les litiges et d’établir la vérité.

Il a notamment occupé une place importante dans le système judiciaire de la Rome antique. On y distinguait trois sortes de serments probatoires :

  • Le serment nécessaire
    • Celui-ci consistait pour une partie à intimer, au cours du procès, à son adversaire de prêter serment.
    • Le prêteur intervenait alors pour contraindre ce dernier à s’exécuter.
    • S’il prêtait serment, il était réputé de bonne foi, ce qui avait pour effet de rendre irrecevable la prétention du demandeur.
    • Si, au contraire, la partie à laquelle le serment était déféré refusait de se soumettre à l’invitation qui lui était faite il perdait le procès ; d’où le caractère nécessaire du serment.
  • Le serment volontaire
    • Ce serment ne pouvait résulter que d’un pacte conclu entre les parties, lequel pacte pouvait intervenir, tout autant en dehors du procès, qu’au cours de l’instance.
    • La seule exigence était que les parties s’entendent sur le recours à ce mode de preuve.
    • Le serment volontaire avait pour effet de mettre définitivement un terme au litige.
  • Le serment supplétoire
    • En cas d’insuffisance de preuve, le juge avoir le pouvoir de déférer à une partie de prêter serment.
    • Il ne pouvait toutefois être utilisé que pour des actions bien délimitées.

Ce dispositif de preuve, construit autour du serment, a, par suite, été repris au Moyen-Âge, lorsque les juristes ont redécouvert le droit romain.

On connaissait à cette époque trois sortes de serments :

  • Le serment décisoire
    • Il s’agit du serment qui était déféré par une partie à l’autre dans le cadre d’une instance pour en faire dépendre la décision de la cause. Il était analysé comme un pacte, une transaction conclue entre les parties.
  • Le serment supplétoire
    • Il s’agit ici du serment déféré par le juge à une partie. Cette faculté conférée au juge était toutefois enfermée dans des conditions strictes.
  • Le serment purgatoire
    • Il s’agit d’un serment, issu des traditions franques, qui permettait à un plaideur de se disculper d’une accusation lorsque la preuve de son innocence était impossible à rapporter

Bien que le serment comportât sous l’Ancien Régime une dimension éminemment religieuse, ce mode de preuve est reconduit par les rédacteurs du Code civil.

La sécularisation du droit a seulement eu pour effet d’écarter le serment purgatoire du système probatoire.

Le serment décisoire et le serment supplétoire ont quant à eux été introduits dans le Code Napoléon.

?Le serment probatoire dans le Code civil

Le serment comme mode de preuve est régi aux articles 1357 à 1369 du Code civil. Là ne sont pas les seules dispositions qui traitent du serment. Celui-ci est également encadré, pour l’aspect procédural, par les articles 317 à 322 du Code civil.

À la différence de l’aveu, qui a fait l’objet d’une définition à l’occasion de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le serment n’a pas fait l’objet du même traitement.

Pour certains auteurs, il ne s’agit nullement d’un oubli. Pour eux, « la définition générale du serment aurait peut-être été inopportune, puisque ses usages ne se limitent pas au seul terrain probatoire »[5].

Il faut en effet compter avec le serment promissoire qui remplit une fonction totalement étrangère au serment probatoire ; d’où le choix qui a été fait par le législateur

En tout état de cause, ce qui frappe lorsque l’on envisage le serment comme mode de preuve institué par le Code civil, c’est qu’il heurte le principe général d’interdiction de preuve à « soi-même » énoncé par l’article 1363 de ce même Code.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « nul ne peut se constituer de titre à soi-même. »

Cela signifie que pour être recevable, une preuve ne saurait émaner de la partie qui s’en prévaut.

C’est pourtant ce que fait le plaideur auquel le serment est déféré : il affirme un fait qui lui est favorable au soutien de sa propre prétention.

Le serment ne devrait dès lors pas être admis comme mode de preuve. Reste que le législateur en a décidé tout autrement. La raison en est que le serment ne repose plus seulement sur les croyances religieuses des justiciables, qui ne craignent plus désormais d’encourir des sanctions divines.

À une époque où la société s’est laïcisée, le serment repose sur un dispositif de sanctions pénales de nature à dissuader les plaideurs de se parjurer.

À cet égard, l’article 437-17 du Code pénal prévoit que « le faux serment en matière civile est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. »

?Serment décisoire et serment supplétoire

Faute de définir le serment probatoire, l’article 1384 du Code civil énonce les deux sortes de serment admis comme mode de preuve.

Cette disposition prévoit que le serment peut être, soit décisoire, soit supplétoire :

  • Le serment décisoire
    • Il s’agit de celui qu’une partie défère à l’autre pour en faire dépendre le jugement de la cause (art. 1384 C. civ.) :
      • Si le plaideur auquel le serment est déféré accepte le « défi », alors il gagne le procès.
      • Si en revanche, il renonce à prêter serment craignant notamment la sanction attachée au parjure, alors il succombe.
    • La particularité du serment décisoire est qu’il « peut être déféré sur quelque espèce de contestation que ce soit et en tout état de cause. »
    • Autrement dit, il peut intervenir aux fins de prouver, tant un acte juridique, qu’un fait juridique.
    • À cet égard, à l’instar de l’aveu judiciaire, le serment décisoire présente l’avantage de lier le juge à la déclaration du plaideur.
    • Il devra donc tenir pour vrai ce que ce dernier déclare, à tout le moins dès lors la déclaration porte sur un fait personnel, soit d’un fait qu’il a personnellement vécu ou constaté (art. 1385-1 C. civ.).
  • Le serment supplétoire
    • Il s’agit de celui qui est déféré d’office par le juge à l’une ou à l’autre des parties.
    • Contrairement au serment décisoire, le serment supplétoire ne peut pas jouer en toutes matières ; il obéit à des conditions de recevabilité énoncées à l’article 1386-1 du Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « le juge ne peut déférer d’office le serment, soit sur la demande, soit sur l’exception qui y est opposée, que si elle n’est pas pleinement justifiée ou totalement dénuée de preuves. »
    • Autrement dit, le juge ne pourra recourir au serment supplétoire que pour parfaire son intime conviction.
    • Il s’agit, en quelque, sorte d’une mesure d’instruction qui ne peut ni pallier la carence de preuves, ni intervenir pour combattre une preuve parfaite.
    • La recevabilité du serment décision est ainsi conditionnée à la vraisemblance de la prétention qu’il vise à confirmer ou infirmer.
    • Si cette condition est remplie, le juge pourra y recourir afin d’établir la réalité du paiement discutée par les parties.

Nous nous focaliserons ici sur le seul serment décisoire.

I) Économie générale du serment décisoire

A) Mécanisme

Le serment décisoire est présenté par l’article 1384 du Code civil comme celui qui « peut être déféré, à titre décisoire, par une partie à l’autre pour en faire dépendre le jugement de la cause ».

Il s’agit là d’une reprise de la définition qui avait été proposée naguère par Pothier dans son traité des obligations. Cet auteur définissait le serment décisoire comme « celui qu’une partie défère ou réfère à l’autre, pour en faire dépendre la décision de la cause »[6].

Le serment décisoire présente ainsi la particularité de résulter d’un dialogue entre les parties ; il s’analyse plus précisément en une sorte de défi lancé par un plaideur à l’autre.

Pour saisir le mécanisme du serment décisoire, il faut comprendre au préalable sa finalité.

Comme souligné en effet par de nombreux auteurs, le serment décisoire est moins un mode de preuve qu’« un moyen de clore la contestation »[7].

L’article 1385-2 du Code civil prévoit en ce sens que « celui à qui le serment est déféré et qui le refuse ou ne veut pas le référer, ou celui à qui il a été référé et qui le refuse, succombe dans sa prétention. »

Concrètement, un plaideur pourra être tenté de recourir au serment décisoire, lorsque celui-ci ne disposera pas d’éléments de preuve suffisants pour établir ses allégations.

Afin notamment de suppléer l’absence d’écrit dans le système légal, il en appellera alors à la conscience de son adversaire en l’invitant à attester, en prêtant serment, de la véracité des faits qu’il allègue.

Trois options différentes peuvent alors être exercées par la partie à laquelle le serment est déféré :

  • Première option
    • Le plaideur invité à prêter serment peut accepter de jurer que les faits qu’il allègue sont exacts auquel cas il gagne le procès
  • Deuxième option
    • Le plaideur invité à prêter serment refuse d’accéder à la requête de son adversaire, auquel cas il perd le procès
  • Troisième option
    • Le plaideur invité à prêter serment peut décider, au lieu d’accepter ou de refuser de jurer, de référer le serment à la partie qui lui avait déféré, soit de l’inviter à jurer elle-même que le fait qu’elle allègue est vrai ; le débit lui est alors renvoyé.
    • Cette dernière est alors soumise à un choix :
      • Soit elle accepte de prêter serment auquel cas elle gagne le procès
      • Soit elle refuse de jurer auquel cas, elle succombe et perd le procès
    • Dans les deux cas, le procès prend fin : l’issue dépend de la partie à laquelle le serment a été référée.

B) Nature

Classiquement il est admis que le serment décisoire s’analyse en une sorte de transaction, en ce sens qu’une partie propose de renoncer à sa prétention en contrepartie de quoi son adversaire s’engage à prêter serment et jurer que les faits qu’il allègue sont vrais.

Pour François Terré par exemple il s’agit d’« un mode conventionnel de terminaison d’un procès »[8].

D’autres encore définissent le serment décisoire comme « une convention transactionnelle sous condition, aux termes de laquelle le plaideur, qui défère le serment à son adversaire, propose de renoncer à sa prétention si celui-ci affirme l’exactitude de la sienne sous la foi du serment »[9].

Bien que cette analyse semble avoir été retenue par la Cour de cassation dans un ancien arrêt (Cass. civ. 28 févr. 1938) qui voit dans le serment décisoire un véritable accord transactionnel, elle n’est pas à l’abri des critiques.

Il est notamment reproché à cette approche d’être pour le moins « artificielle »[10].

En premier lieu, parce que la transaction est un contrat, elle requiert un échange des consentements entre les parties.

Or peut-on vraiment considérer que cet échange des consentements a lieu en présence d’un serment décisoire ?

La partie à laquelle le serment est déféré n’est pas libre dans la mesure où elle ne saurait ignorer l’offre qui lui est faite et à laquelle elle est contrainte de répondre, faute de quoi elle risque de perdre le procès.

En second lieu, la validité d’une transaction est subordonnée à l’existence de concessions réciproques par les parties.

On peine cependant à identifier quelles sont ces concessions dans le cadre d’un serment décisoire.

La partie qui défère le serment à son adversaire consent certes à renoncer à ses prétentions. Néanmoins, il ne s’agit là pas vraiment d’une concession dans la mesure où elle a tout intérêt à le faire.

Faute, en effet, de disposer des preuves suffisantes pour établir ses allégations le serment lui permettra de pallier cette carence probatoire.

Pour ces deux raisons, nombreux sont les auteurs à soutenir que le serment décisoire s’analyse plutôt en un correctif aux règles de la charge de la preuve.

En principe, c’est la partie sur laquelle pèse la charge de la preuve qui a vocation à perdre le procès lorsque la preuve du fait allégué et contesté n’est pas rapportée.

Le serment constitue alors pour cette dernière l’ultime ressource pour ne pas succomber. Parce qu’elle peut en appeler à la conscience morale de son adversaire, son sort n’est pas définitivement scellé, à tout le moins il ne dépend pas d’une règle de preuve.

C) Domaine

L’article 1385 du Code civil prévoit que « le serment décisoire peut être déféré sur quelque espèce de contestation que ce soit »

Cela signifie qu’il est recevable en toutes matières, ce qui explique pourquoi on le classe parmi les modes de preuve parfaits.

Aussi, peut-il y être recouru pour faire la preuve contre un écrit, y compris dans l’hypothèse où la preuve littérale est exigée.

Par exception, le serment décisoire n’est pas admis « dans les matières portant sur des droits auxquels on n’est pas libre de renoncer »[11].

La raison en est qu’il est analysé par la jurisprudence comme une transaction destinée à mettre fin au litige. Or il est de principe que l’on ne peut pas transiger sur des droits dont on ne peut pas librement disposer, soit plus généralement ceux relevant de l’ordre public.

La doctrine en déduit que le serment décisoire ne peut pas, par exemple, être utilisé en matière de filiation.

L’article 323 du Code civil prévoit en ce sens que « les actions relatives à la filiation ne peuvent faire l’objet de renonciation. »

Plus généralement, le serment décisoire n’est pas admis pour les matières qui intéressent l’état des personnes en raison du principe d’indisponibilité qui préside à ces matières.

II) Conditions du serment décisoire

A) Conditions de fond

1. Conditions tenant aux parties

?Initiative du serment

Il s’infère de l’article 1384 du Code civil que le serment décisoire ne peut être déféré que par les seules parties à l’instance.

La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 19 juillet 1988 en validant la décision entreprise par une Cour d’appel qui avait jugé irrecevable le serment décisoire sollicité par des personnes qui ne justifiait plus de la qualité de partie au procès (Cass. 1ère civ. 19 juill. 1988, n°87-12.054).

Pas plus que les tiers à l’instance, le juge ne peut pas, lui non plus, être à l’initiative du serment.

Dans un arrêt du 26 janvier 1981, la Chambre commerciale a ainsi décidé que « le juge ne peut déférer d’office le serment décisoire, dont la délation relève de la seule initiative des parties » (Cass. com. 26 janv. 1981, n°79-11.091).

?Capacité des parties

Il est admis que pour pouvoir déférer ou refédérer le serment décisoire il faut justifier d’une capacité juridique.

Plus précisément, il faut disposer de la capacité de disposer et plus encore de transiger dans la mesure où le serment décisoire est analysé par la jurisprudence comme un accord transactionnel.

Il en résulte que, ni les mineurs, ni les majeurs protégés ne peuvent avoir recours à ce mode de preuve, sauf à y être autorisés, selon le cas, par le représentant légal, le tuteur, le curateur ou encore le juge des tutelles.

En tout état de cause, il y aura lieu d’observer la règle énoncée à l’article 322 du Code civil qui prévoit que « la personne investie d’un mandat de représentation en justice ne peut déférer ou référer le serment sans justifier d’un pouvoir spécial. ».

À cet égard, ce pouvoir spécial devra être produit y compris par l’avocat représentant une partie à l’instance, nonobstant le mandat ad litem dont il est investi (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 10 juill. 1990, n°88-18.677).

La raison en est la gravité des conséquences qu’emporte le serment décisoire, qui requiert l’autorisation de la partie au nom et pour le compte de laquelle le serment est déféré ou référé.

2. Conditions tenant aux faits objet du serment

?Le serment déféré

L’article 1385-1, al. 1er du Code civil prévoit que le serment ne peut être déféré qu’à la condition qu’il porte sur « un fait personnel » à la partie qui est invitée à jurer.

Par « fait personnel », il faut entendre, selon Demolombe, un fait qui aurait été « accompli par la personne elle-même »[12].

Aussi, ce qui est attendu de la partie à laquelle le serment est déféré ce n’est pas qu’elle exprime sa croyance sur la crédulité des faits qui lui sont opposés, mais qu’elle jure savoir ces faits vrais, car les ayant accomplis ou constatés personnellement.

C’est la raison pour laquelle l’article 317, al. 1er du Code de procédure civile exige que « la partie qui défère le serment énonce les faits sur lesquels elle le défère ».

Reste qu’une question se pose : dans la mesure où le serment décisoire doit nécessairement porter un fait personnel à la partie à laquelle il est déféré, est-ce à dire qu’il ne sera pas admis en présence d’ayants cause, soit d’un héritier ou d’un légataire ?

Dans la mesure où, par hypothèse, ils n’ont pas personnellement accompli ou constaté les faits litigieux, ils ne devraient pas pouvoir prêter serment.

L’ancien article 2275, al. 2e du Code civil dérogeait pourtant à cette interdiction en prévoyant, en matière de prescription présomptive de paiement, que « le serment pourra être déféré aux veuves et héritiers, ou aux tuteurs de ces derniers, s’ils sont mineurs, pour qu’ils aient à déclarer s’ils ne savent pas que la chose soit due. »

En dehors de cette exception qui n’a pas été reconduite par le législateur lors de l’adoption de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, il y a lieu de considérer que les ayants cause de la partie à laquelle le serment aurait pu être déféré ne peuvent pas prêter serment à sa place.

En revanche, la Cour de cassation a admis que le serment déféré à une personne morale soit fait par le représentant légal de cette dernière.

Dans un arrêt du 22 novembre 1972, la Cour de cassation a ainsi approuvé une Cour d’appel qui avait jugé que « s’agissant du serment déféré a une personne morale, celui-ci ne pouvait l’être qu’au représentant légal de celle-ci, c’est-à-dire à son président-directeur général en exercice » (Cass. com. 22 nov. 1972, n°71-10.574).

Cette solution a été réitérée plus récemment dans un arrêt du 20 octobre 2009, aux termes duquel la Haute juridiction a décidé sensiblement dans les mêmes termes que « le serment décisoire, qui peut être déféré à une personne morale, ne peut être prêté que par son représentant légal en exercice » (Cass. com. 20 oct. 2009, n°06-16.852).

Dans un arrêt du 10 février 1987, la Chambre commerciale a précisé que le représentant légal pouvait, à cet égard, prêter serment pour des faits qu’il n’aurait pas accomplis ou constatés personnellement mais qui seraient liés à une personne dont répond la personne morale tel qu’un salarié (Cass. com. 10 févr. 1987, n°85-18.186).

?Le serment référé

L’article 1385-1, al. 2e du Code civil prévoit que le serment décisoire « peut être référé par [la partie à laquelle on le défère], à moins que le fait qui en est l’objet ne lui soit purement personnel. »

Cela signifie que le serment ne peut être référé qu’à la condition qu’il porte sur un fait commun aux deux parties, soit un fait qu’elles ont toutes deux personnellement accompli ou constaté.

Comme souligné par un auteur, cette exigence vise à exiger « du plaideur destinataire de la délation ou de la relation du serment qu’il assume pleinement ses responsabilités et s’expose aux peines prévues par la loi à l’encontre de l’auteur d’un faux serment »[13].

Or il ne pourra être placé dans cette situation de responsabilité que si le fait sur lequel il invite son adversaire à se prononcer lui est personnel.

Ainsi, tandis que le serment déféré peut porter sur un fait purement personnel à la partie qui en est destinataire, le serment référé doit, quant à lui, pour être recevable, nécessairement porter sur un fait commun aux deux parties.

B) Conditions de forme

Étonnamment, les textes ne prescrivent aucune forme particulière devant être observée par la partie qui défère ou réfère le serment à son adversaire.

Il est néanmoins trois conditions qui sont néanmoins classiquement admises :

  • Le prononcé de la formule juratoire
    • Pour produire ses effets, le serment requiert le prononcé de la formule juratoire (V. en ce sens Cass. civ. 3 mars 1846).
    • Autrement dit, doit être exprimée à l’oral ou à l’écrit la formule « je le jure » ou « je jure ».
    • À cet égard, il est admis que cette formule juratoire fasse l’objet de certains aménagements pour des raisons de croyances religieuses de la partie qui prête serment (Cass. crim. 6 mai 1987, n°86-95.871).
    • Le juge ne pourra pas, en revanche, exiger que la formule juratoire soit accompagnée de gestes ou de paroles complémentaires (lever la main droite, formule sacramentelle etc.), ni prononcée dans un lieu de culte.
  • Énoncé des faits litigieux
    • L’article 317 du Code civil prévoit que « la partie qui défère le serment énonce les faits sur lesquels elle le défère. »
    • Ainsi, la partie qui a recours au serment doit exposer avec clarté et précision les faits sur la base desquels son adversaire est invitée à jurer (V. en ce sens Cass. soc. 24 févr. 1961).
    • L’objectif recherché par cette règle est de prévenir toute ambiguïté quant à la nature et au périmètre des faits sur lesquels porte le serment.
  • Réponse à la question posée
    • La jurisprudence exige que la partie à laquelle le serment est déféré ou référé « réponde exactement à la question posée » (Cass. soc. 29 nov. 1973, n°73-40.079).
    • Aussi, cette dernière ne saurait répondre à côté ou dans des termes imprécis, évasifs ou ambigus.
    • En pareil cas, le serment sera réputé avoir été refusé (Cass. 1ère civ. 24 nov. 1987, n°86-387).
    • La partie qui donc ne répond en des termes identiques, à tout le moins conformes, à la question posée s’expose ni plus ni moins à perdre le procès.

C) Conditions procédurales

?Juridictions devant lesquelles le serment est admis

Le serment est admis devant toutes les juridictions civiles du fond, mais également devant les juridictions arbitrales.

En revanche, comme souligné les auteurs il est ne peut pas être recouru devant les juridictions administratives.

Il est par ailleurs exclu devant le juge civil des référés. La raison en est que ce dernier statut au provisoire.

Or le serment décisoire emporte des conséquences définitives, ce qui le rend dès lors incompatible avec une procédure de référé.

?Le moment du serment au cours de l’instance

L’article 1385 du Code civil prévoit que le serment décisoire peut être déféré « en tout état de cause ».

Cela signifie que le serment peut être déféré par une partie à l’autre à n’importe quel moment au cours de l’instance.

Il peut par ailleurs être déféré pour la première fois en cause d’appel.

?Modalités de prestation du serment

Lorsqu’un serment décisoire est déféré à une partie, deux séries de conditions doivent être remplies qui tiennent à la décision autorisant le serment et à la présence des parties à l’audience.

  • Sur la décision autorisant le serment décisoire
    • L’article 319 du Code de procédure civile prévoit que le jugement qui ordonne le serment fixe les jour, heure et lieu où celui-ci sera reçu.
    • Il doit ensuite :
      • D’une part, formuler la question soumise au serment
      • D’autre part, indiquer que le faux serment expose son auteur à des sanctions pénales.
    • À cet égard, lorsque le serment est déféré par une partie, le jugement doit préciser que la partie à laquelle le serment est déféré succombera dans sa prétention si elle refuse de le prêter et s’abstient de le référer.
    • Dans tous les cas, le jugement doit être notifié à la partie à laquelle le serment est déféré ainsi que, s’il y a lieu, à son mandataire.
  • L’exigence de présence des parties à l’audience
    • L’article 321 du Code de procédure civile prévoit que « le serment est fait par la partie en personne et à l’audience. »
    • Ainsi, le serment requiert nécessairement la présence de la partie qui prête serment.
    • Si toutefois, précise le texte, cette dernière justifie qu’elle est dans l’impossibilité de se déplacer, le serment peut être prêté :
      • Soit devant un juge commis à cet effet qui se transporte, assisté du greffier, chez la partie
      • Soit devant le tribunal du lieu de sa résidence.
    • En tout état de cause, le serment doit être fait en présence de l’autre partie ou celle-ci appelée.
    • Aussi, résulte-t-il des dispositions de l’article 321 du Code civil que la présence de toutes les parties à l’instance est requise pour la prestation du serment.

?Rôle du juge

S’il est fait interdiction au juge d’être à l’initiative du serment décisoire, laquelle initiative relève du monopole des seules parties à l’instance, il a en revanche le pouvoir d’apprécier son admissibilité.

L’article 317, al. 2e du Code de procédure civile prévoit en ce sens que « le juge ordonne le serment s’il est admissible et retient les faits pertinents sur lesquels il sera reçu. »

Ainsi le juge devra déterminer si les conditions pour que le serment décisoire soit déféré ou référé par une partie à l’autre sont remplies.

Le contrôle opéré par le juge n’est pas seulement formel dans la mesure où le texte lui commande de vérifier que faits sur lesquels le serment sera reçu sont « pertinents ».

Cette exigence doit être lue en contemplation de l’article 1384 du Code civil qui conditionne le recours au serment décisoire aux effets recherchés par la partie qui en est à l’initiative.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que le serment ne peut être déféré à titre décisoire par une partie à l’autre que « pour en faire dépendre le jugement de la cause ».

C’est donc à la vérification de cette exigence que devra tout particulièrement s’attacher le juge. Il doit s’assurer que le fait sur lequel le serment est déféré est décisif et déterminant quant à l’issue du procès.

Cette exigence se comprend aisément si l’on se remémore la finalité du serment décisoire qui est précisément de mettre fin au litige.

S’agissant du contrôle par le juge de la pertinence des faits sur lesquels le serment est reçu, ce dernier est investi d’un pouvoir souverain d’appréciation.

Dans un arrêt du 10 mars 1999, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « si le serment décisoire peut être déféré sur quelque contestation que ce soit, il appartient aux juges du fond, à la seule condition de motiver leur décision sur ce point, d’apprécier si cette mesure est ou non nécessaire » (Cass. 3e civ. 10 mars 1999, n°97-15.474).

Ainsi, le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation de la nécessité pour une partie de recourir au serment décisoire, lequel n’est donc pas de droit. Il lui appartient toutefois de motiver sa décision quel qu’en soit le sens (Cass. soc. 17 nov. 1983, n°81-40.896).

III) Mise en œuvre du serment décisoire

Lorsque le serment décisoire est déféré par une partie à l’autre, il est trois situations qui sont susceptibles de se présenter :

  • Première situation
    • La partie à laquelle le serment est déféré peut accepter de jurer que les faits qu’elle allègue sont vrais
    • Dans cette hypothèse, elle gagne alors le procès.
    • L’article 1385-3 du Code civil prévoit en ce sens que « lorsque le serment déféré ou référé a été fait, l’autre partie n’est pas admise à en prouver la fausseté. »
    • Par ailleurs, il peut être observé que, en application de l’article 1385-3 du Code civil, la partie qui a déféré le serment « ne peut plus se rétracter lorsque l’autre partie a déclaré qu’elle est prête à faire ce serment ».
  • Deuxième situation
    • La partie à laquelle le serment est déféré refuse de jurer que les faits allégués sont exacts.
    • Dans cette hypothèse, elle succombe dans sa prétention (art. 1385-2 C. civ.).
    • À cet égard, il est admis que le refus de prêter serment puisse être implicite.
    • Ce refus pourra notamment résulter du comportement du plaideur consistant à ne pas répondre à la question posée ou à ne pas se présenter à l’audience.
  • Troisième situation
    • La partie à laquelle le serment est déféré peut opter, plutôt que d’accepter ou de refuser de prêter serment, d’emprunter une troisième voie.
    • Cette voie consistera à référer le serment à la partie qui en est à l’initiative et de l’inviter à jurer elle-même que ses allégations sont exactes.
    • L’équation pour cette dernière est alors simple :
      • Soit elle accepte de jurer auquel cas elle gagne le procès
      • Soit elle refuse de prêter serment auquel cas elle succombe
    • En tout état de cause, le dialogue entre les parties s’arrête nécessairement ici, le plaideur auquel le serment est référé ne pouvant pas le référer à son tour à son adversaire.
    • Par ailleurs, comme pour le cas où le serment est déféré, la partie qui a référé le serment « ne peut plus se rétracter », dès lors que l’autre partie a déclaré qu’elle consentait à prêter serment (art. 1385-3 C. civ.).

IV) Effets du serment décisoire

A) Effet probatoire

Dès lors que le juge a admis le recours au serment décisoire, il s’impose à lui en ce sens qu’il devra trancher le litige conformément à l’allégation soutenue par la partie qui a accepté de prêter serment.

Aussi, le juge ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation en la matière ; il devra tenir pour vrai les faits reçus par serment.

À l’inverse si la partie à laquelle le serment a été déféré ou référé refuse de jurer, le juge devra en tirer toutes les conséquences et donc acter que cette dernière a perdu le procès.

B) Effet décisoire

C’est là l’un des avantages majeurs sinon décisifs du serment décisoire : il a pour effet de mettre fin au procès.

Cet effet attaché au serment décisoire résulte :

  • D’une part, de l’article 1385-2 du Code civil qui prévoit que « celui à qui le serment est déféré et qui le refuse ou ne veut pas le référer, ou celui à qui il a été référé et qui le refuse, succombe dans sa prétention. »
  • D’autre part, de l’article 1385-3 du Code civil qui prévoit que « lorsque le serment déféré ou référé a été fait, l’autre partie n’est pas admise à en prouver la fausseté. »

Ainsi, quel que soit le choix fait par la partie à laquelle le serment est déféré ou référé, le litige prend fin puisque :

  • Soit elle succombe dans sa prétention, auquel cas le procès s’arrête (art. 1385-2 C. civ.)
  • Soit son allégation est insusceptible d’être remise en cause par son adversaire, de sorte que le juge n’aura d’autre choix que de trancher le litige en sa faveur (art. 1385-3 C. civ.)

V) Portée du serment décisoire

L’article 1385-4, al. 1er du Code civil prévoit que « le serment ne fait preuve qu’au profit de celui qui l’a déféré et de ses héritiers et ayants cause, ou contre eux. »

Cela signifie, autrement dit, que le serment décisoire, à l’instar de l’aveu judiciaire, ne fait pas foi à l’égard des tiers auxquels il est donc inopposable ; sauf tempéraments envisagés aux alinéas suivants du texte :

  • Le serment déféré par l’un des créanciers solidaires au débiteur ne libère celui-ci que pour la part de ce créancier (al. 2e)
  • Le serment déféré au débiteur principal libère également les cautions (al. 3e)
  • Celui déféré à l’un des débiteurs solidaires profite aux codébiteurs (al. 4e)
  • Celui déféré à la caution profite au débiteur principal (al. 5e)

Dans ces deux derniers cas, le serment du codébiteur solidaire ou de la caution ne profite aux autres codébiteurs ou au débiteur principal que lorsqu’il a été déféré sur la dette, et non sur le fait de la solidarité ou du cautionnement.

  1. Dictionnaire Littré ?
  2. D. Guével, « Preuve par serment », JurisClasseur, Code civil, art. 1384 à 1386-1, n°2 ?
  3. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1825, p. 625 ?
  4. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°660, p. 635. ?
  5. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1273, p. 1121. ?
  6. R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz, 2011, n°912, p. 439 ?
  7. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°662, p. 636. ?
  8. F. Terré, Droit civil – Introduction générale au droit, Dalloz, 2015, n° 698, p. 552. ?
  9. H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, Sirey, 1991, t. 3, n°990. ?
  10. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°662, p. 636. ?
  11. H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud et Fr. Chabas, Leçons de droit civil, Introduction à l’étude du droit, Montchrestien, 2000, t. 1er, 1er vol., n° 429, p. 615. ?
  12. C. Demolombe, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, t. 6, 1876, n°604. ?
  13. G. Lardeux, « Preuve : modes de preuve », Dalloz, Rép, n°239 ?

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