Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

De la distinction entre les présomptions simples, les présomptions irréfragables et les présomptions mixtes

Dans le langage courant une présomption est, selon le Dictionnaire de l’Académie Française, une opinion fondée sur des indices ou des apparences, sur ce qui est probable sans être certain.

Le mot présomption vient du latin praesumptio, « anticipation, hardiesse, assurance », lequel est dérivé du verbe praesumere qui signifie « appréhender d’avance ».

Dans son sens premier, une présomption s’analyse donc à un préjugé, une supposition une conjecture, une prévision et plus généralement à une idée faite avant toute expérience.

La notion de présomption a très vite été empruntée par les juristes afin de décrire la technique consistant à conférer à un fait inconnu une vraisemblance sur la base d’une probabilité raisonnable.

Car si, en droit, est un point commun que les présomptions partagent, aussi diverses et variées soient-elles, il est à rechercher dans leur fondement : la probabilité.

Cette idée est exprimée par l’adage que l’on peut lire sous la plume de Cujas : Praesumptio sumitur de eo quod plerumque fit. Cet adage signifie que la présomption se déduit de ce qui arrive le plus souvent.

Ainsi, une présomption n’est autre que l’interprétation d’une probabilité obéissant à la loi du plus grand nombre.

Plus précisément, elle est le produit d’un raisonnement par induction, soit un raisonnement consistant à remonter, par une suite d’opérations cognitives, de données particulières (faits, expériences, énoncés) à des propositions plus générales, de cas particuliers à la loi qui les régit, des effets à la cause, des conséquences au principe, de l’expérience à la théorie.

C’est ce que Domat a cherché à exprimer en écrivant que « les présomptions sont des conséquences qu’on tire d’un fait connu pour servir à faire connaître la vérité d’un fait incertain »[14].

Pothier définissait, quant à lui, la présomption comme « le jugement que la loi ou l’homme porte sur la vérité d’une chose »[15].

Plus tard, les rédacteurs du Code civil s’inspireront de ces définitions pour définir les présomptions à l’ancien article 1349 comme « des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu. »

Cette définition a été vivement critiquée par la doctrine. En l’absence de précision, le texte laissait à penser que les présomptions formaient un seul et même ensemble alors que, comme souligné par des auteurs « on désigne sous le mot « présomptions » des concepts qui n’ont que très peu de points communs »[16].

En effet, les présomptions ne sauraient être appréhendées de façon unitaire, car elles sont multiples ; ne serait-ce que parce qu’elles ne remplissent pas toutes les mêmes fonctions.

I) Typologie des présomptions

Les présomptions légales se subdivisent en trois catégories :

  • Les présomptions simples
  • Les présomptions irréfragables
  • Les présomptions mixtes

A) Les présomptions simples

L’article 1354, al. 2e du Code civil prévoit qu’une présomption « est dite simple, lorsque la loi réserve la preuve contraire, et peut alors être renversée par tout moyen de preuve ».

Autrement dit, les présomptions simples sont celles qui peuvent être combattues par la preuve contraire. Pratiquement, cela implique pour le défendeur de démontrer que le fait présumé établi ne correspond pas à la réalité.

Pour ce faire, le texte admet que la preuve puisse être rapportée par tous moyens. Le juge pourra notamment forger sa conviction sur la base d’une présomption du fait de l’homme, soit en fondant son analyse sur des indices ou des apparences tirés des circonstances de la cause.

Une présomption judiciaire (de fait) est ainsi susceptible de faire échec à une présomption légale (de droit).

L’examen des textes et de la jurisprudence révèle que les présomptions simples sont très nombreuses, de sorte qu’il serait vain de chercher à en dresser une liste exhaustive.

Nous nous limiterons à citer quelques-unes :

  • La présomption de propriété résultant de la possession
    • L’article 2276 du Code civil prévoit que « en fait de meubles, la possession vaut titre. »
    • Cette disposition s’interprète comme posant une présomption de propriété de la chose sur laquelle le possesseur exerce son emprise.
    • Autrement dit, toute possession fait présumer le droit dont elle est l’apparence. Le possesseur est donc présumé être le propriétaire de ce qu’il possède.
    • Cette présomption est une présomption simple de sorte qu’elle peut être combattue en rapportant la preuve contraire.
    • Le demandeur pourra alors contester cette présomption en établissant notamment :
      • Soit le bien-fondé de son droit de propriété (production du titre)
      • Soit que les éléments constitutifs de la possession (corpus et animus) ne sont pas caractérisés, à tout le moins insuffisamment
      • Soit que la possession est affectée d’un vice, en ce sens que cette possession est équivoque, clandestine, interrompu ou encore le produit d’un acte de violence
      • Soit que le titre du possesseur est précaire, en ce sens qu’il ne lui confère aucun droit de propriété sur le bien revendiqué (contrat de dépôt, de bail ou encore de mandat)
      • Soit que le transfert de propriété est privé d’effet en raison de l’anéantissement du contrat (nullité, résolution, caducité, etc…)
  • La présomption de paiement résultant de la mention figurant sur le titre de créance
    • L’article 1378-2 du Code civil prévoit que :
      • D’une part, « la mention d’un paiement ou d’une autre cause de libération portée par le créancier sur un titre original qui est toujours resté en sa possession vaut présomption simple de libération du débiteur»
      • D’autre part, « il en est de même de la mention portée sur le double d’un titre ou d’une quittance, pourvu que ce double soit entre les mains du débiteur. »
    • Il ressort de cette disposition que dans l’hypothèse où une mention établissant la libération du débiteur figure, tantôt sur le titre constatant la créance détenue en original par le créancier, tantôt sur le double de ce titre détenu par le débiteur, la charge de la preuve du paiement est inversée.
    • La mention apposée sur le titre fait, en effet, présumer le paiement de sorte que c’est au créancier qu’il revient d’établir qu’il n’a pas été payé.
    • Le texte précise qu’il s’agit d’une présomption simple, de sorte qu’elle souffre de la preuve contraire
  • La présomption de bon état du local en l’absence d’état des lieux
    • L’article 1731 du Code civil prévoit que « s’il n’a pas été fait d’état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives, et doit les rendre tels, sauf la preuve contraire. »
    • Ainsi, en l’absence d’état des lieux établi entre le bailleur et le preneur au moment de la conclusion du contrat de bail, le local loué est réputé avoir été donné en bon état.
    • Il s’agit là néanmoins d’une présomption simple, de sorte que le preneur, pourra toujours démontrer que le local était en mauvais état lorsqu’il a pris possession des lieux.
  • La présomption de provision résultant de l’acceptation d’une lettre de change
    • L’article L. 511-7 al. 4e du Code de commerce prévoit que l’acceptation d’une lettre de change fait présumer la constitution de la provision.
    • Dans les rapports entre le tireur et le tiré, il est admis que cette présomption est simple (V. en ce sens com. 22 mai 1991, n°90-10.348)
    • Autrement dit, il appartiendra au tiré de prouver que le tireur n’a pas exécuté l’obligation qui lui échoit au titre de la provision.
    • Cette solution s’explique par le fait que l’engagement cambiaire du tiré n’est pas totalement abstrait
    • L’acceptation par le tiré de la traite a pour cause le rapport fondamental qui le lie au tireur.
    • Il est donc légitime qu’il lui soit permis d’établir que le tireur n’a pas satisfait à son obligation, laquelle obligation constitue la cause de l’engagement cambiaire du tiré
    • En outre, dans le cadre des rapports tireur-tiré accepteur, le tiré, même accepteur, est toujours fondé à opposer au tireur les exceptions issues de leurs rapports personnels.
    • Or le défaut de provision en est une. D’où la permission qui lui est faite de prouver que la provision ne lui a pas été valablement fournie.

B) Les présomptions irréfragables

L’article 1354, al. 2e du Code civil prévoit qu’une présomption « est dite irréfragable lorsqu’elle ne peut être renversée. »

Les présomptions irréfragables sont ainsi l’exact opposé des présomptions simples en ce qu’elles ne souffrent pas de la preuve contraire.

Elles sont également qualifiées de présomptions juris et de jure ou encore de présomptions absolues.

Parce ces présomptions interdisent au défendeur de contester la réalité des faits réputés irréfragablement établis, les auteurs s’accordent à dire qu’elles s’apparentent, non pas à des règles de preuve, mais à de véritables règles de fond.

Lorsque, en effet, le législateur instaure une présomption irréfragable il entend établir une vérité qui s’imposera à tous quelles que soient les circonstances de la cause.

De toute évidence, une telle présomption partage en commun avec les règles de fond de se voir conférer une portée générale.

D’aucuns avancent encore, que les présomptions irréfragables s’analyseraient en des fictions juridiques, puisque visant à créer une vérité alternative, déconnecté de la matérialité des faits.

Reste que le lien avec la réalité n’est jamais totalement rompu. Les présomptions irréfragables procèdent toujours d’un raisonnement inductif conduit par le législateur ou par le juge assis sur la vraisemblance et la probabilité du fait qu’ils cherchent à tenir pour vrai.

Comme souligné par Charles Perelman, en présence d’une présomption « la coïncidence avec la vérité n’est pas exclue, comme elle l’est, par principe, dans la fiction »[18].

Quoi qu’il en soit, les présomptions irréfragables interdisent de remettre en cause le fait qu’elles réputent établi et privent, par ailleurs, le juge de tout pouvoir d’appréciation.

Tout au plus, le défendeur pourra chercher à démontrer que les conditions de mise en œuvre de la présomption ne sont pas réunies.

Sous l’empire du droit antérieur, il existait une seconde voie susceptible d’être empruntée par ce dernier pour tenir en échec une présomption irréfragable : l’aveu ou le serment.

L’ancien article 1352 du Code civil prévoyait que « nulle preuve n’est admise contre la présomption de la loi, lorsque, sur le fondement de cette présomption, elle annule certains actes ou dénie l’action en justice, à moins qu’elle n’ait réservé la preuve contraire et sauf ce qui sera dit sur le serment et l’aveu judiciaires. »

Il s’inférait de cette disposition que seuls l’aveu judiciaire et le serment judiciaire pouvaient combattre une présomption irréfragable. La doctrine justifiait ce tempérament en avançant que le bénéficiaire d’une telle présomption devait pouvoir renoncer à la protection que le législateur ou le juge avaient entendu lui consentir par l’aveu ou son serment.

Faute d’avoir été reprise par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve, il y a lieu de tenir cette règle pour abolie.

Aussi, désormais, il ne peut être fait obstacle au jeu des présomptions irréfragables par aucun moyen de preuve.

Leur nombre tend néanmoins à se réduire. Nous en citerons trois exemples :

  • La présomption d’aval donné pour le tireur d’une lettre de change
    • En matière de lettre de change, dans l’hypothèse où l’identité de l’avalisé n’est pas précisée par l’avaliste, l’article L. 511-21, al. 6 du Code de commerce prévoit qu’« il est réputé donné pour le tireur».
    • Par un arrêt du 23 janvier 1956, la chambre commerciale a estimé qu’il s’agissait là d’une présomption irréfragable.
    • Elle a, en effet, considéré que lorsque l’avaliste a omis de mentionner le nom de celui pour qui l’aval est donné, les parties à l’effet ne sont pas fondées à combattre la présomption qui désigne le tireur comme avalisé ( com., 23 janv. 1956).
  • La présomption d’acceptation pure et simple d’une succession
    • L’article 778 du Code civil prévoit que « l’héritier qui a recelé des biens ou des droits d’une succession ou dissimulé l’existence d’un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l’actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés».
    • La présomption posée par ce texte ne souffre pas de la preuve contraire.
    • Le seul moyen de la combattre est de démontrer que ces conditions de mise en œuvre ne sont pas réunies, soit d’établir l’absence de recel successoral.
  • La présomption de pouvoir des époux à l’égard du banquier
    • L’article 221, al. 2e du Code civil prévoit que « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »
    • Est ainsi instituée une présomption de pouvoir au profit de l’époux titulaire d’un compte ouvert en son nom personnel qui l’autorise à accomplir toutes opérations sur ce compte, sans qu’il lui soit besoin de solliciter l’autorisation de son conjoint.
    • Pratiquement, elle interdit donc le banquier d’exiger la fourniture de justifications s’agissant des dépôts et des retraits qu’un époux est susceptible de réaliser sur son compte personnel.
    • Classiquement cette présomption est présentée comme étant irréfragable.
    • D’aucuns soutiennent toutefois qu’il s’agit d’une irréfragabilité atténuée puisque pouvant être combattue en rapportant la preuve d’une fraude.
    • La Cour de cassation a, en effet, admis que la présomption de pouvoir instituée à l’article 221, 2e du Code civil pouvait être tenue en échec en cas de preuve de l’existence d’une collusion caractérisée entre le banquier et l’époux titulaire du compte sur lequel ont été réalisées des opérations frauduleuses au préjudice du conjoint (V. en ce sens com. 21 nov. 2000, n°97-18.187).

C) Les présomptions mixtes

L’article 1354, al. 2e du Code civil prévoit qu’une présomption « est dite mixte, lorsque la loi limite les moyens par lesquels elle peut être renversée ou l’objet sur lequel elle peut être renversée ».

La présomption mixte, qualifiée également de « relative » présente la particularité de se situer à mi-chemin entre la présomption simple et la présomption irréfragable :

  • D’un côté, elle se rapproche de la présomption simple en ce qu’elle souffre de la preuve contraire.
  • D’autre autre côté, elle se rapproche de la présomption irréfragable en ce que les possibilités de rapporter la preuve contraire sont restreintes

Comme indiqué par le texte, la restriction peut tenir, soit aux moyens de preuve auxquels il peut être recouru, soit à l’objet de la preuve.

==> Les restrictions tenant aux moyens de preuve

Une présomption sera mixte lorsque les moyens de preuve admis pour la combattre sont restreints.

On citera deux exemples :

  • La présomption de communauté
    • Pour mémoire, l’article 1402 du Code civil prévoit que « tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l’on ne prouve qu’il est propre à l’un des époux par application d’une disposition de la loi. »
    • Il ressort de cette disposition que dès lors qu’une incertitude sur la propriété d’un bien existe, ce bien est réputé appartenir à la communauté.
    • Bien que cette présomption puisse être combattue par la preuve contraire, cette faculté est enfermée dans des conditions strictes.
    • L’alinéa 2e de l’article 1402 du Code civil précise, en effet, que « si le bien est de ceux qui ne portent pas en eux-mêmes preuve ou marque de leur origine, la propriété personnelle de l’époux, si elle est contestée, devra être établie par écrit».
    • Pour prouver le caractère propre d’un bien, la preuve ne pourra donc pas se faire par tous moyens ; le texte exige la production d’un écrit.
    • Là ne s’arrête pas l’exigence, car seules deux sortes d’écrits sont admises :
      • Les preuves préconstituées
        • Il s’agit ici des inventaires, des actes d’emploi ou de remploi, les actes constatant une libéralité ou encore l’acquisition d’un bien avant la célébration du mariage.
      • Les écrits de toutes natures
        • L’article 1402, al. 2e prévoit que faute de preuve préconstituée, le juge pourra prendre en considération tous écrits, notamment titres de famille, registres et papiers domestiques, ainsi que documents de banque et factures.
    • La preuve contraire susceptible de combattre la présomption de communauté est ainsi subordonnée à l’observation de conditions très précises.
  • La présomption de propriété du dessus et du dessous
    • L’article 552, al. 1er du Code civil prévoit que « la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous.»
    • S’il est admis que la présomption instituée par ce texte peut être renversée, la Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 26 mai 1992 qu’elle « n’est susceptible d’être combattue que par la preuve contraire résultant d’un titre ou de la prescription» ( 26 mai 1992, n°90-22.145).
    • Ainsi, les moyens de preuve pouvant tenir en échec cette présomption sont restreints.

==> Les restrictions tenant à l’objet de la preuve

Une présomption sera également qualifiée de mixte lorsque l’objet de la preuve susceptible de la combattre est circonscrit à des faits déterminés.

Illustrons ce cas de figure par trois exemples :

  • La présomption de responsabilité pesant sur le gardien d’une chose
    • Pour mémoire, dans l’arrêt Jand’heur du 13 février 1930 la Cour de cassation a considérablement restreint les possibilités pour le gardien de la chose ayant causé un dommage de combattre la présomption de responsabilité qui pèse sur lui.
    • Celui-ci ne pourra s’exonérer de sa responsabilité que s’il parvient à établir la survenance d’une cause étrangère dans la production du dommage ( ch. réunies, 13 févr. 1930).
    • Ici, c’est bien l’objet de la preuve susceptible de tenir en échec la présomption de responsabilité qui a été restreint. La présomption est donc mixte.
  • La présomption de responsabilité pesant sur le locataire
    • L’article 1733 du Code civil prévoit que, la présomption de responsabilité pesant sur le locataire en cas d’incendie ne peut être combattue que si ce dernier prouve que l’incendie est arrivé par cas fortuit ou force majeure, ou par vice de construction ou que le feu a été communiqué par une maison voisine.
    • Ici encore, la présomption ne pourra être combattue qu’en rapportant la preuve de faits déterminés par la loi.
    • Pour cette raison, la présomption est mixte
  • La présomption de filiation de la mère
    • L’article 311-25 du Code civil prévoit que « la filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance de l’enfant. »
    • Ainsi, la mère de l’enfant est présumée être celle qui figure sur l’acte de naissance.
    • À défaut de titre ou de possession d’état, en application de l’article 325, al. 2e du Code civil l’enfant ne pourra établir sa filiation maternelle qu’en prouvant « qu’il est celui dont la mère prétendue a accouché. »
    • Le texte impose ainsi à l’enfant le fait qu’il lui faut prouver s’il aspire à combattre la présomption de filiation maternelle instituée à l’article 311-25 du Code civil.
    • C’est là la marque d’une présomption mixte.

II) Identification de la nature d’une présomption légale

Compte tenu de la différence de régime entre les présomptions simples, irréfragables et mixtes, leur identification présente un réel enjeu.

Parfois, c’est la loi qui déterminera la nature d’une présomption. Tel est le cas de la présomption d’interposition de personnes énoncée à l’article 911 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « sont présumés personnes interposées, jusqu’à preuve contraire, les père et mère, les enfants et descendants, ainsi que l’époux de la personne incapable ». Il ne fait guère de doute ici que la présomption instituée est simple, puisque pouvant être combattue par la preuve contraire, sans que le texte n’enferme cette preuve dans des conditions strictes.

Il en va également ainsi de la présomption énoncée à l’article 1731 du Code civil selon laquelle « s’il n’a pas été fait d’état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives, et doit les rendre tels, sauf la preuve contraire. »

On peut encore citer la présomption de paiement en cas de remise volontaire du titre constatant la créance au débiteur. L’article 1342-9, al. 1er du Code civil prévoit que « la remise volontaire par le créancier au débiteur de l’original sous signature privée ou de la copie exécutoire du titre de sa créance vaut présomption simple de libération. »

Si, dans ces exemples, la nature de la présomption en jeu est précisée par le législateur, il est des cas où les textes sont silencieux.

La question qui alors se pose est de savoir comment déterminer, en l’absence d’indications, si l’on est en présence d’une présomption simple, irréfragable ou mixte.

Il est des cas où le vide juridique sera comblé par le juge lui-même. Dans un arrêt du 20 octobre 1920, la Cour de cassation a par exemple jugé que la présomption de solidarité jouant en matière commerciale était une présomption simple (Cass. req. 20 oct. 1920).

Mais quid, lorsque, soit le juge ne dit rien, soit sa décision est sibylline et ne permet donc pas de trancher ?

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1352, al. 2e du Code civil désignait comme irréfragables, sans qu’il soit besoin qu’un texte ne le précise, les présomptions qui :

  • Soit annulaient certains actes juridiques
  • Soit déniaient une action en justice

De l’avis général de la doctrine ces critères d’exclusion de la preuve contraire étaient trop imprécis pour permettre d’identifier les présomptions irréfragables.

Au surplus, cela n’a pas empêché la jurisprudence d’instituer des présomptions irréfragables en dehors du périmètre de l’article 1352, al. 2e du Code civil.

Tirant les conséquences de cette situation, le législateur a, à l’occasion de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, fait le choix de ne pas reconduire la règle énoncée à l’article 1352, al. 2e du Code civil.

Aussi, désormais, le Code civil ne fournit plus aucun critère d’identification des présomptions irréfragables.

Certains auteurs ont suggéré que, compte tenu de l’incidence de ces dernières sur le risque de preuve, il y avait lieu, en l’absence de précision de la loi, de réputer toute présomption simple.

À cet égard, la règle énoncée par l’article 1356, al. 2e, in fine du Code civil plaide en ce sens puisqu’elle interdit de conclure une convention visant à contredire une présomption irréfragable établie par la loi.

En posant cette interdiction, on est légitimement en droit de se demander si le législateur n’a pas entendu marquer sa volonté de se réserver le monopole d’établir des présomptions irréfragables.

Pour cette raison, il conviendrait de considérer que toute présomption légale est simple, à défaut de disposition légale contraire.

Bien que séduisante, cette théorie ne résiste pas à l’analyse de la jurisprudence qui révèle que, des présomptions irréfragables ont été consacrées par la Cour de cassation à plusieurs reprises en dehors de tout fondement légal (V. par exemple Cass. com. 27 nov. 1991, 89-19.546).

Au fond, cette absence de directive du législateur quant à l’identification de la nature des présomptions ne s’analyserait-elle pas en une invitation à s’en remettre à l’appréciation du juge auquel il appartient de trancher, au cas par cas, lorsque la loi est taiseuse ou obscure ?

C’est là la conclusion vers laquelle convergent la plupart des auteurs.

 

[1] M. Mekki, « Regard substantiel sur le « risque de preuve » – Essai sur la notion de charge probatoire », in La preuve : regards croisés, Thèmes et commentaires, Dalloz 2015, p. 7

[2] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°86, pp. 87-88.

[3] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°107, p. 114.

[4] H. Motulsky, op. cit., n°109, p. 119.

[5] H. Motulsky, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé, thèse, Lyon, 1947, éd. Dalloz, 2002, n°117, p. 130.

[6] M. Mekki, « Regard substantiel sur le « risque de preuve » – Essai sur la notion de charge probatoire », in La preuve : regards croisés, Thèmes et commentaires, Dalloz 2015, p. 7

[7] Ibid.

[8] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°206, p. 223.

[9] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°563, p.441.

[10] H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1676, p. 578

[11] L. Siguort, Preuve des obligations – Charge de la preuve et règles générales, Lexisnexis, fasc. JurisClasseur, art. 1353, n°13.

[12] G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1090, p. 979.

[13] Ph. Malinvaud, Introduction à l’étude du droit, éd. Lexisnexis, 2018, n°544

[14] J. Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, 1703, p. 271

[15] R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz 2011, 2011, p. 408

[16] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°232, p. 242

[17] P. Mimim, « Les présomptions quasi-légales », JCP G, 1946, I, 578.

[18] Ch. Perelman, Logique juridique, nouvelle rhétorique, Dalloz, 1976, n°35, p.61.

[19] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°211, p. 226

[20] V. notamment en ce sens F. Geny, Science et technique en droit privé positif

[21] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°583, p.458

[22] E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°222, p. 235

[23] J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°584, p.460

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