Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

L’irrévocabilité de l’aveu judiciaire

1. Principe

L’article 1383-2 du Code civil prévoit que l’aveu judiciaire est « irrévocable. »

Ainsi, le plaideur qui se livre à un aveu dans le cadre d’une instance judiciaire ne peut plus revenir sur sa déclaration.

La raison en est que l’aveu s’analyse en un acte unilatéral, à tout le moins telle est la justification apportée par la Cour de cassation à la règle.

Dans un arrêt du 26 janvier 1972 elle a en effet jugé que « l’aveu judiciaire est un acte unilatéral et qu’il ne peut être révoqué que s’il a été la suite d’une erreur de fait prouvée » (Cass. 3e civ. 26 janv. 1972, n°70-13.603).

Les actes unilatéraux présentent la particularité de produire leurs effets à réception par leur destinataire. Cela explique pourquoi lorsqu’un aveu est reçu par un juge, l’avouant ne peut plus se rétracter. L’aveu a produit ses effets juridiques au moment même où il a été porté à la connaissance du juge.

À cet égard, il est indifférent que le plaideur souhaitant revenir sur son aveu soutienne n’avoir pas mesuré les conséquences juridiques de sa déclaration ; elle est irrévocable, sauf à établir une erreur de fait.

2. Exception

?La révocation de l’aveu résultant d’une erreur de fait

Le principe d’irrévocabilité de l’aveu judiciaire n’est pas sans limite ; il souffre d’une exception.

L’article 1383-2 du Code civil prévoit en effet que l’aveu judiciaire est irrévocable « sauf en cas d’erreur de fait ». Cette règle est exprimée par l’adage « non fatetour qui errat », soit littéralement n’avoue pas qui se trompe.

À la différence de la formule latine héritée du droit romain, il peut être observé que l’article 1383-2 du Code civil cantonne l’exception au principe d’irrévocabilité de l’aveu judiciaire aux seules erreurs de faits, par opposition aux erreurs de droit.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « erreur de fait ».

À l’analyse, l’erreur de fait consiste pour l’avouant à se méprendre sur la réalité des faits qu’il a avoués. Autrement dit, il a envisagé le fait litigieux différemment de ce qu’il était réellement.

Pour exemple, il a été admis qu’un plaideur puisse se revenir sur ses déclarations parce qu’il « avait confondu des factures étrangères au litige avec celles dont le paiement lui était réclamé » (Cass. 1ère civ. 17 mai 1988, n°86-19.341).

À l’inverse, l’erreur de droit consiste pour le plaideur à se tromper sur les conséquences juridiques de son aveu. La raison en est que nul n’est censé ignorer la loi. Par ailleurs, l’aveu ne peut porter que sur les éléments de faits, l’appréciation du droit relevant de l’office du juge.

S’agissant des modalités de la révocation de l’aveu en cas d’erreur de fait commise par l’avouant, l’article 1383-2 du Code civil est silencieux. Aussi, est-il admis que cette révocation soit tacite, la Haute juridiction estimant que « la révocation de l’aveu ne [doit] pas être obligatoirement expresse » (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 17 mai 1988, n°86-19.341).

En revanche, la charge de la preuve de l’erreur pèse sur l’auteur de l’aveu. La Chambre commerciale a rappelé cette exigence dans un arrêt du 2 novembre 2011 (Cass. com. 2 nov. 2011, n°10-21.341).

?La révocation de l’aveu résultant de sa non-reprise dans les conclusions récapitulatives

Au début des années 2000, la question s’est posée de savoir si la révocation de l’aveu pouvait résulter, outre de la commission d’une erreur de fait, de la non-reprise par l’avouant de ses déclarations dans ses conclusions récapitulatives.

Pour mémoire, l’article 768 du Code de procédure civile prévoit que, dans le cadre d’une procédure devant le Tribunal judiciaire, « les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. »

L’article 954 énonce la même règle pour les conclusions produites devant la Cour d’appel.

Ainsi, obligation est faite aux parties de reprendre l’ensemble de leurs moyens et prétentions dans leurs dernières conclusions qui ont vocation à être présentées au Juge.

A défaut disent les textes, les parties « sont réputées les avoir abandonnés et le tribunal ne statue que sur les dernières conclusions déposées. »

Compte tenu de cette règle, la question s’est posée de savoir si un plaideur pouvait, pour neutraliser l’effet d’un aveu formulé dans ses précédentes écritures, ne pas reprendre ses déclarations dans ses conclusions récapitulatives.

Dans un arrêt du 20 mai 2003, la Cour de cassation a apporté une réponse négative à cette question. Elle a jugé dans cette décision « qu’un aveu judiciaire ne pouvant, selon l’article 1356 du Code civil, être révoqué, ne saurait l’être du fait qu’ayant été contenu dans des conclusions d’appel antérieures aux dernières conclusions, il ne se trouve pas dans celles-ci » (Cass. 1ère civ. 20 mai 2003, n°00-18.295).

La position adoptée par la Cour de cassation ne peut qu’être approuvée. Retenir la solution inverse serait revenu à admettre un second cas de révocation de l’aveu judiciaire, alors que l’article 1383-2 du Code civil n’envisage que la seule erreur de fait.

La Haute juridiction a réaffirmé sa position dans un arrêt du 13 février 2007. Aux termes de cette décision elle a décidé, s’agissant d’un aveu judiciaire, qu’il « ne pouvait être rétracté que pour erreur de fait, ne pouvait l’être du seul fait que les dernières conclusions d’appel ne reprenaient pas les écritures de première instance le comportant » (Cass. 1ère civ. 13 févr. 2007, n°05-21.227).

  1. Aubry et Rau, Droit civil français, t. XII, 6e éd. : Librairies techniques, 1958, § 751, p. 91. ?
  2. Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. VII, Obligations, Partie II, LGDJ, 1954, n°1563. ?
  3. J. Chevalier, Cours de droit approfondi, La charge de la preuve, Cours de droit, 1958-1959, p. 110 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1260, p. 1113. ?
  5. ?R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz 2011, 2011, n°832p. 404
  6. Ibid. ?
  7. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1821, p. 624. ?
  8. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1990, n°657, p.632 ?
  9. C. Aubry et C. Rau, Droit civil français, t. 12, Librairies Techniques, 6e éd., 1958, § 751, p. 101. ?
  10. C. Demolombe, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, t. 7, Durand-Pédone Lauriel Hachette, 1878, n° 514 ?

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