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Acte sous signature privée constatant un contrat synallagmatique: l’exigence du double original

En application de l’article 1375 du Code civil, les actes sous signature privée constatant un contrat synallagmatique doivent répondre à l’exigence dite du « double original ». Ce principe est toutefois assorti d’exceptions.

==> Principe

L’article 1375, al. 1er du Code civil prévoit que « l’acte sous signature privée qui constate un contrat synallagmatique ne fait preuve que s’il a été fait en autant d’originaux qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct »

Cette exigence est usuellement désignée sous l’appellation « formalité du double original ».

La raison en est que les parties à un contrat synallagmatique sont généralement deux.

Si néanmoins elles sont plus nombreuses, alors l’article 1375, al. 1er du Code civil exige que l’instrumentum qui constate le contrat soit établi en autant d’originaux qu’il y a de parties, à la condition qu’il s’agisse d’un contrat synallagmatique.

Pour mémoire, l’article 1106 du Code civil prévoit « un contrat est synallagmatique lorsque les contractants s’obligent réciproquement les uns envers les autres. »

En d’autres termes, il s’agit d’un contrat qui crée des obligations réciproques et interdépendantes à la charge des deux parties. Chaque partie est tout à la fois créancier et débiteur.

Exemples :

  • Le contrat de vente: le vendeur s’engage à livrer la chose promise tandis que l’acheteur s’oblige à payer le prix convenu
  • Le contrat de bail: le bailleur s’engage à assurer la jouissance paisible de la chose louée, tandis que le locataire s’oblige à payer un loyer

Pour que donc l’exigence du double original s’applique, le contrat conclu entre les parties doit nécessairement stipuler des engagements réciproques.

Sont donc exclus du domaine de cette exigence notamment les contrats unilatéraux.

Dans un arrêt du 28 mars 1984, la Cour de cassation a ainsi jugé, s’agissant d’un contrat de prêt, que dans la mesure où il n’impose d’obligation qu’a l’emprunteur et qu’il ne présente pas de caractère synallagmatique rien n’exige qu’il soit établi en autant d’exemplaires que de parties (Cass. 1ère civ. 28 mars 1984, n°82-15.538).

S’agissant de l’objectif poursuivi par l’exigence du double original, à l’analyse elle vise à assurer la sécurité juridique des parties à l’acte.

En effet, en exigeant que chaque partie soit en possession d’un exemplaire original de l’acte, l’objectif recherché est double :

  • Permettre à chacune des parties de prouver les obligations constatées dans l’acte
  • Empêcher que l’acte ne soit falsifié par l’une d’elles

==> Conditions

Il ne suffit pas que l’acte soit établi en autant d’originaux qu’il y a de parties pour que l’exigence du double original soit remplie, il faut encore que deux conditions soient satisfaites :

  • Première condition
    • Bien que l’article 1375 du Code civil ne le prévoit pas expressément, la satisfaction de l’exigence du double original requiert que chaque partie se soit vu remettre un exemplaire original de l’acte.
    • Dans un ancien arrêt rendu par la Cour d’appel de Colmar il a été jugé en ce sens que si tous les exemplaires d’un acte sous signature privée sont demeurés entre les mains d’un seul contractant ils sont insusceptibles de valoir preuve parfaite (CA Colmar, 8 mars 1865).
  • Seconde condition
    • L’article 1375, al. 2e du Code civil prévoit que la formalité du double original n’est remplie qu’à la condition que chaque original remis aux parties mentionne le nombre des originaux qui en ont été faits
    • La jurisprudence a estimé qu’il n’était pas nécessaire que soit indiqué le nombre précis d’exemplaires dressés ; il suffit d’indiquer que l’acte a été établi en autant d’originaux qu’il y a de parties (V. en ce sens CA Angers, 5 juill. 2011, n° 10/00439)

==> Exceptions

L’exigence du double original en présence d’un acte sous signature privée constatant un contrat synallagmatique souffre de trois exceptions :

  • Première exception
    • L’article 1375, al. 1er in fine prévoit que l’exigence du double original joue « à moins que les parties ne soient convenues de remettre à un tiers l’unique exemplaire dressé».
    • Cette règle, issue de l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, ne fait que consacrer la jurisprudence qui, très tôt, a jugé qu’il y avait lieu de dispenser les parties de satisfaire à l’exigence de la pluralité d’originaux lorsqu’elles ont choisi de déposer l’acte entre les mains d’un tiers.
    • La raison en est que, dans cette circonstance, toutes les parties sont placées sur un pied d’égalité en ce sens qu’il leur suffira de solliciter le tiers aux fins de se procurer la preuve de l’acte constatant les engagements pris.
    • Aussi, parce que la preuve de l’acte n’est soumise au bon vouloir d’une partie, l’exigence du double original ne présente plus aucun intérêt ; d’où l’exception à la règle reconnue par la jurisprudence, puis consacrée par le législateur.
    • À cet égard, il peut être observé que le texte ne subordonne le dépôt de l’acte entre les mains d’un tiers au respect d’aucune condition particulière.
    • II n’est donc pas nécessaire que le tiers justifie d’une qualité quelconque ou soit un professionnel du droit.
    • Ce qui importe, en revanche c’est :
      • D’une part, que toutes les parties aient donné leur consentement au dépôt de l’acte entre les mains d’un tiers ( Cass. 3e civ. 15 avr. 1992, n°91-14.297).
      • D’autre part, que le dépôt de l’acte soit réel (Cass. 1ère civ. 19 juin 1957)
      • Enfin, que le tiers désigné soit neutre, ce qui signifie qu’il doit agir dans l’intérêt commun des parties, de sorte qu’elles soient placées sur un pied d’égalité
    • Une fois l’acte déposé entre les mains du tiers il devra le produire sur demande de l’une des parties sans opérer de distinction entre elles.
  • Deuxième exception
    • L’article 1375, al. 3e du Code civil prévoit que « celui qui a exécuté le contrat, même partiellement, ne peut opposer le défaut de la pluralité d’originaux ou de la mention de leur nombre. »
    • Il ressort de cette disposition que le non-respect de l’exigence du double original peut être couvert lorsque l’une des parties a exécuté tout ou partie de son obligation.
    • À l’analyse, il s’agit là d’une extension de la règle énoncée par l’ancien article 1325, al. 4e du Code civil qui prévoyait que « le défaut de mention que les originaux ont été faits doubles, triples, etc., ne peut être opposé par celui qui a exécuté de sa part la convention portée dans l’acte. »
    • Sous l’empire du droit antérieur, seul le défaut de mention du nombre d’originaux sur chaque exemplaire de l’acte était ainsi susceptible d’être couvert par l’exécution de la convention.
    • L’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 a étendu la couverture de cette irrégularité à l’absence d’établissement de l’instrumentum en autant d’originaux qu’il y a des parties à l’acte.
    • L’extension du domaine de l’exception à l’exigence du double original avait été déjà été amorcée par la Cour de cassation dans un arrêt du 14 décembre 1983.
    • Aux termes de cette décision, elle avait notamment estimé que lorsqu’une qu’une partie a pleinement exécuté son obligation, l’exigence du double original n’a plus lieu de s’appliquer.
    • La Haute juridiction a justifié cette solution en avançant que dès lors qu’au jour de la rédaction de l’acte sous signature privée litigieux une partie a satisfait à son engagement, elle n’a alors plus aucun droit à faire valoir, puisque remplie de ses droits, de sorte qu’elle n’a plus aucun intérêt à avoir un original en sa possession (Cass. 1ère civ. 14 déc. 1983, n°82-730).
    • Il peut être observé que le législateur est allé plus loin que la jurisprudence en admettant que l’absence de double original puisse être couverte, non seulement par une inexécution totale du contrat, mais également par une inexécution partielle.
    • La question qui alors se pose est de savoir en quoi consiste un acte d’exécution.
    • Autrement dit à partir de quand peut-on considérer qu’une partie a commencé à exécuter son engagement, autorisant ainsi son cocontractant à se prévaloir de l’exception à l’exigence du double original énoncée à l’article 1375, al. 3e du Code civil ?
    • Selon les auteurs, un acte d’exécution consisterait en un acte exprimant la reconnaissance par une partie de la convention et, par voie de conséquence, de son engagement.
    • Tel sera le cas en cas de libération des lieux par les propriétaires d’une maison consécutivement à la vente de cette dernière (Cass. 1ère civ. 14 déc. 1964)
  • Troisième exception
    • L’article 1375, al. 4e du Code civil prévoit que « l’exigence d’une pluralité d’originaux est réputée satisfaite pour les contrats sous forme électronique lorsque l’acte est établi et conservé conformément aux articles 1366 et 1367, et que le procédé permet à chaque partie de disposer d’un exemplaire sur support durable ou d’y avoir accès. »
    • Ainsi, lorsque l’acte sous signature privée est établi au moyen d’un support électronique pour que l’exigence du double original soit remplie, deux conditions doivent être satisfaites :
      • Première condition
        • L’acte doit être conservé et établi selon les modalités énoncées par les articles 1366 et 1367 du Code civil.
        • Cela implique :
          • D’une part, que puisse être dûment identifiée la personne dont l’acte émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité (art. 1366 C. civ.).
          • D’autre part, que la signature électronique utilisée repose sur un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache (art. 1367, al. 2e C. civ.).
      • Seconde condition
        • Le procédé utilisé pour établir l’acte doit permettre à chaque partie de disposer d’un exemplaire sur support durable ou d’y avoir accès à tout moment.
        • Par support durable, il faut entendre, selon l’article liminaire du Code de la consommation « tout instrument permettant au consommateur ou au professionnel de stocker des informations qui lui sont adressées personnellement afin de pouvoir s’y reporter ultérieurement pendant un laps de temps adapté aux fins auxquelles les informations sont destinées et qui permet la reproduction à l’identique des informations stockées».
        • Le considérant 23 de la directive 2011/83/UE du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs précise que « le support durable devrait permettre au consommateur de stocker les informations aussi longtemps que cela lui est nécessaire pour protéger ses intérêts découlant de sa relation avec le professionnel. Au nombre des supports durables devraient figurer, en particulier, le papier, les clés USB, les CD-Rom, les DVD, les cartes à mémoire ou les disques durs d’ordinateur ainsi que les courriels. »

==> Sanction

Il ressort de l’article 1375, al. 1er du Code civil, que l’établissement d’une pluralité d’originaux est exigé à titre de preuve et non comme condition de validité du contrat synallagmatique constaté dans l’acte.

Aussi, en cas de manquement à cette exigence, l’écrit perd son statut de preuve parfaite, de sorte qu’il ne permet plus de faire la preuve de l’acte sur lequel il porte.

Est-ce à dire qu’il est dépourvu de toute valeur probante ?

Dans un arrêt du 19 février 2013 la Cour de cassation lui a reconnu la valeur de commencement de preuve par écrit.

Elle a jugé en ce sens que « la copie produite ne contenait pas la mention du nombre des originaux qui avaient été faits de la convention synallagmatique et ne pouvait dès lors valoir que comme commencement de preuve par écrit exigeant d’être complété par un élément extrinsèque » (Cass. 1ère civ. 19 févr. 2013, n°11-24.453).

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