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Réforme du droit des sûretés (ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021): vue générale

Le droit des sûretés est l’objet de toutes les attentions chez les juristes depuis la publication de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

Cette ordonnance a été prise en application l’article 60 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

L’objectif poursuivi par la réforme est, selon le Rapport au Président de la République qui introduit le texte, de « simplifier le droit des sûretés et renforcer son efficacité, tout en assurant un équilibre entre les intérêts des créanciers, titulaires ou non de sûretés, et ceux des débiteurs et des garants ».

I) Réforme inachevée du droit des sûretés entreprise par l’ordonnance du 23 mars 2006

L’ordonnance du 15 septembre 2021 s’inscrit dans le droit fil d’une précédente réforme opérée, 15 ans plus tôt, par l’ordonnance n°2006-346 du 23 mars 2006, ratifiée, par suite, par la loi n°2007-212 du 20 février 2007.

Cette ordonnance marqua incontestablement la première évolution majeure que le droit des sûretés ait connue depuis l’adoption du Code civil.

Elle était issue d’un groupe de travail présidé par le professeur Michel Grimaldi institué dans le cadre de la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 qui avait habilité le gouvernement à réformer le droit des sûretés.

L’objectif affiché par le législateur à l’époque était sensiblement le même que celui visé aujourd’hui par la réforme entreprise par l’ordonnance du 15 septembre 2021.

L’ambition du texte était, en effet, de « moderniser les sûretés afin de les rendre lisibles et efficaces tant pour les acteurs économiques que pour les citoyens tout en préservant l’équilibre des intérêts en présence ».

La réforme avait, en outre, pour finalité d’édicter des règles innovantes qui, d’une part, simplifieraient la constitution des sûretés, élargiraient leur assiette, et faciliteraient leur mode de réalisation, tout en prévoyant, d’autre part, des règles protectrices en faveur de ceux qui ont recours au crédit.

Avec le recul, les auteurs s’accordent à dire que, bien qu’ambitieuse, la réforme entreprise par l’ordonnance n°2006-346 du 23 mars 2006 a laissé un goût d’inachevé. L’intention était bonne, mais le résultat décevant.

Les principaux griefs formulés à l’encontre le texte sont :

  • D’une part, l’absence de traitement des sûretés personnelles et notamment du cautionnement, alors même qu’elles sont les plus abondamment pratiquée par les opérateurs économiques.
  • D’autre part, le renoncement à adopter des dispositions qui formeraient le socle d’une théorie générale des sûretés, soit de principes directeurs qui transcenderaient les sûretés personnelles et les sûretés réelles en s’appliquant indistinctement à ces deux catégories de sûretés.
  • Enfin, le cantonnement de la réforme aux seules sûretés régies par le Code civil, à l’exclusion de celles envisagées par des corpus normatifs spéciaux, tels que le Code de commerce ou le Code de la consommation.

Au bilan, l’objectif poursuivi par l’ordonnance du 23 mars 2006 n’a pas été totalement atteint. Est-ce à dire qu’il s’agit d’un échec ? Sans doute pas. Ce texte a engagé une profonde rénovation du droit des sûretés qui peut difficilement être contestée.

Elle a néanmoins omis de moderniser un certain nombre de règles qui étaient devenues soit obsolètes, soient trop complexes.

Fort de ce constat, le législateur en a tiré la conséquence, 15 ans plus tard, qu’il y avait lieu de parachever la réforme intervenue en 2006.

C’est d’ailleurs là l’un des motifs énoncés par le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.

II) Le parachèvement de la réforme de 2006 opéré par l’ordonnance du 15 septembre 2021

Considérant qu’une nouvelle réforme du droit des sûretés était nécessaire, compte tenu des insuffisantes de la réforme entreprise en 2006 dénoncées par la doctrine, la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la justice a confié au professeur Michel Grimaldi, sous l’égide de l’association Henri Capitant, le soin de réunir un groupe de travail, qui a rendu publiques ses propositions en septembre 2017.

Ces propositions ont, ensuite, fait l’objet d’une vaste consultation publique en 2019 qui est venue alimenter la réflexion du législateur.

Il s’en est suivi l’adoption de la loi du 22 mai 2019, dite PACTE, qui, en son article 60, a autorisé le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance, dans un délai de deux ans à compter de son entrée en vigueur, les mesures nécessaires pour simplifier le droit des sûretés et renforcer son efficacité.

L’habilitation ne visait pas moins de 17 points à réformer au nombre desquels figuraient notamment :

  • La rénovation du droit du cautionnement, afin de rendre son régime plus lisible et d’en améliorer l’efficacité, tout en assurant la protection de la caution personne physique
  • La simplification des règles relatives aux sûretés mobilières spéciales dans le code civil, le code de commerce et le code monétaire et financier
  • L’harmonisation des règles de publicité des sûretés mobilières
  • La modernisation des règles du code civil relatives à la conclusion par voie électronique des actes sous signature privée relatifs à des sûretés réelles ou personnelles afin d’en faciliter l’utilisation
  • La simplification, la clarification et la modernisation des règles relatives aux sûretés et aux créanciers titulaires de sûretés dans le livre VI du code de commerce, en particulier dans les différentes procédures collectives

Une fois habilité à réformer en profondeur le droit des sûretés, le Gouvernement a élaboré un avant-projet d’ordonnance qu’il a soumis à consultation publique à la fin de l’année 2020.

C’est sur la base de cet avant-projet, nourri par les nombreux commentaires formulés par des professionnels du droit et des opérateurs économiques, que l’ordonnance du 15 septembre 2021 a été adoptée.

III) Les objectifs poursuivis par l’ordonnance du 15 septembre 2021 réformant le droit des sûretés

Comme observé par Dominique Legeais, la réforme entreprise par l’ordonnance du 15 septembre 2021 « est plus ambitieuse que la précédente dans la mesure où, cette fois, toutes les sûretés sont affectées »[1].

Elle est d’autant plus ambitieuse que le législateur en a profité pour moderniser le droit des procédures collectives et plus précisément modifier les dispositions du livre VI du code de commerce relatives aux sûretés et aux créanciers titulaires de sûretés.

À cette fin, a été adopté, le même jour que l’ordonnance portant réforme du droit des sûretés, l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce.

Cette ordonnance vise notamment à améliorer la lisibilité des droits des créanciers titulaires de sûretés en procédure collective et renforcer l’efficacité des sûretés nouvellement consacrées telles que la cession de créance et la cession de sommes d’argent à titre de garantie.

À l’analyse, les deux réformes entreprises par les ordonnances adoptées le 15 septembre 2021 doivent être combinées : celle rénovant le droit des sûretés vient, au fond, irriguer la réforme du droit des procédures collectives.

Si l’on se focalise spécifiquement sur l’ordonnance réformant le droit des sûretés, elle poursuit trois finalités principales :

==> Première finalité : renforcer la sécurité juridique

Le premier objectif poursuivi par l’ordonnance du 15 septembre 2021 est donc de renforcer la sécurité juridique en rendant plus lisible et plus accessible le droit des sûretés.

À cette fin, trois axes ont été retenus par le législateur :

  • Réécriture des dispositions issues du Code civil de 1804
    • Certaines dispositions régissant le droit des sûretés n’ont jamais été modifiées depuis l’adoption du Code civil en 1804.
    • Tel que relevé par le Rapport au Président de la République, non seulement, ces dispositions ne rendent plus compte du droit positif, mais encore leur style rédactionnel – désuet – est de nature à nuire à la compréhension des règles par les citoyens et les agents de la vie économique et notamment les opérateurs étrangers.
    • Pour remédier à cette situation, l’ordonnance procède à une réécriture d’un certain nombre de dispositions en recourant à un « style de vocabulaire plus adapté».
  • Précisions de certaines notions juridiques
    • L’ordonnance du 15 septembre 2021 est venue préciser plusieurs notions et règles juridiques existantes afin de clarifier, voire unifier leur régime.
    • À cet égard, l’une des principales innovations de la réforme qui marquera le juriste est d’avoir mis fin à l’éparpillement de certaines dispositions régissant le cautionnement (obligation d’information, mention manuscrite, principe de proportionnalité) entre notamment le Code de commerce, le Code monétaire et financier et des lois non codifiées, en les regroupant dans un seul et même corpus normatif : le Code civil.
    • Dans un autre registre, on peut également relever le toilettage des règles relatives aux privilèges mobiliers, ce qui s’est notamment traduit par l’inscription dans le code civil de l’affirmation de l’existence d’un droit de préférence et de l’absence de droit de suite.
  • Codification et clarification de certaines solutions jurisprudentielles
    • Les codifications
      • L’ordonnance du 15 septembre 2021 a répondu aux attentes de la doctrine qui réclamait la codification de certains principes désormais bien établis en jurisprudence.
      • Ainsi, le devoir de mise en garde en matière de cautionnement, le classement du droit de préférence du créancier gagiste ou l’absence de droit de rétention en matière de nantissement de bien incorporel sont intégrés dans le code civil.
    • Les clarifications
      • Le législateur ne s’est pas cantonné à retranscrire les solutions jurisprudentielles en vigueur.
      • Il a également saisi l’occasion de la réforme pour mettre un terme à certaines d’entre elles, considérant qu’elles pouvaient être source d’insécurité juridique.
      • L’ordonnance consacre ainsi – et c’est là une innovation majeure – la possibilité pour la caution d’opposer toutes les exceptions appartenant au débiteur principal, qu’elles soient inhérentes à la dette ou personnelles au débiteur.

==> Deuxième finalité : renforcer l’efficacité des sûretés

L’ordonnance du 15 septembre 2021 vise à renforcer « l’efficacité du droit des sûretés, tout en maintenant un niveau de protection satisfaisant des constituants et des garants. »

Tant les sûretés personnelles que les sûretés réelles sont comprises dans cet objectif :

  • S’agissant des sûretés personnelles
    • C’est le cautionnement qui, pour l’essentiel, a retenu l’attention du législateur.
    • Ainsi que le relève un auteur « c’est même l’une des pièces maîtresses de la réforme du droit des sûretés entreprise»[2].
    • À cet égard, la Gouvernement a été autorisé à réformer le droit du cautionnement « afin de rendre son régime plus lisible et d’en améliorer l’efficacité, tout en assurant la protection de la caution personne physique».
    • Le cautionnement était le grand oublié de la réforme de 2006.
    • L’ordonnance du 15 septembre 2021 remédie à cette anomalie en réformant son régime en profondeur.
    • Tout d’abord, les dispositions régissant le cautionnement, qui étaient éparpillées entre plusieurs corpus normatifs (Code de la consommation, Code monétaire et financier, textes de loi non codifiées) sont rassemblées au sein du Code civil.
    • Ensuite, le législateur a cherché à rééquilibrer le rapport existant entre le créancier et la caution.
    • Si la disproportion du cautionnement n’est désormais plus sanctionnée par la déchéance totale de la garantie, la protection des garants n’en est pas moins maintenue par le jeu, notamment de l’exigence de la mention manuscrite qui est maintenue.
    • Enfin, le devoir de mise en garde qui avait été mis à la charge des créanciers professionnels par la jurisprudence devient une règle légale insérée dans le Code civil.
  • S’agissant des sûretés réelles
    • À l’instar du cautionnement, les sûretés font également l’objet d’un renforcement de leur efficacité.
    • Ainsi, est-il désormais admis qu’un gage puisse porter sur des immeubles par destination, ce qui n’était pas permis sous l’empire du droit antérieur, alors même qu’il s’agit là de biens présentant une valeur économique et, à ce titre, susceptible de constituer l’assiette d’une garantie.
    • Il peut également être observé qu’une hypothèque peut désormais être constituée sur un bien futur.
    • Toujours dans un objectif de renforcement de l’efficacité des sûretés, l’ordonnance du 15 février 2021 assouplit le formalisme de constitution de la fiducie sûreté.
    • Elle lève également la sanction de la nullité en cas de défaut d’inscription du nantissement de fonds de commerce dans le délai préfix requis.

==> Troisième finalité : renforcer l’attractivité du droit français

Le renforcement de l’attractivité du droit français, notamment sur le plan économique, constitue le troisième objectif poursuivi par la réforme entreprise par l’ordonnance du 15 septembre 2021.

Pour ce faire, elle autorise notamment la dématérialisation de l’ensemble des sûretés, qui, sous l’empire du droit antérieur, n’était possible que pour les sûretés constituées par une personne pour les besoins de sa profession.

Comme indiqué par le Rapport au Président de la République, « lever ce frein, injustifié à l’ère du numérique, est indispensable pour inciter les opérateurs économiques internationaux à utiliser le droit français.»

La prohibition posée par l’article 1175 du Code civil est donc abolie.

IV) Date d’entrée en vigueur de la réforme

==> Principe

L’article 37 de l’ordonnance du 15 septembre 2021 prévoit que ses dispositions entrent en vigueur à compter du 1er janvier 2022.

La raison de cette application différée du texte, tient à la volonté du législateur de laisser aux opérateurs économiques le temps de se mettre en conformité avec le droit nouveau.

À cet égard, le texte précise que:

  • D’une part, les cautionnements conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d’ordre public.
  • D’autre part, les privilèges immobiliers spéciaux nés avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance sont pour l’avenir assimilés à des hypothèques légales, sans préjudice le cas échéant de la rétroactivité de leur rang. Ceux qui n’ont pas fait l’objet des formalités de publicité foncière à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance seront inscrits au fichier immobilier selon les dispositions applicables avant cette date.

==> Exceptions

  • Exception au principe de survie de la loi ancienne pour certaines dispositions
    • L’ordonnance prévoit une exception au principe de survie de la loi ancienne pour les obligations d’information (information annuelle, information sur la défaillance du débiteur principal, information de la sous-caution) qui s’appliqueront immédiatement le 1er janvier 2022 aux cautionnements et sûretés réelles pour autrui constituées avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance.
  • Entrée en vigueur subordonnée à l’adoption de décret pris au plus tard le 1er janvier 2023
    • La date d’entrée en vigueur des dispositions relatives au registre des sûretés mobilières et au gage automobile, lesquelles requièrent à la fois des mesures réglementaires d’application et des développements informatiques, sera fixée par décret, sans pouvoir être postérieure au 1er janvier 2023.

[1] D. Legeais, Droit des sûretés et garanties du crédit, éd. LGDJ, 2021, n°17, p. 27.

[2] D. Legeais, « La réforme du cautionnement », JCP E, n°43-44, 18 oct. 2021, 1474.

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