Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

Régime légal: le dessaisissement judiciaire des pouvoirs d’un époux sur ses biens propres (art. 1429 C. civ.)

Si, comme aiment à le rappeler certains auteurs le mariage est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[1] et plus encore, comme son « acte fondateur »[2], il demeure malgré tout impuissant à la mettre à l’abri des épreuves qui se dressent sur son chemin.

Pour paraphraser le titre d’un film désormais devenu célèbre mettant en scène deux familles qui évoluent dans des milieux sociaux radicalement opposés : la vie maritale n’est pas un long fleuve tranquille.

Nombre d’événements sont susceptibles d’affecter son cours, à commencer par ce qu’il y a de plus ordinaire, mais pas moins important : la maladie, les disputes et plus généralement toutes ces situations qui font obstacle au dialogue dans le couple.

Or sans dialogue, sans échange, sans compromis, le couple marié ne peut pas fonctionner, à tout le moins s’agissant de l’accomplissement des actes les plus graves, soit ceux qui requièrent le consentement des deux époux.

Que faire lorsque le couple rencontre des difficultés qui peuvent aller du simple désaccord à l’impossibilité pour un époux d’exprimer sa volonté ?

Afin de permettre au couple de surmonter ces difficultés, le législateur a mis en place plusieurs dispositifs dont la fonction est de modifier la répartition normale des pouvoirs entre époux.

Tandis que certains de ces dispositifs relèvent du régime primaire impératif en conséquence de quoi ils s’appliquent à tous les époux quel que soit leur régime matrimonial, il en est d’autres qui sont propre au régime légal.

  • S’agissant des dispositifs qui relèvent du régime primaire impératif
    • Trois dispositifs visant à régler les situations de crise traversées par le couple marié relèvent du régime primaire impératif au nombre desquels on comte :
      • L’autorisation judiciaire ( 217 C. civ.)
      • La représentation judiciaire ( 219 C. civ.)
      • La sauvegarde judiciaire ( 220-1 C. civ.)
    • Tandis que les deux premières mesures visent à étendre les pouvoirs d’un époux afin de lui permettre d’accomplir seul un acte qui, en temps normal, supposerait l’accord de son conjoint, la troisième mesure a, quant à elle, pour effet de restreindre le pouvoir de l’époux qui manquerait gravement à ses devoirs et mettrait en péril les intérêts de la famille.
  • S’agissant des dispositifs propres au régime légal
    • Ces dispositifs, qui ont été mis en place dans le cadre de l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, sont énoncés aux articles 1426 et 1429 du Code civil
    • Tandis que l’un vise à dessaisir un époux des pouvoirs dont il est investi sur les biens communs ( 1426 C. civ.), l’autre autorise son conjoint à solliciter en justice qu’une partie des pouvoirs qu’il exerce à titre exclusif sur ses biens propres lui soit retirée (art. 1429 C. civ.)
    • Une fois l’époux dessaisi de ses pouvoirs, ce qui suppose l’intervention d’un juge dans les deux cas, lesdits pouvoirs sont transférés à son conjoint, le cas échéant à un administrateur judiciaire lorsqu’il s’agit des biens propres, auquel il échoit de les exercer

Nous ne nous focaliserons ici que sur l’un des dispositifs propres au régime légal et plus précisément sur celui relatif au dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur ses biens propres.

I) Les causes du dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur ses biens propres

L’article 1429 du Code civil prévoit que « si l’un des époux se trouve, d’une manière durable, hors d’état de manifester sa volonté, ou s’il met en péril les intérêts de la famille, soit en laissant dépérir ses propres, soit en dissipant ou détournant les revenus qu’il en retire, il peut, à la demande de son conjoint, être dessaisi des droits d’administration et de jouissance qui lui sont reconnus par l’article précédent ».

Il ressort de cette disposition que le dessaisissement d’un époux de ses pouvoirs sur ses biens propres peut résulter de deux séries de causes différentes :

  • L’époux dessaisi se trouve hors d’état de manifester sa volonté
  • L’époux dessaisi met en péril les intérêts de la famille, soit en laissant dépérir ses propres, soit en dissipant ou détournant les revenus qu’il en retire

A) L’impossibilité durable de manifester sa volonté

La première cause susceptible de justifier le dessaisissement d’un époux de ses pouvoirs sur ses biens propres, c’est, selon l’article 1429 du Code civil, l’hypothèse où celui-ci, « se trouve, d’une manière durable, hors d’état de manifester sa volonté ».

C’est là un point commun avec l’article 219 du Code civil qui prévoit qu’un époux peut, pour ce même motif, être habilité par le juge à l’effet de représenter son conjoint, à la nuance près que l’article 1429 exige que l’impossibilité pour ce dernier de manifester sa volonté soit durable.

Lorsqu’elle est temporaire, seule une mesure de représentation judiciaire pourra être sollicitée auprès du juge.

Deux situations doivent donc être distinguées :

  • L’impossibilité pour le conjoint de manifester sa volonté est durable : l’époux peut solliciter une mesure de dessaisissement judiciaire sur le fondement de l’article 1429 du Code civil
  • L’impossibilité pour le conjoint de manifester sa volonté est temporaire: l’époux peut solliciter une mesure de représentation judiciaire sur le fondement de l’article 219 du Code civil

Une fois établi si l’impossibilité était durable ou temporaire, il convient de déterminer ce que l’on doit entendre pour la formule « hors d’état de manifester sa volonté. »

Faute de précision à l’article 1429 sur cette situation de crise, la doctrine suggère de se reporter à l’article 373 du Code civil qui prévoit que « est privé de l’exercice de l’autorité parentale le père ou la mère qui est hors d’état de manifester sa volonté, en raison de son incapacité, de son absence ou de toute autre cause. »

Il s’infère de ce texte que l’impossibilité pour un époux de manifester sa volonté correspondrait à :

  • D’une part, deux situations juridiquement bien identifiées que sont l’absence et l’incapacité
  • D’autre part, une troisième situation qui laisse le champ des possibles ouvert, puisque, est seulement visée « toute autre cause ».

S’appuyant sur cette base textuelle pour déterminer ce que l’on devait entendre par « hors d’état de manifester sa volonté » la jurisprudence a jugé que les situations visées par l’article 373 recouvraient trois cas que sont :

  • L’absence
  • L’altération des facultés mentales
  • L’éloignement

1. Sur l’absence

Cette situation est envisagée aux articles 112 à 132 du Code civil.

À cet égard, l’article 112 prévoit que « lorsqu’une personne a cessé de paraître au lieu de son domicile ou de sa résidence sans que l’on en ait eu de nouvelles, le juge des tutelles peut, à la demande des parties intéressées ou du ministère public, constater qu’il y a présomption d’absence. »

Dès lors que la présomption d’absence produit ses effets, ce qui suppose une constatation judiciaire par le juge des tutelles, le conjoint de la personne présumée absente peut se voir confier la gestion de ses biens.

À cet égard, il pourra notamment solliciter un dessaisissement judiciaire de ses pouvoirs sur le fondement de l’article 1429 du Code civil.

2. L’altération des facultés mentales

Bien que l’article 373 du Code civil vise seulement la situation d’incapacité, la jurisprudence considère que le dispositif de dessaisissement judiciaire prévu à l’article 1429 du Code civil est susceptible de jouer plus largement en cas d’altération des facultés mentales d’un époux.

Il s’agit de l’hypothèse où ce dernier, sans nécessairement être frappé d’une incapacité (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice, etc.), est privé de sa capacité de discernement à telle enseigne qu’il est inapte à exprimer une volonté libre et éclairée.

Cette inaptitude est de nature à affecter la validité des actes qu’il accomplirait et notamment ceux portent sur ses biens propres.

Aussi, est-il nécessaire, que l’époux qui se trouve hors d’état de manifester sa volonté puisse être représenté par son conjoint qui agira aux fins de préservation de ses intérêts.

Pour ce faire, deux dispositifs sont susceptibles d’être mise en place :

  • Le premier dispositif relève du droit des incapacités: il s’agit de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire (tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice)
  • Le second relève du droit des régimes matrimoniaux: il s’agit de l’application des articles 217, 219, 1426 ou 1429 du Code civil (autorisation, judiciaire, représentation judiciaire ou dessaisissement judiciaire)

==> L’adoption d’une mesure de protection judiciaire

L’article 425 du Code civil prévoit que « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique »

Il ressort de cette disposition que lorsque les facultés mentales d’une personne sont altérées, il est susceptible – il n’y a là rien d’automatique – de faire l’objet d’une mesure de protection judiciaire, laquelle aura pour effet de le frapper d’une incapacité d’exercice plus ou moins étendue selon la mesure retenue par le juge des tutelles.

À l’analyse, les incapacités se divisent en deux catégories

  • Première catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice générale
    • Il s’agit des majeurs qui font l’objet d’une mesure de tutelle
    • L’incapacité d’exercice générale ne signifie pas qu’ils ne disposent pas de la faculté à être titulaire de droits
    • Ils ne sont nullement privés de leur capacité de jouissance générale.
    • Ils n’ont simplement pas la capacité d’exercer les droits dont ils sont titulaires.
    • Il leur faut être représentés par un tuteur pour l’accomplissement, tant des actes les plus graves (actes de disposition), que des actes de la vie courante (actes d’administration)
  • Seconde catégorie : les majeurs frappés d’une incapacité d’exercice spéciale
    • Il s’agit ici des majeurs qui font l’objet :
      • Soit d’une sauvegarde de justice
      • Soit d’une curatelle
      • Soit d’un mandat de protection future
    • En somme, ces personnes peuvent accomplir seules la plupart des actes de la vie courante.
    • Toutefois, pour les actes de disposition les plus graves, elles doivent se faire représenter.
    • L’étendue de leur capacité dépend de la mesure de protection dont elles dont l’objet.

==> Articulation entre droit des régimes matrimoniaux et droit des incapacités

La question s’est rapidement posée de savoir comment se combine le droit des incapacités avec le droit des régimes matrimoniaux qui, dans les hypothèses visées aux articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil, tantôt étend les pouvoirs d’un époux sur les biens dont il a la gestion, tantôt les lui retire.

L’articulation de ces deux branches du droit est envisagée à l’article 428 du Code civil qui prévoit que « la mesure de protection judiciaire ne peut être ordonnée par le juge qu’en cas de nécessité et lorsqu’il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par la mise en œuvre du mandat de protection future conclu par l’intéressé, par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux, en particulier celles prévues aux articles 217, 219, 1426 et 1429 ou, par une autre mesure de protection moins contraignante. »

Il s’infère de cette disposition, issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, qu’est institué un principe de subsidiarité s’agissant de l’adoption d’une mesure de protection judiciaire.

Aussi, lorsqu’il est saisi d’une demande de mise en place d’une mesure de tutelle, de curatelle ou de sauvegarde de justice, le juge des tutelles doit désormais vérifier, au préalable, si les règles des régimes matrimoniaux, en particulier les articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil, ne permettent pas de pourvoir, seuls, aux intérêts de la personne concernée.

L’objectif recherché ici par le législateur est que les mesures de protection judiciaire, qui sont assorties de lourdes contraintes, tant pour le majeur incapable, que pour son protecteur, ne puissent être adoptées qu’en dernier recours.

Il en résulte une primauté de l’application des articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil sur la mise en place de ces mesures de protection.

Cette primauté n’est toutefois pas sans limite. Lorsqu’un mandat de protection future a été valablement régularisé, l’article 483, al. 1er, 4° interdit sa révocation au motif qu’il peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l’application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux.

Cette interdiction résulte de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a notamment toiletté certaines dispositions régissant la protection des majeurs incapables.

Lorsque, dès lors, un mandat de protection est activé, il prime sur tout autre dispositif de protection, y compris les règles qui relèvent du régime matrimonial des époux, sauf à ce que l’acte envisagé ne soit pas couvert par le mandat.

==> Mise en œuvre

L’articulation entre l’article 428, qui relève du droit des incapacités, et les dispositifs institués aux articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux conduit à distinguer deux situations :

  • L’application des articles des articles 217, 219, 1426 et 1429 permet de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • En pareille hypothèse, parce que ces dispositions priment la mise en place d’une mesure de protection judiciaire, le juge des tutelles ne pourra faire droit à la demande d’adoption d’une tutelle, d’une curatelle ou encore d’une sauvegarde de justice.
    • Les actes qui requièrent le consentement de l’époux hors d’état de manifester sa volonté ne pourront être accomplis que dans le cadre, soit d’une mesure d’autorisation judiciaire, soit d’une mesure de représentation judiciaire, soit encore d’une mesure de dessaisissement judiciaire.
    • Le conjoint pourra ainsi à continuer à faire fonctionner le ménage par le jeu des seuls articles 217, 219, 1426 et 1429 du Code civil.
  • L’application des articles des articles 217, 219, 1426 et 1429 ne permet pas de pourvoir aux intérêts de la personne hors d’état de manifester sa volonté
    • Dans cette hypothèse, une mesure de protection judiciaire pourra être adoptée à la faveur de l’époux dont les facultés mentales sont altérées.
    • Est-ce à dire que la mise en place d’une telle mesure est exclusive de la délivrance d’une autorisation judiciaire, de la mise en place de la représentation judiciaire ou encore de l’adoption d’une mesure de dessaisissement judiciaire ?
    • Il n’en est rien. Ces mesures, qui relèvent du droit des régimes matrimoniaux, pourront toujours être prises pour les actes non couverts par la mesure de protection judiciaire.
    • Si, par exemple, l’époux sous sauvegarde de justice conserve sa capacité à aliéner des immeubles, son conjoint pourra solliciter une mesure de dessaisissement judiciaire pour accomplir seul l’acte de vente de la résidence secondaire du couple.

3. Sur l’éloignement

La jurisprudence considère que la formule « hors d’état de manifester sa volonté » recouvre la situation d’éloignement d’un époux qui, sans être sous le coup d’une présomption d’absence, serait dans l’incapacité matérielle de régulariser l’acte envisagé.

Cet éloignement peut être tout autant volontaire qu’involontaire. Il se peut, par exemple, que l’époux soit en déplacement à l’autre bout du monde, qu’il soit retenu en captivité (otage) ou encore qu’il soit injoignable.

Dans ces hypothèses, il est admis que les dispositifs de l’autorisation judiciaire, de la représentation judiciaire ou encore du dessaisissement judiciaire puissent jouer.

B) La mise en péril des intérêts de la famille

Autre cause justifiant l’adoption d’une mesure de dessaisissement judiciaire des pouvoirs d’un époux sur ses biens propres : la mise en péril par celui-ci des intérêts de la famille, soit en laissant dépérir ses propres, soit en dissipant ou détournant les revenus qu’il en retire

Comme relevé par des auteurs « par là le législateur a entendu, en dépit de l’organisation de type séparatiste qu’il donnait à la gestion des propres, attester que cet individualisme n’est pas absolu : que l’intérêt de la famille reste à prendre en considération »[3].

En effet, bien que les époux soient investis d’un pouvoir de gestion exclusif sur leurs biens propres, ils ne sauraient agir de façon purement égoïste, en contravention avec les intérêts de la famille, ne serait-ce que parce que les revenus des propres ont vocation à tomber en communauté.

Sur ce point, la règle posée à l’article 1429 du Code civil se rapproche de celle énoncée à l’article 220-1 qui prévoit que « si l’un des époux manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille, le juge aux affaires familiales peut prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent ces intérêts. »

Ainsi, les deux dispositions envisagent la mise en place de mesures visant à prévenir les agissements d’un époux qui seraient de nature à mettre en péril les intérêts de la famille.

La différence entre les deux textes tient essentiellement aux mesures susceptibles d’être prononcées par le juge

  • S’agissant de l’article 220-1 du Code civil, il permet à un époux de saisir le juge aux fins de prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent les intérêts de la famille.
  • S’agissant de l’article 1429 du Code civil, il permet à un époux de saisir le juge aux fins qu’il prononce une mesure spécifique : le dessaisissement d’un époux de ses pouvoirs sur ses biens propres

Quant à la condition tenant à l’exigence de mise en péril des intérêts de la famille elle diffère sensiblement selon que l’on se place sur l’un ou l’autre fondement.

L’adoption d’une mesure sur le fondement de l’article 220-1 requiert que la mise en péril résulte, de façon générale, d’un manquement grave aux devoirs du mariage.

Lorsque, en revanche, un époux saisit le juge sur le fondement de l’article 1429, les causes de mise en péril des intérêts de la famille sont limitativement énumérées par la loi.

La mise en péril doit nécessairement résulter de l’attitude de l’époux visé par la mesure consistant :

  • Soit à laisser dépérir ses propres
  • Soit à dissiper ou détourner les revenus qu’il retire de ses propres

Au bilan, pour qu’une mesure de dessaisissement judiciaire soit prononcée, il conviendra d’établir :

  • D’une part, la mise en péril des intérêts de la famille
  • D’autre part, que cette mise en péril résulte, soit d’un dépérissement des propres de l’époux visé par la mesure, soit d’une dissipation ou d’un détournement des revenus qu’il en retire

1. L’exigence de mise en péril des intérêts de la famille

Afin d’appréhender l’exigence de mise en péril des intérêts de la famille, il convient de déterminer ce que l’on doit entendre :

  • D’une part, par péril
  • D’autre part, par intérêts de la famille

==> Sur la notion de péril

Le texte est silencieux sur la notion de péril. Si l’on se reporte à la définition commune, il s’agit de l’état d’une personne qui court de grands risques, qui est menacée dans sa sécurité, dans ses intérêts ou dans son existence même.

Ce qu’il y a lieu de retenir de cette définition, c’est que lorsqu’il y a péril, le préjudice bien que, imminent, ne s’est pas encore réalisé.

Aussi, faut-il interpréter l’article 1429 du Code civil comme autorisant à saisir le juge, alors même que les intérêts de la famille n’ont pas été contrariés. Ils sont seulement menacés par la conduite déviante d’un époux.

Afin d’empêcher que cette conduite ne cause un préjudice à la famille, il est nécessaire d’adopter des mesures préventives.

Pour mettre en jeu l’article 1429 du Code civil, il est donc indifférent qu’un dommage se soit produit. Ce qui importe c’est que soit établie l’existence d’un risque imminent de réalisation de ce dommage.

==> Sur la notion d’intérêt de la famille

Pour qu’une mesure de dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur ses biens propres soit prononcée par le juge, les agissements de ce dernier – ceux énumérés exhaustivement par l’article 1429 du Code civil – doivent être de nature à mettre en péril les intérêts de la famille.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par intérêt de la famille. Que recouvre cette notion que l’on retrouve dans de nombreuses autres dispositions du Code civil et notamment, en matière d’autorisation judiciaire (art. 217 C. civ.), de sauvegarde judiciaire (art. 220-1 C. civ.) ou encore en matière de changement de régime matrimonial (art. 1397 C. civ.) ?

À l’analyse, la notion d’intérêt de la famille n’est définie par aucun texte. La raison en est que le législateur a souhaité conférer une liberté d’appréciation au juge qui donc n’est pas entravé dans son appréhension de la situation qui lui est soumise.

Dans un arrêt du 6 janvier 1976, la Cour de cassation est seulement venue préciser, dans une affaire se rapportant à un changement de régime matrimonial, que « l’existence et la légitimé d’un tel intérêt doivent faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, le seul fait que l’un des membres de la famille de se trouver lésé n’interdisant pas nécessairement la modification ou le changement envisagé » (Cass. 1ère civ. 6 janv. 1976, n°74-12.212).

Il s’infère de cette décision que la notion d’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble.

Autrement dit, il appartient au juge d’apprécier cet intérêt pris dans sa globalité, soit en considération des intérêts de chaque membre de la famille, étant précisé que la jurisprudence tient compte, tant des intérêts des époux, que de celui des enfants.

La Cour d’appel de Paris a jugé en ce sens que « les descendants des époux doivent être pris en compte pour l’appréciation objective qui doit être donnée de l’intérêt de la famille pris dans sa globalité » (CA Paris, 11 sept. 1997).

L’intérêt de la famille doit ainsi être apprécié par le juge comme constituant un tout, ce qui exige qu’il cherche à en avoir une vue d’ensemble.

Aussi, l’intérêt de la famille ne saurait se confondre avec l’intérêt personnel d’un seul de ses membres.

Et s’il est des cas où c’est la préservation d’un intérêt individuel qui guidera la décision de juge quant à retenir l’intérêt de la famille. Reste qu’il ne pourra statuer en ce sens qu’après avoir réalisé une balance des intérêts en présence.

Quelles sont les situations de mise en péril des intérêts de la famille susceptibles de justifier l’adoption de mesures urgentes ?

Il s’agit, la plupart du temps, de situations qui présentent un enjeu pécuniaire, bien que l’intérêt de la famille puisse être tout autant d’ordre patrimonial, que d’ordre extrapatrimonial.

S’agissant de la charge de la preuve, dans la mesure où l’intérêt de la famille doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, elle pèserait, selon André Colomer, sur les deux époux, chacun devant convaincre le juge du caractère justifié ou injustifié du refus d’accomplir l’acte discuté.

Reste que, en cas de doute, il conviendra d’appliquer l’article 1353 du Code civil, qui fait peser la charge de la preuve sur l’époux qui sollicite une mesure urgente.

2. L’énumération des causes de mise en péril des intérêts de la famille

Pour que la mise en péril des intérêts de la famille justifie l’adoption d’une mesure de dessaisissement judiciaire sur le fondement de l’article 1429 du Code civil, elle doit nécessairement résulter de l’attitude de l’époux visé par la mesure consistant :

  • Soit à laisser dépérir ses propres
  • Soit à dissiper ou détourner les revenus qu’il retire de ses propres

==> Le dépérissement des biens propres

Que doit-on entendre par dépérissement au sens de l’article 1429 du Code civil ? Dans son sens usuel, le dépérissement d’un bien n’est autre que sa dégradation, sa détérioration sous l’effet du temps.

Cette notion suggère que le propriétaire de la chose ne lui a pas apporté tous les meilleurs soins et notamment n’a pas pris les mesures d’entretien nécessaires à son maintien en bon état.

La question qui alors se pose est de savoir si la seule inaction d’un époux confronté au dépérissement d’un bien personnel est suffisante pour justifier un dessaisissement de son pouvoir de gestion sur ce bien ?

Le droit de propriété confère au propriétaire d’une chose le droit d’en disposer (abusus), ce qui comprend, entre autres prérogatives, le pouvoir de la détruire.

Est-ce à dire que l’article 1429 du Code civil réduirait les pouvoirs qu’un époux tient de son droit de propriété sur ses biens propres ?

Ce ne serait pas la première fois que le droit des régimes matrimoniaux interférerait avec le droit commun des biens et plus précisément admettrait qu’il puisse être porté atteinte au droit de propriété.

L’illustration la plus topique nous est fournie par l’article 215, al. 3e du Code civil qui soumet au principe de codécision les actes de disposition portant sur le logement familial, y compris lorsque celui-ci appartient en propre à l’un des époux.

S’agissant de l’article 1429 du Code civil, la règle énoncée vise moins à empêcher qu’un époux ne laisse dépérir ses biens propres, qu’à prévenir la mise à mal des intérêts de la communauté.

Faut-il rappeler, en effet, que les revenus qu’un époux retire d’un bien propre tombent en communauté ?

Parce que le dépérissement de celui-ci est susceptible d’engendrer, à terme, une perte de productivité, il est un risque que la communauté s’en trouve lésée, à plus forte raison si les fruits que lui procurait le bien propre constituaient pour le ménage un revenu de subsistance.

Aussi, pour la doctrine, l’interdiction faite aux époux de laisser dépérir leurs propres doit toujours être appréhendée en lien avec l’intérêt de la communauté.

Il ne s’agit pas d’obliger les époux à affecter leurs biens personnels à une destination qui profite nécessairement à la communauté. Ce serait là une atteinte excessive à leur droit de propriété.

Libre à chaque époux de gérer ses biens comme il l’entend, peu importe que l’affectation du bien retenue ait pour conséquence de priver la communauté de revenus.

À l’analyse, ce qui est visé par l’article 1429 du Code civil, ce n’est pas le choix d’une mauvaise affectation du bien, mais plutôt l’absence de choix, soit l’attitude passive de l’époux.

Au fond, tant qu’un époux exerce ses pouvoirs sur un bien qui lui appartient en propre, son droit de propriété prime les intérêts de la communauté, peu importe que les décisions prises ne soient pas profitables à cette dernière.

Lorsque, en revanche, cet époux ne se préoccupe plus de la gestion de son bien, l’article 1429 admet que le droit de propriété doive, dans cette circonstance – la seule – céder sous les intérêts de la communauté dont la mise à mal justifie l’adoption d’une mesure de dessaisissement judiciaire.

==> La dissipation ou le détournement des revenus retirés des biens propres

Autre attitude visée par l’article 1429 du Code civil d’où est susceptible de résulter la mise en péril des intérêts de la famille : la dissipation ou le détournement par un époux des revenus provenant de ses biens propres.

Afin d’appréhender le sens de cette règle, il convient, au préalable, de se reporter au principe énoncé à l’article 1428 du Code civil qui prévoit que « chaque époux a l’administration et la jouissance de ses propres et peut en disposer librement. »

Il ressort de cette disposition que le pouvoir de gestion exclusif dont sont investis les époux sur leurs biens propres comprend notamment le droit d’en jouir et donc de percevoir et disposer des fruits produits.

Et si, comme vu précédemment, les revenus des propres ont vocation à tomber en communauté, cette règle doit être combinée avec l’article 1403 du Code civil qui prévoit que « la communauté n’a droit qu’aux fruits perçus et non consommés ».

Il s’évince donc de cette disposition que les revenus de propres peuvent être consommés par l’époux qui les perçoit sans qu’aucune récompense ne soit due à la communauté.

Encore faut-il néanmoins que cette consommation ne donne pas lieu à l’acquisition d’un bien durable ou se traduise par le financement de travaux d’amélioration d’un bien propre.

Autrement dit, il ne doit plus rien rester des revenus perçus, peu importe qu’ils aient été employés à des fins exclusivement personnelles.

À défaut, la communauté a droit à récompense. Tel est notamment le cas lorsque les revenus de propres sont utilisés aux fins d’acquisition ou d’amélioration d’un bien propre (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 6 juill. 1982).

Ce droit de consommer les revenus des propres conférés à chaque époux n’est pas sans limite.

L’article 1403, al. 2e du Code civil prévoit que si les revenus de propres consommés échappent à la communauté, c’est sous réserve de la fraude.

Cette fraude sera caractérisée lorsque la consommation des fruits a été dissimulée au conjoint et que la communauté s’en est trouvée lésée.

Il y a là, manifestement, un point de convergence avec l’article 1429 du Code civil qui, parmi les causes justifiant l’adoption d’un dessaisissement judiciaire, vise la dissipation et le détournement des revenus de propres.

Au fond, ce qui est sanctionné ici c’est la consommation anormale, sinon abusive par un époux des revenus qu’il retire de ses propres.

Non seulement cet abus ouvrira droit à récompense au profit de la communauté sur le fondement de l’article 1403, al. 2e du Code civil, mais encore il est de nature de fonder le retrait des pouvoirs de son auteur sur ses biens propres en application de l’article 1429 du Code civil.

II) La procédure de dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur ses biens propres

Pour les règles applicables à la demande de dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur ses biens propres, l’article 1429, al. 1er in fine du Code civil renvoie aux articles 1445 à 1447 du Code civil, soit les dispositions qui régissent la procédure de séparation judiciaire.

III) Les effets du dessaisissement des pouvoirs d’un époux sur ses biens propres

L’adoption de la mesure de dessaisissement judiciaire emporte deux conséquences :

  • Le retrait des pouvoirs de l’époux visé par la mesure sur ses biens propres
  • Le transfert des pouvoirs de l’époux dessaisi au conjoint ou à un administrateur

A) Le retrait des pouvoirs de l’époux visé par la mesure sur ses biens propres

==> L’étendue du dessaisissement

Lorsqu’une mesure de dessaisissement judiciaire est prise contre un époux, celui-ci est évincé de la gestion de ses biens propres.

Le retrait de ses prérogatives n’est toutefois que partiel. En effet, l’article 1429 cantonne le dessaisissement dont fait l’objet l’époux visé par la mesure à ses seuls droits d’administration et de jouissance.

La question qui alors se pose est de savoir ce que recouvrent ces deux catégories d’actes :

  • S’agissant des actes d’administration
    • Ils se définissent comme les actes d’exploitation ou de mise en valeur du patrimoine de la personne dénués de risque anormal.
    • Il s’agit, autrement dit, de tout acte qui vise à assurer la gestion courante d’un ou plusieurs biens sans que le patrimoine de son propriétaire s’en trouve modifié de façon importante.
    • Exemple: actes d’entretien, actes conservatoires, actes visant à faire fructifier le bien etc.
  • S’agissant des actes de jouissance
    • Les actes de jouissances ne sont autres que ceux qui découlent de l’exercice par le propriétaire d’un bien du droit de jouir de la chose.
    • Par jouissance, il faut donc entendre le pouvoir de percevoir les revenus que le bien lui procure
    • Exemple: pour le propriétaire d’un immeuble, il s’agira de percevoir les loyers qui lui sont réglés par son locataire. Pour l’épargnant, il s’agira de percevoir les intérêts produits par les fonds placés sur un livret. Pour l’exploitant agricole, il s’agira de récolter le blé, le maïs ou encore le sésame qu’il a cultivé.

Parce que l’époux visé par la mesure est « seulement » privé de ses pouvoirs d’administration et de jouissance, il conserve une parcelle de pouvoir sur ses propres.

L’article 1429 précise, en effet, à son alinéa 3e que « l’époux dessaisi ne peut disposer seul que de la nue-propriété de ses biens ».

À cet égard, il peut être observé qu’il s’agit là d’une différence majeure avec la mesure envisagée par l’article 1426 du Code civil.

Cette disposition prévoit, en effet, que lorsqu’un époux est évincé de la gestion des biens communs, ce sont tous les pouvoirs dont il est investi qui lui sont retirés. Le texte ne distingue pas entre le pouvoir de disposition et les pouvoirs d’administration et jouissance.

L’époux dessaisi en application de l’article 1426 est privé de toutes ses prérogatives, sans exception.

Tel n’est pas le cas lorsque, cette mesure, est prise sur le fondement de l’article 1429 du Code civil.

La raison en est que, le conjoint n’est, par hypothèse, investi d’aucun droit de propriété sur les biens propres de l’époux dessaisi, alors que sur les biens communs ils ont vocation à lui revenir pour moitié.

L’enjeu n’est donc pas le même, ce qui justifie une différence quant à l’étendue du dessaisissement.

==> La durée du dessaisissement

L’article 1429 du Code civil est silencieux sur la durée de la mesure de dessaisissement.

Le texte prévoit seulement que l’époux dessaisi « pourra, par la suite, demander en justice à rentrer dans ses droits, s’il établit que les causes qui avaient justifié le dessaisissement n’existent plus. »

On déduit de cette disposition que la mesure de dessaisissement peut être prononcée par le juge pour une durée indéterminée.

L’époux visé par la mesure dispose toutefois de la faculté discrétionnaire de solliciter sa révocation, ce qui supposera qu’il démontre que les circonstances qui ont justifié son adoption ont disparu.

B) Le transfert des pouvoirs de l’époux dessaisi au conjoint ou à un administrateur

Seconde conséquence de la mesure de dessaisissement prise à l’encontre d’un époux en application de l’article 1429 du Code civil : le transfert de ses pouvoirs d’administration et de jouissance à une tierce personne chargée de les exercer à sa place.

Trois questions alors se posent :

  • Qui est l’attributaire des pouvoirs transférés
  • Quelle est la nature du pouvoir conféré à l’attributaire
  • Quelle est l’étendue du pouvoir de l’attributaire

==> L’attributaire des pouvoirs de l’époux dessaisi

Il ressort de l’article 1429, al. 2e du Code civil que l’attributaire des pouvoirs dont l’époux visé par la mesure a été dessaisi n’est autre que :

  • À titre principal, le conjoint
  • À titre subsidiaire, un administrateur judiciaire

Ainsi, le texte présente-t-il le conjoint comme l’attributaire naturel des pouvoirs transférés, à tout le moins comme celui-ci qui est le mieux placé pour gérer les propres de l’époux dessaisi.

Reste que le juge n’est aucunement lié par cette suggestion formulée par la loi. Il dispose de la faculté de désigner un administrateur judiciaire, s’il estime que cette solution est plus opportune.

Il le fera notamment lorsque le conjoint ne possédera pas les aptitudes requises pour gérer les propres de l’époux dessaisi.

La doctrine souligne qu’il s’agit là d’une autre différence avec l’article 1426 du Code civil qui n’envisage que la « substitution » d’un époux à l’autre et qui donc, exclut de facto qu’il puisse être procédé à la désignation d’un administrateur judiciaire.

Il s’agit pourtant là d’une alternative fort commode, en particulier lorsque le juge doute de la capacité du demandeur à pallier la défaillance de son conjoint.

==> La nature des pouvoirs conférés au conjoint de l’époux dessaisi

Une fois les pouvoirs de l’époux dessaisi transférés au conjoint ou à un administrateur judiciaire se pose inévitablement la question de la nature des pouvoirs de l’attributaire.

L’article 1429, al. 2e du Code civil se limite à énoncer que « le jugement confère au conjoint demandeur le pouvoir d’administrer les propres de l’époux dessaisi ».

Que faut-il entendre par cette formule ? L’attributaire des pouvoirs transféré agit-il en représentation de l’époux dessaisi ou en vertu d’un pouvoir propre dont il serait investi ?

La doctrine est divisée sur cette question dont l’enjeu n’est pas neutre :

  • Thèse de la titularité d’un pouvoir de représentation
    • Si l’on considère que l’attributaire des pouvoirs transférés est investi d’un pouvoir de représentation, il est réputé agir au nom et pour le compte de l’époux dessaisi.
    • Aussi, celui-ci est-il personnellement engagé pour les actes régularisés par son conjoint en son nom ; il est réputé les avoir accomplis en personne.
    • Par ailleurs, les dettes contractées dans le cadre de cette représentation sont exécutoires, tant sur les propres et les revenus de l’époux représenté, que sur les biens communs, à l’exclusion des gains et salaires de l’époux représentant.
  • Thèse de la titularité d’un pouvoir propre
    • Si l’on retient cette thèse, le conjoint attributaire des pouvoirs transférés est réputé agir, tant pour le compte de l’époux dessaisi que pour son propre compte.
    • Il en résulte qu’il engage :
      • D’une part, ses biens propres et ses revenus
      • D’autre part, les biens communs
      • Enfin, les biens propres de l’époux dessaisi
    • Quant aux gains et salaires de ce dernier, ils doivent être exclus du gage des créanciers en application de l’article 1414 du Code civil.

Au bilan, le pouvoir d’engagement du conjoint auquel sont transférés les pouvoirs de l’époux dessaisi diffère selon que l’on opte pour l’une ou l’autre thèse.

  • Si l’on considère que le conjoint attributaire des pouvoirs transférés est investi d’un pouvoir de représentation, le gage des créanciers comprend seulement les biens propres et les revenus de l’époux dessaisi, ainsi que les biens communs ordinaires
  • Si l’on considère, en revanche, que le conjoint attributaire des pouvoirs transférés est investi d’un pouvoir propre, le gage des créanciers s’étend à tous les biens du ménage, à l’exclusion des seuls gains et salaires de l’époux dessaisi

À l’analyse, la doctrine majoritaire est plutôt favorable à l’adoption de la première thèse, soit à celle suggérant de regarder le conjoint attributaire des pouvoirs transférés comme agissant en représentation de l’époux dessaisi.

Pour François Terré et Philippe Simler « quoique le terme représentation ne figure pas à l’article 1429, il ne paraît guère possible de voir autre chose qu’un mandat judiciaire dans la décision du juge de confier au conjoint ou à un tiers un tel pouvoir »[4].

D’autres auteurs avancent que « l’administration étant de type séparatiste, les propres de l’un des époux sont juridiquement, pour son conjoint, les biens d’un tiers. Or nul ne peut jamais être habilité à agir, de son chef, et en son propre nom, sur les biens d’autrui »[5].

Si dès lors, on se rallie à cette analyse, à laquelle nous adhérons, l’attribution au conjoint d’un pouvoir de représentation de l’époux dessaisi emporte des conséquences sur le pouvoir d’engagement de l’un et l’autre :

  • Le conjoint représentant est investi du pouvoir d’engager :
    • Les biens propres et les revenus de l’époux dessaisi
    • Les biens communs à l’exclusion de ses gains et salaires
  • L’époux représenté conserve le pouvoir d’engager
    • La nue-propriété de ses biens propres
    • Ses gains et salaires
    • Les biens communs

==> L’étendue des pouvoirs conférés au conjoint de l’époux dessaisi

L’article 1429, al. 2e du Code civil prévoit que « le jugement confère au conjoint demandeur le pouvoir d’administrer les propres de l’époux dessaisi, ainsi que d’en percevoir les fruits, qui devront être appliqués par lui aux charges du mariage et l’excédent employé au profit de la communauté. »

Il ressort de cette disposition que le conjoint est donc investi du pouvoir d’administrer les biens propres de l’époux dessaisi, soit, comme indiqué précédemment, d’accomplir tout acte visant à assurer leur gestion courant sans que leur substance s’en trouve modifiée de façon importante.

Là n’est pas la seule prérogative conférée au conjoint chargé de représenter l’époux dessaisi.

L’article 1429 ajoute qu’il lui appartient « d’en percevoir les fruits, qui devront être appliqués par lui aux charges du mariage et l’excédent employé au profit de la communauté ».

Ainsi, le conjoint est-il attributaire du pouvoir de jouissance sur les propres de l’époux représenté. Il n’est toutefois pas libre de l’exercer comme bon lui semble.

Le texte adresse, en effet, plusieurs consignes à l’attention du représentant au nombre desquelles figurent :

  • En premier lieu, l’obligation d’affecter les fruits produits par les propres dont il assure la gestion au règlement des charges du mariage à proportion des facultés de l’époux dessaisi
  • En second lieu, l’obligation d’affecter l’excédent de fruits, soit après acquittement des charges du mariage, au profit de la communauté, ce qui inclut notamment le règlement des dettes communes

Parce que l’affectation des fruits provenant des propres de l’époux dessaisi s’impose au conjoint, la doctrine considère que pèse corrélativement sur lui une troisième obligation : celle de rendre compte des fruits et revenus perçus.

Cette obligation de reddition des comptes, permettra de contrôler si les consignes prescrites par l’article 1429, al. 2e du Code civil ont scrupuleusement été respectées.

Et s’il n’est pas en mesure de justifier de la destination des fruits et revenus perçus et employés, son manquement ouvrira sans doute droit à récompense pour la communauté, voire justifiera la révocation de la mesure de dessaisissement judiciaire dont il a fautivement tiré profit.

[1] F. Terré, Droit civil – La famille, éd. Dalloz, 2011, n°325, p. 299

[2] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, La famille, Defrénois, coll. « Droit civil », 2006, n°47, p. 25.

[3] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°399, p. 390.

[4] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°545, p. 434.

[5] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°402, p. 392.

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