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Gestion de l’actif commun: le régime de la gestion conjointe ou cogestion

Parce qu’il est certains actes dont l’accomplissement est susceptible d’avoir de lourdes conséquences pour le patrimoine commun, le législateur a estimé qu’il y avait lieu de les soumettre à une gestion conjointe.

Comme énoncé par l’alinéa 3 de l’article 1421 du Code civil, la gestion conjointe porte exception au principe de gestion concurrente.

En 1804, le domaine de cette modalité d’administration des biens communs était circonscrit par l’ancien article 1422 du Code civil aux seuls actes de disposition entre-vifs à titre gratuit accompli au profit de personnes autres que les enfants communs et portant sur les immeubles de la communauté ou l’universalité ou une quotité du mobilier.

La loi du 22 septembre 1942 a, par suite, étendu la gestion conjointe à toute donation ayant pour objet les biens communs, avant que la loi du 13 juillet 1965 n’y inclût certains actes à titre onéreux.

Vingt ans plus tard, le législateur a souhaité parachever la réforme qu’il avait engagé en 1965, l’objectif recherché étant de supprimer les dernières marques d’inégalité dont étaient encore empreintes certaines dispositions.

Dans ce contexte, il a saisi l’occasion pour la toiletter les règles énoncées aux articles 1422, 1424 et 1425 du Code civil qui contraignaient le mari à obtenir le consentement de son épouse pour l’accomplissement des actes relevant de la gestion conjointe.

Si la loi du 23 décembre 1985 n’a apporté aucune modification sur le fond du dispositif, sur la forme elle a « bilatéralisé » les règles qui instituent une gestion conjointe.

Cette bilatéralisation s’est traduite en substance par l’abandon de la formule « le mari ne peut sans le consentement de la femme » à laquelle on a substitué la formule « les époux ne peuvent l’un sans l’autre ».

La gestion conjointe, qualifiée encore de cogestion, implique ainsi que l’accomplissement d’un acte procède d’un commun accord entre les époux, étant précisé que leurs consentements respectifs sont mis sur un pied d’égalité.

Si ce système permet de contraindre les époux à se concerter avant d’agir, sa mise en œuvre est difficilement compatible avec le fonctionnement du ménage.

Pour les actes de la vie courante, les époux doivent pouvoir agir seul, soit sans avoir à solliciter systématiquement l’accord du conjoint, faute de quoi le ménage ne peut pas fonctionner efficacement, car paralysé par un excès de formalisme.

C’est pour cette raison, que la gestion conjointe n’a pas retenu par le législateur comme mode de gestion ordinaire.

Reléguée au rang d’exception, elle n’a vocation à intervenir que pour un nombre très limité d’actes déterminés par la loi.

À l’analyse, deux critères ont guidé le législateur dans son entreprise d’établissement de la liste des actes soumis à la gestion conjointe :

  • La valeur patrimoniale du bien
  • La gravité de l’acte

Afin d’appréhender le dispositif de la gestion conjointe dans toutes ses composantes, nous nous focaliserons d’abord sur son domaine, puis sur son fonctionnement et enfin son contrôle.

Section 1: Le domaine de la gestion conjointe

§1: Les actes à titre gratuit entre vifs

I) Principe

L’article 1422 du Code civil prévoit que « les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, disposer entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté. »

Cette disposition soumet ainsi à la gestion conjointe des époux les donations portant sur un élément d’actif de la communauté.

Pour rappel, plusieurs éléments caractérisent une donation :

  • Un contrat
    • La donation s’analyse tout d’abord en un contrat, en ce que sa conclusion requiert un accord des volontés
    • Le donateur consent une libéralité à un donataire qui doit l’accepter
    • C’est là une distinction majeure avec le legs qui consiste en un acte unilatéral dont la validité est subordonnée à l’expression d’une volonté solitaire
  • Un contrat à titre gratuit
    • La donation constitue un acte à titre gratuit en ce que l’une des parties (le donateur) procure à l’autre (le donataire) un avantage sans attendre ni recevoir de contrepartie.
    • La donation forme ainsi avec le legs la catégorie des libéralités.
    • Par libéralité, il faut entendre l’acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d’une autre personne
  • Un contrat à titre gratuit entre vifs
    • La donation est un acte conclu entre vifs, car le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte.
    • La libéralité ainsi consentie produit ses effets du vivant du donateur.
    • C’est là une autre différence majeure avec le legs qui est un acte de disposition à cause de mort et qui donc ne produit ses effets qu’au décès du testateur.

Dès lors que ces éléments constitutifs de la donation sont réunis, l’acte de disposition qui porte sur des biens communs requiert le consentement des deux époux.

Faute de précision dans le texte, il n’y a pas lieu d’opérer des distinctions entre les donations.

Aussi, la forme de la donation est indifférente : il peut tout autant s’agir d’une donation établie par acte authentique qu’un don manuel. Il en va de même pour le bénéficiaire qui peut être un tiers, un enfant commun du couple marié, voire le conjoint.

Il importe peu, également, que la donation soit ostensible ou déguisée ou encore qu’elle soit directe ou indirecte.

À cet égard, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 5 juillet 1988 que le bail consenti par un époux à un tiers à vil prix relevait de la cogestion en application de l’article 1422 du Code civil (Cass. 1ère civ. 5 juill. 1988, n°87-11.116).

Ce qui importe, ce n’est donc pas la qualification qu’un époux a entendu donner à l’acte, mais bien la réalité économique de l’opération.

Si cette opération répond aux critères de la donation, alors l’article 1422 trouve à s’appliquer et l’acte relève du domaine de la gestion conjointe.

II) Tempéraments

Certains actes à titre gratuit conclus entre vif échappent à la cogestion au nombre desquels figurent :

  • La donation de gains et salaires
  • La donation de présents d’usage
  • La souscription de contrats d’assurance vie
  • La souscription de cautionnements

A) La donation de gains et salaires

==> Exposé de la problématique

Bien que les textes soient silencieux sur la nature des gains et salaires, la jurisprudence a admis qu’ils devaient être inscrits à l’actif de la communauté (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 8 févr. 1978, n°75-15.731).

Par gains et salaires, il faut entendre de façon générale les rémunérations provenant du travail, soit les salaires, les traitements, les honoraires, les émoluments, les bénéfices commerciaux ou non commerciaux ou encore les gains de jeux.

Parce que les gains et salaires constituent des biens communs, ils ne devraient pouvoir faire l’objet d’une donation que dans les conditions fixées par l’article 1422 du Code civil, soit selon les règles de la cogestion.

L’application de cette disposition à la donation de gains et salaires ne soulèverait pas de difficulté, si l’article 223 du Code civil ne suggérait pas le principe inverse en conférant aux époux le pouvoir de percevoir et de disposer librement de leurs gains et salaires après s’être acquitté des charges du mariage.

Aussi, quel texte doit-il primer sur l’autre ? Comment résoudre le conflit entre, d’un côté, l’article 1422 dont l’application conduit à retenir la cogestion pour la donation de gains et salaires et, d’un autre côté, l’article 223 qui pour tous les actes de dispositions portant sur cette même catégorie de biens institue une gestion exclusive ?

Cette solution n’est pas sans avoir ouvert un débat en doctrine qui a, par suite, été tranché par la jurisprudence.

==> Exclusion du domaine de la cogestion de la donation de gains et salaires

Dans un arrêt du 29 février 1984, la Cour de cassation a validé la décision d’une Cour d’appel qui avait admis que la donation de gains et salaires ne relevait pas du domaine de la cogestion (Cass. 1ère civ. 29 févr. 1984, n°82-15.712).

Au soutien de cette décision elle affirme que « chaque époux a le pouvoir de disposer de ses gains et salaires, à titre gratuit ou onéreux, après s’être acquitté de la part lui incombant dans les charges du mariage ».

Si la première chambre civile ne se prononce pas directement ici sur le régime applicable à la donation de gains et salaires, elle affirme néanmoins que l’article 223 du Code civil, qui confère aux époux le pouvoir de librement percevoir et disposer de leurs gains et salaires, n’opère aucune distinction selon que l’acte de disposition est accompli à titre onéreux ou à titre gratuit.

Il en a alors été déduit que cette disposition était pleinement applicable à la donation de gains et salaires.

La position adoptée par la Cour de cassation ne peut qu’être approuvée dans la mesure où les règles du régime primaires, dont relève l’article 223, doivent toujours primer les règles spéciales propres à un régime matrimonial peu importe qu’il soit légal ou conventionnel.

Reste que cette position n’est pas sans soulever une difficulté tenant à l’identification des gains et salaires.

En effet, la donation de biens communs échappe à la cogestion qu’autant qu’elle ne porte qu’elle porte sur des gains et salaires.

Dès lors que les revenus ont été employés à l’acquisition d’un nouveau bien, l’article 1422 redevient applicable, de sorte que la donation d’un bien acquis au moyen de gains et salaires requiert le consentement des deux époux.

Il en va de même des gains et salaires qui ont été économisés.

==> Sort des gains et salaires économisés

Dans l’arrêt du 29 février 1984, la Cour de cassation relève que les gains et salaires, qui avaient fait l’objet d’une donation, n’avaient pas été économisés (Cass. 1ère civ. 29 févr. 1984, n°82-15.712).

Pour la doctrine, la haute juridiction a entendu signifier par cet élément de motivation de sa décision, que dès lors que les gains et salaires font l’objet d’une thésaurisation, ils se transforment en acquêts ordinaires et que, par voie de conséquence, l’article 223 n’est plus applicable.

La donation de gains et salaires économisés serait donc soumise à cogestion.

Incertaine pendant un temps, cette solution a été explicitement affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 20 novembre 2019 aux termes duquel elle a jugé que « ne sont pas valables les libéralités consenties par un époux commun en biens au moyen de sommes provenant de ses gains et salaires lorsque ces sommes ont été économisées » (Cass. 1ère civ. 20 nov. 2019, n°16-15.867).

Afin de déterminer le régime applicable à la donation de gains et salaires il y a donc lieu de distinguer deux situations :

  • Les gains et salaires n’ont pas été économisés
    • Dans cette hypothèse, la donation de gains et salaires ne relève pas du domaine de la cogestion
    • La règle conférant aux époux le pouvoir de disposer librement, tant à titre gratuit, qu’à titre gratuit, de leurs revenus professionnels prime la règle qui requiert l’accord des deux époux pour les donations de biens communs
  • Les gains et salaires ont été économisés
    • Dans cette hypothèse, la donation des économies provenant des revenus des époux est soumise à cogestion.
    • Cette fois-ci, c’est l’article 1422 du Code civil qui prime l’article 223 du Code civil
    • La violation de cette règle est sanctionnée par la nullité de l’acte.

Si la règle énoncée par la Cour de cassation est limpide dans son principe, elle n’est pas sans soulever une difficulté – de taille – quant à sa mise en œuvre.

En effet, la notion d’économie n’étant définie par aucun texte, comment déterminer la date à compter de laquelle les gains et salaires se transforment en acquêts ordinaires ?

Dans son arrêt du 20 novembre 2019, la Cour de cassation n’apporte aucune réponse à cette question, ce dont on peut se désoler.

Faut-il considérer que les gains et salaires se transforment en acquêts ordinaires à partir du moment où ils sont inscrits sur un compte bancaire ? Cette situation se rencontrera néanmoins, en pratique, presque systématiquement,

Doit-on se focaliser, au contraire, sur la volonté de l’époux d’économiser ses revenus ? Comment, toutefois, établir cette volonté ? Doit-elle être présumée lorsque lesdits revenus ne sont pas consommés dans un certain délai ? Mais alors, quel délai retenir ? Et l’on en revient à la question initiale relative à la détermination de la date de transformation des revenus perçus en revenus économisés.

De l’aveu même d’André Colomer la définition de la notion d’économie se laisse difficilement appréhender.

Aussi, est-ce la raison pour laquelle des auteurs ont suggéré une autre approche pour identifier les revenus saisissables.

D’aucuns ont proposé de faire une application, par analogie, de la règle énoncée à l’article 1414 du Code civil.

Cette disposition prévoit que les gains et salaires d’un époux ne peuvent être saisis par les créanciers de son conjoint.

Le montant de la somme insaisissable est toutefois plafonné par l’alinéa 2 du texte qui, pour la détermination de ce plafond, renvoie au décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d’exécution.

Aux termes de l’article 48 de ce décret, lequel a été codifié par le décret n°2012-783 du 30 mai 2012 à l’article R. 162-9 du Code des procédures civiles d’exécution, lorsqu’un compte, même joint, alimenté par les gains et salaires d’un époux commun en biens, fait l’objet d’une mesure d’exécution forcée ou d’une saisie conservatoire pour le paiement ou la garantie d’une créance née du chef du conjoint, il est laissé immédiatement à la disposition de l’époux commun en biens une somme équivalant, à son choix :

  • au montant des gains et salaires versés au cours du mois précédant la saisie ;
  • au montant moyen mensuel des gains et salaires versés dans les douze mois précédant la saisie.

La règle ainsi posée présente indéniablement l’avantage d’énoncer un critère objectif et précis d’identification des gains et salaires.

Ces derniers s’identifient donc par leur montant. Dès lors que le montant des sommes déposées sur un compte bancaire alimenté par des rémunérations du travail (ou substituts) est inférieur à un mois de salaire, ces sommes sont insaisissables.

En revanche, lorsque le plafond est dépassé, le surplus d’argent inscrit en compte est considéré comme un acquêt ordinaire et peut, à ce titre, faire l’objet d’une saisie.

L’application du critère énoncé par l’article 1414 du Code civil dans le cadre de la mise en œuvre du droit de poursuite des créanciers personnelles d’un époux permettrait manifestement de surmonter la difficulté tenant à détermination du seuil à partir duquel il y a lieu de considérer que les gains et salaires ont été économisés et que, par voie de conséquence, leur donation est soumise à cogestion.

Dans un arrêt du 17 février 2004, la Cour de cassation a néanmoins jugé que le cantonnement prévu par l’article 1414, alinéa 2, du Code civil, qui protège les gains et salaires d’un époux commun en biens contre les créanciers de son conjoint n’est pas applicable à une saisie qui serait pratiquée sur un fondement différent (Cass. 1ère civ. 17 févr. 2004, n°02-11039).

Il s’évince de cet arrêt que la solution énoncée à l’article 1414 du Code civil n’est pas transposable à d’autres situations et notamment à celle envisagée par l’article 223 du Code civil.

Dans ces conditions, et en l’état de la jurisprudence, il y a lieu de considérer que le critère posé par l’article 1414 du Code civil ne permet pas de déterminer dans quelle proportion les époux peuvent librement disposer de leurs gains et salaires.

Face à cette incertitude, certains auteurs suggèrent de distinguer selon les gains et salaires sont déposés sur le compte courant de l’époux ou placés sur un placement à moyen ou long terme.

À cet égard, dans un arrêt du 14 janvier 2003, la Cour de cassation a estimé que les valeurs inscrites sur un compte-titre et sur un plan épargne logement constituaient des acquêts ordinaires, quand bien même ces supports de placement avaient exclusivement été alimentés par des gains et salaires (Cass. 1ère civ. 14 janv. 2003, n°00-16.078).

Dans un arrêt du 22 octobre 1980, la Cour de cassation a encore jugé que la souscription de bons de caisse faisait perdre aux revenus investis leur statut particulier (Cass. 1ère civ. 22 oct. 1980, n°79-14.138).

Aussi, se transforment-ils en acquêts de droit commun, ce qui, pour l’époux souscripteur, implique qu’il perde son pouvoir de gestion exclusive et donc sa liberté d’en disposer à titre gratuit.

Dans l’arrêt du 20 novembre 2019, ce qui semble avoir conduit la Cour de cassation à estimer que les fonds qui avaient fait l’objet d’une donation « étaient devenus des économies et ne constituaient donc plus des gains et salaires » est vraisemblablement leur placement, pour une partie sur un contrat d’assurance-vie, pour l’autre partie, sur un compte titre (Cass. 1ère civ. 20 nov. 2019, n°16-15.867).

Reste à savoir si elle aurait retenu la même solution, s’ils avaient seulement été placés sur un compte de dépôt. Cette question n’a, pour l’heure, toujours pas été tranchée par la jurisprudence.

B) La donation de présents d’usage

Bien que l’article 1422 du Code civil n’en fasse nullement mention, il est admis que les donations de présents d’usage ne relèvent pas du domaine de la cogestion.

Par présents d’usage, il faut entendre les cadeaux susceptibles d’être offerts par un époux dans diverses circonstances à un membre de sa famille, à un ami, à un collègue etc.

Cette dérogation portée au principe de cogestion des donations de biens communs n’est admise qu’autant que la valeur du présent d’usage est modeste, à tout le moins raisonnable.

Le caractère raisonnable du montant du cadeau s’appréciera en fonction non seulement des ressources du ménage, mais encore des circonstances dans lesquelles la libéralité est intervenue.

Les époux ne bénéficieront pas de la même latitude, selon que le présent d’usage a été offert à un ami proche ou à une connaissance éloignée.

Il est par ailleurs peu probable que les juges fassent montre de tolérance dans l’hypothèse où la libéralité serait consentie par un époux à l’occasion d’une relation adultère.

C) Les présomptions de pouvoirs

Autre tempérament au principe de cogestion pour les donations portant sur des biens communs : les règles instituant des présomptions de pouvoirs conférant aux époux la faculté de disposer librement, à titre individuel, de certains biens.

Tel est le cas des présomptions instituées en matière bancaire et mobilière.

  • S’agissant de la présomption de pouvoir instituée en matière bancaire
    • L’article 221, al. 2e du Code civil prévoit que « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »
    • Est ainsi instituée une présomption de pouvoir au profit de l’époux titulaire d’un compte ouvert en son nom personnel qui l’autorise à accomplir toutes opérations sur ce compte, sans qu’il lui soit besoin de solliciter l’autorisation de son conjoint.
    • Pratiquement, cette présomption dispense le banquier d’exiger la fourniture de justifications s’agissant des dépôts et des retraits qu’un époux est susceptible de réaliser sur son compte personnel.
    • Plus précisément, elle a pour effet de réputer l’époux titulaire du compte « avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »
    • Le texte n’opérant aucune distinction entre les actes à titre onéreux et les actes à titre gratuit, il est admis que la présomption ainsi instituée prime sur l’article 1422 qui pose un principe de cogestion pour les donations de biens communs.
    • Aussi, lorsque des fonds communs sont déposés sur le compte personnel d’un époux, celui-ci est investi d’un pouvoir exclusif sur ces fonds.
    • Il est donc libre d’en disposer à titre gratuit sans que son conjoint ne puisse s’y opposer ou exiger du banquier qu’il lui octroie un quelconque pouvoir sur elles.
  • S’agissant de la présomption de pouvoir instituée en matière mobilière
    • L’article 222 du Code civil prévoit que « si l’un des époux se présente seul pour faire un acte d’administration, de jouissance ou de disposition sur un bien meuble qu’il détient individuellement, il est réputé, à l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte. »
    • Est ainsi instituée une présomption de pouvoir en matière mobilière, laquelle n’est autre que le corollaire de la présomption qui joue en matière bancaire.
    • Concrètement, cela signifie que la responsabilité du tiers ne saurait être recherchée au motif qu’il n’aurait pas exigé de l’époux avec lequel il a traité des justifications sur ses pouvoirs.
    • Les époux sont réputés, à l’égard des tiers, avoir tous pouvoirs pour accomplir les actes d’administration, de jouissance et de disposition sur les biens meubles qu’ils détiennent individuellement.
    • Là encore, le texte ne distingue pas selon que l’acte est accompli à titre onéreux ou à titre gratuit.
    • Il en résulte que lorsqu’un époux consent à un tiers une donation portant sur un meuble commun, l’acte n’encourt pas la nullité dès lors que le donataire est de bonne foi, étant précisé que, en matière civile, la bonne foi est toujours présumée ( 2274 C. civ.).
    • C’est là une autre dérogation au principe de cogestion posé par l’article 1422 du Code civil applicable aux actes de disposition à titre gratuit portant sur les biens communs.

D) La souscription de contrats d’assurance vie

Lorsqu’un époux souscrit un contrat d’assurance vie et qu’il désigne une personne avec laquelle il n’entretient aucun rapport à titre onéreux, cette opération s’analyse comme une donation indirecte.

Est-ce dire qu’elle tombe sous le coup de l’article 1422 du Code civil ? Autrement dit, l’acte de souscription requiert-il pour être valable l’accord des deux époux ?

Lorsque les primes d’assurance ont été réglées au moyen de deniers communs, il devrait être répondu par l’affirmative à cette question.

À cet égard, la Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 26 mai 1982 aux termes duquel elle a jugé que « l’affectation par avance d’une quote-part des revenus professionnels du mari a la constitution d’un capital à son profit ou à celui de son épouse avait créé contre la compagnie d’assurances une créance de la communauté dont le mari ne pouvait disposer librement à titre gratuit » (Cass. 1ère civ. 26 mai 1982, n°81-11.853).

Pour la première chambre civile, qui dans cette décision censurait les juges du fonds, la souscription d’un contrat d’assurance-vie relèverait bien du domaine de la cogestion.

Reste que cette position n’a pas emporté l’adhésion de la Cour de d’appel de renvoi qui, par un arrêt du 10 décembre 1984, a adopté la solution inverse.

Pour les juges du fond, la libéralité consentie par l’époux souscription du contrat d’assurance-vie consiste non pas en l’attribution au bénéficiaire du capital garanti, mais en l’affectation de ses gains et salaires au règlement des primes d’assurance.

Cette nuance quant à l’objet de la libéralité est déterminante. En effet, l’opération qui résulte de la souscription d’un contrat d’assurance vie se décompose très schématiquement en deux temps :

  • Premier temps
    • Le souscripteur règle des primes d’assurance dont le montant est prévu au contrat et qui donnent lieu à la constitution d’un capital garanti
  • Second temps
    • En cas de réalisation de l’événement prévu au contrat, l’assureur verse le capital garanti au bénéficiaire de l’assurance

Ainsi, lorsqu’un époux affecte ses gains et salaires dans le cadre de la souscription d’un contrat d’assurance vie, la libéralité consentie porte bien sur la prise en charge, au profit du tiers bénéficiaire, des primes d’assurance.

Le versement du capital garanti n’est, quant à lui, qu’une créance due par l’assureur au tiers désigné dans la clause bénéficiaire.

Parce que les époux sont libres de disposer librement, à titre gratuit, de leurs gains et salaires, la Cour d’appel d’Amiens en a déduit dans son arrêt du 10 décembre 1984, que le règlement des primes d’assurance n’était pas soumis à cogestion (CA Amiens, 10 déc. 1984).

Cette position adoptée par les juges du fond en contrepoint de la position prise par la première chambre civile a été approuvée par l’Assemblée plénière qui, dans un arrêt du 12 décembre 1986.

Au soutien de sa décision, elle a affirmé que, en application de l’article L. 132-12 du Code des assurances, la créance sur la compagnie, née en raison du décès du mari a été acquise au seul profit des bénéficiaires désignés en dernier lieu, de sorte que l’article 1422 du Code civil n’était pas applicable (Cass. ass. plén. 12 déc. 1986, n°84-17.867).

Autrement dit, pour la Cour de cassation, l’attribution du capital garanti au tiers bénéficiaire en exécution du contrat d’assurance vie ne procède nullement de l’emploi de derniers communs par un époux.

Le versement résulte seulement du règlement d’une créance détenue par le bénéficiaire du contrat contre l’assureur.

Au fond, la donation indirecte de biens communs consentie ici échappe à la cogestion dans la mesure où le capital versé au bénéficiaire ne provient pas de la masse commune.

Le seul mouvement de valeurs qui mobilise des derniers communs, c’est celui qui résulte du règlement des primes d’assurance. Or ce règlement est effectué au moyen de gains et salaires dont l’époux souscripteur a la libre disposition.

E) La souscription de cautionnements

Il est des cas où la souscription d’un cautionnement est susceptible de s’analyser en une libéralité.

Il en va notamment ainsi lorsque la caution se porte garante du débiteur principal sans percevoir, en contrepartie, une quelconque rémunération.

Faut-il voir dans cet acte de cautionnement une libéralité qui, dès lors, tomberait sous le coup de l’article 1422 du Code civil ?

Une réponse affirmative à cette question devrait conduire à subordonner la validité d’un tel cautionnement à l’accord des deux époux.

Dans un arrêt du 21 novembre 1973 la Cour de cassation a refusé d’emprunter cette voie.

Elle a, en effet, estimé que « le cautionnement emporte obligation de la caution mais non dessaisissement immédiat et définitif d’un élément patrimonial, qu’il ne constitue donc pas un acte de disposition à titre gratuit tombant sous le coup de la prohibition édictée par l’article 1422 du code civil » (Cass. 1ère civ. 21 nov. 1973, n°71-12.662).

Ainsi, pour la première chambre civile, parce que le cautionnement n’opère pas de dessaisissement immédiat et définitif d’un élément d’actif, il ne saurait s’apparenter à un acte de disposition.

Dans ces conditions, il n’est pas soumis à cogestion, laquelle ne s’applique qu’aux actes de disposition à titre gratuit.

Plus tard, dans un arrêt du 12 mai 1982, la Cour de cassation a apporté un tempérament à sa position en jugeant que ce n’est que lorsque la caution renonce à exercer tout recours contre le débiteur principal que l’engagement de caution réalise alors une donation indirecte, car procède d’une intention libérale (Cass. 1ère civ. 12 mai 1982, n°81-11.446).

Est-ce à dire que l’article 1422 du Code civil redevient applicable et que l’acte de cautionnement est, dans cette hypothèse, soumis à cogestion ? La doctrine est partagée sur ce point.

Certains auteurs voient dans l’acte de renonciation à l’exercice de recours contre le débiteur principal un dessaisissement immédiat et définitif d’un élément patrimonial, lequel dessaisissement se concrétisera au jour de l’appel en garantie[1]. L’article 1422 serait donc pleinement applicable.

D’autres auteurs réfutent cette approche et soutiennent que la souscription d’un cautionnement, quelles que soient ses modalités, n’est jamais soumise à cogestion car ne s’analysant pas en un acte de disposition[2].

À supposer que l’on adhère à cette dernière thèse, ce qui revient à admettre qu’un cautionnement-libéralité puisse être valablement souscrit par un seul époux, la communauté ne serait pas laissée sans protection.

En effet, il y a lieu de compter sur l’article 1415 du Code civil qui a été institué par la loi du 23 décembre 1985 en vue de prévenir les conséquences financières que représente la souscription d’un cautionnement pour le ménage.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que lorsqu’un époux souscrit un engagement de caution de son propre chef, en cas de réalisation de la garantie, la dette de cautionnement ne peut être poursuivie que sur les biens propres et les revenus du souscripteur.

Les biens communs sont ainsi placés hors de portée du créancier, ce qui, à l’analyse, rend le dispositif institué par l’article 1422 superfétatoire. L’application des deux textes (art. 1422 et 1415) conduit au même résultat : la préservation des intérêts de la communauté.

Cette situation n’a pas échappé à la doctrine majoritaire. Elle en a tiré la conséquence qu’il convenait d’écarter le jeu de l’article 1422 en cas de souscription d’un cautionnement par un époux animé d’une intention libérale. Cette disposition s’efface au profit d’une application de l’article 1415.

§2: Les actes à titre onéreux

Bien que les actes à titre onéreux soient, en application de l’article 1421, al. 1er du Code civil, soumis au principe de gestion concurrente, certains d’entre eux échappent à la règle.

En raison de leur gravité ou de la valeur du bien sur lequel ils portent, leur accomplissement requiert le consentement des deux époux, faute de quoi ils encourent la nullité.

Les actes à titre onéreux soumis au principe de cogestion sont expressément visés par les articles 1422, al. 3e, 1424 et 1425 du Code civil.

I) Les actes visant à aliéner certains biens ou à les grever de droits réels

L’article 1424, al. 1er du Code civil prévoit que « les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté, non plus que les droits sociaux non négociables et les meubles corporels dont l’aliénation est soumise à publicité. Ils ne peuvent, sans leur conjoint, percevoir les capitaux provenant de telles opérations. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’elles portent sur les biens visés par le texte, les actes d’aliénation et de constitution de droits réels sont soumis au principe de cogestion.

A) Les biens visés

Plusieurs catégories de biens sont visées par l’article 1424, al. 1er du Code civil. Ces biens présentent la particularité de constituer un élément d’actif important pour le ménage, soit parce que, intrinsèquement, ils sont pourvus d’une grande valeur économique, soit parce qu’ils sont de nature à procurer à la cellule familiale des revenus de subsistance,

1. Les immeubles

L’article 517 du Code civil dispose que « les biens sont immeubles, ou par leur nature, ou par leur destination, ou par l’objet auquel ils s’appliquent. »

Ainsi existe-t-il trois catégories d’immeubles dont il ressort, à l’analyse, que l’immeuble se caractérise par sa fixité, en ce sens qu’il ne peut pas être déplacé contrairement aux meubles qui se caractérisent par leur mobilité.

  • Les immeubles par nature
    • L’article 518 du Code civil dispose que « les fonds de terre et les bâtiments sont immeubles par leur nature.»
    • La catégorie des immeubles par nature, qui repose sur le critère physique, comprend donc le sol et tout ce qui est fixé au sol
      • Le sol: par sol il faut entendre le fonds de terre, ce qui comprend, tant la surface du sol, que le sous-sol
      • Tout ce qui est fixé au sol: il s’agit de :
        • D’une part, toutes les constructions qui sont édifiées sur le sol ou dans le sous-sol (bâtiments, canalisations, les piliers ou poteaux fixés par du béton, ponts, barrage etc.)
        • D’autre part, tous les végétaux (arbres, plantes, fleurs etc), avec cette précision que s’ils sont détachés du sol ils deviennent des meubles (art 520 C. civ.)
    • La jurisprudence a eu l’occasion de préciser qu’il est indifférent que la chose soit fixée au sol à titre provisoire ou définitif. En tout état de cause, dès lors qu’elle adhère au sol elle est constitutive d’un immeuble par nature.
    • Quoi qu’il en soit, les immeubles par nature relèvent du domaine de l’article 1424 du Code civil.
    • Il s’agit de biens qui, pour la plupart, possèdent une importante valeur économique.
    • C’est la raison pour laquelle le législateur a estimé que les actes de disposition accomplis sur cette catégorie de biens devaient être soumis à cogestion
  • Les immeubles par destination
    • À la différence des immeubles par nature qui sont déterminés par un critère physique, les immeubles par destination reposent sur la volonté du propriétaire.
    • Il s’agit, plus précisément, de biens qui, par nature, sont des meubles, mais qui sont qualifiés fictivement d’immeubles en raison du lien étroit qui les unit à un immeuble par nature dont ils constituent l’accessoire.
    • Tel est le cas, par exemple, du bétail affecté à un fonds agricole et qui donc, par le jeu d’une fiction juridique, est qualifié d’immeuble par destination.
    • L’objectif recherché ici est de lier le sort juridique de deux biens dont les utilités qu’ils procurent sont interdépendantes.
    • Par la création de ce lien, il sera, dès lors, beaucoup plus difficile de les séparer ce qui pourrait être fortement préjudiciable pour leur propriétaire.
    • Ainsi, des biens affectés au service d’un fonds, devenus immeubles, ne pourront pas faire l’objet d’une saisie par un tiers indépendamment du fonds lui-même.
    • La question se pose de l’inclusion des immeubles par destination dans le périmètre de l’article 1424 du Code civil.
    • Tandis que, pour certains, l’aliénation séparée du meuble affecté au service d’un immeuble par nature ferait cesser l’immobilisation, pour d’autres l’immobilisation par destination survivrait à l’aliénation.
    • Selon cette dernière thèse, la séparation des deux biens ne ferait donc pas obstacle à l’application du principe de cogestion, ne serait-ce que parce que l’immeuble par destination est pourvu, a priori, d’une valeur économique importante.
    • À l’examen, la doctrine est partagée sur cette question.
    • Quant à la jurisprudence, elle ne s’est toujours pas prononcée.
  • Les meubles par anticipation
    • La catégorie des meubles par anticipation est pure création jurisprudentielle. Cette catégorie comprend tous les biens qui sont des immeubles par nature, mais qui, dans un futur proche, ont vocation à être détachés du sol (V. en ce sens 3e civ. 4 juill. 1968).
    • Par anticipation, ils peuvent ainsi d’ores et déjà être qualifiés de biens meubles. Tel est le cas notamment des récoltes vendues sur pied, des coupes de bois avant abattage ou encore des matériaux à provenir de la démolition d’une maison.
    • Tout dépend de la volonté des parties qui déterminent, à l’avance, le statut que le bien aura à l’avenir.
    • L’intérêt d’anticiper la qualification de biens initialement immobiliers est de dispenser le propriétaire, s’il souhaite vendre, d’accomplir toutes les formalités exigées en matière de vente d’immeuble.
    • La vente d’un immeuble ne peut, en effet, être réalisée qu’au moyen d’un acte authentique. Elle doit encore faire l’objet de formalités de publicité.
    • Parce que le régime juridique attaché à la vente des immeubles est particulièrement lourd, la jurisprudence a considéré que certains biens pouvaient ne pas y être assujettis ; d’où la création de la catégorie des meubles par anticipation.
    • S’agissant de l’application au principe de cogestion aux meubles par anticipation, la doctrine majoritaire s’accorde à dire que cette catégorie de biens est exclue de son domaine d’application.
    • Pour les auteurs, il s’agit de biens qui ont vocation à être cédés en leur nature future de meubles.
    • Dans ces conditions, ils échappent au régime de l’article 1424 du Code civil, à la faveur du principe de gestion concurrente énoncé par l’article 1421.

2. Les fonds de commerce et exploitations

L’article 1424, al. 1er du Code civil intègre dans le périmètre de la cogestion les fonds de commerce et les exploitations qui dépendent de la communauté.

Si la définition des premiers est désormais bien établie, plus difficile est l’appréhension de la notion d’exploitation.

Il conviendra, par ailleurs, d’envisager séparément la situation du conjoint qui collabore à l’activité de celui qui est à la tête, soit d’un fonds de commerce, soit d’une exploitation.

==> Les fonds de commerce

Selon la définition couramment admise, le fonds de commerce est un ensemble de d’éléments mobiliers corporels (matériel, marchandises, outils,) et incorporels (droit au bail, brevets, nom commercial) qui sont affectés à l’exploitation d’une activité commerciale.

Parce qu’un fonds de commerce est une universalité de fait, il constitue un bien qui se distingue des éléments qui le composent.

S’agissant de l’application de l’article 1424 du Code civil il y a lieu de distinguer selon l’acte de disposition consiste ou non en une aliénation ou en la constitution d’une sûreté réelle.

  • L’acte de disposition consiste en une aliénation ou en la constitution d’une sûreté réelle
    • Dans cette hypothèse, afin de déterminer si l’article 1424, al. 1er du Code civil s’applique, il y a lieu de distinguer selon que l’acte de disposition porte sur le fonds de commerce pris dans sa globalité ou selon qu’il porte sur l’un de ses éléments
      • L’acte de disposition porte sur le fonds de commerce pris dans sa globalité
        • Lorsque l’acte de disposition porte sur le fonds de commerce pris dans sa globalité, soit en tant qu’universalité de fait, l’application de l’article 1424 ne soulève aucune difficulté.
        • Cet acte de disposition est soumis au principe de cogestion, de sorte que l’accord des deux époux est systématiquement requis.
      • L’acte de disposition porte sur un ou plusieurs éléments du fonds de commerce
        • Dans cette hypothèse, l’application de l’article 1424 du Code civil interroge.
        • Subordonner l’accord des deux époux pour les actes de disposition de chaque élément du fonds de commerce serait de nature à porter atteinte à l’indépendance professionnelle de l’époux qui exploite ce fonds de commerce.
        • Vendre des marchandises, du matériel d’exploitation ou encore un brevet peut s’apparenter à un acte de gestion courante du fonds.
        • Dans ces conditions, la mise en œuvre du principe de cogestion serait de nature à entraver le fonctionnement de l’exploitation commerciale.
        • C’est la raison pour laquelle la jurisprudence a tendance à admettre que ce type d’acte échappe à la cogestion.
        • Lorsque, en revanche, l’acte porte sur un élément essentiel du fonds de commerce, un élément nécessaire à son existence, l’article 1424 du Code civil redevient applicable.
        • Tel pourra être le cas lorsque l’aliénation porte sur la clientèle, le droit au bail ou encore une autorisation administrative d’exploitation.
        • Dès lors que l’élément cédé est indispensable à l’exploitation du fonds, le consentement des deux époux est requis (V. en ce sens 3e civ. 18 déc. 2002, n°01-03.539).
  • L’acte de disposition ne consiste pas en une aliénation ou en la constitution d’une sûreté réelle
    • Dans cette hypothèse, l’article 1424 n’a pas vocation à s’appliquer en raison de la règle énoncée par l’article 1421 du Code civil.
    • Cette disposition prévoit, en son deuxième alinéa, que « l’époux qui exerce une profession séparée a seul le pouvoir d’accomplir les actes d’administration et de disposition nécessaires à celle-ci.»
    • Lorsque, dès lors, l’acte de disposition ne consiste pas en une aliénation ou en la constitution d’une sûreté réelle, il pourra valablement être accompli du chef de l’époux qui exploite le fonds de commerce.
    • Plus précisément, c’est le principe de gestion exclusive qui a vocation à s’appliquer dans cette hypothèse.
    • L’octroi de ce pouvoir exclusif dont est investi l’époux commerçant participe de la garantie de son indépendance professionnelle.
    • Il s’agit ici de prévenir toute immixtion du conjoint dans l’activité de celui qui exploite un fonds de commerce.
    • Des incursions ne sont admises que dans le strict cadre de l’article 1422 qui circonscrit le périmètre de la cogestion aux seuls actes d’aliénation de constitution de sûretés réelles, pourvu que ces actes portent, a minima, sur des éléments indispensables à l’exploitation du fonds.

==> Les exploitations

En application de l’article 1424, al. 1er du Code civil, les actes de disposition portant sur une exploitation sont donc soumis au principe de cogestion.

Le texte ne définit pas, néanmoins, la notion d’exploitation. Quant à la jurisprudence, elle est également silencieuse, à tout le moins elle ne fournit pas de définition générale.

Pour la doctrine, il s’agit de « toute activité économique indépendante, qu’elle soit commerciale, industrielle, artisanale ou libérale constitue une entreprise donc une exploitation »[3].

L’exploitation consiste, autrement dit une universalité de faits et donc en un ensemble d’éléments mobiliers et immobiliers affectés à l’exercice d’une activité économique.

Par analogie le fonds de commerce, il y a lieu de distinguer selon que l’acte de disposition porte sur l’exploitation prise dans son ensemble, de ceux qui ont pour objet un élément spécifique:

  • S’agissant des actes de disposition portant sur l’exploitation prise dans sa globalité
    • Le principe de cogestion a vocation à s’appliquer en toute hypothèse, pourvu qu’il s’agisse, soit d’une aliénation, soit de la constitution d’une sûreté réelle.
    • En dehors de ces deux hypothèses, l’acte de disposition relève du domaine de l’article 1421, al. 2e du Code civil
    • C’est donc le principe de gestion exclusive qui s’applique, de sorte que l’époux titulaire de l’exploitation est seul investi du pouvoir d’accompli l’acte en question.
  • S’agissant des actes de disposition portant sur un ou plusieurs éléments de l’exploitation
    • Dans cette hypothèse, l’acte de disposition ne sera soumis au principe de cogestion qu’à la condition qu’il porte sur un élément indispensable à l’existence de l’exploitation.
    • Si l’acte consiste en un acte de gestion courante, alors il échappera à la cogestion et sera soumis au principe de gestion exclusive en application de l’article 1421, al. 2e du Code civil.
    • Tel sera le cas, par exemple, d’un acte visant à vendre des marchandises ou de l’outillage.
    • À cet égard, il peut être observé que depuis le célèbre arrêt Woessner du 7 novembre 2000, il est admis que la clientèle civile puisse faire l’objet d’une cession.
    • La Cour de cassation a jugé en ce sens que « si la cession de la clientèle médicale, à l’occasion de la constitution ou de la cession d’un fonds libéral d’exercice de la profession, n’est pas illicite, c’est à la condition que soit sauvegardée la liberté de choix du patient ; qu’à cet égard, la cour d’appel ayant souverainement retenu, en l’espèce, cette liberté de choix n’était pas respectée » ( 1ère civ. 7 nov. 2000, n°98-17731).
    • Dès lors, si la clientèle civile d’une exploitation peut désormais être cédée, parce qu’elle représente un élément patrimonial essentiel, la validité de l’acte de cession n’en reste pas moins subordonnée à l’accord des deux époux.

Au total, les règles applicables au fonds de commerce sont pleinement transposables à l’exploitation.

==> Cas particulier du conjoint de commerçant ou d’exploitant

Lorsque le conjoint d’un commerçant ou d’un artisan a opté pour le statut de conjoint collaborateur au sens de l’article L. 121-4 du Code de commerce, la loi lui confère un pouvoir de représentation du chef de l’entreprise.

L’article L. 121-6 du Code de commerce prévoit en ce sens que « le conjoint collaborateur, lorsqu’il est mentionné au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers ou au registre des entreprises tenu par les chambres de métiers d’Alsace et de Moselle est réputé avoir reçu du chef d’entreprise le mandat d’accomplir au nom de ce dernier les actes d’administration concernant les besoins de l’entreprise. »

À l’analyse, l’octroi de ce pouvoir au conjoint collaborateur, qui s’ajoute à ceux dont il est investi au titre de son régime matrimonial, revient à instaurer un principe de gestion concurrente pour les actes visés par le texte.

Pour les auteurs, il s’agit de tous les actes de gestion courante de l’entreprise, par opposition aux actes dont l’accomplissement est susceptible d’avoir des incidences significatives pour l’exploitation.

Ce pouvoir dont est titulaire le conjoint de l’exploitant n’est toutefois pas absolu.

En effet, une limite semble être tracée par l’article L. 121-5 du Code de commerce qui prévoit que « une personne immatriculée au répertoire des métiers ou un commerçant ne peut, sans le consentement exprès de son conjoint, lorsque celui-ci participe à son activité professionnelle en qualité de conjoint travaillant dans l’entreprise, aliéner ou grever de droits réels les éléments du fonds de commerce ou de l’entreprise artisanale dépendant de la communauté, qui, par leur importance ou par leur nature, sont nécessaires à l’exploitation de l’entreprise, ni donner à bail ce fonds de commerce ou cette entreprise artisanale. Il ne peut, sans ce consentement exprès, percevoir les capitaux provenant de telles opérations. »

Cette disposition pose manifestement une règle qui se rapproche très étroitement celle énoncée par l’article 1424, al. 1er du Code civil en ce qu’elle pose un principe de cogestion pour les actes les plus graves accomplis dans le cadre de la gestion de l’exploitation.

Ainsi, requièrent le consentement des deux époux, tous les actes qui visent à « aliéner ou grever de droits réels les éléments du fonds de commerce ou de l’entreprise artisanale dépendant de la communauté, qui, par leur importance ou par leur nature, sont nécessaires à l’exploitation de l’entreprise ».

Pratiquement, le mandat donné au conjoint couvre les seuls actes qui consistent à acheter ou vendre, dès lors qu’ils relèvent d’une gestion normale de l’entreprise.

Tel ne serait pas le cas de la constitution d’un nantissement de l’exploitation ou d’un élément constitutif de celle-ci (clientèle, marque, brevet etc.), qui donc relève de la cogestion.

En revanche, le renouvellement de stock, le règlement d’une facture, l’acquisition de matières premières relèvent du domaine de la présomption.

3. Les droits sociaux non négociables

L’article 1424, al. 1er du Code civil soumet à cogestion les actes de disposition portant sur « les droits sociaux non négociables ».

Par droits sociaux non négociables, il faut entendre les parts d’intérêt qui représentent un droit dont la titularité est étroitement attachée à la personne de son détenteur.

Selon Estelle Naudin, leur singularité réside dans l’impossibilité pour ces titres sociaux de faire l’objet d’une quelconque « transmission sur un marché financier »[4].

Il s’agit, autrement dit, des parts sociales émises par les sociétés de personnes ainsi que par les SARL.

D’aucuns ont critiqué l’exclusion des droits sociaux négociables du domaine de la cogestion.

Au soutien de leur thèse ils ont avancé que la cession de droits sociaux, qu’ils puissent ou non faire l’objet d’une cotation en bourse, est susceptible de produire les mêmes effets dans les deux cas : l’aliénation d’une entreprise.

L’opération présente ainsi un danger particulier pour le patrimoine du couple lorsque les actions cédées représentent une importante valeur économique.

Bien que séduisant, cet argument n’a pas emporté la conviction de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 28 février 1995, a fait une application stricte de l’article 1424 du Code civil.

Dans cette décision, elle a jugé que « si l’article 1421, alinéa 2, du Code civil autorise l’époux exerçant une profession séparée, à accomplir seul les actes de disposition nécessaires à celle-ci, l’article 1424 du même Code apporte une exception formelle à ce principe, en disposant que les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, aliéner des droits sociaux non négociables » (Cass. 28 févr. 1995, n°95-16.794).

Pour la haute juridiction, le principe de cogestion fait donc échec à l’aliénation par un époux seul de droits sociaux non négociables, quand bien même la cession de ces parts d’intérêt s’inscrirait dans le cadre de l’exercice de l’activité professionnelle d’un époux.

À cet égard, il peut être observé que dans cette décision, la Cour de cassation fait fi de la distinction entre le titre et la finance.

Pour mémoire, il est admis en jurisprudence, que le titre, soit la qualité d’associé, constitue un bien propre, tandis que la finance, soit la valeur économique des droits sociaux, tombe en communauté (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 9 juill. 1991, n°90-12.503 ; Cass. 1ère civ., 10 févr. 1998, n°96-16.735).

Si dès lors, le titre est un bien propre, son aliénation devrait relever, en application de l’article 1428 du Code civil, du pouvoir de gestion exclusif de son titulaire.

Telle n’est pourtant pas la solution qui se dégage de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 28 février 1995, puisque, affirmant que le principe de cogestion avait vocation à s’appliquer, sans faire cas du caractère propre du titre.

On peut en déduire, s’agissant des actes de disposition portant sur des droits sociaux non négociables, que le principe de cogestion posé par l’article 1424, al. 1er du Code civil prime le principe de gestion exclusif énoncé par l’article 1428.

Un arrêt rendu le 12 juin 2014 n’est toutefois pas sans avoir jeté le doute sur cette solution.

Dans cette décision, la Cour de cassation a, en effet, affirmé que « qu’à la dissolution de la communauté matrimoniale, la qualité d’associé attaché à des parts sociales non négociables dépendant de celle-ci ne tombe pas dans l’indivision post-communautaire qui n’en recueille que leur valeur » (Cass. 1re civ., 12 juin 2014, n° 13-16.309).

Si dès lors l’époux titulaire du titre peut disposer seul durant la période post-communautaire des droits sociaux non négociables tombés en indivision, est-ce à dire qu’il était investi du même pouvoir au cours du mariage ?

Si tel est le cas, cela signifierait que le caractère propre des droits sociaux, quant au titre, ferait obstacle à l’application de l’article 1424, al. 1er du Code civil.

Admettre cette solution reviendrait néanmoins à systématiquement neutraliser le principe de cogestion pour les actes de disposition portant sur des droits non négociables, alors même que cette catégorie de biens est expressément visée par le texte.

Pour cette raison, la doctrine majoritaire s’accorde à dire que, en tout état de cause, l’article 1424 s’applique aux droits sociaux non négociables, peu importe que le titre appartienne en propre à un époux.

4. Les meubles corporels dont l’aliénation est soumise à publicité

Derniers biens à relever du domaine de la cogestion : les meubles corporels dont l’aliénation est soumise à publicité.

Ces biens ne sont autres que les navires, bateaux de rivières ou encore les aéronefs. S’agissant des automobiles, l’article 1424 ne leur est pas applicable.

La raison en est que leur aliénation n’est pas soumise à publicité. Ils font certes l’objet d’une immatriculation.

Toutefois, cette formalité relève d’une obligation qui présente un caractère purement administratif.

Son observation ne conditionne donc pas la validité de leur aliénation ; d’où leur exclusion du domaine de la cogestion.

B) Les opérations visées

L’article 1424, al. 1er du Code civil soumet à la cogestion deux sortes d’actes de disposition :

  • L’aliénation
  • La constitution de droits réels

À ces deux catégories d’actes, il convient d’en ajouter une troisième, particulière, ceux visant à percevoir des capitaux.

1. S’agissant des actes d’aliénation

a. Les actes qui relèvent du domaine de la cogestion

La notion d’aliénation n’est définie par aucun texte. Dans son sens général, il s’agit de tout acte qui vise à transférer la propriété d’un bien.

Au nombre des actes d’aliénation, on compte notamment :

  • La vente
  • L’échange
  • L’apport en société

Il est encore admis que la promesse synallagmatique ou unilatérale de vente sont des actes d’aliénation au sens de l’article 1424 du Code civil (V. en ce sens Cass. 3e civ. 5 nov. 1974).

S’agissant du mandat de vendre donné par un époux à un agent immobilier, la question s’est posée de savoir si sa validité était subordonnée à l’accord des deux époux.

Il ressort d’un arrêt du 20 novembre 2013, qu’il y a lieu de distinguer selon que l’époux a consenti au mandataire le mandat de rechercher des acquéreurs ou selon qu’il lui a confié le mandat d’aliéner le bien.

Dans le premier cas, il s’agit d’un mandat d’entremise : le mandataire n’a pas le pouvoir d’agir au nom et pour le compte du mandat, de sorte que celui-ci n’est pas définitivement engagé en cas de conclusion de l’opération

Dans le second cas, il s’agit d’un mandat de vendre : le mandataire est investi du pouvoir d’agir au nom et pour le compte de son mandant qui, dès lors, sera engagé en cas de conclusion du contrat de vente.

Pour la Cour de cassation, le principe de cogestion n’a vocation à s’appliquer que pour les actes ayant pour objet de confier à un intermédiaire un mandat de vendre (Cass. 1ère civ. 20 nov. 2013, n°12-26.128).

Par ailleurs, il a été admis que la conclusion d’un compromis visant à un partage de biens communs ou encore une transaction ayant pour effet de renoncer à un droit de propriété relevaient du domaine de la cogestion (Cass. 1ère civ. 8 févr. 2000, n°97-19.920).

Au fond, ce qui importe c’est que l’acte d’aliénation :

  • D’une part, ait pour objet la transmission de droits réels
  • D’autre part, procède d’une démarche volontaire

b. Les actes qui ne relèvent pas du domaine de la cogestion

S’agissant des actes d’aliénation exclus du domaine de l’article 1424, al. 1er du Code civil, il est admis que le principe de cogestion ne s’applique pas aux aliénations forcées, soit celles qui interviennent

Cette exclusion se justifie par le fait générateur de l’aliénation qui est indépendant de la volonté de l’époux, qui non seulement n’en est pas à l’initiative, mais encore n’a d’autre choix que d’y consentir.

Dans le droit fil de cette exclusion, le principe de cogestion n’a pas vocation à s’appliquer aux actes portant création d’une obligation personnelle, quand bien même l’inexécution de cette obligation est susceptible de conduire à la saisie de biens communs.

Admettre la solution inverse, reviendrait à considérablement fragiliser la situation des créanciers sur lesquels pèserait la menace d’une annulation de l’acte conclu avec un époux seul en raison d’un dépassement de pouvoir.

Afin de préserver les intérêts des tiers qui doivent pouvoir contracter avec un époux seul, sans risquer de voir l’opération conclue remise en cause, le législateur a circonscrit le domaine de l’article 1424 aux actes de disposition volontaires.

Enfin, dans un arrêt du 14 septembre 2017, la Cour de cassation a exclu du domaine de la cogestion l’exercice du droit de rétractation conféré par l’article L. 271-1 du Code de la construction et de l’habitation aux acquéreurs d’un immeuble.

Au soutien de sa décision, elle affirme que la rétractation de l’un des époux emportait celle de l’autre, de sorte que la promesse de vente était caduque (Cass. 3e civ. 14 sept. 2017, n°16-17.856).

À cet égard, dans un arrêt du 9 juin 2012, la Cour de cassation a précisé, s’agissant de la notification prévue par l’article L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation, que lorsqu’elle a été effectuée non par lettres distinctes, adressées à chacun des époux acquéreurs, mais par une lettre unique libellée au nom des deux, « elle ne peut produire effet à l’égard des deux que si l’avis de réception a été signé par chacun des époux ou si l’époux signataire était muni d’un pouvoir à l’effet de représenter son conjoint » (Cass. 3e civ. 9 juin 2010, n°09-15.361).

Faute d’observation de ce formalisme, le délai de rétractation ne saurait courir à l’encontre de l’époux auquel la notification n’a pas été notifiée ou qui n’a pas signé le bordereau de réception.

2. S’agissant des actes de constitution de droits réels

a. Principe général

Les actes de constitution de droits réels sur l’un des biens visés par l’article 1424, al. 1er du Code civil relèvent du domaine de la cogestion.

Pour mémoire, il existe deux catégories de droits réels :

  • Les droits réels principaux
    • Le droit de propriété dans sa plénitude (usus, fructus et abusus)
    • Les démembrements du droit de propriété qui confèrent à leur titulaire une partie seulement des prérogatives attachées au droit de propriété
      • L’usufruit (usus et fructus)
      • L’abusus
      • La servitude (charge établie sur un immeuble, le fonds servant, pour l’utilité d’un autre immeuble dit fonds dominant).
  • Les droits réels accessoires
    • On parle de droits réels accessoires, car ils portent sur une chose, et qu’ils constituent l’accessoire d’un droit personnel qu’ils ont vocation à garantir
      • Exemple: les sûretés réelles : il s’agit des droits consentis à un créancier sur un bien déterminé en garantie d’une dette
      • Exemple: le gage, le nantissement, l’hypothèque

Faute de précision dans le texte, il est indifférent que l’acte de disposition porte sur des droits réels principaux ou accessoires.

Aussi, le principe de cogestion s’applique, tant aux actes qui ont pour objet le démembrement d’un droit de propriété ou à la constitution d’une servitude, qu’aux actes qui visent à donner en garantie un bien commun.

b. Cas particulier des sûretés réelles constituées au profit d’un tiers

S’agissant de la constitution d’une sûreté réelle au profit d’un tiers la question de l’application de l’article 1424 du Code civil n’est pas sans avoir soulevé des difficultés.

En effet, une telle sûreté, qualifiée de cautionnement réel, interroge sur sa nature en raison de son caractère hybride :

  • D’un côté, il s’agit pour un tiers de s’engager à garantir la dette d’un débiteur principal, ce qui rapproche l’opération du cautionnement
  • D’un autre côté, le garant affecte en garantie du paiement de la dette principale, non pas son patrimoine, mais un ou plusieurs biens déterminés, ce qui rapproche cette garantie d’une sûreté réelle

Compte tenu de cette double facette qui caractérise le cautionnement réel, on s’est d’abord interrogé sur la possibilité de le soumettre, par extension, au dispositif prévu par l’article 1415 du Code civil.

La position de la Cour de cassation sur cette question a connu plusieurs évolutions.

==> Première étape

Dans un premier temps, la Cour de cassation a jugé que la règle énoncée par l’article 1415 du Code civil était pleinement « applicable à la caution réelle » (Cass. 1ère civ. 11 avr. 1995, n°93-13.629).

Elle en déduit, dans l’affaire qui lui était soumise, que le nantissement constitué par le mari sur des titres dépendant de la communauté était nul, faute d’avoir obtenu l’accord préalable de son épouse.

En faisant application de l’article 1415 du Code civil, la Première chambre civile assimile donc le cautionnement réel au cautionnement personnel, à tout le moins elle lui applique la même règle.

D’aucuns ont justifié cette position en avançant qu’il y avait lieu de faire application du principe ubi lex non distinguit : là où la loi ne distingue pas, nous ne devons pas distinguer.

Autrement dit, dans la mesure où l’article 1415 du Code civil n’opère aucune distinction, tous les cautionnements seraient visés par le texte. Or le cautionnement réel constituerait une variété à part entière de cautionnement.

Bien que cette solution soit séduisante en ce qu’elle vise à protéger le ménage de l’accomplissement par un époux seul d’actes graves, elle n’est pas à l’abri des critiques.

La position adoptée par la Cour de cassation conduit, en effet, à dénaturer la sanction attachée à la violation de l’article 1415 du Code civil.

Contrairement à ce qui est suggéré par l’arrêt du 11 avril 1995, la règle énoncée par cette disposition consiste, non pas en une règle de pouvoir, mais en une règle de passif.

La conséquence en est que lorsqu’un époux se porte caution sans avoir obtenu, au préalable, l’accord de son conjoint, la sanction devrait être le cantonnement du gage des créanciers.

En aucun cas, le législateur n’a entendu sanctionner la violation de la règle par la nullité de l’acte litigieux.

Il suffit pour s’en convaincre de relire l’article 1415 qui prévoit expressément que « chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus, par un cautionnement ».

Si la sanction consistant à réduire le gage du créancier ne soulève pas de difficulté lorsque l’acte accompli en dépassement des pouvoirs d’un époux est un cautionnement personnel, la mise en œuvre de cette sanction devient bien moins évidente, sinon impossible, en présence d’un cautionnement réel.

  • L’acte accompli en dépassement des pouvoirs d’un époux est un cautionnement personnel
    • Le cautionnement personnel confère un droit de gage général à son bénéficiaire sur le patrimoine de la caution.
    • Pour réduire l’assiette de ce droit de gage, il suffit dès lors d’exclure certains biens de son assiette.
    • C’est ce que prévoit l’article 1415 du Code civil en interdisant le bénéficiaire d’un cautionnement personnel d’exercer ses poursuites sur les biens dépendant de la communauté.
    • Son gage est dès lors cantonné aux seuls biens propres et revenus de la caution.
  • L’acte accompli en dépassement des pouvoirs d’un époux un est cautionnement réel
    • À la différence du cautionnement personnel, le cautionnement réel ne confère aucun droit de gage général à son bénéficiaire sur le patrimoine de la caution.
    • Le gage du créancier se limite aux biens spécifiquement affectés en garantie par la caution.
    • La mise en œuvre de la sanction prévue par l’article 1415 du Code civil se heurte dès lors à l’assiette de ce gage.
    • Cette sanction ne se conçoit, en effet, que s’il peut être procédé à un cantonnement du gage.
    • Par cantonnement, il faut entendre une réduction du gage à hauteur des biens propres et des revenus de la caution.
    • Comment néanmoins atteindre cet objectif lorsque l’assiette de la garantie comprend un ou plusieurs biens communs déterminés, ce qui correspond à la situation du cautionnement réel ?
    • Dans cette hypothèse, le cantonnement du gage revient à priver le créancier de tout droit sur les biens de la caution.
    • C’est la raison pour laquelle, en jugeant que l’article 1415 du Code civil s’appliquait au cautionnement réel, la Cour de cassation n’avait d’autre choix que d’en tirer la conséquence que, en cas de dépassement par un époux de ses pouvoirs, la sanction applicable devait être la nullité de l’acte.

Au bilan, si la solution retenue dans l’arrêt du 11 avril 1995 se justifie à certains égards pour les raisons ci-avant exposées, elle n’en reste pas moins critiquable en ce qu’elle conduit à dénaturer la sanction prévue par l’article 1415 du Code civil.

La Première chambre civile n’est manifestement pas restée insensible aux critiques émises par une frange importante de la doctrine puisque, quelques années plus tard, elle est revenue sur sa position, à tout le moins lui a apporté un ajustement.

==> Deuxième étape

Par trois arrêts rendus en date du 15 mai 2002, la Cour de cassation a jugé que si « le nantissement constitué par un tiers pour le débiteur est un cautionnement réel soumis à l’article 1415 du Code civil », le créancier n’en reste pas moins autorisé à exercer ses poursuites sur les biens propres et les revenus de la caution.

Plus précisément, elle affirme dans cette décision que « dans le cas d’un tel engagement consenti par un époux sur des biens communs, sans le consentement exprès de l’autre, la caution, qui peut invoquer l’inopposabilité de l’acte quant à ces biens, reste seulement tenue, en cette qualité, du paiement de la dette sur ses biens propres et ses revenus dans la double limite du montant de la somme garantie et de la valeur des biens engagés, celle-ci étant appréciée au jour de la demande d’exécution de la garantie ; qu’ainsi l’arrêt est légalement justifié » (Cass. 1ère civ. 15 mai 2002, n°00-15.298).

À l’analyse, la Première chambre civile raisonne ici en deux temps :

  • Premier temps
    • La Cour de cassation réaffirme sa position adoptée dans l’arrêt du 11 avril 1995 : l’article 1415 du Code civil s’applique au cautionnement réel.
  • Second temps
    • La mise en œuvre de la sanction prévue par l’article 1415 du Code civil consiste, en présence d’un cautionnement réel, à :
      • D’un côté, rendre inopposable à la communauté et au conjoint l’acte de constitution de la sûreté réelle accompli en dépassement des pouvoirs d’un époux
      • D’un autre côté, inclure dans le gage du créancier les biens propres et les revenus de l’auteur de l’acte dénoncé à concurrence de la valeur du bien donné en garantie

Comme relevé par les auteurs, il se dégage de la solution retenue par la Cour de cassation « une conception double du cautionnement réel, composé à la fois d’une sûreté réelle et d’un engagement personnel »[1].

Selon cette conception, le cautionnement réel aurait pour effet, outre la constitution d’une sûreté sur le bien donné en garantie, de créer un engagement personnel au profit du créancier qui, faute de pouvoir exercer ses poursuites sur le bien grevé, pourrait les rediriger vers la caution qui donc serait tenue sur son patrimoine.

Cette approche présente indéniablement l’avantage de concilier la sanction prévue par l’article 1415 du Code civil, qui consiste à cantonner le gage du créancier, avec la particularité du cautionnement réel dont l’assiette se limite à un ou plusieurs biens déterminés.

Bien que séduisante, là encore la solution retenue par la Cour de cassation n’est pas totalement satisfaisante. Elle fait fi, en effet, du caractère exprès du cautionnement personnel.

L’ancien article 2292 du Code civil, devenu l’article 2294 prévoyait que « le cautionnement ne se présume point, il doit être exprès ».

Autrement dit, pour que les biens propres et les revenus de la caution réelle puissent être inclus dans le gage du créancier, encore faut-il que l’époux souscripteur de la garantie ait expressément donné son accord.

Certes il a agi en dépassement de ses pouvoirs. Si toutefois l’on admet que le créancier est investi d’un droit de gage général sur le patrimoine de l’époux caution, c’est que l’on considère que ce dernier est, d’une certaine façon, tenu au titre d’un cautionnement personnel.

Or la conclusion de cette variété de cautionnement requiert un engagement exprès de la caution.

Pour cette raison, les arrêts rendus par la Cour de cassation ont été vivement critiqués par une doctrine quasi unanime.

Si, dans un premier temps, la Chambre commerciale a adhéré à la solution adoptée par la Première Chambre civile (V. en ce sens Cass. com. 13 nov. 2002, n°95-18.994), son ralliement fut de courte durée.

Moins d’un an plus tard, la Chambre commerciale, dans une affaire où l’application de l’article 1415 n’était pas en cause, est revenue à une conception classique du cautionnement réel.

Dans un arrêt du 24 septembre 2003, elle a jugé en ce sens que « le nantissement d’un fonds de commerce consenti en garantie de la dette d’un tiers est une sûreté réelle qui n’a pas pour effet de faire peser sur le propriétaire du fonds une obligation personnelle au paiement de cette dette » (Cass. com. 24 sept. 2003, n°00-20.504).

Pour la chambre commerciale, la conclusion d’un cautionnement réel n’emporte donc pas création d’un engagement personnel de la caution, ce qui dès lors interdit au créancier d’exercer ses poursuites sur un bien autre que celui donné en garantie.

==> Troisième étape

En réaction à la divergence de positions qui s’était installée entre la Première chambre civile et la Chambre commerciale, la Cour de cassation s’est réunie en chambre mixte aux fins de définitivement trancher le débat.

À cet égard, par un arrêt rendu le 2 décembre 2005, elle a considéré « qu’une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui et n’étant pas dès lors un cautionnement » (Cass. ch. Mixte, 2 déc. 2005, n°03-18.210).

Il ressort de cette décision que la chambre mixte ne retient finalement aucune des solutions qui avaient été adoptées par les deux chambres en conflit.

Elle opère, au contraire, un revirement de jurisprudence en refusant de faire application de l’article 1415 du Code civil au cautionnement réel.

Pour la Cour de cassation, cette garantie ne saurait être assimilée au cautionnement personnel, seul visé par le texte. Elle évite d’ailleurs soigneusement de la désigner sous le nom de « cautionnement réel ». Elle lui préfère le qualificatif de « sûreté réelle ».

Les auteurs ont interprété cette éviction du terme « cautionnement réel » comme traduisant la volonté de la Cour de cassation de le « bannir de l’arsenal des concepts juridiques »[2].

Ainsi, pour la haute juridiction, la garantie consistant à affecter un bien déterminé au paiement préférentiel de la dette d’un tiers, ne présenterait aucun caractère hybride. Elle s’analyserait en une simple sûreté réelle. Les règles du cautionnement lui seraient dès lors inapplicables.

La doctrine en a déduit que la position adoptée par la Cour de cassation pour l’application d’article 1415 du Code civil devait être transposée à l’article 1424.

Le cautionnement réel, appartenant à la même catégorie que les sûretés – réelles – visées par l’article 1424 du Code civil, il est soumis au principe de cogestion.

Le législateur donnera, un an plus tard, raison à la doctrine, en ajoutant un second alinéa à l’article 1422 du Code civil. Cette nouvelle disposition prévoit que les époux « ne peuvent […] l’un sans l’autre, affecter l’un de ces biens à la garantie de la dette d’un tiers. »

Le législateur est ainsi venu confirmer que la protection du patrimoine familial contre un cautionnement réel qui aurait été souscrit par un époux seul devait être assurée, non pas par une règle de passif, mais par une règle de pouvoir et plus précisément par le principe de cogestion.

À cet égard, il peut être observé que le champ d’application de l’article 1422, al. 2e du Code civil est plus large que celui de l’article 1424, al. 1er .

En effet, tandis que cette dernière disposition ne s’applique qu’aux seuls biens visés par le texte (immeubles, fonds de commerce, droits sociaux non négociables et meubles dont l’aliénation est soumise à publicité), l’article 1422 s’applique à tous les biens.

Aussi, lorsqu’un bien est affecté en garantie de la dette d’un tiers, le domaine de la cogestion s’étend aux biens meubles et aux valeurs mobilières. C’est là le véritable intérêt du texte.

3. S’agissant des actes de perception de capitaux

L’article 1424, al. 1er in fine prévoit que les époux « ne peuvent, sans leur conjoint, percevoir les capitaux provenant de telles opérations », soit celles consistant à « aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté, non plus que les droits sociaux non négociables et les meubles corporels dont l’aliénation est soumise à publicité ».

Il ressort de cette disposition que l’accord des deux époux n’est pas seulement requis pour l’accomplissement des actes d’aliénation et de constitution de droits réels visés par le texte, il est également exigé pour l’acte de perception des capitaux qui proviennent de ces opérations.

Par perception, il faut entendre selon Gérard Cornu « l’opération qui consiste à recueillir certains biens, notamment des revenus, suivant des modes variables (encaissement d’une somme d’argent en espèces, réception d’un chèque, inscription au crédit d’un compte, etc.) et qui, matériellement ou comptablement réalise l’entrée du bien perçu dans le patrimoine percepteur »[5].

Le plus souvent, l’acte de perception consistera à encaisser des fonds en paiement en règlement d’une créance.

Aussi, pour exemple, en cas de vente d’un immeuble commun, l’encaissement du produit de la vente ne sera valable que si les deux époux y ont consenti.

L’instauration d’un principe de cogestion pour les actes de perception de capitaux se justifie par le souci de protection des époux qui doivent être en mesure de contrôler les encaissements réalisés par leur conjoint.

Il en résulte que, pour les tiers, le paiement ne sera libératoire que dès lors qu’ils ont obtenu l’accord des deux époux.

À défaut, en application de l’article 1427 du Code civil, le paiement sera nul et comme le dit l’adage : qui paye mal, paye deux fois.

Dans un arrêt du 30 octobre 2006, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « lorsqu’un époux commun en biens a perçu sans l’autre les capitaux provenant de l’aliénation de droits sociaux non négociables dépendant de la communauté et que l’autre époux demande un second paiement, il appartient à celui qui a payé, afin de s’y soustraire, de démontrer que la communauté a profité du paiement irrégulier » (Cass. 1ère civ. 30 oct. 2006, n°03-20.589).

Seule solution pour le tiers d’échapper à un double paiement : établir que la communauté a tiré avantage du paiement réalisé entre les mains d’un époux sans l’accord de son conjoint.

II) Le transfert d’un bien commun dans un patrimoine fiduciaire

L’article 1424, al. 2e du Code civil prévoit que les époux « ne peuvent, l’un sans l’autre, transférer un bien de la communauté dans un patrimoine fiduciaire. »

Cette disposition est issue de la loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, laquelle a étendu le domaine de la fiducie introduite en droit français par la loi, n° 2007-211 du 19 février 2007.

Cette opération est définie à l’article 2011 du Code civil comme « l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires. »

La fiducie, qui repose sur la conclusion d’un contrat synallagmatique, comporte deux grandes obligations :

  • Tout d’abord, le constituant doit transférer le droit de propriété qu’il détient sur un bien à son cocontractant, le fiduciaire
  • Ensuite, le fiduciaire s’engage réciproquement, d’une part, à gérer ledit bien et, d’autre part, à le restituer, soit au fiduciant, soit à un autre bénéficiaire préalablement désigné par lui, à une échéance précisée (date ou événement, tel qu’un décès, un défaut ou un appel à garantie).

Quant au bénéficiaire, il n’est pas partie au contrat ; il se trouve dans une situation semblable au tiers bénéficiaire d’une stipulation pour autrui.

Par la conclusion du contrat fiduciaire, le constituant transfère les droits et les choses mobilières ou immobilières au fiduciaire, qui en acquiert la pleine titularité.

S’il transmet ces mêmes droits à un tiers, même à titre gratuit, ce dernier devient alors à son tour propriétaire. Par voie de conséquence, le constituant et le bénéficiaire ne peuvent exciper que de droits de nature personnelle, sous forme d’une créance de restitution.

Le fiduciaire ne peut néanmoins agir que dans la limite des conditions fixées par le contrat. Dès lors, ses actes sont susceptibles d’engager sa responsabilité en cas d’irrespect des objectifs fixés lors de la constitution de la fiducie.

Lorsqu’elle a été introduite en droit français par la loi du 19 février 2007, le constituant ne pouvait être qu’une personne morale soumise l’impôt sur les sociétés.

La loi du 4 août 2008 a étendu cette faculté à toutes les personnes morales et physiques.

Aussi, une personne mariée sous le régime légal est désormais autorisée à constituer un patrimoine fiduciaire.

S’agissant du fiduciaire, soit la personne récipiendaire du patrimoine fiduciaire, il ne peut s’agir que d’un établissement de crédit ou d’un avocat (art. 2015 C. civ.).

Compte tenu du danger que cet acte est susceptible de représenter pour le patrimoine familial, le législateur a subordonné sa validité à l’accord des deux époux lorsque l’élément d’actif transféré est un bien commun.

Il est indifférent que ce bien soit un meuble ou un immeuble ; l’article 1424, al. 2e n’opère aucune distinction. Tous les biens sont visés, pourvu qu’ils appartiennent à la masse commune.

D’aucuns ont critiqué le domaine d’application de cette disposition : alors que des valeurs mobilières ou un bien meuble commun sont susceptibles d’être aliénés par un seul époux, l’affectation de ces mêmes biens à un patrimoine fiduciaire est soumise au principe de cogestion.

La différence de traitement ici interroge. Reste que certains justifient cette différence, à raison, en convoquant la règle énoncée à l’article 2025 du Code civil.

Cette disposition prévoit que si le patrimoine fiduciaire ne peut être saisi que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ce patrimoine « en cas d’insuffisance du patrimoine fiduciaire, le patrimoine du constituant constitue le gage commun de ces créanciers ».

Autrement dit, l’époux qui transfère des biens communs dans un patrimoine fiduciaire fait courir le risque à la communauté d’être appelée en garantie dans l’hypothèse où le patrimoine fiduciaire ne serait pas suffisant pour désintéresser les créanciers titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ce patrimoine.

En raison de ce risque qui pèse sur la communauté, le législateur a estimé qu’il y avait lieu de soumettre la fiducie au principe de cogestion.

III) Les actes visant à consentir certains baux

L’article 1425 du Code civil prévoit que « les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal dépendant de la communauté. Les autres baux sur les biens communs peuvent être passés par un seul conjoint et sont soumis aux règles prévues pour les baux passés par l’usufruitier. »

Il ressort de cette disposition que le principe de cogestion est susceptible de s’appliquer en matière de bail.

Son domaine ne se limite pas néanmoins à celui défini par l’article 1425 ; il fait l’objet d’une extension par l’article L. 121-5 du Code de commerce et l’article L. 411-68 du Code rural.

A) La délimitation du domaine de la cogestion par l’article 1425 du Code civil

L’article 1425 du Code civil ne soumet que certains baux au principe de la cogestion.

Ceux qui ne relèvent pas de son domaine d’application sont soumis, précise le texte, au régime des baux conclus par un usufruitier.

==> Les baux qui relèvent du domaine de l’article 1425 du Code civil

L’article 1425 du Code civil soumet au principe de cogestion :

  • D’une part, les baux ruraux
  • D’autre part, les baux portant sur un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal

Pour les autres baux, leur conclusion est donc soumise au principe de gestion concurrente, au même titre que l’accomplissement de n’importe quel acte d’administration, conformément à l’article 1421 du Code civil.

Un doute est né s’agissant de l’application de l’article 1425 du Code civil aux baux ruraux ou commerciaux n’ouvrant pas droit au renouvellement automatique pour le preneur.

Il en va notamment ainsi des conventions d’occupation précaires et, notamment de celles visées par l’article L. 145-5-1 du Code de commerce.

Cette disposition définit la convention d’occupation précaire comme le bail « qui se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l’occupation des lieux n’est autorisée qu’à raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties. »

Ce bail présente la particularité d’avoir une durée qui dépend de la persistance des circonstances qui ont justifié sa conclusion et par l’absence de droit au renouvellement automatique ainsi que le prévoient les articles L. 145-8 et suivants du Code de commerce.

C’est l’absence de cette faculté dont est privé le preneur qui a soulevé la question de l’application du principe de cogestion aux conventions d’occupation précaires.

En, effet, d’aucuns ont soutenu que l’exclusion des baux ruraux et commerciaux du domaine de la gestion concurrente se justifiait précisément par le droit au renouvellement automatique dont ils étaient assortis.

Il est vrai que ce droit octroyé au preneur par une règle d’ordre public réduit considérablement les prérogatives du bailleur sur son bien et donc sa valeur vénale. Il est notamment privé de la possibilité d’en recouvrer l’usage, à tout le moins pas sans contreparties, parfois lourdes.

Est-ce à dire que le principe de cogestion ne serait pas applicable aux conventions d’occupation précaires ?

La doctrine majoritaire réfute cette thèse, considérant que faute de précision textuelle à l’article 1425 du Code civil, il n’y avait pas lieu d’opérer une distinction : ubi lex non distinguit dit l’adage.

Dans ces conditions, il est indifférent que le bail conclu consiste en une convention précaire. Dès lors que le bail porte sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal, il est soumis au principe de cogestion (V. en ce sens Cass. 3e civ. 21 févr. 2001, n°99-14.820).

S’agissant de l’acte en lui-même portant sur le bail, la question s’est posée de savoir si l’article 1425 du Code civil s’appliquait à la seule opération de conclusion du contrat, ou s’il était également applicable à un acte de résiliation.

Pour les auteurs, dans la mesure où l’article 1425 pose une règle qui déroge au principe de gestion concurrente des biens communs, il est d’interprétation stricte.

Aussi, l’accord des deux époux ne serait-il pas requis pour l’accomplissement d’un acte visant à dénoncer le bail, sauf à ce qu’un seul des deux époux endosse la qualité de preneur et que l’exploitation de ce bail soit nécessaire à l’exercice de son activité professionnelle.

Dans cette hypothèse, c’est le second alinéa de l’article 1421 du Code civil qui prendra le relais.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « l’époux qui exerce une profession séparée a seul le pouvoir d’accomplir les actes d’administration et de disposition nécessaires à celle-ci. »

L’acte de résiliation du bail sera donc soumis, ni au principe de gestion conjointe, ni au principe de gestion concurrente, mais au principe de gestion exclusive.

==> Les baux qui ne relèvent pas du domaine de l’article 1425 du Code civil

Les baux qui ne portent pas sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal sont exclus du domaine de l’article 1425 du Code civil.

Tel est notamment le cas des baux d’habitation soumis au régime de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.

Dans un arrêt du 16 mai 2000, la Cour de cassation a encore jugé, au visa des articles 1421 et 1424 du Code civil que « chaque époux peut valablement donner en location-gérance un fonds de commerce dépendant de la communauté » (Cass. 1ère civ. 16 mai 2000, n°98-12.894).

À cet égard, pour les baux qui ne relèvent pas du domaine de l’article 1425 du Code civil, le texte précise qu’ils « peuvent être passés par un seul conjoint et sont soumis aux règles prévues pour les baux passés par l’usufruitier. »

La question qui alors se pose est de savoir quelles sont les règles qui composent le régime applicable aux baux conclus par un usufruitier.

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 595 du Code civil qui prévoit que « l’usufruitier peut jouir par lui-même, donner à bail à un autre, même vendre ou céder son droit à titre gratuit. »

Ainsi, l’usufruitier (un époux) est-il autorisé, par principe, à donner la chose soumise à l’usufruit à bail, sans que le nu-propriétaire (le conjoint) ne puisse s’y opposer.

Toutefois, afin qu’il ne soit pas porté une atteinte excessive aux droits du nu-propriétaire, en l’occurrence le conjoint, qui, en présence d’un bail, va être contraint d’en supporter la charge, le législateur a encadré l’opposabilité des actes accomplis en la matière par l’usufruitier.

  • S’agissant des baux conclus pour une durée égale ou inférieure à neuf ans
    • Le principe posé par l’article 595 du Code civil, c’est que l’usufruitier pour conclure seul ce type de baux, de sorte qu’ils sont parfaitement opposables au nu-propriétaire.
    • Ils auront donc vocation à se poursuivre à l’expiration de l’usufruit sans que le nu-propriétaire puisse s’y opposer.
    • L’alinéa 3 de l’article 595 a néanmoins apporté un tempérament à cette règle en prévoyant que « les baux de neuf ans ou au-dessous que l’usufruitier seul a passés ou renouvelés plus de trois ans avant l’expiration du bail courant s’il s’agit de biens ruraux, et plus de deux ans avant la même époque s’il s’agit de maisons, sont sans effet, à moins que leur exécution n’ait commencé avant la cessation de l’usufruit.».
    • L’objectif visé par cette règle est de limiter les conséquences d’un renouvellement de bail par anticipation.
    • Ainsi, selon qu’il s’agit d’un bail rural ou d’un autre type de bail, le renouvellement du bail ne pourra intervenir que trois ans ou deux avant l’expiration du bail en cours
  • S’agissant des baux conclus pour une durée supérieure à neuf ans
    • Il ressort de l’article 595 du Code civil que lorsque le bail est conclu pour une durée supérieure à 9 ans, il est inopposable au nu-propriétaire.
    • L’alinéa 2e de cette disposition prévoit en ce sens que « les baux que l’usufruitier seul a faits pour un temps qui excède neuf ans ne sont, en cas de cessation de l’usufruit, obligatoires à l’égard du nu-propriétaire que pour le temps qui reste à courir, soit de la première période de neuf ans, si les parties s’y trouvent encore, soit de la seconde, et ainsi de suite de manière que le preneur n’ait que le droit d’achever la jouissance de la période de neuf ans où il se trouve»

B) L’extension du domaine de la cogestion par les articles L. 411-68 du Code rural et L. 121-5 du Code de commerce

==> L’extension du principe de cogestion aux actes visant à mettre un terme au bail rural (art. L. 411-68 C. rur.)

Parce que l’exploitation est l’outil procurant aux exploitants agricoles leurs revenus de subsistance, le législateur a entendu conférer une protection spécifique au bail sur lequel elle est susceptible d’être assise.

À l’instar du logement familial dont les époux ne peuvent disposer l’un sans l’autre en application de l’article 215 du Code civil, l’article L. 411-68 du Code rural institue la même protection pour le bail de l’exploitation agricole, quand bien même le conjoint ne serait pas cotitulaire de ce bail.

Contrairement au bail d’habitation qui assure la jouissance de la résidence de famille, le bail rural ne donne pas lieu à l’extension de sa titularité au conjoint sous l’effet du mariage.

Reste que lorsqu’il est détenu par un seul époux, il demeure soumis à cogestion, le législateur ayant souhaité renforcer les prérogatives du conjoint de l’exploitant agricole quant à la gestion de l’exploitation agricole.

Aussi, l’article L. 411-68 du Code rural prévoit que « lorsque les époux participent ensemble et de façon habituelle à une exploitation agricole, l’époux titulaire du bail sur cette exploitation ne peut, sans le consentement exprès de son conjoint, accepter la résiliation, céder le bail ou s’obliger à ne pas en demander le renouvellement, sans préjudice de l’application de l’article 217 du code civil. »

Il ressort de cette disposition que la validité d’un acte de disposition portant sur un bail rural est subordonnée à l’obtention du consentement exprès de son conjoint.

Le texte étend ainsi considérablement le domaine du principe de cogestion énoncé par l’article 1425 du Code civil, lequel ne s’applique qu’aux seuls actes de conclusion du bail, comme vu précédemment.

L’article 411-68 inclut, en effet, dans le périmètre de la cogestion tous les actes visant à mettre un terme au contrat de bail.

Au surplus, ce texte a vocation à s’appliquer y compris pour les cas où un seul époux est titulaire du bail. C’est d’ailleurs, sa raison d’être. Il a précisément été adopté en vue de procurer une protection au conjoint qui collabore à l’activité du preneur.

==> L’extension du principe de cogestion au bail de fonds de commerce ou de fonds artisanal (art. L. 121-5 C. com.)

L’article L. 121-5 du Code de commerce prévoit que « une personne immatriculée au répertoire des métiers ou un commerçant ne peut, sans le consentement exprès de son conjoint, lorsque celui-ci participe à son activité professionnelle en qualité de conjoint travaillant dans l’entreprise, aliéner ou grever de droits réels les éléments du fonds de commerce ou de l’entreprise artisanale dépendant de la communauté, qui, par leur importance ou par leur nature, sont nécessaires à l’exploitation de l’entreprise, ni donner à bail ce fonds de commerce ou cette entreprise artisanale. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un époux exploite un fonds de commerce ou un fonds artisanal, la conclusion du contrat de bail et notamment de location-gérance portant sur le fonds est soumise au principe de cogestion.

C’est là manifestement une extension de l’article 1425 du Code civil qui n’a vocation à s’appliquer qu’aux seuls baux portant sur des immeubles à usage commercial ou artisanal et non sur des fonds de commerce ou des fonds artisanaux.

Pour que le contrat de location-gérance soit soumis au principe de cogestion, encore faut-il néanmoins qu’il soit établi que le conjoint du commerçant ou de l’artisan collabore à l’exploitation du fonds dont ce dernier est propriétaire.

À défaut, le bail sera soumis au régime des baux conclus par l’usufruitier, conformément à l’article 1425 in fine du Code civil.

Il pourra donc être conclu par l’exploitant du fonds de commerce ou du fonds artisanal sans que le consentement de son conjoint ne soit requis.

Section 2: Le fonctionnement de la gestion conjointe

La gestion des biens communs selon la modalité de cogestion implique que l’accomplissement d’un acte procède d’un commun accord entre les époux, étant précisé que leurs consentements respectifs sont mis sur un pied d’égalité.

Cette exigence est exprimée aux articles 1422, 1424 et 1425 du Code civil par la formule « les époux ne peuvent, l’un sans l’autre ».

Les époux doivent donc tous deux consentir à l’acte qui relève de la gestion conjointe, faute de quoi cet acte encourt la nullité.

Immédiatement, deux questions alors se posent :

  • Sous quelle forme le consentement du conjoint doit-il s’exprimer ?
  • Quelle est la portée du consentement donné par le conjoint de l’époux qui accomplit l’acte ?

I) L’expression du consentement

À l’analyse, les textes sont silencieux sur les modalités d’expression du consentement du conjoint pour les actes soumis au principe de cogestion.

Sous l’empire du droit antérieur, il était seulement exigé que le mari obtienne le consentement de son épouse.

Aujourd’hui il est seulement prévu que « les époux ne peuvent, l’un sans l’autre » sans autre précision.

Faut-il comprendre cette formulation comme posant l’exigence d’une intervention simultanée des époux à l’acte ? Dans l’affirmative, un écrit est-il requis ? L’étude de la jurisprudence relève qu’il n’en est rien.

  • Sur le moment du consentement
    • Il est admis que l’intervention simultanée des époux à l’acte n’est pas requise.
    • La Cour de cassation a eu l’occasion de jugé que le consentement du conjoint pouvait être donné par voie de mandat, soit préalablement à la conclusion de l’acte soumis à cogestion.
    • Elle exige néanmoins que le mandat soit spécial, c’est-à-dire se rapportant à un acte déterminé ( 1ère civ. 29 juin 1983, n°82-13.058).
    • Autrement dit, le consentement donné par le conjoint ne saurait être général et valoir pour tous les actes à venir.
    • Il doit nécessairement être circonscrit à une opération spécifique, expressément décrite dans le mandat établi entre les époux.
    • S’agissant de l’obtention du consentement du conjoint postérieurement à l’établissement de l’acte soumis à cogestion, elle est également admise.
    • La raison en est que la nullité encourue par un acte accompli sans le consentement du conjoint est seulement relative.
    • Il en résulte que cet acte peut être confirmé, ce qui suppose que le conjoint intervienne postérieurement à son établissement et procède à sa ratification.
    • Dans un arrêt du 17 mars 1987, la Cour de cassation a précisé que la ratification de l’acte « peut résulter de tout acte qui implique, sans équivoque, sa volonté de la confirmer» ( 1ère civ. 17 mars 1987, n°85-11.507).
  • Sur l’objet du consentement
    • Le consentement du conjoint ne doit pas seulement porter sur un acte en blanc, il doit également avoir pour objet les termes et conditions de l’opération constatée dans l’acte.
    • Dans un arrêt du 16 juillet 1985, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « le consentement du conjoint […] doit porter non seulement sur le principe de la disposition des droits par lesquels est assure le logement de la famille, mais aussi sur les conditions de leur cession» ( 1ère civ. 16 juill. 1985, n°83-17.393).
    • Au surplus, dans un arrêt du 13 mai 2015, la haute juridiction a ajouté que le conjoint ne devait pas être frappé d’un trouble mental viciant son consentement au moment où il exprime son consentement ( 1ère civ. 13 mai 2015, n°14-14.635).
  • Sur la forme du consentement
    • Les textes étant silencieux sur la forme que devait présenter le consentement du conjoint, la question s’est posée de savoir s’il pouvait être tacite.
    • Dans la mesure où ce consentement doit être spécial, doit-on en déduire qu’il doit nécessairement être exprès ?
    • La Cour de cassation s’est d’abord prononcée sur la forme du consentement exigée s’agissant des actes de disposition portant sur le logement familial.
    • Dans un arrêt du 13 avril 1983, la Cour de cassation a jugé que « l’article 215 du code civil n’exige pas que, pour un acte de nature à priver la famille de son logement, le consentement de chaque conjoint soit constaté par écrit» ( 1ère civ. 13 avr. 1983, n°82-11.121).
    • Cette solution, applicable au principe de codécision énoncé par l’article 215 du Code civil, est-elle transposable au principe de cogestion prévu par les articles 1422, 1424 et 1425 du Code civil ?
    • La doctrine majoritaire y est plutôt favorable.
    • Quant à la jurisprudence, d’aucuns ont convoqué, au soutien de cette thèse, l’arrêt du 17 mars 1987, aux termes duquel la Cour de cassation avait admis que la ratification par le conjoint d’un acte qui avait été passé sans son consentement pouvait « résulter de tout acte qui implique, sans équivoque, sa volonté de la confirmer» ( 1ère civ. 17 mars 1987, n°85-11.507).
    • Si la confirmation d’un acte nul peut être tacite, il doit être admis que son établissement puisse l’être également.
    • Cette analyse a, par suite, été confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 1er février 2017.
    • Dans cette décision, elle a, en effet, estimé que la seule présence d’une épouse à l’acte notarié par lequel son époux a donné à deux de leurs enfants des fonds communs s’assimilait à un consentement dès lors qu’elle ne s’y était pas opposée ( 1ère civ. 1er févr. 2017, n°16-11.599).
    • Il s’infère de cette décision que le consentement du conjoint exigé pour les actes soumis à cogestion pourrait donc être donné tacitement.
    • Est-ce à dire que cela autoriserait un tiers à se prévaloir de la théorie du mandat apparent pour faire échec à une action en nullité engagée par le conjoint qui n’aurait pas expressément manifesté son consentement à l’acte ?
    • Dans un arrêt du 31 mars 2010, la Cour de cassation l’a, semble-t-il, écarté.
    • Dans cette affaire, un époux a cédé à un promoteur immobilier des terrains inscrits qui constituaient des biens communs sans que son épouse ait donné son accord à l’acte de vente.
    • Afin de contraindre le couple à exécuter l’engagement pris par le seul mari, le promoteur se prévaut de sa croyance légitime dans l’existence d’un mandat – apparent – au titre duquel son cocontractant aurait été investi du pouvoir d’agir au nom de son épouse.
    • La première chambre civile rejette l’argument, au motif que « la preuve d’un mandat apparent de l’épouse à son mari ne pouvait résulter de l’attitude passive de celle-ci lors des négociations ayant précédé et suivi la signature de l’acte» ( 1ère civ. 31 mars 2000, n°08-19649).

II) La portée du consentement

Une fois qu’il est établi que le conjoint a donné son accord à un acte soumis à cogestion, la question du consentement n’est pas épuisée.

En effet, le consentement donné a-t-il pour effet d’engager personnellement le conjoint à l’acte ou vaut-il seulement autorisation ?

Selon que l’on retient l’une ou l’autre solution, la situation dans laquelle se retrouve placé le conjoint diffère :

  • La thèse de l’autorisation
    • Dans cette hypothèse, le consentement donné par le conjoint permet seulement de valider l’acte, sans pour autant que celui-ci soit personnellement engagé.
    • Il s’agit donc d’une simple autorisation qui ne confère pas au conjoint la qualité de partie à l’acte.
    • Il en résulte que ses biens propres ne seront pas engagés
  • La thèse de l’engagement personnel
    • Dans cette hypothèse, le consentement donné par le conjoint ne vaut pas seulement autorisation d’accomplir l’acte.
    • Son accord aura pour conséquence de l’engager personnellement à l’acte et donc de lui conférer la qualité de partie.
    • La dette ainsi souscrite pourra alors être poursuivie sur les biens propres du conjoint

À l’analyse, la doctrine préconise l’adoption d’une approche intermédiaire :

Dans la mesure où le principe de cogestion place les époux sur un pied d’égalité, en ce sens qu’ils sont investis de pouvoirs égaux sur les mêmes biens communs, « il n’existe aucune raison de ne pas les considérer comme codonateurs, covendeurs, co-bailleurs »[6].

Reste qu’il est des cas où le conjoint ne souhaitera pas être partie à l’acte. Tel sera notamment le cas pour une donation qui serait consentie par un époux à l’enfant d’un premier lit.

Il ne doit pas être fi de cette situation qui est susceptible de se présenter à plusieurs reprises dans la vie du ménage, bien que, la plupart du temps, parce que les actes soumis à cogestion sont les plus graves, les époux décideront spontanément d’être tous deux parties à l’acte.

Afin d’appréhender les cas où le conjoint ne souhaitera pas être personnellement engagé à l’acte, et ceux où il endossera la qualité de partie, il doit être admis, selon Philippe Simler, que la formule « l’un sans l’autre » puisse avoir « suivant les circonstances et les intentions des parties, une portée différente ».

Pratiquement, en l’absence de précision figurant dans l’acte, il y a lieu de présumer que les époux sont co-auteurs, soit que tous deux sont personnellement engagés à l’acte.

Cette présomption pourrait néanmoins être renversée par la preuve contraire rapportée par le conjoint.

Il lui appartiendra en ce sens d’établir qu’il n’avait nullement l’intention d’endosser la qualité de partie à l’acte et que son accord valait seulement autorisation.

Section 3: Le contrôle de la gestion conjointe

L’article 1427, al. 1er du Code civil prévoit que « si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l’autre, à moins qu’il n’ait ratifié l’acte, peut en demander l’annulation. »

Il ressort de cette disposition que, en cas d’accomplissement d’un acte par un époux en dépassement de ses pouvoirs, cet acte encourt la nullité.

Aussi, lorsqu’un acte soumis au principe de cogestion n’a pas donné lieu à l’accord du conjoint, celui-ci est fondé à en réclamer l’anéantissement.

I) Domaine de la nullité

La nullité prévue par l’article 1427 du Code civil est encourue, à la lecture du texte, par tous les actes accomplissement en dépassement des pouvoirs d’un époux, pourvu que l’acte porte, bien évidemment, sur un bien commun.

Au nombre des actes susceptibles de faire l’objet d’un excès de pouvoir on compte on peut les classer en trois catégories

  • Première catégorie d’actes
    • Il s’agit de tous les actes soumis au principe de cogestion, soit ceux dont l’accomplissement requiert l’accord des deux époux.
    • Tel est le cas :
      • Des actes de disposition à titre gratuit entre vifs ( 1422, al. 1er C. civ.)
      • Des actes visant à affecter un bien commun en garantie de la dette d’un tiers ( 1422, al. 2e C. civ.)
      • Des actes visant à aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté, non plus que les droits sociaux non négociables et les meubles corporels dont l’aliénation est soumise à publicité ( 1424, al. 1er C. civ.)
      • Des actes visant à percevoir les capitaux provenant des opérations ci-dessus énoncées ( 1424, al. 1er in fine C. civ.)
      • Des actes visant à donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal dépendant de la communauté ( 1425 C. civ.)
  • Deuxième catégorie d’actes
    • Cette catégorie recouvre les actes qui relève de la gestion exclusive du conjoint
    • Tel est le cas notamment :
      • Des actes d’administration et de disposition portant sur des biens nécessaires à l’exercice de la profession du conjoint ( 1421, al. 2e C. civ.).
      • Des actes qui portent sur les gains et salaires du conjoint ( 223 C. civ.)
      • Des actes qui portent sur les revenus des propres du conjoint ( 225 et 1428 C. civ.)
      • Des actes accomplis dans le cadre de l’exercice du droit moral dont est titulaire le conjoint sur les œuvres de l’esprit dont il est l’auteur ( L. 121-9 CPI)
  • Troisième catégorie d’actes
    • Il s’agit des actes accomplis par un époux un dépassement des pouvoirs qui lui seraient conférés par un mandat consenti par son conjoint ( 218 C. civ.) ou par une décision judiciaire (art. 217, 219 et 220-1 C. civ.)
    • La sanction de la nullité est également applicable aux actes accomplis par un époux au mépris d’une décision de justice qui lui aurait retiré ses pouvoirs et les aurait transférés à son conjoint ( 1426 C. civ.)

II) Action en nullité

Le régime de l’action en nullité prévue par l’article 1427, al. 1er du Code civil est défini au second alinéa de ce même texte.

La règle énoncée prévoit que « l’action en nullité est ouverte au conjoint pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté. »

Plusieurs enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

==> Titularité de l’action

La nullité prévue par l’article 1427 du Code civil est une nullité relative.

La raison en est que la règle instituée par le texte vise à protéger le conjoint des actes susceptibles d’être accomplis par son époux en dépassement de ses pouvoirs.

Il est, par ailleurs, précisé que l’acte peut donner lieu à ratification postérieure par le conjoint.

Ce sont là autant d’indices qui conduisent à qualifier la nullité prescrite par l’article 1427 de relative.

Il en résulte que l’action qui y est attachée appartient au seul conjoint.

Aussi, ne saurait-elle être exercée :

En revanche, la Cour de cassation a admis dans un arrêt du 6 novembre 2019 que l’action en nullité puisse être exercée par les ayants droit du conjoint.

Elle a jugé en ce sens que « l’action en nullité relative de l’acte que l’article 1427 du code civil ouvre au conjoint de l’époux qui a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, est, en raison de son caractère patrimonial, transmise, après son décès, à ses ayants cause universels » (Cass. 1ère civ. 6 nov. 2019, n°18-23.913).

==> Prescription de l’action

  • Principe
    • L’article 1427, al. 2e du Code civil prévoit expressément que « l’action en nullité est ouverte au conjoint pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté.»
    • L’action en nullité est ainsi enfermée dans un double délai :
      • Premier délai
        • L’action doit être engagée dans le délai de deux ans à compter du jour où le conjoint a découvert l’irrégularité de l’acte
      • Second délai
        • L’action ne peut jamais être engagée au-delà du délai de deux ans à compter de la dissolution du mariage
    • Il résulte de ce dispositif que, dans l’hypothèse où le conjoint déciderait d’agir moins de deux ans à compter de la découverte de l’irrégularité de l’acte, mais passé un délai de deux ans après la dissolution du mariage, l’action sera malgré tout prescrite.
    • Dès lors, une fois l’union matrimoniale dissoute, l’action en nullité devra nécessairement être engagée dans le bref délai de deux ans peu importe la date où le conjoint a pris connaissance de l’acte litigieux.
    • S’il découvre l’irrégularité 18 mois après la dissolution du mariage, il ne lui restera plus que 6 mois pour agir.
    • À l’expiration de ce délai, l’action sera, en tout état de cause, prescrite.
    • Cette règle a été instaurée par le législateur afin de prévenir les contentieux susceptibles de se prolonger dans le temps.
    • La période post-communautaire est un terrain particulièrement fertile aux actions judiciaires entre époux.
    • À cet égard, il peut être observé que le bref délai prévu par l’article 1427 n’est pas un délai préfix. Il s’agit d’un délai de prescription.
    • Il en résulte que le Juge n’est pas tenu de relever d’office la prescription de l’action.
    • Par ailleurs, il est admis que la suspension de la prescription entre époux prévue par l’article 2236 du Code civil n’est pas applicable, à l’action en nullité de l’article 1427 du Code civil.
    • Pour mémoire, le texte prévoit que la prescription extinctive « ne court pas ou est suspendue entre époux, ainsi qu’entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité. »
    • Aussi, cette suspension ne pourra pas faire échec au bref délai de deux ans.
  • Tempérament
    • Si l’action en nullité prévue par l’article 1427 du Code civil est enfermée dans un double délai de deux ans, lorsque la nullité de l’acte contesté est invoquée par voie d’exception, soit lorsque le conjoint qui la soulève est le défendeur à l’instance, le délai de prescription est très différent de celui imparti à celui qui agit par voie d’action.
    • Aux termes de l’article 1185 du Code civil « l’exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n’a reçu aucune exécution. »
    • Il ressort de cette disposition que l’exception de nullité est perpétuelle.
    • Cette règle n’est autre que la traduction de l’adage quae temporalia ad agendum perpetua sunt ad excipiendum, soit les actions sont temporaires, les exceptions perpétuelles.
    • Concrètement, cela signifie que lorsqu’une action en justice est engagée par une partie à l’acte aux fins d’obtenir son exécution, le conjoint pourra toujours se prévaloir de la nullité de l’acte pour échapper à son exécution.
    • La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt rendu en date du 12 juillet 1982 aux termes duquel elle a jugé que « le délai de deux ans à compter du jour de la connaissance de l’acte, imparti par l’article 1427, alinéa 2, du code civil pour l’exercice de l’action en nullité contre la vente d’un immeuble commun est un délai de prescription, qui ne s’applique pas lorsque le moyen de nullité est invoqué en défense à une action de l’acquéreur tendant à la réalisation de la vente» ( 1ère civ. 12 juill. 1982, n°80-13.242).
    • Cette règle a été instituée afin d’empêcher que le créancier d’une obligation n’attende la prescription de l’action pour solliciter l’exécution de l’acte sans que le débiteur ne puisse lui opposer la nullité dont il serait frappé.
    • Pour que l’exception de nullité soit perpétuelle, trois conditions doivent être réunies
      • Première condition
        • Conformément à un arrêt rendu par la Cour de cassation le 1er décembre 1998 « l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte juridique qui n’a pas encore été exécuté» ( 1ère civ. 1er déc. 1998).
        • Autrement dit, l’exception de nullité doit être soulevée par le défendeur pour faire obstacle à une demande d’exécution de l’acte.
        • Dans le cas contraire, l’exception en nullité ne pourra pas être opposée au demandeur dans l’hypothèse où l’action serait prescrite.
      • Deuxième condition
        • Il ressort de l’article 1185 du Code civil, que l’exception de nullité est applicable à la condition que l’acte n’ai reçu aucune exécution.
        • Cette solution avait été adoptée par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 mai 2012 ( 1ère civ. 4 mai 2012).
        • Dans cette décision, elle a affirmé que « la règle selon laquelle l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte qui n’a pas encore été exécuté»
        • Cette règle a été complétée par la jurisprudence dont il ressort que peu importe :
          • Que le contrat n’ait été exécuté que partiellement ( 1ère civ. 1er déc. 1998)
          • Que la nullité invoquée soit absolue ou relative ( 1ère civ. 24 avr. 2013).
          • Que le commencement d’exécution ait porté sur d’autres obligations que celle arguée de nullité ( 1ère civ. 13 mai 2004).
      • Troisième condition
        • Bien que l’article 1185 ne le précise pas, l’exception de nullité n’est perpétuelle qu’à la condition qu’elle soit invoquée aux fins d’obtenir le rejet des prétentions de la partie adverse
        • Dans l’hypothèse où elle serait soulevée au soutien d’une autre demande, elle devrait alors être requalifiée en demande reconventionnelle au sens de l’article 64 du Code de procédure civil.
        • Aussi, se retrouverait-elle à la portée de la prescription qui, si elle n’affecte jamais l’exception, frappe toujours l’action.
        • Or une demande reconventionnelle s’apparente à une action, en ce sens qu’elle consiste pour son auteur à « être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée» ( 30 CPC).

III) Effets de la nullité

Plusieurs effets sont attachés à la nullité d’un acte. Il convient de distinguer les effets de la nullité à l’égard des époux des effets à l’égard des tiers.

A) Les effets de la nullité à l’égard des époux

À l’égard des parties, les effets de la nullité sont au nombre de trois.

==> L’effet rétroactif de la nullité

Le principal effet de la nullité c’est la rétroactivité. Par rétroactivité il faut entendre que l’acte est censé n’avoir jamais existé.

Cela signifie, autrement dit, que l’acte est anéanti, tant pour ses effets futurs que pour ses effets passés.

À cet égard, dans un célèbre arrêt Couka rendu le 27 juin 1978, la Cour de cassation a jugé que « l’action accordée à l’épouse par l’article 1427 du code civil, dans le cas où le mari a passé seul, relativement aux biens communs, un acte qui exigeait le consentement de la femme, tend […] non pas à une inopposabilité de l’acte, mais a une nullité qui prive cet acte de ses effets, non seulement à l’égard de la femme, mais aussi dans les rapports du mari et de l’autre contractant » (Cass. 1ère civ. 27 juin 1978, n°76-15.546).

Dans l’hypothèse où l’acte a reçu un commencement d’exécution, voire a été exécuté totalement, l’annulation du contrat suppose de revenir à la situation antérieure, soit au statu quo ante.

Pour ce faire, il conviendra alors de procéder à des restitutions.

==> Les restitutions

Conséquence de l’effet rétroactif de la nullité, l’obligation de restitution qui échoit aux parties consiste pour ces dernières à rendre à l’autre ce qu’elle a reçu.

Les restitutions qui résultent de la nullité d’un acte sont régies aux articles 1352 à 1352-9 du Code civil.

L’objectif poursuivi par les restitutions est de remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient antérieurement à la conclusion du contrat.

Cet objectif se révélera toutefois, dans bien des cas, difficile à atteindre, notamment lorsque la restitution portera sur une chose consomptible, périssable ou encore qui a fait l’objet de dégradation. Quid encore de la restitution des fruits procurés par la chose restituée ?

Toutes ces questions sont traitées dans un chapitre propre aux restitutions, destiné à unifier la matière et à s’appliquer à toutes formes de restitutions, qu’elles soient consécutives à l’annulation, la résolution, la caducité ou encore la répétition de l’indu.

==> L’octroi de dommages et intérêts

En droit commun, il est admis que la partie qui obtient la nullité d’un acte peut se voir octroyer, si elle justifie d’un préjudice, des dommages et intérêts.

L’article 1178, al. 4 du Code civil prévoit en ce sens que « indépendamment de l’annulation du contrat, la partie lésée peut demander réparation du dommage subi dans les conditions du droit commun de la responsabilité extracontractuelle. »

Cette règle est-elle transposable à la situation du tiers victime de l’annulation d’un acte irrégulier sur le fondement de l’article 1427 du Code civil ?

Dans l’arrêt Couka du 27 juin 1978, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question en jugeant que l’annulation « qui sanctionne un dépassement de pouvoirs, ne peut, sauf stipulation particulière, faire naître à la charge du mari une obligation de garantie » (Cass. 1ère civ. 27 juin 1978, n°76-15.546).

Aussi, seule une clause spécifique serait susceptible de fonder une action en responsabilité contre l’époux qui a agi en dépassement de ses pouvoirs.

Il peut être observé que dans un arrêt du 24 mars 1981, la Cour de cassation a estimé que le dépassement de pouvoirs ne constituait pas en lui-même une faute de nature à engager la responsabilité de l’auteur de l’acte, quand bien même l’annulation de l’acte a causé un préjudice à un tiers (Cass. 1ère civ. 24 mars 1981, n°79-14.965).

La position adoptée par la haute juridiction s’explique – sans doute – par sa volonté de responsabiliser les tiers qui traitent avec des personnes mariées sous le régime légal. Il appartient à ces tiers de vérifier, avant de conclure l’acte, de vérifier les pouvoirs de leur cocontractant.

Une autre raison a été avancée pour justifier cette position. À supposer que l’on admette que la violation des règles de répartition des pouvoirs soit constitutive d’une faute délictuelle, cela reviendrait à faire peser le poids de la dette, à tout le moins temporairement, sur le conjoint victime de l’annulation dans la mesure où, au plan de l’obligation, elle pèserait sur la communauté et pourrait donc être poursuivie sur les biens communs, déduction faites des gains et salaires du conjoint.

B) Les effets de la nullité à l’égard des tiers

==> Principe

Dans la mesure où l’acte annulé est censé n’avoir jamais existé, il ne devrait en toute logique produire aucun effet à l’égard des tiers.

C’est la position qui a été prise par la Cour de cassation dans l’arrêt Couka rendu le 27 juin 1978.

Pour rappel, dans cette décision, elle a affirmé que « l’action accordée à l’épouse par l’article 1427 du code civil, dans le cas où le mari a passé seul, relativement aux biens communs, un acte qui exigeait le consentement de la femme, tend […] non pas à une inopposabilité de l’acte, mais a une nullité qui prive cet acte de ses effets, non seulement à l’égard de la femme, mais aussi dans les rapports du mari et de l’autre contractant » (Cass. 1ère civ. 27 juin 1978, n°76-15.546).

Dans une décision rendue le même jour, l’arrêt Pourtoy, la haute juridiction a en a déduit que « la nullité prononcée en vertu de ce texte a pour effet de remettre les choses dans l’état ou elles se trouvaient avant la formation du contrat et ne laisse pas subsister les clauses destinées a sanctionner l’inexécution dudit contrat » (Cass. 1ère civ. 27 juin 1978, n°76-10.145).

Pour la Cour de cassation, parce que l’acte est anéanti, la clause pénale stipulée dans cet acte est privée de tous ses effets.

Cette solution s’applique à toutes les clauses du contrat qui donc ne survivent pas à son annulation.

Par ailleurs, il résulte de l’anéantissement rétroactif de l’acte que toute prérogative octroyée à un tiers et qui a sa source dans l’acte annulé doit normalement être anéantie.

Exemple :

  • Envisageons l’hypothèse où A vend un bien à B et que B le revend à C.
  • L’annulation du contrat entre A et B devrait avoir pour effet de priver C de la propriété du bien dont il est le sous-acquéreur.
  • Dans la mesure où B n’a, en raison de l’annulation du contrat, jamais été propriétaire du bien, il n’a pu valablement en transmettre la propriété à C.
  • Cette règle est exprimée par l’adage nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet : nul ne peut transmettre plus de droits qu’il n’en a.

==> Correctifs

Manifestement, la règle nemo plus juris porte atteinte à la sécurité juridique puisque l’annulation d’un acte est susceptible de remettre en cause nombre de situations juridiques constituées dans le lignage de cet acte.

Cette situation est d’autant plus injuste lorsque le tiers est de bonne foi, soit lorsqu’il ignorait la cause de nullité qui affectait l’acte initial.

C’est la raison pour laquelle, de nombreux correctifs ont été institués pour atténuer l’effet de la nullité d’un acte à l’égard des tiers.

  • La possession mobilière de bonne foi: aux termes de l’article 2276 du Code civil « en fait de meubles, la possession vaut titre »
    • Lorsqu’il est de bonne foi, le possesseur d’un bien meuble est considéré comme le propriétaire de la chose par le simple effet de la possession.
    • Dans notre exemple, C est présumé être le propriétaire du bien qui lui a été vendu par B, quand bien même le contrat conclu entre ce dernier et A est nul.
  • La prescription acquisitive immobilière
    • Après l’écoulement d’un certain temps, le possesseur d’un immeuble est considéré comme son propriétaire
    • Son droit de propriété est alors insusceptible d’être atteinte par la nullité du contrat
    • Le délai est de 10 pour le possesseur de bonne foi et de trente ans lorsqu’il est de mauvaise foi ( 2272 C. civ.)
    • Il peut être observé que l’article 2274 prévoit que, en matière de prescription acquisitive, « la bonne foi est toujours présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver. »

IV) Le remède à la nullité

Le vice qui affecte la validité d’un acte n’est pas sans remède. Il est possible de sauver l’acte de la nullité, en se prévalant de sa confirmation.

Par confirmation, il faut entendre, selon l’article 1182 du Code civil « l’acte par lequel celui qui pourrait se prévaloir de la nullité y renonce ».

Il s’agit, autrement dit, de la manifestation de volonté par laquelle le titulaire de l’action en nullité renonce à agir et, par un nouveau consentement, valide rétroactivement l’acte.

C’est ce que prévoit spécifiquement l’article 1427 du Code civil en disposant que l’acte accompli par un époux en dépassement de ses pouvoirs peut toujours être ratifié par son conjoint postérieurement à l’établissement de l’acte.

Dans un arrêt du 17 mars 1987, la Cour de cassation a précisé que la ratification de l’acte « peut résulter de tout acte qui implique, sans équivoque, sa volonté de la confirmer » (Cass. 1ère civ. 17 mars 1987, n°85-11.507).

Il n’est donc pas nécessaire qu’elle soit expresse et notamment formalisée dans un écrit.

Une fois l’acte ratifié, la confirmation emporte renonciation aux moyens et exceptions qui pouvaient être opposés.

Cela signifie que la confirmation d’un acte fait obstacle à ce que son auteur, en l’occurrence le conjoint, après avoir renoncé à son droit de critiquer l’acte, soit exerce une action en nullité, soit oppose une exception tirée de l’existence d’une irrégularité.

En définitive, une fois confirmé, l’acte ne pourra donc plus être remis en cause.

[1] V en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°363, p. 355

[2] V. en ce sens I. Dauriac, Les régimes matrimoniaux et le PACS, éd. LGDJ, 2011, n°431, p. 261.

[3] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°491, p. 395.

[4] E. Naudin, « L’époux associé et le régime légal de la communauté réduite aux acquêts », in Mélanges Champenois, Defrénois, 2012, p. 617.

[5] G. Cornu, Vocabulaire juridique, éd. PUF, 2020.

[6] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°483, p. 388.

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