Le Droit dans tous ses états

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Régime légal: la clôture du compte de récompenses

L’article 1468 du Code civil prévoit qu’« il est établi, au nom de chaque époux, un compte des récompenses que la communauté lui doit et des récompenses qu’il doit à la communauté, d’après les règles prescrites aux sections précédentes. »

Il ressort de cette disposition que, lors de la liquidation du régime matrimonial, il appartient aux époux d’inscrire en compte les récompenses.

Selon que la récompense est due par la communauté ou à la communauté, elle sera inscrite au débit ou au crédit du compte ouvert par chaque époux, étant précisé que les récompenses ne peuvent être réglées que par le truchement de ce compte.

Il s’agit là une dérogation au principe de paiement individuel des créances. Les récompenses ne peuvent, en effet, pas faire l’objet d’un règlement séparé. Leur paiement requiert une inscription préalable dans un compte unique qui présente un caractère indivisible.

Dans un arrêt du 14 mars 1984, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les récompenses constituent les éléments d’un compte unique et indivisible, dont le reliquat après la dissolution du régime est seul à considérer » (Cass. 1ère civ. 14 mars 1984, n°82-16.638).

Il en résulte que pendant toute la durée de la communauté, les époux ne sont nullement obligés de régler les récompenses qu’ils doivent, puisque dès leur naissance elles entrent dans un compte unique et indivisible dont seul le solde sera dû.

Autrement dit, ce qui a vocation à être exigible et donc à être réglé, ce ne sont pas les récompenses prises séparément comme des créances individuelles, mais le solde du compte unique et indivisible dans lequel elles sont inscrites.

Aussi, ni les époux, ni les créanciers ne sont investis d’un quelconque droit sur les créances de récompenses, tant qu’il n’a pas été procédé au dénouement des comptes de récompenses, lequel n’interviendra qu’une fois l’inventaire et l’évaluation des récompenses achevés.

Ce dénouement consistera, d’abord, à clôturer les comptes de récompenses, puis à régler le solde résultant des opérations de clôture.

Nous nous focaliserons ici sur la clôture du compte de récompenses

La clôture du compte des récompenses comporte, en substance, deux opérations :

  • Détermination des intérêts produits par les récompenses
  • Réalisation de la balance des comptes

I) La production d’intérêts

L’article 1473, al. 1er du Code civil prévoit que « les récompenses dues par la communauté ou à la communauté portent intérêts de plein droit du jour de la dissolution. »

Il ressort de cette disposition que les récompenses produisent des intérêts, étant précisé qu’il y a lieu d’appliquer le taux d’intérêt légal tel que défini par l’article L. 313-2 du Code monétaire et financier.

Cette disposition prévoit que le taux légal « comprend un taux applicable lorsque le créancier est une personne physique n’agissant pas pour des besoins professionnels et un taux applicable dans tous les autres cas. »

Dans les deux cas, il est calculé semestriellement, en fonction du taux directeur de la Banque centrale européenne sur les opérations principales de refinancement et des taux pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement.

Toutefois, pour les particuliers, les taux pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement pris en compte pour le calcul du taux applicable sont les taux effectifs moyens de crédits consentis aux particuliers.

S’agissant du point de départ du cours des intérêts légaux, il diffère selon que les récompenses sont égales à la dépense faite ou au profit subsistant.

  • La récompense est égale à la dépense faite
    • Dans cette hypothèse, les intérêts commencent à courir à compter de la date de dissolution de la communauté.
    • Ici, le calcul des intérêts ne soulève pas de difficulté dans la mesure où la date à compter de laquelle ils courent correspond au jour du prélèvement du patrimoine qui s’est appauvri, soit au jour du transfert de valeur, faute de prélèvement.
    • Concrètement, le montant retenu sera toujours la valeur nominale à la date à laquelle la dépense a eu lieu.
    • Aussi, l’évaluation de la dépense faite ne donnera jamais lieu à revalorisation, contrairement à l’avantage qui en a été retiré par le patrimoine débiteur, ce qui sera source de difficulté pour le calcul des intérêts.
  • La récompense est égale au profit subsistant
    • Lorsque la récompense est égale au profit subsistant, le calcul des intérêts soulève une difficulté.
    • En effet, se pose la question de la date à compter de laquelle les intérêts commencent à courir.
    • Sous l’empire du droit antérieur, l’article 1473 du Code civil, qui ne comportait qu’un seul alinéa, fixait comme point de départ la date de dissolution de la communauté.
    • L’inconvénient de cette règle est que cela revenait à faire courir des intérêts sur une valeur, le profit subsistant, susceptible de considérablement fluctuer.
    • En effet, entre la date de dissolution de la communauté et la date d’évaluation des récompenses, il peut s’écouler un particulièrement long délai.
    • Or pendant ce délai, la valeur du bien sur la base duquel est calculé le profit subsistant peut évoluer de façon significative.
    • Ajouté à cela, plus la période d’indivision post-communautaire est longue et plus, mécaniquement, le montant des intérêts est élevé.
    • Aussi, y avait-il un risque, en retenant la date de dissolution de la communauté comme point de départ du cours des intérêts, de faire supporter par le débiteur de la récompense une charge disproportionnée.
    • En réaction à ce risque pointé du doigt par la doctrine, la Cour de cassation a décidé, dans un arrêt rendu en date du 17 juillet 1984 que « si, aux termes de l’article 1473 du Code civil, les récompenses dues par la communauté ou à la communauté emportent les intérêts de plein droit du jour de la dissolution, il résulte de l’article 1469, alinéa 3, du Code civil que la masse dans laquelle est le bien doit récompense pour le profit qu’elle réalise au jour de l’indemnisation»
    • Elle en déduit « que les intérêts de cette récompense ne pouvaient courir de plein droit qu’à partir du jour où le profit qui la faisait naître était constaté par l’évaluation qui en était faite» ( 1ère civ. 17 juill. 1984, n°83-13.173).
    • Autrement dit, pour la Première chambre civile, lorsqu’une récompense est égale au profit subsistant, le point de départ du cours des intérêts est fixé au jour de l’arrêté des comptes de récompenses, soit à la date de la jouissance divise (date à laquelle les biens dépendant de la masse à partager sont estimés à leur valeur).
    • Considérant que la solution retenue par la Cour de cassation méritait l’approbation, le législateur l’a consacré lors de l’adoption de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985.
    • Cette consécration s’est traduite par l’ajout d’un alinéa 2 à l’article 1473 du Code civil qui prévoit que « lorsque la récompense est égale au profit subsistant, les intérêts courent du jour de la liquidation. »

À l’analyse, le nouveau dispositif instauré par la loi du 23 décembre 1985 emporte plusieurs conséquences sur la méthode de calcul des intérêts.

La méthode traditionnelle de calcul des récompenses conduisait, sous l’empire du droit antérieur, à appliquer les intérêts produits par les récompenses au seul solde du compte.

Il était, en effet, indifférent que la récompense soit égale à la dépense faite ou au profit subsistant.

Dans les deux cas, les intérêts commençaient à courir à compter de la date de dissolution de la communauté.

Désormais, l’article 1473 du Code civil prévoit que le point de départ des intérêts diffère selon que la récompense fait ou non l’objet d’une réévaluation :

  • Lorsque les récompenses correspondent à la dépense faite, les intérêts qu’elles produisent courent à compter de la date de dissolution de la communauté
  • Lorsque les récompenses correspondant au profit subsistant, les intérêts qu’elles produisent courent à compter du jour de la liquidation de la communauté

Concrètement, le calcul des intérêts pourra être effectué selon deux méthodes.

La première consiste à calculer les intérêts sur chaque récompense prise isolément, en fonction du régime qui lui est applicable.

La seconde méthode, consiste, quant à elle, à établir deux colonnes dans le compte des récompenses qui les répartiraient entre celles correspondant au profit subsistant et celles égales à la dépense faite.

Les intérêts seraient alors appliqués au solde de chaque colonne, étant précisé que, en pratique, il apparaît que seules les récompenses qui correspondent à la dépense faite donnent lieu à la production d’intérêts.

Lorsque, en effet, la récompense est égale au profit subsistant, les intérêts courent à compter de la liquidation de la communauté, soit au moment même où les époux procèdent au règlement.

II) La balance des comptes

A) Principe

L’inventaire des récompenses conduira la plus souvent les époux à constater l’existence, pour un même compte, de récompenses dues à la communauté et de récompenses dues par la communauté.

Lorsque cette situation se rencontre, l’article 1470 du Code civil commande aux époux de faire la balance des totaux obtenus, augmentés des intérêts ayant couru jusqu’à la clôture du compte.

Pratiquement, il s’agira pour eux de soustraire au montant le plus élevé, le total le plus faible, d’où il résultera un solde débiteur ou créditeur.

Le solde ainsi obtenu n’est autre que la traduction de la compensation qui s’opère entre ce qu’un époux doit à la communauté et ce que celle-ci lui doit.

Il s’agit là d’un mécanisme éminemment avantageux pour les époux, dans la mesure où seul le solde de chaque compte de récompenses doit être considéré dans le cadre des opérations de règlement.

Lorsqu’ainsi, après balance des totaux, un époux est redevable de la communauté, les créanciers de celle-ci (tiers ou conjoint) ne pourront poursuivre leur créance sur ses biens qu’à concurrence du montant du solde débiteur et non pour le cumul des dettes de récompenses.

Exemple :

Supposons un compte de récompenses dont les totaux obtenus sont les suivants :

  • Récompenses dues à la communauté 1.500
  • Récompenses dues par la communauté 1.000

Dans cette hypothèse, le compte présente un solde débiteur à hauteur de 1500 – 1000 soit 500.

Si l’on appliquait le droit commun du paiement des créances, les créanciers seraient fondés à se prévaloir du règlement d’une créance de 1.500.

Néanmoins, parce qu’il s’agit d’une créance de récompense, seul le solde du compte est exigible, de sorte que les créanciers ne sont autorisés à recouvrer leur créance que dans la limite de ce solde, soit 500.

À l’inverse, lorsque, après balance, un époux est créancier de la communauté, il n’entrera en concours avec les créanciers communs ou son conjoint que pour la partie du solde créditeur de son compte.

Exemple :

Supposons, cette fois-ci, un compte de récompenses dont les totaux obtenus sont les suivants :

  • Récompenses dues à la communauté 1.500
  • Récompenses dues par la communauté 2.000

Dans cette hypothèse, le compte présente un solde créditeur à hauteur de 2000 – 1500 soit 500.

Aussi, l’époux créancier pourra réclamer à la communauté, le règlement, non pas de l’intégralité de sa créance de récompense, mais seulement du solde disponible, lequel est seul exigible, 500.

B) Limite

S’il ressort de l’article 1470 du Code civil qu’une balance doit être effectuée entre les totaux obtenus au sein d’un même compte de récompenses, cette disposition ne prescrit nullement de réaliser une seconde balance – globale – entre les soldes obtenus pour chacun des comptes des époux.

En opérant de la sorte, cela conduirait à admettre qu’un seul époux puisse être débiteur ou créancier de la communauté.

Pour la doctrine, si cette modalité de règlement va bien au-delà des prévisions légales, rien ne s’oppose à ce qu’elle soit mise en œuvre dans le cadre d’un règlement amiable, à tout le moins dès lors que les créanciers communs ne s’en trouvent pas lésés.

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