Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

Le régime de la séparation de biens: composition des patrimoines, gestion des biens et liquidation

==> Généralités

Classiquement on enseigne que la spécificité du mariage tient à l’association qu’il réalise entre une union des personnes et une union des biens.

Tandis que la première union se traduit par l’instauration d’une communauté de vie, la seconde donne lieu à la mise en commun par les époux de leurs ressources financières et matérielles aux fins de subvenir aux besoins du ménage.

S’agissant de la communauté de vie, il s’agit d’un principe incompressible, d’un invariant auquel les époux ne peuvent pas se soustraire, y compris par convention contraire.

Tout plus, lorsque les circonstances l’exigent, ils sont autorisés à vivre séparément. Néanmoins, il ne peut y avoir qu’une seule résidence familiale, laquelle est un prérequis à toute communauté de vie.

S’agissant de la mise en commun par les époux de leurs ressources respectives, la marge de manœuvre dont ils disposent est bien plus importante.

Ces derniers sont, en effet, libres d’aménager leurs rapports pécuniaires comme il leur plaît, sous réserve du respect des dispositions du régime primaire impératif. C’est d’ailleurs là l’objet d’étude du droit des régimes matrimoniaux.

À cet égard, le premier choix qui se présentera à eux, avant même la célébration du mariage, portera sur l’adoption d’un régime communautaire ou d’un régime séparatiste.

  • S’agissant des régimes communautaires, leur spécificité est de reposer sur la création d’une masse commune de biens qui s’interpose entre les masses de chaque époux composées de biens propres appartenant à chacun d’eux.
  • S’agissant des régimes séparatistes, ils se caractérisent par l’absence de création d’une masse commune de biens qui serait alimentée par les biens présents et futurs acquis par les époux.

Le choix d’un régime communautaire ou séparatiste est fondamental car il se répercutera sur tous les aspects de l’union matrimoniale des époux et notamment sur le plan de la répartition de l’actif et du passif, sur le plan de la gestion des patrimoines ou encore sur le plan de la liquidation du régime matrimonial.

Si l’adoption d’un régime communautaire s’inscrit dans le droit fil de l’esprit du mariage en ce qu’il répond à l’objectif de mutualisation des ressources, le choix d’un régime séparatiste apparaît, de prime abord, moins en phase avec cet objectif.

Reste que, au fond, comme l’écrivait Portalis, le mariage vise à instituer une « société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels à porter le poids de la vie et pour partager leur commune destinée ».

L’enseignement qui peut être retiré de cette réflexion, c’est que le mariage implique moins une communauté de biens qu’une communauté d’intérêts.

Il s’en déduit que, fondamentalement, le minimum d’association susceptible de faire naître l’union matrimoniale ne requiert pas nécessairement la création d’une masse commune de biens.

Et pour cause, le régime primaire impératif, qui se compose de l’ensemble des règles formant le statut patrimonial de base irréductible du couple marié, ne comporte aucune exigence en ce sens.

C’est la raison pour laquelle, il a toujours été admis que les époux puissent opter pour un régime matrimonial séparatiste, pourvu que ce régime ne contrevienne pas aux règles du régime primaire.

Tel était le cas du régime dotal qui était prépondérant sous l’ancien régime dans les Pays de droit écrit alors même qu’il s’agissait d’une variété de régime séparatiste.

À cet égard, lors de l’adoption du Code civil, la question s’est posée de l’instauration d’un régime de séparation de biens comme régime légal.

Si cette option a finalement été écartée par le législateur, le débat a resurgi à l’occasion des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965.

==> Évolution législative

Dès 1804, le régime de la séparation biens figurait parmi les régimes matrimoniaux conventionnels proposés par la loi.

Il était abordé aux articles 1536 à 1539 du code civil. La principale réforme ayant affecté ce régime n’est autre que celle opérée par la loi du 13 juillet 1965.

En effet, cette loi a instauré un régime primaire égalitaire applicable à l’ensemble des couples mariés, ce qui n’est pas sans avoir eu de répercussions sur la situation des couples mariés sous le régime de séparations de biens qui, désormais, y étaient assujettis.

L’élaboration de ce régime primaire impératif a été guidée par la volonté du législateur d’instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son mari.

Cette recherche d’égalité conjugale s’est traduite par l’instauration d’un savant équilibre entre, d’un côté l’édiction de règles visant à assurer une interdépendance entre les époux et, d’un autre côté, la reconnaissance de droits leur conférant une certaine autonomie.

Autre apport de la loi du 13 juillet 1965, la consécration de la présomption d’indivision pour les biens dont la preuve de la propriété ne peut pas être rapportée.

La loi n°75-617 du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce a, par suite, renforcé la communauté d’intérêts instituée entre époux séparés de biens :

  • D’une part, en étendant l’application du dispositif de maintien en indivision et d’attribution préférentielle prévu pour les partages de successions et de communautés aux biens indivis entre époux séparés de biens, lorsque le partage intervient après la dissolution du mariage
  • D’autre part, en admettant qu’une prestation compensatoire visant à compenser la disparité créée par la rupture de l’union matrimoniale puisse être accordée à l’un ou l’autre époux séparé de biens

La loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs est, quant à elle, venue parachever la réforme engagée par le législateur en 1965 qui avait cherché à instaurer une égalité dans les rapports conjugaux.

Plusieurs corrections ont notamment été apportées au régime primaire aux fins de gommer les dernières marques d’inégalité qui existaient encore entre la femme mariée et son époux.

S’agissant du régime de la séparation de biens lui-même, cette loi a, par ailleurs, étendu aux créances entre époux, le dispositif institué à l’article 1469, al. 3e du Code civil relatif aux dettes de valeur applicable aux calculs des récompenses opérés sous les régimes communautaires.

Il peut être observé que, nonobstant ces évolutions législatives, le statut matrimonial des couples qui ont opté pour le régime de la séparation de biens avant l’entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1965 est, sauf déclaration contraire des époux, régi par le droit antérieur, outre les règles fixées par leur contrat de mariage.

Seul le régime primaire impératif et la présomption d’indivision sont d’application immédiate et, à ce titre, leur sont donc opposables.

==> Opportunité du choix d’un régime séparatiste

Le choix d’un régime séparatiste n’est pas neutre. Il présente tout autant des avantages que des inconvénients que les époux devront prendre le temps de peser avant de se déterminer.

  • Les avantages
    • Les deux principaux avantages que l’on prête classiquement au régime de la séparation de biens sont la simplicité, la séparation des patrimoines et l’indépendance conférée aux époux
      • S’agissant de la simplicité
        • En raison de l’absence de création d’une masse commune, les époux gèrent leurs intérêts pécuniaires séparément.
        • En particulier, il n’y a pas de gestion concurrente des biens du couple et donc pas d’entremêlement de leurs pouvoirs respectifs, ce qui n’est pas sans faciliter grandement la gestion du patrimoine familial.
        • À l’exception du logement familial, chaque époux exerce un pouvoir de gestion exclusif sur ses biens dont il assure la gestion en toute autonomie sans risque de discussion, voire de remise en cause des actes accomplis.
        • Quant à la liquidation du régime, tout d’abord, il n’y a pas, en principe, de partage de la masse commune, ce qui, pour les couples mariés sous un régime communautaire, est susceptible d’être source de nombreuses difficultés.
        • Ensuite, les opérations de liquidations ne donnent pas lieu au calcul de récompenses, lesquelles visent, dans les régimes communautaires, à rétablir l’équilibre entre la masse commune et les masses de propres, équilibre qui a pu être rompu en raison des mouvements de valeurs qui sont nécessairement intervenus entre ces différentes masses de biens.
        • Tout au plus, les époux devront établir un compte des créances entre époux et procéder à leur règlement.
      • S’agissant de la séparation des patrimoines
        • Le régime de la séparation de biens a pour effet, comme suggéré par son intitulé, d’instaurer une cloison étanche entre les patrimoines des époux, en ce sens qu’aucune jonction n’est créée entre eux, ce qui s’explique par l’absence de création d’une masse commune.
        • Il en résulte que, au cours du mariage, les époux conservent en propre tous les biens qu’ils acquièrent à titre onéreux ou à titre gratuit.
        • Par ailleurs, les dettes qu’ils contractent n’engagent que leur patrimoine personnel ; elles ne sont pas exécutoires sur le patrimoine du conjoint.
        • C’est là une différence majeure avec les régimes communautaires.
        • Sous le régime légal, par exemple, les dettes nées du chef d’un époux peuvent être poursuivies non seulement, sur les biens propres et les revenus du souscripteur, mais encore sur l’ensemble des biens communs à l’exclusion des gains et salaires du conjoint.
        • Aussi, le régime de la séparation de biens présente-t-il un intérêt particulier lorsque l’un des époux exerce une profession commerciale, artisanale ou libérale.
        • Le patrimoine du conjoint est, en effet, hors de portée des créanciers professionnels de ce dernier.
        • Il ne pourra, notamment, pas être menacé par l’ouverture d’une procédure collective.
        • Autre avantage de la séparation des patrimoines, lors de la liquidation du régime, chacun des époux conserve la propriété de ses biens sans qu’il y ait lieu de procéder à des opérations de partage, à tout le moins dès lors que ces biens ne font pas l’objet d’une indivision.
      • S’agissant de l’indépendance des époux
        • Le régime de la séparation de biens est sans aucun doute celui qui confère aux époux la plus grande indépendance.
        • Chacun gère son patrimoine en toute autonomie sans que l’accomplissement de certains actes soit subordonné à l’accord du conjoint, exception faite du logement familial.
        • Lorsqu’ainsi un époux exerce une profession commerciale, artisanale, libérale ou agricole séparée, il est totalement libre dans la gestion de son entreprise.
        • Seules limites à l’autonomie patrimoniale dont jouissent les époux séparés de biens : celles résultant des présomptions de pouvoirs permettant à un époux de participer, voire de s’immiscer dans la gestion des biens de son conjoint.
        • Tel est le cas des présomptions de pouvoirs en matière bancaire ( 221 C. civ.) ou mobilière (art. 222 C. civ.).
        • On peut également évoquer les présomptions instituées au profit du conjoint collaborateur en matière d’exploitation commerciale, artisanale et libérale ( L. 121-4 C. com.) ou encore en matière d’exploitation agricole (art. L. 321-1 C. rur.)
  • Les inconvénients
    • Les principaux inconvénients du régime de la séparation de biens tiennent, d’une part, au risque d’enrichissement d’un époux au détriment de l’autre et, d’autre part, à la difficulté pour les époux de rapporter la preuve de leurs biens mobiliers.
      • S’agissant du risque d’enrichissement d’un époux au détriment de l’autre
        • Sous le régime de la séparation de biens, les époux conservent la propriété des biens qu’ils acquièrent, qu’il s’agisse des revenus perçus, des économies réalisées, ou encore des biens acquis à titre onéreux ou à titre gratuit.
        • Les époux ne peuvent donc retirer aucun profit de l’enrichissement de leur conjoint.
        • Cette situation est particulièrement désavantageuse pour l’époux dont les ressources sont les plus faibles, voire qui n’exerce aucune activité professionnelle.
        • Certes, l’équilibre sera partiellement rétabli via l’obligation de contribution aux charges du mariage qui pèse sur chaque époux à proportion de leurs facultés respectives.
        • Néanmoins, l’époux dont l’activité est la moins lucrative, ne pourra, en aucune manière, solliciter lors de la dissolution du mariage un partage des richesses qui ont été acquises par son conjoint, y compris lorsque, par son industrie personnelle, il aura participé à la production de ces richesses.
        • Tout au plus, il sera fondé à demander l’octroi d’une prestation compensatoire.
        • Lorsque les conditions seront réunies, il pourra encore solliciter une indemnisation sur le fondement de l’enrichissement injustifié.
        • Ces correctifs ne permettront toutefois jamais de compenser les disparités créées entre époux quant à l’accumulation des richesses captées au cours du mariage.
        • Et pour cause, comme souligné par un auteur « la séparation de biens n’est un régime juste que s’il existe une égalité économique entre les époux et même une égalité dans l’aisance voire la fortune»[1].
        • Au fond, vouloir rétablir un équilibre patrimonial entre époux, reviendrait à nier l’essence même du régime de la séparation de biens.
        • Or rien ne leur interdisait, lorsqu’ils se sont mariés, d’opter pour un régime communautaire ou un régime mixte, tel que le régime de la participation aux acquêts.
      • S’agissant des difficultés relatives à la preuve de la propriété des biens mobiliers
        • La vie conjugale implique que les époux mettent en commun leur mobilier.
        • Sous l’effet du temps, les meubles qui appartiennent à un époux sont susceptibles de se confondre avec ceux apportés et acquis par le conjoint.
        • Cette situation est, par hypothèse, de nature à rendre pour le moins difficile l’attribution de la propriété des biens qui ont été confondus.
        • Sous le régime de la séparation de biens, il appartient à chaque époux de rapporter la preuve de la propriété de ses biens.
        • Si cette preuve ne soulève pas de difficulté pour les biens dont l’acquisition est soumise à publicité foncière ou qui font l’objet d’une immatriculation, elle sera plus délicate à rapporter pour les biens mobiliers ordinaires.
        • Aussi, lors de la liquidation du régime, cette situation ne sera pas sans être source de nombreuses difficultés, les époux se disputant la propriété de tel ou tel bien.
        • Afin de départager les époux qui ne parviennent pas à trouver un accord amiable, le législateur a institué une présomption d’indivision.
        • Aussi, en application de cette présomption, les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié.
        • La liquidation du régime donnera ainsi lieu à un partage du bien présumé indivis, situation qui n’est, a priori, satisfaisante pour aucun des deux époux.

==> Sources de la séparation de biens

La séparation de biens peut avoir deux sources distinctes : le contrat ou la décision du juge

  • La séparation de biens judiciaire
    • L’article 1443 du Code civil prévoit que « si, par le désordre des affaires d’un époux, sa mauvaise administration ou son inconduite, il apparaît que le maintien de la communauté met en péril les intérêts de l’autre conjoint, celui-ci peut poursuivre la séparation de biens en justice.»
    • Cette disposition autorise ainsi un époux marié sous un régime de communautaire à solliciter la dissolution de la communauté à la faveur de l’instauration – contrainte – d’une séparation judiciaire de biens.
    • Pour que le juge fasse droit à cette demande, l’époux demandeur devra, en substance, établir l’existence d’une mise péril de ses intérêts pécuniaires par les agissements de son conjoint.
    • Lorsque les conditions sont réunies, le juge prononcera la dissolution de la communauté ; d’où il s’en suivra une liquidation du régime et un partage des biens communs.
    • À cet égard, la séparation de biens prononcée en justice a pour effet de placer les époux sous le régime des articles 1536 et suivants, soit de les soumettre aux mêmes règles que les couples qui ont opté, de leur plein gré, pour une séparation de biens conventionnelle.
  • La séparation de biens conventionnelle
    • L’article 1387du Code civil prévoit que « la loi ne régit l’association conjugale, quant aux biens, qu’à défaut de conventions spéciales que les époux peuvent faire comme ils le jugent à propos, pourvu qu’elles ne soient pas contraires aux bonnes mœurs ni aux dispositions qui suivent. »
    • Il ressort de cette disposition que, non seulement les époux sont libres de choisir le régime matrimonial qui leur convient parmi ceux proposés par la loi, mais encore ils disposent de la faculté d’aménager le régime pour lequel ils ont opté en y stipulant des clauses particulières sous réserve de ne pas contrevenir aux bonnes mœurs et de ne pas déroger aux règles impératives instituées par le régime primaire.
    • Faute de choix par les époux d’un régime matrimonial, c’est le régime légal qui leur sera appliqué, étant précisé que le couple marié peut toujours, au cours du mariage, revenir sur sa décision en sollicitant un changement de régime matrimonial.
    • S’agissant de l’adoption du régime de la séparation de biens, dans la mesure où ce régime n’a pas été institué comme régime légal, les époux devront nécessairement formaliser un contrat de mariage.
    • La conclusion de ce contrat peut intervenir
      • Soit avant la célébration du mariage, ce qui supposera notamment l’établissement d’un acte notarié
      • Soit dans au cours du mariage, ce qui supposera de suivre la procédure de changement de régime matrimonial
    • Une étude statistique de 2014, réalisée par Nicolas Frémeaux et Marion Leturcq[2], montre que la part des couples en séparation de biens est passée de 6,1 % du total des mariés en 1992 à 10 % en 2010 soit une hausse de 64 %
    • On y apprend également que les couples mariés en séparation de biens possèdent un patrimoine plus important et héritent davantage.
    • Cette étude révèle encore que Les couples mariés en séparation de biens sont des couples qui possédaient, dès la rencontre, du patrimoine, réparti de façon plus inégalitaire entre les conjoints que les autres couples.

Nous ne nous focaliserons ici que sur la séparation de biens conventionnelle, soit celle qui procède de la conclusion d’un contrat de mariage.

Quelle que soit la source de la séparation de biens instituée entre les époux, la spécificité de ce régime tient à :

  • D’une part, la composition active et passive des patrimoines
  • D’autre part, à la gestion des biens
  • Enfin, à la liquidation du régime.

Nous envisagerons successivement ces trois points.

§1 : La composition des patrimoines

I) La composition de l’actif

A) La détermination de la propriété

1. Principe : la séparation des patrimoines

a. Principe général

Lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens, le principe de séparation des patrimoines implique que chacun conserve la propriété de ses biens présents et futurs.

Le patrimoine de chaque époux est ainsi constitué :

  • D’une part, des biens acquis avant la célébration du mariage
  • D’autre part, des biens acquis au cours du mariage, tant à titre onéreux, qu’à titre gratuit

Parce que les époux sont seuls propriétaires des biens qu’ils ont acquis, avant ou au cours de l’union matrimoniale, ils conservent dans leur patrimoine tous les attributs du droit de propriété, ce qui comprend :

  • Le droit d’user de la chose (usus) qui confère au propriétaire la liberté de choisir l’usage de la chose, soit de s’en servir selon ses propres besoins, convictions et intérêts.
  • Le droit de jouir de la chose (fructus) qui confère au propriétaire le droit de percevoir les revenus que le bien lui procure.
  • Le droit de disposer de la chose (abusus) qui confère au propriétaire le droit d’accomplir tous les actes susceptibles de conduire à la perte totale ou partielle de son bien.

Manifestement, le principe de séparation des patrimoines auquel sont assujettis les époux séparés de biens marque une différence profonde avec le dispositif qui préside aux régimes communautaires.

Dès lors, en effet, qu’une communauté est instituée, elle a vocation à capter les richesses, apportées, produites et acquises par les époux.

À cet égard, le pouvoir d’attraction de cette communauté sera plus ou moins grand selon le type de régime communautaire auquel les époux sont soumis.

En schématisant à l’extrême, tandis que sous le régime légal, la communauté est réduite aux biens acquis à titre onéreux au cours du mariage (acquêts), sous le régime de la communauté universelle, outre les acquêts, elle s’étend aux biens présents et aux biens acquis à titre gratuit au cours du mariage.

Sous le régime de la séparation de biens, faute d’instauration d’une communauté, les éléments d’actif que les époux acquièrent séparément, à commencer par leurs revenus, n’ont, par hypothèse, pas vocation à alimenter une troisième masse de biens.

C’est la raison pour laquelle ils en conservent nécessairement la propriété à titre individuel, sans que l’enrichissement que leur procure l’acquisition faite ne puisse, par un transfert de valeur, profiter au patrimoine du conjoint.

Tel sera notamment le cas des gains et salaires, des revenus de propres et plus généralement de tous les biens acquis à titre onéreux ou à titre gratuit au cours du mariage.

Sur le plan purement patrimonial, les époux séparés de biens sont regardés comme des tiers l’un pour l’autre. Et les rapports pécuniaires qu’ils entretiennent entre eux sont, pour l’essentiel, régis par le droit commun.

b. Applications particulières

i. L’acquisition d’un bien par un époux financée par le conjoint

La plupart du temps, lorsqu’un époux se porte acquéreur d’un bien, il le fera au moyen de ses deniers personnels, de sorte que ce bien lui appartiendra en propre, sans qu’il lui soit besoin d’accomplir les formalités d’emploi ou de remploi requises sous le régime légal.

Sous le régime de la séparation de biens, chaque époux reste propriétaire, par principe, des biens qu’ils acquièrent au moyen de leurs deniers personnels.

Il est des cas néanmoins où l’époux qui réalisera l’acquisition ne sera pas nécessairement celui qui l’aura financée. Il peut, en effet, arriver que cette acquisition soit financée par le conjoint.

Lorsque cette situation se présente, la question alors se pose de la propriété du bien. Revient-elle à l’époux qui s’est porté acquéreur ou à celui qui a financé l’acquisition ?

Plusieurs situations doivent être distinguées :

==> L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint en dehors de tout contrat

Le principe est que lorsqu’un bien est acquis par l’un ou l’autre époux, il appartient, non pas à l’époux qui a financé l’acquisition, mais, à celui au nom duquel cette acquisition a été faite.

Aussi, c’est le titre qui confère la qualité de propriétaire et non le financement qui ne confère aucun droit de propriété sur le bien.

Dans un arrêt du 9 octobre 1991, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « sous le régime de la séparation de biens, l’époux qui acquiert un bien pour son compte à l’aide de deniers provenant de son conjoint, devient seul propriétaire de ce bien » (Cass. 1ère civ. 9 oct. 1991, n°90-15.073).

Dans un arrêt du 31 mai 2005, la première chambre civile a encore jugé que « sous le régime de la séparation de biens, le bien appartient à celui dont le titre établit la propriété sans égard à son financement » (Cass. 1ère civ. 31 mai 2005, n°02-20.553).

Tout au plus, l’époux qui a financé le bien pourra « obtenir le règlement d’une créance lors de la liquidation du régime matrimonial, s’il prouve avoir financé en tout ou partie l’acquisition » (Cass. 1ère civ. 23 janv. 2007, n°05-14.311).

==> L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’un contrat de mandat

Dans cette hypothèse, l’époux qui se porte acquéreur endosse la qualité de mandataire ou, le cas échéant, de gérant d’affaires.

Pour déterminer à qui revient la propriété du bien objet de l’acquisition il y a lieu de faire application des règles du mandat.

Or ces règles désignent le mandant comme étant seul propriétaire du bien acquis.

L’époux qui a réalisé l’opération est, en effet, réputé avoir agi en représentation de son conjoint.

==> L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’un contrat de prêt

Dans cette hypothèse, quand bien même les deniers ont été fournis par le conjoint, le bien acquis demeure la propriété exclusive de l’époux qui s’est porté acquéreur.

La raison en est que la remise de fonds en exécution d’un contrat de prêt opère un transfert de propriété.

Aussi, parce que les fonds prêtés appartiennent en propre à l’époux emprunteur, le bien qu’il acquiert avec ces fonds subit le même sort, charge à lui de rembourser son conjoint selon les règles qui régissent les créances entre époux.

==> L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’une donation

  • Droit antérieur
    • Lorsqu’un époux reçoit de son conjoint des fonds à titre gratuit et qu’il remploie ces fonds à l’acquisition d’un bien, ce bien devrait, par le jeu de la subrogation réelle, lui appartenir en propre.
    • Telle n’est pourtant pas la solution qui avait été retenue par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur.
    • Les juridictions regardaient plutôt cette opération comme une donation déguisée, le déguisement se caractérisant par le fait que la libéralité se dissimule sous les apparences d’un autre acte, notamment d’un acte à titre onéreux.
    • Il en était tiré conséquence que la donation portait non pas sur les fonds donnés, mais sur le bien acquis au moyen de ces fonds.
    • Il en résultait que, en cas d’annulation de la libéralité, ce qui, en application de l’ancien article 1099, al. 2e du Code civil, était le sort de toute donation déguisée, la propriété du bien retournait dans le patrimoine du conjoint qui en avait financé l’acquisition (le donateur) et non à l’époux acquéreur (le donataire).
    • Là n’était pas la seule conséquence de l’anéantissement de la donation.
    • Il en était une autre qui était particulièrement fâcheuse lorsque le donataire avait réalisé avec les fonds provenant de la donation irrégulière une opération immobilière à laquelle intervenaient des tiers.
    • Exemple[3]:
      • Un époux achète, avec les deniers donnés par l’autre, un immeuble, puis le revend à un tiers ou lui consent des droits sur cet immeuble.
      • Dans cette hypothèse, comme vu précédemment, la jurisprudence considérait que l’époux donateur était réputé « avoir toujours été le seul propriétaire de l’immeuble acquis de ses deniers» au motif qu’il s’agirait là d’une donation déguisée.
      • L’annulation de cette donation entraînait alors l’anéantissement de toutes les mutations intervenues subséquemment à l’acquisition de l’immeuble par le donataire, ce qui, par voie de conséquence, était de nature à léser gravement les droits des tiers de bonne foi qui donc voyaient l’opération qu’ils avaient conclue remise en cause.
    • Afin d’assurer la sécurité juridique des tiers, en prévenant notamment la survenance de nullités en cascade, le législateur est intervenu pour briser la jurisprudence de la Cour de cassation en introduisant, par la loi du 28 décembre 1967, un article 1099-1 dans le Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « quand un époux acquiert un bien avec des deniers qui lui ont été donnés par l’autre à cette fin, la donation n’est que des deniers et non du bien auquel ils sont employés. »
    • Ainsi, désormais, la donation est réputée avoir pour objet les fonds donnés par l’époux donateur et non le bien acquis au moyen de ces deniers.
    • En cas d’annulation d’une donation déguisée ou de simple révocation d’une donation ostensible, obligation était donc faite au donataire de restituer les fonds donnés.
    • En application du second alinéa de l’article 1099-1 du Code civil, la somme restituée devait toutefois correspondre, non pas à la valeur nominale des deniers remis, mais à la valeur actuelle du bien acquis avec ces deniers.
    • Quoi qu’il en soit, par l’instauration de ce système, le droit de propriété constitué par le donataire sur le bien s’en trouvait préservé, sauf à ce qu’il ne dispose pas des liquidités suffisantes pour régler la somme d’argent due à son conjoint au titre de l’obligation de restitution.
    • Dans cette hypothèse, il serait alors contraint, soit de céder le bien à un tiers et de remettre au donateur le produit de la vente, soit de s’’acquitter de sa dette en cédant directement à ce dernier la propriété de son bien.
    • Afin d’éviter que l’une ou l’autre situation ne se produise et ainsi préserver le droit de propriété du donateur sur son bien conformément à l’objectif recherché par le législateur lors de l’introduction de l’article 1099-1 dans le Code civil, la jurisprudence a cherché à cantonner le domaine des libéralités entre époux.
    • Plus précisément, les juridictions ont progressivement considéré que, en cas de collaboration d’un époux à l’activité professionnelle de son conjoint au-delà de ce qui était exigé au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage, la remise d’une somme d’argent par le second au premier devait s’analyser, non pas en une libéralité, mais en une rémunération due au titre du travail fourni ( 1ère civ. 19 mai 1976, n°75-10.558)
    • La conséquence en était la requalification de l’opération en acte à titre onéreux ce qui dès lors faisait obstacle à tout anéantissement sur le fondement, soit du principe de révocabilité des libéralités, soit du principe de nullité des donations déguisées.
    • À cet égard, la Cour de cassation est allée plus loin en jugeant que la qualification de libéralité devait également être écartée lorsqu’il était établi que l’activité de l’époux bénéficiaire de la remise de fonds dans la gestion du ménage et la direction du foyer avait, de par son importance, été source d’économies pour le conjoint.
    • Cela lui permettait ainsi de refuser l’annulation ou la révocation de l’acte de remise de fonds, puisque s’analysant en une rétribution due en contrepartie de la fourniture d’un travail au foyer ( 1ère civ. 20 mai 1981, n°79-17.171).
    • Seule solution pour le demandeur à l’action en nullité ou en révocation de l’acte litigieux : rapporter la preuve de l’origine des deniers et de l’intention libérale du donateur.
    • À défaut, ni l’acquisition du bien, ni la fourniture des deniers ayant servi à son financement ne pouvaient être remises en cause.
  • Droit positif
    • Depuis l’adoption de la loi n°2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, les solutions dégagées par la jurisprudence s’agissant de l’anéantissement des donations entre époux n’opèrent plus.
    • En effet, cette loi a aboli :
      • D’une part, le principe de révocabilité des donations entre époux
      • D’autre part, le principe de nullité des donations déguisées
    • Ainsi, aujourd’hui, dans la mesure où les donations entre époux de biens présents ne peuvent plus être anéanties, sauf motifs graves[4], il est indifférent que l’époux qui a remis une somme d’argent à son conjoint ait été ou non animé d’une intention libérale.
    • Il importe peu également que le bénéficiaire de cette remise de fonds ait collaboré à l’activité professionnelle du conjoint ou qu’il ait assuré la gestion du ménage au-delà de ce qui était exigé au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage.
    • Dans les deux cas, la donation, qu’elle soit ostensible, indirecte ou déguisée, ne peut plus être remise en cause, de sorte que non seulement le donataire est consolidé dans ses droits de propriété du bien acquis au moyen des fonds remis en application de l’article 1099-1 du Code civil, mais encore le risque de devoir restituer ces fonds au donateur est écarté.
    • Ainsi que le relèvent les auteurs « cette modification revêt une importance considérable pour le régime de la séparation de biens»[5].
    • Le contentieux des donations indirectes et déguisées ne s’en trouve pas totalement épuisé pour autant : l’administration demeure en effet toujours intéressée au premier chef des libéralités qui n’ont fait l’objet d’aucune formalité de déclaration.

ii. L’acquisition d’un bien selon les règles de l’accession

L’accession est envisagée à l’article 712 du Code civil comme un mode d’acquisition originaire de la propriété, tant mobilière, qu’immobilière.

Plus précisément elle est l’expression du principe aux termes duquel « l’accessoire suit le principal » (accessorium sequitur principale).

Les règles qui régissent l’accession visent, en effet, à étendre l’assiette du droit de propriété aux accessoires de la chose qui en est l’objet.

L’article 546 du Code civil dispose en ce sens « la propriété d’une chose soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur tout ce qu’elle produit, et sur ce qui s’y unit accessoirement soit naturellement, soit artificiellement. »

La particularité du « droit d’accession » dont est investi le propriétaire est qu’il lui confère un droit de propriété sur les accessoires de la chose, sans qu’il lui soit besoin accomplir un acte de volonté ou une prise de possession du bien à l’instar de l’occupation.

Aussi, l’assiette de son droit de propriété a-t-elle vocation à s’étendre à tout ce que produit la chose, à tout ce qui s’unit à elle et à tout ce qui s’y incorpore.

Pour exemple, le propriétaire d’un fonds acquiert automatiquement la propriété de toutes les constructions élevées sur ce fonds, tout autant que lui reviennent les fruits produits par les arbres qui y sont plantés.

À cet égard, régulièrement, la Cour de cassation rappelle que les règles de l’accession sont pleinement applicables aux époux séparés de biens.

Dans un arrêt du 27 mars 2002, elle a, par exemple, affirmé, au visa des articles 551 et 555 du Code civil, que « tout ce qui s’unit et s’incorpore à la chose appartient au propriétaire ; que lorsque des constructions ont été faites par un tiers avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire a le droit d’en conserver la propriété, sauf à indemniser le tiers évincé » (Cass. 3e civ. 27 mars 2002, 00-18.201).

Elle en déduit que lorsqu’un époux finance avec ses propres fonds, la construction d’un immeuble sur le terrain de son conjoint, ce dernier acquerra, moyennant indemnisation, la propriété du tout, conformément à l’article 555 du Code civil.

Dans un arrêt remarqué du 15 mai 2008, la Cour de cassation est néanmoins venue préciser que « les dispositions de l’article 555, alinéas 2 et 3, du code civil relatives à l’indemnisation du tiers évincé ne sont pas applicables aux créances entre époux séparés de biens, qui sont exclusivement régies par l’article 1469, alinéa 3, du code civil lorsque la somme prêtée a servi à acquérir un bien qui se retrouve dans le patrimoine de l’époux emprunteur au jour de la liquidation » (Cass. 1ère civ. 15 mai 2008, n°06-16.939).

Autrement dit, l’indemnité due par l’époux propriétaire du terrain à l’époux constructeur doit être calculée selon les règles applicables en matière d’accession immobilière, mais de celles qui régissent l’évaluation des créances entre époux.

Par ailleurs, pour que les règles de l’accession s’appliquent aux époux séparés de biens, encore faut-il qu’aucune convention n’ait été conclue entre eux qui réglerait les conditions d’édification d’un immeuble financé par l’un, sur le terrain appartenant en propre à l’autre.

2. Tempérament : l’indivision

Le Code civil prévoit une exception au principe de séparation des patrimoines lorsque le bien appartient aux époux en indivision.

Cette indivision peut résulter :

  • Soit de l’acquisition conjointe d’un bien
  • Soit de présomptions d’indivision

2.1 L’acquisition conjointe d’un bien par les époux

Il n’est pas rare que les époux séparés de biens réalisent des acquisitions conjointement, en particulier lorsqu’il s’agit d’acquérir un bien pourvu d’une valeur patrimoniale importante, tel que le logement de famille ou une résidence secondaire.

Lorsqu’ils acquièrent un bien ensemble, il leur appartient en indivision, étant précisé que les quotes-parts attribuées à l’un et l’autre peuvent être déterminées dans l’acte constatant l’acquisition. À défaut, les époux sont réputés être propriétaires du bien indivis à parts égales.

Quoi qu’il en soit, les biens acquis conjointement par les époux séparés de biens ne composent, en aucune façon, une troisième masse de biens à l’instar de la communauté instaurée sous le régime légal.

Il s’agit de biens soumis au seul droit de l’indivision qui se compose de deux corps de règles :

  • Les règles générales énoncées aux articles 815 et suivants du Code civil qui s’appliquent en l’absence de convention contraire
  • Les règles spéciales énoncées aux articles 1873-1 et suivants du Code civil lorsqu’une convention relative à l’exercice des droits indivis a été conclue entre les époux.

Il peut être observé que, dès lors que l’acte d’acquisition constate que le bien a été acquis conjointement par les époux, il est réputé leur appartenir en copropriété, peu importe qu’il ait été financé par un seul des époux.

Dans un arrêt du 14 novembre 2007, la Cour de cassation validé en ce sens une décision de Cour d’appel qui, après avoir relevé qu’aux termes de l’acte de vente, le terrain avait été acquis indivisément chacun pour moitié par les époux séparés de biens, avait décidé que l’épouse, propriétaire pour moitié du terrain, « devait être présumée propriétaire pour moitié de l’immeuble qui y avait été édifié, les modalités de financement de la construction de cet immeuble n’étant pas, à elles seules, de nature à établir la preuve contraire » (Cass. 1ère civ. 14 nov. 2007, n°06-18.395).

2.2 Les présomptions d’indivision

Les présomptions d’indivision peuvent avoir deux sources différentes :

  • La loi
  • La volonté des époux

a. Les présomptions d’indivision légales

a.1 La présomption générale d’indivision

La vie conjugale implique que les époux mettent en commun les biens qu’ils acquièrent séparément.

Sous l’effet du temps, les biens, en particulier les meubles, qui leur appartiennent en propre sont alors susceptibles de se confondre avec ceux qui appartiennent au conjoint et réciproquement.

Cette situation est, par hypothèse, de nature à rendre pour le moins difficile l’attribution à l’un et l’autre époux de la propriété des biens qui ont été confondus.

Aussi, afin de faciliter la preuve de la propriété de ces biens, le législateur a institué une règle qui, lorsqu’existe une incertitude sur la propriété d’un bien, fait présumer ce bien appartenir aux époux en indivision.

Cette règle, qui est issue de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965, est énoncée à l’article 1538 du Code civil qui prévoit que « les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié ».

Par le jeu de cette présomption est ainsi instituée une masse indivise de biens qui, à certains égards, se rapproche de la masse commune instituée sous les régimes communautaires.

Elle s’en distingue néanmoins en ce que les biens qui la composent sont soumis au seul droit de l’indivision.

Il en résulte que le sort de cette masse indivise n’est pas lié à la durée du mariage. Plus précisément, cette masse peut cesser d’exister avant la dissolution du mariage, ce qui n’est pas le cas de la communauté qui est instituée pour toute la durée de l’union matrimoniale.

En effet, l’article 815 du Code civil prévoit que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu’il n’y ait été sursis par jugement ou convention. ». La situation d’indivision peut donc cesser à tout instant du mariage.

À l’analyse, la présomption d’indivision est un dispositif qui permet d’atténuer le principe de séparation des patrimoines qui préside au régime de la séparation de biens.

Comme observé par Gulsen Yildirimn elle « permet d’introduire un facteur d’équité dans l’établissement de la composition des patrimoines des époux. »

D’autres auteurs soulignent qu’« il est significatif de voir ainsi s’établir une union des intérêts pécuniaires, subrepticement en quelque sorte, et à la faveur d’une absence de preuve. Cela autorise à penser qu’une certaine communauté de meubles est peut-être, elle aussi, dans la nature des choses »[6].

S’agissant des effets de cette présomption, elle opère, tant dans les rapports entre époux, que dans les rapports avec les tiers.

  • Dans les rapports entre époux
    • La présomption d’indivision conduira les époux à se partager le bien lors de la dissolution du mariage.
    • Le partage donnera lieu à réparation du bien en deux parts égales, celui-ci étant présumé appartenir conjointement aux époux pour moitié.
  • Dans les rapports avec les tiers
    • La présomption d’indivision leur est opposable, de sorte que s’applique l’article 817 du Code civil aux termes duquel il leur est fait interdiction de saisir la quote-part indivise de l’époux débiteur.
    • Ils n’ont d’autre choix que de provoquer le partage de l’indivision.

a.2 La présomption de cotitularité du bail

==> Vue générale

L’article 1751 du Code civil prévoit que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire et même si le bail a été conclu avant le mariage, ou de deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, dès lors que les partenaires en font la demande conjointement, est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un époux est titulaire d’un bail qui assure le logement de la famille, la titularité de ce bail est étendue à son conjoint.

Ainsi que le relève un auteur, est ainsi instituée une sorte d’« indivision forcée atypique »[7]. Cette thèse semble avoir été consacrée par la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 27 janvier 1993, a affirmé que l’article 1751 du Code civil « crée une indivision, conférant à chacun des époux des droits et obligations identiques, notamment l’obligation de payer des loyers et accessoires » (Cass. 3e civ. 27 janv. 1993, n°90-21.825).

Bien que logée dans la partie du Code civil dédiée aux baux des maisons et des biens ruraux, la règle énoncée à l’article 1751 relève du régime primaire impératif puisque, comme précisé par le texte, elle est applicable « quel que soit » le régime matrimonial des époux.

Il s’agit donc là d’une disposition à laquelle il ne saurait être dérogé par convention contraire et notamment par l’établissement d’un contrat de mariage. Et il est indifférent que les époux aient opté pour un régime de communauté ou un régime de séparation de biens. La règle de cotitularité du bail prévaut.

Reste que le domaine de cette règle demeure circonscrit tout autant que ses effets ainsi que sa durée.

i. Le domaine de la protection instituée pour les baux

Pour que la protection instituée par l’article 1751 du Code civil puisse opérer, trois conditions cumulatives doivent être remplies :

  • D’une part, la cotitularité ne joue que s’il est question d’un droit au bail
  • D’autre part, seuls les baux d’habitation ne sont visés par la protection
  • Enfin, le local doit servir effectivement à l’habitation des époux

==> S’agissant de l’exigence d’un bail

Comme précisé par l’article 1751 du Code civil, le dispositif de protection institué n’a vocation à s’appliquer qu’en présence d’un bail.

Par bail, il faut entendre, selon l’article 1709 du Code civil, le contrat par lequel l’une des parties s’oblige (le bailleur) à faire jouir l’autre (le preneur ou locataire) d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer.

Aussi, la jurisprudence a-t-elle refusé de faire application de l’article 1751 à une convention d’occupation gratuite d’un immeuble qui se distingue d’un bail en ce qu’elle confère au preneur un droit précaire sur le local auquel il peut être mis fin à tout moment.

Dans un arrêt du 13 mars 2002, la Troisième chambre civile affirme que « les dispositions de l’article 1751 du Code civil ne sont pas applicables à une convention d’occupation gratuite d’un local » (Cass. 3e civ. 13 mars 2002, n°00-17.707).

Aussi, est-il absolument nécessaire qu’un bail soit conclu pour que la règle énoncée à l’article 1751 du Code civil puisse jouer.

À cet égard, il est indifférent que le bail ait été conclu avant le mariage ou qu’il soit assujetti à un statut spécifique, encore qu’il doive consister, a minima, en un bail d’habitation.

==> S’agissant de l’exigence d’un bail d’habitation

L’article 1751 du Code civil prévoit que l’extension de la titularité du bail au conjoint ne peut opérer qu’à la condition que les locaux loués soient affectés à un usage d’habitation.

Cette disposition exclut, en effet, de son champ d’application les baux conclus aux fins d’usage professionnel, commercial, rural ou mixte.

Il s’agit là, manifestement d’une différence avec l’article 215, al. 3e du Code civil qui ne distingue pas selon la destination du local. La protection instituée par cette disposition opère, en effet, dès lors que le local constitue le lieu de vie effectif de la famille.

==> S’agissant de l’exigence d’habitation effective du local loué

L’article 1751 du Code civil vise le seul « droit au bail du local […] qui sert effectivement à l’habitation de deux époux ».

Il en résulte que la protection instituée par cette disposition ne pourra pas jouer pour le bail qui se rapporte à une résidence secondaire et plus généralement à un local dans lequel la famille ne vit pas à titre habituel (V. en ce sens CA Orléans, 20 févr. 1964).

Dans le même sens, la Cour de cassation a décidé, dans un arrêt du 7 novembre 1995, que la cotitularité du bail n’avait pas vocation à jouer lorsque les époux n’avaient pas cohabité dans le local (Cass. 1ère civ. 7 nov. 1995, n°92-21.276).

Pour que l’article 1751 s’applique le local disputé doit nécessairement avoir servi à l’habitation des deux époux (Cass. 3e civ. 28 janv. 1971, n°69-13.314).

ii. Les effets de la protection spéciale instituée pour les baux

L’extension de la titularité du bail au conjoint par le jeu de l’article 1751 du Code civil emporte plusieurs effets :

  • Premier effet
    • Le principal effet de l’instauration d’une cotitularité du bail et dont découlent tous les autres est qu’il « est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux».
    • Autrement dit, quand bien même le bail aurait été conclu, lors de l’entrée en possession des lieux, pas un époux seul, le mariage a pour effet de conférer à son conjoint la qualité de partie au contrat.
    • Il s’agit là, manifestement, d’une règle exorbitante du droit commun et plus précisément une dérogation à l’effet relatif des conventions.
    • En principe, seules les personnes qui ont participé à la conclusion d’un contrat acquièrent la qualité de partie à l’acte.
    • L’article 1751 du Code civil vient ici déroger à la règle en octroyant au conjoint, peu important qu’il ait consenti ou non à l’acte, la qualité de partie au contrat.
    • Selon le texte, il est « réputé» (terme qui signale une fiction juridique) être cotitulaire du bail.
  • Deuxième effet
    • Conséquence de l’extension de la titularité du bail au conjoint, le contrat ne peut faire l’objet d’aucune résiliation du chef d’un seul époux.
    • La résiliation du bail requiert, autrement dit, le consentement des deux époux.
    • Dans un arrêt du 20 février 1969, la Cour de cassation a jugé en ce sens que le congé donné par le mari seul ne peut avoir effet à l’égard de la femme, cotitulaire du droit au bail ( 3e civ. 20 févr. 1969).
    • Plus généralement, un époux ne peut disposer seul du bail, en ce sens qu’il ne peut, ni le résilier, ni le modifier.
    • La violation de cette interdiction est sanctionnée par l’inopposabilité de l’acte (V. en ce sens 1ère civ. 1er avr. 2009, n°08-15.929).
    • La Troisième chambre civile a, par ailleurs, précisé dans un arrêt du 19 juin 2002 que « le congé donné par un seul des époux titulaires du bail n’est pas opposable à l’autre et que l’époux qui a donné congé reste solidairement tenu des loyers » ( 3e civ. 19 juin 2002, n°01-00.652).
  • Troisième effet
    • Autre effet de la cotitularité du bail, les obligations stipulées dans le contrat pèsent sur les deux époux, en particulier l’obligation solidaire de paiement des loyers.
    • Dans un arrêt du 7 mai 1969, la Cour de cassation a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait décidé, en application de l’article 1751 du Code civil, « que l’épouse est réputée par l’effet du bail conclu au profit du mari et dès cette époque co-preneur avec celui-ci en vertu d’un droit distinct et qu’elle est tenue personnellement des obligations qui en résultent».
    • Elle en déduit qu’elle était tenue solidairement du paiement des loyers avec son époux ( 1er civ. 1 mai 1969).
    • À l’examen, cette solidarité du paiement des loyers tient tout autant à l’application de l’article 1751 du Code civil, qu’à la convocation de la règle énoncée à l’article 220 du Code civil qui prévoit une solidarité des époux pour les dépenses ménagères.
    • La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser qu’il était indifférent que l’époux poursuivi en paiement des loyers ait quitté les lieux, le critère déterminant étant le maintien du lien matrimonial (V. en ce sens 2e civ. 3 oct. 1990, n°88-18.453).
    • Or tant que ce lien perdure, l’article 1751 du Code civil continue à produire ses effets.
  • Quatrième effet
    • La jurisprudence considère que pour opérer, le congé donné par le bailleur doit être notifié individuellement aux deux époux, faute de quoi ce congé est inopposable au conjoint qui n’a pas été touché par la notification ( 3e civ. 10 mai 1989, n°88-10.363).
    • La solution est sévère pour le bailleur, dans la mesure où il est susceptible de n’avoir pas eu connaissance de la situation matrimoniale du preneur notamment lorsqu’il n’était pas marié au jour de la conclusion du bail.
    • Reste que la jurisprudence est constante sur l’application de cette règle dont les effets ont toutefois été atténués par le législateur lors de l’adoption de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.
    • Cette loi comporte, en effet, un article 9-1 qui prévoit que « nonobstant les dispositions des articles 515-4 et 1751 du code civil, les notifications ou significations faites en application du présent titre par le bailleur sont de plein droit opposables au partenaire lié par un pacte civil de solidarité au locataire ou au conjoint du locataire si l’existence de ce partenaire ou de ce conjoint n’a pas été préalablement portée à la connaissance du bailleur. »
    • Autrement dit, toute évolution de la situation matrimoniale du preneur doit être portée à la connaissance du bailleur, faute de quoi en cas de délivrance d’un congé, le conjoint ne sera pas fondé à se prévaloir, auprès du bailleur, de la cotitularité du bail.
    • Dans un arrêt du 19 octobre 2005, la Cour de cassation n’a pas manqué de rappeler cette exigence en affirmant, s’agissant d’un congé qui avait été délivré au seul mari, que « l’article 9-1 de la loi du 6 juillet 1989 faisait peser sur le locataire une obligation d’information de son lien matrimonial impliquant une démarche positive de sa part envers son bailleur et que la preuve que cette information avait bien été donnée incombait au preneur, la cour d’appel, qui a souverainement retenu que cette preuve n’était pas rapportée, en a exactement déduit que le congé notifié à M. Y… seul était opposable à son épouse» ( 3e civ. 19 oct. 2005, n°04-17.039).
    • La Cour de cassation a toutefois précisé dans un arrêt du 9 novembre 2011 que l’absence de notification au bailleur du changement de situation matrimoniale du preneur était sans incidence sur la cotitularité du bail, soit sur les rapports entre époux ( 3e civ. 9 nov. 2011, n°10-20.287).
  • Cinquième effet
    • Au même titre que l’époux qui a conclu le bail, le conjoint qui, par l’effet du mariage, devient cotitulaire de ce bail, se voit conférer, un droit de préemption qu’il peut exercer en cas de projet de cession du bien loué.
    • Pour la Cour de cassation « il résulte de l’article 11 de la loi du 22 juin 1982, rapproché des dispositions de l’article 1751 du Code civil, qu’en cas de vente d’un immeuble servant à l’habitation des deux époux, chacun d’eux bénéficie d’un droit de préemption aux conditions fixées par le propriétaire» ( 3e civ. 16 oct. 1996, n°89-20.260).

iii. La durée de la protection spéciale instituée pour les baux

L’article 1751 du Code civil envisage à ses alinéas 2 et 3 le sort du bail en cas, d’une part, de divorce ou de séparation de corps, et, d’autre part, de décès d’un des époux.

  • S’agissant du divorce ou de la séparation de corps
    • L’alinéa 2 de l’article 1751 du Code civil prévoit que « en cas de divorce ou de séparation de corps, ce droit pourra être attribué, en considération des intérêts sociaux et familiaux en cause, par la juridiction saisie de la demande en divorce ou en séparation de corps, à l’un des époux, sous réserve des droits à récompense ou à indemnité au profit de l’autre époux.»
    • Ainsi, revient-il au juge de décider du sort du bail, sauf à ce que les époux s’entendent sur son attribution.
    • Lorsqu’aucun accord ne sera trouvé entre les époux, il appartiendra au juge de se déterminer en considération « des intérêts sociaux et familiaux en cause».
  • S’agissant du décès d’un des époux
    • L’alinéa 3 de l’article 1751 prévoit que « en cas de décès d’un des époux ou d’un des partenaires liés par un pacte civil de solidarité, le conjoint ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité survivant cotitulaire du bail dispose d’un droit exclusif sur celui-ci sauf s’il y renonce expressément. »
    • Issue de la loi n°2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral, cette disposition confère au conjoint survivant un droit exclusif sur le bail.
    • Cette loi a ainsi mis fin à une situation qui, par une application stricte de l’article 1751 du Code civil, conduisait à mettre le conjoint survivant en concurrence avec les ayants droit de l’époux décédé quant à la titularité du bail.
    • Désormais, il est protégé et dispose d’une option qui lui octroie la faculté de se maintenir dans les lieux ou de renoncer au bail.

b. Les présomptions d’indivision conventionnelles

En application du principe de liberté des conventions matrimoniales, les époux peuvent insérer dans leur contrat de mariage une clause qui institue une présomption d’indivision qui aura vocation s’appliquer à une ou plusieurs catégories de biens.

Depuis que la loi a institué une présomption d’indivision pourvue d’une portée générale, la stipulation d’une telle clause a grandement perdu de son intérêt.

Reste qu’il pourra être recouru à ce dispositif contractuel pour les meubles meublants qui garnissent le logement familial et plus généralement tous les lieux où les époux résident.

Sous l’empire du droit antérieur à la loi du 13 juillet 1965, on s’était demandé si les présomptions d’indivision conventionnelles étaient opposables aux tiers.

L’article 1538, al. 2e du Code civil tranche désormais cette question en prévoyant que « les présomptions de propriété énoncées au contrat de mariage ont effet à l’égard des tiers aussi bien que dans les rapports entre époux, s’il n’en a été autrement convenu. »

La conséquence de l’opposabilité des présomptions d’indivision conventionnelles aux tiers est le renversement de la charge de la preuve.

Autrement dit, c’est au créancier saisissant d’établir que le bien sur lequel il exerce ses poursuites appartient exclusivement à l’époux débiteur.

Dans un arrêt du 29 janvier 1974, la Cour de cassation a jugé en ce sens que la clause de présomption d’indivision figurant dans le contrat de mariage des époux séparés de biens est opposable au créancier, de sorte qu’il appartient à ce dernier d’administrer la preuve du droit de propriété exclusif de son débiteur sur les biens litigieux (Cass. 1ère civ. 29 janv. 1974, n°72-12.670).

B) La preuve de la propriété

La vie conjugale implique que les époux mettent en commun les biens qu’ils acquièrent séparément.

Sous l’effet du temps, les biens, en particulier les meubles, qui leur appartiennent en propre sont alors susceptibles de se confondre avec ceux qui appartiennent au conjoint et réciproquement.

Cette situation est, par hypothèse, de nature à rendre pour le moins difficile l’attribution à l’un et l’autre époux de la propriété des biens qui ont été confondus.

Pour cette raison, la preuve de la propriété présente un enjeu particulièrement important pour les époux mariés sous le régime de la séparation de biens.

Des conflits surviendront notamment à la dissolution du mariage, les époux se disputant, au moment du partage, la propriété de tel ou tel bien.

Afin de régler ces conflits, à tout le moins de les prévenir, le législateur a inséré dans le Code civil une disposition qui traite de la preuve de la propriété sous le régime de la séparation de biens.

Cette disposition instaure un dispositif qui distingue selon que les époux ont ou non stipulé dans leur contrat de mariage des présomptions de propriété.

1. La preuve de la propriété en l’absence de présomptions de propriété

==> La charge de la preuve

En l’absence de présomption conventionnelle de propriété, la charge de la preuve pèse sur l’époux qui revendique la propriété d’un bien.

L’article 1538, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que « tant à l’égard de son conjoint que des tiers, un époux peut prouver par tous les moyens qu’il a la propriété exclusive d’un bien. »

Il peut être observé que si la règle énoncée par cette disposition ne vise que le cas où celui qui se prévaut de la propriété d’un bien est un époux, elle s’applique également à l’hypothèse où c’est un tiers qui cherchera à attribuer la propriété d’un bien à l’un ou l’autre époux.

Il y aura notamment intérêt lorsqu’il voudra exercer des poursuites sur ce bien, au titre d’une créance qu’il détient contre son débiteur.

==> Objet de la preuve

La preuve de la propriété n’est pas des plus aisée à rapporter. Pour y parvenir, il convient, en effet, d’établir irréfutablement la légitimité du rapport d’appropriation d’un bien. Or cela suppose d’être en mesure de remonter la chaîne des transferts successifs de propriété jusqu’au premier propriétaire, ce qui, a priori, est impossible.

D’où la présentation de la preuve de la propriété comme la « probatio diabolica », car seul le diable serait en capacité de la rapporter.

Quoi qu’il en soit, cette preuve doit être rapportée par l’époux qui revendique la propriété d’un bien, faute de quoi, conformément au troisième alinéa de l’article 1538 du Code civil, le bien revendiqué sera réputé appartenir indivisément à chacun des époux pour moitié.

Cette preuve de la propriété est-elle insurmontable ? Il n’en est rien. Comme observé par le Professeur Revêt « la propriété se prouve par sa cause : l’acquisition ».

Aussi, la propriété d’un bien se prouvera différemment selon le mode d’acquisition de ce bien. Il convient, en particulier, de distinguer les modes d’acquisition originaires, des modes d’acquisition dérivés.

  • L’acquisition originaire
    • Il s’agit du mode d’acquisition qui confère à l’acquéreur un droit de propriété qu’il ne tient pas d’autrui
    • Le droit dont il est titulaire n’a été exercé par personne et résulte d’un fait juridique.
    • Tel est le cas de l’occupation, de la prescription, de la présomption de propriété ou encore de l’accession
    • Dans cette configuration, l’acquisition de la propriété n’exige pas que l’acquéreur noue un rapport juridique avec une autre personne.
    • L’acquisition n’intéresse que lui et la chose
    • La preuve de la propriété consistera donc ici à établir les circonstances de création de ce lien entre le propriétaire et la chose
      • En cas d’acquisition d’un bien par occupation, il s’agira de démontrer l’entrée en possession de la chose et la volonté d’en être le propriétaire
      • En cas d’acquisition par prescription, il s’agira de démontrer que la possession est caractérisée, tant dans ses éléments constitutifs, que dans ses caractères.
      • En cas d’acquisition par accession, il conviendra de rapporter la preuve du fait d’accroissement ou de production

  • L’acquisition dérivée
    • Il s’agit du mode d’acquisition qui confère à l’acquéreur un droit de propriété par voie de transfert du droit
    • Autrement dit, le bien appartenait, avant le transfert de sa propriété, à une autre personne, de sorte que l’acquéreur détient son droit d’autrui.
    • Ce mode d’acquisition de la propriété procède toujours de l’accomplissement d’un acte juridique, tels qu’un contrat, un échange, un testament, une donation etc.
    • Dans cette configuration, un rapport juridique doit nécessairement se créer pour que l’acquisition emporte transfert de la propriété
    • La preuve de la propriété consistera ici à établir l’existence d’un transfert de propriété et plus précisément à remonter le fil des transmissions, ce qui ne sera pas sans soulever des difficultés en matière mobilière.

==> Les modes de preuve

S’agissant des modes de preuves admis quant à établir la propriété d’un bien, l’article 1538 du Code civil prévoit que la preuve peut être rapportée « par tous moyens ».

Cela signifie que tous les modes de preuves sont admis. Est-ce à dire qu’ils se valent tous ? Il n’en est rien.

Le titre de propriété est, sans aucun doute, le mode de preuve qui est pourvu de la plus grande force probante.

Reste qu’il ne sera établi, en général, que pour les immeubles étant précisé que la jurisprudence considère que « sous le régime de la séparation de biens, le bien appartient à celui dont le titre établit la propriété sans égard à son financement » (Cass. 1ère civ. 31 mai 2005, n°02-20.553).

Autrement dit, il est indifférent que le bien ait été financé par un époux en particulier : le titre prime en tout état de cause sur la finance. C’est donc l’époux titulaire du titre qui endosse la qualité de propriétaire du bien.

S’agissant des meubles, cette question ne se posera pas, à tout le moins qu’à titre exceptionnel, dans la mesure il est rare qu’un titre de propriété soit établi lors de l’acquisition de cette catégorie de biens.

Parfois, les meubles acquis avant le mariage feront l’objet d’une énumération dans le contrat de mariage, ce qui permettra d’éviter que les époux se disputent la propriété de ces biens lors de la liquidation de leur régime matrimoniale.

Pour les meubles acquis au cours du mariage, sauf à ce qu’ils aient été expressément visés dans une donation ou un testament, la possession devrait constituer le mode normal de preuve de la propriété.

Reste que pour produire ses effets, elle doit présenter les caractères requis par l’article 2261 du Code civil qui prévoit que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

Il ressort de cette disposition que pour être efficace, la possession ne doit être affectée d’aucun vice. Elle doit, autrement dit, être utile.

Par utile, il faut entendre susceptible de fonder une prescription acquisitive. On dit alors que la possession est utile ad usucapionem, soit par l’usucapion.

Si la situation des époux séparés de biens ne fait pas obstacle à la réunion des trois premiers caractères de la possession utile (continue, paisible et publique), il en va différemment de l’exigence tenant à l’absence d’équivoque.

Par hypothèse, les époux, quel que soit le régime matrimonial auquel ils sont soumis, partagent une communauté de vie, ce qui implique qu’ils mettent en commun leurs biens meubles.

Aussi, s’avérera-t-il délicat de déterminer si le possesseur détient la chose à titre exclusif ou si la possession est partagée.

Cette situation conduit, en pratique, à une confusion des biens meubles, ce qui est de nature à rendre la possession équivoque.

Compte tenu de la difficulté à établir l’absence d’équivoque de la possession pour les biens meules, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 7 novembre 1995, que « les règles de preuve de la propriété entre époux séparés de biens, édictées par l’article 1538 du Code civil, excluent l’application de l’article 2279 [nouvellement 2276] du même Code » (Cass. 1ère civ. 7 nov. 1995, n°92-10.051).

Ainsi, pour la Première chambre civile, la règle énoncée à l’article 2276 du Code civil qui confère un titre de propriété à celui qui possède – de bonne foi – un meuble, est paralysée sous l’effet du régime de la séparation de biens.

Bien que vivement critiquée par les auteurs, cette position a été confirmée dans un arrêt du 27 novembre 2001 (Cass. 1ère civ. 27 nov. 2001, n°99-10.633).

Dans ces conditions, la preuve de la propriété devra se faire selon d’autres moyens, ce qui pourra consister à produire des témoignages et plus généralement toutes sortes d’indices.

Ces indices pourront notamment résulter de factures, bien qu’il ne s’agisse pas d’un écrit au sens du droit de la preuve.

Dans un arrêt du 10 mars 1993, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’article 1538 du Code civil, « qu’une facture, même non acquittée, est de nature à établir, sauf preuve contraire, l’acquisition d’un bien par celui au nom duquel elle est établie » (Cass. 1ère civ. 10 mars 1993, n°91-13.923).

Elle ajoute, dans cette même décision, « que la propriété d’un bien appartient à celui qui l’a acquis sans qu’il y ait lieu d’avoir égard à la façon dont l’acquisition a été financée ».

Les factures ne sont pas les seuls indices susceptibles de prouver la propriété d’un bien acquis par un époux séparé de biens. La jurisprudence a également admis que la preuve puisse être rapportée au moyen de certificats de garantie ou d’origine (CA Versailles 12 déc. 1988).

Pour les véhicules immatriculés, la preuve de leur propriété pourra résulter de la carte grise qui a été établie au nom d’un époux (CA Paris, 4 févr. 1982).

Si, en droit commun de la preuve, on n’accorde aux documents qui ne remplissent pas les conditions d’un écrit qu’une faible valeur probante, car ne prouvant, tout au plus, que le paiement par celui au nom duquel ils sont établis, à l’analyse, il en va différemment lorsque la preuve est rapportée dans le cadre matrimonial.

La jurisprudence reconnaît, en effet, aux indices que sont les factures, les certificats et autres documents contractuels, la valeur d’une présomption simple, en ce sens qu’ils permettent d’établir la propriété du bien jusqu’à la preuve contraire.

C’est là une certaine faveur qui est consentie aux époux séparés de bien pour lesquels le fardeau de la preuve se trouve ainsi allégé.

2. La preuve de la propriété en présence de présomptions de propriété

Lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens, la principale difficulté soulevée par la composition des patrimoines réside dans la détermination de la propriété de tel ou tel bien.

Pour résoudre cette difficulté, les époux avaient pris l’habitude d’insérer systématiquement dans leur contrat de mariage une clause de style visant à instituer une présomption d’indivision en cas de doute qui surviendrait sur la propriété d’un bien.

Aujourd’hui, cette clause est devenue inutile. Elle a été intégrée à l’article 1538 du Code civil qui prévoit désormais que « les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié. »

Reste que, en cas de litige, cette issue sera, la plupart du temps, envisagée par les époux comme un dernier recours. Ces derniers chercheront toujours à prouver que le bien disputé leur appartient de manière exclusive.

Afin de faciliter cette preuve, ils disposent de la faculté d’aménager, en amont, leur régime matrimonial.

L’objectif recherché par les époux sera donc de prévenir toute difficulté de reconstitution des masses lors de la liquidation de leur régime matrimonial.

Pour ce faire, il est d’usage d’instituer conventionnellement des présomptions de propriété qui consistent à stipuler que telle catégorie de biens est réputée à partir à tel époux.

Ces présomptions seront le plus souvent stipulées pour les meubles corporels, les difficultés tenant à la preuve se concentrant, pour l’essentiel, sur cette catégorie de bien.

S’agissant des effets attachés aux présomptions de propriété, il n’est pas douteux qu’elles jouent dans les rapports entre époux, mais pas seulement.

L’article 1538, al. 2e du Code civil prévoit, en effet, que « les présomptions de propriété énoncées au contrat de mariage ont effet à l’égard des tiers aussi bien que dans les rapports entre époux, s’il n’en a été autrement convenu ».

Il résulte de cette disposition que les clauses instituant une présomption de propriété sont opposables erga omnes, ce qui implique que les époux sont fondés à s’en prévaloir à l’égard des tiers.

Plus précisément, les présomptions de propriété joueront, tant à l’égard des créanciers de l’époux au profit duquel elles sont stipulées, qu’à l’égard des créanciers du conjoint.

La question qui alors se pose est de savoir s’il s’agit là de règles de propriété, ce qui aurait pour conséquence de conférer un caractère irréfragable aux présomptions de propriété ou si elles poursuivent une finalité seulement probatoire, de sorte qu’elles pourraient souffrir de la preuve contraire.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’alinéa 3 de l’article 1538 qui prévoit que « la preuve contraire sera de droit, et elle se fera par tous les moyens propres à établir que les biens n’appartiennent pas à l’époux que la présomption désigne, ou même, s’ils lui appartiennent, qu’il les a acquis par une libéralité de l’autre époux. »

Aussi, est-il fait interdiction aux époux de conférer un caractère irréfragable aux présomptions de propriété stipulées dans leur contrat de mariage. Il s’agit là d’une règle d’ordre public.

Ces présomptions doivent donc pouvoir être renversées, par tous moyens, par les tiers, ce qui fait d’elles des règles, non pas de propriété, mais de preuve.

Dans un arrêt du 19 juillet 1988, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’article 1538, al. 2e du Code civil, « qu’il résulte de cet article que la preuve contraire des présomptions de propriété énoncées au contrat de mariage est de droit et se fait par tous les moyens propres à établir que les biens n’appartiennent pas à l’époux que la présomption désigne ; que ce texte ne distingue pas entre la propriété privative et la propriété indivise ayant pu exister entre les époux » (Cass. 1ère civ. 19 juill. 1988, n°86-10.348).

Ainsi, non seulement une présomption de propriété doit, en tout état de cause, pouvoir être combattue par la preuve contraire, mais encore la preuve doit pouvoir être rapportée par tous moyens.

Il est donc fait interdiction aux époux, non seulement de conférer un caractère irréfragable aux présomptions de propriété stipulées dans leur contrat de mariage, mais encore de restreindre les modes de preuves légalement admis.

Au nombre de ces modes de preuves, la présomption de propriété pourra être combattue par la production de témoignages ou de simples indices établissant que le bien disputé n’appartient pas à l’époux au profit duquel cette présomption est stipulée.

Dans un arrêt du 30 juin 1993, la Cour de cassation a, par ailleurs, admis que la preuve puisse être rapportée au moyen d’une convention conclue entre époux aux termes de laquelle la propriété du bien est reconnu à l’un d’eux à titre exclusif.

Au soutien de sa décision, elle a affirmé que « sous le régime de la séparation de biens, un époux peut prouver, par tous moyens, qu’il a la propriété exclusive d’un bien et écarter par la preuve contraire les présomptions de propriété stipulées par le contrat de mariage ; qu’un acte établi au cours du mariage entre époux séparés de biens, pour reconnaître à l’un d’eux, la propriété personnelle de certains biens, ne constitue pas une convention modificative du régime matrimonial mais un simple moyen de preuve destiné à écarter ces présomptions » (Cass. 1ère civ. 30 juin 1993, n°90-17.602).

On peut enfin signaler un autre arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 21 juin 1983, aux termes duquel elle décide que la situation de confusion des patrimoines est de nature à tenir en échec la clause instituant une présomption de propriété sur un bien qui l’on ne pourrait plus identifier comme appartenant à l’un ou l’autre époux (Cass. 1ère civ. 21 juin 1983, n°82-13.542).

II) La répartition du passif

A) Principe

Le principe de séparation des patrimoines qui préside au régime de la séparation de biens ne joue pas seulement pour l’actif du couple marié, il opère également pour le passif.

L’article 1536, al. 2e du Code civil prévoit en ce sens que chacun des époux « reste seul tenu des dettes nées en sa personne avant ou pendant le mariage, hors le cas de l’article 220. »

Il ressort de cette disposition que les époux séparés de biens sont tenus des dettes nées de leur propre chef, avant la célébration du mariage que postérieurement.

Pratiquement, cela signifie que les dettes contractées par un époux seul ne sont exécutoires que sur son patrimoine propre, à l’exclusion des biens personnels de son conjoint.

Sous le régime de la séparation de biens, en raison de l’absence de masse commune, la distinction entre l’obligation à la dette et la contribution à la dette est inopérante.

Seul peut être poursuivi par les créanciers l’époux auquel incombe la charge de la dette, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’établir un passif provisoire.

Aussi, la corrélation entre l’actif et le passif est ici parfaite : ce sont les biens de l’époux qui a personnellement contracté la dette qui répondent du passif, tant au plan de l’obligation à la dette, qu’au plan de la contribution.

À cet égard, dans l’hypothèse où un époux réglerait la dette de son conjoint, il dispose d’un recours contre celui-ci.

B) Exceptions

Le principe de séparation des patrimoines au plan du passif connaît de nombreuses exceptions qui intéressent notamment les obligations solidaires et conjointes auxquelles sont susceptibles d’être tenus les époux séparés de biens.

==> Les dettes solidaires

L’article 1536, al. 2e du Code civil assortit le principe de séparation des patrimoines quant au passif d’une exception : les dettes visées par l’article 220 du Code civil soit, les dettes souscrites pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants.

Ces dettes présentent la particularité d’être solidaires, pourvu qu’elles ne soient manifestement pas excessives (art. 220, al. 2e C. civ.), ni ne résultent d’un emprunt qui ne serait pas modeste ou d’un achat à tempérament (art. 220, al. 3e C. civ.)

À la vérité, le principe de séparation des patrimoines sera écarté toutes les fois que les époux auront contracté une dette solidaire.

Ainsi, lorsqu’une dette est frappée de solidarité, les deux époux sont engagés sur le même plan.

Chacun d’eux peut être actionné en paiement par le créancier pour le tout.

Il en résulte que, quand bien même la dette est née du chef d’un seul époux, elle est exécutoire sur l’ensemble des biens du couple soit :

  • Sur les biens propres de l’époux souscripteur
  • Sur les biens propres du conjoint
  • Sur les biens que les époux possèdent en indivision

À cet égard, en application de l’article 1310 du Code civil, « la solidarité est légale ou conventionnelle ; elle ne se présume pas. »

Pour opérer, la solidarité doit donc être prévue :

  • Soit par la loi
  • Soir par un contrat

S’agissant de la solidarité légale, elle est énoncée notamment :

  • Par l’article 220 du Code civil pour les dépenses ménagères
  • Par l’article 1685 du Code général des impôts pour les dettes fiscales
  • Par l’article 1242, al. 4e du Code civil pour les dettes résultant de la responsabilité des parents du fait de leurs enfants

S’agissant de la dette de loyer, il est également admis qu’elle soit frappée de solidarité en application de la combinaison des articles 220 et 1751 du Code civil.

Pour mémoire, cette seconde disposition prévoit que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire et même si le bail a été conclu avant le mariage, ou de deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, dès lors que les partenaires en font la demande conjointement, est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité. »

Il ressort de ce texte que lorsqu’un époux est titulaire d’un bail qui assure le logement de la famille, la titularité de ce bail est étendue à son conjoint.

L’une des conséquences du principe ainsi posé est que les obligations stipulées dans le contrat de bail pèsent sur les deux époux, en particulier l’obligation solidaire de paiement des loyers.

Dans un arrêt du 7 mai 1969, la Cour de cassation a ainsi validé la décision d’une Cour d’appel qui avait décidé, en application de l’article 1751 du Code civil, « que l’épouse est réputée par l’effet du bail conclu au profit du mari et dès cette époque co-preneur avec celui-ci en vertu d’un droit distinct et qu’elle est tenue personnellement des obligations qui en résultent ».

Elle en déduit qu’elle était tenue solidairement du paiement des loyers avec son époux (Cass. 1er civ. 1 mai 1969).

À l’examen, cette solidarité du paiement des loyers tient tout autant à l’application de l’article 1751 du Code civil, qu’à la convocation de la règle énoncée à l’article 220 du Code civil qui prévoit une solidarité des époux pour les dépenses ménagères.

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser qu’il était indifférent que l’époux poursuivi en paiement des loyers ait quitté les lieux, le critère déterminant étant le maintien du lien matrimonial (V. en ce sens Cass. 2e civ. 3 oct. 1990, n°88-18.453). Or tant que ce lien perdure, l’article 1751 du Code civil continue à produire ses effets.

Quoi qu’il en soit, en l’absence de solidarité légale ou conventionnelle, c’est au créancier qu’il appartient de prouver que la dette contractée est solidaire (Cass. com. 19 mai 1982, n°80-15.797).

Si l’obligation a été souscrite par les deux époux et que la preuve de la solidarité n’est pas rapportée, cette obligation est présumée être conjointe.

==> Les dettes conjointes

Lorsque les époux souscrivent ensemble un engagement, faute de solidarité prévue par la loi ou stipulée dans l’acte, l’obligation à laquelle ils sont tenus est conjointe.

C’est là une application du droit commun des obligations et plus précisément de l’article 1309 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « l’obligation qui lie plusieurs créanciers ou débiteurs se divise de plein droit entre eux ».

Autrement dit, dans l’hypothèse où une obligation comporte plusieurs sujets, le principe instauré par le législateur est la division de l’obligation en autant de rapports indépendants qu’il existe de créanciers ou de débiteurs.

La conséquence attachée par l’article 1309, al. 2 du Code civil à cette configuration de l’obligation est double :

  • Chacun des créanciers n’a droit qu’à sa part de la créance commune
    • Cela signifie que chaque créancier ne pourra réclamer au débiteur que la part de la dette due personnellement par celui-ci
    • Pour obtenir le paiement complet de sa créance, le créancier devra, en conséquence, diviser ses poursuites envers chaque débiteur pris individuellement
  • Chacun des débiteurs n’est tenu que de sa part de la dette commune
    • Cela signifie que chaque débiteur n’est obligé qu’à concurrence de sa part dans la dette
    • Le débiteur sera donc libéré de son obligation dès qu’il aura exécuté la part de son obligation

Appliqué au couple marié sous le régime de la séparation de biens, le principe énoncé par l’article 1309, s’il est sans incidence sur l’étendue du gage des créanciers, lequel s’étend aux biens propres des deux époux, il les contraint à diviser leurs poursuites.

En d’autres termes, chaque époux ne pourra être actionné en paiement sur ses biens propres que pour la moitié de la dette conjointe, alors que lorsque la solidarité joue, ils peuvent être actionnés en paiement pour le tout.

§2: La gestion des patrimoines

==> Vue générale

Dans sa rédaction initiale, le Code civil prévoyait que la femme mariée était frappée d’une incapacité d’exercice générale de sorte que pour aliéner ses biens propres elle devait obtenir le consentement de son mari.

Il a fallu attendre la loi du 13 février 1938 pour que l’incapacité civile de la femme mariée et que, par voie de conséquence, elle jouisse d’une certaine indépendance patrimoniale.

La loi du 13 juillet 1965 a franchi un pas supplémentaire vers l’émancipation de l’épouse de la tutelle de son mari.

Animé par la volonté d’instaurer une égalité dans les rapports conjugaux, le législateur a reconnu à la femme mariée le droit de gérer ses biens personnels quel que soit le régime matrimonial applicable.

Cette règle a été formulée à l’ancien article 223 du Code civil qui disposait que « la femme a le droit d’exercer une profession sans le consentement de son mari, et elle peut toujours, pour les besoins de cette profession, aliéner et obliger seule ses biens personnels en pleine propriété. »

Vingt ans plus tard, le législateur a souhaité parachever la réforme qu’il avait engagée en 1965, l’objectif recherché était de supprimer les dernières marques d’inégalité dont étaient encore empreintes certaines dispositions.

Dans ce contexte, il a saisi l’occasion pour la toiletter la règle énoncée à l’article 223 qui reconnaissait à la femme mariée le pouvoir d’administrer et de disposer de ses biens propres sans le consentement de son mari.

Transférée à l’article 225 du Code civil, la nouvelle règle, toujours en vigueur aujourd’hui, prévoit que « chacun des époux administre, oblige et aliène seul ses biens personnels. »

Si, à l’analyse, la loi du 23 décembre 1985 n’a apporté aucune modification sur le fond du dispositif, sur la forme elle a « bilatéralisé » la règle.

Désormais, l’article 225 du Code civil confère à chaque époux un pouvoir de gestion exclusive de ses biens personnels, ce qui comprend, tant les actes d’administration, que les actes de disposition.

À cet égard, pour les époux séparés de biens, cette disposition est reprise en des termes similaires à l’article 1536, al. 1er du Code civil.

I) Principe

L’article 1536, al. 1er du Code civil prévoit que « lorsque les époux ont stipulé dans leur contrat de mariage qu’ils seraient séparés de biens, chacun d’eux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels. »

Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

  • Premier enseignement
    • Les biens propres des époux sous soumis à leur gestion exclusive, ce qui signifie qu’il n’est pas nécessaire pour eux d’obtenir le consentement pour les administrer ou en disposer.
    • Ils jouissent s’agissant de la gestion de leurs biens propres d’une autonomie des plus totales.
    • Surtout, cette autonomie est conférée aux deux époux, ces derniers étant placés sur un pied d’égalité.
    • Il n’est plus besoin pour la femme mariée d’obtenir le consentement de son mari pour disposer de ses biens propres, comme c’était le cas lorsqu’elle était frappée d’une incapacité d’exercice générale.
  • Second enseignement
    • Les époux sont investis sur leurs biens propres des pouvoirs les plus étendus.
    • En effet, ils sont autorisés à accomplir
      • D’une part, des actes d’administration
        • Pour mémoire, les actes d’administration se définissent comme les actes d’exploitation ou de mise en valeur du patrimoine de la personne dénués de risque anormal.
        • Il s’agit, autrement dit, de tout acte qui vise à assurer la gestion courante d’un ou plusieurs biens sans que le patrimoine de son propriétaire s’en trouve modifié de façon importante.
      • D’autre part, des actes de disposition
        • Par actes de disposition, il faut entendre les actes qui engagent le patrimoine de la personne, pour le présent ou l’avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire.
        • Autrement dit, les actes de disposition correspondent aux actes les plus graves qui ont pour effet de modifier le patrimoine du propriétaire du bien sur lequel porte l’acte considéré.
      • Enfin, des actes de jouissance
        • Par jouissance de la chose, il faut entendre le pouvoir conféré au propriétaire de percevoir les revenus, les fruits que le bien lui procure.
        • Pour le propriétaire d’un immeuble, il s’agira de percevoir les loyers qui lui sont réglés par son locataire. Pour l’épargnant, il s’agira de percevoir les intérêts produits par les fonds placés sur un livret. Pour l’exploitant agricole, il s’agira de récolter le blé, le maïs ou encore le sésame qu’il a cultivé.

À l’analyse, la règle énoncée par l’article 225 du Code civil apparaît pour le moins redondante avec les règles spécifiques propres à chaque régime matrimonial et notamment avec l’article 1536, al. 1er applicable aux époux séparés de biens.

Qu’il s’agisse, en effet, d’un régime communautaire ou d’un régime séparatiste, tous confèrent aux époux le droit d’administrer et de disposer seul de leurs biens propres.

Aussi, pour la doctrine, le principal intérêt de cette disposition réside dans son intégration dans le régime primaire ce qui en fait une règle d’ordre public.

Il en résulte que les époux ne peuvent pas y déroger par convention contraire. Il leur est donc fait interdiction de stipuler dans un contrat de mariage :

  • Soit qu’un époux renonce à la gestion de ses biens propres, hors les cas de mandat, ce qui reviendrait à faire revivre la clause d’unité d’administration définitivement abolie par la loi du 23 décembre 1985
  • Soit qu’un époux se réserve le droit d’engager les biens propres de son conjoint pour les dettes contractées à titre personnel

L’autonomie patrimoniale des époux repose ainsi sur un socle de droits irréductibles, ce qui permet, non seulement de leur garantir une certaine indépendance, mais encore de faire obstacle à toute tentative de remise en cause de l’égalité qui préside aux rapports conjugaux.

II) Tempéraments

Si les articles 1536, al. 1er et 225 du code civil reconnaissent, à chaque époux, le pouvoir de gérer seul ses biens propres, ce pouvoir est assorti de plusieurs limites :

A) Première limite : la protection du logement familial

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. ».

Il ressort de cet article que l’accomplissement d’actes de disposition sur la résidence familiale est soumis à codécision.

Aussi, quand bien même le logement de famille appartient en propre à un époux, celui-ci doit obtenir le consentement de son conjoint pour réaliser l’acte envisagé.

La violation de cette règle est sanctionnée par la nullité – relative – de l’acte accomplir par un époux en dépassement de ses pouvoirs.

L’article 215, al.3e prime ainsi les articles 225 et 1536, al. 1er du Code civil qui s’effacent donc lorsque le bien en présence est le logement familial.

Encore faudra-t-il qu’il endosse cette qualification, ce qui ne sera notamment pas le cas pour une résidence secondaire.

B) Deuxième limite : le jeu des présomptions de pouvoirs

Autre limite au principe de gestion exclusive des biens propres : les règles instituant des présomptions de pouvoirs conférant aux époux la faculté de disposer librement, à titre individuel, de certains biens.

Tel est notamment le cas des présomptions instituées en matière bancaire et mobilière ou encore en matière d’exploitation commune d’une entreprise commerciale, artisanale, libérale ou agricole :

  • S’agissant de la présomption de pouvoir instituée en matière bancaire
    • L’article 221, al. 2e du Code civil prévoit que « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »
    • Est ainsi instituée une présomption de pouvoir au profit de l’époux titulaire d’un compte ouvert en son nom personnel qui l’autorise à accomplir toutes opérations sur ce compte, sans qu’il lui soit besoin de solliciter l’autorisation de son conjoint.
    • Pratiquement, cette présomption dispense le banquier d’exiger la fourniture de justifications s’agissant des dépôts et des retraits qu’un époux est susceptible de réaliser sur son compte personnel.
    • Plus précisément, elle a pour effet de réputer l’époux titulaire du compte « avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »
  • S’agissant de la présomption de pouvoir instituée en matière mobilière
    • L’article 222 du Code civil prévoit que « si l’un des époux se présente seul pour faire un acte d’administration, de jouissance ou de disposition sur un bien meuble qu’il détient individuellement, il est réputé, à l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte. »
    • Est ainsi instituée une présomption de pouvoir en matière mobilière, laquelle n’est autre que le corollaire de la présomption qui joue en matière bancaire.
    • Concrètement, cela signifie que la responsabilité du tiers ne saurait être recherchée au motif qu’il n’aurait pas exigé de l’époux avec lequel il a traité des justifications sur ses pouvoirs.
    • Les époux sont réputés, à l’égard des tiers, avoir tous pouvoirs pour accomplir les actes d’administration, de jouissance et de disposition sur les biens meubles qu’ils détiennent individuellement.
  • S’agissant de la présomption instituée en matière d’exploitation commerciale, artisanale et libérale
    • Lorsque le conjoint d’un commerçant ou d’un artisan a opté pour le statut de conjoint collaborateur au sens de l’article L. 121-4 du Code de commerce, la loi lui confère un pouvoir de représentation du chef de l’entreprise.
    • L’article L. 121-6 du Code de commerce prévoit en ce sens que « le conjoint collaborateur, lorsqu’il est mentionné au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers ou au registre des entreprises tenu par les chambres de métiers d’Alsace et de Moselle est réputé avoir reçu du chef d’entreprise le mandat d’accomplir au nom de ce dernier les actes d’administration concernant les besoins de l’entreprise. »
    • Le pouvoir de représentation conféré au conjoint collaborateur s’ajoute à ceux dont il est investi au titre de son régime matrimonial.
    • L’intérêt d’autoriser le conjoint du commerçant ou de l’artisan à accomplir des actes de gestion de l’entreprise est double :
      • D’une part, cela permet de protéger le patrimoine du conjoint qui n’est pas engagé par les actes qu’il accomplit dans le cadre de la gestion de l’entreprise, dans les mesures où ces actes sont réputés avoir été passés par l’exploitant lui-même
      • D’autre part, cela permet de protéger les tiers qui, lorsqu’ils traitent avec le conjoint du chef d’entreprise ont la garantie que les actes conclus avec ce dernier ne pourront pas être remis en cause
    • Ce sont ces deux raisons qui ont conduit le législateur à instituer, lors de l’adoption de la loi n° 82-596 du 10 juillet 1982, une présomption de mandat au profit du conjoint collaborateur.
  • S’agissant de la présomption instituée en matière d’exploitation agricole
    • L’article L. 321-1 du Code rural institue une présomption de mandat en cas de participation des époux à une même exploitation agricole, quand bien même cette exploitation appartient en propre à un seul époux.
    • Cette disposition prévoit en ce sens que le mandataire est réputé avoir reçu le pouvoir « d’accomplir les actes d’administration concernant les besoins de l’exploitation. »
    • Ainsi, l’époux mandataire est-il autorisé à accomplir des actes de gestion de l’entreprise pour le compte de son conjoint et s’il est coexploitant pour son propre compte.
    • Autrement dit, il ne lui est pas nécessaire, et c’est là une dérogation au droit commun, de justifier d’un mandat exprès ou tacite, pour agir dans les rapports avec les tiers.
    • À l’instar du mandataire social de l’entreprise, le pouvoir de représentation dont le mandataire est titulaire lui est directement conféré par la loi.

C) Troisième limite : l’aménagement judiciaire des pouvoirs

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[8] et plus encore, comme son « acte fondateur »[9], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Pour paraphraser le titre d’un film désormais devenu célèbre mettant en scène deux familles qui évoluent dans des milieux sociaux radicalement opposés : la vie maritale n’est pas un long fleuve tranquille.

Nombre d’événements sont susceptibles d’affecter son cours, à commencer par ce qu’il y a de plus ordinaire, mais pas moins important : la maladie, les disputes et plus généralement toutes ces situations qui font obstacle au dialogue dans le couple.

Or sans dialogue, sans échange, sans compromis, le couple marié ne peut pas fonctionner, à tout le moins s’agissant de l’accomplissement des actes les plus graves, soit ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Que faire lorsque le couple rencontre des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté ?

Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs énoncés aux articles 217, 219 et 220-1 du Code civil.

Parmi ces dispositifs qui visent spécifiquement à régler les situations de crise traversées par le couple marié on compte :

  • L’autorisation judiciaire
    • Cette mesure est envisagée à l’article 217 du Code civil.
    • Lorsqu’elle est prononcée, elle permet à un époux d’accomplir un acte en son nom personnel en se dispensant de recueillir le consentement de son conjoint.
    • Il peut être observé que cette mesure ne pourra être adoptée que dans des cas très exceptionnels lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens.
    • Elle n’intéresse, en effet, que les actes qui requièrent le consentement des deux époux.
    • Or sous le régime de la séparation de biens, les époux jouissent d’une autonomie de gestion des plus totales.
    • Seuls les actes de disposition portant sur le logement de famille sont soumis à cogestion, ainsi que ceux qui font l’objet d’une indivision.
  • La représentation judiciaire
    • La mesure de représentation judiciaire est envisagée à l’article 219 du Code civil.
    • Ce texte prévoit que « si l’un des époux se trouve hors d’état de manifester sa volonté, l’autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge. »
    • Il ressort de cette disposition qu’un époux peut donc se faire habiliter judiciairement à l’effet d’agir en représentation de son conjoint, soit d’accomplir des actes au nom et pour le compte de ce dernier sur ses biens propres
  • La sauvegarde judiciaire
    • L’article 220-1 du Code civil dispose, en effet, que « si l’un des époux manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille, le président du tribunal de grande instance peut prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent ces intérêts. »
    • Aussi, dans l’hypothèse, où la gestion par un époux de ses biens propres serait de nature à mettre en péril les intérêts de la famille, le juge serait investi du pouvoir d’intervenir.
    • Reste que pour donner lieu à la prescription de mesures urgentes, la mise en péril des intérêts de la famille doit avoir pour cause, prévoit le texte, des manquements graves aux devoirs du mariage.
    • Or on voit mal comment la gestion des biens propres fût-ce-t-elle illégale serait constitutif d’une violation des devoirs du mariage.
    • À supposer que cela soit le cas, ce qui correspondra à des situations très marginales, le juge ne pourra prescrire que des mesures temporaires dont la durée ne peut pas excéder trois ans.

À l’analyse, tandis que les deux premières mesures (autorisation et représentation judiciaires) visent à étendre les pouvoirs d’un époux afin de lui permettre d’accomplir seul un acte qui, en temps normal, supposerait l’accord de son conjoint, la troisième mesure (sauvegarde judiciaire) a, quant à elle, pour effet de restreindre le pouvoir de l’époux qui manquerait gravement à ses devoirs et mettrait en péril les intérêts de la famille.

Dans tous les cas, les mesures susceptibles d’être prises affectent l’indépendance des époux séparés de biens.

S’agissant de la possibilité offerte à un époux sous le régime légal d’obtenir le dessaisissement des pouvoirs de son conjoint sur ses biens personnels (art. 1429 C. civ.), elle n’est pas envisagée pour le régime de la séparation de biens.

D) Quatrième limite : l’intervention d’un époux dans la gestion des biens de son conjoint

Bien que la loi confère à chaque époux un pouvoir de gestion exclusif sur ses biens propres, en pratique il n’est pas rare qu’un époux s’immisce dans les affaires de son conjoint.

Si, cette immixtion intervient, le plus souvent, dans le cadre de la relation de confiance qui s’est instaurée entre les deux, il est des cas où le conjoint ne sera pas animé d’une intention des plus nobles.

Aussi, se posera la question de la portée, sinon de la validité des actes qui, parfois, auront été accomplis sans l’accord, à tout le moins exprès, du conjoint.

Conscient de grande variété des pratiques conjugales susceptibles d’être adoptées dans la vie du ménage, dès 1965 le législateur s’est emparé du sujet en envisageant trois hypothèses :

  • Le mandat confié par un époux à l’autre quant à la gestion de ses biens propres ( 1539 C. civ.)
  • La prise en main par un époux de la gestion des biens propres de l’autre au su de celui-ci et sans opposition de sa part ( 1540 C. civ.)
  • L’ingérence d’un époux dans les opérations d’aliénation des biens propres de son conjoint et d’encaissement du prix de vente ( 1541 C. civ.)

1. L’intervention d’un époux dans le cadre d’un mandat dans les affaires de son conjoint

L’article 1539 du Code civil prévoit que « si, pendant le mariage, l’un des époux confie à l’autre l’administration de ses propres, les règles du mandat sont applicables. »

Il ressort de cette disposition qu’un époux peut donner mandat à son conjoint quant à la gestion de ses biens propres.

Leurs rapports sont alors régis, précise le texte, par le droit commun du mandat que l’on retrouve aux articles 1984 à 2010 du Code civil.

==> Sur la forme du mandat

Si, conformément à l’article 1985 du Code civil, le mandat peut être donné par acte authentique ou par acte sous seing privé, voire par lettre, il est également admis qu’il puisse ne pas être exprès et donc être tacite.

Dans cette dernière hypothèse, il suffira d’établir la volonté de l’époux de confier la gestion de ses biens propres à son conjoint.

À cet égard, le mandat tacite pourra, dès lors qu’il est prouvé, porter tant sur des actes d’administration et de jouissance, que sur des actes de disposition.

Il pourra, en outre, être général ou spécial, c’est-à-dire avoir pour objet, tout autant la gestion de l’ensemble du patrimoine propre du mandant, que la gestion d’un ou plusieurs biens propres en particulier.

==> Sur les effets du mandat

  • Dans les rapports avec les tiers
    • Le mandant ne sera engagé personnellement que pour les actes accomplis par son conjoint que dans la limite des pouvoirs qui lui ont été conférés.
    • Lorsque cette condition est remplie, il est engagé comme s’il avait accompli l’acte en personne
    • Il en résulte que la dette ne sera exécutoire que sur ses seuls biens propres à l’exclusion des biens personnels du mandataire.
    • Lorsque, en revanche, le mandataire a agi en dépassement des limites du mandat qui lui a été confié, l’acte encourt la nullité, sauf à ce que les conditions du mandat apparent soient réunies ou que les présomptions de pouvoirs instituées par le régime primaire et le régime légal puissent jouer
  • Dans les rapports entre époux
    • Conformément à l’article 1991 du Code civil, l’époux mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution.
    • Par ailleurs, il est tenu de même d’achever la chose commencée au décès du mandant, s’il y a péril en la demeure.
    • Si le mandataire répond des fautes de gestion à l’égard du mandant, cette responsabilité est tempérée en raison de la gratuité du mandat
    • Enfin, comme tout mandataire, l’époux qui agit en vertu d’un mandat, est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu’il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu’il aurait reçu n’eût point été dû au mandant.
    • L’article 1539 du Code civil précise néanmoins que cette obligation de rendre compte ne porte pas sur les fruits produits par la chose en gestion, lorsque la procuration n’oblige pas expressément l’époux mandataire.
    • Autrement dit, en cas de reddition des comptes, l’époux mandataire n’a pas à justifier auprès du mandant de l’utilisation qui a été faite des fruits, tant existants, que consommés.
    • C’est là une dérogation qui est portée au droit commun du mandat.

==> Sur l’extinction du mandat

L’une des causes d’extinction du mandat, c’est sa révocation par le mandant, étant précisé qu’il s’agit là d’une règle d’ordre public.

Cette règle est rappelée à l’article 218 du Code civil qui prévoit que l’époux qui a donné mandat à son conjoint « peut, dans tous les cas, révoquer librement ce mandat. »

Si dès lors la technique du mandat permet de réintroduire la clause d’unité d’administration qui était envisagée aux anciens articles 1505 à 1510 du Code civil, lesquels ont été abrogés par la loi du 13 juillet 1965, c’est sous la réserve que cette clause soit toujours révocable.

Ainsi, un époux peut parfaitement être investi du pouvoir de gérer l’intégralité des biens du ménage (actif propre et commun).

Néanmoins, son pouvoir sera nécessairement précaire dans la mesure où il pourra toujours être remis en cause par son conjoint.

2. L’intervention d’un époux en dehors d’un mandat au su et sans opposition du conjoint

L’article 1540 du Code civil prévoit que « quand l’un des époux prend en mains la gestion des biens propres de l’autre, au su de celui-ci, et néanmoins sans opposition de sa part, il est censé avoir reçu un mandat tacite, couvrant les actes d’administration et de jouissance, mais non les actes de disposition. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un époux intervient au su de son conjoint, mais sans que celui-ci ne s’y soit opposé il est présumé avoir été investi du pouvoir de le représenter.

Plusieurs conditions doivent néanmoins être réunies pour que ce mandat présumé produise ses effets :

==> Conditions de validité du mandat présumé

  • L’absence d’opposition du conjoint
    • Pour que le mandat présumé puisse produire ses effets, l’article 1540 du Code civil exige que le conjoint ne s’y soit pas opposé.
    • Plus précisément, le texte pose, en son alinéa 3e, qu’il doit s’agir d’une « opposition constatée ».
      • Dans les rapports entre époux, cette opposition pourra se traduire par la réprobation exprimée par un époux quant à l’immixtion générale de son conjoint dans ses affaires
      • Dans les rapports avec les tiers, cette opposition devra porter spécifiquement sur l’acte que l’époux représenté entend contester.
    • Parce qu’il s’agit d’un fait juridique, la preuve pourra être rapportée par tous moyens.
    • À cet égard, il peut être observé que le défaut d’opposition du conjoint fait présumer, de façon irréfragable qu’il a donné mandat.
  • Le cantonnement aux actes d’administration et de jouissance
    • L’article 1540 du Code civil prévoit expressément que le mandat présumé n’autorise le mandataire qu’à accomplir, pour le compte de son conjoint, des actes d’administration et de jouissance.
    • Les actes de disposition sont donc exclus du périmètre de ce mandat.
    • C’est là une différence avec le mandat tacite consenti dans le cadre de l’article 1540 du Code civil qui, dès lors qu’il est établi, peut porter sur des actes de disposition.
    • Aussi, dans l’hypothèse où un acte serait accompli en dépassement des limites du mandat présumé, il encourt la nullité.
    • À cet égard, certaines décisions ont donné lieu à des débats sur la qualification d’acte de disposition de certaines opérations.
    • La question s’est notamment posée de savoir si la conclusion d’un bail rural était couverte par le mandat présumé reconnu au conjoint par l’article 1540 du Code civil.
    • Dans un arrêt du 16 septembre 2009, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question.
    • Elle a estimé, dans cette décision que « consentir un bail rural de neuf ans constitue un acte de disposition» ( 3e civ., 16 sept. 2009, n° 08-16.769).
    • La position adoptée ici par la Cour de cassation doit, sans aucune, doute être transposée au bail commercial, dans la mesure où comme pour le bail rural, le preneur est titulaire d’un droit au renouvellement, ce qui est de nature à diminuer significativement la valeur vénale du bien donné à bail.
    • En tout état de cause, Ii est admis par la jurisprudence que l’irrégularité de l’acte pourra toujours être couverte par une ratification a posteriori ( 3e civ., 29 avr. 1987, n°85-17.813).
    • Cette ratification peut être tout autant expresse, que tacite, pourvu qu’elle ne soit pas équivoque.

==> Effets du mandat présumé

Lorsque les conditions de validité du mandat présumé sont réunies, il produit les mêmes effets que n’importe quel mandat :

  • Dans les rapports avec les tiers
    • L’époux au su duquel le conjoint a agi et faute d’opposition de sa part sera personnellement engagé à l’acte
    • Autrement dit, il sera engagé comme s’il avait accompli l’acte en personne, à tout le moins pour les actes d’administration et de jouissance.
    • Lorsque le conjoint a accompli un acte de disposition, l’époux représenté ne sera pas engagé.
  • Dans les rapports entre époux
    • Conformément à l’article 1991 du Code civil, l’époux mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution.
    • Par ailleurs, il est tenu de même d’achever la chose commencée au décès du mandant, s’il y a péril en la demeure.
    • Si le mandataire répond des fautes de gestion à l’égard du mandant, cette responsabilité est tempérée en raison de la gratuité du mandat
    • Quant à l’obligation de rendre compte, l’article 1540 prévoit que, s’agissant des fruits, l’objet de cette obligation se limite, en principe, aux seuls fruits existants.
    • Le texte précise que, par exception, « pour ceux qu’il aurait négligé de percevoir ou consommés frauduleusement, il ne peut être recherché que dans la limite des cinq dernières années. »
    • C’est là une différence majeure avec le mandat tacite envisagé par l’article 1540 du Code civil, qui est assorti d’une dispense totale de rendre compte des fruits procurés par la chose.
    • En effet, pour ce mandat, l’époux mandataire n’a pas à rendre compte auprès du mandant, ni des fruits existants, ni des fruits consommés.
    • Lorsque le mandat est seulement présumé, l’époux mandataire doit rendre compte des fruits existants.
    • Quant aux fruits consommés frauduleusement ou qu’il aurait négligé de percevoir, il en est comptable dans la limite des 5 dernières années, ce qui suppose que le mandant formule, pendant cette période, une demande e reddition des comptes.
    • À défaut, l’époux mandataire se trouvera libéré de son obligation.

==> Le sort des actes accomplis au mépris de l’opposition du conjoint

Lorsqu’un époux accomplit un acte sur un ou plusieurs biens propres de son conjoint au mépris de l’opposition formulée par celui-ci, cette situation emporte plusieurs conséquences.

  • Dans les rapports avec les tiers
    • L’acte accompli au mépris de l’opposition du conjoint lui est inopposable
    • Il en résulte que ce dernier n’est pas engagé personnellement à l’acte, lequel est susceptible d’être frappé de nullité
  • Dans les rapports entre époux
    • L’article 1540, al. 3e prévoit que « si c’est au mépris d’une opposition constatée que l’un des époux s’est immiscé dans la gestion des propres de l’autre, il est responsable de toutes les suites de son immixtion et comptable sans limitation de tous les fruits qu’il a perçus, négligé de percevoir ou consommés frauduleusement. »
    • Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :
      • Premier enseignement
        • L’époux qui a agi au mépris de l’opposition de son conjoint engage sa responsabilité auprès de ce dernier
        • Il pourra donc être tenu d’indemniser son conjoint pour les préjudices causés par l’acte acte contesté
      • Second enseignement
        • La dispense d’obligation de rendre compte des fruits autres que ceux existants, est privée d’effet.
        • Aussi, l’époux qui a agi au mépris de l’opposition de son conjoint devra rendre compte de tous les fruits procurés par la chose et en particulier de ceux qu’il a perçus, négligé de percevoir ou consommés frauduleusement au-delà du délai de 5 ans

==> Les remèdes à l’irrégularité de l’acte accompli au titre d’un mandat présumé

Lorsqu’un acte accompli par un époux sur les biens propres de son conjoint ne répond pas aux conditions de l’article 1540, cela ne signifie pas pour autant qu’il encourt la nullité.

D’autres dispositifs sont, en effet, susceptibles de prendre le relais et de couvrir l’irrégularité dont est frappé l’acte accompli au titre du mandat présumé.

  • La ratification a posteriori de l’acte
    • Il est admis par la jurisprudence que l’irrégularité de l’acte puisse être couverte par une ratification a posteriori ( 3e civ., 29 avr. 1987, n°85-17.813).
    • Cette ratification pourra être expresse ou tacite, pourvu qu’elle ne soit pas équivoque.
  • Le mandat apparent
    • Un acte irrégulier accompli au titre d’un mandat présumé pourra produire ses effets à l’égard des tiers sur le fondement du mandat apparent (V. en ce sens 3e civ. 18 mars 1998, n°96-14.840).
    • Le tiers devra néanmoins établir l’existence d’une croyance légitime dans les pouvoirs de son cocontractant, ce qui semble être exclu lorsqu’il aura eu connaissance de l’opposition formulée par le conjoint.
    • Le mandat apparent ne pourra donc être invoqué que pour couvrir une irrégularité résultant de l’accomplissement d’un acte de disposition.
  • La gestion d’affaires
    • La jurisprudence admet que l’irrégularité de l’acte accompli au titre d’un mandat présumé puisse être couverte par la gestion d’affaires (V. en ce sens 1ère civ. 15 mai 1974).
    • Toutefois, là non plus, elle ne pourra pas jouer, lorsque le conjoint se sera opposé à l’accomplissement de l’acte ( 1301 C. civ.)
    • La gestion d’affaires ne pourra donc trouver à s’appliquer que dans l’hypothèse où l’époux mandataire aura accompli un acte de disposition.
  • Les présomptions de pouvoirs
    • Les textes, et notamment ceux qui relèvent du régime primaire, instituent un certain nombre de présomptions qui ont pour effet de réputer les époux être investis de pouvoirs de gestion, tantôt sur le mobilier qu’ils détiennent individuellement ( 222 C. civ.), tantôt sur les fonds déposés sur leur compte bancaire personnel (art. 221 C. civ.).
    • Des présomptions de pouvoirs ont également été instituées à la faveur du conjoint du chef d’une entreprise commerciale, artisanale, libérale ( L. 121-6 C. com.) ou encore agricole (art. 321-1 C. rur.).

3. L’intervention d’un époux dans les opérations d’aliénation des biens propres de son conjoint et d’encaissement du prix de vente

Sous le régime de la séparation de biens, le remplacement d’un bien propre par un autre ne requiert par l’accomplissement de formalités d’emploi ou de remploi : la subrogation réelle opère, en toute hypothèse, de plein droit.

C’est la une différence avec le régime légal qui subordonne le renouvellement des patrimoines propres des époux à l’accomplissement de ces formalités, faute de quoi le bien acquis au mépris de la règle tombe en communauté.

L’absence d’exigence d’accomplissement de formalités d’emploi ou de remploi est exprimée à l’article 1541 du Code civil qui prévoit que « l’un des époux n’est point garant du défaut d’emploi ou de remploi des biens de l’autre ».

Cette disposition assortie néanmoins le principe d’une réserve : « à moins qu’il ne se soit ingéré dans les opérations d’aliénation ou d’encaissement, ou qu’il ne soit prouvé que les deniers ont été reçus par lui, ou ont tourné à son profit. »

Autrement dit, lorsqu’un époux séparé de biens s’est immiscé dans les affaires de son conjoint, il est garant du défaut d’emploi ou de remploi des biens de ce dernier.

Lorsque, notamment, il a perçu les derniers appartenant à l’autre et qu’il les a utilisés à son avantage personnel et non pour les dépenses relevant des charges du mariage, il devra les lui restituer, sauf à ce qu’il soit en mesure de prouver l’intention libérale de son conjoint.

§3: La liquidation du régime

Lorsque des époux sont communs en biens, la dissolution de leur régime matrimonial requiert l’accomplissement d’opérations de liquidation.

Par liquidation, il faut entendre, « l’ensemble des opérations tendant, sinon à la réduction de la communauté dissoute à un solde en espèces de liquidités, du moins à l’établissement d’une situation nette susceptible d’un règlement par voie de partage »[10].

Il s’agira, autrement dit, pour les époux de déterminer la consistance de la masse partageable, à supposer qu’il y ait actif ou un passif à partager.

Si, sous le régime légal, il est rare que la masse partageable soit inexistante, sous le régime de la séparation de biens, cette situation se rencontrera systématiquement.

Et pour cause, sous ce régime, les patrimoines des époux sont, par hypothèse, restés séparés. Faute de constitution d’une communauté, lors de la dissolution du régime il y a, dès lors, rien à partager.

Est-ce à dire que la dissolution du régime de la séparation de biens ne donne lieu à aucune opération de liquidation ? Il n’en est rien.

En premier lieu, au cours du mariage, de très nombreux mouvements de valeurs interviendront entre les patrimoines respectifs des époux.

Tel est, par exemple, le cas lorsqu’un époux fournit, dans le cadre d’un prêt, des fonds propres à son conjoint aux fins que celui-ci règle une dette personnelle contractée auprès d’un tiers ou encore que l’un finance une construction édifiée sur un terrain appartenant en propre à l’autre.

En second lieu, l’absence de communauté sous le régime de la séparation de biens, ne signifie pas que les époux ne peuvent pas être propriétaire d’un élément d’actif en commun. Cette situation se rencontrera lorsqu’ils auront acquis un bien en indivision.

Pour ces deux raisons, la dissolution du régime de la séparation de biens est susceptible de donner lieu à des opérations de liquidation.

Ces opérations consisteront, en subsistant, à procéder :

  • D’une part, au règlement des créances entre époux
  • D’autre part, au partage des biens indivis

I) Le règlement des créances entre époux

Le dispositif des créances entre époux a donc en commun avec les récompenses de viser à rétablir un équilibre qui a été rompu entre deux masses de biens consécutivement à un mouvement de valeur.

Au fond, une créance entre époux n’est autre qu’un lien d’obligation créé entre deux époux au cours du mariage.

Ce lien d’obligation peut avoir pour cause le préjudice causé par un époux à l’autre ou encore le paiement par un époux de la dette de son conjoint.

Plus généralement, une créance entre époux naîtra toutes les fois qu’une dette relevant du passif définitif d’un époux a été supportée par l’autre et réciproquement.

S’agissant du régime juridique des créances entre époux, ces créances sont, en principe, soumises au droit commun des obligations.

En pratique, il apparaît néanmoins que leur règlement est le plus souvent différé dans le temps.

Plus précisément il interviendra, comme les récompenses, à l’issue de la dissolution du mariage.

La raison en est que, avant d’entretenir entre eux un rapport de créancier à débiteur, les époux sont unis par un lien conjugal ce qui constituera un obstacle – de fait – au règlement de la créance.

À cet égard, il peut être observé que l’article 2236 du Code civil dispose que la prescription « ne court pas ou est suspendue entre époux, ainsi qu’entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité ».

Cette règle a été posée par souci de préservation de la paix des ménages. Lorsqu’ils sont encore dans les liens du mariage il peut, en effet, apparaître difficile pour un époux d’engager une action contentieuse à l’encontre de son conjoint, à tout le moins de lui réclamer le paiement de sa créance. Il y a là un empêchement d’ordre affectif.

Conscient de cette situation, le législateur en a tiré la conséquence, lors de l’adoption de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985, qu’il y avait lieu, pour certaines créances entre époux, de tenir compte de la longue période susceptible de s’écouler entre leur fait générateur et leur règlement.

Aussi, a-t-il considéré que ces créances devaient faire l’objet d’une réévaluation selon les modalités applicables aux récompenses.

A) Principe : la soumission des créances entre époux au droit commun des obligations

Sous le régime de la séparation de biens, les créances entre époux sont envisagées par l’article 1543 du Code civil, lequel prévoit que « les règles de l’article 1479 sont applicables aux créances que l’un des époux peut avoir à exercer contre l’autre. »

Il ressort de cette disposition que les créances entre époux nées sous le régime de la séparation de biens sont soumises aux mêmes règles que celles qui s’appliquent sous le régime légal.

Aussi, est-ce à l’article 1479 du Code civil qu’il y a lieu de se reporter. Quel enseignement retirer de cette disposition ?

À l’analyse, par principe, c’est le droit commun des obligations qui préside à l’évaluation des créances entre époux, ce qui emporte plusieurs conséquences :

  • Première conséquence
    • Il est admis que le règlement des créances entre époux peut intervenir au cours du mariage
    • Leur exigibilité n’est aucunement liée à la dissolution du régime matrimonial, contrairement aux récompenses dont le règlement est fixé, par principe, au jour de la liquidation
    • L’article 1479, al. 1er du Code civil subordonne seulement cette exigibilité à une sommation.
    • À l’analyse, il s’agit là d’une reprise de la condition posée par l’article 1231 du Code civil qui prévoit que « à moins que l’inexécution soit définitive, les dommages et intérêts ne sont dus que si le débiteur a préalablement été mis en demeure de s’exécuter dans un délai raisonnable».
    • Cette exigence vise à constater l’exécution d’une obligation, alerter le débiteur sur sa défaillance et favoriser l’exécution volontaire
  • Deuxième conséquence
    • Le règlement des créances entre époux ne déroge nullement au droit commun, dans la mesure où il est insusceptible de s’opérer par voie de prélèvement, sauf accord exprès de son conjoint, ce que requiert la dation en paiement.
    • Faute d’accord, l’époux créancier, ne peut intervenir que par voie de paiement, ce qui implique que l’époux créancier n’est investi d’aucun droit de préférence sur les biens de son conjoint : il est placé sur un pied d’égalité avec les autres créanciers avec lesquels il est éventuellement en concours
    • Pour recouvrer sa créance, il devra donc emprunter les voies d’exécution ordinaires
  • Troisième conséquence
    • En application de l’article 1479, al. 1er du Code civil « les créances personnelles que les époux ont à exercer l’un contre l’autre ne donnent pas lieu à prélèvement et ne portent intérêt que du jour de la sommation.»
    • Là encore, il s’agit d’une reprise du droit commun et plus précisément de l’article 1231-6 du Code civil qui prévoit que « les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. »
  • Quatrième conséquence
    • Pour mémoire, le règlement des récompenses ne peut se faire que par le truchement d’un compte
    • Selon que la récompense est due par la communauté ou à la communauté, elle sera inscrite au débit ou au crédit de ce compte ouvert par chaque époux,
    • Aussi, ce qui a vocation à être exigible et donc à être réglé, ce ne sont pas les récompenses prises séparément comme des créances individuelles, mais le solde du compte unique et indivisible dans lequel elles sont inscrites.
    • Tel n’est pas le cas des créances entre époux dont le règlement ne requiert nullement l’ouverture préalable d’un compte.
    • Conformément au droit commun, elles sont soumises au principe de paiement individuel, de sorte qu’elles peuvent faire l’objet d’un paiement séparé.
  • Cinquième conséquence
    • Les créances entre époux sont soumises au principe du nominalisme monétaire
    • Selon ce principe, le débiteur d’une obligation doit verser la somme correspondant au montant nominal de sa dette, même si la valeur de la monnaie a varié.
    • Concrètement, cela signifie qu’une dette dont la valeur nominale est 100 contractée en franc dans les années 1950, vaudra, selon le taux de conversion instituée en 1999, approximativement 15 euros aujourd’hui.
    • Cette égalité ne correspond pour autant pas à la réalité économique.
    • C’est la raison pour laquelle le principe du nominalisme monétaire n’est pas sans limite en matière de créances entre époux : la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 a assorti le principe d’un important tempérament

B) Tempérament : la réévaluation des créances entre époux selon les modalités applicables aux récompenses

Parce que les créances entre époux sont soumises au droit commun des obligations, elles devraient, en toute rigueur, être évaluées selon les règles du nominalisme monétaire.

Prenant conscience que l’application de ces règles était susceptible de donner lieu à des situations injustes, notamment en période de dépréciation monétaire, le législateur a, lors de l’adoption de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985, fait le choix de soustraire certaines créances entre époux à l’application du droit commun.

Afin de bien comprendre ce qui a conduit ce dernier a modifié le système, arrêtons-nous un instant sur le système d’évaluation des créances entre époux avant qu’il ne soit réformé, étant précisé que ce système s’appliquait également aux récompenses avant que la loi du 13 juillet 1965 n’entre en vigueur.

1. Droit antérieur

==> Application des règles d’évaluation du droit commun

Sous l’empire du droit antérieur, pour déterminer le montant d’une créance entre époux, il y avait lieu de distinguer selon que la créance était due au titre d’une impense ou au titre d’une autre cause.

Pour mémoire, une impense consiste en une dépense de conservation ou d’amélioration d’un bien meuble ou d’un immeuble.

En substance, l’évaluation d’une créance entre époux s’opérait donc comme suit :

  • Lorsque la créance était due au titre d’une impense
    • Dans cette hypothèse, soit lorsque le patrimoine débiteur s’était enrichi au détriment du patrimoine qui a supporté la charge de l’impense, la créance était calculée selon les règles de l’enrichissement sans cause.
    • Selon ce dispositif qui relève du régime général des obligations, l’indemnité due à l’appauvri est égale « à la moindre des deux valeurs de l’enrichissement et de l’appauvrissement» ( 1303 C. civ.).
    • Lorsque l’impense présentait un caractère nécessaire, il était admis que l’indemnité ne pouvait jamais être inférieure à la dépense faite.
    • En pratique, cela revenait à retenir presque systématiquement la dépense faite, soit parce que présentant un caractère nécessaire, soit parce que supérieure à la plus-value réalisée sur le bien.
  • Lorsque la créance n’était pas due au titre d’une impense
    • Dans cette configuration, faute de précision légale, il était admis que la créance devait correspondre au montant de la dépense faite, alors même qu’il en était résulté un enrichissement moindre pour le patrimoine débiteur
    • Il s’agissait là d’une stricte application du principe du nominalisme monétaire.

En période de stabilité monétaire, ce dispositif d’évaluation des créances entre époux et des récompenses a relativement bien fonctionné.

La valeur de la monnaie étant constante, il était indifférent que, en pratique, le montant de la créance due au patrimoine créancier soit la plupart du temps égal à la dépense supportée par le patrimoine débiteur, à tout le moins cela ne contrevenait pas à l’équité.

Ce système a toutefois commencé à montrer ses limites dès lors que la monnaie a fait l’objet de dépréciation au cours de périodes qui se sont multipliées.

Au cours du XXe siècle le franc a fait l’objet de pas moins de 17 dévaluations, dont la plupart au cours des années 1950.

Parce que le règlement des créances entre époux sera, en pratique, la plupart du temps différé à la dissolution du mariage pour les raisons exposées précédemment, il peut s’écouler un long délai entre leur fait générateur et ce règlement.

À l’instar des récompenses, on s’est aperçu que, elles aussi, pouvaient être touchées par l’instabilité monétaire.

Pour illustrer ce phénomène, prenons l’exemple de travaux d’amélioration d’un immeuble appartenant en propre à un époux entièrement financés par le patrimoine de son conjoint en 1950 à hauteur de 20.000 francs.

En période de stabilité monétaire, la plus-value réalisée sur ce bien est généralement inférieure au coût des travaux. Disons que, pour notre exemple, le montant de cette plus-value est de 10.000 francs, ce qui porterait la valeur de l’immeuble de 100.000 à 110.000 francs.

En cas de liquidation du régime matrimonial durant cette période, la créance due à l’époux qui a supporté le coût des travaux devrait, en toute rigueur, être égale au montant de la plus-value réalisée, soit de 10.000 francs, car représentant la plus faible des deux sommes en jeu (10.000 francs vs 20.000 francs).

Envisageons désormais que la dissolution du mariage intervienne trente ans plus tard et notamment après plusieurs périodes de dépréciation monétaire.

Dans cette hypothèse, la plus-value réalisée sur le bien devrait mécaniquement être incomparablement supérieure à la dépense initiale exposée par le patrimoine qui a financé l’opération, à tout le moins en valeur nominale. Si l’immeuble vaut désormais 1.000.000 francs, la plus-value réalisée est de 900.000 francs.

Pour autant, parce que la créance due est égale à la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et l’enrichissement, son montant se limitera à la dépense faite, soit 20.000 francs, alors même que le patrimoine débiteur en a retiré un profit infiniment supérieur.

Manifestement, cette situation s’avère particulièrement inéquitable pour le patrimoine qui a supporté la dépense initiale et qui n’est pas indemnisé à hauteur de l’avantage économique que cette dépense a procuré au patrimoine auquel elle a profité.

Le législateur en a tiré la conséquence, en 1965, en instituant un système de revalorisation des récompenses à hauteur du profit subsistant.

Ce système ne concernait néanmoins pas les créances entre époux qui demeuraient soumises au principe du nominalisme monétaire.

==> Différence de traitement entre les créances entre époux et des récompenses

Cette différence de traitement entre les récompenses et les créances entre époux est apparue pour le moins injustifiée, compte tenu de ce que ces dernières font également l’objet, en pratique, d’un paiement différé et, par voie de conséquence, n’échappent pas aux fluctuations monétaires.

Pour illustrer l’absurdité du dispositif qui opérait sous l’empire du droit antérieur à la loi du 23 décembre 1985, prenons l’exemple d’une construction qui serait édifiée sur un terrain appartenant en propre à un époux et qui serait financé, tantôt par la communauté, tantôt par le conjoint.

  • Première hypothèse
    • Le coût de la construction est intégralement financé par la communauté
    • Dans cette hypothèse, le montant de l’indemnité due par le propriétaire du terrain devra être calculé selon les règles applicables aux récompenses et plus précisément selon le principe institué à l’article 1469, al. 3e du Code civil.
    • En application de cette disposition, le montant de la récompense ne peut donc être moindre que le profit subsistant
    • Supposons que :
      • Le coût de la construction s’élève à 200.000 €
      • La valeur du terrain s’élève à 100.000 €
      • La valeur du fonds s’élève, au jour de la liquidation de la communauté, à :
        • 300.000 € sans la construction
        • 600.000 € avec la construction
      • En l’espèce, le profit subsistant s’élève à 300.000 € (600.000 – 300.000)
      • Le montant de la récompense est donc de 300.000 € (300.000 > 200.000)
  • Seconde hypothèse
    • Le coût de la construction est ici intégralement financé par le patrimoine propre du conjoint
    • Dans cette hypothèse, le montant de l’indemnité due à ce dernier devra être calculé selon les règles du droit commun et plus précisément selon le principe d’évaluation de l’indemnité due au titre de la théorie de l’enrichissement sans cause.
    • Cette indemnité est donc égale à la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et le profit procuré au patrimoine débiteur
    • Si l’on reprend les données de l’hypothèse 1
      • La dépense faite = 200.000 €
      • L’enrichissement = 300.000 €
    • Le montant de l’indemnité due sera donc de 200.000 €, car (200.000 < 300.000)

Il ressort de ces deux hypothèses que selon que le coût de la construction est supporté par la communauté ou par le conjoint, l’indemnité due au patrimoine créancier est radicalement différente.

  • Lorsque l’on applique les règles applicables aux récompenses, l’indemnité due s’élève à 300.000 €
  • Lorsque l’on applique les règles applicables aux créances entre époux, l’indemnité due s’élève à 100.000 €

On observe ainsi une différence de 100.000 € entre les deux indemnités, alors même que le fait générateur est exactement le même, à la nuance près que, dans un cas, la construction a été financée par la communauté, dans l’autre, son coût a été supporté par un patrimoine propre.

Pourquoi cette différence de traitement ? D’aucuns ont avancé que, s’agissant des créances entre époux, il appartenait à ces derniers de prévoir des clauses d’indexation.

Reste que, en pratique, parce que les époux sont unis par un lien conjugal, il y a là un véritable empêchement moral pour eux à contractualiser l’opération intervenant entre leurs deux patrimoines.

L’argument est, dans ces conditions, difficilement recevable, raison pour laquelle, en 1985, plus rien ne retenait le législateur de franchir le pas et de réformer en profondeur les règles qui présidaient à l’évaluation des créances entre époux.

2. Droit positif

==> Une transposition de règles applicables aux récompenses

Conscient que la différence de traitement entre les récompenses et les créances entre époux n’étaient pas justifiée, à plus forte raison parce que les secondes sont comme les premières susceptibles d’être affectées par les épisodes de dépréciation monétaire, le législateur a, lors de l’adoption de la loi du 23 décembre 1985, cherché à rapprocher les deux régimes.

Pour ce faire, l’article 1479 du Code civil a été pourvu d’un second alinéa qui prévoit que « sauf convention contraire des parties, elles sont évaluées selon les règles de l’article 1469, troisième alinéa, dans les cas prévus par celui-ci ; les intérêts courent alors du jour de la liquidation. »

Deux premiers enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

  • Premier enseignement
    • Il peut tout d’abord être observé que pour fixer les modalités d’évaluation des créances entre époux, l’article 1479 du Code civil opère par renvoi à l’article 1469, al. 3e du Code civil, soit aux règles qui président à l’évaluation des récompenses
    • Ce renvoi marque ainsi le rapprochement textuel entre les deux régimes et plus précisément la volonté du législateur d’écarter le principe du nominalisme monétaire pour les créances entre époux en prévoyant qu’elles seraient réévaluées selon les modalités applicables aux récompenses.
  • Second enseignement
    • Le renvoi opéré par l’article 1479 du Code civil pour l’évaluation des créances entre époux est cantonné aux cas visés à l’alinéa 3e de l’article 1469.
    • Il en résulte que seules certaines créances entre époux pourront faire l’objet d’une réévaluation selon les règles applicables aux récompenses
    • À l’analyse, l’époux créancier ne pourra invoquer le bénéfice du troisième alinéa de l’article 1469 que lorsque la valeur empruntée aura permis à l’époux débiteur d’acquérir, de conserver ou d’améliorer un bien
    • Ainsi, le législateur a-t-il circonscrit la transposition des règles d’évaluation des récompenses à l’évaluation des créances entre époux uniquement pour les dépenses d’investissement.
    • Pour les autres dépenses, les créances entre époux demeurent soumises au principe du nominalisme monétaire, de sorte que leur évaluation s’opère selon les règles du droit commun.

Seules les dépenses d’investissement étant concernées par le renvoi opéré par l’article 1479 du Code civil, nous nous focaliserons ici sur l’évaluation des créances entre époux dues au titre de cette catégorie de dépense.

==> L’évaluation des créances entre époux dues au titre de dépenses d’investissement

S’agissant de l’évaluation des créances entre époux dues au titre de dépenses d’investissement, l’article 1479 renvoie donc au troisième alinéa de l’article 1479 du Code civil.

Ce texte prévoit que la récompense « ne peut être moindre que le profit subsistant, quand la valeur empruntée a servi à acquérir, à conserver ou à améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la liquidation de la communauté, dans le patrimoine emprunteur. Si le bien acquis, conservé ou amélioré a été aliéné avant la liquidation, le profit est évalué au jour de l’aliénation ; si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, le profit est évalué sur ce nouveau bien. »

L’application de cette disposition aux créances entre époux soulève une première interrogation.

Dans la mesure où la règle énoncée ne s’applique, par hypothèse, qu’aux récompenses dont l’évaluation intervient, après la dissolution de la communauté, est-ce à dire que seules les créances entre époux liquidées également après la dissolution du régime peuvent être évaluées selon cette règle ?

Si les travaux parlementaires sur la base desquels la loi du 23 décembre 1985 a été adoptée vont dans ce sens, cette interprétation conduirait néanmoins à opérer une distinction au sein de la catégorie des créances entre époux.

En effet, il conviendrait de distinguer parmi les créances entre époux dues au titre d’une dépense d’investissement celles liquidées avant la dissolution du régime et celle liquidées après.

Tandis que le montant des premières correspondrait à la valeur nominale de la dépense faite, par application du principe du nominalisme monétaire, le montant des secondes, ne pourrait être moindre que le profit subsistant.

Pour la doctrine, rien ne justifie que le montant d’une créance entre époux diffère selon qu’elle est évaluée avant ou après la dissolution du régime[11].

Pour cette raison, il y a lieu de soumettre toutes créances entre époux aux règles d’évaluation fixées par le troisième alinéa de l’article 1469 du Code civil, pourvu qu’elles soient dues au titre d’une dépense d’investissement.

Si l’on focalise désormais sur les règles d’évaluation énoncée par cette disposition, le texte prévoit que, pour les dépenses d’acquisition, de conservation ou d’amélioration qui ont profité au patrimoine emprunteur, le montant dû au patrimoine créancier ne peut jamais être moindre que le profit subsistant.

Pour mémoire, dans son sens général, le profit subsistant consiste en l’enrichissement dont a bénéficié le patrimoine débiteur de l’indemnité à raison de la dépense faite par le patrimoine créancier.

Dans un arrêt du 11 juin 1991 la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le profit subsistant représente l’avantage réellement procuré au fonds emprunteur » (Cass. 1ère civ. 11 juin 1991, n°90-12.142).

C’est là une application de la théorie des dettes de valeur, de sorte que l’évaluation du profit subsistant, contrairement à l’évaluation de la dépense faite, est susceptible de donner lieu à revalorisation.

Pour illustrer la règle énoncée à l’article 1469, al. 3e du Code civil, prenons l’exemple de l’installation d’un système de climatisation, dans un immeuble appartenant en propre à l’épouse, qui aurait été intégralement financée au moyen de deniers appartenant en propre au conjoint.

Afin de déterminer le montant du profit subsistant, il y a lieu de procéder ici à une double évaluation.

Il convient, en effet, d’estimer ce que vaudrait l’immeuble au jour de la liquidation du régime sans la réalisation des travaux d’installation et ce qu’il vaut, à cette même date, en tenant compte de la réalisation des travaux.

La différence entre ces deux évaluations constitue le profit subsistant.

Soit un immeuble dont la valeur est estimée au jour de la liquidation du régime :

  • Sans les travaux, à 100.000 €
  • Avec les travaux, à 120.000 €

Le profit subsistant correspond donc à la différence entre ces deux montants, soit :

120.000 – 100.000 = 20.000 €

À l’analyse, l’application du troisième alinéa de l’article 1469 du Code civil ne soulèvera aucune difficulté lorsque le profit subsistant est supérieur à la dépense faite.

Plus délicate sera, en revanche, l’évaluation de la créance lorsqu’il sera inférieur à la valeur nominale de la valeur empruntée au patrimoine créancier.

Supposons, une dépense la réalisation de travaux d’installation d’un nouveau système de chauffage central dans un immeuble appartenant en propre à un époux et dont le coût est supporté par le patrimoine de son conjoint :

  • Coût des travaux : 50.000 €
  • Valeur empruntée (contribution du conjoint) : 50.000 €
  • Valeur de l’immeuble au jour de la liquidation :
    • Sans les travaux : 400.000 €
    • Avec les travaux : 430.000 €
  • Profit subsistant = 30.000 €

Au cas particulier, le profit subsistant (30.000 €) est inférieur à la dépense faite (50.000 €).

Deux approches sont envisageables pour évaluer le montant de la créance due :

  • Première approche
    • On peut considérer que le montant de la créance doit toujours correspondre au profit subsistant
    • Cette approche conduit néanmoins à faire supporter la moins-value sur le patrimoine créancier.
  • Seconde approche
    • On peut considérer qu’il n’est pas acceptable que le patrimoine créancier doive supporter la moins-value subie par le patrimoine emprunteur
    • Dans ces conditions, le montant de la créance doit être égal à la dépense faite

Lorsque cette situation se présente en matière de récompense, il est procédé par renvoi au premier alinéa de l’article 1469 du Code civil qui prévoit que « la récompense est, en général, égale à la plus faible des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant. »

Aussi, la récompense serait égale au profit subsistant, soit 30.000 € (30.000 < 50.000), sauf à ce que la dépense d’amélioration présente un caractère nécessaire, auquel cas, il y aurait lieu de faire application de l’alinéa 2 de l’article 1469.

Dans cette hypothèse, ce qui est le cas en l’espèce, la récompense ne pourrait être moindre à la dépense faite, soit à 50.000 €.

Reste que, ni l’alinéa 1er, ni l’alinéa 2e de l’article 1469 du Code civil ne sont applicables aux créances entre époux, le renvoi opéré par l’article 1479 ne visant que l’alinéa 3e.

Dès lors, comment sortir de l’impasse ?

La Cour de cassation a offert une porte de sortie dans un arrêt du 24 septembre 2008.

Dans cette affaire, elle s’est prononcée sur une créance due à un époux séparé de biens, étant précisé que, au cas particulier, le profit subsistant était nul, tandis que la valeur empruntée s’élevait à 1.154.775 francs.

Il y avait donc un véritable enjeu pour l’époux qui sollicitait l’évaluation de sa créance due au titre de sa contribution au financement d’une construction édifiée sur un terrain appartenant en propre à sa conjointe.

Pour la Cour de cassation, « lorsque les fonds d’un époux séparé de biens ont servi à améliorer un bien personnel de l’autre, qui l’a aliéné avant la liquidation, sa créance ne peut être moindre que le profit subsistant au jour de l’aliénation ; qu’en l’absence de profit subsistant, la créance est égale au montant nominal de la dépense faite » (Cass. 1ère civ. 24 sept. 2008, n°07-19.710).

La solution retenue ici par la première chambre civile est des plus limpides : lorsque le profit subsistant est inférieur à la dépense faite, le montant de la créance entre époux doit être égal à cette dernière.

À l’analyse, cette solution est extrêmement favorable à l’époux créancier, dans la mesure où il est assuré de ne jamais subir les effets de la moins-value réalisée par le patrimoine emprunteur.

La Cour de cassation fait une application stricte du renvoi opéré par l’article 1479 au seul et l’alinéa 3 de l’article 1469.

L’alinéa 1er de cette disposition n’étant pas applicable aux créances entre époux, lorsque le profit subsistant est inférieur à la dépense faite, c’est le droit commun qui s’applique et plus précisément le principe du nominalisme monétaire.

Or l’application de ce principe conduit à retenir, pour calculer le montant de la créance entre époux, la valeur nominale de la dépense faite ; d’où la solution adoptée par la Cour de cassation.

Assez curieusement, cette solution est bien plus avantageuse que la règle qui s’applique aux récompenses et qui conduit à retenir la plus faible des deux sommes entre la dépense faite et le profit subsistant (art. 1469, al. 1er C. civ.)

II) Le partage des biens indivis

Sous le régime de la séparation de biens, il est deux catégories de biens susceptibles de faire l’objet d’un partage :

  • Les biens que les époux ont acquis ensemble
  • Les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive

Dans les deux cas, ces biens sous soumis au régime de l’indivision, de sorte que le partage peut être provoqué à tout moment (Cass. 1ère civ. 22 oct. 1985, n°84-11.468).

Il peut, par ailleurs, être sollicité tant par les époux, que par leurs créanciers respectifs (Cass. 1ère civ. 4 juill. 1978, n°76-15.253).

S’agissant des modalités du partage, l’article 1542 du Code civil prévoit que « après la dissolution du mariage par le décès de l’un des conjoints, le partage des biens indivis entre époux séparés de biens, pour tout ce qui concerne ses formes, le maintien de l’indivision et l’attribution préférentielle, la licitation des biens, les effets du partage, la garantie et les soultes, est soumis à toutes les règles qui sont établies au titre ” Des successions ” pour les partages entre cohéritiers. »

Il ressort de cette disposition que, sous le régime de la séparation de biens, le partage des biens indivis est soumis aux règles du droit des successions.

Le second alinéa de l’article 1542 du Code civil précise néanmoins que, en cas de dissolution du régime pour cause de divorce ou de séparation de corps :

  • D’une part, l’attribution préférentielle d’un bien n’est jamais de droit contrairement à ce que prévoit le droit commun en certaines circonstances (V. en ce sens 832-1 C. civ.)
  • D’autre part, il peut toujours être décidé que la totalité de la soulte éventuellement due sera payable comptant

Bien que la lettre de l’article 1542 du Code civil suggère que ces dérogations au droit commun du partage n’opèrent que si celui-ci intervient postérieurement à la dissolution du régime, la Cour de cassation a adopté une interprétation extensive du texte.

Dans un arrêt du 9 octobre 1990, elle a, en effet, jugé, au visa des articles 832, 1476 et 1542 du Code civil, que « le conjoint séparé de biens peut demander l’attribution préférentielle du local servant à son habitation et dont il est propriétaire par indivis, même si cette indivision est partagée pendant le mariage » (Cass. 1ère civ. 9 oct. 1990, n°89-10.429).

Ainsi, pour la première chambre civile, la date de sollicitation du partage par les époux ou un créancier est indifférente : les dérogations prévues au second alinéa de l’article 1542 peuvent jouer à tant, si le partage est réalisé après la dissolution du régime que s’il intervient au cours du mariage.

[1] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°732, p. 684.

[2] V. en ce sens N. Frémeaux et M. Leturcq, Plus ou moins mariés : l’évolution du mariage et des régimes matrimoniaux en France, Etude accessible à partir du lien suivant :  file:///C:/Users/A020475/Downloads/ES462E%20(1).pdf

[3] Cet exemple nous est donné par Michel Hoguet, rapporteur de la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale, dans le cadre des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi du 28 décembre 1967

[4] V. en ce sens l’article 953 du Code civil

[5] F. terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°800, p. 647.

[6] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°743, p. 696

[7] A. Colomer, Droit civil – Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°82, p. 42.

[8] F. Terré, Droit civil – La famille, éd. Dalloz, 2011, n°325, p. 299

[9] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°47, p. 25.

[10] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, n°638, p. 495.

[11] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°680, p. 629.

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