Le Droit dans tous ses états

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Le régime de la séparation de biens: vue générale

==> Généralités

Classiquement on enseigne que la spécificité du mariage tient à l’association qu’il réalise entre une union des personnes et une union des biens.

Tandis que la première union se traduit par l’instauration d’une communauté de vie, la seconde donne lieu à la mise en commun par les époux de leurs ressources financières et matérielles aux fins de subvenir aux besoins du ménage.

S’agissant de la communauté de vie, il s’agit d’un principe incompressible, d’un invariant auquel les époux ne peuvent pas se soustraire, y compris par convention contraire.

Tout plus, lorsque les circonstances l’exigent, ils sont autorisés à vivre séparément. Néanmoins, il ne peut y avoir qu’une seule résidence familiale, laquelle est un prérequis à toute communauté de vie.

S’agissant de la mise en commun par les époux de leurs ressources respectives, la marge de manœuvre dont ils disposent est bien plus importante.

Ces derniers sont, en effet, libres d’aménager leurs rapports pécuniaires comme il leur plaît, sous réserve du respect des dispositions du régime primaire impératif. C’est d’ailleurs là l’objet d’étude du droit des régimes matrimoniaux.

À cet égard, le premier choix qui se présentera à eux, avant même la célébration du mariage, portera sur l’adoption d’un régime communautaire ou d’un régime séparatiste.

  • S’agissant des régimes communautaires, leur spécificité est de reposer sur la création d’une masse commune de biens qui s’interpose entre les masses de chaque époux composées de biens propres appartenant à chacun d’eux.
  • S’agissant des régimes séparatistes, ils se caractérisent par l’absence de création d’une masse commune de biens qui serait alimentée par les biens présents et futurs acquis par les époux.

Le choix d’un régime communautaire ou séparatiste est fondamental car il se répercutera sur tous les aspects de l’union matrimoniale des époux et notamment sur le plan de la répartition de l’actif et du passif, sur le plan de la gestion des patrimoines ou encore sur le plan de la liquidation du régime matrimonial.

Si l’adoption d’un régime communautaire s’inscrit dans le droit fil de l’esprit du mariage en ce qu’il répond à l’objectif de mutualisation des ressources, le choix d’un régime séparatiste apparaît, de prime abord, moins en phase avec cet objectif.

Reste que, au fond, comme l’écrivait Portalis, le mariage vise à instituer une « société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels à porter le poids de la vie et pour partager leur commune destinée ».

L’enseignement qui peut être retiré de cette réflexion, c’est que le mariage implique moins une communauté de biens qu’une communauté d’intérêts.

Il s’en déduit que, fondamentalement, le minimum d’association susceptible de faire naître l’union matrimoniale ne requiert pas nécessairement la création d’une masse commune de biens.

Et pour cause, le régime primaire impératif, qui se compose de l’ensemble des règles formant le statut patrimonial de base irréductible du couple marié, ne comporte aucune exigence en ce sens.

C’est la raison pour laquelle, il a toujours été admis que les époux puissent opter pour un régime matrimonial séparatiste, pourvu que ce régime ne contrevienne pas aux règles du régime primaire.

Tel était le cas du régime dotal qui était prépondérant sous l’ancien régime dans les Pays de droit écrit alors même qu’il s’agissait d’une variété de régime séparatiste.

À cet égard, lors de l’adoption du Code civil, la question s’est posée de l’instauration d’un régime de séparation de biens comme régime légal.

Si cette option a finalement été écartée par le législateur, le débat a resurgi à l’occasion des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965.

==> Évolution législative

Dès 1804, le régime de la séparation biens figurait parmi les régimes matrimoniaux conventionnels proposés par la loi.

Il était abordé aux articles 1536 à 1539 du code civil. La principale réforme ayant affecté ce régime n’est autre que celle opérée par la loi du 13 juillet 1965.

En effet, cette loi a instauré un régime primaire égalitaire applicable à l’ensemble des couples mariés, ce qui n’est pas sans avoir eu de répercussions sur la situation des couples mariés sous le régime de séparations de biens qui, désormais, y étaient assujettis.

L’élaboration de ce régime primaire impératif a été guidée par la volonté du législateur d’instituer une véritable égalité entre la femme mariée et son mari.

Cette recherche d’égalité conjugale s’est traduite par l’instauration d’un savant équilibre entre, d’un côté l’édiction de règles visant à assurer une interdépendance entre les époux et, d’un autre côté, la reconnaissance de droits leur conférant une certaine autonomie.

Autre apport de la loi du 13 juillet 1965, la consécration de la présomption d’indivision pour les biens dont la preuve de la propriété ne peut pas être rapportée.

La loi n°75-617 du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce a, par suite, renforcé la communauté d’intérêts instituée entre époux séparés de biens :

  • D’une part, en étendant l’application du dispositif de maintien en indivision et d’attribution préférentielle prévu pour les partages de successions et de communautés aux biens indivis entre époux séparés de biens, lorsque le partage intervient après la dissolution du mariage
  • D’autre part, en admettant qu’une prestation compensatoire visant à compenser la disparité créée par la rupture de l’union matrimoniale puisse être accordée à l’un ou l’autre époux séparé de biens

La loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs est, quant à elle, venue parachever la réforme engagée par le législateur en 1965 qui avait cherché à instaurer une égalité dans les rapports conjugaux.

Plusieurs corrections ont notamment été apportées au régime primaire aux fins de gommer les dernières marques d’inégalité qui existaient encore entre la femme mariée et son époux.

S’agissant du régime de la séparation de biens lui-même, cette loi a, par ailleurs, étendu aux créances entre époux, le dispositif institué à l’article 1469, al. 3e du Code civil relatif aux dettes de valeur applicable aux calculs des récompenses opérés sous les régimes communautaires.

Il peut être observé que, nonobstant ces évolutions législatives, le statut matrimonial des couples qui ont opté pour le régime de la séparation de biens avant l’entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1965 est, sauf déclaration contraire des époux, régi par le droit antérieur, outre les règles fixées par leur contrat de mariage.

Seul le régime primaire impératif et la présomption d’indivision sont d’application immédiate et, à ce titre, leur sont donc opposables.

==> Opportunité du choix d’un régime séparatiste

Le choix d’un régime séparatiste n’est pas neutre. Il présente tout autant des avantages que des inconvénients que les époux devront prendre le temps de peser avant de se déterminer.

  • Les avantages
    • Les deux principaux avantages que l’on prête classiquement au régime de la séparation de biens sont la simplicité, la séparation des patrimoines et l’indépendance conférée aux époux
      • S’agissant de la simplicité
        • En raison de l’absence de création d’une masse commune, les époux gèrent leurs intérêts pécuniaires séparément.
        • En particulier, il n’y a pas de gestion concurrente des biens du couple et donc pas d’entremêlement de leurs pouvoirs respectifs, ce qui n’est pas sans faciliter grandement la gestion du patrimoine familial.
        • À l’exception du logement familial, chaque époux exerce un pouvoir de gestion exclusif sur ses biens dont il assure la gestion en toute autonomie sans risque de discussion, voire de remise en cause des actes accomplis.
        • Quant à la liquidation du régime, tout d’abord, il n’y a pas, en principe, de partage de la masse commune, ce qui, pour les couples mariés sous un régime communautaire, est susceptible d’être source de nombreuses difficultés.
        • Ensuite, les opérations de liquidations ne donnent pas lieu au calcul de récompenses, lesquelles visent, dans les régimes communautaires, à rétablir l’équilibre entre la masse commune et les masses de propres, équilibre qui a pu être rompu en raison des mouvements de valeurs qui sont nécessairement intervenus entre ces différentes masses de biens.
        • Tout au plus, les époux devront établir un compte des créances entre époux et procéder à leur règlement.
      • S’agissant de la séparation des patrimoines
        • Le régime de la séparation de biens a pour effet, comme suggéré par son intitulé, d’instaurer une cloison étanche entre les patrimoines des époux, en ce sens qu’aucune jonction n’est créée entre eux, ce qui s’explique par l’absence de création d’une masse commune.
        • Il en résulte que, au cours du mariage, les époux conservent en propre tous les biens qu’ils acquièrent à titre onéreux ou à titre gratuit.
        • Par ailleurs, les dettes qu’ils contractent n’engagent que leur patrimoine personnel ; elles ne sont pas exécutoires sur le patrimoine du conjoint.
        • C’est là une différence majeure avec les régimes communautaires.
        • Sous le régime légal, par exemple, les dettes nées du chef d’un époux peuvent être poursuivies non seulement, sur les biens propres et les revenus du souscripteur, mais encore sur l’ensemble des biens communs à l’exclusion des gains et salaires du conjoint.
        • Aussi, le régime de la séparation de biens présente-t-il un intérêt particulier lorsque l’un des époux exerce une profession commerciale, artisanale ou libérale.
        • Le patrimoine du conjoint est, en effet, hors de portée des créanciers professionnels de ce dernier.
        • Il ne pourra, notamment, pas être menacé par l’ouverture d’une procédure collective.
        • Autre avantage de la séparation des patrimoines, lors de la liquidation du régime, chacun des époux conserve la propriété de ses biens sans qu’il y ait lieu de procéder à des opérations de partage, à tout le moins dès lors que ces biens ne font pas l’objet d’une indivision.
      • S’agissant de l’indépendance des époux
        • Le régime de la séparation de biens est sans aucun doute celui qui confère aux époux la plus grande indépendance.
        • Chacun gère son patrimoine en toute autonomie sans que l’accomplissement de certains actes soit subordonné à l’accord du conjoint, exception faite du logement familial.
        • Lorsqu’ainsi un époux exerce une profession commerciale, artisanale, libérale ou agricole séparée, il est totalement libre dans la gestion de son entreprise.
        • Seules limites à l’autonomie patrimoniale dont jouissent les époux séparés de biens : celles résultant des présomptions de pouvoirs permettant à un époux de participer, voire de s’immiscer dans la gestion des biens de son conjoint.
        • Tel est le cas des présomptions de pouvoirs en matière bancaire ( 221 C. civ.) ou mobilière (art. 222 C. civ.).
        • On peut également évoquer les présomptions instituées au profit du conjoint collaborateur en matière d’exploitation commerciale, artisanale et libérale ( L. 121-4 C. com.) ou encore en matière d’exploitation agricole (art. L. 321-1 C. rur.)
  • Les inconvénients
    • Les principaux inconvénients du régime de la séparation de biens tiennent, d’une part, au risque d’enrichissement d’un époux au détriment de l’autre et, d’autre part, à la difficulté pour les époux de rapporter la preuve de leurs biens mobiliers.
      • S’agissant du risque d’enrichissement d’un époux au détriment de l’autre
        • Sous le régime de la séparation de biens, les époux conservent la propriété des biens qu’ils acquièrent, qu’il s’agisse des revenus perçus, des économies réalisées, ou encore des biens acquis à titre onéreux ou à titre gratuit.
        • Les époux ne peuvent donc retirer aucun profit de l’enrichissement de leur conjoint.
        • Cette situation est particulièrement désavantageuse pour l’époux dont les ressources sont les plus faibles, voire qui n’exerce aucune activité professionnelle.
        • Certes, l’équilibre sera partiellement rétabli via l’obligation de contribution aux charges du mariage qui pèse sur chaque époux à proportion de leurs facultés respectives.
        • Néanmoins, l’époux dont l’activité est la moins lucrative, ne pourra, en aucune manière, solliciter lors de la dissolution du mariage un partage des richesses qui ont été acquises par son conjoint, y compris lorsque, par son industrie personnelle, il aura participé à la production de ces richesses.
        • Tout au plus, il sera fondé à demander l’octroi d’une prestation compensatoire.
        • Lorsque les conditions seront réunies, il pourra encore solliciter une indemnisation sur le fondement de l’enrichissement injustifié.
        • Ces correctifs ne permettront toutefois jamais de compenser les disparités créées entre époux quant à l’accumulation des richesses captées au cours du mariage.
        • Et pour cause, comme souligné par un auteur « la séparation de biens n’est un régime juste que s’il existe une égalité économique entre les époux et même une égalité dans l’aisance voire la fortune»[1].
        • Au fond, vouloir rétablir un équilibre patrimonial entre époux, reviendrait à nier l’essence même du régime de la séparation de biens.
        • Or rien ne leur interdisait, lorsqu’ils se sont mariés, d’opter pour un régime communautaire ou un régime mixte, tel que le régime de la participation aux acquêts.
      • S’agissant des difficultés relatives à la preuve de la propriété des biens mobiliers
        • La vie conjugale implique que les époux mettent en commun leur mobilier.
        • Sous l’effet du temps, les meubles qui appartiennent à un époux sont susceptibles de se confondre avec ceux apportés et acquis par le conjoint.
        • Cette situation est, par hypothèse, de nature à rendre pour le moins difficile l’attribution de la propriété des biens qui ont été confondus.
        • Sous le régime de la séparation de biens, il appartient à chaque époux de rapporter la preuve de la propriété de ses biens.
        • Si cette preuve ne soulève pas de difficulté pour les biens dont l’acquisition est soumise à publicité foncière ou qui font l’objet d’une immatriculation, elle sera plus délicate à rapporter pour les biens mobiliers ordinaires.
        • Aussi, lors de la liquidation du régime, cette situation ne sera pas sans être source de nombreuses difficultés, les époux se disputant la propriété de tel ou tel bien.
        • Afin de départager les époux qui ne parviennent pas à trouver un accord amiable, le législateur a institué une présomption d’indivision.
        • Aussi, en application de cette présomption, les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié.
        • La liquidation du régime donnera ainsi lieu à un partage du bien présumé indivis, situation qui n’est, a priori, satisfaisante pour aucun des deux époux.

==> Sources de la séparation de biens

La séparation de biens peut avoir deux sources distinctes : le contrat ou la décision du juge

  • La séparation de biens judiciaire
    • L’article 1443 du Code civil prévoit que « si, par le désordre des affaires d’un époux, sa mauvaise administration ou son inconduite, il apparaît que le maintien de la communauté met en péril les intérêts de l’autre conjoint, celui-ci peut poursuivre la séparation de biens en justice.»
    • Cette disposition autorise ainsi un époux marié sous un régime de communautaire à solliciter la dissolution de la communauté à la faveur de l’instauration – contrainte – d’une séparation judiciaire de biens.
    • Pour que le juge fasse droit à cette demande, l’époux demandeur devra, en substance, établir l’existence d’une mise péril de ses intérêts pécuniaires par les agissements de son conjoint.
    • Lorsque les conditions sont réunies, le juge prononcera la dissolution de la communauté ; d’où il s’en suivra une liquidation du régime et un partage des biens communs.
    • À cet égard, la séparation de biens prononcée en justice a pour effet de placer les époux sous le régime des articles 1536 et suivants, soit de les soumettre aux mêmes règles que les couples qui ont opté, de leur plein gré, pour une séparation de biens conventionnelle.
  • La séparation de biens conventionnelle
    • L’article 1387du Code civil prévoit que « la loi ne régit l’association conjugale, quant aux biens, qu’à défaut de conventions spéciales que les époux peuvent faire comme ils le jugent à propos, pourvu qu’elles ne soient pas contraires aux bonnes mœurs ni aux dispositions qui suivent. »
    • Il ressort de cette disposition que, non seulement les époux sont libres de choisir le régime matrimonial qui leur convient parmi ceux proposés par la loi, mais encore ils disposent de la faculté d’aménager le régime pour lequel ils ont opté en y stipulant des clauses particulières sous réserve de ne pas contrevenir aux bonnes mœurs et de ne pas déroger aux règles impératives instituées par le régime primaire.
    • Faute de choix par les époux d’un régime matrimonial, c’est le régime légal qui leur sera appliqué, étant précisé que le couple marié peut toujours, au cours du mariage, revenir sur sa décision en sollicitant un changement de régime matrimonial.
    • S’agissant de l’adoption du régime de la séparation de biens, dans la mesure où ce régime n’a pas été institué comme régime légal, les époux devront nécessairement formaliser un contrat de mariage.
    • La conclusion de ce contrat peut intervenir
      • Soit avant la célébration du mariage, ce qui supposera notamment l’établissement d’un acte notarié
      • Soit dans au cours du mariage, ce qui supposera de suivre la procédure de changement de régime matrimonial
    • Une étude statistique de 2014, réalisée par Nicolas Frémeaux et Marion Leturcq[2], montre que la part des couples en séparation de biens est passée de 6,1 % du total des mariés en 1992 à 10 % en 2010 soit une hausse de 64 %
    • On y apprend également que les couples mariés en séparation de biens possèdent un patrimoine plus important et héritent davantage.
    • Cette étude révèle encore que Les couples mariés en séparation de biens sont des couples qui possédaient, dès la rencontre, du patrimoine, réparti de façon plus inégalitaire entre les conjoints que les autres couples.

[1] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°732, p. 684.

[2] V. en ce sens N. Frémeaux et M. Leturcq, Plus ou moins mariés : l’évolution du mariage et des régimes matrimoniaux en France, Etude accessible à partir du lien suivant :  file:///C:/Users/A020475/Downloads/ES462E%20(1).pdf

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