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Extinction du cautionnement par voie accessoire: la compensation

En raison du caractère accessoire du cautionnement, il suit le sort de l’obligation principale.

Aussi, l’extinction de la dette cautionnée a-t-elle vocation à se répercuter sur l’obligation de la caution qui donc se trouve libérée de son engagement.

L’article 2313 du Code civil prévoit en ce sens que l’obligation de caution « s’éteint aussi par suite de l’extinction de l’obligation garantie ».

La plupart du temps, l’extinction du cautionnement par voie accessoire procédera d’un désintéressement du créancier en ce sens qu’il aura obtenu satisfaction, soit par voie de paiement, soit par voie de compensation.

Il est néanmoins des cas où l’extinction du cautionnement accessoire opérera alors même que le créancier n’aura pas été désintéressé.

Nous nous focaliserons ici sur l’extinction du cautionnement par désintéressement du créancier et plus précisément à raison de la compensation intervenue entre le débiteur principal et le créancier. 

1. Règles de droit commun

La compensation est définie à l’article 1347 du Code civil comme « l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes ».

Cette modalité d’extinction des obligations suppose ainsi l’existence de deux créances réciproques.

Outre l’exigence de réciprocité des créances, l’article 1347-1 du Code civil prévoit que la compensation ne peut avoir lieu qu’en présence de « deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles. »

Par ailleurs, sous l’empire du droit antérieur à la réforme du régime général des obligations instituée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l’ancien article 1290 du Code civil disposait que « la compensation s’opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l’insu des débiteurs ; les deux dettes s’éteignent réciproquement, à l’instant où elles se trouvent exister à la fois, jusqu’à concurrence de leurs quotités respectives. »

Une lecture littérale de ce texte suggérait que la compensation produisait ses effets entre les débiteurs automatiquement, c’est-à-dire sans qu’il leur soit besoin de s’en prévaloir.

La jurisprudence avait néanmoins adopté une solution radicalement opposée. Très tôt, elle a, en effet, estimé que, pour jouer, la compensation devait être expressément invoquée par le débiteur (V. en ce sens Cass. req. 11 mai 1880).

Relevant l’existence d’une discordance entre la règle énoncée à l’article 1294 du Code civil et la jurisprudence, le législateur a mis fin au débat, à l’occasion de la réforme du régime général des obligations, en précisant au nouvel article 1347, al. 2e du Code civil que la compensation « s’opère, sous réserve d’être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies. ».

Il a ainsi été opté pour la thèse de l’absence d’automaticité de la compensation. La compensation n’opère donc plus de plein droit ; pour jouer elle doit être invoquée par le débiteur qui se prévaut de l’extinction de son obligation.

2. Application au cautionnement

==> La caution simple

À l’instar d’un paiement simple, lorsque la compensation est invoquée, elle a pour effet d’éteindre, rétroactivement, les obligations réciproques.

Il en résulte que, en présence d’une obligation cautionnée, la compensation devrait avoir pour effet de libérer la caution à la date même où ses conditions se trouvent réunies.

L’ancien article 1294, al. 1er du Code civil prévoyait en ce sens que « la caution peut opposer la compensation de ce que le créancier doit au débiteur principal ».

La question s’est alors posée de savoir si, pour que la caution puisse se prévaloir de la compensation, elle devait avoir été, au préalable, invoquée par le débiteur principal ?

Au regard de la solution retenue par la Cour de cassation s’agissant des effets de la compensation dans les rapports entre le créancier et le débiteur, on aurait pu le penser.

Néanmoins, la jurisprudence a estimé qu’il n’y avait pas lieu de transposer cette exigence aux rapports entre le créancier et la caution, au motif que l’ancien article 1294 ne subordonnait nullement l’extinction du cautionnement à l’invocation de la compensation par le débiteur principal.

À cet égard, la Cour de cassation est allée plus loin en admettant que la caution puisse opposer au créancier la compensation à laquelle le débiteur principal avait pourtant renoncé (V. en ce sens Cass. com. 26 oct. 1999, n°96-12.571).

Alors que cette règle était bien fixée en jurisprudence, l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 est venue semer le doute en substituant l’ancien article 1294 par l’article 1347-6 qui prévoyait que « la caution peut opposer au créancier la compensation intervenue entre ce dernier et le débiteur principal. »

La formule ainsi retenue était pour le moins malheureuse, dans la mesure où, comme relevé par les commentateurs du texte, l’utilisation du terme « intervenue » pourrait laisser penser que, si la compensation n’a pas été invoquée par le débiteur ou le créancier, la caution ne saurait s’en prévaloir.

Si donc, pour opérer, la compensation doit avoir été invoquée, cela signifie que la caution, en présence d’un débiteur inactif, sinon négligent, serait privée de la possibilité de se libérer de son obligation, alors même que la compensation est constitutive d’une exception inhérente à la dette et qui, à ce titre, doit pouvoir être opposée au créancier.

La formulation retenue par le législateur conduisait manifestement au résultat contraire, raison pour laquelle, il a été décidé de modifier l’article 1347-6 du Code civil, à l’occasion de l’adoption de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Reprenant mot pour mot les termes de l’ancien article 1294 du Code civil, le nouvel article 1347-6 prévoit que « la caution peut opposer la compensation de ce que le créancier doit au débiteur principal. »

Ainsi, est-il expressément énoncé par cette disposition que la caution est autorisée à se prévaloir de la compensation dès lors que ses conditions sont réunies, alors même qu’elle n’a pas été préalablement invoquée par le débiteur.

==> La caution solidaire

Très tôt, la question s’est posée de savoir si, à l’instar de la caution simple, la caution solidaire pouvait se prévaloir de la compensation qui serait intervenue entre le créancier et le débiteur principal.

Sous l’empire du droit antérieur, les textes étaient ambigus :

  • D’un côté, l’alinéa 1er de l’ancien article 1214 du Code civil autorisait la caution à opposer « la compensation de ce que le créancier doit au débiteur principal»,
  • D’autre côté, l’alinéa 3e de ce même texte interdisait au débiteur solidaire d’opposer « la compensation de ce que le créancier doit à son codébiteur.»

En présence d’un cautionnement solidaire comment concilier ces deux dispositions ?

De deux choses l’une :

  • Soit l’on faisait application de la règle régissant l’obligation solidaire, auquel cas la caution solidaire ne pouvait pas se prévaloir de la compensation intervenue entre le créancier et le débiteur principal
  • Soit l’on faisait prévaloir la règle applicable à la caution, auquel cas, en cas d’engagement solidaire, il lui était permis de se prévaloir de la compensation

Entre ces deux approches, la Cour de cassation a opté pour la seconde dans un arrêt du 1er juin 1983.

Aux termes de cette décision elle a jugé que « la caution, même solidaire, a la faculté d’opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal et qui, comme la compensation, sont inhérentes à la dette » (Cass. 1ère civ. 1er juin 1983, n°82-10.749).

Cette solution a, par suite, été consacrée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime général des obligations.

Après avoir rappelé que « la caution peut opposer la compensation de ce que le créancier doit au débiteur principal », le nouvel article 1347-6 du Code civil précise que « le codébiteur solidaire peut se prévaloir de la compensation de ce que le créancier doit à l’un de ses coobligés pour faire déduire la part divise de celui-ci du total de la dette. »

Ainsi, désormais, est-il admis que la caution solidaire puisse se prévaloir, comme la caution simple, de la compensation intervenue entre le créancier et le débiteur principal.

 

[1] Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil – Les sûretés – Publicité foncière, éd. Dalloz, 2004, n°231, p.196

[2] V. en ce sens Ph. Simler, Cautionnement – Extinction par voie accessoire, Lexisnexis, fasc. Jurisclasseur, n°24

[3] J. François, Traité de droit civil – Les obligations, Régime général, Economica 2017, n°139, p. 126.

[4] F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit des obligations, éd. Dalloz, 2002, n°1421, p. 1309

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