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Validité du cautionnement: l’erreur comme vice du consentement

La théorie des vices du consentement, issu du droit commun des contrats, s’applique au cautionnement.

Le consentement de la caution ne doit pas seulement avoir été exprimé au moment de la conclusion de l’acte, il doit encore n’être affecté d’aucun vice.

Autrement dit, la caution doit s’être obligée au profit du créancier de façon libre et éclairée ce qui implique qu’elle ne se soit pas engagée par erreur, ni que son consentement ait été obtenu au moyen de manœuvres dolosives ou de la violence.

Nous nous focaliserons ici sur l’erreur.

==> Notion

L’erreur peut se définir comme le fait pour une personne de se méprendre sur la réalité. Cette représentation inexacte de la réalité vient de ce que l’errans considère, soit comme vrai ce qui est faux, soit comme faux ce qui est vrai.

L’erreur consiste, en d’autres termes, en la discordance, le décalage entre la croyance de celui qui se trompe et la réalité.

Lorsqu’elle est commise à l’occasion de la conclusion d’un contrat, l’erreur consiste ainsi dans l’idée fausse que se fait le contractant sur tel ou tel autre élément du contrat.

Il peut donc exister de multiples erreurs :

  • L’erreur sur la valeur des prestations: j’acquiers un tableau en pensant qu’il s’agit d’une toile de maître, alors que, en réalité, il n’en est rien. Je m’aperçois peu de temps après que le tableau a été mal expertisé.
  • L’erreur sur la personne: je crois solliciter les services d’un avocat célèbre, alors qu’il est inconnu de tous
  • Erreur sur les motifs de l’engagement : j’acquiers un appartement dans le VIe arrondissement de Paris car je crois y être muté. En réalité, je suis affecté dans la ville de Bordeaux

Manifestement, ces hypothèses ont toutes en commun de se rapporter à une représentation fausse que l’errans se fait de la réalité.

Cela justifie-t-il, pour autant, qu’elles entraînent la nullité du contrat ? Les rédacteurs du Code civil ont estimé que non.

Afin de concilier l’impératif de protection du consentement des parties au contrat avec la nécessité d’assurer la sécurité des transactions juridiques, le législateur, tant en 1804, qu’à l’occasion de la réforme du droit des obligations, a décidé que toutes les erreurs ne constituaient pas des causes de nullité.

Aussi, certaines erreurs sont sans incidence sur la validité du contrat. Ce constat est d’autant plus vrai pour le cautionnement, dans la mesure où il s’agit d’un contrat unilatéral.

Parce que la caution est la seule partie à s’obliger, cette circonstance exclut d’emblée certains cas d’erreur.

Par exemple, la caution ne pourra pas se prévaloir d’une erreur sur la contrepartie attendue puisque, par hypothèse, cette contrepartie est inexistante.

Elle ne pourra pas non plus arguer que son erreur portait sur l’objet de son engagement, lequel n’est autre qu’une créance de somme d’argent. Or l’erreur sur la valeur est indifférente ; elle n’est pas une cause de nullité.

À l’analyse, si les cas d’erreur sont finalement assez réduits en matière de cautionnement, ceux admis par la jurisprudence ont donné lieu à un abondant contentieux, ce qui, la plupart du temps, s’explique par les circonstances qui ont entouré la souscription de l’engagement de caution.

I) Conditions de droit commun

Pour constituer une cause de nullité du cautionnement l’erreur doit, en toutes hypothèses, être :

  • Déterminante
  • Excusable

==> Une erreur déterminante

  • Principe
    • L’article1130 du Code civil prévoit que l’erreur vicie le consentement lorsque sans elle « l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes»
    • Autrement dit, l’erreur est une cause de consentement lorsqu’elle a été déterminante du consentement de l’errans, ce qui implique qu’elle portait sur des éléments essentiels du contrat.
    • Pour faire échec au cautionnement, la caution devra donc démontrer qu’elle ne se serait jamais engagée si elle avait su, lors de la conclusion du contrat, que la réalité était différente de ce qu’elle croyait.
  • Appréciation du caractère déterminant
    • L’article 1130, al. 2 précise que le caractère déterminant de l’erreur « s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné»
    • Le juge est ainsi invité à se livrer à une appréciation in concreto du caractère déterminant de l’erreur

==> Une erreur excusable

  • Principe
    • Il ressort de l’article 1132 du Code civil que, pour constituer une cause de nullité, l’erreur doit être excusable
    • Par excusable, il faut entendre l’erreur commise une partie au contrat qui, malgré la diligence raisonnable dont elle a fait preuve, n’a pas pu l’éviter.
    • Cette règle se justifie par le fait que l’erreur ne doit pas être la conséquence d’une faute de l’errans.
    • Celui qui s’est trompé ne saurait, en d’autres termes, tirer profit de son erreur lorsqu’elle est grossière.
    • C’est la raison pour laquelle la jurisprudence refuse systématiquement de sanctionner l’erreur inexcusable (V. en ce sens par exemple 3e civ., 13 sept. 2005).
  • Domaine
    • Le caractère excusable n’est exigé qu’en matière d’erreur sur les qualités essentielles de la prestation ou de la personne.
    • En matière de dol, l’erreur commise par le cocontractant sera toujours sanctionnée par la nullité, quand bien même ladite erreur serait grossière.
    • Dans un arrêt du 21 février 2001, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que la « réticence dolosive à la supposer établie, rend toujours excusable l’erreur provoquée» ( 3e civ., 21 févr. 2001).
  • Appréciation
    • L’examen de la jurisprudence révèle que les juges se livrent à une appréciation in concreto de l’erreur pour déterminer si elle est ou non inexcusable.
    • Lorsque, de la sorte, l’erreur est commise par un professionnel, il sera tenu compte des compétences de l’errans (V. en ce sens soc., 3 juill. 1990).
    • Les juges feront également preuve d’une plus grande sévérité lorsque l’erreur porte sur sa propre prestation.
    • S’agissant de l’erreur commise par la caution, son caractère excusable peut s’avérer difficile à démontrer dans la mesure où pèse sur cette dernière une obligation de se renseigner.

II) Variétés d’erreurs commises en matière de cautionnement

Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant. »

Il ressort de cette disposition que seules deux catégories d’erreur sont constitutives d’une cause de nullité du contrat :

  • L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due
  • L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant

À ces deux catégories d’erreur, il convient toutefois d’en ajouter une troisième à laquelle ne fait nullement référence l’ordonnance du 10 février 2016 et qui, pourtant regroupe des hypothèses où l’erreur est si grave qu’elle empêche la rencontre même des volontés. Il s’agit de la catégorie des erreurs obstacles.

A) L’erreur obstacle

1. Notion

Il s’agit de l’erreur qui procède d’un malentendu en ce sens que les parties n’ont pas voulu la même chose.

L’erreur est si grave que la rencontre des volontés n’a pas pu se réaliser. Traditionnellement, on distingue deux sortes d’erreur obstacle :

  • L’erreur porte sur la nature de l’acte: une partie croyait acheter un bien alors que l’autre souhaitait simplement la louer.
  • L’erreur porte sur l’objet de la prestation: une partie croyait acheter un immeuble, alors que l’autre entendait vendre un immeuble voisin

En matière de cautionnement, dans la mesure où la prestation fournie par la caution est toujours la même, soit garantir le paiement d’une créance de somme d’argent en cas de défaut du débiteur principal, la caution pourra difficilement se prévaloir d’une erreur sur l’objet de sa prestation.

Aussi, la seule erreur obstacle dont peut raisonnablement se prévaloir la caution est celle portant sur la nature de son engagement.

Deux cas de figure sont susceptibles de se présenter :

  • La caution croit avoir souscrit un simple engagement moral au profit du créancier, alors qu’il s’agit d’un véritable cautionnement
  • La caution croit que la signature de l’acte de cautionnement est une simple formalité nécessaire à la souscription du prêt garanti

Bien que la preuve de l’erreur obstacle soit extrêmement difficile à rapporter, il est certaines décisions qui l’ont admise.

Dans un arrêt du 25 mai 1964, la Cour de cassation a ainsi validé la décision rendue par une Cour d’appel qui avait annulé l’engagement de deux cautions au motif que compte tenu de leur illettrisme et de l’absence de lecture de l’acte avant sa signature, les intéressées « avaient donné leur consentement à une convention ayant un objet autre que celle à laquelle ils pensaient adhérer »

Pour la Cour de cassation « la méprise invoquée avait porté non sur les conséquences, mais sur la substance même de l’engagement et que l’erreur en résultant avait été le motif principal et déterminant de l’obligation contractée », raison pour laquelle l’annulation du cautionnement était pleinement justifié (Cass. 1ère civ. 25 mai 1964).

À l’analyse, les décisions qui font droit aux demandes de nullité d’un cautionnement sur le fondement de l’erreur obstacle demeurent rares.

Seules des circonstances exceptionnelles permettent à la caution d’obtenir ce résultat, les juges estimant, la plupart du temps, que l’ignorance de la caution sur la nature de son engagement est constitutive d’une erreur inexcusable et qui donc n’est pas sanctionnée (V. en ce sens CA Paris 9 avril 1992).

2. Effets

Lorsque l’erreur obstacle est admise, elle a pour effet de priver les parties de leur consentement, de sorte que leurs volontés n’ont pas pu se rencontrer.

Plus qu’un vice du consentement, l’erreur obstacle rend le consentement inexistant, de sorte que le contrat n’a pas pu se former.

3. Sanction

==> La reconnaissance souhaitable de l’inexistence

Dans la mesure où l’erreur obstacle a pour effet de faire « obstacle » à la rencontre des volontés, elle devrait être sanctionnée par l’inexistence.

  • Notion
    • Pour mémoire, l’inexistence consiste en la sanction généralement prononcée à l’encontre d’un acte dont l’un des éléments constitutifs essentiels à sa formation fait défaut.
    • Plus précisément l’inexistence est prononcée lorsque la défaillance qui atteint l’une des conditions de validité de l’acte porte sur son processus de formation
    • Aussi, en matière de contrat, l’inexistence vient-elle généralement sanctionner l’absence d’échange des consentements.
    • Dans un arrêt du 5 mars 1991, la Cour de cassation a approuvé en ce sens une Cour d’appel qui, après avoir relevé qu’aucun échange de consentement n’était intervenu entre les parties, a estimé qu’il n’y avait pas pu y avoir de contrat elles ( 1ère civ., 5 mars 1991)
    • Conformément à cette jurisprudence, l’erreur obstacle devrait donc, en toute logique, être sanctionnée par l’inexistence, comme le soutiennent certains auteurs[1]
    • Tel n’est cependant pas, pour l’heure, la voie empruntée par la Cour de cassation.
  • Intérêt
    • Pourquoi, préférer la sanction de l’inexistence à la nullité ?
    • Dans l’hypothèse, où le non-respect d’une condition de validité du contrat est sanctionné par la nullité, celui qui entend contester l’acte dispose d’un délai de 5 ans pour agir.
    • Conformément à l’article 2224 du Code civil, le point de départ de ce délai de prescription court à compter « du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
    • Pour le cautionnement, il s’agira du jour de la conclusion du contrat
    • Dans l’hypothèse toutefois où la sanction prononcée est l’inexistence de l’acte, le contrat n’a jamais été formé puisque les volontés ne se sont pas rencontrées.
    • Il en résulte que les parties à l’acte inexistant ne sauraient se prévaloir d’aucun droit, sinon de celui de faire constater l’inexistence.
    • Aussi, l’exercice de l’action en inexistence n’est-il subordonné à l’observation d’un quelconque délai de prescription.
    • L’intérêt de la sanction de l’inexistence ne tient pas seulement à l’absence de prescription de l’action.
    • Elle réside également dans l’impossibilité pour les parties de confirmer l’acte.
    • On ne saurait, en effet, confirmer la validité d’un acte qui n’a jamais existé.

==> L’admission de la nullité

Bien que l’inexistence soit, eu égard à tout ce qui vient d’être rappelé, la sanction la plus appropriée quant à répondre à la situation à laquelle conduit l’erreur obstacle, soit l’absence de rencontre des volontés des parties, la jurisprudence préfère néanmoins opter pour la nullité du contrat (V. en ce sens Cass. 3e civ. 16 déc. 2014, n°14-14.168).

B) L’erreur sur les qualités essentielles de la prestation due

Aux termes de l’article 1132 du Code civil « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due »

Si cette règle de droit commun s’applique pleinement au cautionnement, encore faut-il déterminer quelles sont les qualités essentielles de la prestation en jeu dans cette variété de contrat.

==> L’erreur sur l’objet de l’obligation de la caution

Au préalable, il peut être observé que, dans la mesure où le cautionnement est un contrat unilatéral, la caution ne pourra se prévaloir que d’une erreur sur sa propre prestation et non sur celle fournie par le créancier qui, par hypothèse, est inexistante.

Alors que la question s’était posée en jurisprudence de savoir si l’erreur pouvait constituer une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur la propre prestation de l’errans, la Cour de cassation (Cass. civ. 23 juin 1873 ; Cass. 1ère civ., 22 févr. 1978), puis le législateur l’ont finalement admis.

L’article 1133, al. 2 du Code civil issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 prévoit en ce sens que « l’erreur est une cause de nullité qu’elle porte sur la prestation de l’une ou de l’autre partie. »

Rien n’exclut donc, en principe, que la caution puisse se prévaloir d’une erreur sur sa propre prestation, laquelle consiste à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci.

Reste que l’engagement de la caution se confond avec l’objet même du contrat de cautionnement, de sorte que, en pratique, il s’avérera extrêmement difficile pour cette dernière de prouver qu’elle ignorait ce à quoi elle s’engageait en souscrivant un cautionnement.

Surtout, l’objet de l’obligation garantie consiste toujours en une somme d’argent. Or l’erreur sur la valeur est indifférente.

Pour mémoire, l’article 1136 du Code civil prévoit que « l’erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n’est pas une cause de nullité. »

À cet égard, l’erreur sur la valeur doit s’entendre comme l’erreur sur l’évaluation économique de l’objet du contrat.

Dans ces conditions la caution ne pourra, a priori, pas obtenir la nullité du cautionnement en arguant qu’elle a commis une erreur sur le montant de son engagement.

Dans un arrêt du 17 juillet 1996, la Cour de cassation a, par exemple, jugé que « la disproportion entre les ressources de la caution et le montant du cautionnement n’est pas constitutive d’une erreur sur la substance » (Cass. 1ère civ. 17 juill. 1996, n°94-14.132).

==> L’erreur sur l’existence d’autres sûretés

Par exception, il est admis que l’erreur sur l’étendue de l’engagement de caution puisse être une cause de nullité du cautionnement lorsqu’elle consiste en la croyance – fausse – de l’existence d’autres sûretés.

Plus précisément, ce cas d’erreur correspond à l’hypothèse où la caution pensait, au moment de son engagement, que d’autres sûretés avaient été constituées au profit du créancier, de sorte que, en cas de défaillance du débiteur, ces sûretés viendraient mécaniquement limiter son obligation de payer, à tout le moins elles pourraient lui profiter par le jeu de la subrogation.

La caution s’aperçoit toutefois que, en réalité, soit aucune garantie n’a été prise, soit celles qu’elle croyait constituées sont frappées d’une irrégularité les privant de leur efficacité.

En première intention, on voit mal comment une telle erreur pourrait porter sur les qualités essentielles de l’engagement de caution dans la mesure où elle a, au contraire, pour objet la prestation fournie par des tiers, soit les autres garants de la dette cautionnée.

La méprise de la caution sur l’existence d’autres sûretés s’apparenterait donc plutôt en une erreur sur les motifs. Or il s’agit là d’une erreur qui, par principe, n’est pas sanctionnée.

Telle n’est pourtant pas l’analyse retenue par la Cour de cassation qui considère que ce sont bien les qualités essentielles de l’engagement de caution qui sont en jeu.

Dans un arrêt du 2 mai 1989 elle a par exemple jugé que « en cas de pluralité de cautions, dont l’une vient à disparaître ultérieurement, les autres cautions peuvent invoquer la nullité de leur engagement pour erreur sur l’étendue des garanties fournies au créancier en démontrant qu’elles avaient fait du maintien de la totalité des cautions la condition déterminante de leur propre engagement » (Cass. 1ère civ. 2 mai 1989, n°87-17.599).

Dans un arrêt du 1er juillet 1997, la Cour de cassation a encore validé la décision prise par une Cour d’appel qui avait annulé un cautionnement au motif que, lors de son engagement, la caution avait commis une erreur sur le rang de l’hypothèque constituée au profit du créancier sur un immeuble appartenant au débiteur principal.

Au soutien de sa décision, la Première chambre civile affirme que « l’erreur commise par la caution sur l’étendue des garanties fournies au créancier ayant déterminé son consentement constitue une cause de nullité de l’acte de cautionnement » (Cass. 1ère civ. 1er juill. 1997, n°95-12.163).

Pour la Cour de cassation l’erreur commise sur l’existence d’autres sûretés constitue donc bien une cause de nullité du cautionnement.

La raison en est que, si la caution s’est engagée, c’est qu’elle croyait que le poids de la dette serait réparti entre plusieurs garants, voire que son engagement consisterait seulement en une avance de paiement dans l’attente de pouvoir réaliser les autres sûretés constituées au profit du créancier.

En se méprenant sur cette situation, c’est la substance même de son engagement qui s’en trouve atteinte, d’où la position de la Cour de cassation.

Reste que, pour être sanctionnée, l’erreur commise par la caution doit avoir été déterminante de son engagement.

Cette condition se dégage notamment d’un arrêt remarqué rendu par la Cour de cassation le 18 mars 2014.

Dans cette décision, elle confirme l’arrêt d’une Cour d’appel aux termes duquel les juges du fond avaient prononcé la nullité d’un cautionnement au motif que la caution s’était portée garante dans la croyance erronée de l’engagement d’autres cautions.

Au soutien de sa décision, la Chambre commerciale affirme « qu’au regard de l’importance de l’engagement souscrit, Mme X… n’a pu se porter caution de la société, qu’en considération de l’existence des sept autres cofidéjusseurs, dont la société Segura investissement personne morale ; qu’ayant ainsi fait ressortir que Mme X… avait fait de l’existence des autres cautionnements souscrits la condition déterminante de son propre engagement, la cour d’appel a légalement justifié sa décision » (Cass. com. 18 mars 2014, n°13-11.733).

Ce qui donc importe c’est que la constitution d’autres sûretés (réelles ou personnelles) ait été déterminante de l’engagement de la caution.

Si cette condition n’est pas remplie, alors la Cour de cassation refusera de voir l’erreur commise comme constitutive d’une cause de nullité (V. en ce sens Cass. com. 24 nov. 1981, n°80-10.205).

==> Cas particulier de l’erreur en présence d’une garantie Bpifrance

Bpifrance (anciennement OSEO) est un organisme qui poursuit une mission d’intérêt public consistant notamment à garantir les financements octroyés aux entreprises par les établissements bancaires.

Si la garantie consentie par Bpirance présente toutes les apparences d’un cautionnement, en réalité elle s’en distingue.

Tout d’abord, cette garantie qui a pour objet d’assurer l’entrepreneur contre le risque de défaillance tout en ne garantissant les banques que pour une partie de leur perte finale éventuelle, ne bénéficie qu’à l’établissement financier et ne peut en aucun cas être invoquée par les tiers, notamment l’emprunteur et ses garants personnels.

Surtout, il s’agit d’une garantie finale qui couvre le risque au prorata de la proportion souscrite et n’a vocation à jouer qu’une fois épuisées toutes les poursuites contre le débiteur et la caution.

Autrement dit, la garantie fournie par Bpifgrance présente un caractère subsidiaire, en ce sens qu’elle ne peut être actionnée que lorsque l’ensemble des poursuites engagées à l’encontre des autres garants se sont révélées infructueuses.

Cette position privilégiée occupée par Bpifrance, qui donc ne se situe pas sur le même plan que les cofidéjusseurs, n’est pas sans avoir été source de contentieux.

Certaines cautions ont notamment cherché à se soustraire à leur engagement en avançant qu’elles avaient été induites en erreur par la présence de Bpifrance qui aurait été de nature à les tromper sur la portée de leur engagement.

Sensible à cet argument, la Cour de cassation a fait droit, dans plusieurs décisions, aux demandes formulées par des cautions en convoquant plusieurs fondements juridiques tels que l’erreur, le dol ou encore l’obligation d’information.

Dans un arrêt du 22 septembre 2015, elle a ainsi censuré la décision d’une Cour d’appel qui avait refusé d’annuler un cautionnement sur le fondement de l’erreur.

Dans cette décision elle reproche notamment aux juges du fonds d’avoir statué par des « motifs généraux relatifs aux caractéristiques de la garantie de la société Oseo, qui sont impropres à exclure, dès lors que M. X… soutenait n’avoir pas eu connaissance des conditions générales de cette garantie et avoir fait du maintien de celle-ci la condition déterminante de son engagement, l’existence d’une erreur de la caution sur le caractère subsidiaire de la garantie de la société Oseo » (Cass. com. 22 sept. 2015, n°14-17.671).

Dans un autre arrêt, rendu en date du 3 décembre 2013, la Chambre commerciale a pu retenir la responsabilité d’une banque en affirmant qu’il lui appartenait de démontrer qu’elle avait informé la caution sur les modalités de fonctionnement de la garantie OSEO et notamment sur son caractère subsidiaire, faute de quoi elle engageait sa responsabilité pour faute (Cass. com. 3 déc. 2013, n°12-23.976).

Dans un arrêt du 23 septembre 2014, la Chambre commerciale a encore pu juger que le défaut d’information imputable à la banque était susceptible de s’analyser en une réticence dolosive justifiant l’annulation du cautionnement (Cass. com. 23 sept. 2014, n°13-20.766).

Favorable aux cautions qui ont trouvé là un moyen fort astucieux pour faire échec aux poursuites des créanciers, cette stratégie devrait être plus difficile à mettre en œuvre aujourd’hui dans la mesure où les cautions sont désormais informées systématiquement informées par Bpifrance sur son rôle de sorte qu’elles pourront difficilement se prévaloir d’une erreur ou d’un dol.

Dans un arrêt du 14 novembre 2019 la Cour de cassation a ainsi refusé de statuer dans le sens d’une Cour d’appel qui avait annulé un cautionnement sur le fondement de l’erreur.

Elle reproche notamment aux juges du fond de n’avoir pas établi « le caractère déterminant qu’aurait eu pour la caution la connaissance du mécanisme de la garantie Oseo, à défaut de quoi, l’erreur sur la substance de son engagement ne pouvait être invoquée par la caution » (Cass. com. 14 nov. 2019, n°18-18.579).

C) L’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant

 1. Principe général

L’article 1134 du Code civil prévoit que « l’erreur sur les qualités essentielles du cocontractant n’est une cause de nullité que dans les contrats conclus en considération de la personne. »

Cela signifie donc que dans, l’hypothèse où la caution se méprendrait sur la personne du créancier, elle serait fondée à demander l’annulation du cautionnement.

Reste que, comme pour l’erreur sur les qualités essentielles de la prestation, l’erreur sur la personne n’est que très exceptionnellement une cause de nullité en matière de cautionnement.

Pour qu’elle le soit, la caution devra démontrer que la qualité essentielle du créancier sur laquelle elle s’est trompée était déterminante de son engagement.

Or en pratique, lorsque la caution s’engage, elle le fait en considération, non pas de pas de la personne du créancier, mais du débiteur.

Est-il besoin de rappeler que la cause de son engagement réside dans l’existence de la dette à garantir et non dans la fourniture d’une contrepartie qui, compte tenu du caractère unilatéral du cautionnement, est, en toute hypothèse, inexistante.

Aussi, les qualités du créancier sont indifférentes, à tout le moins subsidiaires, dans la mesure où la caution n’attend aucune prestation de lui.

Tout au contraire, elle est suspendue à l’exécution de l’obligation principale par le débiteur qu’elle garantit.

En réalité c’est la solvabilité de celui-ci qui sera déterminante de l’engagement souscrit par la caution.

La question qui alors se pose est alors de savoir si l’erreur commise sur cette solvabilité est une cause de nullité du cautionnement.

2. Cas particulier de l’erreur sur la solvabilité du débiteur

Si donc la caution s’oblige c’est, avant toute chose, en considération de la solvabilité du débiteur.

L’enjeu pour cette dernière est de ne pas être appelée en garantie ; d’où le caractère déterminant pour elle de la capacité du débiteur à rembourser le créancier.

Il est néanmoins des cas où la caution se méprendra sur la solvabilité du débiteur : elle croyait sa situation financière suffisamment solide pour supporter le poids de l’obligation principale, alors qu’il n’en était rien.

En pareille hypothèse, pourrait-elle se prévaloir d’une erreur aux fins d’échapper à son engagement de caution ?

Deux situations doivent être distinguées :

a. Première situation : l’erreur porte sur la solvabilité future du débiteur

La question qui ici se pose est de savoir si la caution peut se prévaloir, comme cause de nullité, de l’erreur qu’elle aurait commise sur l’insolvabilité du débiteur qui se révélerait postérieurement à son engagement.

Dans cette hypothèse, la jurisprudence estime fort logiquement que l’erreur commise ne constitue pas une cause de nullité.

Dans un arrêt du 13 novembre 1990, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « la seule appréciation erronée, par la caution, des risques que lui faisait courir son engagement, ne constitue pas une erreur sur la substance, de nature à vicier son consentement » (Cass. 1ère civ. 13 nov. 1990, n°89-13.270).

La solution se justifie pleinement dans la mesure où c’est l’objet même du cautionnement que de garantir le risque d’insolvabilité susceptible de se produire postérieurement à l’engagement de la caution.

L’erreur sur la réalisation future de ce risque ne saurait, dans ces conditions, constituer une cause de nullité du cautionnement.

Admettre la solution inverse reviendrait à considérer que le cautionnement est nul toutes les fois que la caution est appelée en garantie. Or cela n’aurait aucun sens.

b. Seconde situation : l’erreur porte sur la solvabilité actuelle du débiteur

==> Termes du débat

Cette situation est très différente de la première dans la mesure où l’erreur commise porte ici, non pas sur le risque futur d’insolvabilité du débiteur, mais sur sa capacité de remboursement au jour de l’engagement de la caution.

Lorsqu’une caution s’oblige, elle le fait, en principe, en considération de la solvabilité du débiteur et plus précisément parce qu’elle le croit en capacité d’exécuter l’obligation garantie.

Aussi, la caution espère-t-elle n’être jamais appelée en garantie et avoir à payer.

Ce n’est que dans des cas très exceptionnels que la caution s’engagera au profit du créancier alors qu’elle sait la situation financière du débiteur fragile, voire obérée.

La solvabilité de ce dernier est donc un élément déterminant de l’engagement de caution.

Est-ce à dire que, en cas d’erreur sur la solvabilité du débiteur au moment où elle s’engage, la caution est fondée à solliciter la nullité du cautionnement ?

Plusieurs arguments visant à apporter une réponse négative à cette question ont été avancés par les auteurs.

Tout d’abord, lorsque l’erreur est commise sur la solvabilité du débiteur, elle porte moins sur la prestation que sur la personne.

À cet égard, pour être cause de nullité, l’erreur sur la personne doit porter sur les qualités essentielles du cocontractant.

Or le débiteur principal est un tiers à l’opération de cautionnement, de sorte que la caution ne saurait se prévaloir d’une erreur sur sa personne pour être déchargée de son engagement.

Ensuite, à supposer que l’on admette que la croyance erronée dans la solvabilité du débiteur ait été déterminante du consentement de la caution, elle s’analyse en un simple motif de son engagement.

Or conformément à l’article 1135, al. 1er du Code civil, l’erreur sur les motifs est indifférente.

Cette erreur n’est sanctionnée qu’à la condition, précise le texte, que les parties « en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement. »

Enfin, d’aucuns soutiennent qu’il appartient à la caution de se renseigner sur la solvabilité du débiteur.

Dans ces conditions, elle ne saurait, postérieurement à son engagement, se prévaloir d’une erreur sur la capacité du débiteur à exécuter l’obligation principale.

==> Jurisprudence

  • Première étape
    • Au début des années 1970, la jurisprudence s’est montrée plutôt favorable à accueillir les demandes de nullité fondées sur l’erreur sur la solvabilité du débiteur.
    • Dans un arrêt du 1er mars 1972, la Cour de cassation a ainsi validé l’annulation d’un cautionnement en retenant, au soutien de sa décision, que la caution « avait commis une erreur sur le motif principal et déterminant de l’engagement soumis à sa signature et que l’acte litigieux devait être déclaré nul pour vice du consentement» ( 1ère civ. 1er mars 1972, n°70-10.313).
  • Deuxième étape
    • Dans un arrêt du 25 octobre 1977, la Cour de cassation est, par suite, revenue sur sa position en affirmant que l’erreur sur la solvabilité du débiteur ne pouvait être constitutive d’une cause de nullité qu’à la condition que les parties l’aient fait entrer dans le champ contractuel.
    • Plus précisément, elle affirme que les cautions qui, dans cette affaire, sollicitaient la nullité du cautionnement « ne pouvaient être déliées de leur obligation contractuelle de rembourser le prêt pour erreur sur la solvabilité de la société, au jour de leur engagement, que si [celles-ci] démontraient [qu’elles] avaient fait de cette circonstance la condition de leur engagement» ( 1ère civ. 25 oct. 1977, n°76-11.441).
    • Cette position n’a pas manqué de faire réagir la doctrine qui a reproché à la Cour de cassation sa rigueur excessive.
    • Il a notamment été soutenu que jamais les créanciers n’accepteraient, en pratique, que la caution déclare dans l’acte de cautionnement qu’elle a entendu faire de la solvabilité du débiteur un élément déterminant de son engagement, au risque de lui offrir la possibilité de se soustraire trop facilement de son obligation.
    • Par ailleurs, la stipulation d’une telle clause serait de nature à retirer à l’opération de cautionnement une partie de son caractère aléatoire.
    • Or comme relevé par des auteurs « le cautionnement garantie subsidiaire, reste-t-il un cautionnement s’il n’existe plus aucun aléa au sujet de l’appel en paiement de la caution, ni sur la possibilité de pour la caution de se faire rembourser par le débiteur ?»[2].
    • Au surplus, exiger de la caution qu’elle prouve que la solvabilité du débiteur a été une condition de son engagement, revient finalement pour elle à démontrer que son erreur a été déterminante de son consentement.
  • Troisième étape
    • Sensible aux critiques émises contre sa position par une partie de la doctrine, la Cour de cassation a fini par infléchir sa jurisprudence.
    • Dans un arrêt du 1er octobre 2002, elle a en effet admis que la caution puisse faire faire entrer tacitement dans le champ contractuel la condition tenant à la solvabilité du débiteur ( com. 1er oct. 2002, n°00-13.189).
    • En l’espèce, une caution s’était engagée solidairement envers une banque à garantir le remboursement de toutes sommes dues ou à devoir par une société qui a, par suite, été mise en redressement judiciaire quelque mois après la souscription de son engagement.
    • La Chambre commerciale admet que « la caution avait fait de la solvabilité du débiteur principal la condition tacite de sa garantie»
    • Pour la haute juridiction, il n’est donc pas nécessaire qu’une clause soit expressément stipulée dans l’acte de cautionnement ; il suffit que la caution démontre que son engagement était tacitement subordonné à la solvabilité du débiteur.
    • Avec cette décision, on passe d’un extrême à l’autre : il est désormais admis que la caution puisse se prévaloir postérieurement à la conclusion du cautionnement d’une erreur sur la solvabilité du débiteur en prétextant qu’il s’agissait là d’un élément déterminant de son engagement.
    • Reste que, comme relevé par les auteurs, il est peu probable que cette solution puisse se concilier avec le nouvel article 1135, al. 1er du Code civil introduit par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats.
    • Cette disposition prévoit, pour mémoire, que l’erreur sur les motifs est une cause de nullité à la condition exclusive que les parties en aient « fait expressément un élément déterminant de leur consentement.»
    • L’erreur sur la solvabilité du débiteur s’analysant précisément en une erreur sur les motifs on voit mal comment, en matière de cautionnement, elle pourrait déroger à la règle.
    • Aussi, est-il fort probable que la Cour de cassation abandonne sa jurisprudence.

[1] N. Rias, « La sanction de l’erreur-obstacle : pour un remplacement de la nullité par l’inexistence », RRJ, 2009, pp.1251 et s.

[2] M. Bourassin et V. Bremond, Droit des sûretés, éd. Dalloz, 2020, n°176, p. 116.

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