Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

L’indivisibilité de l’aveu judiciaire

1. Principe

L’article 1383-2 du Code civil prévoit que l’aveu judiciaire « ne peut être divisé contre son auteur ».

Le principe d’indivisibilité de l’aveu est exprimé par la formule latine « confessio dividi non debet ».

Ce principe signifie que lorsqu’un aveu est assorti de déclarations complémentaires qui atténuent les conséquences juridiques de la déclaration principale, son bénéficiaire ne saurait se prévaloir à titre de preuve des seules déclarations qui lui sont favorables et rejeter celles qui lui sont défavorables.

Autrement dit, les déclarations constitutives d’un aveu forment un tout que le juge doit recevoir en bloc, sans que le demandeur puisse soigneusement sélectionner les fragments de l’aveu lui permettant d’établir son allégation.

Pour illustrer le principe d’indivisibilité de l’aveu judiciaire Pothier prend l’exemple d’un créancier qui soutiendrait avoir prêté une somme d’argent et qui en demanderait le remboursement à la personne qu’il tient pour son débiteur.

Dans l’hypothèse où cette dernière avouerait avoir bien souscrit un contrat de prêt ; mais déclarerait, dans le même temps, avoir restitué la somme d’argent prêtée, alors le prêteur ne saurait se prévaloir de la première déclaration (la reconnaissance de l’existence d’un contrat de prêt), tout en faisant fi de la seconde (l’affirmation relative au remboursement du prêt).

L’enseignement qu’il y a lieu de retirer de cet exemple dit Pothier, c’est que la partie bénéficiaire d’un aveu judiciaire n’est autorisée à s’en servir contre la partie dont cet aveu émane qu’en le prenant tel qu’il est et dans son entier.

2. Mise en œuvre

Si le principe d’indivisibilité de l’aveu judiciaire se conçoit bien dans son économie générale, sa mise en œuvre n’est toutefois pas sans soulever des difficultés.

En effet, le principe d’indivisibilité de l’aveu a seulement vocation à jouer en présence d’un aveu assorti de déclarations complémentaires, à tout le moins connexes.

Il ne s’applique pas, en revanche, en présence d’aveux distincts et successifs. Or il est parfois difficile de déterminer si des déclarations forment un tout ou si elles se rapportent à des faits qui ne comportent aucuns liens entre eux.

Afin de surmonter cette difficulté, la doctrine a proposé de distinguer trois catégories d’aveux :

  • L’aveu pur et simple
    • L’aveu est qualifié de pur et simple lorsqu’il se rapporte à un seul fait, sans qu’aucune précision n’affecte la portée de la déclaration principale
      • Exemple : la reconnaissance de l’existence d’un contrat de prêt conclu pour une durée de 20 ans au taux de 3%
    • Dans l’exemple choisi, l’aveu est pur et simple dans la mesure où l’avouant reconnaît pour vraie l’allégation de son contradicteur sans rien y ajouter ou y retrancher.
    • En présence d’un aveu pur et simple, le principe d’indivisibilité est sans objet dans la mesure où la déclaration est, dans sa structuration même, insécable ; aucun des éléments qui la compose n’est susceptible d’en modifier la portée.
  • L’aveu qualifié
    • L’aveu est dit qualifié « lorsque la reconnaissance d’un fait n’a lieu que sous certaines modifications qui en altèrent les caractéristiques et, par conséquent, ses effets »[8].
    • Il s’agit, autrement dit, de l’hypothèse où la déclaration formulée par l’avouant est assortie de précisions qui en atténuent les conséquences juridiques.
      • Exemple : la reconnaissance de l’existence d’un contrat de vente combinée à la contestation du prix sollicité par le vendeur
    • En présence d’un aveu qualifié, le principe d’indivisibilité trouve pleine application et jouera systématiquement.
    • Il en résulte que les déclarations constitutives de l’aveu doivent être reçues dans leur globalité par le juge ; sans pouvoir être divisées.
    • Dans un arrêt du 10 avril 1973, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que devait être regardé comme indivisible l’aveu aux termes duquel un plaideur reconnaissait avoir donné mandat à son contradicteur de vendre son bien tout en précisant que ce dernier « devrait faire son affaire personnelle de la commission qui pourrait être due » à l’agent immobilier (Cass. 3e civ. 10 avr. 1973, n°71-13.941).
    • La même solution a été retenue par la Première chambre civile pour l’aveu réalisé par le Président-Directeur Général d’une Société qui reconnaissait l’existence d’un contrat de prêt tout en contestant en être le débiteur à titre personnel, puisque souscrit au nom et pour le compte de l’entreprise (Cass. 1ère civ. 11 mars 1980, n°79-10.305).
  • L’aveu complexe
    • L’aveu est qualifié de complexe lorsque son auteur, tout en reconnaissant le fait allégué par son contradicteur « articule un nouveau fait dont le résultat serait de créer une exception à son profit »[9].
    • Plus précisément, selon Demolombe, l’aveu complexe est caractérisé lorsque « l’avouant ajoute au fait allégué par son adversaire, un autre fait, nouveau et distinct, qui en modifie, en restreint, ou même en éteint entièrement les conséquences juridiques »[10].
    • Contrairement à l’aveu qualifié, l’aveu complexe présente ainsi la particularité de résulter d’une déclaration assortie de précisions qui, non pas l’atténuent, mais la contredisent totalement ou partiellement.
      • Exemple : un plaideur reconnaît avoir souscrit un contrat de prêt tout en affirmant avoir remboursé les sommes prêtées
    • Dans l’exemple choisi, l’allégation porte sur des faits distincts, tant matériellement, que temporellement.
    • Est-ce à dire que l’aveu pourrait être divisé ? Autrement dit, pourrait-on retenir la première déclaration en ignorant la seconde ?
    • Pour répondre à cette question, la doctrine classique suggère de distinguer selon qu’il existe ou non un lien de connexité entre le fait principal allégué et le fait qui lui est attaché.
      • S’il existe un lien de connexité entre les deux faits distincts, alors le principe d’indivisibilité pourra jouer
      • Si, en revanche, il n’existe aucun lien de connexité entre ces deux faits, alors l’aveu pourra être divisé
    • La question qui alors se pose est de savoir comment apprécier l’existence d’un lien de connexité entre deux faits.
    • Il peut, en effet, exister différents degrés de connexité ce qui est de nature compliquer la tâche du juge qui devra déterminer s’il y a lieu de faire ou non application du principe d’indivisibilité.
    • L’étude de la jurisprudence révèle qu’il y aurait connexité entre deux faits lorsque le second ne saurait s’être produit si l’on n’admet pas la survenance du premier.
    • Tel est le cas lorsqu’un plaideur reconnaît l’existence d’une obligation tout en soutenant s’en être valablement acquittée (Cass. 1ère civ. 11 mai 1971, n°70-10.193).
    • Dans cette hypothèse, le principe d’indivisibilité de l’aveu trouvera pleinement à s’appliquer.
    • À cet égard, il peut être observé que le juge est investi du pouvoir de relever d’office le moyen tiré de l’indivisibilité de l’aveu judiciaire (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 29 nov. 1978, n°77-10.774).
    • Pour ce faire, il devra néanmoins inviter les parties à présenter leurs observations, comme précisé par la Cour de cassation dans un arrêt du 27 juin 2006 (Cass. 1ère civ. 27 juin 2006, n°04-16.742).

3. Exceptions

Contrairement à ce que suggère la formulation du deuxième alinéa de l’article 1383-2 du Code civil, le principe d’indivisibilité de l’aveu judiciaire n’est pas absolu ; il souffre de plusieurs tempéraments.

  • Premier tempérament : la preuve du fait principal par d’autres moyens de preuve
    • Il est admis que lorsque les faits litigieux ont été prouvés par un autre moyen de preuve, le principe d’indivisibilité de l’aveu devait être écarté.
    • Dans un arrêt du 23 juillet 1974 il a par exemple été jugé en ce sens que « il résulte de l’article 1356, alinéa 3, du Code civil, que l’aveu judiciaire peut être divisé contre celui qui l’a fait, lorsqu’il existe d’autres preuves ; qu’en l’espèce, la cour d’appel, appréciant souverainement la portée de lettres et d’une attestation versées aux débats, retient que ces documents établissent déjà, abstraction faite du contenu des conclusions de merlot, que l’opération litigieuse s’analyse en un prêt ; qu’elle en déduit, à bon droit, sans contradiction, que la règle de l’indivisibilité de l’aveu est inapplicable, ” le prêt de 69279,55 francs résultant d’un écrit, et non du seul aveu du débiteur “  » (Cass. 1ère civ. 23 juill. 1974, n°72-12.414).
    • Ainsi le principe d’indivisibilité ne s’applique que si l’aveu est le seul mode de preuve permettant d’établir le fait discuté.
  • Deuxième tempérament : l’absence d’invraisemblance et d’inexactitude du fait adjoint au fait principal
    • Il est de jurisprudence constante que l’application du principe d’indivisibilité à l’aveu complexe est subordonnée à l’absence d’invraisemblance et d’inexactitude du fait connexe attaché au fait principal.
    • En d’autres termes, si la déclaration accessoire est inexacte ou est peu vraisemblable, l’aveu reçu par le juge pourra être divisé, ce qui signifie que le juge pourra ne retenir que la seule déclaration principale.
    • Dans un arrêt du 23 novembre 1977, la Cour de cassation a ainsi approuvé une Cour d’appel qui avait estimé que les explications fournies par un plaideur « étaient d’une invraisemblance qui en démontrait la fausseté et l’empêchait de se prévaloir du principe de l’indivisibilité de l’aveu » (Cass. 1ère civ. 23 nov. 1977, n°76-12.816)
    • Elle a retenu une solution similaire plus récemment dans un arrêt du 2 avril 2014 (Cass. 1ère civ. 2 avr. 2014, n°13-11.242).
  • Troisième tempérament : l’absence de contestation du fait adjoint au fait principal
    • Le principe d’indivisibilité de l’aveu judiciaire ne peut jouer qu’à la condition que le fait accessoire au fait principal avoué soit également contesté (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 19 oct. 1971, n°68-13.220).
    • Cette règle vise à empêcher qu’un plaideur de mauvaise foi, se serve du principe d’indivisibilité pour se constituer une preuve à lui-même.
    • Il ne faudrait pas, en effet, qu’une partie avoue un fait non contesté (l’existence d’un contrat de prêt) pour mieux établir un fait susceptible d’être contesté par la partie adverse, par une déclaration portant sur un point connexe (le remboursement du prêt) en se prévalant du principe d’indivisibilité.
    • Dans un arrêt du 28 mars 1922, la Cour de cassation a jugé en ce sens « la règle relative à l’indivisibilité de l’aveu ne s’applique qu’aux faits déniés par l’une des parties et qui, à défaut de toute autre preuve , ne sont établis que par l’aveu lui-même ; que, s’il s’agit au contraire d’un fait présenté comme constant et indiscuté par les deux parties, celle qui le reconnaît ne peut se prévaloir de son aveu pour soutenir que sa déclaration sur un autre point connexe en est inséparable » (Cass. req. 28 mars 1922).
    • Dans un arrêt du 28 novembre 1973 la Première chambre civile précisé que « la règle de l’indivisibilité de l’aveu ne s’applique qu’aux faits déniés par l’une des parties et qui, à défaut de toute autre preuve, ne sont établis que par l’aveu même » (Cass. 1ère civ. 28 nov. 1973, n°72-12.521).
  • Quatrième tempérament : la divisibilité de l’aveu judiciaire en matière pénale
    • L’article 428 du Code de procédure pénale prévoit que « l’aveu, comme tout élément de preuve, est laissé à la libre appréciation des juges. »
    • Il ressort de cette disposition que le juge pénal n’est pas tenu, contrairement au juge civil, par le principe d’indivisibilité de l’aveu.
    • Il est libre d’apprécier la portée probatoire de chaque déclaration qu’il reçoit.
    • Régulièrement la Cour de cassation rappelle toutefois que « si la preuve d’un délit est subordonnée à l’existence d’un contrat, celui-ci doit être prouvé d’après les règles établies par le Code civil » (Cass. crim. 1er juin 1987, n°86-94.837).
    • Autrement dit, ce n’est que si le Juge pénal est amené à connaître d’une question de nature civile, qu’il sera contraint de faire application du principe d’indivisibilité de l’aveu.

 

  1. Aubry et Rau, Droit civil français, t. XII, 6e éd. : Librairies techniques, 1958, § 751, p. 91. ?
  2. Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. VII, Obligations, Partie II, LGDJ, 1954, n°1563. ?
  3. J. Chevalier, Cours de droit approfondi, La charge de la preuve, Cours de droit, 1958-1959, p. 110 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1260, p. 1113. ?
  5. ?R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz 2011, 2011, n°832p. 404
  6. Ibid. ?
  7. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1821, p. 624. ?
  8. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1990, n°657, p.632 ?
  9. C. Aubry et C. Rau, Droit civil français, t. 12, Librairies Techniques, 6e éd., 1958, § 751, p. 101. ?
  10. C. Demolombe, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, t. 7, Durand-Pédone Lauriel Hachette, 1878, n° 514 ?

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