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La mise en demeure du créancier qui refuse de recevoir le paiement

==> Vue générale

Si la mise en demeure du créancier n’est pas intuitive dans la mesure où, dans sa finalité la plus répandue, la mise en demeure vise à provoquer l’exécution de la prestation due par le débiteur, elle se justifie néanmoins dans un cas très précis : lorsque le créancier refuse de recevoir le paiement.

Il arrive, en effet, que le créancier refuse d’encaisser un chèque, de recevoir une prestation de service ou encore une livraison.

Cette situation se rencontrera notamment, lorsqu’il contestera, soit le prix qui lui est réglé, soit la qualité ou la quantité des marchandises qui lui sont livrées.

Le créancier peut encore être animé de la volonté de retarder le transfert de la charge des risques ou encore d’allonger la durée de la dette qui produit des intérêts à son profit.

==> Droit antérieur

Sous l’empire du droit antérieur, il n’existait pas dans le Code civil de pendant à la mise en demeure du débiteur pour régler la situation dans laquelle le créancier refuse de recevoir le paiement.

Pourtant le débiteur peut avoir des raisons légitimes de se libérer au plus vite de son obligation et donc à forcer le paiement. Il y aura spécialement tout intérêt lorsque la dette due est productive d’intérêts ou que la charge des risques de la chose à délivrer pèse sur lui.

Pour cette raison, le législateur avait institué une procédure « dite des offres réelles » qui permettait au débiteur de se libérer de son obligation.

Cette procédure, qui était régie aux anciens articles 1257 à 1264 du Code civil, consistait pour le débiteur confronté à un refus de son créancier de recevoir son paiement à lui faire des offres réelles de paiement, soit formulées sans conditions, ni réserves.

Ces offres devaient porter sur la totalité de la somme exigible, des arrérages ou intérêts dus, des frais liquidés, et d’une somme pour les frais non liquidés, sauf à la parfaire (anc. art. 1258, 3° C. civ.).

Elles devaient, par ailleurs, être faite par l’entremise d’un notaire ou d’un huissier de justice « au lieu dont on est convenu pour le paiement, et que, s’il n’y a pas de convention spéciale sur le lieu du paiement, elles soient faites ou à la personne du créancier, ou à son domicile, ou au domicile élu pour l’exécution de la convention » (anc. art. 1258, 6° C. civ.).

En cas de nouveau refus du créancier de l’offre qui lui était adressée, le débiteur pouvait alors « consigner la somme ou la chose offerte » (anc. art. 1257, al. 1er C. civ.).

Les offres réelles suivies d’une consignation libéraient alors le débiteur de son obligation, car tenant lieu à son égard de paiement, pourvu qu’elles aient été valablement faites.

Bien que permettant au débiteur de ne pas subir le refus du créancier et donc de le maintenir dans une situation susceptible de lui préjudicier, cette procédure n’en demeurait pas moins lourde et coûteuse, raison pour laquelle le législateur a décidé de la simplifier à l’occasion de la réforme du régime général des obligations opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

I) La reconnaissance du dispositif de mise en demeure du créancier

Le dispositif de mise en demeure du créancier, appelé également mora creditoris, a donc été institué par l’ordonnance du 10 février 2016. Il est régi aux articles 1345 à 1345-3 du Code civil.

La rédaction de ces articles est largement inspirée de l’avant-projet Terré qui a repris l’économie générale de l’ancienne procédure des offres réelles mais en la simplifiant et en la rendant bien plus efficace.

En substance, le nouveau dispositif distingue selon que l’obligation porte sur une somme d’argent ou sur un autre objet

II) Les conditions de la mise en demeure du créancier

L’article 1345 du Code civil prévoit que « lorsque le créancier, à l’échéance et sans motif légitime, refuse de recevoir le paiement qui lui est dû ou l’empêche par son fait, le débiteur peut le mettre en demeure d’en accepter ou d’en permettre l’exécution. »

Il ressort de cette disposition que la mise en demeure du créancier par le débiteur en cas de refus de paiement suppose l’observation de plusieurs conditions :

L’article 1345-3 du Code civil prévoit que « les frais de la mise en demeure […] sont à la charge du créancier. »

III) Les effets de la mise en demeure du créancier

Les effets de la mise en demeure sont, pour les uns immédiats, pour les autres différés.

A) Les effets immédiats de la mise en demeure

L’article 1345, al. 2e du Code civil prévoit que la mise en demeure du créancier produit deux effets immédiats :

Si la mise en demeure du créancier a pour effet d’arrêter le cours des intérêts et de transférer la charge des risques, l’alinéa 3e de l’article 1345 du Code civil précise que, en revanche, « elle n’interrompt pas la prescription. »

B) Les effets différés de la mise en demeure

Dans l’hypothèse où l’obstruction du créancier n’a pas pris fin dans les deux mois de la mise en demeure qui lui a été adressée, les articles 1345-1 et 1345-2 du Code civil offrent des options différentes au débiteur selon que l’obligation porte sur une somme d’argent ou la livraison d’une chose ou sur autre chose.

==> L’obligation porte sur une somme d’argent ou sur la livraison d’une chose

Dans cette hypothèse, le débiteur peut se dessaisir de ce qui est dû aux fins de se libérer de son obligation.

La procédure de dessaisissement applicable est sensiblement différente selon que l’obligation porte sur une somme d’argent ou sur la livraison d’une chose.

S’agissant des frais de la consignation ou du séquestre, en application de l’article 1345-3 du Code civil, ils sont à la charge exclusive du créancier.

Lorsque l’une ou l’autre procédure est valablement respectée, l’article 1345-1, al. 3e du Code civil prévoit que « la consignation ou le séquestre libère le débiteur à compter de leur notification au créancier. »

Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

L’effet de la consignation et du séquestre est particulièrement fort puisqu’il libère le débiteur alors même que le créancier n’a pas été payé.

Sous l’empire du droit antérieur, l’article 1257 du Code civil prévoyait que les offres réelles suivies d’une consignation tenaient lieu de paiement à l’égard du débiteur

Ainsi, la consignation était-elle assimilée à un paiement, à tout le moins elle le faisait présumer irréfragablement.

Cette précision n’a pas été reprise par le législateur à l’occasion de la réforme opérée par l’ordonnance du n° 2016-131 du 10 février 2016 de sorte que la question reste « ouverte »[1].

Là n’est pas la seule zone d’ombre créée par le nouveau dispositif mis en place. Lorsque, en effet, l’article 1345-1 du Code civil énonce que « la consignation ou le séquestre libère le débiteur » de son obligation, est-ce à dire que le contrat d’où cette obligation résulte est totalement anéanti ou continue-t-il à produire ses autres effets ?

L’enjeu est d’importance :

Si l’on se reporte à l’avant-projet terré dont s’est inspiré, pour une large part, le législateur, il doit être admis que la libération du débiteur emporte résolution du contrat.

C’est sans aucun doute la solution qui apparaît la plus juste dans la mesure où on voit mal comment le débiteur pourrait exiger du créancier qu’il exécute sa prestation, alors même qu’il n’a pas été payé.

==> L’obligation porte sur un autre objet qu’une somme d’argent ou la livraison d’une chose

L’article 1345-2 du Code civil prévoit que « lorsque l’obligation porte sur un autre objet, le débiteur est libéré si l’obstruction n’a pas cessé dans les deux mois de la mise en demeure. »

Ainsi, lorsque l’obligation porte sur prestation qui consiste, ni en un versement de somme d’argent, ni en la livraison d’une chose, le débiteur n’a aucune démarche à accomplir une fois la mise en demeure adressée au créancier.

Sont ici principalement visées les prestations de services et plus généralement toutes les prestations qui supposent l’exécution d’une obligation de faire.

Si l’obstruction au paiement du créancier n’a pas pris fin dans les deux mois de la mise en demeure, le débiteur est définitivement libéré de son obligation.

 

[1] G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°988, p.888.

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