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Effets du cautionnement: le cautionnement solidaire

Un cautionnement est dit solidaire lorsqu’il a pour effet d’écarter, tantôt le bénéfice de discussion, tantôt le bénéfice de division. Le plus souvent la solidarité privera la caution des deux bénéfices à la fois.

C’est d’ailleurs la situation que l’on rencontra le plus souvent en pratique. Les établissements de crédits répugnent à admettre la fourniture d’un cautionnement simple, les bénéfices de discussion et de division étant de nature à affecter l’efficacité de la garantie.

Pour cette raison, les auteurs s’accordent à dire que « le cautionnement solidaire est devenu le cautionnement de droit commun »[1].

À cet égard, l’article 2290, al. 2e du Code civil prévoit que « la solidarité peut être stipulée entre la caution et le débiteur principal, entre les cautions, ou entre eux tous. »

Il ressort de cette disposition que différentes figures de solidarité peuvent exister :

  • Solidarité « verticale » entre la caution et le débiteur principal
  • Solidarité « horizontale » entre les différentes cautions
  • Solidarité à la fois « verticale » et « horizontale » entre eux tous

Selon la forme de solidarité que revêt le cautionnement, il produira des effets à géométrie variable.

§1: Les formes de solidarité

==> La solidarité verticale ou l’exclusion du bénéfice de discussion

La solidarité verticale a pour effet de tenir en échec le bénéfice de discussion. Elle affecte le rapport caution-débiteur.

Concrètement, cette forme de solidarité, consiste à priver la caution de son pouvoir d’obliger le créancier à poursuivre d’abord le débiteur principal.

La caution est ici solidaire du débiteur, de sorte que le créancier dispose de la faculté d’actionner indifféremment l’un ou l’autre en paiement.

Dans cette configuration l’engagement de caution est situé sur le même plan que l’obligation principale. Le cautionnement ne présente dès lors plus aucun caractère subsidiaire.

En cas de pluralité de cautions qui se seraient engagées solidairement avec le débiteur, la question s’est posée de savoir si cette solidarité se répercutait également sur les rapports entre cautions ou si elle était sans incidence sur le bénéfice de division.

L’analyse de la jurisprudence révèle qu’il y a lieu de distinguer selon que les engagements de caution ont été formalisés dans un même acte ou dans des actes séparés.

  • Les engagements de caution ont été formalisés dans un même acte
    • Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a jugé très clairement que « lorsque plusieurs personnes se sont rendues cautions solidaires d’un même débiteur pour une même dette, elles ne peuvent, sauf convention contraire, opposer au créancier qui les poursuit solidairement en paiement le bénéfice de division» ( 1ère civ. 27 juin 1984, n°83-12.107), alors même qu’elles s’étaient seulement portées caution du débiteur principal.
    • Autrement dit, la solidarité verticale, en cas de pluralité de cautions, emporte la solidarité horizontale, sans qu’il soit donc nécessaire que l’exclusion du bénéfice de division soit stipulée.
  • Les engagements de caution ont été formalisés dans des actes séparés
    • Lorsque plusieurs personnes se sont portées caution solidaire par actes séparés, le renoncement au bénéfice de discussion par chacune d’elle n’emporte pas renoncement au bénéfice de division.
    • Autrement dit, si chaque caution s’est engagée solidairement aux côtés du débiteur principal, cela ne signifie pas pour autant que les cautions sont solidaires entre elles.
    • Cette solution s’applique, tant dans l’hypothèse où les cautions se sont obligées à garantir des fractions distinctes de la dette du débiteur ((V. en ce sens 1ère civ. 3 oct. 1995, n°93-11.279), que dans l’hypothèse où le cautionnement porte sur une même dette (Cass. com. 18 oct. 1983, n°82-13.333).
    • La raison en est que la solidarité ne se présume pas, elle ne peut jouer qu’à la condition que l’acte de cautionnement ait expressément écarté le bénéfice de division.

==> La solidarité horizontale ou l’exclusion du bénéfice de division

La solidarité horizontale a pour effet d’écarter le bénéfice de division. Elle affecte donc ici, non pas le rapport caution-débiteur, mais les rapports entre cautions.

Autrement dit, elle prive les cofidéjusseurs de leur faculté d’obliger le créancier à diviser ses poursuites. Il pourra dès lors actionner en paiement chaque caution prise individuellement pour la totalité de la dette.

La stipulation d’une clause de solidarité entre cautions ne devrait pas d’affecter le bénéfice de discussion dont chaque cofidéjusseur reste investi tant qu’il n’y a pas renoncé.

Aussi, ce n’est qu’après avoir vainement poursuivi le débiteur à titre principal que le créancier pourra mobiliser la solidarité des cautions.

En pratique, cette situation du cas d’école, les établissements de crédits exigeant systématiquement que les cautions renoncent également à leur bénéfice de discussion.

==> La solidarité verticale et horizontale ou l’exclusion des deux bénéfices

Lorsque les cautions d’une même dette renoncent tout à la fois à leur bénéfice de discussion et de division, leur engagement est poussé au plus haut niveau de solidarité.

Dans cette configuration, le cautionnement solidaire est l’exact opposé du cautionnement simple. La solidarité affecte ici, tant le rapport caution-débiteur que les rapports entre cautions.

Il s’agit de l’hypothèse la plus répandue, car procurant au créancier la plus grande sécurité.

II) Les effets de la solidarité

A) Le cautionnement solidaire en présence d’une seule caution

Lorsqu’une seule caution s’est engagée solidairement avec le débiteur principal, il est admis que le cautionnement produit deux sortes d’effets :

  • Des effets principaux
  • Des effets secondaires

1. Les effets principaux

Plusieurs effets principaux attachés au cautionnement solidaire ordinaire peuvent être identifiés :

==> L’absence de bénéfice de discussion

Lorsque le cautionnement comporte une clause de solidarité, la caution est privée de la faculté de se prévaloir du bénéfice de discussion et du bénéfice de division.

S’agissant du bénéfice de division, il suppose toutefois la présence de plusieurs cautions garantissant une même dette. Or n’est abordé ici que le cautionnement souscrit par une caution unique.

Aussi, la solidarité n’a, en pareille hypothèse, d’incidence que sur le seul bénéfice de discussion.

Si donc l’on se focalise sur ce bénéfice, il apparaît que sa neutralisation par une clause de solidarité a pour effet d’élever la caution au rang de coobligé.

Autrement dit, elle devient solidaire du débiteur principal, ce qui procure au créancier une faculté d’élection.

Ce dernier peut, en effet, choisir discrétionnairement celui d’entre les codébiteurs auquel il réclamera le paiement, par voie extrajudiciaire ou judiciaire, sans avoir à mettre en cause les autres ou même simplement les avertir.

Dans cette configuration l’engagement de caution est situé sur le même plan que l’obligation principale.

Les parties demeurent néanmoins libres d’aménager les conditions d’exercice de l’appel en garantie.

Le contrat de cautionnement peut ainsi subordonner le recours contre la caution à la mise en œuvre d’une sûreté réelle.

Dans un arrêt du 28 mai 1996, la Cour de cassation a estimé que cet aménagement contractuel ne remettait nullement en cause le caractère solidaire du cautionnement (Cass. com. 28 mai 1996, n°94-16.269).

==> La remise de solidarité

L’interdiction faite à la caution solidaire de contraindre le créancier à diviser ses poursuites entre elle et le débiteur principal est assortie d’un tempérament prévu par les règles de droit commun régissant les obligations solidaires.

L’article 1316 dispose que « le créancier qui reçoit paiement de l’un des codébiteurs solidaires et lui consent une remise de solidarité conserve sa créance contre les autres, déduction faite de la part du débiteur qu’il a déchargé. »

Ainsi, lorsque le créancier est réglé par l’un des codébiteurs, il peut lui consentir une remise de solidarité.

Ce dernier n’est alors plus tenu solidairement à la dette, mais seulement conjointement.

La conséquence en est que le créancier ne pourra exiger du bénéficiaire de la remise que le paiement de sa part dans la dette et non du tout.

Quant aux autres débiteurs, ils demeurent tenus solidairement de la dette, déduction faite de la part du débiteur qui a été déchargé.

==> La pluralité de poursuites

Contrairement à la solution ancienne du droit romain fondée sur la litis contestatio, les poursuites engagées contre l’un des coobligés n’empêchent pas le créancier d’agir contre l’autre.

L’article 1313, al. 2 dispose en ce sens que « les poursuites exercées contre l’un des débiteurs solidaires n’empêchent pas le créancier d’en exercer de pareilles contre les autres. »

Il appartiendra néanmoins au créancier lorsqu’il diligentera des poursuites ultérieures de déduire du montant de sa demande le paiement partiel précédemment obtenu de l’un des codébiteurs.

==> La compensation

La compensation est définie à l’article 1347 du Code civil comme « l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes. »

Cette modalité d’extinction des obligations suppose l’existence de deux créances réciproques qui soient certaines dans leur principe, liquides dans leur montant et exigibles, soit dont le terme est échu.

Très tôt, la question s’est posée de savoir si, à l’instar de la caution simple, la caution solidaire pouvait se prévaloir de la compensation qui serait intervenue entre le créancier et le débiteur principal.

Sous l’empire du droit antérieur, les textes étaient ambigus :

  • D’un côté, l’alinéa 1er de l’ancien article 1214 du Code civil autorisait la caution à opposer « la compensation de ce que le créancier doit au débiteur principal»,
  • D’autre côté, l’alinéa 3e de ce même texte interdisait au débiteur solidaire d’opposer « la compensation de ce que le créancier doit à son codébiteur.»

En présence d’un cautionnement solidaire comment concilier ces deux dispositions ? De deux choses l’une :

  • Soit l’on faisait application de la règle régissant l’obligation solidaire, auquel cas la caution solidaire ne pouvait pas se prévaloir de la compensation intervenue entre le créancier et le débiteur principal
  • Soit l’on faisait prévaloir la règle applicable à la caution, auquel cas, en cas d’engagement solidaire, il lui était permis de se prévaloir de la compensation

Entre ces deux approches, la Cour de cassation a opté pour la seconde dans un arrêt du 1er juin 1983.

Aux termes de cette décision elle a jugé que « la caution, même solidaire, a la faculté d’opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal et qui, comme la compensation, sont inhérentes a la dette » (Cass. 1ère civ. 1er juin 1983, n°82-10.749).

Cette solution a, par suite, été consacrée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime général des obligations.

Après avoir rappelé que « la caution peut opposer la compensation de ce que le créancier doit au débiteur principal », le nouvel article 1347-6 du code civil précise que « le codébiteur solidaire peut se prévaloir de la compensation de ce que le créancier doit à l’un de ses coobligés pour faire déduire la part divise de celui-ci du total de la dette. »

Ainsi, désormais, est-il admis que la caution solidaire puisse se prévaloir de la compensation intervenue entre le créancier et le débiteur principal.

==> La remise de dette

Pour mémoire, la remise de dette est le contrat par lequel le créancier libère le débiteur de son obligation.

Comme pour la compensation, la question s’est posée de savoir si la caution solidaire pouvait se prévaloir d’une remise de dette consentie par le créancier au débiteur principal.

Tandis que l’ancien article 1287, al. 1er du Code civil prévoyait que la remise de dette accordée au débiteur principal avait pour effet de libérer les cautions, l’ancien article 1285, al. 1er retenait, quant à lui, la solution inverse pour des codébiteurs solidaires.

Comment articuler ces deux textes en présence d’un cautionnement solidaire ? La difficulté soulevée était exactement la même que celle rencontrée avec la compensation.

  • Soit l’on faisait application de l’article 1287, auquel cas il y avait lieu d’admettre que la caution solidaire puisse se prévaloir de la remise de dette consentie au débiteur principal
  • Soit l’on faisait application de l’article 1285, auquel cas la caution ne pouvait pas se prévaloir de la remise de dette consentie au débiteur principal

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du régime général des obligations a retenu la seconde solution, de sorte que, comme pour la compensation, la caution solidaire est autorisée à se prévaloir de la remise de dette octroyée au débiteur principal.

Le nouvel article 1350-2, al. 1er du Code civil dispose en ce sens que « la remise de dette accordée au débiteur principal libère les cautions, même solidaires. »

L’alinéa 2 précise que si la remise consentie à l’une des cautions solidaires ne libère pas le débiteur principal, elle libère les autres cautions à concurrence de sa part.

2. Les effets secondaires

Certains effets de la solidarité sont qualifiés de secondaires en raison de leur singularité.

Ils ont en commun de faciliter l’action du créancier car certains actes accomplis à l’encontre de l’un des coobligés produisent leurs effets à l’égard de tous les autres.

La cohérence de ces effets secondaires demeure toutefois incertaine dans la mesure où, tout en liant le sort des coobligés à l’instar des exceptions inhérentes à la dette, ils ne se rattachent pas aisément à la notion d’unicité de la dette qui se retrouve en matière de cautionnement, l’engagement souscrit par la caution se rapportant à la même dette que celle qui pèse sur le débiteur principal.

Aussi, a-t-on cherché à leur trouver un socle théorique commun.

a. Exposé de la théorie de la représentation mutuelle

À partir des effets secondaires les plus caractéristiques, la doctrine du XIXe siècle a cherché à les rassembler autour d’une théorie commune, laquelle a été reprise par la jurisprudence qui l’a, dans un premier temps, appliqué à la solidarité de droit commun, (V. notamment en ce sens Cass. civ. 1er déc. 1885), puis dans un second temps a cherché à transposer cette théorie au cautionnement (V. en ce sens Cass. req. 23 juill. 1929).

Cette tentative de théorisation des effets secondaires de la solidarité n’est pas sans avoir fait l’objet de vives critiques.

La particularité de ces effets remarquait-on est que les coobligés – soit pour le cautionnement le débiteur principal et la caution – posséderaient une communauté d’intérêts.

En partant de ce postulat, on en a déduit qu’ils avaient respectivement qualité à agir au nom de l’autre et que, en somme, ils se représentaient mutuellement.

C’est ce que l’on appelle la théorie de la représentation mutuelle.

Le pouvoir de représentation dont seraient investis les coobligés ne serait pas toutefois illimité.

Ces derniers ne sauraient accomplir aucun acte qui aurait pour conséquence d’aggraver la situation de l’autre.

Ils ne pourraient valablement agir qu’en vue de maintenir ou de réduire l’engagement de tous.

Bien que séduisante, cette thèse n’en est pas moins contestable. Il lui est notamment reproché de présenter une certaine part d’artifice en ce qu’il est difficile de trouver une communauté d’intérêts dans la situation juridique que constitue la solidarité.

Par ailleurs, il n’y est plus fait référence par la jurisprudence à tout le moins que dans de très rares cas (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 15 févr. 2000, n°97-20.458).

Surtout, la Cour de cassation semble y avoir renoncé dans une affaire ayant donné lieu à deux décisions remarquées rendues à 6 mois d’intervalle le 27 novembre 2014 et le 5 mai 2015 (Cass. com. 27 nov. 2014, n°14-16.644 ; Cass. com. 5 mai 2015, n°14-16.644).

2. Inventaire des effets secondaires

De tous les effets secondaires énoncés par le Code civil avant la réforme du droit des contrats, l’ordonnance du 10 février 2016 n’en a repris qu’un seul : la demande d’intérêts formée contre l’un des coobligés.

Quant à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés elle est silencieuse sur les effets secondaires que l’on attachait traditionnellement au cautionnement solidaire.

Est-ce à dire que les solutions retenues par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur ont été abandonnées ? Rien ne permet de se prononcer dans un sens un dans l’autre.

Aussi, convient-il d’appréhender les effets secondaires de la solidarité au cas par cas :

==> La demande d’intérêts formée contre l’un des codébiteurs

L’article 1314 du Code civil prévoit que « la demande d’intérêts formée contre l’un des débiteurs solidaires fait courir les intérêts à l’égard de tous. »

De toute évidence, cet effet secondaire de la solidarité vient contredire la théorie de la représentation mutuelle, dans la mesure où il conduit à une aggravation de la situation des coobligés.

On mal comment ces derniers pourraient avoir un intérêt commun à supporter le poids des intérêts réclamés à l’un d’eux.

En tout état de cause, la règle – de droit commun – énoncée à l’article 1314 du Code civil joue également en matière de cautionnement solidaire : la demande d’intérêts formulée à l’encontre du débiteur principal ou de la caution fait courir les intérêts à l’égard de l’autre.

==> La mise en demeure adressée à l’un des codébiteurs

Lorsqu’une mise en demeure est adressée par le créancier à l’un des coobligés (caution ou débiteur principal), elle produit pleinement ses effets à l’égard de l’autre.

Pour rappel, la mise en demeure fait notamment courir les intérêts moratoires.

Toutefois, seul le coobligé mis en demeure de payer peut être condamné s’il ne défère pas à la demande du créancier dans le délai imparti.

==> L’interruption de la prescription contre l’un des codébiteurs

Lorsqu’un acte interruptif de prescription est accompli par le créancier, il est admis, en droit commun, qu’il produit ses effets à l’encontre de tous les coobligés.

L’article 2245 du Code civil prévoit en ce sens que « l’interpellation faite à l’un des débiteurs solidaires par une demande en justice ou par un acte d’exécution forcée ou la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription contre tous les autres, même contre leurs héritiers. »

L’acte interruptif de prescription pourra consister, tant en un acte judiciaire (acte introductif d’instance) qu’en un acte extrajudiciaire (reconnaissance de dette).

Dans un arrêt du 12 décembre 1995, la Cour de cassation a précisé qu’il pouvait également s’agir d’une déclaration de créance dans le cadre d’une procédure collective, cet acte ayant la même valeur qu’une demande en justice (Cass. com. 12 déc. 1995, n°94-12.793).

La règle énoncée à l’article 2245 du Code civil a été transposée par la jurisprudence au cautionnement qui admet que l’accomplissement d’un acte interruptif de prescription par le créancier produit ses effets à l’égard de tous les coobligés.

Dans un arrêt du 31 mai 2016, la Cour de cassation a, par exemple, jugé en ce sens que « l’interruption de la prescription à l’égard d’une caution solidaire produit effet à l’égard du débiteur principal » (Cass. com. 31 mai 2016, n°14-28.150).

==> L’autorité de la chose jugée

Très tôt, la jurisprudence a estimé que la chose jugée entre le créancier et le débiteur principal produisait ses effets à l’égard de la caution.

Dans un arrêt du 28 décembre 1881, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que « la chose jugée avec l’un des codébiteurs solidaires est opposable à tous les autres » (Cass. civ. 28 déc. 1881).

Cela signifie que la décision qui tranche un litige se rapportant à l’obligation principale, s’impose à la caution, à supposer qu’elle n’ait pas été partie à l’instance.

Si tel est le cas, elle pourra exercer toutes les voies de recours reconnues classiquement aux parties (appel ou pourvoi en cassation) aux fins de remettre en cause la décision rendue.

La règle qui rend la chose jugée entre le créancier et le débiteur principal opposable à la caution a fait l’objet d’une application massive en matière de procédure collective, et notamment s’agissant de l’admission définitive d’une créance au passif de la procédure.

Dans un arrêt du 25 février 2004, la Chambre commerciale a ainsi affirmé que « la décision d’admission de la créance au passif du débiteur principal en procédure collective est opposable à la caution tant en ce qui concerne l’existence et le montant de la créance que la substitution de la prescription trentenaire à la prescription originaire » (V. en ce sens Cass. com. 25 févr. 2004, n°01-13.588).

Réciproquement, il est admis que la chose jugée entre le créancier et la caution solidaire est opposable au débiteur principal (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 15 févr. 2000, n°97-20.458).

==> Les voies de recours

La question qui ici se pose est de savoir dans quelle mesure la caution peut intervenir à l’instance qui oppose le créancier au débiteur principal.

En tant que caution, elle est directement intéressée par ce litige dont l’issue aura nécessairement des répercussions sur sa situation personnelle.

Deux voies procédurales sont susceptibles d’être empruntées par la caution :

  • L’intervention volontaire ou forcée
    • Constitue une intervention la demande dont l’objet est de rendre un tiers partie au procès engagé entre les parties originaires ( 66 CPC).
      • L’intervention est volontaire lorsque la demande émane du tiers
      • L’intervention est forcée lorsque le tiers est mis en cause par une partie
    • Pour que l’intervention soit recevable, il faut qu’elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant ( 325 CPC).
    • Pour être recevable à agir en intervention forcée, la caution devra ainsi démontrer que sa demande entretient un lien suffisant avec le litige qui oppose le créancier et le débiteur principal.
    • A cet égard, elle pourra trouver un appui chez le juge qui dispose de la faculté, en présence d’un cautionnement solidaire, d’« ordonner d’office la mise en cause de tous les co-intéressés» ( 552, al. 3e CPC).
    • La Cour de cassation a par exemple fait application de cette règle dans un arrêt du 15 janvier 2004 ( 2e civ. 15 janv. 2004, n°02-10.745).
  • La tierce opposition
    • La tierce opposition tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du tiers qui l’attaque ( 582 CPC).
    • Plus précisément, elle remet en question relativement à son auteur les points jugés qu’elle critique, pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit.
    • Dans l’hypothèse où la caution n’aurait pas été partie à l’instance opposant le créancier au débiteur principal, la question se pose de savoir si la caution peut former tierce opposition aux fins de faire valoir ses prétentions.
    • Cette question n’est pas sans avoir suscité une importance controverse en jurisprudence.
      • Première étape
        • Les juridictions ont estimé, dans un premier temps, que la caution n’était pas recevable à agir en tierce opposition au motif qu’il y avait lieu de considérer que cette dernière était d’ores et déjà représentée à l’instance par le débiteur principal.
        • Or l’article 583 du Code de procédure civile fixe comme condition de recevabilité de la tierce opposition l’absence de représentation à l’instance de celui qui agit.
        • La caution étant représentée par le débiteur, elle ne pourrait dès lors pas endosser la qualité de tiers à l’instance et, par voie de conséquence, être recevable à agir en tierce opposition (V. en ce sens com. 6 juin 1961).
        • Cette solution adoptée par la jurisprudence n’est autre qu’une mise en œuvre de la théorie de la représentation mutuelle développée par la doctrine classique.
      • Deuxième étape
        • La Cour de cassation a, par suite, assoupli sa position en admettant que la caution solidaire puisse former tierce opposition, mais uniquement dans le cas où son action vise à soulever une exception qui lui est personnelle.
        • Dans un arrêt du 4 octobre 1983, elle a ainsi jugé que « les cautions solidaires sont recevables dans leur tierce opposition dans la mesure où elles sont en droit d’invoquer des moyens qui leur soient personnels, c’est-à-dire que les débiteurs principaux n’auraient pu invoquer eux-mêmes» ( com. 4 oct. 1983, n°82-12.415).
        • Cette solution reposait ainsi sur l’idée que, dans la mesure où la décision rendue entre le créancier et le débiteur principal est susceptible d’avoir des répercussions sur la situation personnelle de la caution, celle-ci doit être en capacité de défendre ses intérêts pour les cas où le débiteur ne serait pas en mesure de la représenter.
        • Or il en va ainsi, lorsqu’il s’agit de soulever des moyens strictement personnels à la caution, telles que les exceptions affectant son engagement de caution (causes d’extinction ou de nullité du cautionnement) ou encore la collusion frauduleuse entre le créancier et le débiteur principal ( 1ère civ. 10 déc. 1991, n°90-12.834).
        • Si, cet assouplissement de la position de la Cour de cassation a été favorablement accueilli par la doctrine, les auteurs le jugeaient insuffisant.
        • Le principal grief formulé par ces derniers.
      • Troisième étape
        • Attentive aux critiques formulées par la doctrine à l’endroit de sa position, la Cour de cassation a opéré un important revirement de jurisprudence dans un arrêt du 5 mai 2015 ( com. 5 mai 2015, n°14-16.644).
        • Au visa de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, elle a jugé que « le droit effectif au juge implique que la caution solidaire, qui n’a pas été partie à l’instance arbitrale, soit recevable à former tierce opposition à l’encontre de la sentence arbitrale déterminant le montant de la dette du débiteur principal à l’égard du créancier».
        • Ainsi, admet-elle, en vertu du « droit effectif au juge» que la caution puisse former tierce opposition à l’encontre de la décision rendue entre le créancier et le débiteur principal.
        • Surtout, et c’est là le second apport qu’il y a lieu de retirer de cet arrêt, la Cour de cassation renonce à la théorie de la représentation mutuelle.
        • Si la caution est recevable à agir, c’est parce qu’elle remplit les conditions de l’article 583, al. 1er du Code de procédure civile et plus particulièrement la condition tenant à l’absence de représentation.
        • Aussi, la Haute juridiction reconnaît à la caution la qualité de tiers à l’instance et non plus la qualité de personne représentée.
        • La Cour de cassation avait amorcé cet abandon de la théorie de la représentation mutuelle dans un arrêt du 27 novembre 2014 aux termes duquel elle répondait à la demande de renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité suivante : « les dispositions de l’article 1208 du code civil telles qu’interprétées de façon constante par la jurisprudence comme instituant une représentation mutuelle des coobligés solidaires en justice sont-elles contraires au droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en ce qu’elles interdisent à une caution solidaire de critiquer devant les juridictions étatiques la sentence arbitrale condamnant le débiteur principal à payer au créancier la dette garantie à l’issue d’une instance à laquelle cette caution n’a pas pu intervenir ?»
        • Pour déclarer irrecevables la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les requérants, la chambre commerciale répond que « qu’il n’existe pas, en l’état, d’interprétation jurisprudentielle constante interdisant à une caution solidaire de critiquer devant les juridictions étatiques la sentence arbitrale condamnant le débiteur principal à payer au créancier la dette garantie à l’issue d’une instance à laquelle cette caution n’a pas pu intervenir» ( com. 27 nov. 2014, n°14-16.644).

B) Le cautionnement solidaire en présence de plusieurs cautions

En présence de plusieurs cautions, le cautionnement solidaire produira des effets différents, selon que les cautions sont solidaires entre elles ou seulement avec le débiteur principal.

1. La solidarité entre les cautions

Dans cette hypothèse, les cautions ont seulement renoncé au bénéfice de division. Elles ne peuvent donc pas contraindre le créancier à diviser ses poursuites entre toutes les cautions.

Ces dernières ont, en revanche, conservé leur bénéfice de discussion, de sorte qu’elles peuvent obliger le créancier à poursuivre, d’abord, le débiteur principal, préalablement à toute action en paiement contre elles.

À l’analyse, ce cas de figure est rare ; il relève du cas d’école. Les établissements de crédit exigeront toujours que les cautions renoncent à leur bénéfice de division et de discussion. Cette renonciation est une clause de style qui est ancrée, de longue date, dans la pratique bancaire.

En tout état de cause, dans l’hypothèse d’une solidarité seulement horizontale, soit résultant d’une renonciation au bénéfice de division, la solidarité ne jouera que dans les rapports entre cautions.

Dans leur rapport avec le débiteur principal les cautions seront regardées comme ayant souscrit un cautionnement simple.

S’agissant de la solidarité entre cautions, les auteurs s’accordent à dire qu’elle produit sensiblement les mêmes effets que ceux que l’on attache traditionnellement à la solidarité avec le débiteur principal.

Au nombre de ces effets on peut citer :

  • La demande d’intérêts formée contre l’un des cautions
    • La demande d’intérêts formulée par le créancier contre l’une des cautions solidaires fait courir les intérêts à l’égard de toutes les cautions
  • La mise en demeure adressée à l’une des cautions
    • La mise en demeure adressée à l’une des cautions, produit ses effets à l’égard des autres cofidéjusseurs
  • L’interruption de la prescription contre l’une des cautions
    • L’interruption de la prescription contre une caution est opposable aux autres cautions
  • La compensation
    • La Cour de cassation a admis, dans un arrêt du 13 décembre 2005, que l’extinction de la dette garantie par voie de compensation bénéficiait à tous les cofidéjusseurs ( com. 13 déc. 2005, n°04-19.234).
    • En revanche, si la compensation intervient entre l’une des cautions et le créancier, les cofidéjusseurs ne pourront pas s’en prévaloir.
  • La remise de dette
    • Le nouvel article 1350-2 du Code civil prévoit, en son alinéa 2, que « la remise consentie à l’une des cautions solidaires ne libère pas le débiteur principal, mais libère les autres à concurrence de sa part. »
    • L’alinéa 3 de ce texte précise que ce que le créancier a reçu d’une caution pour la décharge de son cautionnement doit être imputé sur la dette et décharger le débiteur principal à proportion.
    • Quant autres cautions, elles ne restent tenues que déduction faite de la part de la caution libérée ou de la valeur fournie si elle excède cette part.

Certains effets sont plus spécifiques à la solidarité entre cautions :

  • La révocation par une caution de son engagement
    • La question s’est posée de savoir si, en présence de plusieurs cautions solidaires entre elles, la révocation par l’une de son engagement avait pour effet de libérer les autres.
    • Dans un arrêt du 13 juin 1995, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question.
    • Au soutien de sa décision, elle a affirmé que « la solidarité entre cautions n’a pas pour effet leur représentation mutuelle dans l’exercice de la faculté individuelle de révocation» ( 1ère civ. 13 juin 1995, n°92-19.358).
    • Dans un arrêt du 7 décembre 1999, la Première chambre civile a toutefois précisé qu’il appartient à la caution d’informer ses cofidéjusseurs de la révocation de son engagement, faute de quoi elle engage sa responsabilité à l’égard de ces derniers ( 1ère civ. 7 déc. 1999, n°97-22.505).
  • La novation
    • Sous l’empire du droit antérieur à la réforme du droit des contrats, dans un arrêt du 7 décembre 1999, la Cour de cassation avait jugé que « la novation opérée à l’égard de l’une des cautions n’a pas pour effet de libérer le débiteur principal et, par suite, pas davantage les autres cautions solidaires, sauf convention contraire» ( com. 7 déc. 1999, 96-15.915).
    • Ainsi, en cas de substitution de l’engagement de l’une des cautions solidaires par un nouveau contrat, la novation qui en résulte n’a pas pour effet de se répercuter sur les autres cofidéjusseurs qui demeurent tenus à leur engagement.
    • L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 est revenue sur cette jurisprudence en prévoyant à l’article 1335 du Code civil que la novation convenue entre le créancier et la caution « libère les autres cautions à concurrence de la part contributive de celle dont l’obligation a fait l’objet de la novation.»

C) La solidarité entre les cautions et le débiteur principal

Dans cette hypothèse, les cautions ont toutes renoncé au bénéfice de discussion, ce qui signifie qu’elles sont solidaires avec le débiteur principal.

Cette situation se rencontrera lorsque plusieurs cautions se seront engagées successivement au profit du créancier aux fins de garantir la même dette.

Tantôt leur engagement garantira des fractions distinctes de cette dette, tantôt il garantira la totalité de la dette.

Les deux situations doivent être distinguées :

  • Les cautions garantissent des fractions distinctes de la même dette
    • Dans cette hypothèse, chaque engagement de caution a vocation à s’additionner.
    • Les cautions ne seront toutefois tenues qu’à hauteur de la fraction garantie.
    • Le créancier ne pourra donc pas les poursuivre pour le tout ( 1ère civ. 2 juill. 2002, n°00-11.014).
  • Les cautions garantissent la totalité d’une même dette
    • Dans cette hypothèse, les cautions ont seulement renoncé au bénéfice de discussion.
    • En revanche, elles n’ont a priori pas renoncé au bénéfice de division, de sorte que le créancier devrait être contraint de diviser ses poursuites entre tous les cofidéjusseurs.
    • Telle n’est pourtant pas la voie empruntée par la jurisprudence.
    • Dans un arrêt du 27 juin 1984, la Cour de cassation a estimé que « lorsque plusieurs personnes se sont rendues cautions solidaires d’un même débiteur pour une même dette, elles ne peuvent, sauf convention contraire, opposer au créancier qui les poursuit solidairement en paiement le bénéfice de division» ( 1ère civ. 27 juin 1984, n°83-13.107).
    • De prime abord cette décision peut surprendre dans la mesure où la solidarité ne se présume pas.
    • Or dans cette affaire, les cautions ne s’étaient pas engagées solidairement entre elles, à tout le moins, cela n’était pas stipulé dans l’acte de cautionnement.
    • À l’analyse, la solution entreprise par la Première chambre civile se justifie pleinement.
    • En effet, en s’obligeant solidairement avec le débiteur principal, chaque cofidéjusseur s’est engagé à payer l’intégralité de la dette.
    • Si toutefois on leur reconnaissait la possibilité de se prévaloir du bénéfice de division, cela reviendrait à les autoriser à se soustraire à leur engagement.
    • Or le créancier, au titre de la solidarité souscrite par les cofidéjusseurs avec le débiteur principal, doit pouvoir réclamer à chacun d’eux le paiement de la totalité de la dette.
    • C’est la raison pour laquelle, en présence de plusieurs cautions, le renoncement de chacune d’elles au bénéfice de discussion a pour effet de neutraliser le bénéfice de division qui ne pourra pas être opposé au créancier.

 

[1] D. Legeais, Droit des sûretés et garanties du crédit, éd. LGDJ, 2021, n°73, p. 69.

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