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L’acte sous signature privée contresigné par avocat: régime

==> Ratio legis

La loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées, a fait entrer dans le Code civil une nouvelle variété d’acte sous signature privée : l’acte sous signature privée contresigné par avocat.

L’adoption de ce texte procède de la volonté du législateur d’encourager le recours à un professionnel du droit pour accroître la sécurité juridique.

Le constat a, en effet, été fait que de nombreux actes sous signature privée étaient conclus par des particuliers sans qu’ils aient reçu le conseil de professionnels du droit sur la nature et les conséquences de leurs engagements.

Aussi, cette pratique présente des risques importants, les effets produits par l’acte conclu pouvant se révéler très différentes de celles recherchées par les parties. L’acte peut être nul, illicite ou encore entraîner la responsabilité civile des signataires.

Par ailleurs, l’une des parties peut contester l’existence du contrat ou l’un de ses éléments, en raison de la valeur probante limitée de l’acte sous signature privée, laquelle peut être combattue par la seule preuve contraire.

À l’inverse, lorsque les parties ont recours à un avocat pour la préparation, la négociation, la rédaction et la conclusion d’actes juridiques, l’intervention de ce professionnel du droit ne confère, a priori, aucune valeur juridique supérieure à l’acte sous signature privée ainsi conclu.

Ce dernier présente la même fragilité que celle de tout acte sous signature privée, alors que la responsabilité civile de l’avocat est proche de celle encourue par un notaire ayant reçu un acte authentique.

Aussi, est-ce pour corriger cette anomalie que le législateur a fait le choix de reconnaître une portée juridique au contreseing par l’avocat de l’acte sous signature privée.

À cet égard, au-delà de ce motif l’objectif visé est double :

  • D’une part, matérialiser (par sa signature) l’engagement par l’avocat de sa responsabilité lorsqu’il intervient dans la rédaction d’un acte
  • D’autre part, de prévenir les contestations ultérieures susceptibles d’intervenir sur l’acte

Parce que l’avocat est responsable des vérifications qu’il accomplit en vue de la rédaction de l’acte, des informations qu’il donne aux parties et des conseils qu’il leur fournit, il est apparu nécessaire de conférer aux actes auxquels il prête son concours une valeur probatoire supplémentaire, ce qui est également de nature à encourager les parties à y recourir plus souvent.

Toutefois, il ressort des travaux parlementaires que la reconnaissance d’effets de droit au contreseing de l’avocat ne devait pas aboutir à affaiblir l’acte authentique.

C’est la raison le législateur a entendu réaffirmer, à travers plusieurs dispositions de la loi du 28 mars 2011, le rôle essentiel de l’acte authentique, notamment en matière immobilière et dans le domaine du droit de la famille.

==> Textes applicables

Lorsque l’acte sous signature privée contresigné par avocat a été créé, le législateur l’a d’abord inséré dans la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques. Plus précisément, il était régi aux articles 66-3-1 à 66-3-3 de ce texte.

Aussi, est-ce en réalité l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations qui a fait entrer l’acte d’avocat dans le Code civil. Il est régi aujourd’hui par l’article 1374 du Code civil et par l’article 66-3-1 de la loi du 31 décembre 1971 qui est la seule disposition à n’avoir pas été transférée dans le Code civil.

Il ressort de ces dispositions plusieurs spécificités de l’acte sous signature privée contresigné par avocat par rapport à l’acte sous signature privée ordinaire.

Ces spécificités tiennent :

  • D’une part, à la force probante dont il est pourvu
  • D’autre part, à la responsabilité de l’avocat au titre de son devoir de conseil
  • Enfin, à la dispense de mention manuscrite qu’il procure aux parties à l’acte

I) La force probante de l’acte sous signature privée contresigné par avocat

L’article 1374, al. 1er du Code civil prévoit que « l’acte sous signature privée contresigné par les avocats de chacune des parties ou par l’avocat de toutes les parties fait foi de l’écriture et de la signature des parties, tant à leur égard qu’à celui de leurs héritiers ou ayants cause. »

Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

  • Premier enseignement
    • L’acte d’avocat se distingue de l’acte sous signature privée ordinaire dans la mesure où pour faire foi entre les parties, il n’est pas besoin qu’il ait été « reconnu » par celle à laquelle il est opposé ou « légalement tenu pour reconnu » comme exigé par l’article 1372.
    • Aussi, est-ce l’intervention de l’avocat qui justifie que la valeur probatoire de l’acte ne soit pas conditionnée à une quelconque reconnaissance.
    • C’est parce qu’il est contresigné par un avocat qu’il fait foi de plein droit entre les parties et leurs ayants cause
  • Second enseignement
    • La valeur probatoire renforcée dont est pourvu l’acte d’avocat ne joue pas pour toutes ses composantes.
    • En effet, elle est limitée à la seule origine de l’acte ; elle ne couvre pas son contenu.
    • Autrement dit, en contresignant l’acte, l’avocat atteste seulement l’identité des parties dont il est le conseil ainsi que l’authenticité de leur écriture et de leur signature.
    • Il en résulte une différence de valeur probatoire entre, d’un côté, le contenu de l’acte et, d’un autre côté, l’écriture et la signature figurant sur l’acte
      • S’agissant du contenu de l’acte
        • Celui-ci fait seulement foi de la même manière que l’acte sous signature privée ordinaire.
        • Aussi, le contenu de l’acte peut-il être combattu par la preuve contraire
      • S’agissant de l’écriture et de la signature figurant sur l’acte
        • Parce qu’elles sont certifiées par l’avocat, elles font foi sans qu’il soit besoin qu’elles soient reconnues par la partie à laquelle l’acte est opposé.
        • Autrement dit, en raison des diligences accomplies par l’avocat, et à la différence de l’acte sous signature privée ordinaire, l’acte contresigné par avocat est présumé émaner des parties signataires.
        • En effet, associé à la préparation de l’acte, attentif à sa rédaction et à la vérification de l’identité des parties, l’avocat atteste, par son contreseing, de l’origine de l’acte.
        • La conséquence en est que la signature et l’écriture des parties ne pourront pas être contestées par la voie ordinaire de la vérification d’écriture.
        • La partie qui émet une contestation n’aura d’autre choix que de mettre en œuvre la procédure de faux régie aux articles 299 à 302 du Code de procédure civile.
        • Pour mémoire, les procédures de vérification d’écriture et de faux diffèrent sur deux points essentiels :
          • Premier point
            • Pour que le faux soit caractérisé, cela suppose d’établir que l’écrit litigieux a été volontairement falsifié en vue d’altérer la vérité
            • Aussi, convient-il de démontrer un élément intentionnel, outre l’altération du support
          • Second point
            • Dans le cadre de la procédure de vérification d’écriture, la charge de la preuve pèse sur le demandeur.
            • Tel n’est pas le cas pour la procédure de faux où c’est au défendeur d’établir que l’écrit produit est un faux
        • Nonobstant les divergences qui existent entre la vérification d’écriture et l’incident de faux, ces deux procédures ont un point commun.
        • En effet, conformément à l’article 295 du Code civil, la partie qui, soit prétendait faux l’écrit produit, soit a dénié en être l’auteur, s’expose à être condamnée à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

II) La responsabilité de l’avocat au titre de son devoir de conseil

L’article 66-3-1 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit que « en contresignant un acte sous seing privé, l’avocat atteste avoir éclairé pleinement la ou les parties qu’il conseille sur les conséquences juridiques de cet acte. »

La règle énoncée ici signifie que par son contreseing, l’avocat exprime avoir bien exécuté son obligation d’information et son devoir de conseil, ce qui est de nature à faciliter l’engagement de sa responsabilité au titre de son intervention dans la rédaction de l’acte.

À l’inverse, le contreseing de l’avocat a pour effet de sécuriser l’acte entre les parties, en ce sens qu’il sera plus difficile pour l’une d’elles d’affirmer qu’elle n’avait pas conscience de la portée de son engagement au moment où l’acte a été conclu.

La formulation de la règle énoncée par l’article 66-3-1 de la loi du 31 décembre 1971 n’est pas sans avoir interrogé la doctrine s’agissant de la charge de la preuve.

Faut-il voir dans la signature de l’avocat apposée sur l’acte la preuve de l’exécution de son devoir de conseil ?

Dans l’affirmative cela signifierait que, en cas d’action en responsabilité engagée par une partie au titre d’un manquement par l’avocat à son devoir de conseil ou à son obligation d’information, que la charge de la preuve serait renversée.

Il est, en effet, constant en jurisprudence, que c’est en principe à l’avocat qu’il appartient de prouver qu’il a correctement exécuté son devoir de conseil.

Dans un arrêt du 25 février 2010, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le rédacteur d’acte, tenu de veiller à assurer l’équilibre de l’ensemble des intérêts en présence et de prendre l’initiative de conseiller les deux parties à la convention sur la portée et les incidences, notamment fiscales, des engagements souscrits de part et d’autre, peu important que son concours ait été sollicité par l’une d’elles, doit rapporter la preuve qu’il a rempli cette obligation à leur égard, quelles que soient leurs compétences personnelles » (Cass. 1ère civ. 25 févr. 2010, n°09-11.591).

La Chambre commerciale a retenu la même solution pour l’obligation d’information en décidant dans un arrêt du 13 octobre 2009, que « l’avocat, conseiller juridique et fiscal, est tenu d’une obligation particulière d’information vis-à-vis de son client, laquelle comporte le devoir de s’informer de l’ensemble des conditions de l’opération pour laquelle son concours est demandé, et qu’il lui incombe de prouver qu’il a exécuté cette obligation » (Cass. com. 13 oct. 2009, n°08-10.430).

Pour les auteurs, les travaux préparatoires de la loi du 28 mars 2011 ne révèlent nullement l’intention du législateur de remettre en cause la solution dégagée par la jurisprudence.

Il y a donc lieu de penser que la signature de l’avocat apposée sur un acte ne devrait pas avoir pour effet de renverser la charge de la preuve s’agissant de la bonne exécution du devoir de conseil. En cette matière, la charge de la preuve pèse toujours sur l’avocat.

III) La dispense de mention manuscrite

L’article 1374, al. 3e du Code civil prévoit que l’acte sous signature privée contresigné par avocat « est dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi ».

En matière de cautionnement, par exemple, l’article 2297 du Code civil prévoit que « la caution personne physique appose elle-même la mention qu’elle s’engage en qualité de caution à payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance de celui-ci, dans la limite d’un montant en principal et accessoires exprimé en toutes lettres et en chiffres. »

Si cette mention est exigée à peine de nullité lorsque l’engagement de caution est régularisé par voie d’acte sous signature privée ordinaire, en application de l’article 1374, al. 3e du Code civil, cette exigence disparaît lorsque l’acte de cautionnement est contresigné par un avocat. Il s’agit là d’une similitude avec l’acte authentique qui est également dispensé de reproduire les mentions manuscrites exigées par la loi (art. 1369, al. 3e C. civ.).

La raison en est que l’avocat, à l’instar du notaire, est assujetti à un devoir de conseil, ce qui implique notamment qu’il délivre aux parties l’information contenue dans la mention manuscrite prévue par la loi dans certains domaines.

Aussi, le législateur a estimé qu’il s’agissait là d’une garantie suffisante, l’intervention de l’avocat étant de nature à garantir que les parties prendront la mesure de leur engagement.

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