Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

La charge de la preuve en droit civil: vue général

==> Charge de la preuve et charge de l’allégation

Contrairement à une idée répandue, la charge de la preuve « n’existe pas en tant que telle dans le procès »[1].

Comme relevé par Motulsky, cette charge n’est autre que le « prolongement » de ce que l’on appelle la charge de l’allégation laquelle se définit comme « la nécessité pour toute partie faisant valoir un droit subjectif en justice d’alléguer, sous peine d’être déboutée de sa prétention, toutes les circonstances de fait répondant aux éléments générateurs de ce droit »[2].

Ainsi, la charge de l’allégation – trop souvent occultée – participe de la première étape du raisonnement judiciaire, la charge de la preuve n’intervenant qu’en cas de contestation d’une allégation.

Pour cette raison, il y a lieu de bien distinguer la charge de la preuve de la charge de l’allégation la première étant susceptible d’être rendue inutile par la seconde.

  • La charge de l’allégation des faits
    • La première tâche qui incombe à une partie qui se prévaut de l’application d’une règle de droit est d’alléguer les faits qui justifient son application.
    • Cette exigence est énoncée à l’article 6 du Code de procédure civile qui prévoit que « à l’appui de leurs prétentions, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder».
    • Il ne s’agit pas, à ce stade, de prouver les faits qui ont concouru à la situation présentée au juge, mais seulement de les lui exposer, pourvu qu’ils soient pertinents.
    • Car rappelle Motulsky, avant de s’intéresser à la preuve du fait, le juge va d’abord chercher à déterminer s’il existe « une coïncidence totale entre les éléments générateurs du droit réclamé et les allégations du demandeur»[3].
    • Dans l’affirmative, le juge devra tenir pour vrai le fait allégué et faire droit à la prétention du demandeur, sauf à ce que s’élève une contestation du défendeur.
  • La charge de la preuve des faits
    • Ce n’est que dans l’hypothèse où le défendeur oppose une résistance au demandeur que ce dernier sera tenu de rapporter la preuve des faits qu’il allègue.
    • À cet égard, comme souligné par Motulsky « la position du défendeur n’intéresse […] le juge qu’à condition que le défendeur nie la réalité de l’une au moins des circonstances faisant écho aux éléments générateurs [du droit invoqué par le demandeur]»[4].
    • Aussi est-ce uniquement dans cette circonstance que la question de la charge de la preuve se posera.
    • Toujours selon Motulsky, la charge de la preuve s’analyse donc au fond comme « la nécessité pour chacune des parties, de fonder, sous peine de perdre le procès par des moyens légalement admis la conviction du juge quant à la vérité de celles parmi les circonstances de fait répondant aux éléments générateurs de droit par elle réclamé, qui ont été valablement contestées par son adversaire»

==> Charge de la preuve et risque de preuve

La charge de la preuve présente un enjeu majeur, sinon prépondérant dans le procès. Elle permet, en effet, de déterminer qui du demandeur ou du défendeur devra, le premier, rapporter la preuve de ce qu’il allègue.

Or il est admis que la partie sur laquelle pèse la charge de la preuve supporte le risque de perdre le procès. C’est ce que l’on appelle le « risque de preuve ». Ce principe est exprimé par l’adage actore non probante reus absolvitur qui signifie « l’incapacité du demandeur à rapporter la preuve de son allégation absout le défendeur ».

L’existence d’un lien entre la charge de la preuve et le risque pour une partie de succomber au procès a été parfaitement mise en exergue par Motulsky qui, dans sa thèse, explique que « lorsque la conviction du juge est établie, dans un sens ou dans l’autre, il est, en somme, indifférent de savoir à laquelle des deux parties incombait la tâche de la provoquer. Mais quand la balance reste en suspens, quand la vérité, même cette vérité restreinte que permet la procédure, ne peut pas être découverte, c’est alors qu’il importe de déterminer sur qui pèse le fardeau de la preuve. Comme le juge n’a pas (ou n’a plus en droit moderne) la ressource de renoncer à prendre parti et qu’il doit, dès lors, toujours se prononcer pour l’une et contre l’autre des parties, la carence de celle qui se trouve sous le coup de cette charge suffit à entraîner une décision favorable à son adversaire »[5].

Ainsi, la charge de la preuve est-elle étroitement liée au risque de perte du procès dans la mesure où si la partie sur laquelle elle pèse ne parvient pas à établir son allégation, le juge, qui a obligation de trancher le litige, n’aura d’autre choix, en cas de doute persistant, de la débouter de ses prétentions.

On rappellera à cet égard la règle idem est non esse non probari, qui, pour mémoire, signifie littéralement : c’est la même chose de ne pas être ou de ne pas pouvoir être prouvé.

==> Répartition de la charge probatoire

Compte tenu de la place – centrale – qu’occupe la charge de la preuve dans le procès la question qui immédiatement se pose est de savoir comment déterminer sur quelle partie pèse cette charge.

À l’analyse, cette question est pour le moins réductrice car elle suggère que la recherche de preuves serait l’affaire des seules parties. Or il n’en est rien. Comme relevé par Mustapha Mekki, « la notion de charge de la preuve ne rend pas suffisamment compte de la complexité du processus »[6].

Selon cet auteur, il s’agit plutôt d’une « charge de la vraisemblance »[7]. Car en effet, dans un procès, prouver ne suffit pas pour obtenir gain de cause ; il faut encore convaincre le juge.

Il faut donc compter sur un troisième acteur qui est certes censé être neutre et auquel il est fait interdiction de « fonder sa décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat » (art. 7 CPC). On ne saurait toutefois faire comme s’il n’existait pas, ne serait-ce que parce que la décision finale est prise par lui.

Le rôle à jouer du juge dans le procès est d’autant plus important qu’il dispose, depuis la grande réforme de la procédure civile opérée par le décret n° 75-1123 du 5 décembre 1975, de pouvoirs étendus lui permettant notamment d’intervenir dans le processus d’établissement de la preuve.

Aussi, la recherche de preuve est-elle est désormais collective, puisque procédant d’un jeu qui s’instaure entre :

  • D’une part, les parties elles-mêmes
  • D’autre part, le juge et les parties

Selon que l’on se place dans l’un ou l’autre rapport, l’enjeu diffère :

  • Dans le rapport entre les parties elles-mêmes, ce qui se joue c’est la répartition de la charge de la preuve : sur quelle partie cette charge doit-elle reposer, qui supporte le risque de preuve ?
  • Dans le rapport entre les parties et le juge, ce qui se joue c’est l’administration de la preuve : quel est le rôle du juge dans la recherche des preuves ; quels sont les pouvoirs dont il est investi en la matière ?

À l’analyse, ce sont là des questions qui sont traitées par des règles relevant de dispositifs bien distincts.

En effet, la répartition de la charge de la preuve est régie par les articles 1353 à 1356 du Code civil. En revanche, comme précisé par l’article 1357 du même Code « l’administration judiciaire de la preuve et les contestations qui s’y rapportent sont régies par le code de procédure civile. »

 

[1] M. Mekki, « Regard substantiel sur le « risque de preuve » – Essai sur la notion de charge probatoire », in La preuve : regards croisés, Thèmes et commentaires, Dalloz 2015, p. 7

[2] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°86, pp. 87-88.

[3] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°107, p. 114.

[4] H. Motulsky, op. cit., n°109, p. 119.

[5] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°117, p. 130.

[6] M. Mekki, « Regard substantiel sur le « risque de preuve » – Essai sur la notion de charge probatoire », in La preuve : regards croisés, Thèmes et commentaires, Dalloz 2015, p. 7

[7] Ibid.

[8] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°206, p. 223.

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[10] H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1676, p. 578

[11] L. Siguort, Preuve des obligations – Charge de la preuve et règles générales, Lexisnexis, fasc. JurisClasseur, art. 1353, n°13.

[12] G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1090, p. 979.

[13] Ph. Malinvaud, Introduction à l’étude du droit, éd. Lexisnexis, 2018, n°544

[14] J. Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, 1703, p. 271

[15] R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz 2011, 2011, p. 408

[16] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°232, p. 242

[17] P. Mimim, « Les présomptions quasi-légales », JCP G, 1946, I, 578.

[18] Ch. Perelman, Logique juridique, nouvelle rhétorique, Dalloz, 1976, n°35, p.61.

[19] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°211, p. 226

[20] V. notamment en ce sens F. Geny, Science et technique en droit privé positif

[21] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°583, p.458

[22] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°222, p. 235

[23] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°584, p.460

No comment yet, add your voice below!


Add a Comment