Le Droit dans tous ses états

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Les conditions du serment décisoire

Le serment décisoire est présenté par l’article 1384 du Code civil comme celui qui « peut être déféré, à titre décisoire, par une partie à l’autre pour en faire dépendre le jugement de la cause ».

Il s’agit là d’une reprise de la définition qui avait été proposée naguère par Pothier dans son traité des obligations. Cet auteur définissait le serment décisoire comme « celui qu’une partie défère ou réfère à l’autre, pour en faire dépendre la décision de la cause »[6].

Le serment décisoire présente ainsi la particularité de résulter d’un dialogue entre les parties ; il s’analyse plus précisément en une sorte de défi lancé par un plaideur à l’autre.

Pour saisir le mécanisme du serment décisoire, il faut comprendre au préalable sa finalité.

Comme souligné en effet par de nombreux auteurs, le serment décisoire est moins un mode de preuve qu’« un moyen de clore la contestation »[7].

L’article 1385-2 du Code civil prévoit en ce sens que « celui à qui le serment est déféré et qui le refuse ou ne veut pas le référer, ou celui à qui il a été référé et qui le refuse, succombe dans sa prétention. »

Concrètement, un plaideur pourra être tenté de recourir au serment décisoire, lorsque celui-ci ne disposera pas d’éléments de preuve suffisants pour établir ses allégations.

Afin notamment de suppléer l’absence d’écrit dans le système légal, il en appellera alors à la conscience de son adversaire en l’invitant à attester, en prêtant serment, de la véracité des faits qu’il allègue.

Plusieurs conditions doivent néanmoins être réunies pour recourir au serment décisoire.

I) Conditions de fond

A) Conditions tenant aux parties

?Initiative du serment

Il s’infère de l’article 1384 du Code civil que le serment décisoire ne peut être déféré que par les seules parties à l’instance.

La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 19 juillet 1988 en validant la décision entreprise par une Cour d’appel qui avait jugé irrecevable le serment décisoire sollicité par des personnes qui ne justifiait plus de la qualité de partie au procès (Cass. 1ère civ. 19 juill. 1988, n°87-12.054).

Pas plus que les tiers à l’instance, le juge ne peut pas, lui non plus, être à l’initiative du serment.

Dans un arrêt du 26 janvier 1981, la Chambre commerciale a ainsi décidé que « le juge ne peut déférer d’office le serment décisoire, dont la délation relève de la seule initiative des parties » (Cass. com. 26 janv. 1981, n°79-11.091).

?Capacité des parties

Il est admis que pour pouvoir déférer ou refédérer le serment décisoire il faut justifier d’une capacité juridique.

Plus précisément, il faut disposer de la capacité de disposer et plus encore de transiger dans la mesure où le serment décisoire est analysé par la jurisprudence comme un accord transactionnel.

Il en résulte que, ni les mineurs, ni les majeurs protégés ne peuvent avoir recours à ce mode de preuve, sauf à y être autorisés, selon le cas, par le représentant légal, le tuteur, le curateur ou encore le juge des tutelles.

En tout état de cause, il y aura lieu d’observer la règle énoncée à l’article 322 du Code civil qui prévoit que « la personne investie d’un mandat de représentation en justice ne peut déférer ou référer le serment sans justifier d’un pouvoir spécial. ».

À cet égard, ce pouvoir spécial devra être produit y compris par l’avocat représentant une partie à l’instance, nonobstant le mandat ad litem dont il est investi (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 10 juill. 1990, n°88-18.677).

La raison en est la gravité des conséquences qu’emporte le serment décisoire, qui requiert l’autorisation de la partie au nom et pour le compte de laquelle le serment est déféré ou référé.

B) Conditions tenant aux faits objet du serment

?Le serment déféré

L’article 1385-1, al. 1er du Code civil prévoit que le serment ne peut être déféré qu’à la condition qu’il porte sur « un fait personnel » à la partie qui est invitée à jurer.

Par « fait personnel », il faut entendre, selon Demolombe, un fait qui aurait été « accompli par la personne elle-même »[12].

Aussi, ce qui est attendu de la partie à laquelle le serment est déféré ce n’est pas qu’elle exprime sa croyance sur la crédulité des faits qui lui sont opposés, mais qu’elle jure savoir ces faits vrais, car les ayant accomplis ou constatés personnellement.

C’est la raison pour laquelle l’article 317, al. 1er du Code de procédure civile exige que « la partie qui défère le serment énonce les faits sur lesquels elle le défère ».

Reste qu’une question se pose : dans la mesure où le serment décisoire doit nécessairement porter un fait personnel à la partie à laquelle il est déféré, est-ce à dire qu’il ne sera pas admis en présence d’ayants cause, soit d’un héritier ou d’un légataire ?

Dans la mesure où, par hypothèse, ils n’ont pas personnellement accompli ou constaté les faits litigieux, ils ne devraient pas pouvoir prêter serment.

L’ancien article 2275, al. 2e du Code civil dérogeait pourtant à cette interdiction en prévoyant, en matière de prescription présomptive de paiement, que « le serment pourra être déféré aux veuves et héritiers, ou aux tuteurs de ces derniers, s’ils sont mineurs, pour qu’ils aient à déclarer s’ils ne savent pas que la chose soit due. »

En dehors de cette exception qui n’a pas été reconduite par le législateur lors de l’adoption de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, il y a lieu de considérer que les ayants cause de la partie à laquelle le serment aurait pu être déféré ne peuvent pas prêter serment à sa place.

En revanche, la Cour de cassation a admis que le serment déféré à une personne morale soit fait par le représentant légal de cette dernière.

Dans un arrêt du 22 novembre 1972, la Cour de cassation a ainsi approuvé une Cour d’appel qui avait jugé que « s’agissant du serment déféré a une personne morale, celui-ci ne pouvait l’être qu’au représentant légal de celle-ci, c’est-à-dire à son président-directeur général en exercice » (Cass. com. 22 nov. 1972, n°71-10.574).

Cette solution a été réitérée plus récemment dans un arrêt du 20 octobre 2009, aux termes duquel la Haute juridiction a décidé sensiblement dans les mêmes termes que « le serment décisoire, qui peut être déféré à une personne morale, ne peut être prêté que par son représentant légal en exercice » (Cass. com. 20 oct. 2009, n°06-16.852).

Dans un arrêt du 10 février 1987, la Chambre commerciale a précisé que le représentant légal pouvait, à cet égard, prêter serment pour des faits qu’il n’aurait pas accomplis ou constatés personnellement mais qui seraient liés à une personne dont répond la personne morale tel qu’un salarié (Cass. com. 10 févr. 1987, n°85-18.186).

?Le serment référé

L’article 1385-1, al. 2e du Code civil prévoit que le serment décisoire « peut être référé par [la partie à laquelle on le défère], à moins que le fait qui en est l’objet ne lui soit purement personnel. »

Cela signifie que le serment ne peut être référé qu’à la condition qu’il porte sur un fait commun aux deux parties, soit un fait qu’elles ont toutes deux personnellement accompli ou constaté.

Comme souligné par un auteur, cette exigence vise à exiger « du plaideur destinataire de la délation ou de la relation du serment qu’il assume pleinement ses responsabilités et s’expose aux peines prévues par la loi à l’encontre de l’auteur d’un faux serment »[13].

Or il ne pourra être placé dans cette situation de responsabilité que si le fait sur lequel il invite son adversaire à se prononcer lui est personnel.

Ainsi, tandis que le serment déféré peut porter sur un fait purement personnel à la partie qui en est destinataire, le serment référé doit, quant à lui, pour être recevable, nécessairement porter sur un fait commun aux deux parties.

II) Conditions de forme

Étonnamment, les textes ne prescrivent aucune forme particulière devant être observée par la partie qui défère ou réfère le serment à son adversaire.

Il est néanmoins trois conditions qui sont néanmoins classiquement admises :

  • Le prononcé de la formule juratoire
    • Pour produire ses effets, le serment requiert le prononcé de la formule juratoire (V. en ce sens Cass. civ. 3 mars 1846).
    • Autrement dit, doit être exprimée à l’oral ou à l’écrit la formule « je le jure » ou « je jure ».
    • À cet égard, il est admis que cette formule juratoire fasse l’objet de certains aménagements pour des raisons de croyances religieuses de la partie qui prête serment (Cass. crim. 6 mai 1987, n°86-95.871).
    • Le juge ne pourra pas, en revanche, exiger que la formule juratoire soit accompagnée de gestes ou de paroles complémentaires (lever la main droite, formule sacramentelle etc.), ni prononcée dans un lieu de culte.
  • Énoncé des faits litigieux
    • L’article 317 du Code civil prévoit que « la partie qui défère le serment énonce les faits sur lesquels elle le défère. »
    • Ainsi, la partie qui a recours au serment doit exposer avec clarté et précision les faits sur la base desquels son adversaire est invitée à jurer (V. en ce sens Cass. soc. 24 févr. 1961).
    • L’objectif recherché par cette règle est de prévenir toute ambiguïté quant à la nature et au périmètre des faits sur lesquels porte le serment.
  • Réponse à la question posée
    • La jurisprudence exige que la partie à laquelle le serment est déféré ou référé « réponde exactement à la question posée » (Cass. soc. 29 nov. 1973, n°73-40.079).
    • Aussi, cette dernière ne saurait répondre à côté ou dans des termes imprécis, évasifs ou ambigus.
    • En pareil cas, le serment sera réputé avoir été refusé (Cass. 1ère civ. 24 nov. 1987, n°86-387).
    • La partie qui donc ne répond en des termes identiques, à tout le moins conformes, à la question posée s’expose ni plus ni moins à perdre le procès.

III) Conditions procédurales

?Juridictions devant lesquelles le serment est admis

Le serment est admis devant toutes les juridictions civiles du fond, mais également devant les juridictions arbitrales.

En revanche, comme souligné les auteurs il est ne peut pas être recouru devant les juridictions administratives.

Il est par ailleurs exclu devant le juge civil des référés. La raison en est que ce dernier statut au provisoire.

Or le serment décisoire emporte des conséquences définitives, ce qui le rend dès lors incompatible avec une procédure de référé.

?Le moment du serment au cours de l’instance

L’article 1385 du Code civil prévoit que le serment décisoire peut être déféré « en tout état de cause ».

Cela signifie que le serment peut être déféré par une partie à l’autre à n’importe quel moment au cours de l’instance.

Il peut par ailleurs être déféré pour la première fois en cause d’appel.

?Modalités de prestation du serment

Lorsqu’un serment décisoire est déféré à une partie, deux séries de conditions doivent être remplies qui tiennent à la décision autorisant le serment et à la présence des parties à l’audience.

  • Sur la décision autorisant le serment décisoire
    • L’article 319 du Code de procédure civile prévoit que le jugement qui ordonne le serment fixe les jour, heure et lieu où celui-ci sera reçu.
    • Il doit ensuite :
      • D’une part, formuler la question soumise au serment
      • D’autre part, indiquer que le faux serment expose son auteur à des sanctions pénales.
    • À cet égard, lorsque le serment est déféré par une partie, le jugement doit préciser que la partie à laquelle le serment est déféré succombera dans sa prétention si elle refuse de le prêter et s’abstient de le référer.
    • Dans tous les cas, le jugement doit être notifié à la partie à laquelle le serment est déféré ainsi que, s’il y a lieu, à son mandataire.
  • L’exigence de présence des parties à l’audience
    • L’article 321 du Code de procédure civile prévoit que « le serment est fait par la partie en personne et à l’audience. »
    • Ainsi, le serment requiert nécessairement la présence de la partie qui prête serment.
    • Si toutefois, précise le texte, cette dernière justifie qu’elle est dans l’impossibilité de se déplacer, le serment peut être prêté :
      • Soit devant un juge commis à cet effet qui se transporte, assisté du greffier, chez la partie
      • Soit devant le tribunal du lieu de sa résidence.
    • En tout état de cause, le serment doit être fait en présence de l’autre partie ou celle-ci appelée.
    • Aussi, résulte-t-il des dispositions de l’article 321 du Code civil que la présence de toutes les parties à l’instance est requise pour la prestation du serment.

?Rôle du juge

S’il est fait interdiction au juge d’être à l’initiative du serment décisoire, laquelle initiative relève du monopole des seules parties à l’instance, il a en revanche le pouvoir d’apprécier son admissibilité.

L’article 317, al. 2e du Code de procédure civile prévoit en ce sens que « le juge ordonne le serment s’il est admissible et retient les faits pertinents sur lesquels il sera reçu. »

Ainsi le juge devra déterminer si les conditions pour que le serment décisoire soit déféré ou référé par une partie à l’autre sont remplies.

Le contrôle opéré par le juge n’est pas seulement formel dans la mesure où le texte lui commande de vérifier que faits sur lesquels le serment sera reçu sont « pertinents ».

Cette exigence doit être lue en contemplation de l’article 1384 du Code civil qui conditionne le recours au serment décisoire aux effets recherchés par la partie qui en est à l’initiative.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que le serment ne peut être déféré à titre décisoire par une partie à l’autre que « pour en faire dépendre le jugement de la cause ».

C’est donc à la vérification de cette exigence que devra tout particulièrement s’attacher le juge. Il doit s’assurer que le fait sur lequel le serment est déféré est décisif et déterminant quant à l’issue du procès.

Cette exigence se comprend aisément si l’on se remémore la finalité du serment décisoire qui est précisément de mettre fin au litige.

S’agissant du contrôle par le juge de la pertinence des faits sur lesquels le serment est reçu, ce dernier est investi d’un pouvoir souverain d’appréciation.

Dans un arrêt du 10 mars 1999, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « si le serment décisoire peut être déféré sur quelque contestation que ce soit, il appartient aux juges du fond, à la seule condition de motiver leur décision sur ce point, d’apprécier si cette mesure est ou non nécessaire » (Cass. 3e civ. 10 mars 1999, n°97-15.474).

Ainsi, le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation de la nécessité pour une partie de recourir au serment décisoire, lequel n’est donc pas de droit. Il lui appartient toutefois de motiver sa décision quel qu’en soit le sens (Cass. soc. 17 nov. 1983, n°81-40.896).

  1. Dictionnaire Littré ?
  2. D. Guével, « Preuve par serment », JurisClasseur, Code civil, art. 1384 à 1386-1, n°2 ?
  3. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1825, p. 625 ?
  4. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°660, p. 635. ?
  5. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1273, p. 1121. ?
  6. R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz, 2011, n°912, p. 439 ?
  7. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°662, p. 636. ?
  8. F. Terré, Droit civil – Introduction générale au droit, Dalloz, 2015, n° 698, p. 552. ?
  9. H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, Sirey, 1991, t. 3, n°990. ?
  10. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°662, p. 636. ?
  11. H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud et Fr. Chabas, Leçons de droit civil, Introduction à l’étude du droit, Montchrestien, 2000, t. 1er, 1er vol., n° 429, p. 615. ?
  12. C. Demolombe, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, t. 6, 1876, n°604. ?
  13. G. Lardeux, « Preuve : modes de preuve », Dalloz, Rép, n°239 ?

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