Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

Régime légal: le domaine de la gestion concurrente

En application de l’article 1421, al. 1er du Code civil, le principe de gestion concurrente est d’application général, faute de textes délimitant son domaine. Est-ce à dire qu’il est sans limite ? Il n’en est rien.

À l’analyse, la généralité de la règle énoncée à l’article 1421, al. 1er du Code civil est un trompe l’œil.

Ainsi qu’il l’a été relevé par la doctrine, le législateur a assorti le principe de gestion concurrence de très nombreuses exceptions, à telle enseigne que l’on légitimement en droit de se demander si cette modalité de gestion des biens communs ne présentait pas, en réalité, un caractère résiduel[1].

En effet, des dispositions spécifiques dérogent à la règle en excluant du champ d’application de la gestion concurrente, tantôt certains biens, tantôt certains actes.

I) Le domaine quant aux biens

A) Les biens relevant de la gestion concurrente

La règle énoncée à l’article 1421, al. 1er du Code civil est de portée générale. Tous les biens communs relèvent, en principe, de la gestion concurrente, sans distinction.

Sous l’empire du droit antérieur, les biens communs se divisaient en deux grandes catégories : les biens communs ordinaires dont la gestion relevait du monopole du mari et les biens réservés qui étaient exclusivement et séparément administrés par la femme mariée.

En abolissant la catégorie des biens réservés, la loi du 23 décembre 1985 a mis fin à cette dualité de gestion.

Désormais, les biens communs forment une masse relativement homogène, de sorte que tous sont a priori éligibles à un seul mode de gestion : la gestion concurrente. Le législateur a néanmoins prévu un certain nombre d’exceptions.

B) Les biens ne relevant pas de la gestion concurrente

Sous le régime légal, il est un certain nombre de biens qui, alors même qu’ils endossent la qualification de biens communs, ne relèvent pas de la gestion concurrente.

L’exclusion de ces biens du domaine de la gestion concurrente se justifie par la nécessité, soit de préserver les intérêts du ménage, soit d’assurer l’indépendance des époux.

==> Le logement familial

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. »

Il ressort de cette disposition qu’un époux ne peut disposer seul de la résidence familiale ainsi que des meubles qui y sont attachés.

Il ne peut le faire qu’avec le consentement de son conjoint, ce qui, lorsqu’il s’agit d’un bien commun, a pour effet de déroger au principe de gestion concurrente.

La formulation du texte est des plus larges, de sorte que tous les actes qui tendent à aliéner, à titre onéreux ou à titre gratuit, le bien dans lequel le ménage a élu domicile sont d’emblée visés par l’interdiction.

Plus que l’aliénation de la résidence familiale, ce sont, en réalité, tous les actes susceptibles de priver la famille de son logement qui relèvent du domaine d’application de l’article 215, al. 3e du Code civil.

==> Les gains et salaires

L’article 223 du Code civil reconnaît aux époux le droit percevoir leurs gains et salaires et d’en disposer librement.

Cela signifie que le consentement du conjoint n’est jamais requis s’agissant de l’emploi des revenus professionnels qui peuvent être affectés par l’époux qui les perçoit à la destination qui lui sied.

Là encore, il est donc dérogé au principe de gestion concurrente, dans la mesure où les gains et salaires constituent des biens communs.

Cette règle qui est d’ordre public s’impose quel que soit le régime matrimonial applicable, de sorte qu’il ne peut pas y être dérogé par convention contraire.

Un contrat de mariage ne saurait, dans ces conditions, prévoir par le biais d’une clause d’administration conjointe qu’un époux renonce à son droit de percevoir et de disposer librement de ses gains et salaires. Une telle clause matrimoniale serait réputée non écrite.

==> Les fonds déposés sur un compte bancaire personnel

L’article 221, al. 2e du Code civil prévoit que « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »

Est ainsi instituée une présomption de pouvoir au profit de l’époux titulaire d’un compte ouvert en son nom personnel qui l’autorise à accomplir toutes opérations sur ce compte, sans qu’il lui soit besoin de solliciter l’autorisation de son conjoint.

Pratiquement, cette présomption dispense le banquier d’exiger la fourniture de justifications s’agissant des dépôts et des retraits qu’un époux est susceptible de réaliser sur son compte personnel.

Plus précisément, elle a pour effet de réputer l’époux titulaire du compte « avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »

C’est là une autre exception au principe de gestion concurrente. Par le jeu de la présomption posé à l’article 221, al. 2e du Code civil, la loi confère à l’époux titulaire d’un compte individuel un pouvoir exclusif sur les fonds qui y sont déposés.

Il est indifférent que ces fonds soient des biens communs ordinaires, et qui donc, par principe, devraient faire l’objet d’une gestion concurrente.

Dès lors que des sommes sont inscrites en compte, elles sont hors de portée du conjoint qui ne saurait exiger du banquier qu’il les lui remette ou lui octroie un quelconque pouvoir sur elles.

Plus encore, le texte interdit formellement au banquier de solliciter des justifications sur la situation matrimoniale de son client ou sur la provenance des fonds, sauf les cas de vérification qui lui incombent au titre des obligations prescrites par le Code monétaire et financier relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes.

En dehors de ces obligations légales, le banquier doit exécuter toutes les opérations pour lesquelles il a reçu un ordre de l’époux titulaire du compte.

Le banquier engagerait sa responsabilité s’il perturbait le fonctionnement du compte en considération de règles qui intéressent la situation matrimoniale de son client.

Dans un arrêt du 3 juillet 2001, la Cour de cassation a jugé en ce sens que si l’article 1421 du Code civil « reconnaît à chacun des époux [mariés sous un régime de communauté] le pouvoir d’administrer seul les biens communs, l’article 221 du Code civil leur réserve la faculté de se faire ouvrir un compte personnel sans le consentement de l’autre, et que le banquier dépositaire ne doit, aux termes de l’article 1937 du même Code, restituer les fonds déposés qu’à celui au nom duquel le dépôt a été fait ou à celui qui a été indiqué pour les recevoir » (Cass. 1ère civ. 3 juill. 2001, n°99-19.868).

Commet ainsi une faute le banquier qui remet des fonds au conjoint du titulaire du compte, alors même que, en application du régime matrimonial applicable, il serait établi que ces fonds auraient été déposés en violation des règles de pouvoirs.

II) Le domaine quant aux actes

Parce que la règle énoncée à l’article 1421, al. 1er du Code civil est d’application générale, tous les actes que les époux accomplissent sur les biens communs relèvent, par principe, de la gestion concurrente.

Chaque époux est ainsi autorisé à accomplir seul, tant des actes d’administration, que des actes d’administration sur le patrimoine commun.

Le pouvoir dont ils sont investis n’est toutefois pas sans limite. Certains actes sous soumis à des règles qui dérogent à la gestion concurrente.

A) Les actes d’administration

En application de l’article 1421, al. 1er du Code civil, chaque époux est donc investi du pouvoir d’accomplir, de son propre chef et à égalité, des actes d’administration sur les biens communs.

Pour mémoire, les actes d’administration se définissent comme les actes d’exploitation ou de mise en valeur du patrimoine de la personne dénués de risque anormal.

Il s’agit, autrement dit, de tout acte qui vise à assurer la gestion courante d’un ou plusieurs biens sans que le patrimoine de son propriétaire s’en trouve modifié de façon importante.

Pour cette catégorie d’actes, le domaine de la gestion concurrente est des plus vaste La seule limite à laquelle elle se heurte tient à l’administration des baux ruraux et commerciaux.

L’article 1425 du Code civil prévoit que « les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal dépendant de la communauté ».

Les baux ruraux et commerciaux sont ainsi soumis à la cogestion. Le texte précise néanmoins que « les autres baux sur les biens communs peuvent être passés par un seul conjoint et sont soumis aux règles prévues pour les baux passés par l’usufruitier. »

En dehors de cette restriction, les époux sont autorisés à accomplir sur les biens communs toutes sortes d’acte d’administration dont notamment :

  • Les actes d’entretien
    • Tous les actes qui ont pour objet l’entretien d’un bien commun relèvent de la gestion concurrente.
    • Il pourra donc s’agir pour un époux de conclure des contrats de maintenance ou d’engager des dépenses de réparation
    • Il est indifférent que l’acte d’entretien porte sur un meuble ou d’un immeuble.
  • Les actes de mise en valeur du patrimoine
    • Les époux sont autorisés à accomplir tout acte qui vise à mettre en valeur le patrimoine commun.
    • Il pourra s’agir notamment de donner à bail un immeuble dépendant de la communauté.
    • Tous les baux ne relèvent pas néanmoins de la gestion concurrente.
    • Comme souligné précédemment, l’article 1425 du Code civil exclut, en effet, de son domaine les baux ruraux et commerciaux.
    • Pour les autres baux en revanche, ils peuvent être consentis par un époux seul. Tel sera notamment le cas des baux d’habitation.
    • La gestion concurrence trouvera également à s’appliquer pour les baux portant sur un bien meuble, voire sur une chose incorporelle.
    • Dans un arrêt du 16 mai 2000, la Cour de cassation a ainsi jugé, au visa des articles 1421 et 1424 du Code civil que « chaque époux peut valablement donner en location-gérance un fonds de commerce dépendant de la communauté» ( 1ère civ. 16 mai 2000, n°98-12.894).
  • Les actes conservatoires
    • Ils se définissent comme des actes qui ont pour objet de sauvegarder le patrimoine ou de soustraire un bien à un péril imminent ou à une dépréciation inévitable
    • Ainsi les époux peuvent à accomplir tout acte qui vise à préserver les intérêts patrimoniaux du ménage d’un péril imminent.
    • Les actes conservatoires peuvent, tout autant consister, en des actes matériels (réparations urgentes), qu’en des actes juridiques (interruption d’une prescription, constitution d’une sûreté aux fins de garantir une créance).
  • Les actes de jouissance
    • Les actes de jouissances ne sont autres que ceux qui découlent de l’exercice par le propriétaire d’un bien du droit de jouir de la chose.
    • Par jouissance, il faut donc entendre le pouvoir de percevoir les revenus que le bien lui procure.
    • Les époux sont ainsi autorisés à percevoir les revenus des biens communs, pouvoir qui, sous l’empire du droit antérieur, était réservé au seul mari.
    • Parce qu’ils sont désormais placés sur un pied d’égalité, ils peuvent percevoir séparément les loyers dus par le locataire d’un immeuble dépendant de la communauté.
    • Ils peuvent encore percevoir les intérêts versés au titre d’un placement de deniers communs.
    • Plus généralement, chaque époux est investi du pouvoir de percevoir seul les créances communes (V. en ce sens 1ère civ. 31 janv. 2006, n°03-19.630).
    • Seule exception à cette prérogative : la perception des capitaux provenant de l’une des opérations visées à l’article 1424 du Code civil au nombre desquelles figure l’aliénation d’immeubles, de fonds de commerce, d’exploitations, de droits sociaux non négociables ou encore de meubles corporels dont la cession est soumise à publicité.
    • Pour ces opérations, le produit de l’aliénation ne peut être perçu que sous réserve de l’accord des deux époux.
  • Les actions en justice
    • Conséquence de l’instauration par la loi du 23 décembre 1985 d’une égalité parfaite dans les rapports conjugaux, il est désormais admis que chaque époux est investi du pouvoir d’ester seul en justice, pourvu que l’action vise à préserver les intérêts de la communauté.
    • Selon la doctrine « la solution est justifiée car un administrateur doit pouvoir agir en justice pour défendre les intérêts qu’il a en charge»[2].
    • Au sens de l’article 1421 du code civil, une action en justice n’est donc pas regardée comme un acte de disposition, mais plutôt comme un droit attaché à une créance inscrite à l’actif de la communauté.
    • Aussi, l’exercice de ce droit relève du pouvoir d’administration que la loi confère à chaque époux.
    • Dans un arrêt du 19 mars 1991, la Cour de cassation est venue préciser que ce pouvoir leur permet d’intervenir, tant en qualité de demandeur, qu’en qualité de défendeur.
    • Au soutien de sa décision elle affirme que « aux termes de l’article 1421 du Code civil, chacun des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs ; qu’à ce titre, il a qualité pour exercer seul, en demande ou en défense, les actions en justice relatives à ces biens» ( 1ère civ. 19 mars 1991, n°88-18.488).
    • Il est, par ailleurs, indifférent que la procédure à laquelle les époux interviennent porte sur des meubles ou des immeubles.
    • Quant à l’exercice des voies de recours, cet acte relève également de la gestion concurrente.
    • Il peut être observé que lorsqu’un époux est partie à une procédure qui intéresse un bien commun, il intervient non pas en représentation de la communauté, celle-ci étant dépourvue de toute personnalité morale, mais en qualité d’administrateur de la masse commune.
    • Il n’agit donc pas au nom de la communauté, mais seulement pour son compte.
    • La question s’est alors posée de savoir si la procédure à laquelle participe un époux est opposable à son conjoint ?
    • À cette question la Cour de cassation apporte une réponse positive.
    • Dans un arrêt du 22 février 2007, elle a affirmé en ce sens, s’agissant d’une procédure de saisie immobilière que « le créancier poursuivant n’était pas tenu de signifier le commandement et la sommation au conjoint non débiteur» ( 2e civ. 22 févr. 2007, n°06-12.295).
    • Dans le même sens, elle a affirmé dans un arrêt du 28 avril 2009 que « les décisions rendues à l’encontre du seul époux en liquidation judiciaire, représenté par son liquidateur, relativement à la vente d’un bien commun, étant opposables au conjoint maître de ses biens, la tierce opposition formée par ce dernier à leur encontre n’est pas recevable» ( com. 28 avr. 2009, n°08-10.638).
    • Il ressort de ces deux décisions, que la procédure judiciaire à laquelle est partie un époux est opposable à son conjoint.
    • Pour justifier sa position, la Cour de cassation raisonne en trois temps :
      • Premier temps: elle relève que chacun des époux, ayant le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer, a qualité pour exercer seul, en défense ou en demande, les actions relatives aux biens communs.
      • Deuxième temps, elle convoque l’article 1421, al. 1er in fine qui prévoit que les actes accomplis sans fraude par un conjoint sont opposables à l’autre.
      • Troisième temps : elle déduit de la combinaison des deux règles énoncées que tout acte de procédure accompli par un époux est opposable à son conjoint.
    • Ce raisonnement a conduit la Cour de cassation à considérer que « la décision relative au sort d’un bien de communauté, rendue à l’égard d’un des époux, a autorité de chose jugée à l’égard de l’autre» ( 2e civ. 21 janv. 2010, n°08-17.707).
    • Par voie de conséquence, les décisions rendues à l’encontre d’un époux, précise la deuxième chambre civile dans un arrêt du 2 décembre 2010, « sont opposables à l’autre conjoint» ( 2e civ. 2 déc. 2010, n°09-68.094).
    • C’est la raison pour laquelle la voie de la tierce opposition est fermée au conjoint ( com. 28 avr. 2009, n°08-10.638).
    • Tout au plus, celui-ci est autorisé à intervenir volontairement à l’instance (V. en ce sens 1ère civ. 1er juin 1994).
    • À cet égard, parce que les époux sont tous deux administrateurs des biens communs, les tiers peuvent orienter leurs poursuites vers l’un ou l’autre.
    • Non seulement ils disposent du choix de leur adversaire, mais encore les actes qu’ils accomplissent contre un époux sont opposables au conjoint ; d’où, par exemple, la dispense qui leur est consentie quant à la notification des actes de procédure ( 2e civ. 22 févr. 2007, n°06-12.295).
    • Seule limite à la règle : lorsque la procédure engagée se rapporte à une opération susceptible de conduire à l’accomplissement d’un acte de disposition volontaire d’un bien commun, l’action doit être dirigée contre les deux époux.
    • À titre d’illustration, l’article L. 311-7 du Code des procédures civiles d’exécution dispose que « la saisie des immeubles communs est poursuivie contre les deux époux. »
    • Au fond, c’est donc l’objet du litige qui détermine si l’action doit être dirigée contre un seul époux ou les deux.

B) Les actes de disposition

Le pouvoir de gestion des biens communs que les époux tiennent de l’article 1421, al. 1er du Code civil ne se limite pas aux actes d’administration, il comprend également certains actes de disposition comme précisé dans le texte.

Par actes de disposition, il faut entendre les actes qui engagent le patrimoine de la personne, pour le présent ou l’avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire.

Autrement dit, les actes de disposition correspondent aux actes les plus graves qui ont pour effet de modifier le patrimoine du propriétaire du bien sur lequel porte l’acte considéré.

Si, pour cette catégorie d’actes, le domaine de la gestion concurrence est plus restreint que pour les actes d’administration, elle n’en demeure pas moins le principe.

L’article 1421, al. 1er du Code civil est pourvu d’une portée générale. Il en résulte que tout acte de disposition peut être accompli du chef d’un seul époux, sauf dérogations spéciales.

Ces dérogations, qui sont instituées par les articles 1422, 1424 et 1425 du Code civil, instaurent le principe de gestion conjointe pour les opérations visées.

Au nombre de ces opérations figurent notamment :

  • Les actes visant à disposer entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté
  • Les actes visant à affecter un bien commun à la garantie de la dette d’un tiers
  • Les actes visant à aliéner ou grever de droits réels les immeubles, fonds de commerce et exploitations dépendant de la communauté, non plus que les droits sociaux non négociables et les meubles corporels dont l’aliénation est soumise à publicité.
  • Les actes visant à percevoir les capitaux provenant de telles opérations.
  • Les actes visant à transférer un bien de la communauté dans un patrimoine fiduciaire
  • Les actes visant à donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal dépendant de la communauté.

En dehors de ces actes expressément listés par les articles 1422, 1424 et 1425 du Code civil, c’est la gestion concurrente qui s’applique aux actes de disposition.

À l’analyse, son domaine s’étend notamment aux actes suivants :

  • Les actes portant sur des meubles corporels ou incorporels
    • Pour cette catégorie d’actes, le domaine de la gestion concurrente est des plus étendu pourvu que :
      • D’une part, l’aliénation des meubles communs ne soit pas soumise à publicité
      • D’autre part, ils ne garnissent pas le logement familial
      • Enfin, ils ne soient pas aliénés à titre gratuit ou ne soient pas affectés à la garantie de la dette d’un tiers
  • Les actes portant sur des deniers communs
    • Chaque époux peut, de son propre chef, disposer des deniers communs, soit aux fins d’acquérir un nouveau bien, soit en vue de consentir un prêt.
    • Il est indifférent que les deniers communs soient employés à l’acquisition d’un meuble ou d’un immeuble quand bien même cette acquisition représenterait une charge importante pour la communauté (V. en ce sens 1ère civ. 5 avr. 1993, n°90-20.491).
    • S’agissant des immeubles, il peut être observé que leur vente est subordonnée au consentement des deux époux. Or tel n’est manifestement pas le cas de leur acquisition.
    • Il y a ainsi là une absence de parallélisme des formes entre l’acquisition et la vente.
    • Les deux opérations sont néanmoins susceptibles d’emporter des conséquences financières et patrimoniales semblables.
    • À l’opposé, chaque époux est investi du pouvoir de régler des dettes communes, quel que soit leur montant.
    • Seule limite au pouvoir des époux de disposer seul des deniers communs, dans un arrêt rendu en date du 16 mars 1999, la Cour de cassation a précisé que « si un époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et de disposer seul des deniers communs dont l’emploi est présumé avoir été fait dans l’intérêt de la communauté, il doit, cependant, lors de la liquidation, s’il en est requis, informer son conjoint de l’affectation des sommes importantes prélevées sur la communauté qu’il soutient avoir employées dans l’intérêt commun» ( 1ère civ. 16 mars 1999, n°97-11.030).
    • Cette solution a été réaffirmée à plusieurs reprises par la Cour de cassation (V. en ce sens 14 févr. 2006, n°03-20.082).
    • Reste que son exécution est subordonnée à la réunion de trois conditions cumulatives :
      • D’une part, une demande de justification doit être formulée par le conjoint, de sorte que l’époux qui a fait usage des deniers communs n’a nullement l’obligation de délivrer l’information requise spontanément
      • D’autre part, l’exigibilité de cette obligation d’information n’intervient qu’au jour de la liquidation du régime matrimonial
      • Enfin, elle ne joue que si le montant des deniers objets de l’acte de disposition n’est pas important
    • Lorsque ces trois conditions sont réunies, il appartient à l’époux débiteur de l’obligation d’information de justifier auprès de son conjoint de l’affectation des derniers communs et notamment qu’ils ont été employés dans l’intérêt commun.
  • Les actes portant sur des droits sociaux non négociables
    • Tous les actes portant sur des actions et plus généralement sur des valeurs mobilières ne requièrent donc pas le consentement des deux époux.
    • L’inclusion de cette catégorie d’actes dans le domaine de la gestion concurrence se déduit de la lecture a contrario de l’article 1424, al. 1er du Code civil qui prévoit expressément que les droits sociaux non négociables relèvent de la gestion conjointe.

III) Le cas particulier des legs

L’article 1423 du Code civil envisage le mode de gestion des legs de biens communs dont le régime se rapproche de celui auquel est la gestion concurrente est soumise.

Pour mémoire, un legs est une libéralité consentie par voie testament, lequel présente une double nature :

  • D’un côté, le testament consiste en un acte de disposition à titre gratuit, de sorte que lorsqu’il porte sur des biens communs, il devrait relever de la gestion conjointe, conformément à l’article 1422, al. 1er du Code civil
  • D’un autre côté, le testament est, par essence, un acte unilatéral dont la validité est subordonnée à l’expression d’une volonté solitaire, de sorte qu’il se concilie mal avec la gestion conjointe, car ne pouvant jamais être conjonctif.

Afin de concilier ces deux aspects – antinomiques – du testament, l’article 1423 du Code civil prévoit que lorsqu’il porte sur des biens communs, il est soumis au principe de gestion concurrente.

Chaque époux peut ainsi consentir, de son propre chef, un legs de biens communs, de sorte que la prohibition des testaments conjonctifs est respectée.

Toutefois, parce que le testament est un acte de disposition à cause de mort, il ne produit ses effets qu’au décès du testateur et donc, pratiquement au jour de la dissolution de la communauté, laquelle donne lieu à une période d’indivision.

Le législateur en a déduit que cet acte ne pouvait pas relever du domaine de l’article 1421 qui n’a vocation à régir que les actes accomplis au cours du mariage.

D’où l’adoption d’une disposition spéciale, l’article 1423, qui régit les legs de biens communs.

À cet égard, il appréhende les biens légués, non pas comme des biens communs, la communauté ayant par hypothèse disparu au jour où le testament produit ses effets, mais comme des biens indivis.

Le texte envisage alors deux situations :

==> Première situation : le legs porte sur une fraction de la masse commune

Dans cette hypothèse, l’article 1423, al. 1er du Code civil prévoit que « le legs fait par un époux ne peut excéder sa part dans la communauté. »

Il ressort de cette disposition que l’époux légataire ne peut léguer plus de la moitié de la masse commune.

Ce cantonnement s’explique par les circonstances : le legs ne produisant ses effets qu’au décès du testateur, il ne peut porter que sur la part revenant à ce dernier au jour de la dissolution de la communauté.

Or cette part correspond à la moitié des biens soumis à l’indivision post-communautaire.

Les légataires ont ainsi vocation à se retrouver en indivision avec le conjoint.

==> Seconde situation : le legs porte sur un bien commun déterminé

Dans cette hypothèse, la difficulté tient aux aléas du partage de l’indivision post-communautaire qui est susceptible de donner lieu, conformément à l’article 826 du Code civil, à un tirage au sort, lequel permettra de déterminer à qui est attribué tel ou tel lot.

C’est pour surmonter cette difficulté, et notamment l’hypothèse où le legs d’un bien commun figure dans un lot attribué au conjoint, que le législateur a adopté la règle énoncée à l’article 1423, al. 2e du Code civil.

Le texte prévoit en ce sens que « si un époux a légué un effet de la communauté, le légataire ne peut le réclamer en nature qu’autant que l’effet, par l’événement du partage, tombe dans le lot des héritiers du testateur ; si l’effet ne tombe point dans le lot de ces héritiers, le légataire a la récompense de la valeur totale de l’effet légué, sur la part, dans la communauté, des héritiers de l’époux testateur et sur les biens personnels de ce dernier. »

Aussi, convient-il de distinguer deux situations :

  • Le bien légué tombe dans le lot attribué au légataire
    • Dans cette hypothèse, le légataire pourra réclamer la délivrance du legs en nature
    • Cette délivrance s’analysera alors comme le résultat de l’effet déclaratif du partage
  • Le bien légué tombe dans le lot attribué au conjoint
    • Dans cette hypothèse, l’article 1423 prévoit que l’exécution du legs doit se faire par équivalent.
    • Le texte énonce plus précisément que « le légataire a la récompense de la valeur totale de l’effet légué, sur la part, dans la communauté, des héritiers de l’époux testateur et sur les biens personnels de ce dernier».
    • Par récompense, il ne faut pas entendre ici une créance dont serait titulaire le légataire à l’encontre de la communauté, mais plutôt à un droit à une exécution en valeur du legs.
    • Autrement dit, cette exécution donnera lieu, soit au versement d’une somme d’argent correspondant au montant de la valeur du bien légué, soit à la délivrance d’un autre bien équivalent.
    • Il s’agit là manifestement d’une solution qui déroge au droit commun
    • En effet, en application de l’effet déclaratif du partage, les biens attribués au conjoint sont réputés lui appartenir depuis le décès du testateur.
    • Aussi, dans l’hypothèse où le conjoint est attributaire du lot dans lequel est compris le legs, celui-ci ne devrait pas pouvoir être exécuté car portant sur la chose d’autrui.
    • Or l’article 1021 du Code civil dispose que « lorsque le testateur aura légué la chose d’autrui, le legs sera nul, soit que le testateur ait connu ou non qu’elle ne lui appartenait pas. »
    • C’est donc une dérogation à cette disposition qui est apportée par l’article 1423.
    • Le légataire se voit conférer le droit de prélever un bien par équivalent sur l’ensemble de la succession (biens propres du de cujus et la part de communauté), alors même que l’effet déclaratif du partage devrait l’en priver.

La règle énoncée à l’article 1423, al. 2e du Code civil présente indéniablement l’avantage de prévenir tout risque de conflit et, surtout, d’exécuter le plus fidèlement possible la volonté du de cujus.

Que le legs soit compris dans le lot attribué au conjoint ou dans le lot attribué au légataire, dans les deux cas il pourra faire l’objet d’une exécution.

Dans un arrêt du 16 mai 2000, la Cour de cassation est venue préciser que l’article 1423, al. 2e du Code civil « relatif au sort et aux modalités d’exécution du legs d’un bien de communauté par l’un des époux, n’est pas applicable au legs d’un bien dépendant d’une indivision, fût-elle postcommunautaire » (Cass. 1ère civ. 16 mai 2000, n°98-11.977).

Autrement dit cette disposition n’a pas vocation à jouer lorsque le legs intervient entre la date de dissolution de la communauté et la date de réalisation du partage.

L’article 1423 est également inopérant en cas de testament-partage, la Cour de cassation considérant que « la faculté accordée par l’article 1075 du Code civil aux ascendants de faire par anticipation le partage de leur succession est limitée aux biens dont chacun d’eux a la propriété et la libre disposition sans pouvoir être étendue aux biens communs » (Cass. 1ère civ. .16 mai 2000, n°97-20.839).

No comment yet, add your voice below!


Add a Comment