Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

Le régime conventionnel de la communauté universelle (art. 1526 C. civ.)

Selon l’expression du Doyen Cornu, le régime de la communauté universelle n’est autre que le « régime de l’amour », car il incarne l’union des biens des époux dans ce qu’il y a de plus absolu.

Le professeur Le Guidec affirme en ce sens que « la communauté universelle réalise l’idéal communautaire inhérent au mariage de manière extrême, totale ».

La raison en est que l’adoption de ce régime a pour effet d’opérer une fusion entre les patrimoines des époux pour ne former qu’une seule et même masse de biens.

Cette fusion des patrimoines se traduit, tant sur le plan de l’actif, que sur le plan du passif.

  • Sur le plan de l’actif
    • La communauté comprend les biens tant meubles qu’immeubles, présents et à venir des époux.
    • Par exception et sauf stipulation contraire, les biens que l’article 1404 déclare propres par leur nature ne tombent point dans cette communauté.
    • En dehors de ces biens visés par l’article 1404 du Code civil, tous les biens acquis par les époux avant et pendant le mariage ont vocation à alimenter la masse commune
  • Sur le plan du passif
    • L’article 1526 du Code civil prévoit que la communauté universelle supporte définitivement toutes les dettes des époux, présentes et futures.
    • L’universalité de la communauté ne touche ainsi pas seulement son actif, elle intéresse également son passif.

Dans la pratique, le régime de la communauté universelle ne constitue que très rarement le régime initial des époux.

Ces derniers optent, la plupart du temps, pour ce régime dans le cadre d’un changement de régime matrimonial et plus précisément lorsque le risque de désunion s’est dissipé en raison de leur âge avancé.

À cet égard, l’adoption du régime de la communauté universelle est presque systématiquement assortie de la stipulation d’une clause d’attribution intégrale.

Cette clause consiste à attribuer au conjoint survivant la totalité des biens qui relèvent de la masse commune.

L’article 1524 du Code civil prévoit en ce sens que « l’attribution de la communauté entière ne peut être convenue que pour le cas de survie, soit au profit d’un époux désigné, soit au profit de celui qui survivra quel qu’il soit. L’époux qui retient ainsi la totalité de la communauté est obligé d’en acquitter toutes les dettes. »

L’attribution intégrale peut porter, tout autant sur la pleine propriété des biens communs, que sur leur usufruit ainsi que le suggère l’alinéa 2 du texte.

Elle n’est toutefois pas sans limite. Si, la clause d’attribution intégrale est opposable aux héritiers réservataires communs qui n’hériteront donc qu’au décès de leur second parent, elle peut, néanmoins, être contestée par les enfants nés d’un autre lit qui, en cas d’atteinte à leur réserve héréditaire, disposeront d’une action en retranchement.

Bien que le régime de la communauté universelle ne se confonde pas avec la clause d’attribution intégrale, son adoption n’en procède pas moins d’une volonté des époux d’assurer la sécurité patrimoniale du conjoint survivant en facilitant la transmission des biens communs de l’un à l’autre.

À cet égard, les époux ne stipuleront pas toujours de clause d’attribution intégrale : il est des cas où leur démarche sera seulement motivée par leur souhait de rééquilibrer leurs patrimoines respectifs.

Parfois même, afin de réaliser cet objectif, ils limiteront la communauté, soit à une catégorie de biens déterminés (les immeubles), soit aux seuls biens présents, soit encore aux seuls biens à venir.

Il ne s’agira alors plus d’une communauté universelle, mais d’une communauté à titre universelle.

Bien que non expressément envisagée par les textes, l’adoption d’un tel régime n’en reste pas moins valable en vertu de la liberté de choix des conventions matrimoniales.

En tout état de cause, que les époux optent pour la communauté universelle ou pour une communauté à titre universel, la spécificité de l’un ou l’autre régime tient à la composition de la communauté qui se trouvera au centre du contrat de mariage.

Quant aux règles applicables à la gestion des biens et à la dissolution de la communauté, en application du principe de subsidiarité, il y a lieu de se reporter au régime légal.

L’article 1497 du Code civil prévoit, en effet, que « les règles de la communauté légale restent applicables en tous les points qui n’ont pas fait l’objet de la convention des parties. »

Aussi notre étude du régime de la communauté universelle se limitera à l’analyse des règles qui président à la composition active et passive de la communauté.

I) La composition active de la communauté

A) Principe

L’article 1526, al. 1er du Code civil prévoit que « les époux peuvent établir par leur contrat de mariage une communauté universelle de leurs biens tant meubles qu’immeubles, présents et à venir. »

Il ressort de cette disposition que, sous le régime de la communauté universelle, l’actif commun comprend :

  • Les biens présents au jour du mariage
    • Il s’agit de tous les biens qui appartenaient personnellement aux époux avant la célébration du mariage
    • Le texte n’opère aucune distinction entre les meubles et les immeubles, ni ne distingue entre les circonstances et modalités d’acquisition du bien.
    • Tous les biens dont les époux avaient la propriété avant le mariage tombent en communauté.
    • C’est là une différence majeure avec le régime légal qui se caractérise notamment par l’exclusion de l’actif commun des biens présents
  • Les biens acquis au cours du mariage
    • Il s’agit de tous les biens qui ont été acquis par les époux postérieurement à la célébration du mariage et qui donc constituent des acquêts.
    • Il est indifférent que l’acquisition du bien soit à titre onéreux ou à titre gratuit.
    • Là encore, il s’agit d’une différence majeure avec le régime légal.
    • Sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, sont, en effet, exclus de la masse commune les biens acquis à titre gratuit, soit ceux reçus par les époux par voie de libéralités (legs et donations).

Ainsi, l’assiette des biens qui ont vocation à tomber en communauté sous le régime de la communauté universelle est des plus étendue.

Elle ne couvre pas toutefois l’intégralité du patrimoine conjugal, certains biens échappant son attraction.

A) Exclusions

Si, l’objectif recherché par les époux qui optent pour le régime de la communauté universelle c’est de réaliser une fusion de leurs patrimoines respectifs aux fins de ne constituer qu’une seule et même masse de biens, il en est certains qui sont exclus de la communauté sous l’effet, soit de la loi, soit de la volonté des époux.

1. Les biens exclus de la communauté sous l’effet de la loi

==> Les biens propres par nature

L’article 1526, al. 1er in fine prévoit que « sauf stipulation contraire, les biens que l’article 1404 déclare propres par leur nature ne tombent point dans cette communauté. »

Ainsi, sont exclus de la masse commune les biens qui endossent la qualification de propres par nature sous l’actuel régime légal, soit les biens qui entretiennent un lien étroit avec la personne d’un époux.

À l’analyse, les propres par nature au sens de l’article 1404 du Code civil recouvrent deux catégories de biens :

  • D’une part, les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux, les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles, et, plus généralement, tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne.
  • D’autre part, les instruments de travail nécessaires à la profession de l’un des époux, à moins qu’ils ne soient l’accessoire d’un fonds de commerce ou d’une exploitation faisant partie de la communauté.

La particularité des biens propres par nature est qu’ils sont exclus de la communauté, quelles que soient les modalités et la date de leur acquisition.

==> Les droits de propriété intellectuelle

Le Code de la propriété intellectuelle confère à l’auteur sur son œuvre deux catégories de droits :

  • Les droits patrimoniaux qui comprennent notamment le droit de représentation et le droit de reproduction de l’œuvre
  • Les droits moraux qui comprennent le droit de paternité, le droit de divulgation ou encore le droit au respect de l’œuvre

Tandis que les premiers sont librement cessibles et peuvent donc faire l’objet d’une exploitation commerciale, les seconds sont inaliénables à telle enseigne qu’ils sont regardés comme des droits personnels.

En raison de la nature hybride de l’œuvre de l’esprit qui, tout à la fois, est un bien économique et une chose hors du commerce, la question s’est rapidement posée de savoir si elle tombait en communauté ou si elle était constitutive d’un bien propre.

Pour le déterminer, il y a lieu d’envisager successivement la qualification des droits moraux et des droits patrimoniaux.

  • S’agissant des droits moraux
    • C’est la loi qui définit le statut du droit moral de l’auteur quel que soit le régime matrimonial auquel il est soumis.
    • L’article L. 121-9du Code de la propriété intellectuelle prévoit que « sous tous les régimes matrimoniaux et à peine de nullité de toutes clauses contraires portées au contrat de mariage, le droit de divulguer l’œuvre, de fixer les conditions de son exploitation et d’en défendre l’intégrité reste propre à l’époux auteur ou à celui des époux à qui de tels droits ont été transmis. »
    • Il s’infère donc de cette disposition que les droits moraux dont est titulaire l’auteur d’une œuvre sont propres.
    • En aucune manière, ils ne sauraient donc tomber en communauté.
    • Le texte précise d’ailleurs que le droit moral « ne peut être apporté en dot, ni acquis par la communauté ou par une société d’acquêts ».
    • Il s’agit là d’une disposition d’ordre public à laquelle il ne peut être dérogé par convention contraire, y compris par voie de contrat de mariage.
    • Aussi, l’adoption du régime de la communauté universelle est sans incidence sur la qualification des droits moraux dont est titulaire un époux : ils restent propres.
  • S’agissant des droits patrimoniaux
    • À la différence des droits moraux qui ne soulèvent pas de difficulté de qualification en raison de leur nature, tel n’est pas le cas des droits patrimoniaux.
    • Ces droits se rapportent certes à une création qui entretient un lien très étroit avec la personne de l’auteur, ils n’en demeurent pas moins susceptibles de faire l’objet d’une exploitation économique et donc d’être sources de valeur.
    • Cette valeur doit-elle profiter à la communauté ou revient-elle exclusivement à l’auteur ?
    • Sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation avait jugé dans un célèbre arrêt Lecoq que les droits patrimoniaux constituaient des biens communs ( civ. 25 juin 1902).
    • Aussi, tandis que les droits moraux restaient propres à l’auteur, les droits patrimoniaux tombaient en communauté.
    • Cette distinction opérée par la jurisprudence a finalement été abandonnée par le législateur en raison des nombreuses difficultés pratiques qu’elle engendrait.
    • Plus précisément la loi du 11 mars 1957 a aligné la qualification des droits patrimoniaux sur celle des droits moraux : tous sont des biens propres.
    • La règle est désormais énoncée à l’article L. 121-9.
    • S’agissant spécifiquement des droits patrimoniaux, elle prévoit que le droit de fixer les conditions d’exploitation de l’œuvre reste propre à l’époux auteur ou à celui des époux à qui de tels droits ont été transmis.

Si donc les droits patrimoniaux et moraux dont est titulaire l’auteur sur son œuvre sont des biens propres, tel n’est, en revanche, pas le cas pour revenus générés par l’exploitation de l’œuvre qui eux tombent en communauté et notamment, pour ce qui nous concerne, lorsque les époux sont mariés sous le régime de la communauté universelle.

2. Les biens exclus de la communauté sous l’effet de la volonté des époux

==> Clause d’extension de la communauté aux biens propres par nature

Bien que L’article 1526, al. 1er in fine du Code civil exclut d’office les biens propres par nature de la communauté, la règle énoncée ici n’est que supplétive.

Le texte précise, en effet, que l’exclusion opère « sauf stipulation contraire ».

Les époux sont ainsi autorisés à renoncer à la propriété de l’intégralité de leurs biens y compris ceux qui sont très étroitement attachés à leur personne.

Cette renonciation revient pour eux à abdiquer le droit à être propriétaire d’un bien à titre individuel au profit de la communauté dont le pouvoir d’attraction est alors porté jusqu’à son paroxysme.

Des auteurs observent néanmoins qu’il est une catégorie de biens qui, quels que soient les aménagements conventionnels réalisés par les époux, sont insusceptibles de tomber en communauté : les biens mixtes soit ceux auxquels s’applique la distinction entre le titre et la finance.

Pour mémoire :

  • Le titre n’est autre que le droit dont est titulaire un époux à être propriétaire d’un bien étroitement attaché à sa personne (office ministériel, clientèle civile, qualité d’associé etc.)
  • La finance correspond, quant à elle, à la valeur patrimoniale du bien, soit à sa valeur économique sur le marché

Tandis que le titre appartient en propre à l’époux qui en est le titulaire, la finance tombe en communauté.

Pour François Terré et Philippe Simler, parce que le titre serait dépourvu de toute valeur patrimoniale, une clause qui écarterait le jeu de l’article 1404 du Code civil serait sans effet sur sa qualification.

Aussi, le titre résisterait, en tout état de cause, au pouvoir d’attraction de la communauté, y compris lorsque les époux ont convenu d’étendre son emprise aux biens propres par nature.

==> Clauses de réduction de la communauté à titre universel ou à titre particulier

Les époux peuvent tout autant stipuler des clauses extensives de la masse commune, que des clauses visant à en réduire le périmètre.

Cet aménagement conventionnel consiste, en somme, pour les époux à soustraire à la communauté un ou plusieurs biens qu’ils entendent conserver dans le giron de la sphère des biens propres.

Cette réduction de la masse commune peut s’opérer à titre universel ou à titre particulier.

  • S’agissant de la réduction de la masse commune à titre universel
    • Dans cette hypothèse, il s’agira de stipuler une clause qui limiterait le pouvoir d’attraction de la communauté, soit à tous les biens présents (au jour du mariage), soit à tous les biens à venir (les acquêts).
    • Cette réduction de la masse commune aura une incidence sur le périmètre du passif commun qui s’en trouvera corrélativement diminué.
  • S’agissant de la réduction de la masse commune à titre particulier
    • Dans cette hypothèse, la restriction de la masse commune consistera à exclure de son périmètre un ou plusieurs biens.
    • Il pourrait ainsi s’agir de stipuler que le fonds de commerce exploité par un époux lui appartiendra en propre ou encore que tous les immeubles présents ou à venir n’entreront pas en communauté.
    • Cette modalité de réduction de la masse commune sera sans incidence sur la répartition du passif, puisque portant, non pas sur un patrimoine pris en tant qu’universalité de droit, mais sur un ou plusieurs biens qui, tout au plus, constituent une universalité de fait.

Autre modalité de réduction de la masse commune, les époux peuvent stipuler ce que l’on appelle des clauses d’apport.

Ces clauses consistent à prévoir que les époux apporteront à la communauté un ou plusieurs biens déterminés à concurrence d’un certain montant.

Au-delà de ce montant, les biens, qui sous le régime pour lequel ils ont opté devraient endosser la qualification de bien commun, sont affectés à la sphère des biens propres.

Cet aménagement a ainsi pour effet de réduire indirectement le périmètre de la masse commune.

==> Biens propres par subrogation

Bien que l’article 1526 du Code civil ne le prévoit pas, la doctrine plaide pour que les biens qui se subrogeraient à des propres ne tombent pas en communauté.

À cet égard, il peut être observé que la jurisprudence l’a admis, par analogie avec le régime légal, pour le régime de la communauté de meubles et acquêts alors même qu’aucune disposition de ce régime ne le prévoit (Cass. 1ère civ. 10 juill. 1996, n°94-17.471).

Dès lors, tout porte à croire que la Cour de cassation statuerait dans le même sens pour un couple qui serait marié sous le régime de la communauté universelle.

Par précaution et afin de prévenir toute contestation, les époux seraient particulièrement avisés de stipuler dans leur contrat de mariage qu’ils entendent se soumettre aux règles énoncées à l’article 1406, al. 2e du Code civil.

Pour mémoire, en application de cette disposition, lorsqu’un bien propre est remplacé, par le jeu de la subrogation réelle, par un autre bien, les droits de l’époux acquéreur restent inchangés : le nouveau bien reste propre.

Une récompense sera néanmoins due à la communauté dans l’hypothèse où le bien qui se subroge à un propre a été acquis au moyen, pour partie, de deniers communs.

==> Biens propres par accessoire

Tout autant que l’article 1526 du Code civil est silencieux sur le sort des biens subrogés à des propres sous le régime de la communauté universelle, il ne dit rien sur le sort des biens acquis à titre d’accessoire ou par accroissement d’un propre.

Pour mémoire, sous le régime légal, il est certains biens qui, alors même qu’ils ont été acquis à titre onéreux au cours du mariage, sont malgré tout susceptibles de recevoir la qualification de bien propre.

Cette dérogation au principe d’inscription des acquêts à l’actif de la communauté se justifie par l’existence d’un lien matériel, économique ou juridique entre le bien que l’on soustrait à la masse commune et un bien qui appartient personnellement à l’un des époux.

Pour assurer la cohérence de la propriété de ces deux biens, le législateur a estimé qu’il y avait lieu de prévoir une unité de régime à la faveur de la qualification de bien propre.

À cet égard, l’intégration du bien acquis à titre onéreux au cours du mariage dans le patrimoine personnel d’un époux par rattachement à un bien propre se rencontrera dans trois situations

  • Le bien a été acquis à titre accessoire d’un bien propre
  • Le bien acquis consiste en un accroissement de valeurs mobilières
  • Le bien acquis procède d’un rachat de parts indivises

Qu’en est-il sous le régime de la communauté universelle ? Faut-il admettre que les biens acquis à titre accessoire d’un propre ou par accroissement échappent à la communauté ?

À l’analyse la doctrine est plutôt partagée. Tandis que certains auteurs plaident pour la qualification de biens communs, d’autres soutiennent qu’il y a lieu de faire application de l’article 1406 du Code civil.

Cette disposition, qui relève du régime légal, prévoit que « forment des propres, sauf récompense s’il y a lieu, les biens acquis à titre d’accessoires d’un bien propre ainsi que les valeurs nouvelles et autres accroissements se rattachant à des valeurs mobilières propres. »

Le régime de la communauté ne réglant pas cette situation, ne pourrait-on pas convoquer l’article 1497 qui prévoit que « les règles de la communauté légale restent applicables en tous les points qui n’ont pas fait l’objet de la convention des parties » ?

C’est la thèse à laquelle nous adhérons, bien que la meilleure option reste pour les époux de prévoir le sort de des biens acquis par rattachement à un propre dans leur contrat de mariage.

==> La volonté du donateur ou du testateur

L’une des principales spécificités du régime de la communauté universelle réside dans l’inscription à l’actif commun des biens acquis à titre gratuit par les époux au cours du mariage.

La doctrine plaide néanmoins pour que l’auteur d’une donation ou d’un legs demeure libre d’exclure de la masse commune les biens dont il entend disposer à titre gratuit à la faveur d’un époux.

La raison en est que la volonté du disposant doit toujours primer sur l’intérêt de la communauté.

Cette règle s’évince de l’article 1405, al. 2e du Code civil qui prévoit, pour les époux qui ont opté pour le régime légal, que « la libéralité peut stipuler que les biens qui en font l’objet appartiendront à la communauté ».

À l’inverse, l’article 1498, al. 1er in fine du Code civil, qui s’applique aux époux mariés sous le régime de la communauté de meubles et acquêts, autorise expressément le disposant à stipuler que le bien meuble dont il entend disposer à titre gratuit à la faveur d’un époux sera exclu de l’actif commun.

Ainsi, se dégage-t-il de ces deux dispositions un principe général d’inopposabilité du régime matrimonial pour lequel les époux ont opté à l’auteur d’une libéralité.

Dans un arrêt du 27 juin 1972, la Cour de cassation a jugé en ce sens notamment que, d’une part, « aucune disposition légale n’interdit au testateur de spécifier que les biens par lui légués seront propres au légataire s’il se marie après les avoir recueillis » et, d’autre part que « le principe de la liberté des conventions matrimoniales ayant pour limites nécessaires les restrictions étrangères à la volonté des époux, ceux-ci ne peuvent faire disparaître ou modifier les charges dont leurs biens se trouvent grevés » (Cass. 1ère civ. 27 juin 1972, n°71-11.271).

Plus récemment, la première chambre civile est venue préciser, dans un arrêt du 18 mars 2015, que les clauses de droit de retour et d’inaliénabilité stipulées dans une donation ne font pas obstacle à l’entrée du bien donné dans la communauté universelle instituée entre un donataire et son épouse (Cass. 1ère civ. 18 mars 2015, n°13-16.567).

Dans cette affaire, des parents avaient consenti à leurs deux fils une donation portant sur la moitié en pleine propriété d’un local et stipulant une clause de droit de retour assorti d’une interdiction d’aliéner.

Par suite, l’un des donataires cède à son frère ses droits indivis dans le local, de sorte que celui-ci se retrouve seul propriétaire de la moitié du local initialement donné par ses parents.

Ces derniers décident, un peu après, de faire don à leurs deux fils de la nue-propriété de l’autre moitié du local tout en se réservant l’usufruit.

Quelques années plus tard, l’un des donataires, celui qui avait reçu de son frère des droits indivis sur la première moitié du local (en pleine propriété), procède à un changement de régime matrimonial.

Alors qu’il était marié sous le régime de la séparation de biens, il opte pour le régime de la communauté universelle.

Peu de temps après, avec sa mère et son épouse, il décide de consentir sur le local un bail commercial.

Il divorcera néanmoins 10 ans plus tard. Son épouse réclamera alors le versement du ¼ du montant des loyers perçus, ce qui correspond à la quote-part des droits qu’elle détiendrait sur le local donné à bail en sa qualité de coindivisaire.

Cette dernière soutient, en effet, que, en raison de la communauté universelle instituée entre elle et son époux, la donation qui lui a été consenti par ses parents serait tombée en communauté, en conséquence de quoi, elle serait fondée, au titre du partage des biens communs, à en réclamer la moitié.

Dans un arrêt du 25 octobre 2012, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence fait droit à la demande de l’épouse au motif que les clauses de droit de retour et d’inaliénabilité affectant les droits du donataire sur le local ne faisaient pas obstacle à l’entrée de ceux-ci dans la communauté universelle.

Dans son arrêt du 18 mars 2015, la Cour de cassation valide, sans réserve, la position adoptée par les juges du fond, décision qu’il y a lieu d’approuver.

En effet, la clause de retour consiste, pour mémoire, à prévoir que, en cas de prédécès du donataire sans descendance, le bien donné doit être restitué au donateur.

Lorsque cette clause est assortie d’une interdiction d’aliéner, elle a pour effet d’obliger le donataire à conserver le bien donné dans son patrimoine.

Est-ce suffisant pour que la donation, lorsqu’elle est consentie au profit d’un époux marié sous le régime de la communauté universelle, échappe à l’attraction de la communauté ?

La Cour de cassation répond par la négative à cette question. L’enseignement qui peut être retiré de cette décision, c’est que pour que l’exclusion du bien soit opérante, elle doit être expressément stipulée dans la libéralité, ce qui n’était pas le cas dans l’affaire en l’espèce.

II) La composition passive de la communauté

S’agissant de la composition passive de la communauté, il y a lieu de distinguer, selon que l’on se trouve au stade de l’obligation à la dette ou au stade de la contribution.

Pour rappel, la distinction entre l’obligation à la dette et la contribution à la dette permet de répondre à la double question :

  • Quelle masse active de biens répond de la dette contractée par un époux et qui donc constitue le gage des créanciers ?
  • Quelle masse active de biens doit supporter la charge définitive de la dette, une fois le créancier désintéressé ?

La première question est traitée dans le cadre de l’obligation à la dette, tandis que la seconde question intéresse la contribution à la dette.

A) L’obligation à la dette

1. Principe

Sous le régime de la communauté universelle c’est le principe de corrélation entre actif et passif qui préside à la répartition des dettes.

Dans la mesure où, sous ce régime, la communauté comprend tous les biens présents et à venir, le passif qu’elle a vocation à supporter s’étend corrélativement dans les mêmes proportions.

Ainsi, conformément à l’article 1526, al. 2e du Code civil, entrent en communauté au stade de l’obligation (mais également au stade de la contribution), toutes les dettes des époux présentes et futures.

Quant aux dettes souscrites au cours du mariage, parce que leur sort n’est pas réglé par le régime de la communauté universelle, il y a lieu de se reporter à l’article 1497 du Code civil qui prévoit que « les règles de la communauté légale restent applicables en tous les points qui n’ont pas fait l’objet de la convention des parties ».

Aussi, peut-on en déduire que les dettes contractées par les époux au cours du mariage entrent, elles aussi, en communauté.

Pratiquement, cela signifie que le passif commun comprend :

  • D’une part, les dettes contractées par les époux avant la célébration du mariage
  • D’autre part, les dettes contractées par les époux au cours du mariage
  • Enfin, les dettes grevant les biens reçus par les époux par voie de libéralité

Aussi, toutes ces dettes susceptibles de naître du chef de chaque époux pourront être poursuivies :

  • En premier lieu, sur les biens propres et les revenus de l’époux souscripteur
  • En second lieu, sur l’intégralité de la masse commune

Il peut être observé que, au plan de l’obligation à la dette, il ne peut exister de dette qui soit purement personnelle ou purement commune.

En effet, faute pour la communauté d’être dotée de la personnalité juridique, les dettes communes seront toujours exécutoires sur les biens propres de l’époux qui a engagé les biens communs.

Aussi, n’existe-t-il pas de dette commune qui ne puisse être poursuivie que sur la seule masse commune, tout autant qu’il n’est pas de dette personnelle qui soit exécutoire sur les seuls biens propres.

2. Exclusions

Par le jeu du renvoi opéré à l’article 1497 du Code civil, les dettes contractées au cours du mariage par les époux mariés sous la communauté universelle sont soumises aux règles du régime légal.

Il en résulte que le gage des créanciers communs est susceptible de se voir réduit notamment par application des articles 1414 et 1415 du Code civil.

Tandis que la première disposition exclut du périmètre de ce gage les gains et salaires du conjoint, la seconde confère un statut particulier aux dettes de cautionnement et d’emprunt.

==> L’exclusion des gains et salaires du conjoint

L’article 1414, al. 1er du Code civil prévoit que « les gains et salaires d’un époux ne peuvent être saisis par les créanciers de son conjoint que si l’obligation a été contractée pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, conformément à l’article 220. »

Il ressort de cette disposition que les gains et salaires sont exclus du gage des créanciers pour les dettes nées du chef d’un époux.

Deux raisons majeures ont conduit le législateur à poser cette exclusion :

  • Première raison
    • Les gains et salaires permettent aux époux de subvenir à leurs besoins primaires et essentiels, en particulier alimentaires
    • Admettre que le conjoint du débiteur puisse être privé de la jouissance de ses revenus professionnels serait revenu à faire courir le risque au ménage de se retrouver sans ressources, alors même que cette situation est le fait d’un seul époux
  • Seconde raison
    • La libre disposition des gains et salaires vise à garantir aux époux une indépendance professionnelle.
    • S’il était dès lors admis que le conjoint du débiteur puisse se voir saisir ses gains et salaires, c’est son droit d’exercer librement une profession qui s’en serait trouvée menacé

Pour ces deux raisons, les gains et salaires sont donc insaisissables, à tout le moins lorsque la dette est née du chef d’un époux.

Il est indifférent que cette dette soit de nature contractuelle, délictuelle ou légale. Ce qui importe c’est qu’elle ait été souscrite :

  • D’une part, au cours du mariage
  • D’autre part, par un époux seul
  • Enfin, qu’elle n’intéresse pas l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants

Si ces trois conditions sont réunies, les gains et salaires du conjoint sont exclus du gage du créancier.

Encore faut-il que l’on s’entende sur la notion de gains et salaires. L’article 1414, al. 1er du Code civil vise en effet :

  • Soit, les gains et salaires qui ne sont autres que la rémunération perçue en contrepartie d’un travail fourni
  • Soit, Les créations matérielles et immatérielles qui sont le produit d’une activité commerciale, artisanale, libérale ou artistique

En dehors de ces rémunérations perçues à titre professionnel, tous les biens communs sont compris dans le gage du créancier pour les dettes nées du chef d’un époux, en ce inclus les revenus de propres.

Ces revenus ne sont autres que les fruits procurés à un époux par un bien qui lui appartient en propre.

Pour le propriétaire d’un immeuble, il s’agira de percevoir les loyers qui lui sont réglés par son locataire. Pour l’épargnant, il s’agira de percevoir les intérêts produits par les fonds placés sur un livret. Pour l’exploitant agricole, il s’agira de récolter le blé, le maïs ou encore le sésame qu’il a cultivé.

La question s’est alors posée de savoir si cette catégorie de revenus devait être traitée de la même manière que les gains et salaires, dans la mesure où, depuis un arrêt Authier rendu par la Cour de cassation dans un arrêt du 31 mars 1992, il est admis qu’ils tombent en communauté (Cass. 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-17212).

D’aucuns ont pu le soutenir que, comme les revenus du travail, les revenus de biens propres font l’objet d’une gestion exclusive par l’époux, de sorte qu’ils devraient être soumis aux mêmes règles.

Reste que, l’article 1414 du Code civil vise expressément les gains et salaires à la différence, par exemple, de l’article 1411 du Code civil qui, s’agissant des dettes antérieures, intègrent dans le gage des créanciers les revenus sans distinguer s’il s’agit de gains et salaires ou de revenus de propres.

Cette différence de rédaction, conduit à adopter une interprétation restrictive de l’article 1411 du Code civil et donc à exclure du gage des créanciers les seuls gains et salaires pour les dettes nées du chef d’un époux.

==> Le statut particulier des dettes d’emprunt et de cautionnement

L’article 1415 du Code civil qui prévoit que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ou un emprunt, à moins que ceux-ci n’aient été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. »

Il ressort de cette disposition que lorsque la dette née du chef d’un conjoint consiste, soit en un emprunt, soit en un cautionnement, la dette n’est pas exécutoire sur les biens communs.

Ainsi est-ce pour un cantonnement du gage des créanciers aux seuls revenus du souscripteur de l’emprunt ou du cautionnement que le législateur a opté en 1985. Le principe ainsi énoncé est, non pas une règle de pouvoir, mais bien de passif.

En effet, l’article 1415 du Code civil ne retire, ni ne limite les prérogatives dont sont investis les époux. Ces derniers demeurent libres de souscrire, sans le consentement de l’autre, un emprunt ou un cautionnement.

Cette faculté relève de la gestion concurrente, le législateur ayant écarté la cogestion pour cette catégorie d’actes. La raison en est qu’il a souhaité préserver le crédit du ménage et l’indépendance professionnelle des époux.

Pour assurer la protection du patrimoine de la famille, c’est donc une règle de passif qui a été adoptée et plus précisément une règle qui intéresse l’obligation à la dette.

Le gage consenti aux créanciers est le même que celui dont bénéficient les créanciers titulaires d’une dette contractée avant le mariage ou se rattachant à une succession ou une libéralité, à la différence près toutefois que ce gage n’est pas figé.

Le dispositif prévu par l’article 1415 présente la particularité d’opérer une distinction selon que l’emprunt ou le cautionnement ont été ou non contractés avec le consentement du conjoint.

  • Lorsque ce consentement a été donné, les biens communs sont réintégrés dans le gage des créanciers.
  • Lorsque, en revanche, il fait défaut, quand bien même l’engagement d’emprunt ou de cautionnement a été pris dans l’intérêt de la famille, la dette ne sera exécutoire que sur les revenus du débiteur.

S’agissant de l’application de l’article 1415 aux époux mariés sous le régime de la communauté universelle, la question s’est posée dans la mesure où, en l’absence d’accord du conjoint, la règle énoncée cantonne le gage des créanciers aux biens propres et aux revenus du souscripteur.

Or sous le régime de la communauté universelle, la masse formée par les biens propres est réduite, faute de stipulation contraire, aux seuls biens propres par nature, ce qui, en pratique, revient à rendre nul le gage des créanciers.

L’argument n’a toutefois pas emporté la conviction de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 3 mai 2000 l’a rejeté.

Au soutien de cette décision, elle a affirmé que « les dispositions de l’article 1415 du Code civil sont impératives et applicables aux époux mariés sous un régime de communauté universelle ; qu’en l’absence de consentement exprès de l’épouse aux engagements d’aval souscrits par le mari, ce dernier ne pouvait engager les biens communs par de telles garanties » (Cass. 1ère civ., 3 mai 2000, n° 97-21.592).

B) La contribution à la dette

L’article 1526 du Code civil prévoit que « la communauté universelle supporte définitivement toutes les dettes des époux, présentes et futures. »

Il ressort de cette disposition que le passif définitif qui échoit à la communauté comprend :

  • D’une part, les dettes contractées par les époux avant la célébration du mariage
  • D’autre part, les dettes contractées par les époux au cours du mariage
  • Enfin, les dettes grevant les biens reçus par les époux par voie de libéralité

À cet égard, il peut être observé que l’exclusion de certains biens de la communauté, soit par convention matrimoniale, soit par la loi est sans effet sur l’étendue du passif qui doit être supporté par la communauté. Tel est le cas notamment, des dettes susceptibles de grever les biens propres par nature[1].

Tout au plus, la prise en charge par la communauté d’une dépense finançant l’acquisition, l’amélioration ou l’entretien d’un bien propre d’un époux lui ouvrira droit à récompense.

Les seules dettes qui doivent être exclues du passif définitif supporté par la communauté, sont, selon les auteurs, celles résultant de la commission d’infractions pénales et plus généralement de faits illicites volontaires ou involontaires.

La raison en est qu’un époux ne doit pas être contraint de supporter les conséquences pécuniaires des agissements de son conjoint[2].

[1] V. en ce sens F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°456, p.361

[2] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand colin, 2001, n°691, p. 643.

1 Comment

  1. Que se passe-t-il lorsque les époux ont signé tous les deux le bail commercial. Est-ce que là aussi les dettes de l’un sont les dettes de l’autre.
    En mon cas il s’agissait d’un bail commercial pour une carrosserie qui a pollué le site. Si l’exploitant lui-même ne fait rien sa femme doit-elle assumer elle aussi la pollution


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