Le Droit dans tous ses états

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Les fonctions de la cause de l’engagement de la caution

L’application de la théorie de la cause au cautionnement conduit à se demander quelles sont les fonctions jouées par la cause:

  • D’une part, dans les rapports caution-créancier
  • D’autre part, dans les rapports caution débiteur

I) Dans les rapports caution-créancier

==> Cause et caractère accessoire du cautionnement

Dans les rapports entre la caution et le créancier la condition tenant à la cause est, comme soulevé par la doctrine, le plus souvent « occultée » par le caractère accessoire du cautionnement[1].

Lorsque, en effet, la dette à garantir est soit inexistante, soit frappée de nullité, le cautionnement s’en trouve affecté, d’abord, parce qu’il présente un caractère accessoire.

Par accessoire, il faut comprendre que le cautionnement suppose l’existence d’une obligation principale à garantir.

L’article 2293 du Code civil prévoit en ce sens que « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable ».

La règle ainsi énoncée coïncide avec l’exigence tenant à la cause de l’engagement de caution qui réside précisément dans l’existence d’une dette à garantir.

Reste que, comme s’accordent à le dire les auteurs, le cautionnement est susceptible d’être annulé, moins sur le fondement de l’absence de cause objective, que par le jeu des effets attachés à son caractère accessoire.

Pour cette raison, en matière de cautionnement, la cause joue un rôle limité.

==> Le rôle limité de la cause

À l’analyse, le recours à la cause ne présentera de véritable intérêt que lorsque le caractère accessoire du cautionnement sera sans incidence sur la validité de l’engagement de caution.

Tel était dans le cas dans l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 17 mai 2017. Pour mémoire, dans cette affaire, la caution s’était engagée à garantir l’octroi d’un nouveau crédit au débiteur principal.

Seulement, en raison de la procédure de liquidation judiciaire dont ce dernier avait fait l’objet, l’établissement bancaire était finalement revenu sur sa décision.

Au cas particulier, la caution ne pouvait nullement se réfugier derrière le caractère accessoire du cautionnement pour se soustraire à son obligation de paiement, dans la mesure où le débiteur principal bénéficiait déjà d’un concours financier. Il existait donc bien une dette à garantir.

La caution pouvait, en revanche, parfaitement arguer qu’elle s’était engagée en considération de l’octroi d’un nouveau crédit par le créancier.

Or faute pour le débiteur de n’avoir finalement pas pu bénéficier de cet avantage, l’engagement de caution se trouvait privé de cause.

C’est sur ce fondement que la Cour de cassation a admis que le cautionnement litigieux devait être annulé.

==> L’appréciation de la cause

Il a toujours été admis que la condition tenant à la cause devait être remplie au jour de la formation du contrat.

Cette exigence a d’ailleurs été reprise par l’article 1169 du Code civil qui prévoit que « un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire. »

Il s’infère de cette règle que seule l’absence de cause est susceptible d’affecter la validité du cautionnement.

Si donc la cause de l’engagement de caution disparaît postérieurement à la conclusion de l’acte, cette dernière demeurera tenue de satisfaire à ses obligations.

La Cour de cassation rappelle ainsi régulièrement que la cessation des fonctions du dirigeant d’entreprise ne le charge pas de son engagement de caution.

Dans un arrêt du 28 mai 2002, elle a affirmé en ce sens que « la cessation des fonctions de gérant de la société cautionnée n’emporte pas, à elle seule, la libération de la caution, sauf si celle-ci a fait de ces fonctions la condition déterminante de son engagement » (Cass. com. 28 mai 2002, n°98-22.281).

La Chambre commerciale a adopté la même position pour un époux qui s’était porté caution de son épouse avant d’avoir divorcé (Cass. com. 19 janv. 1981, n°79-11.339).

La jurisprudence est ainsi réticente à admettre que la disparition de la cause de l’engagement de caution au cours de l’exécution du contrat affecte la validité du cautionnement.

C’est donc uniquement au stade de la formation du contrat que la condition tenant à la cause devra être appréciée.

II) Dans les rapports caution-débiteur

Bien que le cautionnement soit un contrat conclu exclusivement entre la caution et le créancier, le débiteur principal n’en reste pas moins intéressé à l’opération.

À cet égard, les rédacteurs du Code civil voyaient le cautionnement comme un service gracieux rendu entre amis ou entre proches parents, la caution ne recherchant, a priori, aucun enrichissement personnel en garantissant l’exécution de l’obligation souscrite par le débiteur principal.

Aussi, est-il fréquent que la caution s’engage en considération de la personne du débiteur ou de la rémunération attendue de ce dernier.

Tirant argument de cette situation, certains plaideurs ont cherché à faire annuler des cautionnements pour absence de cause en exploitant le lien unissant la caution et le débiteur.

Sur ce fondement, deux cas de figure ont été soumis à la jurisprudence :

  • L’insolvabilité du débiteur au jour de la souscription du cautionnement
    • L’argument avancé ici est de dire que la caution se serait engagée en considération de la solvabilité du débiteur
    • Or il s’avère que, au jour de la conclusion du cautionnement, elle ne l’était pas.
    • L’engagement souscrit par la caution serait donc privé de cause
    • Bien que séduisante, cette thèse n’a pas emporté la conviction de la jurisprudence.
    • Pour mémoire, dans l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 17 mai 2017, la caution arguait que son engagement était sans cause, dans la mesure où, au jour où le cautionnement a été souscrit, la société garantie était insolvable (liquidation judiciaire).
    • Pour débouter la caution de sa demande de nullité de son engagement, la Cour d’appel avait notamment estimé qu’il n’était « pas interdit de se porter caution d’un débiteur dont l’insolvabilité est avérée ».
    • La chambre commerciale censure les juges du fond considérant que la que les motifs adoptés au soutien de leur décision étaient impropres à caractériser la cause de l’engagement de caution.
    • Pour elle, afin de déterminer si l’engagement de la caution était causé, il leur appartenait de s’intéresser, non pas à la situation du débiteur principal, soit à son insolvabilité, mais à l’existence d’une dette à garantir.
    • Pour la haute juridiction, la cause de l’engagement de la caution ne réside donc pas dans le rapport caution-débiteur principal, mais dans le rapport caution-créancier ( com. 17 mai 2017, n°15-15.746).
    • Tout au plus, la solvabilité du débiteur peut avoir été un motif déterminant du consentement de la caution.
    • Dans un arrêt du 25 octobre 1977, la Cour de cassation a ainsi admis que l’erreur sur la solvabilité du débiteur pouvait être constitutive d’une cause de nullité dès lors que les parties l’ont expressément fait entrer dans le champ contractuel ( 1ère civ. 25 oct. 1977, n°76-11.441).
    • Elle a, par suite, infléchi sa position en précisant que la caution pouvait faire faire entrer tacitement dans le champ contractuel la condition tenant à la solvabilité du débiteur ( com. 1er oct. 2002, n°00-13.189)
  • L’absence d’autres sûretés au jour de l’engagement de caution
    • Il est fréquent que l’obligation souscrite par le débiteur principal soit garantie par d’autres sûretés.
    • Lorsque cette situation se présente, la caution est légitimement en droit de penser, au jour de la conclusion de son engagement, que ces sûretés viendront mécaniquement limiter son obligation de payer, à tout le moins elles pourraient lui profiter par le jeu de la subrogation.
    • Elle est toutefois susceptible de s’apercevoir que, en réalité, soit aucune garantie n’a été prise, soit celles qu’elle croyait constituées sont frappées d’une irrégularité les privant de leur efficacité.
    • En pareille circonstance, certaines cautions ont cherché à se placer sur le fondement de l’absence de cause pour faire annuler le cautionnement souscrit.
    • L’argument avancé était de dire que la caution se serait engagée en considération de l’existence d’autres sûretés.
    • Or l’absence de constitution de ces sûretés reviendrait à priver son engagement de cause.
    • Bien que convaincant, cet argument n’a pas emporté l’adhésion de la jurisprudence.
    • Dans un arrêt du 10 juillet 1978, la Cour de cassation a eu à connaître d’une affaire où plusieurs associés s’étaient constitué cautions solidaires aux fins de garantir, à concurrence d’un montant déterminé, le remboursement de toutes sommes que le débiteur principal devait à une banque.
    • Deux des associés se sont finalement dégagés de leur engagement si bien que la troisième caution est demeurée seule tenue à la dette.
    • En réponse aux poursuites diligentées à son endroit par le créancier, elle lui a opposé la nullité du cautionnement au motif « que l’engagement de cautions solidaires pris par plusieurs personnes, dans un acte unique, pour garantir une dette unique et un même débiteur, est présumé avoir été contracte en fonction de l’existence des autres cautions».
    • La chambre commerciale rejette pourvoi, considérant que la cause de l’engagement de la caution ne résidait pas dans la constitution des autres cautionnements ( com. 10 juill. 1978, n°77-10.577).
    • Tout au plus, à l’instar de la solvabilité du débiteur, l’existence d’autres sûretés constitue un élément déterminant du consentement de la caution.
    • Dans un arrêt du 2 mai 1989 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « en cas de pluralité de cautions, dont l’une vient à disparaître ultérieurement, les autres cautions peuvent invoquer la nullité de leur engagement pour erreur sur l’étendue des garanties fournies au créancier en démontrant qu’elles avaient fait du maintien de la totalité des cautions la condition déterminante de leur propre engagement» ( 1ère civ. 2 mai 1989, n°87-17.599)
    • Pour la Cour de cassation l’engagement de la caution en considération de l’existence d’autres sûretés constitue donc bien une cause de nullité du cautionnement, mais pas sur le fondement de l’absence de cause.
    • Il s’agit plutôt d’une erreur sur les qualités essentielles de l’engagement de caution.
    • Reste que, pour être sanctionnée, l’erreur commise par la caution doit avoir été déterminante de son engagement.

Au bilan, il apparaît que la cause de l’engagement de caution ne réside jamais dans le rapport caution-débiteur.

La raison en est que les motifs intéressant ce rapport ne sont pas connus du créancier, à tout le moins, comme souligné par des auteurs, ils « ne peuvent être imposés au créancier comme étant la cause du cautionnement »[2].

Le cautionnement est un contrat conclu entre la seule caution et le créancier de sorte que seuls des moyens de défense tirés de ce rapport sont susceptibles d’être opposés au créancier.

[1] V. en ce sens Ph. Simler, Le cautionnement – Conditions de validité – Conditions du droit commun des contrats, Jurisclasseur, art. 2288 à 2320, Fasc. 20

[2] M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Sirey, 2020, n°154, p.232.

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