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Les effets de l’aveu judiciaire

?Notion

Les rédacteurs du Code civil n’avaient, en 1804, pas jugé nécessaire de définir la notion d’aveu.

Pourtant il a été désigné comme la probatio probatissima, soit la plus décisive des preuves.

Faute de définition dans le Code civil, c’est à la doctrine qu’est revenue la tâche de pourvoir à cette carence.

Selon Aubry et Rau, « l’aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai et comme devant être tenu pour avérée à son égard, un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques »[1].

La définition proposée par Planiol et Ripert était quelque peu différente. Pour ces auteurs l’aveu ne serait caractérisé qu’en présence de « déclarations accidentelles, faites après coup, par lesquelles une partie laisse échapper la reconnaissance du fait ou de l’acte qu’on lui oppose »[2].

La raison en est que l’apposition d’une signature sur un acte pourrait en quelque sorte s’analyser en la reconnaissance par le signataire de la véracité du contenu de cet acte. Or la signature est une composante de la preuve littérale et non de l’aveu.

Aussi, pour les distinguer, il y aurait lieu de considérer que, d’une part, l’aveu présente un caractère « accidentel », par opposition à la preuve littérale qui est préconstituée, et, d’autre part, qu’il interviendrait nécessairement « après coup », soit après la réalisation du fait à prouver.

Bien que séduisante, cette approche n’a pas été retenue par la jurisprudence qui lui a préféré la définition proposée par Aubry et Rau. Dans un arrêt du 4 mai 1976, la Cour de cassation a ainsi jugé que « l’aveu exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques » (Cass. 3e civ. 4 mai 1976, n°75-10.452).

Puis dans le cadre de l’avant-projet relatif à la réforme du régime des obligations et des quasi-contrats porté par François Terré, l’aveu a été défini, dans le droit fil des définitions précédentes, comme « la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai, et comme devant être tenu pour avéré à son égard, un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques ».

Le législateur a consacré cette définition de l’aveu à l’occasion de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Le nouvel article 1383 du Code civil prévoit que « l’aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques ».

?Nature de l’aveu

La nature de l’aveu a fait l’objet d’une discussion doctrinale ayant donné lieu à la confrontation de trois thèses différentes :

  • Première thèse
    • Pour certains auteurs, l’aveu s’analyserait en le fait générateur d’un renversement de charge de la preuve.
    • En principe, la charge de la preuve pèse sur le demandeur à l’allégation.
    • Aussi, en formulant un aveu le défendeur dispenserait le demandeur de l’obligation de prouver son allégation.
  • Deuxième thèse
    • D’autres auteurs soutiennent que l’aveu reposerait sur une présomption, en ce sens que lorsqu’une personne reconnaît la véracité d’un fait, en ayant conscience que cette déclaration est susceptible de produire des conséquences juridiques qui lui sont défavorables, il y a tout lieu de penser qu’elle dit la vérité et donc de tenir pour vrai ce qui a été avoué.
  • Troisième thèse
    • Le Professeur Chevalier a soutenu que, en réalité, l’aveu ne constituerait pas un mode de preuve[3].
    • Pour cet auteur, il aurait seulement pour effet de circonscrire l’objet de la preuve.
    • En effet, pour mémoire, ne doivent en principe être prouvés que les faits qui sont contestés ou contestables.
    • Aussi, dès lors qu’un fait n’est pas contesté par le défendeur, la preuve de ce fait n’a pas à être rapportée.
    • L’aveu a donc pour effet de réduire le périmètre de l’objet de la preuve et donc, par voie de conséquence, de limiter l’office du juge dont la mission est précisément de se prononcer sur les seuls faits litigieux.
    • Au regard de cette définition, il y aurait donc lieu de considérer que l’aveu judiciaire et l’aveu extrajudiciaire n’auraient pas la même nature.

?Aveu judiciaire et aveu extrajudiciaire

L’article 1383, al. 2e du Code civil prévoit que l’aveu « peut être judiciaire ou extrajudiciaire ».

Ainsi existe-t-il deux formes d’aveu :

  • L’aveu judiciaire
    • Il s’agit de la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté.
    • La particularité de ce mode de preuve est qu’il est recevable en toutes matières, y compris lorsqu’un écrit est exigé.
    • Autrement dit, il peut servir à établir, tant un fait juridique, qu’un acte juridique : il n’est donc pas besoin qu’il soit corroboré par un autre mode de preuve, à la différence par exemple du témoignage ou du commencement de preuve par écrit.
    • La raison en est qu’il « fait foi contre celui qui l’a fait » (art. 1382, al. 2e C. civ.)
    • À cet égard, l’aveu judiciaire s’impose au juge ; lequel ne peut donc pas l’écarter dès lors qu’il répond aux conditions fixées par la loi.
  • L’aveu extrajudiciaire
    • Il s’agit de la déclaration faite par une partie au procès en dehors du prétoire.
    • Contrairement à l’aveu judiciaire, l’aveu extrajudiciaire n’est recevable que « dans les cas où la loi permet la preuve par tout moyen » (art. 1383-1, al. 1er C. civ.).
    • Par ailleurs, l’article 1383-1, al. 2e du Code civil prévoit que « sa valeur probante est laissée à l’appréciation du juge. »
    • Ainsi, l’aveu extrajudiciaire ne s’impose pas au juge qui conserve sa liberté d’appréciation.

Nous nous focaliserons ici sur l’aveu judiciaire auquel on attache plusieurs effets. 

I) La force probante de l’aveu judiciaire

L’article 1383-2 du Code civil prévoit que l’aveu judiciaire « fait foi contre celui qui l’a fait ». Cela signifie que le fait avoué est tenu pour vrai, de sorte que la partie adverse est dispensée d’en rapporter la preuve.

Pothier écrivait déjà en ce sens que « la confession judiciaire faite par une personne capable d’ester en jugement, fait pleine foi du fait qui est confessé, et décharge l’autre partie d’en faire la preuve »[5].

Pour illustrer son propos, il prend l’exemple d’un débiteur qui avouerait « devoir la chose ou la somme qui lui est demandée ».

Dans cette hypothèse, dit Pothier, « le créancier demandeur est déchargé de faire la preuve de la dette ; et il peut, sur cette confession, obtenir contre son débiteur un jugement de condamnation Vice versa, si le créancier qui a un titre de créance, est convenu en jugement des paiements que le débiteur soutient lui avoir faits, ces paiements demeurent pour constants, et le débiteur est déchargé d’en faire la preuve »[6].

À l’analyse, les solutions retenues par la jurisprudence sont sensiblement similaires à celles préconisées par Pothier.

Dès lors que les conditions de l’aveu judiciaire sont réunies, la Cour de cassation n’hésite pas à juger que le fait avoué est réputé établi (V. par exemple Cass. 1ère civ. 4 févr. 1981, n°79-14.778 ; Cass. 1ère civ. 17 janv. 1978, n°76-13.373).

A cet égard, l’aveu fait pleine foi, non seulement contre son auteur, mais également contre ses ayants cause universels ou à titre universel

Il est en revanche inopposable aux tiers, comme rappelé, par exemple, par la Troisième chambre civile dans un arrêt du 6 janvier 1999 (Cass. 3e civ. 6 janv. 1999, n°97-12.300).

Par ailleurs, parce qu’il est un mode de preuve parfait, l’aveu judiciaire est recevable en toutes matières.

Aussi, peut-il y être recouru pour faire la preuve contre un écrit, y compris dans l’hypothèse où la preuve littérale est exigée.

Ainsi que le souligne un auteur, au fond « l’aveu judiciaire est une preuve complète qui n’a pas besoin d’être corroborée par d’autres éléments ; il remplace entièrement l’écrit pour les actes juridiques ; il a évidemment pleine valeur pour les simples faits juridiques »[7].

Bien que l’aveu judiciaire appartienne à la catégorie des modes de preuve parfaits, il ne permet pas néanmoins de suppléer une irrégularité de forme.

La Cour de cassation a ainsi décidé dans un arrêt du 28 avril 2009, que, en cas de défaut de mention manuscrite requise à peine de nullité sur un acte de cautionnement, l’aveu judiciaire ne permettait pas de sauver cet acte de l’anéantissement (Cass. com. 28 avr. 2009, n°08-11.616).

La raison en est que l’aveu judiciaire n’est qu’un mode de preuve. À ce titre, il ne peut pallier le non-respect que d’une condition requise ad probationem, et non d’une condition exigée ad validitatem.

Enfin, il y a lieu de rappeler que, à l’instar des autres modes de preuve parfaits, l’aveu judiciaire présente la particularité de s’imposer au juge, en ce sens que le rôle de celui-ci se cantonne à vérifier que l’aveu qu’il reçoit répond aux exigences légales (Cass. com., 6 févr. 2007, n°05-21.271).

Dans l’affirmative, il n’aura d’autre choix que d’admettre que la preuve du fait avoué est rapportée, peu importe que son intime conviction lui suggère le contraire ou qu’il constate l’existence de présomptions très sérieuses contredisant l’aveu qu’il reçoit (Cass. 3e civ., 8 déc. 1971, n°70-13.072).

II) L’indivisibilité de l’aveu judiciaire

A) Principe

L’article 1383-2 du Code civil prévoit que l’aveu judiciaire « ne peut être divisé contre son auteur ».

Le principe d’indivisibilité de l’aveu est exprimé par la formule latine « confessio dividi non debet ».

Ce principe signifie que lorsqu’un aveu est assorti de déclarations complémentaires qui atténuent les conséquences juridiques de la déclaration principale, son bénéficiaire ne saurait se prévaloir à titre de preuve des seules déclarations qui lui sont favorables et rejeter celles qui lui sont défavorables.

Autrement dit, les déclarations constitutives d’un aveu forment un tout que le juge doit recevoir en bloc, sans que le demandeur puisse soigneusement sélectionner les fragments de l’aveu lui permettant d’établir son allégation.

Pour illustrer le principe d’indivisibilité de l’aveu judiciaire Pothier prend l’exemple d’un créancier qui soutiendrait avoir prêté une somme d’argent et qui en demanderait le remboursement à la personne qu’il tient pour son débiteur.

Dans l’hypothèse où cette dernière avouerait avoir bien souscrit un contrat de prêt ; mais déclarerait, dans le même temps, avoir restitué la somme d’argent prêtée, alors le prêteur ne saurait se prévaloir de la première déclaration (la reconnaissance de l’existence d’un contrat de prêt), tout en faisant fi de la seconde (l’affirmation relative au remboursement du prêt).

L’enseignement qu’il y a lieu de retirer de cet exemple dit Pothier, c’est que la partie bénéficiaire d’un aveu judiciaire n’est autorisée à s’en servir contre la partie dont cet aveu émane qu’en le prenant tel qu’il est et dans son entier.

B) Mise en œuvre

Si le principe d’indivisibilité de l’aveu judiciaire se conçoit bien dans son économie générale, sa mise en œuvre n’est toutefois pas sans soulever des difficultés.

En effet, le principe d’indivisibilité de l’aveu a seulement vocation à jouer en présence d’un aveu assorti de déclarations complémentaires, à tout le moins connexes.

Il ne s’applique pas, en revanche, en présence d’aveux distincts et successifs. Or il est parfois difficile de déterminer si des déclarations forment un tout ou si elles se rapportent à des faits qui ne comportent aucuns liens entre eux.

Afin de surmonter cette difficulté, la doctrine a proposé de distinguer trois catégories d’aveux :

  • L’aveu pur et simple
    • L’aveu est qualifié de pur et simple lorsqu’il se rapporte à un seul fait, sans qu’aucune précision n’affecte la portée de la déclaration principale
      • Exemple : la reconnaissance de l’existence d’un contrat de prêt conclu pour une durée de 20 ans au taux de 3%
    • Dans l’exemple choisi, l’aveu est pur et simple dans la mesure où l’avouant reconnaît pour vraie l’allégation de son contradicteur sans rien y ajouter ou y retrancher.
    • En présence d’un aveu pur et simple, le principe d’indivisibilité est sans objet dans la mesure où la déclaration est, dans sa structuration même, insécable ; aucun des éléments qui la compose n’est susceptible d’en modifier la portée.
  • L’aveu qualifié
    • L’aveu est dit qualifié « lorsque la reconnaissance d’un fait n’a lieu que sous certaines modifications qui en altèrent les caractéristiques et, par conséquent, ses effets »[8].
    • Il s’agit, autrement dit, de l’hypothèse où la déclaration formulée par l’avouant est assortie de précisions qui en atténuent les conséquences juridiques.
      • Exemple : la reconnaissance de l’existence d’un contrat de vente combinée à la contestation du prix sollicité par le vendeur
    • En présence d’un aveu qualifié, le principe d’indivisibilité trouve pleine application et jouera systématiquement.
    • Il en résulte que les déclarations constitutives de l’aveu doivent être reçues dans leur globalité par le juge ; sans pouvoir être divisées.
    • Dans un arrêt du 10 avril 1973, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que devait être regardé comme indivisible l’aveu aux termes duquel un plaideur reconnaissait avoir donné mandat à son contradicteur de vendre son bien tout en précisant que ce dernier « devrait faire son affaire personnelle de la commission qui pourrait être due » à l’agent immobilier (Cass. 3e civ. 10 avr. 1973, n°71-13.941).
    • La même solution a été retenue par la Première chambre civile pour l’aveu réalisé par le Président-Directeur Général d’une Société qui reconnaissait l’existence d’un contrat de prêt tout en contestant en être le débiteur à titre personnel, puisque souscrit au nom et pour le compte de l’entreprise (Cass. 1ère civ. 11 mars 1980, n°79-10.305).
  • L’aveu complexe
    • L’aveu est qualifié de complexe lorsque son auteur, tout en reconnaissant le fait allégué par son contradicteur « articule un nouveau fait dont le résultat serait de créer une exception à son profit »[9].
    • Plus précisément, selon Demolombe, l’aveu complexe est caractérisé lorsque « l’avouant ajoute au fait allégué par son adversaire, un autre fait, nouveau et distinct, qui en modifie, en restreint, ou même en éteint entièrement les conséquences juridiques »[10].
    • Contrairement à l’aveu qualifié, l’aveu complexe présente ainsi la particularité de résulter d’une déclaration assortie de précisions qui, non pas l’atténuent, mais la contredisent totalement ou partiellement.
      • Exemple : un plaideur reconnaît avoir souscrit un contrat de prêt tout en affirmant avoir remboursé les sommes prêtées
    • Dans l’exemple choisi, l’allégation porte sur des faits distincts, tant matériellement, que temporellement.
    • Est-ce à dire que l’aveu pourrait être divisé ? Autrement dit, pourrait-on retenir la première déclaration en ignorant la seconde ?
    • Pour répondre à cette question, la doctrine classique suggère de distinguer selon qu’il existe ou non un lien de connexité entre le fait principal allégué et le fait qui lui est attaché.
      • S’il existe un lien de connexité entre les deux faits distincts, alors le principe d’indivisibilité pourra jouer
      • Si, en revanche, il n’existe aucun lien de connexité entre ces deux faits, alors l’aveu pourra être divisé
    • La question qui alors se pose est de savoir comment apprécier l’existence d’un lien de connexité entre deux faits.
    • Il peut, en effet, exister différents degrés de connexité ce qui est de nature compliquer la tâche du juge qui devra déterminer s’il y a lieu de faire ou non application du principe d’indivisibilité.
    • L’étude de la jurisprudence révèle qu’il y aurait connexité entre deux faits lorsque le second ne saurait s’être produit si l’on n’admet pas la survenance du premier.
    • Tel est le cas lorsqu’un plaideur reconnaît l’existence d’une obligation tout en soutenant s’en être valablement acquittée (Cass. 1ère civ. 11 mai 1971, n°70-10.193).
    • Dans cette hypothèse, le principe d’indivisibilité de l’aveu trouvera pleinement à s’appliquer.
    • À cet égard, il peut être observé que le juge est investi du pouvoir de relever d’office le moyen tiré de l’indivisibilité de l’aveu judiciaire (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 29 nov. 1978, n°77-10.774).
    • Pour ce faire, il devra néanmoins inviter les parties à présenter leurs observations, comme précisé par la Cour de cassation dans un arrêt du 27 juin 2006 (Cass. 1ère civ. 27 juin 2006, n°04-16.742).

C) Exceptions

Contrairement à ce que suggère la formulation du deuxième alinéa de l’article 1383-2 du Code civil, le principe d’indivisibilité de l’aveu judiciaire n’est pas absolu ; il souffre de plusieurs tempéraments.

  • Premier tempérament : la preuve du fait principal par d’autres moyens de preuve
    • Il est admis que lorsque les faits litigieux ont été prouvés par un autre moyen de preuve, le principe d’indivisibilité de l’aveu devait être écarté.
    • Dans un arrêt du 23 juillet 1974 il a par exemple été jugé en ce sens que « il résulte de l’article 1356, alinéa 3, du Code civil, que l’aveu judiciaire peut être divisé contre celui qui l’a fait, lorsqu’il existe d’autres preuves ; qu’en l’espèce, la cour d’appel, appréciant souverainement la portée de lettres et d’une attestation versées aux débats, retient que ces documents établissent déjà, abstraction faite du contenu des conclusions de merlot, que l’opération litigieuse s’analyse en un prêt ; qu’elle en déduit, à bon droit, sans contradiction, que la règle de l’indivisibilité de l’aveu est inapplicable, ” le prêt de 69279,55 francs résultant d’un écrit, et non du seul aveu du débiteur “  » (Cass. 1ère civ. 23 juill. 1974, n°72-12.414).
    • Ainsi le principe d’indivisibilité ne s’applique que si l’aveu est le seul mode de preuve permettant d’établir le fait discuté.
  • Deuxième tempérament : l’absence d’invraisemblance et d’inexactitude du fait adjoint au fait principal
    • Il est de jurisprudence constante que l’application du principe d’indivisibilité à l’aveu complexe est subordonnée à l’absence d’invraisemblance et d’inexactitude du fait connexe attaché au fait principal.
    • En d’autres termes, si la déclaration accessoire est inexacte ou est peu vraisemblable, l’aveu reçu par le juge pourra être divisé, ce qui signifie que le juge pourra ne retenir que la seule déclaration principale.
    • Dans un arrêt du 23 novembre 1977, la Cour de cassation a ainsi approuvé une Cour d’appel qui avait estimé que les explications fournies par un plaideur « étaient d’une invraisemblance qui en démontrait la fausseté et l’empêchait de se prévaloir du principe de l’indivisibilité de l’aveu » (Cass. 1ère civ. 23 nov. 1977, n°76-12.816)
    • Elle a retenu une solution similaire plus récemment dans un arrêt du 2 avril 2014 (Cass. 1ère civ. 2 avr. 2014, n°13-11.242).
  • Troisième tempérament : l’absence de contestation du fait adjoint au fait principal
    • Le principe d’indivisibilité de l’aveu judiciaire ne peut jouer qu’à la condition que le fait accessoire au fait principal avoué soit également contesté (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 19 oct. 1971, n°68-13.220).
    • Cette règle vise à empêcher qu’un plaideur de mauvaise foi, se serve du principe d’indivisibilité pour se constituer une preuve à lui-même.
    • Il ne faudrait pas, en effet, qu’une partie avoue un fait non contesté (l’existence d’un contrat de prêt) pour mieux établir un fait susceptible d’être contesté par la partie adverse, par une déclaration portant sur un point connexe (le remboursement du prêt) en se prévalant du principe d’indivisibilité.
    • Dans un arrêt du 28 mars 1922, la Cour de cassation a jugé en ce sens « la règle relative à l’indivisibilité de l’aveu ne s’applique qu’aux faits déniés par l’une des parties et qui, à défaut de toute autre preuve , ne sont établis que par l’aveu lui-même ; que, s’il s’agit au contraire d’un fait présenté comme constant et indiscuté par les deux parties, celle qui le reconnaît ne peut se prévaloir de son aveu pour soutenir que sa déclaration sur un autre point connexe en est inséparable » (Cass. req. 28 mars 1922).
    • Dans un arrêt du 28 novembre 1973 la Première chambre civile précisé que « la règle de l’indivisibilité de l’aveu ne s’applique qu’aux faits déniés par l’une des parties et qui, à défaut de toute autre preuve, ne sont établis que par l’aveu même » (Cass. 1ère civ. 28 nov. 1973, n°72-12.521).
  • Quatrième tempérament : la divisibilité de l’aveu judiciaire en matière pénale
    • L’article 428 du Code de procédure pénale prévoit que « l’aveu, comme tout élément de preuve, est laissé à la libre appréciation des juges. »
    • Il ressort de cette disposition que le juge pénal n’est pas tenu, contrairement au juge civil, par le principe d’indivisibilité de l’aveu.
    • Il est libre d’apprécier la portée probatoire de chaque déclaration qu’il reçoit.
    • Régulièrement la Cour de cassation rappelle toutefois que « si la preuve d’un délit est subordonnée à l’existence d’un contrat, celui-ci doit être prouvé d’après les règles établies par le Code civil » (Cass. crim. 1er juin 1987, n°86-94.837).
    • Autrement dit, ce n’est que si le Juge pénal est amené à connaître d’une question de nature civile, qu’il sera contraint de faire application du principe d’indivisibilité de l’aveu.

III) L’irrévocabilité de l’aveu judiciaire

A) Principe

L’article 1383-2 du Code civil prévoit que l’aveu judiciaire est « irrévocable. »

Ainsi, le plaideur qui se livre à un aveu dans le cadre d’une instance judiciaire ne peut plus revenir sur sa déclaration.

La raison en est que l’aveu s’analyse en un acte unilatéral, à tout le moins telle est la justification apportée par la Cour de cassation à la règle.

Dans un arrêt du 26 janvier 1972 elle a en effet jugé que « l’aveu judiciaire est un acte unilatéral et qu’il ne peut être révoqué que s’il a été la suite d’une erreur de fait prouvée » (Cass. 3e civ. 26 janv. 1972, n°70-13.603).

Les actes unilatéraux présentent la particularité de produire leurs effets à réception par leur destinataire. Cela explique pourquoi lorsqu’un aveu est reçu par un juge, l’avouant ne peut plus se rétracter. L’aveu a produit ses effets juridiques au moment même où il a été porté à la connaissance du juge.

À cet égard, il est indifférent que le plaideur souhaitant revenir sur son aveu soutienne n’avoir pas mesuré les conséquences juridiques de sa déclaration ; elle est irrévocable, sauf à établir une erreur de fait.

B) Exception

?La révocation de l’aveu résultant d’une erreur de fait

Le principe d’irrévocabilité de l’aveu judiciaire n’est pas sans limite ; il souffre d’une exception.

L’article 1383-2 du Code civil prévoit en effet que l’aveu judiciaire est irrévocable « sauf en cas d’erreur de fait ». Cette règle est exprimée par l’adage « non fatetour qui errat », soit littéralement n’avoue pas qui se trompe.

À la différence de la formule latine héritée du droit romain, il peut être observé que l’article 1383-2 du Code civil cantonne l’exception au principe d’irrévocabilité de l’aveu judiciaire aux seules erreurs de faits, par opposition aux erreurs de droit.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « erreur de fait ».

À l’analyse, l’erreur de fait consiste pour l’avouant à se méprendre sur la réalité des faits qu’il a avoués. Autrement dit, il a envisagé le fait litigieux différemment de ce qu’il était réellement.

Pour exemple, il a été admis qu’un plaideur puisse se revenir sur ses déclarations parce qu’il « avait confondu des factures étrangères au litige avec celles dont le paiement lui était réclamé » (Cass. 1ère civ. 17 mai 1988, n°86-19.341).

À l’inverse, l’erreur de droit consiste pour le plaideur à se tromper sur les conséquences juridiques de son aveu. La raison en est que nul n’est censé ignorer la loi. Par ailleurs, l’aveu ne peut porter que sur les éléments de faits, l’appréciation du droit relevant de l’office du juge.

S’agissant des modalités de la révocation de l’aveu en cas d’erreur de fait commise par l’avouant, l’article 1383-2 du Code civil est silencieux. Aussi, est-il admis que cette révocation soit tacite, la Haute juridiction estimant que « la révocation de l’aveu ne [doit] pas être obligatoirement expresse » (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 17 mai 1988, n°86-19.341).

En revanche, la charge de la preuve de l’erreur pèse sur l’auteur de l’aveu. La Chambre commerciale a rappelé cette exigence dans un arrêt du 2 novembre 2011 (Cass. com. 2 nov. 2011, n°10-21.341).

?La révocation de l’aveu résultant de sa non-reprise dans les conclusions récapitulatives

Au début des années 2000, la question s’est posée de savoir si la révocation de l’aveu pouvait résulter, outre de la commission d’une erreur de fait, de la non-reprise par l’avouant de ses déclarations dans ses conclusions récapitulatives.

Pour mémoire, l’article 768 du Code de procédure civile prévoit que, dans le cadre d’une procédure devant le Tribunal judiciaire, « les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. »

L’article 954 énonce la même règle pour les conclusions produites devant la Cour d’appel.

Ainsi, obligation est faite aux parties de reprendre l’ensemble de leurs moyens et prétentions dans leurs dernières conclusions qui ont vocation à être présentées au Juge.

A défaut disent les textes, les parties « sont réputées les avoir abandonnés et le tribunal ne statue que sur les dernières conclusions déposées. »

Compte tenu de cette règle, la question s’est posée de savoir si un plaideur pouvait, pour neutraliser l’effet d’un aveu formulé dans ses précédentes écritures, ne pas reprendre ses déclarations dans ses conclusions récapitulatives.

Dans un arrêt du 20 mai 2003, la Cour de cassation a apporté une réponse négative à cette question. Elle a jugé dans cette décision « qu’un aveu judiciaire ne pouvant, selon l’article 1356 du Code civil, être révoqué, ne saurait l’être du fait qu’ayant été contenu dans des conclusions d’appel antérieures aux dernières conclusions, il ne se trouve pas dans celles-ci » (Cass. 1ère civ. 20 mai 2003, n°00-18.295).

La position adoptée par la Cour de cassation ne peut qu’être approuvée. Retenir la solution inverse serait revenu à admettre un second cas de révocation de l’aveu judiciaire, alors que l’article 1383-2 du Code civil n’envisage que la seule erreur de fait.

La Haute juridiction a réaffirmé sa position dans un arrêt du 13 février 2007. Aux termes de cette décision elle a décidé, s’agissant d’un aveu judiciaire, qu’il « ne pouvait être rétracté que pour erreur de fait, ne pouvait l’être du seul fait que les dernières conclusions d’appel ne reprenaient pas les écritures de première instance le comportant » (Cass. 1ère civ. 13 févr. 2007, n°05-21.227).

  1. Aubry et Rau, Droit civil français, t. XII, 6e éd. : Librairies techniques, 1958, § 751, p. 91. ?
  2. Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. VII, Obligations, Partie II, LGDJ, 1954, n°1563. ?
  3. J. Chevalier, Cours de droit approfondi, La charge de la preuve, Cours de droit, 1958-1959, p. 110 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1260, p. 1113. ?
  5. ?R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz 2011, 2011, n°832p. 404
  6. Ibid. ?
  7. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1821, p. 624. ?
  8. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1990, n°657, p.632 ?
  9. C. Aubry et C. Rau, Droit civil français, t. 12, Librairies Techniques, 6e éd., 1958, § 751, p. 101. ?
  10. C. Demolombe, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, t. 7, Durand-Pédone Lauriel Hachette, 1878, n° 514 ?

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