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La répartition de l’actif sous le régime légal: la détermination des biens communs

Le régime légal, qui s’applique aux couples mariés faute d’établissement d’un contrat de mariage, est le régime de la communauté réduite aux acquêts.

Ce régime a été institué par la loi du 13 juillet 1965 qui l’a substitué à l’ancien régime légal de communauté de meubles et d’acquêts, lequel est désormais relégué au rang de régime conventionnel.

Principale caractéristique du régime légal, il s’agit d’un régime communautaire. Cette spécificité implique la création d’une masse commune de biens aux côtés des biens propres dont les époux demeurent seuls propriétaires.

La question qui immédiatement se pose est de savoir comment s’opère la répartition des biens entre ceux qui tombent en communauté et ceux qui relèvent d’un actif propre.

Pour le déterminer, il convient de se reporter aux articles 1401 à 1408 du Code civil qui sont logés sous un paragraphe intitulé « De l’actif de la communauté ».

À l’analyse, l’économie générale du dispositif instauré par ces dispositions prend assise sur la notion d’acquêt qui fixe la ligne de partage entre biens communs et biens propres.

Par acquêts, il faut entendre les biens acquis à titre onéreux par les époux pendant le mariage.

La communauté instituée par le régime légal étant « réduite aux acquêts », on peut en déduire que les biens qui, soit n’ont pas été acquis avant la célébration du mariage, soit ont été acquis à titre gratuit par les époux, constituent des biens propres.

Contrairement aux biens communs, lors de la dissolution du mariage ils ne feront l’objet d’aucun partage ; ils resteront la propriété exclusive de l’un ou l’autre époux.

Tout l’enjeu est donc de déterminer quels sont les biens susceptibles d’endosser la qualification d’acquêt et ceux qui échappent à cette qualification.

À cet égard, la mise en œuvre de la notion d’acquêt n’est pas sans soulever, parfois, un certain nombre de difficultés. Il est, en effet, des cas où il sera peu aisé de déterminer de quel côté de la frontière qui sépare la masse commune des masses propres se situe un bien.

Nous nous focaliserons ici sur les biens communs.

Sous le régime légal, le périmètre des biens communs devrait, en toute logique, se limiter aux seuls acquêts.

Pour déterminer si un bien à vocation à tomber en communauté, il devrait donc suffire de se reporter à la définition d’acquêts et vérifier que le bien en question répond aux critères de la définition posée.

À l’analyse, le dispositif mis en place par le législateur est un peu plus complexe. S’il est bien un texte, l’article 1401 du Code civil, qui fixe les contours de la notion d’acquêts, celui-ci est complété par une autre disposition, l’article 1402, qui institue une présomption de communauté pour tout bien dont on ne peut prouver qu’il appartient en propre à l’un ou l’autre époux.

Cette présomption de communauté constitue, selon Gérard Cornu, une sorte de « facteur résiduel d’accroissement de la communauté au bénéfice du doute ».

Ainsi, le périmètre des biens communs est délimité par :

  • D’une part, une règle de fond qui énumère les biens qui composent l’actif de la communauté
  • D’autre part, une règle de preuve qui vise à maintenir dans le giron de la communauté les biens dont on ne peut pas démontrer qu’ils appartiennent en propre à un époux

I) Les biens communs par détermination de la loi

==> La difficile appréhension de la notion d’acquêt

Les biens qui composent l’actif de la communauté, que l’on appelle couramment acquêts, sont énumérés à l’article 1401 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « la communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres. »

Il s’agit là d’une reprise de l’ancien article 1498, al. 2e du Code civil qui énonçait que « en ce cas, et après que chacun des époux a prélevé ses apports dûment justifiés, le partage se borne aux acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant tant de l’industrie commune que des économies faites sur les fruits et revenus des biens des deux époux. »

Ce texte n’était autre que celui qui déterminait le périmètre des biens communs lorsque le régime de la communauté réduite aux acquêts demeurait un simple régime conventionnel.

Lorsque la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux a élevé le régime de la communauté réduite aux acquêts au rang de régime légal, le législateur a fait le choix de conserver le texte en l’état.

La règle telle que formulée par les rédacteurs du Code civil a seulement été transférée à l’article 1401 du Code civil.

Est-ce à dire que le périmètre des acquêts s’en est trouvé préservé ?

Les auteurs s’accordent à dire qu’il n’en est rien, à tout le moins que son tracé n’est plus aussi net.

En effet, si la loi du 13 juillet 1965 n’a pas modifié la liste des biens énumérés à l’ancien article 1498, al. 2e du Code civil, elle a néanmoins réformé, sur certains points, le dispositif de répartition de l’actif entre la masse commune et les masses propres.

Le législateur a, en particulier, décidé de supprimer la règle qui attribuait à la communauté la propriété de l’usufruit des biens propres.

Or en application de l’article 582 du Code civil, l’usufruit confère à l’usufruitier le droit de jouir de la chose (fructus), soit le droit de percevoir les revenus que le bien lui procure.

En retirant à la communauté le bénéfice de l’usufruit des propres, il en est résulté une incertitude quant à l’appartenance des revenus produits par les biens personnels des époux à la masse commune.

Autre source de perturbation du périmètre de l’actif commun, la reconnaissance de la liberté pour chaque époux de percevoir et disposer de ses gains et salaires.

Devait-on en tirer la conséquence qu’ils appartenaient en propre aux époux, puisque échappant au principe de gestion conjointe des biens communs ? Bien que discutable si l’on opte pour une application stricte des règles qui régissent l’usufruit, la jurisprudence l’a finalement admis.

Ce sont là autant d’évolutions qui sont venues perturber les critères de la notion d’acquêt, à telle enseigne que l’on est légitimement en droit de se demander si elle rend toujours compte de l’ensemble des biens qui composent la masse commune.

==> Le renouvellement de la notion d’acquêt

La notion d’acquêt recouvre un ensemble de biens plus ou moins étendu selon que l’on retient une approche restrictive ou extensive :

  • L’approche restrictive
    • L’adoption de cette approche conduit à définir l’acquêt comme l’acquisition à titre onéreux d’un bien par un époux pendant le mariage.
    • À cet égard, il peut être observé que le terme acquêt est un dérivé du mot latin acquaesitum qui n’est autre que le substantif du verbe acquaerere qui signifie acquérir.
    • Selon l’approche restrictive, seuls les biens ayant fait l’objet d’un acte d’acquisition auprès de tiers endosseraient donc la qualification d’acquêt.
    • Une rapide revue des textes et de la jurisprudence révèle néanmoins que la masse commune se compose d’un ensemble de biens plus vaste.
    • Il est en effet des biens susceptibles de tomber en communauté, alors même qu’ils sont acquis à titre gratuit ou encore dont l’acquisition ne procède pas d’un transfert de propriété, car originaire.
    • Dans ces conditions, l’approche restrictive ne permet pas de rendre totalement compte du périmètre de l’actif commun.
    • C’est pourquoi il y a lieu de se tourner vers l’approche extensive pour appréhender la notion d’acquêt.
  • L’approche extensive
    • Cette approche consiste à définir l’acquêt comme tout bien intégrant le patrimoine des époux au cours de mariage.
    • Il est indifférent ici que l’appropriation du bien procède d’une acquisition ou d’une création : ce qui importe c’est que le bien approprié assure l’enrichissement des époux.
    • Parce que la communauté a pour fonction de réaliser l’union des intérêts pécuniaires des époux, elle a vocation à capter toutes les valeurs économiques qui pénètrent leur sphère patrimoniale.
    • Aussi, est-ce ce monopole de captation des valeurs dont jouit la communauté qui doit être représenté par la notion d’acquêt.
    • À l’examen, telle était l’approche qui avait été adoptée sous l’empire du droit antérieur par le législateur.
    • Ainsi que le relèvent des auteurs « on sait que l’acquêt du Code civil s’entendait en un sens très large».
    • En somme la notion recouvrait tout ce que les « époux gagnent par leur travail, leur activité et leur esprit d’épargne»[1].
    • Les acquêts ne se limitaient donc pas aux biens acquis à titre onéreux.
    • Ils comprenaient également tous les revenus perçus par les époux.
    • Ces revenus pouvaient provenir, tant de leurs biens propres, que de leur industrie personnelle.
    • Cette conception – large – de la notion d’acquêt s’expliquait, comme vu précédemment, notamment par l’attribution de l’usufruit des biens propres à la communauté.
    • Mais, la loi du 13 juillet 1965 a supprimé cette règle ; d’où l’incertitude créée sur le périmètre de la notion d’acquêt.

Au bilan, bien que la lettre de l’article 1401 du Code civil suggère d’appréhender à la notion d’acquêt par le biais de l’approche restrictive, le droit positif commande d’opter, au contraire, pour une approche extensive.

Quelle approche doit-on retenir ? Le régime légal est un régime de communauté réduite aux acquêts. Afin que le participe « réduite » conserve tout son sens, il y a lieu, selon nous, de ne pas s’arrêter à la lettre de l’article 1401.

La notion d’acquêt doit être envisagée selon l’approche extensive. Cette approche est la seule à même de rendre compte de l’étendue de l’actif commun, lequel est alimenté par plusieurs sources de biens :

  • Les biens provenant d’une acquisition
  • Les biens provenant de l’industrie des époux
  • Les biens provenant des revenus des propres
  • Les biens provenant du jeu de l’accession
  • Les biens provenant du jeu de la subrogation
  • Les biens provenant d’un jeu de hasard ou d’un jeu-concours

A) Les biens communs provenant d’une acquisition

1. Acquisition à titre onéreux

Pour mémoire, l’article 1401 du Code civil prévoit que « la communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres. »

Il s’évince de cette disposition que tout bien acquis à titre onéreux au cours du mariage est constitutif d’un acquêt.

Trois enseignements peuvent être retirés de la règle générale ainsi posée :

a. Premier enseignement : la provenance des fonds employés

L’acquisition à titre onéreux d’un bien suppose, par hypothèse, l’emploi de fonds en contrepartie de la délivrance de la chose.

La question qui alors se pose est de savoir si la provenance de ces fonds est indifférente ou si elle est soumise à une exigence particulière.

À l’examen, il y a lieu de distinguer selon que les fonds employés sont des biens communs ou des biens propres.

  • Les fonds employés sont des biens communs
    • Lorsque les fonds employés pour l’acquisition sont communs, le bien acquis par les époux tombera nécessairement en communauté.
    • Il est indifférent que ce bien soit affecté à l’usage exclusif d’un époux : ce qui importe c’est la provenance des fonds.
    • La seule difficulté que cette situation est susceptible de soulever tient à la détermination de la nature des fonds employés.
    • La question s’est notamment posée pour les gains et salaires et les revenus des propres.
      • S’agissant des gains et salaires
        • Bien que les textes soient silencieux sur leur nature, la jurisprudence a admis qu’ils présentaient un caractère commun (V. en ce sens 1ère civ. 8 févr. 1978, n°75-15.731)
        • Sont ici visés indifféremment les salaires, les traitements, les honoraires, les émoluments, les bénéfices commerciaux ou non commerciaux ou encore les gains de jeux.
        • Il en va de même des économies réalisées par les époux au moyen de leurs gains et salaires.
      • S’agissant des revenus des propres
        • Là encore, les textes sont taiseux sur la qualification qu’il y a lieu de donner aux revenus des biens propres (loyers, dividendes, intérêts produits etc.).
        • Aussi, est-ce à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de se prononcer.
        • Dans un arrêt Dame Authier rendu en date du 31 mars 1992, la Cour de cassation a tranché en faveur de la qualification de biens communs ( 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-17212).
        • Comme pour les gains et salaires, lorsque les revenus de biens propres sont économisés ils conservent leur nature de biens communs.
    • Au bilan, il est indifférent que les fonds employés proviennent des gains et salaires des époux, des revenus de leurs biens propres ou encore des économies réalisées.
    • Dans les trois cas, parce qu’il s’agit de fonds qui présentent un caractère commun, leur affectation à l’acquisition d’un bien a vocation à enrichir la communauté.
    • C’est la raison pour laquelle le bien acquis au moyen de ces fonds est nécessairement commun
  • Les fonds employés sont des biens propres
    • Lorsque les fonds affectés à l’acquisition d’un bien appartiennent en propre à un époux, la question se pose de la nature du bien acquis.
    • Doit-on considérer qu’il s’agit d’un bien propre eu égard la provenance des fonds employés ou s’agit-il d’un bien commun dans la mesure où il y a eu acquisition d’un bien pendant le mariage.
    • Pour le déterminer, il convient de combiner les articles 1401 et 1402 du Code civil à l’article 1406, al. 2e
    • De la combinaison de ces dispositions, il s’infère un principe assorti d’une exception.
      • Principe
        • Il est un principe général qui s’évince des articles 1401 et 1402 du Code civil aux termes duquel toute acquisition d’un bien à titre onéreux qui intervient au cours du mariage a vocation à enrichir la communauté
        • La provenance des fonds utilisés pour financer cette acquisition est indifférente, ce qui importe c’est l’entrée d’une valeur nouvelle dans la sphère patrimoniale des époux.
        • Lorsque dès lors, les fonds employés appartiennent en propres à l’un d’eux, le bien acquis est commun, à tout le moins en l’absence de disposition légale contraire.
        • À cet égard, s’agissant de l’affectation de fonds propres à l’acquisition d’un bien il en est notamment une qui autorise les époux à conserver le bien acquis dans leur patrimoine propre.
      • Exception
        • L’article 1406, al. 2e du Code civil envisage l’hypothèse où l’acquisition d’un bien procède d’une subrogation réelle.
        • Pour mémoire, cette opération réalise la substitution, dans un patrimoine, d’une chose par une autre.
        • Lorsque la subrogation réelle porte sur le bien propre d’un époux, l’article 1406 al. 2e du Code civil envisage spécifiquement l’hypothèse de l’affectation de fonds propres à l’acquisition d’un bien.
        • Il prévoit en ce sens que « forment aussi des propres, par l’effet de la subrogation réelle, […] les biens acquis en emploi ou remploi, conformément aux articles 1434 et 1435.»
        • Si la subrogation réelle est susceptible de jouer ici, c’est à la condition que l’époux propriétaire des fonds accomplisse des formalités d’emploi ou de remploi.
          • L’emploi consiste à affecter des fonds propres à l’acquisition d’un bien.
          • Le remploi consiste, quant à lui, à utiliser le produit de la vente d’un bien propre pour l’acquisition d’un nouveau bien.
        • Dans les deux cas, l’article 1406, al. 2e du Code civil autorise l’époux propriétaire des fonds à faire échapper le bien acquis à la qualification de bien commun.
        • Pour ce faire, il devra formalise ce que l’on appelle une déclaration d’emploi ou de remploi.
        • Cette déclaration consiste, en application de l’article 1434 du Code civil, à mentionner dans l’acte d’acquisition du bien :
          • D’une part, l’origine des deniers utilisés, ce qui permet de justifier de leur caractère propre
          • D’autre part, l’affectation des fonds à l’acquisition d’un bien propre
        • Faute de déclaration d’emploi ou de remploi, le bien acquis tombera en communauté sauf à ce qu’une déclaration soit régularisée postérieurement à l’acquisition.
        • Dans cette hypothèse, elle supposera l’accord des deux époux.
        • Lorsque la déclaration d’emploi ou de remploi a valablement été accomplie, le bien acquis sera propre.

b. Deuxième enseignement : l’exigence d’acquisition d’un bien à titre onéreux

Si l’on s’arrête à la lettre de l’article 1401 du Code civil, l’acquêt est le bien qui a été acquis à titre onéreux par les époux auprès de tiers.

Plusieurs éléments de cette définition – restrictive – de l’acquêt doivent être précisés :

  • S’agissant de l’auteur de l’acquisition
    • L’article 1401 du Code civil ne distingue pas selon que le bien a été acquis par un seul époux ou les deux
    • Dans les deux cas, il s’agira d’un acquêt.
    • Il est donc indifférent que le bien ait été acquis par un seul époux avec ses gains et salaires ou avec les revenus de ses propres.
    • Ce qui importe c’est la nature des fonds employés : ils doivent être communs et, s’ils sont propres, ne pas avoir fait l’objet de déclaration d’emploi ou de remploi.
  • S’agissant de l’objet de l’acquisition
    • Principe
      • L’acquisition peut indifféremment porter sur un bien meuble, un immeuble, un bien corporel ou encore un bien incorporel.
      • Là encore, l’article 1401 du Code civil n’opère aucune distinction quant à la nature du bien acquis.
      • Tous les biens sont susceptibles de tomber en communauté, dès lors qu’ils ont fait l’objet d’une acquisition à titre onéreux au cours du mariage.
      • La règle s’applique également en présence de biens très particuliers, tels que les droits sociaux ou encore les offices ministériels dont la valeur a vocation à tomber en communauté.
    • Tempéraments
      • Par exception au principe, certains biens, en raison de leur nature, échappent à l’attraction de la masse commune.
      • L’article 1404 du Code civil pose, en ce sens, le principe général selon lequel « forment des propres par leur nature, quand même ils auraient été acquis pendant le mariage […] tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne. »
      • Ainsi, restent propres les biens qui sont très étroitement attachés à la personne d’un époux.
      • Le texte en dresse une liste non exhaustive, dans laquelle figure « les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux, les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles»
      • Parmi les biens propres par nature, il faut encore compter, précise le second alinéa de l’article 1404 du Code civil, sur « les instruments de travail nécessaires à la profession de l’un des époux, à moins qu’ils ne soient l’accessoire d’un fonds de commerce ou d’une exploitation faisant partie de la communauté. »
  • S’agissant de l’opération d’acquisition
    • Si l’on opte pour une approche extensive de la notion d’acquêt – ce que nous avons fait – il n’est pas nécessaire, pour qu’un bien endosse cette qualification, que l’intégration de ce bien dans la sphère patrimoniale des époux procède d’une acquisition.
    • Ce qui importe c’est que l’opération réalisée par les époux procure à la communauté un enrichissement.
    • Reste que, à l’analyse, selon que cette opération consiste ou non en une acquisition, le statut du bien est susceptible de différer d’une situation à l’autre.
    • En simplifiant à l’extrême, il existe, en effet, deux catégories d’acquêts : les acquêts de droit commun et les acquêts soumis à un statut particulier.
      • S’agissant des acquêts de droit commun
        • Il s’agit des biens qui font l’objet d’une acquisition, soit d’une opération qui consiste en l’utilisation de fonds par les époux aux fins d’obtenir la délivrance d’un bien d’une autre nature.
        • Tel est le cas, lorsque l’obtention du bien procède de la conclusion d’un contrat de vente ou d’un contrat d’entreprise.
        • Les acquêts ordinaires sont soumis au principe de la gestion concurrente, en ce sens que les époux peuvent accomplir seuls sur ces derniers des actes d’administration et de disposition ( 1421 C. civ.).
        • Cette catégorie d’acquêts échappe, par ailleurs, au droit de gage des créanciers lorsqu’un époux souscrit un cautionnement sans le consentement de son conjoint ( 1415 C. civ.).
      • S’agissant des acquêts soumis à un statut particulier
        • Il s’agit des gains et salaires et des revenus de propres
        • Si le caractère commun de ces biens ne soulève désormais plus aucune difficulté, ils n’en restent pas moins soumis à un statut particulier.
        • En premier lieu, ils font l’objet d’une gestion exclusive par l’époux qui les perçoit ( 223 C. civ.).
        • Ils ne sont donc pas soumis au principe de gestion concurrente.
        • En second lieu, à la différence des acquêts ordinaires, les revenus d’un époux sont engagés en cas de souscription d’un cautionnement ou d’un emprunt sans le consentement du conjoint.
    • Cette distinction entre les acquêts de droit commun et les acquêts soumis à un statut particulier étant posée, refocalisons-nous sur la caractérisation de l’opération d’acquisition.
    • Elle présente un véritable enjeu lorsque les revenus d’un époux (gains et salaires et revenus de propres) sont économisés ou investis.
    • La question qui, en pareille hypothèse, se pose est de savoir s’ils conservent leur statut particulier ou s’ils se transforment en acquêts de droit commun.
    • Pour le déterminer, il y a lieu de se tourner vers la jurisprudence dont la position varie selon la nature du placement réalisé.
      • S’agissant du dépôt des revenus sur un compte chèque
        • Lorsque les revenus sont déposés par un époux sur un compte chèque et que, par suite, tout ou partie de ces revenus est thésaurisé, les économies réalisées ne constituent pas un nouveau bien.
        • Elles constituent seulement le produit d’une addition de sommes argent.
        • Aussi, l’opération ne saurait-elle s’analyser en une acquisition.
        • Est-ce à dire que, lorsqu’ils sont économisés, les revenus conservent leur statut particulier, faute de se transformer en un bien nouveau ?
        • La question s’est ardemment posée en doctrine et en jurisprudence.
        • Dans l’affirmative, cela signifie que les économies de revenus échapperaient aux règles applicables aux acquêts de droit commun et que, par voie de conséquence, elles demeureraient, d’une part, soumises au principe de gestion exclusive et d’autre part, comprise dans le gage des créanciers d’une dette de cautionnement ou d’emprunt non consentie par le conjoint.
        • À l’analyse, la question n’est aujourd’hui pas clairement tranchée par la jurisprudence qui, pour autoriser la saisie des revenus du conjoint, se place sur le terrain de la fongibilité des sommes inscrites en compte.
      • S’agissant de la souscription de valeurs mobilières
        • Dans un arrêt du 14 janvier 2003, la Cour de cassation a jugé que les revenus d’un époux placés sur un compte-titres étaient des acquêts.
        • La première chambre civile en tire la conséquence que « le mari ne pouvait engager [lesdits revenus] par un cautionnement contracté sans le consentement exprès de la femme» ( 1ère civ. 14 janv. 2003, n°00-16078).
        • La position adoptée par la Cour de cassation se comprend parfaitement dans la mesure où l’investissement des revenus a donné lieu à l’acquisition d’un bien d’une autre nature qu’une somme d’argent : des titres financiers.
        • Dans cette décision, la Cour de cassation a retenu la même solution pour l’investissement des revenus dans un plan épargne logement
        • Là encore, la solution se justifie aisément, car l’opération consiste ici à souscrire à un produit financier qui procure à l’époux des avantages très particuliers.
      • S’agissant de la souscription de bons de caisse
        • Dans un arrêt du 22 octobre 1980, la Cour de cassation a jugé que la souscription de bons de caisse faisait perdre aux revenus investis leur statut particulier ( 1ère civ. 22 oct. 1980, n°79-14138).
        • Aussi, se transforment-ils en acquêts de droit commun, ce qui, pour l’époux souscripteur, implique qu’il perde son pouvoir de gestion exclusive et son droit de les engager seul lorsqu’il contracte une dette de cautionnement.
  • S’agissant du caractère onéreux de l’opération
    • Pour qu’un bien acquis par un époux tombe en communauté, encore faut-il que l’opération soit réalisée à titre onéreux.
    • Autrement dit, l’acquisition doit donner lieu à l’octroi d’une contrepartie au cédant du bien.
    • Cette contrepartie consistera, le plus souvent, en le paiement d’un prix.
    • Mais il pourra également s’agir de la fourniture d’une chose, en cas d’échange, ou encore d’une prestation de service.
    • Lorsque, en revanche, le bien a été acquis sans contrepartie, soit à titre gratuit, il ne tombera pas en communauté.
    • L’article 1405 du Code civil prévoit en ce sens que « restent propres les biens dont les époux avaient la propriété ou la possession au jour de la célébration du mariage, ou qu’ils acquièrent, pendant le mariage, par succession, donation ou legs. »
    • Les libéralités perçues par un époux ont ainsi vocation à alimenter son actif propre, alors même qu’il s’agit là d’une acquisition.

c. Troisième enseignement : l’exigence d’une acquisition pendant le mariage

L’acquisition d’un bien par un époux à titre onéreux est insuffisante pour faire de ce bien un acquêt.

Cette acquisition doit impérativement intervenir pendant le mariage, soit après l’échange des consentements.

En application de l’article 1405, al. 1er du Code civil, tous les biens acquis avant la célébration de l’union matrimoniale intègrent le patrimoine propre de l’époux acquéreur.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quelle date doit être retenue en cas d’étirement dans le temps de l’opération d’acquisition.

Tel sera notamment le cas en présence d’avant-contrats, tels qu’une promesse unilatérale de vente ou une promesse synallagmatique. La question est également susceptible de se poser pour les contrats assortis d’une condition suspensive ou dans l’hypothèse où le transfert de propriété est différé.

Il ressort de la jurisprudence que, fort logiquement, c’est la date du transfert de propriété qui doit servir de référence pour déterminer si l’acquisition est intervenue avant ou après la célébration du mariage.

À cet égard, plusieurs situations doivent être envisagées :

==> La promesse unilatérale de vente

Pour rappel, aux termes de l’article 1124 du Code civil « la promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. »

La spécificité de cet avant-contrat est que, après que les parties se sont entendues sur les éléments essentiels de contrat de vente projeté, seul le promettant a donné son consentement.

Aussi, la vente ne sera formée qu’au moment de l’exercice de l’option par le bénéficiaire de la promesse.

Ce n’est donc pas au moment de la conclusion de la promesse unilatérale que le transfert de propriété interviendra, mais à la date de levée de l’option.

Dans ces conditions, le bien sera propre si l’option est exercée avant la célébration du mariage et tombera en communauté si l’option est levée postérieurement.

==> La promesse synallagmatique de vente

La promesse synallagmatique de contrat est l’acte par lequel deux parties s’engagent réciproquent l’une envers l’autre à conclure un contrat dont les éléments essentiels (la chose et le prix pour la vente) sont déterminés.

À la différence de la promesse unilatérale de vente, la promesse synallagmatique implique que les deux parties ont donné leur consentement quant à la conclusion du contrat de vente projeté.

C’est la raison pour laquelle l’article 1589 du Code civil prévoit que « la promesse de vente vaut vente, lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix. »

En matière de promesse synallagmatique de vente, le Code civil pose ainsi un rapport d’équivalence entre la promesse et la vente.

Cette équivalence se justifie par le fait que, lors de la conclusion de la promesse synallagmatique, toutes les conditions de validité du contrat de vente sont d’ores et déjà remplies :

  • Les parties ont exprimé leur consentement définitif à la vente
  • Les parties se sont entendues sur la chose et sur le prix

Aussi, est-il admis que le transfert de propriété intervient à la date de conclusion de la promesse et non au jour de la réitération par acte authentique.

Ce n’est que si les parties stipulent expressément dans la promesse synallagmatique que la réitération des consentements est un élément essentiel du contrat de vente que le transfert de propriété sera différé au jour de l’établissement de l’acte authentique.

La raison en est que la règle selon laquelle « la promesse de vente vaut vente n’a qu’un caractère supplétif » (V. en ce sens Cass. 3e civ. 10 mai 2005).

S’agissant d’une promesse synallagmatique de vente conclue avant la célébration, afin de déterminer si le bien vendu tombe ou non en communauté il convient de distinguer deux situations :

  • La réitération des consentements par acte authentique est une simple modalité d’exécution du contrat
    • Dans cette hypothèse, les parties n’ont pas fait de la réitération des consentements un élément essentiel du contrat.
    • Le transfert de propriété interviendra alors à la date de conclusion de la promesse.
    • Le bien acquis par l’époux lui appartiendra donc en propre
  • La réitération des consentements par acte authentique est un élément constitutif du contrat
    • Dans cette hypothèse, les parties ont fait de la réitération des consentements un élément essentiel du contrat.
    • Il en résulte que le transfert de propriété interviendra à la date de l’établissement de l’acte authentique.
    • Si cette formalité est accomplie postérieurement à la célébration du mariage, le bien acquis par l’époux tombera en communauté.

Au bilan, la date du transfert de propriété du bien objet de la promesse synallagmatique de vente dépend de la fonction que les parties ont entendu donner à la réitération des consentements en la forme authentique, à tout le moins lorsqu’elle interviendra postérieurement à la célébration du mariage, tandis que la promesse aura été conclue avant.

==> Le contrat translatif de propriété assorti d’une condition suspensive

Pour mémoire, la condition suspensive stipulée dans un contrat a pour effet de suspendre la naissance d’une obligation à la réalisation d’un événement futur et incertain.

Lorsque cette obligation porte sur la délivrance d’une chose, la question se pose de la date du transfert de propriété.

Est-ce le jour de conclusion du contrat ou est-ce au jour de réalisation de la condition ?

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1179 du Code civil prévoyait que « la condition accomplie a un effet rétroactif au jour auquel l’engagement a été contracté ».

La réalisation de la condition produisait de la sorte un effet rétroactif.

Cette règle a été abandonnée par le législateur lors de la réforme des obligations.

Le nouvel article 1304-5, al. 1er du Code civil prévoit désormais que « l’obligation devient pure et simple à compter de l’accomplissement de la condition suspensive. »

Ainsi, l’obligation sous condition suspensive produit ses effets, non plus au jour de la conclusion du contrat, mais au jour de la réalisation de la condition.

Il en résulte que c’est cette seconde date qui sert de référence pour déterminer si le transfert de propriété du bien objet de la condition intervient avant ou après la célébration du mariage.

Dès lors, si la condition se réalise après la célébration du mariage ce bien tombera en communauté, alors même que le contrat définitif a été conclu avant que les époux ne soient mariés.

==> La stipulation d’une clause différant le transfert de propriété

L’article 1196, al. 2e du Code civil prévoit que le transfert de propriété « peut être différé par la volonté des parties, la nature des choses ou par l’effet de la loi. »

Ainsi, est-il des cas où le transfert de propriété ne sera pas concomitant à la formation du contrat, il sera différé dans le temps.

Ce sont là autant d’exceptions au principe de transfert solo consensu.

En pareil cas, c’est donc la date à laquelle a été différé le transfert de propriété qui permettra de déterminer si le bien est propre ou commun.

Le bien sera propre si le transfert de propriété intervient avant la célébration du mariage et commun s’il se produit après.

Trois hypothèses sont envisagées par l’article 1196 du Code civil :

  • La volonté des parties
    • Les règles qui régissent le transfert de propriété sont supplétives, ce qui implique qu’il peut y être dérogé par convention contraire.
    • Les parties sont ainsi libres de prévoir que le transfert de propriété du bien aliéné interviendra à une date ne correspondant pas à celle de conclusion du contrat.
    • Elles peuvent néanmoins prévoir que le transfert se produira seulement, soit après la survenant d’un événement déterminé, soit au moment du complet paiement du prix.
      • La clause de réserve de propriété
        • Il est courant, en matière commerciale, que le cédant souhaite se ménager le bénéfice d’une clause de réserve de propriété, clause consistant à subordonner le transfert de propriété du bien aliéné au complet paiement du prix.
        • L’article 2367 du Code civil prévoit en ce sens que « la propriété d’un bien peut être retenue en garantie par l’effet d’une clause de réserve de propriété qui suspend l’effet translatif d’un contrat jusqu’au complet paiement de l’obligation qui en constitue la contrepartie»
        • Ainsi, tant que l’acquéreur, qui est entré en possession du bien, n’a pas réglé le vendeur il n’est investi d’aucun droit réel sur celui-ci.
        • La clause de réserve de propriété est un instrument juridique redoutable qui confère à son bénéficiaire une situation particulièrement privilégiée lorsque le débiteur fait l’objet, soit de mesures d’exécution forcée, soit d’une procédure collective.
        • Pour être valable, la clause de réserve de propriété doit néanmoins être stipulée, par écrit, et, au plus tard, le jour de la livraison du bien.
      • La clause de réitération par acte authentique
        • Cette clause consiste à subordonner le transfert de propriété du bien aliéné à la réitération des consentements par acte authentique.
        • Contrairement à ce qui a pu être décidé par certaines juridictions, la stipulation d’une telle clause diffère, non pas la formation du contrat qui est acquise dès l’échange des consentements, mais le transfert de la propriété du bien aliéné.
        • Ce transfert interviendra au moment de la réitération des consentements devant notaire qui constatera l’opération par acte authentique.
        • Dans un arrêt 20 décembre 1994, la haute juridiction a, de la sorte, refusé de suivre une Cour d’appel qui avait estimé que le contrat de vente, objet d’une promesse synallagmatique, n’était pas parfait, dès lors que ladite promesse était assortie d’une clause qui stipulait que « que l’acquéreur sera propriétaire des biens vendus à compter seulement de la réitération par acte authentique».
  • La nature des choses
    • Il est certaines catégories de choses qui se prêtent mal à ce que le transfert de propriété intervienne concomitamment à la formation du contrat
    • Tel est le cas des choses fongibles (de genre) et des choses futures :
      • Les choses fongibles
        • Par chose fongible, il faut entendre une chose qui ne possède pas une individualité propre.
        • L’article 587 du Code civil désigne les choses fongibles comme celles qui sont « de même quantité et qualité» et l’article 1892 comme celles « de même espèce et qualité ».
        • Selon la formule du Doyen Cornu, les choses fongibles sont « rigoureusement équivalentes comme instruments de paiement ou de restitution ».
        • Pour être des choses fongibles, elles doivent, autrement dit, être interchangeables, soit pouvoir indifféremment se remplacer les unes, les autres, faire fonction les unes les autres.
          • Exemple : une tonne de blé, des boîtes de dolipranes, des tables produites en série etc…
        • Les choses fongibles se caractérisent par leur espèce (nature, genre) et par leur quotité.
        • Ainsi, pour individualiser la chose fongible, il est nécessaire d’accomplir une opération de mesure ou de compte.
        • Lorsque des choses fongibles sont aliénées, dans la mesure où, par hypothèse, au moment de la formation du contrat, elles ne sont pas individualisées, le transfert de propriété ne peut pas s’opérer.
        • Aussi, ce transfert de propriété ne pourra intervenir qu’au moment de l’individualisation de la chose fongible, laquelle se produira postérieurement à la conclusion du contrat.
        • Pratiquement, cette individualisation pourra se faire par pesée, compte ou mesure ( 1585 C. civ.)
        • Elle pourra également se traduire par une vente en bloc ( 1586 C. civ.).
        • Le plus souvent cette action sera réalisée le jour de la livraison de la chose.
      • Les choses futures
        • Les choses futures sont celles qui n’existent pas encore au moment de la formation du contrat.
        • À cet égard, l’ancien article 1130 du Code civil disposait que « les choses futures peuvent faire l’objet d’une obligation»
        • Le nouvel article 1130, issu de la réforme des obligations prévoit désormais que « l’obligation a pour objet une prestation présente ou future».
        • Ce cas particulier est bien connu en droit de la vente. On vend bien sans difficulté des immeubles à construire (art. 1601-1 c.civ).
        • Ce n’est pas à dire que la loi ne prohibe pas ponctuellement de tels contrats.
        • L’article L. 131-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit, par exemple, que « la cession globale des œuvres futures est nulle»
        • Lorsque la vente de choses futures est permise, la loi aménage les conséquences de la vente si la chose devait ne jamais exister.
        • En tout état de cause, lorsque le contrat a pour objet l’aliénation d’une chose future, le transfert de propriété ne pourra intervenir qu’au jour où elle existera et plus précisément au jour où elle sera livrée à l’acquéreur.
  • L’effet de la loi
    • Il est des cas où le transfert de propriété du bien aliéné sera différé sous l’effet de la loi.
    • Il en va ainsi de la vente à terme définie à l’article 1601-2 du Code civil comme « le contrat par lequel le vendeur s’engage à livrer l’immeuble à son achèvement, l’acheteur s’engage à en prendre livraison et à en payer le prix à la date de livraison. »
    • Le texte poursuit en précisant que « le transfert de propriété s’opère de plein droit par la constatation par acte authentique de l’achèvement de l’immeuble ; il produit ses effets rétroactivement au jour de la vente. »
    • Le transfert de propriété du bien est également différé en matière de vente en l’état futur d’achèvement définie à l’article 1601-3 du Code civil comme « le contrat par lequel le vendeur transfère immédiatement à l’acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des constructions existantes. »
    • À la différente de la vente à terme, ici les ouvrages à venir deviennent la propriété de l’acquéreur au fur et à mesure de leur exécution, étant précisé que l’acquéreur est tenu d’en payer le prix à mesure de l’avancement des travaux.

2. Acquisition à titre gratuit

En application de l’article 1405, al. 1er du Code civil, les biens que les époux acquièrent, pendant le mariage, par succession, donation ou legs, échappent, par principe, au pouvoir d’attraction de la masse commune puisque, nous dit le texte, ils « restent propres » à l’époux gratifié.

La règle ainsi instituée n’est toutefois que supplétive, de sorte qu’il peut y être dérogé par convention contraire.

Le second alinéa de l’article 1405 du Code civil prévoit en ce sens que « la libéralité peut stipuler que les biens qui en font l’objet appartiendront à la communauté. »

Il ressort de cette disposition que pour que le bien reçu à titre gratuit alimente la masse commune, le disposant doit en avoir manifesté la volonté.

À cet égard, le texte précise que, faute de stipulation expresse, « les biens tombent en communauté, sauf stipulation contraire, quand la libéralité est faite aux deux époux conjointement. »

Autrement dit, dès lors que la libéralité est adressée conjointement aux deux époux, le bien est commun, son entrée en communauté fût-elle tacite.

Tel sera le cas, par exemple, si une somme d’argent est déposée sur le compte joint des époux (V. en ce sens CA Bastia, 8 avr. 2009).

Le disposant dispose néanmoins de la faculté de prévoir que le bien ne tombera pas en communauté.

Dans cette hypothèse, le bien cédé à titre gratuit aux deux époux fera l’objet d’une indivision ordinaire et échappera donc aux règles applicables aux biens communs.

B) Les biens provenant de l’industrie des époux

Au premier rang des biens qui alimentent la communauté, l’article 1401 du Code civil vise ceux qui proviennent de « l’industrie personnelle » des époux.

Par industrie, il faut entendre le travail fourni par les époux qui donne lieu à une création de valeur.

Il s’agit là, pour la plupart des couples mariés, de la principale source d’acquêts, d’où l’enjeu de leur identification.

À l’analyse, l’industrie des époux peut engendrer deux sortes de biens :

  • Les gains et salaires qui ne sont autres que la rémunération perçue en contrepartie d’un travail fourni
  • Les créations matérielles et immatérielles qui sont le produit d’une activité commerciale, artisanale, libérale ou artistique

1. Les gains et salaires

a. La nature des gains et salaires

Parce que l’article 1401 du Code civil vise expressément l’industrie des époux comme source d’acquêts, la nature des différentes rémunérations en argent susceptibles d’être perçues par les époux relevait, sous l’empire du droit antérieur, de l’évidence : il s’agit de biens communs.

La raison en est que la rémunération, sous la forme de gains et salaires, n’est autre que la contrepartie financière à la fourniture d’un travail.

Or dans l’esprit du législateur en 1804, s’il est des biens qui devaient nécessairement tomber en communauté, ce sont les produits du travail, quelle que soit leur forme, car constituant la principale, sinon l’unique, source de subsistance et de richesse du foyer conjugal.

Pour cette raison, leur nature d’acquêt n’a jamais été discutée, ni par la doctrine, ni par la jurisprudence, à tout le moins jusqu’à l’adoption de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

En effet, animé par la volonté d’instaurer une égalité dans les rapports conjugaux, le législateur a, par ce texte, conféré à chaque époux – pratiquement à la femme mariée – le droit de percevoir et disposer librement de ses gains et salaires.

C’était autrement dit leur reconnaître un pouvoir de gestion exclusive sur la rémunération de leur travail.

D’aucuns en ont tiré la conséquence que, tant que les gains et salaires n’étaient pas investis, ils appartiennent en propre à l’époux qui les perçoit, puisque échappant au principe de gestion conjointe des biens communs.

Cette thèse défendue par une frange de la doctrine a provoqué un débat doctrinal qui s’est, par suite, déporté sur le terrain judiciaire. Dans le silence des textes, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de trancher.

i. Enjeux de la qualification

L’enjeu de la qualification des gains et salaires n’est pas que théorique ; il présente un réel intérêt pratique.

L’enjeu est ici de déterminer si, au moment de la liquidation du régime matrimonial, les gains et salaires ont vocation à être partagés par moitié entre les époux et, le cas échéant, si leur utilisation par un époux à des fins exclusivement personnels (financement de l’acquisition ou de l’amélioration d’un bien propre), ouvre droit à récompense au profit de la communauté.

L’enjeu ne doit toutefois pas être surestimé. Il peut, en effet, être observé que si l’on se place sur le terrain des pouvoirs dont sont investis les époux mariés sous le régime légal, il est indifférent que les gains et salaires soient regardés comme des biens communs ou des biens propres.

Dans les deux cas, ils sont soumis au principe de gestion exclusive :

  • S’ils sont qualifiés de biens communs, il y a lieu de se reporter à l’article 223 du Code civil qui pose le principe de libre perception et de disposition des gains et salaires
  • S’ils sont qualifiés de biens propres, il convient de se reporter à l’article 1428 du Code civil qui prévoit que « chaque époux a l’administration et la jouissance de ses propres et peut en disposer librement. »

De la même manière, la qualification des gains et salaires est sans incidence sur leur exclusion du gage des créanciers en cas de dette commune née du chef d’un seul époux.

Quel que soit l’objet de la dette contractée par l’époux débiteur, dès lors qu’elle présente un caractère commun, elle ne sera jamais exécutoire sur les gains et salaires de son conjoint.

Cette exclusion est expressément prévue par l’article 1414 du Code civil pour les dettes communes et par l’article 1415 pour les dettes d’emprunt et de cautionnement.

À l’analyse, l’enjeu ne sera pas ici de savoir si les gains et salaires tombent en communauté, mais de déterminer si, une fois perçus, ils conservent leur statut particulier ou si, lorsqu’ils sont inscrits sur un compte bancaire ils se transforment en acquêts ordinaires.

Tandis que dans le premier cas ils pourront être saisis au titre d’une dette d’emprunt ou de cautionnement, dans le second cas ils échapperont au droit de poursuite du créancier saisissant.

Au bilan, la qualification des gains et salaires présente un enjeu au seul stade de la dissolution du régime.

L’intérêt du débat n’en est pas moins considérable. Ainsi que le relève Isabelle Dauriac « c’est la réalisation même de l’objectif communautaire du régime légal qui en dépend » [2].

ii. Controverse doctrinale

La question de la nature des gains et salaires s’est posée après l’adoption de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

En substance, deux thèses se sont affrontées : d’un côté la thèse faisant des gains et salaires des biens propres et d’un autre côté la thèse défendant leur caractère commun.

  • S’agissant de la thèse faisant des gains et salaires des biens propres
    • Cette thèse était défendue par une partie minoritaire de la doctrine[3].
    • Elle reposait, en substance, sur deux arguments principaux
      • Premier argument
        • L’argument majeur avancé pour défendre la qualification de propres des gains et salaires était tiré de l’ancien article 224 du Code civil (devenu 223).
        • Pour mémoire, cette disposition prévoit notamment que les époux peuvent disposer librement de leurs gains et salaires.
        • Or le droit de disposer d’un bien n’est autre que l’un des attributs du droit de propriété, en l’occurrence l’abusus qui, de surcroît, est l’expression du droit de propriété la plus extrême, car il emporte le droit d’aliéner le droit de propriété ; raison pour laquelle l’usufruitier en est privé.
        • Si donc les époux sont titulaires du droit de disposer de leurs gains et salaires, c’est parce qu’il s’agit de biens propres.
      • Second argument
        • Le second argument soutenu par les auteurs consistait à adopter une approche restrictive de la notion d’acquêt.
        • Il ressort d’une lecture littérale de l’article 1401 du Code civil que seuls les biens ayant fait l’objet d’une acquisition à titre onéreux endosseraient la qualification d’acquêt.
        • On pourrait alors en déduire que, bien que provenant de l’industrie personnelle des époux, les gains et salaires demeurent des biens propres tant qu’ils ne sont pas employés à l’acquisition d’un bien nouveau.
  • S’agissant de la thèse faisant des gains et salaires des biens communs
    • Cette thèse a été adoptée par la doctrine majoritaire qui, pour refuser la qualification de biens propres aux gains et salaires, a retourné les arguments avancés par la thèse adverse
      • Premier argument
        • Bien que l’ancien article 224 du Code civil (devenu 223) confère aux époux le droit de percevoir et de disposer librement de leurs gains et salaires, il s’agit là d’une règle, non pas de propriété, mais de pouvoirs.
        • Autrement dit, elle ne préjuge en rien de la qualification des gains et salaires.
        • La règle énoncée se limite à régir les prérogatives dont sont investis les époux sur les rémunérations qu’ils perçoivent au titre de leurs activités professionnelles respectives.
        • L’objectif recherché par le législateur est ici d’assurer l’indépendance professionnelle des époux et non d’instaurer une règle de répartition de l’actif.
        • À cet égard, si tel avait été son intention il n’aurait pas logé cette règle dans une disposition qui relève du régime primaire impératif.
        • Le régime primaire n’a, en effet, pas vocation à traiter la qualification des biens appartenant aux époux, celle-ci étant susceptible de diverger d’un régime à l’autre.
        • Or le régime primaire s’applique à tous les époux quel que soit le régime matrimonial pour lequel ils ont opté.
      • Deuxième argument
        • Contrairement à ce qui est soutenu par les auteurs qui qualifient les gains et salaires de biens propres, il n’est pas nécessaire, pour qu’un bien endosse la qualification d’un bien commun, qu’il soit le produit d’une opération d’acquisition.
        • L’article 1401 du Code civil prévoit seulement que le bien doit provenir, notamment, de l’industrie personnelle des époux.
        • Or par hypothèse, c’est bien de leur industrie que proviennent les gains et salaires des époux.
        • La rémunération n’est autre que la contrepartie financière à un travail fourni.
        • À cet égard, il peut être observé que la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 a repris, à un mot près, l’ancien article 1498, al. 2e du Code civil qui déterminait le périmètre des acquêts lorsque le régime de la communauté réduite aux acquêts n’avait pas encore été élevé au rang de régime légal.
        • La règle telle que formulée par les rédacteurs du Code civil a seulement été transférée à l’article 1401 du Code civil.
        • Or à cette époque, ainsi que le relèvent des auteurs « on sait que l’acquêt du Code civil s’entendait en un sens très large».
        • En somme la notion recouvrait tout ce que les « époux gagnent par leur travail, leur activité et leur esprit d’épargne»[4].
        • Les acquêts ne se limitaient donc pas aux biens acquis à titre onéreux.
        • Ils comprenaient également tous les revenus perçus par les époux.
        • Ces revenus pouvaient provenir, tant de leurs biens propres, que de leur industrie personnelle.
        • Cette conception – large – de la notion d’acquêt s’expliquait, comme vu précédemment, notamment par l’attribution de l’usufruit des biens propres à la communauté.
        • Mais, la loi du 13 juillet 1965 a supprimé cette règle ; d’où l’incertitude créée sur le périmètre de la notion d’acquêt.
        • Il n’en reste pas moins que le législateur n’a pas souhaité le modifier.
        • Les travaux préparatoires révèlent d’ailleurs qu’un amendement qui visait à faire des économies de gains et salaires a été rejeté.
        • C’est là un indice qui confirme le maintien du périmètre des biens communs tel qu’envisagé en 1804.
      • Troisième argument
        • L’instauration d’une communauté dans un régime matrimonial ne se conçoit que si les époux entendent mettre en commun le produit de leur travail.
        • C’est là leur principale source de richesse, sinon la seule.
        • Aussi, exclure les gains et salaires de la masse commune reviendrait à vider de son intérêt la communauté.
        • Pour que la communauté puisse réaliser l’union des intérêts pécuniaires des époux, encore faut-il qu’elle soit alimentée en valeur.
        • Or si elle ne recueille qu’une part résiduelle des biens acquis par les époux, l’objectif qui lui est assigné ne saurait être atteint.
        • Pour cette raison, les gains et salaires perçus par les époux ne peuvent constituer que des biens communs.

Au bilan, les arguments avancés par les auteurs défendant le caractère propre des gains et salaires n’emportent pas la conviction.

Au fond, l’argument décisif est, selon nous, que le législateur a, en 1965, élevé le régime de la communauté réduite aux acquêts au rang de régime légal sans en modifier l’élément central : la notion d’acquêt.

C’est là la preuve que le législateur a entendu maintenir ce régime tel que façonné et pensé en 1804.

Au surplus, instituer en régime légal un régime communautaire n’est pas neutre. La démarche témoigne d’une volonté de faire de la mise en commun des biens le modèle s’appliquant au plus grand nombre.

Or pour que cette démarche ait un sens, cela suppose que la masse commune soit alimentée par le plus petit dénominateur commun des richesses captées par les époux au cours du mariage : les produits de leur travail sous toutes leurs formes, dont les rémunérations en argent que sont les gains et salaires.

iii. Position de la jurisprudence

Peu de temps après l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, la question de la qualification des gains et salaires n’a pas manqué d’être soulevée dans les prétoires.

Par un jugement rendu en date du 17 juin 1969, le Tribunal de grande de Bordeaux s’est prononcé en faveur de la qualification de biens communs (TGI Bordeaux, 17 juin 1969).

Cette décision a été confirmée dans un arrêt rendu le 5 janvier 1971 par la Cour d’appel de Bordeaux qui, après avoir rappelé que sous l’empire de l’article 1498 reproduit par l’article 1401 nouveau, les produits du travail étaient communs dès l’origine, a jugé que « l’article 224, al. 2er [devenu 223] ne permet pas d’inférer la faculté offerte aux époux de disposer librement de ses gains et salaires après s’être acquitté des charges du mariage, le caractère propre de ceux-ci » (CA Bordeaux, 5 janv. 1971).

Bien que cette affaire n’ait pas été déférée devant la Cour de cassation elle a, par suite, eu l’occasion d’exprimer sa position.

Dans un arrêt du 8 février 1978, elle la Première chambre civile a notamment affirmé, au visa de l’article 1401 du Code civil que « les produits de l’industrie personnelle des époux font partie de la communauté » (Cass. 1ère civ. 8 févr. 1978, n°75-15731).

Ainsi, pour la Cour de cassation, les gains et salaires perçus par les époux constituent des biens communs.

Cette solution a été reconduite ultérieurement à plusieurs reprises, notamment dans un arrêt rendu le 31 mars 1992 aux termes duquel elle valide la décision de la Cour d’appel qui avait retenu le caractère de biens communs des salaires perçus par un époux (Cass. 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-16343).

Désormais, la nature des gains et salaires ne soulève plus aucune difficulté. Il est unanimement admis qu’ils tombent en communauté, y compris avant même qu’ils ne soient perçus (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 27 mai 2010, n°09-11894).

Cette position adoptée par la jurisprudence au début des années 1970 a été renforcée par la loi du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux et ses conséquences en matière de sociétés.

L’article 1411, al. 1er du Code civil dispose par exemple, dans sa nouvelle rédaction, que les créanciers de l’un ou de l’autre époux au titre de ses dettes personnelles « ne peuvent poursuivre leur paiement que sur les biens propres et les revenus de leur débiteur. »

Si le législateur avait voulu faire des gains et salaires des biens propres, pourquoi les viser séparément dans le texte.

L’adjonction ne se justifie que si l’on appréhende les revenus des époux comme des biens communs, ce qui a été fait par le législateur.

Un autre exemple peut être tiré de la lettre de l’article 1414 du Code civil qui prévoit que « les gains et salaires d’un époux ne peuvent être saisis par les créanciers de son conjoint que si l’obligation a été contractée pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, conformément à l’article 220. »

Là encore l’énoncé de cette règle eut été parfaitement inutile si les revenus perçus par les époux étaient des biens propres, l’article 1418 prévoyant déjà que « lorsqu’une dette est entrée en communauté du chef d’un seul des époux, elle ne peut être poursuivie sur les biens propres de l’autre ».

b. Le domaine des gains et salaires

Une fois la nature des gains et salaires identifiée, qui donc endossent la qualification de biens communs, encore faut-il déterminer ce que l’on doit entendre par gains et salaires.

Que recouvre cette notion énoncée à l’article 223 du civil ? Toutes les rémunérations perçues par les époux sont-elles visées ?

À l’analyse, si l’on se reporte à l’article 1401 du Code civil, seules celles qui proviennent de l’industrie personnelle des époux, relèvent du domaine des gains et salaires.

Autrement dit, la rémunération perçue doit nécessairement avoir pour cause la fourniture d’un travail et plus généralement l’exercice d’une activité professionnelle.

Classiquement on distingue deux catégories de rémunérations qui sont comprises dans le périmètre des gains et salaires :

  • Les rémunérations du travail
  • Les substituts de rémunérations du travail

i. Les rémunérations du travail

Pour qu’une rémunération relève de la catégorie des gains et salaires, elle doit provenir de la fourniture d’un travail. Quant à sa forme, elle est indifférente.

==> La provenance de la rémunération

Dès lors qu’une rémunération provient de l’industrie personnelle d’un époux, elle a vocation à tomber en communauté.

À cet égard, le choix de la formule « gains et salaires » n’est pas neutre. En visant spécifiquement les gains et les salaires, le législateur a entendu couvrir les rémunérations perçues au titre, tant de l’exercice d’une activité subordonnée, que d’une activité indépendante.

  • Un salaire
    • Le salaire consiste en une rémunération perçue au titre de l’exercice d’une activité subordonnée.
    • Contrairement à ce que suggère, en première intention, le terme salaire, n’est pas seulement visée la rémunération versée à un salarié dans le cadre de l’exécution d’un contrat de travail.
    • La notion de salaire doit être entendue dans un sens bien plus large.
    • Aussi, relèvent également de cette catégorie le traitement perçu par un fonctionnaire, la solde touchée par un militaire ou encore le cachet réglé à un artiste.
  • Un gain
    • Parce que la perception d’une rémunération peut intervenir dans le cadre de l’exercice d’une activité indépendante, le législateur a adjoint au terme salaire la notion de gain.
    • Le gain consiste, en substance, en la rémunération qu’un travailleur indépendant retire de son activité.
    • La notion de gain recouvre de très nombreuses variétés de rémunération.
    • Il peut, en effet, s’agir d’honoraires, d’émoluments, de bénéfices commerciaux ou non commerciaux, de commissions, de redevances ou encore de droits d’auteur.

S’agissant du travail donnant lieu à la perception d’un salaire ou d’un gain, il est indifférent qu’il soit fourni à titre occasionnel (travail saisonnier) ou à titre habituel (travail salarié).

La Cour de cassation a été jusqu’à admettre dans un arrêt du 30 juin 1992 que le travail pouvait avoir été fourni à titre exceptionnel (Cass. 1ère 30 juin 1992, n°90-18407). Au cas particulier, il s’agissait d’une gratification exceptionnelle versée par un employeur à son salarié.

Ce qui importe, nous dit la Première chambre civile, c’est que la rémunération soit perçue dans le cadre de l’exercice d’une activité professionnelle.

==> La forme de la rémunération

Dès lors qu’il est établi que la rémunération perçue par un époux provient de son industrie personnelle, la forme de cette rémunération est indifférente.

Il peut s’agir, tant d’une rémunération en argent, ce qui est la situation la plus courante, que d’une rémunération en nature, telle que l’octroi d’un véhicule de fonction ou la mise à disposition d’un logement.

Si ces situations ne soulèvent aucune difficulté de qualification, il est des cas où le doute existe en raison de la spécificité de la rémunération.

  • La rémunération sous forme de valeurs mobilières
    • À titre de rémunération complémentaire les dirigeants d’une entreprise ainsi que ses salariés peuvent se voir attribuer des valeurs mobilières.
    • Cette rémunération peut prendre deux formes
      • L’épargne salariale
        • L’article L. 3332-1 du Code du travail autorise les personnes morales à mettre en place un plan d’épargne d’entreprise.
        • Il s’agit d’un système d’épargne collectif ouvrant aux salariés de l’entreprise la faculté de participer, avec l’aide de celle-ci, à la constitution d’un portefeuille de valeurs mobilières.
        • À cet égard, il est admis que sommes inscrites en compte au titre de l’épargne salariale (intéressement et participation) tombent en communauté (V. en ce sens 1ère civ. 23 mai 2006, n°05-11512)
      • Les stock-options
        • S’agissant des stock-options, leur qualification a fait l’objet d’un débat. Pour rappel, il s’agit d’options de souscription d’actions consentie par une société à ses dirigeants ou à certains salariés dont la durée de validité et le prix sont déterminés au moment de leur attribution.
        • Lorsque l’option est exercée avant ou pendant le mariage, la qualification de la stock-option ne soulèvera pas de difficulté. Il y a lieu d’appliquer les critères de qualification de n’importe quel bien. Il s’agira d’un bien propre si l’option est levée avant le mariage et d’un bien commun si l’option est levée postérieurement à la célébration de l’union conjugale.
        • Plus délicate est revanche l’hypothèse où la stock-option est attribuée à un époux pendant le mariage et que l’option est levée après la dissolution du régime matrimoniale.
        • Certains auteurs ont soutenu que, dans la mesure où les stock-options étaient attribuées à l’époux en considération de sa personne, il convenait de les traiter comme des biens propres en application de l’article 1404 du Code civil.
        • Pour mémoire, cette disposition prévoit que « forment des propres par leur nature, quand même ils auraient été acquis pendant le mariage […] tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne. »
        • D’autres auteurs ont avancé qu’il y avait lieu d’opérer une qualification distributive en distinguant le titre et la finance.
        • Autrement dit, tandis que l’instrument financier, support de l’option de souscription d’actions, serait propre car strictement attaché à la personne de l’époux attributaire, la valeur de cet instrument serait en revanche commune, au même titre que n’importe quelle rémunération.
        • Finalement, dans un arrêt du 9 juillet 2014, la Cour de cassation a opté pour la première thèse, soit pour la qualification de bien propre ( 1ère civ. 9 juill. 2014, n°13-15948).
        • Aux termes de cette décision, elle a, en effet, jugé, au visa des articles 1401 et 1404 du Code civil que « selon ces textes, si les droits résultant de l’attribution, pendant le mariage à un époux commun en biens, d’une option de souscription ou d’achat d’actions forment des propres par nature, les actions acquises par l’exercice de ces droits entrent dans la communauté lorsque l’option est levée durant le mariage».
        • Ainsi donc, lorsque l’option est levée postérieurement à la dissolution du mariage, la stock-option endosse la qualification de bien propre.
  • La rémunération perçue au titre de l’exploitation d’un bien propre
    • Il est des cas où un époux tirera sa rémunération de l’exploitation d’un bien propre.
    • Il pourra s’agir d’un fonds de commerce, artisanal ou libéral, d’une exploitation agricole ou encore d’un office ministériel (notaire, huissier) lesquels auront été acquis avant la célébration de l’union matrimoniale ou, à titre gratuit pendant le mariage.
    • Dans ces hypothèses quel traitement réserver à la rémunération perçue par l’époux ?
    • Cette rémunération constitue, tout à la fois, le revenu d’un bien propre et un gain professionnel.
    • Dans le silence des textes, qui n’envisagent pas ce cas de figure, il y a lieu de se tourner de la jurisprudence.
    • Dans un arrêt du 4 janvier 1995, la Cour de cassation a jugé que les revenus tirés d’une exploitation agricole tombaient en communauté en leur qualité de revenus de propres ( 1ère civ. 4 janv. 1995, n°92-20013).
    • Dans un arrêt du 16 mai 2000, la première chambre civile semble finalement être revenue sur sa position en assimilant les revenus d’une exploitation agricole à des gains professionnels (V. en ce sens 1ère civ. 16 mai 2000, n°97.18612).
    • En tout état de cause, que la rémunération perçue au titre de l’exploitation d’un bien propre, soit qualifiée de revenu de propre ou de gain professionnel, dans les deux cas elle a vocation à tomber en communauté.
  • La rémunération perçue au titre d’un apport en industrie
    • Lorsqu’un époux est associé dans une société il peut être titulaire de parts en industrie.
    • Pour mémoire, cette catégorie de parts est attribuée en contrepartie de ce que l’on appelle un apport en industrie.
    • En substance, l’apport en industrie consiste pour un associé à mettre à disposition de la société, sa force de travail, ses compétences, son expérience, son savoir-faire ou encore son influence.
    • La spécificité de cet apport est que, s’il ne donne pas droit à des parts de capital, il ouvre néanmoins droit à participer aux bénéfices.
    • Aussi, l’apporteur percevra-t-il une rémunération en contrepartie de son travail.
    • Cette rémunération sociale relève-t-elle du domaine des gains et salaires ? On en légitimement en droit de s’interroger.
    • À l’analyse, très tôt la jurisprudence a admis que la rémunération perçue au titre d’un apport en industrie était constitutive d’un gain professionnel (V. en ce sens req. 3 nov. 1941).
    • À cet égard, il peut être observé que, si sous l’empire du droit antérieur à la loi n°2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, les parts en industries ne pouvaient être émises que dans les sociétés de personnes, les apports en industrie sont désormais autorisés dans toutes les sociétés à l’exception des sociétés anonymes.

ii. Les substituts de rémunération du travail

La catégorie des gains et salaires ne se limite pas aux rémunérations perçues au titre de la fourniture d’un travail, elle comprend plus largement toutes les rémunérations qui ont pour cause l’exercice d’une activité professionnelle.

Aussi, sont assimilés aux gains et salaires ce que l’on appelle les substituts de rémunération du travail. Il s’agit de toutes les indemnités qui visent à remplacer la rémunération du travail.

Ces indemnités sont de deux ordres : Elles sont susceptibles d’être versées au titre de l’interruption de l’activité professionnelle ou au titre de sa cessation.

  • Les indemnités versées au titre de l’interruption de l’activité professionnelle
    • Sont ici concernées les indemnités versées consécutivement à une maladie ou à un accident.
    • À l’analyse, Il y a lieu ici de distinguer selon que l’indemnité vise à réparer un dommage corporel (physique ou psychique) ou à compenser une perte de revenus.
      • L’indemnité vise à compenser une perte de revenus consécutive à une maladie ou à un accident
        • Dans cette hypothèse, l’indemnité est constitutive d’un bien propre en application de l’article 1404 du Code civil.
        • Dans un arrêt du 17 novembre 2010, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « le capital versé au bénéficiaire au titre d’un contrat d’assurance garantissant le risque invalidité a, réparant une atteinte à l’intégrité physique, un caractère personnel de sorte qu’il constitue un bien propre par nature» ( 1ère civ. 17 nov. 2010, n°09-72316)
      • L’indemnité vise à compenser une perte de revenus
        • Dans cette hypothèse, après avoir hésité, la jurisprudence considère que l’indemnité perçue tombe en communauté.
        • La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 23 octobre 1990 en jugeant que la somme versée au titre de l’incapacité temporaire totale de travail, dès lors qu’elle est destinée à compenser la perte de revenus, « cette somme tombe en communauté comme les salaires qui auraient dû être perçus et dont elle constitue un substitut» ( 1ère civ. 23 oct. 1990, n°89.14448).
        • Cette solution a été réaffirmée à plusieurs reprises, notamment dans un arrêt rendu le 29 juin 2011 ( 1ère civ. 29 juin 2011, n°10-23373).
        • Elle a par ailleurs été transposée au cas de perception d’une indemnité d’assurance emprunteur.
        • La Cour de cassation a, en effet, jugé que les indemnités versées par l’assureur ont pour objet, « non de réparer un dommage affectant la personne du souscripteur, mais de compenser la perte de revenus consécutive au licenciement de celui-ci»
        • Elle en déduit que ces indemnités tombent en communauté ( 1ère civ. 3 févr. 2010, n°08-21054).
  • Les indemnités versées au titre de la cessation de l’activité professionnelle
    • L’indemnité de licenciement
      • Cette indemnité est versée au salarié en cas de rupture du contrat de travail par l’employeur.
      • Aussi, vise-t-elle à réparer le préjudice causé par la perte d’emploi.
      • Dans un arrêt du 5 novembre 1991, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que l’indemnité de licenciement versée à un salarié a pour objet de réparer le préjudice résultant de la perte de son emploi, et non un dommage affectant uniquement sa personne,
      • Dans ces conditions, elle a vocation à tomber en communauté ( 1ère civ. 5 nov. 1991, n°90-13479).
      • Les auteurs s’accordent à dire qu’il est indifférent que l’indemnité de licenciement soit contractuelle ou judiciaire.
      • Il en va de même de l’indemnité transactionnelle versée en contrepartie d’une démission du salarié.
      • La solution est désormais bien établie en jurisprudence (V. en ce sens 1ère civ. 28 nov. 2006, n°04-17147).
      • À cet égard, il peut être observé que, en cas de versement de l’indemnité postérieurement à la dissolution de la communauté, la date qui doit être prise en compte pour déterminer si cette indemnité tombe en communauté c’est la date de notification du licenciement.
      • Si la notification intervient après la dissolution du mariage, l’indemnité de licenciement sera constitutive d’un bien propre.
    • L’indemnité de révocation du dirigeant
      • Par analogie avec la solution retenue en matière d’indemnité de licenciement, l’indemnité versée à un dirigeant au titre de sa révocation est un bien commun (V. en ce sens 1ère civ. 5 mars 2008, n°07-14729).
    • L’indemnité de reconstitution de carrière
      • Cette indemnité est versée à un fonctionnaire qui a fait l’objet d’une éviction illégale.
      • Aussi, s’agit-il de lui verser les traitements qu’ils auraient dû percevoir s’il n’avait pas été révoqué, ce qui implique une reconstitution de sa carrière.
      • Dans un arrêt du 15 février 1965, la Cour de cassation a jugé que, dans la mesure où l’indemnité versée visait à compenser une perte de revenus, elle tombait en communauté ( 1ère civ. 15 févr. 1965, n°62-13254).
    • L’indemnité de non-concurrence
      • Cette indemnité est versée à un salarié en contrepartie de son engagement de ne pas exercer une activité professionnelle concurrente à celle de l’entreprise qu’il quitte.
      • Il est admis qu’elle vise à compenser les revenus que le débiteur de la clause de non-concurrence se prive de percevoir conformément aux termes de son engagement.
      • Aussi, constitue-t-elle un bien commun ( soc. 26 mars 1984).
    • L’indemnité de départ en retraite
      • Cette indemnité qui est versée sous forme de capital au jour du départ en retraite d’un salarié est un bien commun ( 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-16343).
      • Elle ne tombera toutefois en communauté qu’à la condition qu’elle soit exigible avant la dissolution du mariage.
      • La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 29 juin 2011 en jugeant, s’agissant du versement d’un pécule d’incitation au départ anticipé dont l’octroi est notamment subordonné à certaines conditions de durée de services et dont le versement trouve dès lors sa cause dans l’activité professionnelle exercée au cours du mariage, qu’il entrait en communauté à compter de la décision d’octroi ( 1ère civ. 29 juin 2011, n°10-20322).

2. Les biens créés

Les gains et salaires ne sont pas les seuls biens qui proviennent de l’industrie personnelle des époux à tomber en communauté. Subissent le même sort les biens directement créés par les époux, mais encore les plus-values apportées à un bien.

Encore faut-il que l’acte de création intervienne pendant le mariage et que le bien créé ne présente pas un caractère trop personnel.

Ces deux exigences ne sont pas sans soulever des difficultés juridiques pour certains biens. Nous envisagerons ici le statut des créations les plus courantes.

a. Les créations intellectuelles

L’activité d’un époux peut consister à produire des créations intellectuelles au nombre desquelles figurent notamment :

  • Les œuvres de l’esprit (tableaux, films, morceau de musique, pièce de théâtre, romans etc.)
  • Les inventions qui peuvent donner lieu à l’octroi d’un brevet
  • Les signes distinctifs qui permettent d’identifier une enseigne commerciale et qui peuvent être déposés en tant que marque
  • Le savoir-faire, telle qu’une recette de cuisine ou une méthode de fabrication
  • Les logiciels informatiques
  • Les bases de données
  • Les idées

Il convient d’observer que si, toutes les créations intellectuelles sont des choses incorporelles, seulement certaines relèvent de la catégorie des biens.

La raison en est que les choses incorporelles ne peuvent faire l’objet d’un droit de propriété, qu’à la condition que ce droit soit reconnu par un texte spécifique.

Aussi, les créations dont l’appropriation n’est protégée par aucun texte n’ont, par hypothèse, pas vocation à tomber en communauté.

Seules celles qui confèrent à leur créateur un droit de propriété sont donc concernées par la qualification d’acquêt.

En schématisant en distingue les créations protégées par le droit de la propriété littéraire et artistique et les créations protégées par le droit de la propriété industrielle.

i. Les créations protégées par le droit de la propriété littéraire et artistique

Les créations protégées par le droit de la propriété littéraire et artistique sont celles qui répondent au critère d’originalité.

Par originalité, il faut entendre, selon la définition désormais consacrée, « l’empreinte de la personnalité de l’auteur sur son œuvre » (CA Paris, 1re ch., 1er avril 1957).

À cet égard, originalité ne signifie pas nécessairement esthétisme, contrairement à ce qui a pu être soutenu par certaines auteurs[5].

L’article L 112-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit en ce sens que le droit de la propriété littéraire et artistique protège « les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ».

Il est ainsi admis que les logiciels bénéficient de la protection du droit d’auteur. Ils figurent d’ailleurs dans la liste des œuvres de l’esprit dressée par l’article L. 112-2 du CPI).

Quoi qu’il en soit, dès lors que la condition d’originalité est remplie, l’œuvre est constitutive d’un bien susceptible d’exploitation économique.

À cet égard, l’œuvre est source de valeur en ce que :

  • D’une part, elle est l’objet de droits patrimoniaux et moraux
  • D’autre part, est susceptible de procurer à l’auteur des revenus d’exploitation
  • Enfin, elle peut être exploitée en tant que chose corporelle

==> L’œuvre comme objet de droits moraux et patrimoniaux

Le Code de la propriété intellectuelle confère à l’auteur sur son œuvre deux catégories de droits :

  • Les droits patrimoniaux qui comprennent notamment le droit de représentation et le droit de reproduction de l’œuvre
  • Les droits moraux qui comprennent le droit de paternité, le droit de divulgation ou encore le droit au respect de l’œuvre

Tandis que les premiers sont librement cessibles et peuvent donc faire l’objet d’une exploitation commerciale, les seconds sont inaliénables à telle enseigne qu’ils sont regardés comme des droits personnels.

En raison de la nature hybride de l’œuvre de l’esprit qui, tout à la fois, est un bien économique et une chose hors du commerce, la question s’est rapidement posée de savoir si elle tombait en communauté ou si elle était constitutive d’un bien propre.

Pour le déterminer, il y a lieu d’envisager successivement la qualification des droits moraux et des droits patrimoniaux.

  • S’agissant des droits moraux
    • C’est la loi qui définit le statut du droit moral de l’auteur quel que soit le régime matrimonial auquel il est soumis.
    • L’article L. 121-9 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que « sous tous les régimes matrimoniaux et à peine de nullité de toutes clauses contraires portées au contrat de mariage, le droit de divulguer l’œuvre, de fixer les conditions de son exploitation et d’en défendre l’intégrité reste propre à l’époux auteur ou à celui des époux à qui de tels droits ont été transmis. »
    • Il s’infère donc de cette disposition que les droits moraux dont est titulaire l’auteur d’une œuvre sont propres.
    • En aucune manière, ils ne sauraient donc tomber en communauté.
    • Le texte précise d’ailleurs que le droit moral « ne peut être apporté en dot, ni acquis par la communauté ou par une société d’acquêts ».
    • Il s’agit là d’une disposition d’ordre public à laquelle il ne peut être dérogé par convention contraire, y compris par voie de contrat de mariage.
  • S’agissant des droits patrimoniaux
    • À la différence des droits moraux qui ne soulèvent pas de difficulté de qualification en raison de leur nature, tel n’est pas le cas des droits patrimoniaux.
    • Ces droits se rapportent certes à une création qui entretient un lien très étroit avec la personne de l’auteur, ils n’en demeurent pas moins susceptibles de faire l’objet d’une exploitation économique et donc d’être sources de valeur.
    • Cette valeur doit-elle profiter à la communauté ou revient-elle exclusivement à l’auteur ?
    • Sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation a jugé dans un célèbre arrêt Lecoq que les droits patrimoniaux constituaient des biens communs ( civ. 25 juin 1902).
    • Aussi, tandis que les droits moraux restaient propres à l’auteur, les droits patrimoniaux tombaient en communauté.
    • Cette distinction opérée par la jurisprudence a finalement été abandonnée par le législateur en raison des nombreuses difficultés pratiques qu’elle engendrait.
    • Plus précisément la loi du 11 mars 1957 a aligné la qualification des droits patrimoniaux sur celle des droits moraux : tous sont des biens communs.
    • La règle est désormais énoncée à l’article L. 121-9.
    • S’agissant spécifiquement des droits patrimoniaux, elle prévoit que le droit de fixer les conditions d’exploitation de l’œuvre reste propre à l’époux auteur ou à celui des époux à qui de tels droits ont été transmis.

Si donc les droits patrimoniaux et moraux dont est titulaire l’auteur sur son œuvre sont des biens propres, tel n’est, en revanche, pas le cas pour revenus générés par l’exploitation de l’œuvre.

==> L’œuvre comme source de revenus d’exploitation

L’article L. 121-9, al. 2e du CPI prévoit que « les produits pécuniaires provenant de l’exploitation d’une œuvre de l’esprit ou de la cession totale ou partielle du droit d’exploitation sont soumis au droit commun des régimes matrimoniaux »

Il ressort de cette disposition que les gains perçus par l’auteur au titre de l’exploitation de son œuvre ont vocation à tomber en communauté.

Cette solution se justifie en ce que ces gains s’apparentent à des acquêts au sens de l’article 1401 du Code civil.

Le principe général posé par ce texte est que toute rémunération perçue par un époux au titre de l’exercice de son activité professionnelle au cours du mariage, peu importe que cette activité soit subordonnée ou indépendante, est constitutive d’un bien commun.

Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de réserver un traitement particulier pour les redevances versées à un auteur en contrepartie du travail de création intellectuelle fourni.

Reste que deux questions se posent : quid de la qualification des revenus perçus par l’auteur lorsque l’œuvre a été créée avant la célébration du mariage et quid lorsque les revenus sont versés à l’auteur postérieurement à la dissolution du mariage.

  • L’œuvre a été créée avant la célébration du mariage
    • De l’avis unanime de la doctrine, dans cette hypothèse, les revenus perçus par l’auteur au titre de l’exploitation de son œuvre sont des revenus de biens propres.
    • Si, en revanche, l’œuvre a été créée postérieurement à la célébration du mariage, les redevances versées à l’auteur s’apparentent à des gains et salaires.
    • En toute hypothèse, ces redevances tombent en communauté, dès lors qu’elles sont perçues au cours du mariage.
  • Les revenus d’exploitation de l’œuvre sont perçus postérieurement à la dissolution du mariage
    • Dans cette hypothèse, ils échappent à la qualification de biens communs.
    • L’article L. 121-9, al. 2e du Code civil prévoit en ce sens que « Les produits pécuniaires provenant de l’exploitation d’une oeuvre de l’esprit ou de la cession totale ou partielle du droit d’exploitation sont soumis au droit commun des régimes matrimoniaux, uniquement lorsqu’ils ont été acquis pendant le mariage ; il en est de même des économies réalisées de ces chefs.»
    • À cet égard, la Cour de cassation a fait application de cette règle dans un arrêt du 18 octobre 1989 ( 1ère civ. 18 oct. 1989, n°88-13549).

==> L’œuvre comme chose corporelle susceptible d’exploitation

L’œuvre n’est pas seulement un objet de droits patrimoniaux et moraux pour son auteur, elle lui procure également les utilités d’une chose corporelle.

La jouissance d’un tableau, d’une sculpture ou encore d’un vase est un privilège est un attribut du droit de propriété dont on s’est demandé si, à l’instar des droits intellectuels, appartenait en propre à l’auteur ou s’il avait vocation à tomber en communauté.

Dans le silence des textes et notamment de la loi n°57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique dont est issu l’article L. 121-9 du Code de la propriété intellectuelle, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de se prononcer.

À l’examen, il y a lieu de distinguer selon que l’œuvre a ou non été divulguée, étant précisé que la divulgation.

  • L’œuvre a été divulguée
    • Dans cette hypothèse, l’auteur a accompli un acte matériel par lequel il exprime, pour la première fois, sa volonté de mettre son œuvre à la disposition du public.
    • Dans un arrêt Bonnard du 4 décembre 1956, la Cour de cassation a jugé que l’œuvre, en tant que chose corporelle, était constitutive d’un bien commun.
    • Elle a apporté néanmoins une réserve au principe posé en précisant que « la mise en commun de ces biens a lieu sans qu’elle puisse porter atteinte au droit moral de l’auteur et spécialement la faculté de lui faire subir des modifications à la création, de l’achever, de le supprimer» ( civ. 4 déc. 1956).
    • Autrement dit, nonobstant le caractère commun du support matériel de l’œuvre, l’auteur conserve la faculté d’exercer les prérogatives dont il est titulaire au titre du droit moral. Il demeure notamment libre de modifier ou de détruire son œuvre.
  • L’œuvre n’a pas été divulguée
    • Dans cette hypothèse, l’œuvre n’a pas été communiquée au public.
    • Elle est donc encore très étroitement liée à la personne de l’auteur qui n’a pas exprimé la volonté de se déposséder pour partie de sa création.
    • Aussi, tant qu’aucun acte de divulgation n’est venu rompre le cordon ombilical qui relie l’œuvre à l’auteur, son support matériel devrait demeurer un bien propre en application de l’article 1404 du Code civil.
    • Telle n’est pourtant pas le raisonnement qui a été adopté par la Cour de cassation
    • Dans un arrêt Picabia du 4 juin 1971, elle a, en effet, jugé que quand bien même une œuvre n’a pas été divulguée au jour de la dissolution du mariage elle tombe en communauté, sauf à ce que, précise la première chambre civile, l’auteur ait exprimé la volonté de la modifier ou de la supprimer ( 1ère civ. 4 juin 1971, n°69-13874).

Si l’on s’en tient aux solutions retenues dans les arrêts Bonnard et Picabia, il serait donc indifférent que l’œuvre, en tant que chose corporelle, ait été divulguée : dans tous les cas elle constituerait un bien commun composant la masse partageable.

Reste que ces décisions ont été rendues dans le cadre d’affaires jugées sous l’empire du droit antérieur à la loi n°57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique et à la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux ce qui avait conduit une frange de la doctrine à minimiser leur portée.

Dans un arrêt du 12 mai 2011, la Cour de cassation a refroidi les ardeurs de certains auteurs en reconduisant la solution qu’elle avait adoptée près d’un quart de siècle plus tôt.

Dans cette décision elle considère que la cour d’appel qui a constaté que par son testament olographe, le défunt avait légué à sa fille le droit moral et le droit pécuniaire qui lui avaient été transmis par son père dont il était l’unique héritier, en déduit à bon droit, « conformément à la règle selon laquelle la propriété intellectuelle est indépendante de la propriété de l’objet matériel, que le support matériel des œuvres de ce dernier, qui lui était échu pendant son mariage à titre de succession, était entré en communauté, de sorte que les tableaux litigieux devaient, en tant que biens corporels, être portés à l’actif de la communauté, peu important qu’ils n’aient pas été divulgués » (Cass. 1ère civ. 12 mai 2011, n°10-15667).

Deux enseignements peuvent être retirés de cette décision :

  • Premier enseignement
    • Le support matériel d’une œuvre est exclu du champ d’application de l’article L. 121-9 du Code de la propriété intellectuelle qui fait des droits moraux et patrimoniaux des biens propres.
    • Aussi, le caractère propre des droits d’auteur est sans incidence sur la qualification du support matériel de l’œuvre qui lui est commun
  • Second enseignement
    • La Cour de cassation prend le soin de préciser que la qualification de l’œuvre, en tant que chose corporelle, ne dépend pas de sa divulgation.
    • Quand bien même l’œuvre n’a pas été divulguée, son support matériel tombe en communauté, sous réserve que l’auteur n’ait pas fait jouer son droit moral en exprimant sa volonté de modifier ou de détruire sa création.

ii. Les créations protégées par le droit de la propriété industrielle

À la différence des œuvres de l’esprit, la protection des créations immatérielles dites industrielles tient, non pas à leur originalité, mais à leur nouveauté qui doit se traduire par un acte formel de dépôt.

Au nombre de ces créations on compte notamment les brevets d’invention, les marques ou encore les dessins et modèles.

La question qui immédiatement se pose est de savoir si le régime qui s’applique aux œuvres de l’esprit est transposable aux créations protégées par le droit de la propriété industrielle.

À cette question il doit être répondu par la négative dans la mesure où les règles énoncées par l’article L. 121-9 du Code de la propriété intellectuelle relèvent du seul droit d’auteur.

Dans ces conditions, et en l’absence de texte spécifique, les créations industrielles sont soumises au droit commun des régimes matrimoniaux.

Aussi, parce qu’il s’agit de biens provenant de l’industrie personnelle des époux, elles ont vocation à tomber en communauté.

Encore faut-il néanmoins que le dépôt du brevet, de la marque, du dessin ou du modèle soit intervenu au cours du mariage. Dans le cas contraire, la création industrielle est un bien propre.

La raison en est que c’est la date du dépôt qui borne la naissance de la propriété industrielle. Avant cette date, la création ne jouit pas encore du statut de bien ; elle est une chose incorporelle non encore appropriée.

b. Le fonds de commerce

Selon la définition couramment admise, le fonds de commerce est un ensemble de d’éléments mobiliers corporels (matériel, marchandises, outils,) et incorporels (droit au bail, brevets, nom commercial) qui sont affectés à l’exploitation d’une activité commerciale.

Parce qu’un fonds de commerce est une universalité de fait, il constitue un bien qui se distingue des éléments qui le composent.

La question qui alors se pose est de savoir quelle est la qualification endossée par ce bien.

Lorsqu’un fonds de commerce a été créé au cours du mariage tombe-t-il en communauté ou appartient-il en propre à l’époux qui l’exploite ?

==> Principe

Très tôt, la jurisprudence a admis que le fonds de commerce créé au cours du mariage était un bien commun.

La raison en est que son existence procède d’un acte de création et plus précisément de la fourniture d’un travail de développement commercial. Or en application de l’article 1401 du Code civil tout bien qui provient de l’industrie personnelle des époux endosse la qualification de bien commun.

Le fonds de commerce n’échappe pas à la règle : il doit être inscrit à l’actif de la communauté, de sorte que, lors de la liquidation de la communauté, il devra faire l’objet d’un partage entre les époux.

Si l’énoncé de cette règle se conçoit bien, plus délicate est sa mise en œuvre. En effet, il est certaines situations susceptibles de soulever des difficultés.

Ces difficultés tiennent, d’une part, à la date création du fonds de commerce et, d’autre part, à l’affectation de biens propres à son exploitation.

  • La date de création du fonds de commerce
    • Selon que le fonds de commerce est créé avant ou après la célébration du mariage sa qualification différera.
      • Si la création du fonds de commerce intervient avant la célébration du mariage, il appartiendra en propre à l’époux exploitant
      • Si la création du fonds de commerce intervient après la célébration du mariage, il tombera en communauté
    • La date de création du fonds de commerce est donc déterminante.
    • Dans un arrêt du 18 avril 1989, la Cour de cassation a jugé que ce n’est pas nécessairement la date d’ouverture du commerce au public qu’il y avait lieu de retenir.
    • Elle estime que quand bien même l’exploitation a commencé avant le mariage, il n’était pas établi, au cas particulier, que les travaux de transformation du local, précédemment utilisé par l’ancien occupant, aient été achevés, ni que le commerce avait été fréquenté par le moindre client ( 1ère civ. 18 avr. 1989, n°87-19348).
    • L’enseignement qu’il y a lieu de retenir de cette décision, c’est que la détermination de la date de création du fonds de commerce est laissée à la libre appréciation des juges du fonds.
    • Reste que pour certains auteurs, c’est la date d’ouverture du fonds de commerce qui doit être retenue afin de déterminer si sa création est intervenue avant ou après la célébration du mariage.
    • C’est à cette analyse que nous souscrivons.
  • L’affectation de biens propres à l’exploitation du fonds de commerce
    • Lorsque le fonds de commerce est créé au cours du mariage, sa qualification n’est pas sans soulever une difficulté lorsque des biens propres d’un époux sont affectés à son exploitation.
    • Cette mise à disposition de biens propres est-elle de nature à faire obstacle à l’inscription du fonds à l’actif de la communauté ?
    • D’aucuns ont soutenu que, en pareille hypothèse, il y avait lieu de ventiler les éléments composant le fonds de commerce entre biens propres et biens communs.
    • Cette proposition n’est toutefois pas convaincante en raison de la nature du fonds de commerce.
    • Il s’agit, en effet, d’une universalité de fait, soit d’un ensemble de biens unis par une même finalité économique.
    • Dans ces conditions, seule une approche moniste peut être envisagée.
    • Une qualification distributive est donc exclue.
    • Aussi, deux situations peuvent être envisagées :
      • Le fonds de commerce a été créé au cours du mariage
        • Dans cette hypothèse, tous les éléments qui composent le fonds de commerce tombent en communauté.
        • Cette qualification s’applique également aux biens propres affectés à l’exploitation du fonds qui deviennent communs par accessoire, ce conformément à la règle posée à l’article 1404, al. 2e in fine du Code civil.
        • Une récompense sera néanmoins due, en contrepartie, à l’époux auquel les biens propres appartenaient et dont la propriété a été transférée à la communauté.
      • Le fonds de commerce a été créé avant la célébration du mariage
        • Dans cette hypothèse, tous les éléments qui composent le fonds de commerce sont des biens propres, y compris les biens communs qui seraient affectés à son exploitation (V. en ce sens 1ère civ. 2 mai 1990, n°87-18040).
        • La communauté aura néanmoins droit à récompense.
        • La jurisprudence est ainsi guidée par le souci de préservation de l’unité d’exploitation.

==> Cas particuliers

Il est des cas où l’exploitation d’un fonds de commerce est subordonnée à la titularité d’un diplôme ou à l’obtention d’une autorisation administration.

Tel est notamment le cas pour les officines de pharmacie ou encore pour les licences de taxi.

Qu’il s’agisse d’un diplôme ou d’une autorisation administrative, dans les deux cas ils sont octroyés intuitu personae et donc sont très étroitement attachés à la personne de leur titulaire.

On s’est alors demandé si, pour cette catégorie spécifique de fonds de commerce, il n’y avait lieu de distinguer :

  • D’une part, le « titre » qui resterait propre à l’époux titulaire du diplôme ou de l’autorisation administrative
  • D’autre part, la « finance » qui tomberait en communauté en tant que valeur économique du fonds

S’agissant des officines de pharmacie, après avoir refusé de faire application de cette distinction, la Cour de cassation l’a finalement retenue dans un arrêt du 18 octobre 2005.

La première chambre civile a jugé en ce sens que « la propriété de l’officine était réservée aux personnes titulaires du diplôme de pharmacien mais que la valeur du fonds de commerce tombait en communauté » (Cass. 1ère civ. 18 oct. 2005, n°02-20329).

Il ressort de cette jurisprudence que l’officine de pharmacie serait donc un bien mixte, de sorte qu’elle resterait propre à l’époux s’agissant de l’exploitation du fonds attachée au diplôme de pharmacien. Quant à sa valeur, elle serait un bien commun.

Bien que critiquée par une partie de la doctrine, cette solution a, par suite, été confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 décembre 2013 (Cass. 1ère civ. 4 déc. 2013, n°12-28076).

À cet égard, elle est venue préciser que, pour déterminer si la valeur du fonds tombe en communauté, il est indifférent que l’obtention de l’autorisation préfectorale de création de l’officine de pharmacie soit intervenue antérieurement à la célébration du mariage.

Pour la Haute juridiction, dans la mesure où, à cette date, la clientèle, élément essentiel du fonds de commerce, n’existe que de manière potentielle, seule l’ouverture au public doit être prise en compte car elle entraîne la création d’une clientèle réelle et certaine.

Au cas particulier, cette ouverture au public était intervenue postérieurement à la célébration du mariage. La Cour de cassation en déduit que « la valeur de l’officine devait être réintégrée dans l’actif de la communauté ».

S’agissant des licences de taxi, la même solution que celle retenue par la jurisprudence pour les officines de pharmacie semble pouvoir être appliquée.

Dans un arrêt du 16 avril 2008 la Cour de cassation s’est, en effet, appuyée sur la distinction entre le titre et la finance pour décider que « le caractère personnel de ” l’autorisation de stationnement ” délivrée par l’Administration pour l’exercice de la profession d’exploitant de taxi n’a pas pour effet d’exclure de la communauté la valeur patrimoniale de la faculté de présenter un successeur qui y est attachée ».

Elle en tire la conséquence que c’est « à bon droit que la cour d’appel a jugé que la valeur patrimoniale de la licence de taxi faisait partie de l’actif de la communauté » (Cass. 1ère civ. 16 avr. 2008, n°07-16105).

C) Les biens provenant des revenus des propres

Le droit de propriété ce n’est pas seulement le droit d’user de la chose, c’est également le droit d’en jouir (fructus).

Par jouissance de la chose, il faut entendre le pouvoir conféré au propriétaire de percevoir les revenus que le bien lui procure.

Pour le propriétaire d’un immeuble, il s’agira de percevoir les loyers qui lui sont réglés par son locataire. Pour l’épargnant, il s’agira de percevoir les intérêts produits par les fonds placés sur un livret. Pour l’exploitant agricole, il s’agira de récolter le blé, le maïs ou encore le sésame qu’il a cultivé.

À cet égard, l’article 547 du Code civil prévoit que « les fruits naturels ou industriels de la terre, les fruits civils, le croît des animaux, appartiennent au propriétaire par droit d’accession. »

Il ressort de cette disposition que les fruits produits par la chose reviennent au propriétaire, quelle que soit leur nature (fruits naturels, fruits industriels et fruits civils).

Ainsi que le défendent les auteurs cette perception des fruits procéderait, non pas du mécanisme de l’accession comme le suggère l’article 547, mais de l’exercice du droit de propriété dont l’un des attributs est le fructus soit le droit de percevoir les fruits de la chose.

La réservation des fruits de la chose par le propriétaire ne serait, autrement dit, qu’une conséquence de son droit de propriété.

Quoi qu’il en soit, le principe posé par l’article 547 du Code civil devrait conduire à attribuer aux revenus des biens appartenant à titre personnel à un époux la qualification de bien propre.

Si cette règle se justifie pleinement en droit commun des biens, elle devient moins évidente lorsque le propriétaire de la chose frugifère est marié sous le régime légal.

Parce que sous un régime communautaire, la communauté a pour fonction de réaliser l’union des intérêts pécuniaires des époux, elle a vocation à capter toutes les valeurs économiques qui pénètrent leur sphère patrimoniale.

Dans ces conditions, en ce que les fruits produits par la chose sont porteurs de valeurs, ils ne devraient pas échapper au pouvoir d’attraction de la masse commune.

Reste que, à l’instar des gains et salaires, les textes sont silencieux sur la qualification des revenus de biens propres, à tout le moins ils n’apportent pas de réponse explicite à la question soulevée, laquelle a donné lieu à un vif débat sous l’empire de la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

Si la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 a entrouvert une issue de sortie à la controverse, c’est la jurisprudence qui s’est employée à y mette fin.

1. La nature des revenus de biens propres

a. Les enjeux de la qualification

L’enjeu de la qualification des revenus de biens propres n’est pas que théorique ; il présente un double intérêt pratique.

En premier lieu, l’enjeu est de déterminer si, au moment de la liquidation du régime matrimonial, les revenus de biens propres ont ou non vocation à être partagés par moitié entre les époux et, le cas échéant, si leur utilisation par un époux à des fins exclusivement personnels (financement de l’acquisition ou de l’amélioration d’un bien propre), ouvre droit à récompense au profit de la communauté.

En second lieu, la qualification des revenus de propres a une incidence sur l’étendue du gage des créanciers en cas de dette commune née du chef d’un seul époux. La dette ainsi contractée ne sera, en effet, exécutoire que sur les seuls biens communs et les revenus de l’époux débiteur (art. 1411 et art 1413 C. civ.).

Si, dès lors, les revenus de propres tombent en communauté, ils pourront être saisis par les créanciers du conjoint – contrairement aux gains et salaires (art. 1414 C. civ.). Si, en revanche, ils endossent la qualification de biens propres, ils seront hors de portée des poursuites engagées.

À l’inverse, si l’on analyse la situation de l’époux débiteur, il est indifférent que les revenus de ses biens propres tombent ou non en communauté. En toute hypothèse, conformément à l’article 1411 du Code civil, dans les rapports avec les tiers il engage ses revenus, quelle que soit leur nature.

Aussi, l’enjeu de la qualification des revenus de biens propres ne doit pas être surestimé.

Il peut, à cet égard, être observé que si l’on se place sur le terrain des pouvoirs dont sont investis les époux mariés sous le régime légal, il est, là aussi, indifférent que les revenus de biens propres soient regardés comme des biens communs ou des biens propres.

Dans les deux cas, les revenus de propres sont soumis au principe de gestion exclusive :

  • S’ils sont qualifiés de biens communs, il y a lieu de se reporter à l’article 225 du Code civil qui pose le principe de libre gestion et de disposition des biens personnels des époux dont il est admis que ce principe s’étend aux revenus des biens propres
  • S’ils sont qualifiés de biens propres, il convient de se reporter à l’article 1428 du Code civil qui prévoit que « chaque époux a l’administration et la jouissance de ses propres et peut en disposer librement. »

De la même manière, la qualification des revenus de biens propres est sans incidence sur leur exclusion du gage des créanciers en cas de souscription d’une dette d’emprunt ou de cautionnement née du chef d’un seul époux.

L’article 1415 prévoit que, dans cette hypothèse, la dette contractée par l’époux débiteur, elle ne sera jamais exécutoire sur revenus de son conjoint, ce qui inclut les revenus de propres.

Au bilan, l’enjeu de la qualification des revenus de biens propres se limite à, d’une part, l’étendue du gage des créanciers en cas de dette commune née du chef du conjoint et, d’autre part, à la reconstitution de la masse partageable qui interviendra au moment de la dissolution de la communauté.

b. La controverse doctrinale

Sous l’empire du droit antérieur à la loi du n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux, l’article 1401, 2° du Code civil prévoyait que « la communauté se compose activement […] de tous les fruits, revenus, intérêts et arrérages, de quelque nature qu’ils soient, échus ou perçus pendant le mariage, et provenant des biens qui appartenaient aux époux lors de sa célébration, ou de ceux qui leur sont échus pendant le mariage, à quelque titre que ce soit ».

La communauté se voyait ainsi expressément attribuer l’usufruit des biens propres des époux. La qualification des revenus de propres ne soulevait donc aucune difficulté.

Parce l’usufruitier est titulaire du droit de percevoir les fruits produits par le bien dont il a la jouissance, les revenus de biens propres devaient être regardés comme des biens communs.

Il en résultait que l’administration des revenus de biens propres de l’épouse était assurée par le seul mari, puisque investi du monopole de gestion des biens communs.

En 1965, animé par le souci d’instaurer une égalité dans les rapports conjugaux, le législateur a souhaité mettre un terme à cette situation.

Pour ce faire, il lui a fallu, d’une part, soustraire de la masse commune l’usufruit des biens propres et, d’autre part, abolir la règle qui conférait au mari le pouvoir d’administrer les biens personnels de la femme mariée.

Désormais, l’article 1428 du Code civil prévoit que « chaque époux a l’administration et la jouissance de ses propres et peut en disposer librement. »

Par la conjonction de ces deux modifications, les revenus de biens propres de la femme mariée échappaient ainsi à l’emprise du mari qui conservait néanmoins le pouvoir d’administrer les biens communs.

Bien que nécessaire à la réalisation de l’objectif poursuivi par le législateur, la réforme initiée par la loi du 13 juillet 1965 n’est pas sans avoir perturbé la qualification des revenus de biens propres qui, sous l’empire du droit antérieur, ne soulevait aucune difficulté.

En se focalisant sur la restitution aux époux de la jouissance de leurs biens personnels, le législateur a omis de traiter la question de la propriété des fruits.

Il était, dorénavant, reconnu aux époux la liberté de jouir et de disposer à leur guise de leurs biens personnels. Fallait-il néanmoins en déduire que les revenus de propres échappaient à la communauté, alors même qu’ils sont source de valeur ?

Telle qu’envisagée sous le régime légal, la communauté a vocation à capter toutes les richesses produites au cours du mariage. Pourquoi, dans ces conditions, les revenus de propres ne tomberaient-ils pas en communauté à l’instar des gains et salaires ?

En l’absence de textes répondant explicitement à cette interrogation, une importante controverse doctrinale est née sous l’empire de la loi du 13 juillet 1965.

Elle a vu s’affronter plusieurs thèses qui se disputent le sens à donner à deux corps de règles dont on peut penser qu’ils se contredisaient.

  • Premier corps de règles
    • Il comprend, tout d’abord, l’article 1403, al. 3e du Code civil qui énonce que « chaque époux conserve la pleine propriété de ses propres. ».
    • L’article 1428 précise ensuite que « chaque époux a l’administration et la jouissance de ses propres et peut en disposer librement. »
    • Si l’on s’en tient, à une lecture littérale de ces deux textes on pourrait être porté à attribuer, en première intention, la qualification de biens propres aux revenus produits par les biens personnels de chaque époux.
    • Cette qualification s’inférerait notamment du monopole de gestion conféré aux époux, sur leurs biens propres.
    • Reste qu’il est d’autres dispositions qui suggèrent le contraire.
  • Second corps de règles
    • Il se compose, en premier lieu, de l’article 1401, al. 1er qui fait tomber en communauté les « acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant […] des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres».
    • L’article 1403, al. 2e ajoute, en second lieu, que « la communauté n’a droit qu’aux fruits perçus et non consommés.»
    • Ces deux dispositions combinées laissent manifestement à penser que, à l’expiration d’un certain délai, et plus précisément à partir du moment où les fruits produits par les biens personnels des époux sont économisés, ils ont vocation à tomber en communauté.

À l’analyse, deux approches peuvent être adoptées pour se saisir de l’articulation de ces deux corps de règles :

  • Une approche qui consisterait à déduire du pouvoir conféré aux époux sur leurs biens propres, soit un pouvoir de gestion exclusive, la qualification des fruits qui donc seraient propres.
  • Une approche qui consisterait à déconnecter les règles de pouvoirs des règles de propriété, ce qui permettrait d’attribuer la qualification de biens communs aux revenus de propres.

Ce sont ces deux approches qui ont été discutées par la doctrine. Nous nous limiterons ici à exposer les principales thèses soutenues sous l’empire de la loi du 13 juillet 1965.

==> Thèse retenant la qualification de biens propres

Selon cette thèse, défendue par Henri Mazeaud, les revenus produits par les biens personnels de chaque époux seraient des biens propres, ce dès leur perception.

La raison en est que, tout d’abord, l’article 1428 du Code civil confère aux époux un pouvoir de gestion exclusive de leurs biens propres.

Cela signifierait que le législateur a entendu attribuer la qualification de biens propres aux revenus tirés par les époux de leurs biens personnels.

Surtout, selon cette thèse, l’argument décisif s’évincerait de la lettre de l’article 1401 du Code civil qui n’octroie la qualification d’acquêts aux biens provenant notamment « des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres. »

Il faudrait donc comprendre que seuls les revenus de propres affectés à l’acquisition d’un bien auraient vocation à tomber en communauté.

Aussi, tant que ces revenus ne sont pas employés et conservent la forme d’économies ils resteraient des biens propres.

Au surplus, il peut être observé que la loi du 13 juillet 1965 a rendu aux époux l’usufruit de leurs bien propres qui étaient attribués antérieurement à la communauté.

Or l’usufruit confère, par hypothèse, à son titulaire le droit de jouir de la chose (fructus), et donc de percevoir les revenus que le bien lui procure.

Pour cette raison, les revenus de propres seraient nécessairement des biens propres.

Bien que séduisante, cette thèse présente un inconvénient majeur : elle conduit à soustraire à la masse commune des ressources susceptibles de représenter d’importantes valeurs.

Or l’instauration d’une communauté dans un régime matrimonial ne se conçoit que si les époux entendent mettre en commun les principales richesses qu’ils perçoivent au cours du mariage.

Exclure les revenus de propres de la masse commune irait, en quelque sorte, à rebours de l’esprit communautaire.

==> Thèse retenant la qualification de biens communs

Selon cette thèse, soutenue notamment par Jean Patarin et Georges Morin, les revenus de biens propres seraient des biens communs dès leur perception.

Le principal argument avancé tient à la déconnexion qu’il y aurait lieu d’opérer entre les règles de pouvoirs et les règles de propriété.

Pour les tenants de cette thèse, il n’y aurait, en effet, aucune incompatibilité à conférer aux époux un pouvoir de gestion exclusive sur leurs biens propres, tel que prévu à l’article 1428 du Code civil, et attribuer à la communauté, en application des articles 1401, al. 1er et 1403, al. 2e du Code civil, la propriété des revenus tirés de leurs biens personnels.

Cette déconnexion entre pouvoirs et propriété se justifierait par l’économie générale du dispositif mis en place sous le régime légal qui consiste à attribuer à la communauté les principales richesses acquises par les époux aux cours du mariage, peu importe que ces richesses proviennent de leur industrie personnelle ou des fruits produits par leurs biens personnels.

Cette thèse souligne, par ailleurs, que si le législateur a rendu aux époux l’usufruit de leurs biens propres qui, antérieurement, était attribué à la communauté, c’est uniquement pour permettre à la femme mariée de jouir et de disposer seule de ses biens personnels, en ce compris les revenus procurés par ces biens, l’administration de la masse commune étant confiée, jusqu’en 1985, au seul mari (anc. art. 1421 C. civ.).

Aussi, ne s’agissait-il nullement pour lui de faire échapper les revenus de propres à la communauté.

La preuve en est la règle énoncée au second alinéa de l’article 1403 du Code civil qui prévoit que « la communauté n’a droit qu’aux fruits perçus et non consommés ».

==> Thèse retenant successivement la qualification de biens propres et de biens communs

Cette thèse, qui a été défendue par de nombreux auteurs et en particulier par André Colomer, consiste à qualifier différemment les revenus de propres selon que l’on se situe au state de leur perception ou au stade de leur transformation en économies.

  • Au stade de leur perception, les revenus tirés des biens personnels des époux seraient des biens propres
  • Au stade de leur transformation en économies, les revenus de propres deviendraient des biens communs

Cette distinction qu’il y aurait lieu d’opérer entre les revenus perçus et les revenus économisés repose principalement sur la combinaison de :

  • D’une part, l’article 1403, al. 1er qui prévoit que les époux conservent la pleine propriété de leurs biens propres, ce qui comprendrait leurs revenus qu’ils titrent de ces biens
  • D’autre part, l’article 1403, al. 2e qui attribue à la communauté « les fruits perçus et non consommés», lesquels ne seraient autres que les fruits qui, faute d’avoir été consommés, ont été économisés

Ainsi, lorsque les revenus de propres sont perçus, c’est l’article 1403, al. 1er qui jouerait, de sorte que les époux en conserveraient « la pleine propriété ».

Lorsque, en revanche, au bout d’un certain temps les fruits des biens propres ne sont pas consommés, ils tomberaient en communauté.

C’est d’ailleurs ce que suggérerait l’article 1401, al. 1er du Code civil en qualifiant d’acquêts les biens provenant notamment des économies faites sur les fruits et revenus des biens propres.

Cette thèse est, de toute évidence, pour le moins convaincante. À cet égard, elle est confirmée par l’exposé des motifs de la loi du 13 juillet 1965 aux termes duquel il est énoncé que « désormais, ainsi que l’exprime l’article 1403, chacun des époux […] conserve la pleine propriété de ses propres, et la communauté n’aura droit qu’aux fruits perçus et non consommés, c’est-à-dire aux économies faites sur les revenus des biens personnels ».

Bien que cette analyse ait rencontré un franc succès chez les auteurs, elle présente un inconvénient majeur : elle fait de la notion d’économie le critère de basculement de la qualification de biens propres à celle de biens communs.

Or cette notion n’est définie par aucun texte. Aussi, comment déterminer la date à compter de laquelle les revenus perçus se transforment en revenus économisés ? Est-ce à partir du moment où ils sont inscrits sur un compte bancaire ?

Cette situation se rencontrera néanmoins, en pratique, presque systématiquement, ce qui reviendrait à réserver les qualifications de biens propres à des hypothèses très marginales.

Doit-on se focaliser, au contraire, sur la volonté de l’époux d’économiser les revenus qu’il retire de ses biens personnels. Comment, toutefois, établir cette volonté ? Doit-elle être présumée lorsque les fruits ne sont pas consommés dans un certain délai. Mais alors, quel délai retenir ? Et l’on en revient à la question initiale relative à la détermination de la date de transformation des revenus perçus en revenus économisés.

De l’aveu même d’André Colomer qui était à l’initiative de cette thèse intermédiaire, la définition de la notion d’économie se laisse difficilement appréhender.

Sans doute est-ce là l’une des raisons pour laquelle elle ne sera finalement pas retenue par la jurisprudence.

==> Thèse retenant la qualification de biens communs à jouissance privative

Selon cette thèse, développée par Gérard Cornu, afin de résoudre la contradiction apparente des règles énoncées par les articles 1401, 1403 et 1428 du Code civil, il y aurait lieu d’appréhender les revenus de propres comme constituant une catégorie spéciale de biens.

Cet auteur avance, en ce sens, que « au fond, les revenus des propres sont, à tout moment, et tout à la fois, en instance de consommation et en instance de capitalisation. Tant qu’il n’y a ni dissolution, ni abus, la consommation tourne et la communauté attend »[6].

Autrement dit, la qualification des revenus de propres dépendrait de la situation dans laquelle se trouve le couple.

Lorsque les époux entretiennent des relations normales et que leur union suit paisiblement son cours, le droit de jouissance dont ils sont investis sur les revenus tirés de leurs biens personnels, primerait l’intérêt de la communauté.

Lorsque, en revanche, le couple connaît une situation de crise et que les intérêts de la communauté sont susceptibles de s’en trouver affectés, cette dernière l’emporterait sur le droit de jouissance des époux, de sorte que les revenus de leurs biens propres seraient inscrits à l’actif commun.

Indéniablement cette théorie permet de concilier l’indépendance patrimoniale reconnue aux époux, avec la vocation de la communauté à capter les richesses acquises au cours du mariage.

Elle permet, par ailleurs, de contourner la difficulté soulevée par la précédente thèse, qui tenait à la détermination de la date de transformation des revenus perçus en revenus économisés.

c. L’intervention du législateur

Compte tenu de la controverse qui était née sous l’empire de la loi du 13 juillet 1965, était légitimement en droit d’attendre que le législateur y mette fin lors de l’adoption de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs.

Il n’en a rien été ; à tout le moins aucun des textes qui se trouvaient au cœur du débat n’a été retouché, exception faite de l’article 1401 qui a été amputé de son alinéa 2, lequel traitait de la propriété des biens réservés.

Reste que la loi du 23 décembre 1985 a modifié l’économie générale du régime légal et notamment sur deux points :

  • L’administration des biens communs n’est désormais plus assurée par le seul mari. La loi consacre le principe de gestion concurrente
  • L’indépendance des époux quant à la gestion de leurs biens propres est élevée au principe d’ordre public. Ce principe est incorporé au régime primaire impératif.

Ces modifications ne sont pas sans avoir considérablement réduit l’enjeu de la qualification des revenus de propres.

En retirant au mari le pouvoir d’administrer seul les biens communs, il est en effet devenu indifférent pour la femme mariée que les revenus tirés de ses biens personnels tombent en communauté.

Désormais, elle est investie, en toute hypothèse, du pouvoir d’en assurer la gestion.

Plus encore c’est un pouvoir de gestion exclusive de ses biens personnels qui lui est reconnu par le nouvel article 225 du Code civil.

Les revenus procurés à la femme mariée par ses biens propres sont ainsi définitivement hors de portée de son mari, y compris lorsqu’ils se transforment en économies.

Autre enjeu de la qualification des revenus de propres qui a disparu : cette qualification est sans incidence sur l’étendue du gage des créanciers pour les dettes nées du chef d’un époux.

Tandis que sous l’empire du droit antérieur, cet époux n’engageait ses revenus que s’ils étaient qualifiés de biens propres, dorénavant, en application de l’article 1411 du Code civil, la dette est exécutoire sur l’ensemble des revenus du débiteur sans distinction (gains et salaires et revenus de propres).

Au fond, les deux principaux enjeux qui persistent postérieurement à l’adoption de la loi du 23 décembre 1985 tiennent, comme indiqué précédemment :

  • D’une part, au droit de poursuite des créanciers sur les biens du conjoint du débiteur qui a contracté une dette commune. Celui-ci s’étend à l’ensemble des biens communs et des revenus à l’exclusion des seuls gains et salaires.
  • D’autre part, à la reconstitution de la masse partageable qui interviendra au moment de la dissolution de la communauté. Les biens communs ont vocation à être partagés par moitié entre les époux.

Compte tenu de ces enjeux, une réponse à la question de la qualification des revenus de propres devait être apportée.

Certains auteurs ont avancé que le législateur avait implicitement opté par la qualification de biens communs en visant séparément aux articles 1411 et 1415 du Code civil les biens propres et les revenus.

Si le législateur avait voulu faire revenus des époux (gains et salaires et revenus de propres) des biens propres, pourquoi les viser séparément dans ces deux textes ?

L’adjonction ne se justifie que si l’on appréhende l’ensemble des revenus des époux, comme des biens communs.

Cette analyse a été confirmée par la jurisprudence qui jusqu’alors s’était montrée pour le moins fébrile sur le sujet.

d. La position de la jurisprudence

Alors même que sous l’empire de la loi de 1965 aucune thèse n’emportait véritablement d’adhésion majoritaire s’agissant de la qualification des revenus de propres, il faut attendre le début des années 1980 pour que la Cour de cassation intervienne dans le débat.

Après avoir marqué un temps d’hésitation, elle a finalité opté pour la qualification de biens communs.

i. Première étape : l’hésitation

==> Les revenus de propres sont des biens propres

Dans un arrêt remarqué, rendu en date 15 juillet 1981, la Cour de cassation a semblé opté pour la qualification de biens propres (Cass. 1ère civ. 15 juill. 1981, n°80-10318).

Cass. 1ère civ. 15 juill. 1981
Sur le premier moyen :

Vu l'article 1469, alinéa 3, du code civil, applicable, en vertu de l'article 12 de la loi du 13 juillet 1965, a toutes les communautés non encore liquidées à la date de la publication de ladite loi ;

Attendu qu'aux termes de ce texte, la récompense ne peut être moindre que le profit subsistant quand la valeur empruntée a servi à acquérir, à conserver ou à améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la dissolution de la communauté, dans le patrimoine emprunteur; attendu que, statuant sur la liquidation de la communauté réduite aux acquêts ayant existé, de 1952 à 1967, entre les époux Georges z... et Mme Michelle y..., la cour d'appel, pour écarter le droit à récompense de la communauté contre la femme en ce qui concerne certains travaux faits sur un immeuble situe à Senlis et appartenant à celle-ci, retient qu'aucun argument ne peut être tire du fait que cet immeuble, acheté 100 000 francs en 1961, ait été revendu 240 000 francs en 1970, l'augmentation dont s'agit étant justifiée autant par l'évolution du coût de la construction que par les améliorations relatives apportées a l'immeuble par la communauté;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que, dans le cas où les dépenses faites par la communauté ont servi à acquérir, à conserver ou à améliorer un bien, les récompenses doivent être évaluées en fonction du profit subsistant au jour de la liquidation ou au jour le plus proche possible ou encore au jour de l'aliénation du bien, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Sur le troisième moyen :

Vu l'article 1473 du code civil ;

Attendu qu'aux termes de ce texte, les récompenses dues à la communauté emportent les intérêts de plein droit du jour de la dissolution; attendu que, pour refuser de mettre a la charge de Mme capitaine a... des récompenses dues par elle a la communauté, la cour d'appel se fonde sur ce que m. z... oublie que lui-même est débiteur de récompenses et doit des intérêts de ce chef et qu'il conviendrait aussi de tenir compte des intérêts des dettes post-communautaires remboursées par les deux époux; attendu qu'en statuant ainsi, au lieu de calculer les intérêts des récompenses dues par chacun des époux ou à chacun d'eux, sauf à en faire la balance, elle a violé le texte susvisé;

Et sur le cinquième moyen :

Vu l'article 1409 du code civil ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que la communauté n'est point tenue de contribuer aux dépenses faites sur les biens propres de l'un des époux b... celui-ci en a conservé la jouissance; attendu que la cour d'appel a refusé tout droit à récompense à la communauté pour des travaux de peinture et de revêtement de sols dans un immeuble propre à Mme y..., au motif qu'il s'agissait de travaux de simple entretien; attendu qu'en statuant ainsi, sans rechercher si ces travaux avaient été effectués antérieurement au 1er février 1966, date a laquelle Mme capitaine x..., en vertu de l'article 11, alinéa 2, de la loi du 13 juillet 1965, repris la jouissance de ses propres sous les charges correspondantes, ou si l'immeuble en question avait été utilisé dans l'intérêt du ménage, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deuxième et quatrième moyens :

Casse et annule, dans ses dispositions concernant l'évaluation des récompenses relative à l'immeuble de Senlis, le refus du droit à récompense relatif aux travaux de peinture et de revêtement de sols, et le refus de condamner aux intérêts des récompenses, l'arrêt rendu entre les parties le 7 novembre 1979 par la cour d'appel d’Amiens ; remet, en conséquence la cause et les parties au même et semblable état ou elles étaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai.

Dans cette décision la question se posait de savoir qui de la communauté ou des époux devait supporter les charges usufructuaires se rapportant à l’entretien d’un bien propre.

La réponse à cette question est directement liée à la qualification des revenus de propres. Pour le comprendre, revenons un instant sur la notion de charges usufructuaires.

Par charges usufructuaires il faut entendre l’ensemble des dépenses et des frais qui incombent à l’usufruitier en contrepartie de la jouissance de la chose.

Au nombre des charges usufructuaires figurent, d’une part, les charges périodiques (notamment les impôts et taxes générés par la jouissance du bien) et, d’autre part, les frais et dépenses d’entretien.

Le Doyen Carbonnier a écrit au sujet de ces charges « l’idée générale est que, dans la gestion d’une propriété, il y a des frais et des dettes qu’il est rationnel de payer avec les revenus et d’autres avec le capital. Si la propriété est démembrée, le passif de la première catégorie doit être à la charge de l’usufruitier, l’autre à la charge du nu-propriétaire ».

Ainsi parce que les charges usufructuaires sont attachées à la jouissance de la chose, elles doivent être supportées par celui qui profite de cette jouissance.

Appliquée à un bien appartenant en propre à un époux marié sous le régime légal, cette règle est susceptible à deux solutions différentes selon que l’on considère que les revenus tirés de la jouissance de ce bien sont des biens propres ou tombent en communauté :

  • Si l’on considère que les revenus tirés du bien propre reviennent en propre à l’époux propriétaire, les charges usufructuaires devront être supportées par lui seul
  • Si l’on considère que les revenus tirés du bien propre doivent être inscrits à l’actif commun, c’est à la communauté qu’il incombe de supporter les charges usufructuaires

Lorsqu’elle s’est prononcée dans l’arrêt rendu le 15 juillet 1981, la Cour de cassation a incliné dans le sens de la première solution.

Dans cette affaire, jugée sous l’empire de la loi de 1965, des travaux d’entretien d’un bien propre appartenant à l’épouse avaient été financés par des deniers communs.

Alors que la Cour d’appel avait refusé tout droit à récompense à la communauté, la Première chambre civil casse l’arrêt rendu au motif que les juges du fonds auraient dû rechercher si les travaux avaient été effectués antérieurement au 1er février 1966, date à laquelle l’épouse propriétaire du bien, en vertu de l’article 11, alinéa 2, de la loi du 13 juillet 1965, a repris la jouissance de ses propres sous les charges correspondantes, ou si l’immeuble en question avait été utilisé dans l’intérêt du ménage.

En somme, pour la Cour de cassation, dans la mesure où, la loi de 1965 a restitué aux époux la jouissance de leurs biens propres, c’est à eux seuls qu’il revient de supporter les charges usufructuaires.

On pouvait ainsi déduire de cet arrêt que les revenus tirés d’un bien propres sont eux-mêmes des biens propres.

==> Le revirement de jurisprudence

Bien que critiquée par une frange de la doctrine pour la solution finalement retenue, l’arrêt rendu par la Cour de cassation en 1981, avait le mérite de trancher une question restée trop long sans réponse.

Un an plus tard la controverse était néanmoins relancée à la suite d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 6 juillet 1982 (Cass. 1ère civ. 6 juill. 1982, n°81-12680).

Cass. 1ère civ. 6 juill. 1982
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches : attendu, selon les énonciations des juges du fond, que m o. et Mme Coutan, qui se sont mariés le 4 mars 1971, ont adopté par contrat de mariage le régime légal de la communauté d’acquêts ;

Que leur divorce a été prononcé, sur assignation en date du 22 décembre 1971, par jugement du 25 février 1972 ;

Que, pendant la durée du régime, m o. avait utilisé, pour payer les constructions élevées sur un immeuble à lui propre, d'une part, une somme de 104000 francs qui figurait au jour du mariage a des comptes bancaires et postal ouverts à son nom, d'autre part, la somme de 20260 francs 19, provenant des loyers d'immeubles propres ;

Que l'arrêt attaque a dit qu'il devrait à la communauté, a ce double titre, une récompense totale de 124260 francs 19 ;

Attendu que, pour lui reprocher d’avoir ainsi statué, m o. soutient, d'une part, que les dépenses faites sur ses propres, par un époux marié sous le régime de la communauté d’acquêts, au moyen de fonds provenant de dépôts bancaires ou postaux comptabilisés avant le mariage a son nom, ne peut donner lieu à récompense a la charge de cet époux et au profit de la communauté ;

D'autre part, que pas davantage ne peuvent donner lieu à récompense les dépenses faites sur des propres au moyen de loyers des immeubles propres, loyers dont m o. ne devait pas compte a la communauté des lors qu'ils avaient été consommés ;

Qu'il est enfin prétendu qu'en toute hypothèse la cour d'appel ne s'est pas prononcée sur la destination donnée par m o. aux revenus provenant de l'immeuble, situe à lion-sur-mer, qui lui appartenait, "revenus qu'elle n'a pas fait entrer en compte dans le montant des dépenses effectuées par m o., de telle sorte qu'elle n'a, en toute hypothèse, quel que soit le sort de ces sommes, pas donne de base légale a sa décision qui encourt la cassation au vu de l'article 455 du nouveau code de procédure civile" ;

Mais attendu, en premier lieu, que, s'il est exact que la somme de 104000 francs, demeurée propre a m o. et employée a l'amélioration de ses propres, n'aurait pas dû donner lieu à récompense, elle n'aurait pas dû, non plus, figurer comme reprise au profit de m o. ;

Que la cour d'appel a approuvé l'état liquidatif dresse par le notaire qui avait admis que le mari pouvait exercer une reprise de la somme de 104000 francs, figurant au jour du mariage aux comptes ouverts à son nom, et devait une récompense de même montant du fait de l'utilisation de cette somme à l'amélioration de ses propres ;

Que, dans l'espèce, et en l'absence d'une demande ou d'une décision tendant à ce que la récompense soit supérieure à la somme versée, et dès lors que la décision attaquée ne prévoit récompense que de cette somme, le mode de calcul retenu par la cour d'appel n'aboutit pas à un résultat différent de celui dont le moyen demande l'application ;

Attendu, en second lieu, que la communauté comprend, en vertu de l'article 1401 du code civil, les acquêts provenant des économies faites sur les fruits et revenus des biens propres des époux ;

Que, si, en vertu de l'article 1403 du même code, elle n'a pas droit aux fruits consommés sans fraude, on ne doit pas considérer comme consommés les revenus employés à l'amélioration d'un bien propre ;

Qu'il en résulte que la cour d'appel, ayant admis, comme le jugement qu'elle a infirmé, que les loyers des immeubles propres a m o., perçus pendant le mariage, avaient été utilisés pour la construction d'une maison sur un terrain propre, en a déduit à bon droit, contrairement au jugement, que cette utilisation donnait lieu à récompense au profit de la communauté ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa première branche comme dénué d'intérêt, est mal fondé en chacune des deux autres ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 22 janvier 1981, par la cour d'appel de Reims,

Dans cette décision, la première chambre civile a, en effet, semblé opérer un revirement de jurisprudence en reconnaissant un droit à récompense au profit de la communauté en contrepartie de l’emploi par un époux de loyers tirés d’un bien lui appartenant en propre aux fins de financer des travaux d’amélioration de ce bien.

L’argument avancé par l’époux qui contestait devoir une quelconque récompense à la communauté, consistait à dire qu’il avait consommé les revenus tirés de son bien propre. Or en application de l’article 1403, al. 2e du Code civil « la communauté n’a droit qu’aux fruits perçus et non consommés. »

La thèse défendue ici était pour le moins séduisante, sinon imparable. Parce qu’il avait employé les loyers provenant de la location d’un bien propre à des fins personnels, l’époux soutenait que ces loyers échappaient à la communauté, cette dernière ne pouvant prétendre qu’aux revenus non consommés.

L’argument n’a pas emporté la conviction de la Cour de cassation qui a considéré que l’utilisation de revenus de propres par un époux à des fins personnelles était sans incidence sur le droit à récompense de la communauté.

Pour la Première chambre civile, il est indifférent que les loyers perçus par l’époux aient été consommés ou économisés. Dans les deux cas, leur emploi donne lieu à récompense.

Si récompense est due à la communauté en cas d’affectation de revenus tirés d’un bien propre au financement de l’amélioration de ce bien, cela signifie que la Cour de cassation a entendu appréhender ces revenus comme des biens communs.

Aussi, est-ce la solution inverse à celle adoptée par la Cour de cassation un an plus tôt qui est retenue dans cet arrêt.

Ce revirement de jurisprudence n’a pas manqué de semer le doute sur la position de la Haute juridiction.

Il faudra attendre près de dix ans pour que la Cour de cassation se prononce à nouveau sur cette question et tranche définitivement la question de la qualification des revenus de propres.

ii. Seconde étape : la clarification

La Cour de cassation a mis fin à la controverse née sous l’empire de la loi du 13 juillet 1965 dans un arrêt « Authier » rendu en date du 31 mars 1921 (Cass. 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-17212).

Arrêt « Authier »
(Cass. 1ère civ. 31 mars 1992)
Attendu, qu'un jugement du 18 janvier 1981, confirmé par un arrêt du 2 février 1982 a prononcé le divorce de M. Y... et Mme X... en prescrivant la liquidation de la communauté conjugale existant entre eux ; que, statuant sur des difficultés afférentes à cette liquidation, l'arrêt attaqué a dit qu'au titre de l'acquisition d'un immeuble propre, à Ormesson, Mme X... était redevable de " récompenses " se montant à 109 980 francs pour la communauté conjugale et à 16 136 francs pour M. Y... ; que cet arrêt a rejeté la demande de Mme X... pour obtenir le paiement d'une récompense de 68 090,96 francs par la communauté et décidé que toutes les parts d'une société Wilson 30, qui dépendait de la communauté au jour de sa dissolution, devraient être comprises dans le partage, pour leur valeur à la date de celui-ci, malgré la cession d'une fraction d'entre elles, réalisée par Mme X... après la dissolution de la communauté par le divorce ;

Sur le deuxième moyen : (sans intérêt) ;

Mais sur le premier moyen :

Vu les articles 1401 et 1403, 1433 et 1437 du Code civil, ensemble les articles 1469 et 1479 du même Code ;

Attendu que la communauté, à laquelle sont affectés les fruits et revenus des biens propres, doit supporter les dettes qui sont la charge de la jouissance de ces biens ; que, dès lors, leur paiement ne donne pas droit à récompense au profit de la communauté lorsqu'il a été fait avec des fonds communs ; qu'il s'ensuit que l'époux, qui aurait acquitté une telle dette avec des fonds propres, dispose d'une récompense contre la communauté ;

Attendu que pour chiffrer la récompense due par Mme X... à la communauté ayant existé entre elle-même et M. Y..., ainsi que l'indemnité qu'elle a cru devoir reconnaître à ce dernier, en raison des annuités servies par eux pour l'acquisition de l'immeuble d'Ormesson, la cour d'appel a retenu comme éléments de calcul, le prix d'acquisition du bien, sa valeur au jour du partage et les sommes versées par la communauté et le mari en capital et intérêts ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors que pour déterminer la somme due par un époux, en cas de règlement des annuités afférentes à un emprunt souscrit pour l'acquisition d'un bien qui lui est propre, il y a lieu d'avoir égard à la fraction ainsi remboursée du capital, à l'exclusion des intérêts qui sont une charge de la jouissance, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

[…]

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions relatives à l'évaluation de la récompense due à la communauté par Mme X... et de la créance personnelle de M. Y... à l'encontre de cette dernière, ainsi qu'aux modalités de partage des parts de la société Wilson 30, l'arrêt rendu le 24 avril 1990, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens

  • Faits
    • Un couple marié sous le régime de la communauté d’acquêts a fait l’acquisition, en 1974, d’un immeuble financé par :
      • Des deniers appartenant en propre à l’épouse
      • Des fonds communs
      • Un emprunt contracté solidairement par les époux
    • Il a été convenu entre les époux que cet immeuble appartiendrait en propre à l’épouse.
    • Reste que son acquisition a, pour partie, été financée par des fonds communs.
    • Quant à l’emprunt son remboursement a été supporté par la communauté pendant trois ans.
    • Il en est résulté, lors de la liquidation du régime matrimonial, la naissance d’un droit à récompense au profit de la communauté.
    • Si les époux étaient d’accord sur le bien-fondé de ce droit à récompense, ils se sont en revanche disputés, entre autres points de discordances que nous n’aborderons pas ici, ses modalités de calcul.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 24 avril 1990, la Cour d’appel de Paris a octroyé une récompense à la communauté en retenant comme éléments de calcul, outre le prix d’acquisition du bien et sa valeur au jour du partage, les sommes versées par la communauté et le mari en capital augmenté des intérêts.
    • Ce qui retient l’attention ici c’est la prise en compte des intérêts dans le calcul de la récompense.
    • Tandis que le remboursement du capital de l’emprunt consiste en une dépense d’acquisition qui doit être supportée par le seul propriétaire du bien – au cas particulier l’épouse – il en va différemment des intérêts.
    • Ces derniers, que l’on peut qualifier de loyer de l’argent, se rapportent plutôt à la jouissance de la chose.
    • En l’espèce, le bien acquis servait de logement familial au couple marié, de sorte que c’est la communauté qui avait la jouissance de la chose.
    • En toute logique c’est donc à elle qu’il revenait de supporter la charge des intérêts.
    • Les juges du fond ne l’ont toutefois pas entendu ainsi.
    • À l’analyse, en intégrant dans l’assiette de calcul de la récompense les intérêts, cela revenait à les appréhender comme une dette personnelle.
    • Et si les intérêts constituent une dette personnelle, cela signifie que leur face opposée, soit les revenus tirés de la jouissance de la chose, sont des biens propres.
    • C’est donc une décision contraire à la solution adoptée par la Cour de cassation dans l’arrêt du 6 juillet 1982 ( 1ère civ. 6 juill. 1982, n°81-12680) qui a été prise ici par la Cour d’appel.
  • Décision
    • Dans l’arrêt rendu en date du 31 mars 1992, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel.
    • Au soutien de sa décision elle affirme que « la communauté, à laquelle sont affectés les fruits et revenus des biens propres, doit supporter les dettes qui sont la charge de la jouissance de ces biens ; que, dès lors, leur paiement ne donne pas droit à récompense au profit de la communauté lorsqu’il a été fait avec des fonds communs ; qu’il s’ensuit que l’époux, qui aurait acquitté une telle dette avec des fonds propres, dispose d’une récompense contre la communauté».
    • Ainsi, pour la Première chambre civile, les intérêts de l’emprunt souscrit par les époux constituent « la charge de la jouissance » du bien propre acquis.
    • Or cette jouissance a profité à la communauté.
    • La Cour de cassation en déduit que le remboursement des intérêts d’emprunt devait être supporté, non pas par l’épouse comme affirmé par la Cour d’appel, mais par la communauté à laquelle il n’est donc pas dû récompense pour cette partie du financement du bien propre.
    • Autre affirmation formulée par la Cour de cassation qui n’est pas sans retenir l’attention dans l’arrêt « Authier », la Première chambre civile précise que les fruits et revenus de biens propres sont affectés à la communauté.
    • Si elle ne dit pas explicitement que les revenus de propres sont des biens communs, elle crée, pour la première fois, un rapport d’affectation de ces revenus à la faveur de la communauté
    • Cette affectation vers la masse commune jouera toutefois les fois que la communauté aura la jouissance d’un bien propre.

Après l’arrêt « Authier », la Cour de cassation n’est jamais revenue sur sa position. Au contraire, elle l’a réaffirmée, notamment trois ans plus tard, dans un arrêt rendu le 4 janvier 1995 aux termes duquel elle a reproché aux juges du fonds, s’agissant de fonds affectés au financement de travaux réalisés sur une propriété agricole appartenant en propre au mari, si « ces fonds ne provenaient pas des revenus de l’exploitation agricole, lesquels tombaient en communauté bien qu’il s’agisse d’un bien propre du mari » (Cass. 1ère 4 janv. 1995, n°92-20013).

Bien qu’il faille être prudent avec le sens de cet arrêt dans la mesure où la Cour de cassation ne précise ici si les revenus tirés de l’exploitation agricole tombaient en communauté en tant que gains et salaires ou en tant que revenus de propres, d’aucuns y ont vu le franchissement d’un nouveau palier dans la reconnaissance de la qualification de biens communs aux revenus de propres.

Si le doute était encore permis, il a définitivement été évacué par un arrêt rendu en date du 20 février 2007 aux termes duquel la Cour de cassation a explicitement affirmé que « les fruits et revenus des biens propres ont le caractère de biens communs » (Cass. 1ère civ. 20 févr. 2007, n°05-18066).

À cet égard, il peut être observé que s’il est désormais bien établi en jurisprudence que les revenus de propres tombent en communauté, le principe est assorti de deux tempéraments :

  • Premier tempérament
    • Il est loisible aux époux de stipuler dans leur contrat de mariage une clause aux termes de laquelle les revenus de propres échapperaient à la communauté.
    • Il en résulterait, outre une réduction de la masse commune, que les biens acquis avec des revenus de propres seraient propres, sous réserve d’accomplissement des formalités d’emploi.
  • Second tempérament
    • Bien que, par principe, les revenus de propres tombent en communauté, chaque époux est autorisé à les consommer à des fins personnelles, sans que cette consommation ne donne lieu à récompense au profit de la communauté ( 1403, al. 2e C. civ.).
    • Cette consommation ne pourra néanmoins pas consister en un investissement (acquisition d’un bien durable ou travaux d’amélioration d’un propre).
    • Elle ne devra pas non plus être frauduleuse.
    • Si l’une ou l’autre situation se présente, la communauté aura droit à récompense.

2. Le domaine des revenus de biens propres

S’il est désormais admis que tous les fruits et revenus de propres ont vocation à tomber en communauté le principe souffre d’exceptions.

Il est, en effet, des cas où les revenus de propres échapperont à la communauté.

a. Les revenus de propres tombant en communauté

Si les textes n’opèrent aucune distinction entre les revenus de propres qui ont vocation à tomber en communauté, encore faut-il que l’on s’entende sur ce que recouvre cette notion.

À l’analyse, les revenus de propres sont susceptibles de se composer de deux catégories de biens :

  • Les fruits
  • Les produits

i. Les fruits

==> Principe général

Tous les fruits ont vocation à tomber en communauté, ce qui dès lors lui promet une grande variété de ressources.

Les fruits correspondent à tout ce que la chose produit périodiquement sans altération de sa substance.

Tel est le cas des loyers produits par un immeuble loué, des fruits d’un arbre ou encore des bénéfices commerciaux tirés de l’exploitation d’une usine.

Classiquement, on distingue trois catégories de fruits :

  • Les fruits naturels
    • L’article 583, al. 1er du Code civil prévoit que « les fruits naturels sont ceux qui sont le produit spontané de la terre. Le produit et le croît des animaux sont aussi des fruits naturels. »
    • Il s’agit autrement dit des fruits produits par la chose spontanément sans le travail de l’homme
    • Exemple : les champignons des prés, les fruits des arbres sauvages
  • Les fruits industriels
    • L’article 583, al. 2e prévoit que « les fruits industriels d’un fonds sont ceux qu’on obtient par la culture. »
    • Il s’agit donc des fruits dont la production procède directement du travail de l’homme.
    • Exemple: les récoltes sur champs, les coupes de bois taillis, bénéfices réalisés par une entreprise.
  • Les fruits civils
    • L’article 584 al. 1er prévoit que « les fruits civils sont les loyers des maisons, les intérêts des sommes exigibles, les arrérages des rentes. »
    • L’alinéa 2 précise que « les prix des baux à ferme sont aussi rangés dans la classe des fruits civils. »
    • Il s’agit donc des revenus périodiques en argent dus par les tiers auxquels la jouissance de la chose a été concédée
    • Exemple: les loyers d’un immeuble donné à bail ou encore les intérêts d’une somme argent prêtée

Pour être un fruit, le bien créé à partir d’un bien originaire doit donc remplir deux critères :

  • La périodicité (plus ou moins régulière)
  • La conservation de la substance de la chose dont ils dérivent.

Dès lors que ces deux critères sont remplis, le fruit retiré du bien a vocation à tomber en communauté, ce, quelle que soit sa nature.

Il est indifférent qu’il s’agisse d’un fruit naturel, industriel ou civil, encore que pour cette dernière catégorie de fruits, certaines situations ne sont pas sans avoir soulevé des difficultés de qualification.

==> Cas particuliers

Alors que la notion de fruit est aujourd’hui bien délimitée, il est deux situations qui ont soulevé des difficultés de qualification.

  • La perception de dividendes
    • Lorsqu’une société fait des bénéfices, l’assemblée générale peut décider de les distribuer aux associés.
    • Cette distribution donne lieu au règlement de ce que l’on appelle des dividendes.
    • À cet égard, le droit aux dividendes est un principe fondateur de tout pacte social : si les associés doivent contribuer aux pertes, ils doivent également participer aux bénéfices.
    • Lorsqu’un associé est marié sous le régime légal et qu’il détient en propre des parts d’intérêts dans une société, se pose inévitablement la question de la nature des dividendes qu’il perçoit.
    • Ces derniers n’ont vocation à tomber en communauté qu’à la condition qu’ils soient appréhendés comme des fruits civils.
    • Dans le cas contraire, à l’instar de l’actif social qui sera réparti entre les associés au moment de la liquidation de la société, ils appartiendront en propre à l’époux propriétaire des parts ou actions.
    • À l’analyse, la difficulté de qualification des dividendes vient de ce qu’ils visent à rémunérer, tout autant l’investissement en capital des associés, que les résultats positifs de l’activité de l’entreprise.
    • Or seule la première fonction est susceptible de justifier que les dividendes soient regardés comme des fruits civils.
    • Au surplus, la distribution des dividendes est aléatoire, alors même que, par nature, les fruits civils sont constitutifs de revenus périodiques.
    • Si l’on se tourne vers la jurisprudence, la Cour de cassation a jugé, dans un premier temps, que « les bénéfices des sociétés commerciales, dans la mesure où, d’après les statuts, ils doivent être répartis périodiquement entre les ayants droit, participent de la nature des fruits civils, auxquels il y a lieu de les assimiler, en ce qu’ils sont réputés s’acquérir jour par jour au cours de chaque exercice social» ( civ., 21 oct. 1931).
    • La Haute juridiction reconnaît donc explicitement le statut de fruits civils aux dividendes.
    • L’enjeu était ici de déterminer comment les répartir entre le cédant et le cessionnaire ?
    • Si les dividendes sont des fruits civils, alors ils doivent être répartis au prorata temporis, à tout le moins telle a été la position de la Cour de cassation jusqu’à ce qu’elle semble revenir sur sa jurisprudence dans un arrêt du 23 octobre 1984 ( com., 23 oct. 1984, n° 82-12.386).
    • Dans cette décision, la Cour de cassation juge que les dividendes ne s’acquièrent qu’à compter de la décision de distribution prise par l’assemblée générale ( com., 23 oct. 1984, n° 82-12.386).
    • Elle en déduit que les dividendes ne peuvent être attribués qu’à celui qui a la qualité d’associé à cette date.
    • Aussi, selon que la décision de l’assemblée générale interviendrait avant ou après la transmission des titres sociaux, les dividendes seront intégralement attribués au cédant ou au cessionnaire.
    • La doctrine a déduit de la solution retenue par la Cour de cassation qu’elle avait abandonné le principe de distribution des dividendes au prorata temporis et que, par voie de conséquence, c’est leur statut de fruits civils qui était remis en cause.
    • Après une incertitude qui a duré pendant plus de dix ans, la Cour de cassation a finalement mis fin au débat dans un arrêt du 5 octobre 1999.
    • Aux termes de cette décision, elle affirme que « les sommes qui, faisant partie du bénéfice distribuable sont, soit en vertu des statuts, soit après décision de l’assemblée générale, réparties entre les actionnaires, participent de la nature des fruits» ( com. 5 oct. 1999, n°97-17.377)
    • Au soutien de cette affirmation elle vise notamment l’article 586 du Code civil qui prévoit que « les fruits civils sont réputés s’acquérir jour par jour et appartiennent à l’usufruitier à proportion de la durée de son usufruit. Cette règle s’applique aux prix des baux à ferme comme aux loyers des maisons et autres fruits civils. »
    • Ainsi, pour la Cour de cassation, les dividendes s’apparentent à des fruits civils.
    • La conséquence en est, lorsqu’ils sont distribués à un associé marié sous le régime légal, qu’ils doivent être traités comme des revenus de biens propres et que donc, à ce titre, ils ont vocation à tomber en communauté.
  • La mise en réserve des bénéfices
    • Si l’assemblée générale d’une société dispose de la faculté de partager les bénéfices entre les associés, elle peut également décider de les mettre en réserve.
    • Dans cette hypothèse, la communauté est-elle recevable à se prévaloir d’un quelconque droit sur les « dividendes non-distribués» ?
    • Dans un arrêt du 12 décembre 2006, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question.
    • Elle valide la décision d’une Cour d’appel qui a jugé que « les bénéfices réalisés par une société ne deviennent des fruits ou des revenus de biens propres, susceptibles de constituer des acquêts de communauté, que lorsqu’ils sont attribués sous forme de dividendes» ( 1ère civ. 12 déc. 2006, n°04-20-663).
    • Aussi, c’est la décision de distribution de dividendes qui ouvre droit à la communauté d’en tirer profit, sauf à ce qu’ils soient consommés par l’époux associé dans les conditions de l’article 1403, al. 2e du Code civil.

ii. Les produits

Les produits correspondent à tout ce qui provient de la chose sans périodicité, mais dont la création en altère la substance.

Tel est le cas des pierres et du minerai que l’on extrait d’une carrière ou d’une mine.

Ainsi que l’ont fait remarquer des auteurs « quand on perçoit des fruits, on perçoit seulement des revenus, tandis que quand on perçoit les produits d’une chose, on perçoit une fraction du capital, qui se trouve ainsi entamé »[7].

Lorsque la perception des revenus tirés de la chose ne procédera pas d’une altération de sa substance, il conviendra de déterminer si cette perception est périodique ou isolée.

Tandis que dans le premier, il s’agira de fruits, dans le second, on sera en présence de produits.

On peut lire en ce sens, sous la plume du Doyen Carbonnier, que « c’est parce qu’il [le fruit] revient périodiquement et qu’il ne diminue pas la substance du capital que le fruit se distingue du produit ».

Ainsi, s’agissant d’une carrière exploitée sans discontinuité, les pierres extraites seront regardées comme des fruits et non comme des produits, la périodicité de la production couvrant l’altération de la substance.

Il en va de même pour une forêt qui aurait été aménagée en couples réglées : les arbres abattus quittent leur état de produits pour devenir des fruits.

La distinction entre les fruits et les produits n’est pas sans intérêt sur le plan juridique.

En effet, alors que les fruits reviennent à celui qui a la jouissance de la chose, soit l’usufruitier, les produits, en ce qu’ils sont une composante du capital, appartiennent au nu-propriétaire.

La question qui immédiatement se pose est de savoir si les produits tirés du bien propre d’un époux ont, à l’instar des fruits, vocation à tomber en communauté.

Dans la mesure où cette dernière se comporte comme un usufruitier, on pourrait être porté à répondre par la négative à cette question.

Reste que l’article 598 du Code civil prévoit que, par exception, l’usufruitier jouit « de la même manière que le propriétaire, des mines et carrières qui sont en exploitation à l’ouverture de l’usufruit »

Aussi, seuls les produits extraits de mines ou de carrières aménagées seraient susceptibles d’être inscrits à l’actif commun.

Les autres produits échappent donc à la communauté. Ils reviennent en propre à l’époux propriétaire du bien d’où ils sont extraits.

b. Les revenus de propres échappant à la communauté

Il est deux cas où les revenus de propres ne tombent pas en communauté :

  • Lorsqu’ils sont au stade de créance
  • Lorsqu’ils ont été consommés par l’époux qui les perçoit

i. Les créances de revenus de propres

==> Principe

L’article 1403, al. 2e du Code civil prévoit que « la communauté n’a droit qu’aux fruits perçus et non consommés. »

Il ressort de cette disposition que c’est la perception qui fait tomber en communauté les revenus tirés d’un bien propre.

A contrario, cela signifie que les fruits non perçus sont insusceptibles d’être inscrits à l’actif commun.

C’est là une différence majeure avec les gains et salaires qui sont communs avant même leur perception.

Aussi, tant que les revenus de propres sont au stade de créance, ils échappent à la communauté.

Dès lors, en revanche, que la créance devient exigible, notamment en cas de survenance du terme de l’obligation, ils se transforment en revenus perceptibles et donc en biens communs.

La conséquence pratique de l’absence d’inscription à l’actif commun des créances de revenus de propres, c’est l’absence de droit à récompense au profit de la communauté, sauf à ce que soit établie une négligence fautive dans leur perception.

==> Exception

  • Le contenu du droit à récompense
    • L’article 1403 du Code civil prévoit qu’une récompense pourra être due à la communauté, lors de la liquidation du régime matrimonial, « pour les fruits que l’époux a négligé de percevoir».
    • Il s’agit là d’une exception au principe d’exclusion des créances de revenus de propres de la masse commune.
    • Cette exception se justifie par l’attitude de l’époux qui aurait dû percevoir les revenus de ses propres, mais qui ne l’a pas fait par négligence.
    • La question qui immédiatement se pose est alors de savoir ce que l’on doit entendre par négligence.
    • De l’avis général des auteurs, la négligence consiste à ne pas percevoir les fruits lors de l’arrivée à échéance de la créance, à tout le moins si l’époux reste passif, il sera réputé avoir été négligent.
    • Charge à lui de rapporter la preuve contraire en établissant une cause légitime. Il pourra s’agir :
      • De l’octroi d’un délai de grâce au débiteur par une juridiction en application de l’article 1343-5 du Code civil
      • De l’existence situation d’insolvabilité du débiteur qui se trouve dans l’incapacité de régler les revenus dus à l’époux
    • Quant à la remise de dette conventionnelle, qui donc serait consentie en dehors de toute procédure judiciaire, elle s’analyse en une libéralité.
    • En effet, comme relevé par des auteurs, « la remise de dette suppose l’acceptation du moins tacite du débiteur, ce qui signifie, pour le créancier, qu’il a disposé du bien, donc qu’avant d’en disposer il l’avait perçu, ne serait-ce qu’un instant de raison»[8].
    • Parce que l’acte de perception serait donc caractérisé, une remise de dette conventionnelle ouvrirait droit à récompense au profit de la communauté.
  • La mise en œuvre du droit à récompense
    • L’article 1403, al. 2e in fine du Code civil prévoit que, lorsque la communauté a droit à récompense au titre de la négligence imputable à un époux dans la perception des revenus de ses propres aucune recherche ne sera recevable au-delà des cinq dernières années.
    • Autrement dit, n’entreront dans l’assiette de calcul des récompenses que les revenus dont la perception a été négligée durant les cinq dernières années à compter de la dissolution de la communauté.
    • Si la dissolution est intervenue à l’année N, seules les créances de revenus jusqu’à N-5 pourront être intégrées dans le calcul de la récompense due à la communauté.

ii. Les revenus de propres consommés

==> Principe

L’article 1403, al. 1er du Code civil prévoit que « la communauté n’a droit qu’aux fruits perçus et non consommés. »

Il ressort de cette disposition que les revenus de propres peuvent être consommés par l’époux qui les perçoit sans qu’aucune récompense ne soit due à la communauté.

Encore faut-il néanmoins que cette consommation ne donne pas lieu à l’acquisition d’un bien durable ou se traduise par le financement de travaux d’amélioration d’un bien propre.

Comme souligné par Annie Chamoulaud-Trapiers, « la consommation doit s’entendre d’une utilisation qui n’a rien laissé subsister, aucune plus-value, aucun investissement »[9].

Autrement dit, il ne doit plus rien rester des revenus perçus, peu importe qu’ils aient été employés à des fins exclusivement personnelles.

À défaut, la communauté a droit à récompense. Tel est notamment le cas lorsque les revenus de propres sont utilisés aux fins d’acquisition ou d’amélioration d’un bien propre (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 6 juill. 1982).

==> Exceptions

L’article 1403, al. 2e du Code civil prévoit que si les revenus de propres consommés échappent à la communauté, c’est sous réserve de la fraude.

Cette fraude sera caractérisée lorsque la consommation des fruits a été dissimulée au conjoint et que la communauté s’en est trouvée lésée.

Lorsque la fraude est établie une récompense sera due à cette dernière. Son montant correspondra à l’enrichissement manqué par la communauté.

Comme pour l’hypothèse de la négligence dans la perception, seuls les revenus consommés les 5 dernières années à compter de la dissolution de la communauté pourront être intégrés dans l’assiette de calcul de la récompense.

D) Les biens provenant du jeu de l’accession

L’accession est envisagée à l’article 712 du Code civil comme un mode d’acquisition originaire de la propriété, tant mobilière, qu’immobilière.

Plus précisément elle est l’expression du principe aux termes duquel « l’accessoire suit le principal » (accessorium sequitur principale).

Les règles qui régissent l’accession visent, en effet, à étendre l’assiette du droit de propriété aux accessoires de la chose qui en est l’objet.

L’article 546 du Code civil dispose en ce sens « la propriété d’une chose soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur tout ce qu’elle produit, et sur ce qui s’y unit accessoirement soit naturellement, soit artificiellement. »

La particularité du « droit d’accession » dont est investi le propriétaire est qu’il lui confère un droit de propriété sur les accessoires de la chose, sans qu’il lui soit besoin accomplir un acte de volonté ou une prise de possession du bien à l’instar de l’occupation.

Pour exemple, le propriétaire d’un fonds acquiert automatiquement la propriété de toutes les constructions élevées sur ce fonds, tout autant que lui reviennent les fruits produits par les arbres qui y sont plantés.

S’agissant d’un bien qualifié de commun sous le régime légal, il est admis que la théorie de l’accession puisse jouer.

Dans cette hypothèse, elle est susceptible de conduire à étendre la propriété à tout ce qui s’unit et s’incorpore au bien commun. La conséquence en est que le nouveau bien – augmenté – sera commun.

Les règles de l’accession diffèrent néanmoins selon que l’incorporation intéresse des immeubles ou des meubles.

  • S’agissant de l’accession mobilière
    • Elle ne jouera que dans des hypothèses résiduelles d’incorporation qui ne sont pas réglées par une convention, ni n’entrent en concours avec l’effet acquisitif attaché à la possession.
    • C’est seulement dans cet espace, qui n’est pas que théorique, mais qui demeure restreint, que les règles énoncées aux articles 565 et suivants du Code civil ont vocation à s’appliquer.
    • À cet égard, ces dispositions ne règlent que l’incorporation d’un meuble à un autre meuble.
    • Lorsqu’un meuble est incorporé à un immeuble, ce sont les règles de l’accession immobilière qui ont vocation à s’appliquer.
  • S’agissant de l’accession immobilière
    • L’accession immobilière correspond à l’hypothèse où une chose mobilière ou immobilière est incorporée à un immeuble, de telle sorte qu’une union se crée entre les deux biens qui en formeront plus qu’un seul et même bien.
    • Le Code civil distingue selon que l’accession immobilière est le résultat d’un phénomène naturel ou selon qu’elle procède de l’intervention de la main de l’homme.

Outre les règles générales qui encadrent l’accession mobilière et immobilière, il peut être observé que le régime légal envisage un cas spécifique d’accession pour les éléments qui composent un fonds de commerce inscrit à l’actif commun.

Il ressort de l’article 1404, al. 2e du Code civil que, échappent à la qualification de biens propres, « les instruments de travail nécessaires à la profession de l’un des époux [qui sont] l’accessoire d’un fonds de commerce ou d’une exploitation faisant partie de la communauté. »

Cette précision n’est pas sans intérêt compte tenu de la nature du fonds de commerce qui, pour mémoire, est une universalité de fait et qui, par voie de conséquence, ne peut être appréhendée que comme un tout et non comme un ensemble de biens pris séparément.

E) Les biens provenant du jeu de la subrogation

La perte de la propriété d’un bien est une situation pour le moins courante à laquelle est susceptible d’être confronté le couple marié.

Cette perte peut avoir pour cause, la destruction du bien, sa péremption, son égarement ou plus simplement sa vente.

Parfois, la disparition sera compensée par son remplacement par un autre. Dans cette hypothèse, se posera alors la question de la qualification du nouveau bien.

Pour y répondre, il convient de se reporter au mécanisme de subrogation réelle. Cette opération consiste à substituer dans un patrimoine une chose par une autre.

Il en va ainsi lorsqu’un bien mobilier ou immobilier dont est propriétaire une personne est remplacé par une somme d’argent correspondant à la valeur du bien remplacé.

Cette somme d’argent peut consister en un prix de vente, à une indemnité d’assurance ou encore à une indemnité d’expropriation.

La particularité de la subrogation réelle est donc qu’elle opère le remplacement dans un bien par un autre, sans pour autant modifier le rapport de propriété préexistant liant le propriétaire à la chose.

C’est là le sens de l’adage subrogatum capit naturam subrogi, soit ce qui est subrogé prend la nature de ce à quoi il est subrogé.

La conséquence en est que la subrogation n’affecte pas le droit réel exercé par le propriétaire ; elle substitue seulement son objet.

Lorsque, dès lors, la subrogation porte sur un bien commun, les droits de la communauté sont inchangés : le nouveau bien reste commun.

À cet égard, à la différence de la subrogation qui intéresse des biens propres, la subrogation qui a pour objet un bien relevant de la masse commune ne requiert l’accomplissement d’aucune formalité particulière.

Elle opère, en effet, de plein droit, sans qu’il soit besoin aux époux de régulariser une déclaration d’emploi ou de remploi.

L’absence de formalités se justifie par la présomption de communauté énoncée par l’article 1402 du Code civil qui a pour effet d’intégrer dans la masse commune tout bien meuble ou immeuble dont la propriété en propre ne peut pas être rapportée.

F) Les gains provenant d’un jeu de hasard ou d’un jeu concours

Lorsqu’un époux participe à un jeu de hasard ou à un concours, il est susceptible de percevoir un gain.

La question qui alors se pose est de savoir si ce gain lui appartient en propre ou s’il tombe en communauté.

Pour le déterminer, la doctrine opère une distinction entre les jeux de hasard et les jeux-concours :

  • S’agissant des jeux du hasard
    • Ils présentent la particularité de ce que l’espérance du gain résulte de la voie du sort.
    • Autrement dit, le gagnant est désigné par le seul hasard,
    • Tel est le cas du loto ou encore d’une loterie
  • S’agissant des jeux-concours
    • Ils consistent en une épreuve qui mobilise la sagacité, le savoir et plus généralement les aptitudes des joueurs
    • Dans cette hypothèse, la chance peut certes avoir un rôle à jouer ; néanmoins les gagnants sont sélectionnés, moins de la voie du sort, que de la qualité des résultats obtenus dans les épreuves auxquelles ils ont été soumis
    • Il en va ainsi d’un jeu-concours qui repose sur une épreuve sportive ou mobilise facultés intellectuelles des candidats

Quelles conséquences tirer de cette distinction ?

En présence d’un jeu-concours, qui donc fait appel aux aptitudes physiques ou intellectuelles des candidats, il y aurait lieu de considérer que le gain perçu provient de l’industrie des époux.

Dans ces conditions, il conviendrait de soumettre ce gain au même régime que celui applicable aux gains et salaires. Or il est désormais unanimement admis que les gains et salaires tombent en communauté, ce, dès leur perception (Cass. 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-16343).

En présence d’un jeu de hasard, il s’infère de la jurisprudence que la qualification du bien dépendrait de la nature des deniers employés pour acquérir le titre de jeu, lequel ouvre droit, à l’issue d’un tirage au sort, à l’attribution d’un bien en nature ou d’une somme d’argent.

Si les deniers employés sont communs, alors le gain fortuit tomberait en communauté. Si en revanche les fonds appartiennent en propre au joueur, le gain resterait propre.

Une partie de la doctrine justifie cette solution en arguant que le mécanisme de la subrogation réelle aurait vocation à jouer.

En somme, cette subrogation réaliserait un remplacement du prix du titre de jeu par le gain perçu par le joueur.

Reste que lorsque ce gain est sans commune mesure avec le prix du billet de loterie, l’opération se concilie mal avec l’exigence de substitution qui implique une sorte d’équivalence entre le bien remplacé et le nouveau bien.

Quoi qu’il en soit, telle a été la solution retenue par le Tribunal de grande instance de Créteil qui, dans une décision du 19 janvier 1988, a jugé, s’agissant de l’emploi de fonds issus de la pension de retraite d’une femme mariée à l’acquisition d’un billet de loto, que « le gain qui en provient participe de la même nature et compose dès lors potentiellement la masse active de la communauté » (TGI Créteil, 19 janv. 1988).

Dans un arrêt du 13 novembre 2014, la Cour d’appel de Versailles a encore décidé, s’agissant d’une demande de réintégration dans la masse commune d’un gain du loto, que « l’achat du ticket gagnant en vue du tirage du 12 décembre 2012 est antérieur à la procédure de divorce engagée en mai 2013 ; que Delphine V. n’établit pas qu’elle a participé au tirage du Loto avec des fonds propres ; que dès lors les fonds gagnés constituent des biens communs » (CA Versailles, 13 novembre 2014, n° 13/08736).

Une solution identique a été retenue par la Cour d’appel de Dijon dans un arrêt du 8 déc. 2016 (CA Dijon, 8 déc. 2016, n°16/00532).

Si donc le gain fortuit emprunte la qualification des deniers qui ont financé l’acquisition du titre du jeu, pour que ce gain appartienne en propre au joueur, celui-ci devra, avoir employé des fonds propres, encore que cela ne soit pas suffisant.

En effet, un bien acquis avec des fonds personnels n’endosse la qualification de bien propre qu’à la condition que l’acquéreur marié sous le régime légal ait accompli des formalités d’emploi ou de remploi, conformément aux articles 1433 et 1434 du Code civil.

L’acquisition d’un titre de jeu avec des deniers propres n’échappe pas à la règle, elle devra s’accompagner d’une déclaration qui consistera à mentionner dans l’acte d’acquisition :

  • D’une part, l’origine des deniers utilisés, ce qui permet de justifier de leur caractère propre
  • D’autre part, l’affectation des fonds à l’acquisition d’un bien propre

Faute de déclaration d’emploi ou de remploi, le titre de jeu acquis, et par voie de conséquence le gain fortuit, tomberont en communauté sauf à ce qu’une déclaration d’emploi ou de remploi soit régularisée postérieurement à l’acquisition.

Dans cette hypothèse, elle supposera l’accord des deux époux. Lorsque la déclaration d’emploi ou de remploi a valablement été accomplie, le bien acquis sera propre.

À l’analyse, la condition tenant à la déclaration d’emploi ou de remploi ne sera jamais remplie. On voit mal un époux accomplir cette formalité lors de l’achat d’un billet de loterie.

Il s’agit là d’un cas d’école, à telle enseigne que, en pratique, le gain fortuit tombera systématiquement en communauté.

II) Les biens communs par présomption

==> Fonction de la présomption de communauté

Sous le régime légal, les biens communs ne sont pas seulement déterminés par la loi ou par le contrat de mariage que les époux auraient conclu.

La masse commune s’enrichit également de tous les biens qui relèvent du domaine de ce que l’on appelle la présomption d’acquêts ou de communauté.

Cette présomption est énoncée à l’article 1402 du Code civil qui prévoit que « tout bien, meuble ou immeuble, est réputé acquêt de communauté si l’on ne prouve qu’il est propre à l’un des époux par application d’une disposition de la loi. »

Il ressort de cette disposition que dès lors qu’une incertitude sur la propriété d’un bien existe, ce bien est réputé appartenir à la communauté.

Plus précisément, la présomption de communauté fait peser la charge de la preuve sur l’époux qui se prévaut de la propriété d’un bien.

Faute d’être en mesure de rapporter cette preuve, le bien est réputé commun.

À cet égard, la présomption de communauté ne règle pas seulement la charge de la preuve, elle organise également les modes d’établissement de la preuve ; ils sont visés au second alinéa de l’article 1402 du Code civil.

Au fond, comme souligné par Gérard Cornu, la présomption d’acquêts constitue une sorte de « facteur résiduel d’accroissement de la communauté au bénéfice du doute ».

La règle ainsi instituée n’est pas neutre : elle vise à renforcer, sinon amplifier, le pouvoir d’attraction de la masse commune sur les biens qui pénètrent la sphère patrimoniale du couple marié.

D’aucuns avancent qu’elle témoigne « du souci du législateur de souligner, au moyen de la préférence ainsi marquée, le caractère communautaire du régime légal »[10].

On peut également lire sous la plume d’André Coloner que « du point de vue de la gestion comme du point de vue de la propriété, la présomption de communauté est de nature à œuvrer dans le sens d’un renforcement de l’association conjugale »[11].

==> Nature de la présomption de communauté

Certains auteurs ont pu soutenir que la présomption d’acquêts ne serait pas seulement une règle de preuve, mais s’apparenterait également en une règle de fond[12].

Cette thèse a pour point de départ un constat : s’il est des biens dont la qualification est déterminée par la loi ou par le contrat de mariage, il est des cas où un bien est susceptible de se situer sur la frontière qui délimite la masse commune des masses propres.

En cas d’impossibilité de déterminer à quelle masse appartient un bien soulevant une difficulté de qualification, il y aurait lieu de faire jouer la présomption de communauté.

Dans cette configuration, elle se transformerait alors en règle de fond puisque attribuant, par défaut, la propriété du bien à la communauté quand bien même il serait établi que ce bien a été acquis, à titre personnel, par l’un ou l’autre époux.

Bien que séduisante, cette thèse doit être réfutée. L’article 1402 du Code civil se limite à présumer le caractère commun d’un bien dont l’origine est incertaine. Tout au plus, il organise les modes de preuve mis à la disposition de l’époux sur lequel pèse la charge de la preuve.

En aucune manière ce texte n’édicte des critères de répartition des biens entre la masse commune et les masses de propres.

Ainsi que le souligne Gérard Champenois, « la présomption de communauté ne saurait […] être autre chose qu’une présomption d’origine »[13].

Aussi, elle n’a pas vocation à combler les vides laissés par les textes ou le contrat de mariage qui déterminent la qualification de tel ou tel bien.

La présomption de communauté n’en joue pas moins un rôle central dans le régime légal et plus généralement dans les régimes communautaires.

Bien qu’elle ne soit qu’une règle de preuve, son incidence sur la répartition des biens entre les différentes masses est forte, ce serait-ce que parce que son domaine d’application est général et que ses effets opèrent tant dans les rapports entre époux que dans les rapports avec les tiers.

A) Le domaine de la présomption de communauté

==> Principe

Le rôle – central – joué par la présomption de communauté tient essentiellement à son domaine d’application : général.

Cette présomption joue pour tous les biens, sans distinction. Elle s’applique, tant aux meubles, qu’aux immeubles ainsi que le prévoit expressément l’article 1402 du Code civil.

  • S’agissant des immeubles
    • La présomption d’acquêts ne sera mobilisée que dans des hypothèses très exceptionnelles
    • L’acquisition d’un immeuble suppose, en effet, la régularisation d’un acte notarié.
    • Aussi, l’époux qui se prévaut de la propriété d’un immeuble n’éprouvera aucune difficulté à rapporter la preuve qu’il lui appartient en propre.
  • S’agissant des meubles
    • Leur acquisition n’est soumise à l’accomplissement d’aucune formalité de publicité, à tout le moins pour ceux qui ne sont pas immatriculés.
    • Dans ces conditions, la présomption de communauté d’acquêts produira ses effets, sans qu’il soit besoin de démontrer que le bien a été acquis avec des deniers communs.
    • La seule présence du bien dans le patrimoine des époux suffit à faire jouer la présomption de communauté.

==> Cas particulier des fonds déposés sur un compte personnel

Bien que la présomption d’acquêt soit d’application générale, elle est susceptible de se heurter, lorsque le bien disputé consiste en des deniers déposés sur le compte personnel d’un époux, à la présomption de pouvoir énoncée à l’article 221, al. 1er du Code civil qui prévoit que « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »

Cette précision vise à garantir une autonomie des plus larges aux époux, et plus encore à rappeler que, en matière bancaire, la femme mariée est désormais libérée de la tutelle de son mari.

Parce qu’elle relève du régime primaire, il s’agit là d’une règle d’ordre public à laquelle il ne peut pas être dérogé par convention contraire.

Pratiquement, elle implique que la responsabilité du banquier ne saurait être recherchée au motif qu’il n’aurait pas exigé de l’époux déposant des justifications quant à la réalisation d’opérations sur son compte.

En pareille hypothèse, ainsi qu’il l’a été rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 9 juillet 2008, il appartient à celui qui revendique la propriété des fonds de rapporter la preuve de leur caractère propre (Cass. 1ère civ. 9 juill. 2008, n°07-16.545).

À cet égard, la première chambre civile a pris le soin de préciser, dans cette décision, s’agissant d’époux sont mariés sous un régime de communauté, que « les deniers déposés sur le compte bancaire d’un époux sont présumés, dans les rapports entre conjoints, être des acquêts ».

Il en résulte que la nature de propre des fonds versés sur le compte d’un époux ne peut se déduire du seul fait qu’ils proviennent de son compte personnel.

La présomption de pouvoir énoncée par l’article 221 du Code civil, cède sous l’effet de la présomption de communauté qui produit ses effets, nonobstant le pouvoir de gestion exclusive dont sont investis les époux sur les fonds déposés sur leurs comptes personnels.

B) Les effets de la présomption de communauté

1. Les effets de la présomption de communauté dans les rapports entre époux

En application de l’article 1402 du Code civil, la présomption de communauté a pour effet de faire peser la charge de la preuve sur l’époux qui se prévaut de la propriété d’un bien en propre.

Faute de rapporter cette preuve, le bien « est réputé acquêt de communauté », de sorte que lors de dissolution du mariage, il sera partagé par moitié entre les époux.

À cet égard, c’est surtout au moment de la liquidation de la communauté que présomption d’acquêts produira ses effets, période au cours de laquelle les époux procéderont aux opérations de reprise de leurs biens propres.

Tous les biens pour laquelle il existera un doute quant à l’origine seront intégrés d’office dans la masse partageable.

Pour les y soustraire, il appartiendra à l’époux revendiquant de rapporter la preuve que tel ou tel bien réputé commun lui appartient en propre.

La présomption de communauté n’aura pas seulement vocation à jouer au moment de la dissolution du mariage. Elle pourra également produire ses effets au cours de l’union matrimoniale.

À ce stade, l’enjeu sera toutefois moins de déterminer à qui appartient le bien, que de trancher un conflit quant au pouvoir de gestion qui s’exerce sur ce bien.

En effet, les biens communs font l’objet d’une gestion concurrente, voire dans certains cas, d’une gestion conjointe. Or les biens propres relèvent toujours de la gestion exclusive de l’époux propriétaire, exception faite du logement familial et des meubles le garnissant (Art. 215, al. 3e C civ.).

Dans ces conditions, selon que le bien est propre ou commun, le pouvoir de l’époux qui se prévaut de la propriété, en propre d’un bien, est susceptible d’être :

  • Soit dans le meilleur des cas, concurrencé par le pouvoir de son conjoint
  • Soit dans le pire des cas, neutralisé lorsque l’opération relève de la cogestion

Pour sortir de l’une ou l’autre situation, il appartiendra donc à l’époux qui prétend que le bien disputé lui appartient en propre d’en rapporter la preuve.

2. Les effets de la présomption de communauté dans les rapports avec les tiers

Bien que la présomption de communauté n’ait vocation à trancher qu’une question de propriété d’un bien que se disputent les époux et plus précisément à déterminer si ce bien tombe ou non en communauté, elle n’en produit pas moins des effets à l’égard des tiers.

Dans cette hypothèse, il ne s’agira donc pas de vérifier le bien-fondé d’une action en revendication exercée par le tiers, mais plutôt de déterminer si la dette dont il se prévaut est exécutoire sur le bien litigieux.

En effet, selon qu’un bien est propre ou commun, le périmètre du gage des créanciers s’en trouve plus ou moins étendue.

Lorsque, en effet, un époux contracte seul une dette auprès d’un tiers, conformément à l’article 1413 du Code civil, il engage, par principe, tous les biens communs à l’exclusion des biens propres et des gains et salaires de son conjoint.

Aussi, en application de la présomption de communauté, pour faire échec au droit de gage des créanciers agissant au titre d’une dette commune, le conjoint de l’époux débiteur devra établir que les biens poursuivis lui appartiennent en propre.

Là ne se limite pas le rôle de la présomption d’acquêt dans les rapports avec les tiers, elle aura également vocation à jouer lorsqu’un époux aura accompli un acte au mépris d’une règle de cogestion.

Il est, en effet, certains cas où l’accomplissement d’un acte portant sur un bien commun requiert l’accord des deux époux.

Tel est le cas des donations de biens communs ou encore l’aliénation ou la constitution de droits réels portant sur des immeubles, fonds de commerce et d’exploitations dépendant de la communauté.

En cas de violation de la règle de cogestion, l’acte accompli irrégulièrement encourt la nullité.

Seule solution pour le tiers qui cherche à déjouer cette nullité : neutraliser la présomption de communauté en démontrant que le bien sur lequel porte l’acte contesté appartient en propre à l’époux avec lequel il a contracté.

C) La force de la présomption de communauté

La présomption de communauté instituée à l’article 1402 du Code civil est une présomption simple. Il en résulte qu’elle souffre de la preuve contraire.

Aussi, appartient-il à l’époux qui se prévaut de la propriété d’un bien à titre exclusif de rapporter cette preuve.

Pour ce faire, il devra se conformer aux règles prescrites au second alinéa de l’article 1402 qui :

  • Pour certains cas, dispense de rapporter la preuve du caractère propre d’un bien
  • Pour d’autres cas, énonce les modes de preuve admis lorsque la preuve est exigée

1. La dispense de preuve

En application de l’article 1402, al. 2e du Code civil, il est deux cas où un époux peut se prévaloir d’une dispense de rapporter la preuve du caractère propre d’un bien :

  • La présence d’une preuve ou d’une marque de l’origine sur le bien
  • L’absence de contestation

==> La présence d’une preuve ou d’une marque de l’origine

Il ressort d’une lecture a contrario de l’article 1402, al. 2e du Code civil que lorsqu’un bien porte en lui-même la preuve ou la marque de son origine, l’époux qui prétend que ce bien lui appartient en propre est dispensé d’en rapporter la preuve.

La marque qui figure sur le bien suffit à prouver son caractère personnel. Tel est le cas d’un bien sur lequel seraient inscrites des armoiries ou des initiales ou sur lequel figurerait une dédicace personnalisée.

Qu’en est-il des biens qui forment des propres par nature au sens de l’article 1404 du Code civil ?

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « forment des propres par leur nature, quand même ils auraient été acquis pendant le mariage, les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux, les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles, et, plus généralement, tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne ».

La doctrine est divisée sur le sujet. Certains auteurs avancent qu’il y aurait lieu d’étendre la dispense énoncée à l’article 1402 du Code civil aux biens par nature dans la mesure où « qu’elles qu’aient été les conditions de leur acquisition, [ils] ne peuvent qu’être propres »[14]. L’autre argument est de dire que cette solution était admise sous l’empire du droit antérieur et que rien n’indique qu’elle a été remise en cause.

D’autres auteurs soutiennent néanmoins en sens contraire que les biens par nature se caractérisent par le seul lien étroit qu’ils entretiennent avec un époux.

Or l’article 1402, al. 2e du Code civil subordonne la dispense de preuve à la présence d’une marque sur le bien, ce qui donc exclurait les biens par nature du domaine de la dispense[15].

Pour ce qui nous concerne, nous nous rangeons à cette seconde analyse, plus conforme à la lettre du texte.

==> L’absence de contestation

L’article 1402, al. 2e du Code civil prévoit qu’il n’est pas besoin de rapporter la preuve de la propriété personnelle d’un bien lorsqu’elle n’est pas contestée.

Si cette précision relève de l’évidence, dans la mesure où en droit commun, ne doivent être prouvés que les faits contestés ou contestables, elle présente néanmoins un réel intérêt en cas de liquidation amiable de la communauté.

Lorsque le notaire procédera aux opérations de liquidation il ne pourra pas, en effet, exiger des époux qu’ils rapportent la preuve du caractère propre d’un bien pour l’exclure de l’actif commun dès lors que la propriété de ce bien ne fait l’objet d’aucune contestation.

2. L’exigence de preuve

Lorsque la preuve du caractère propre d’un bien est exigée, faute pour l’époux revendiquant de justifier d’un cas de dispense, l’article 1402, al. 2e du Code civil pose le principe de la preuve par écrit. À titre exceptionnel, la preuve peut être rapportée par tous moyens.

a. Principe : l’exigence d’un écrit

L’article 1402, al. 2e du Code civil dispose que « si le bien est de ceux qui ne portent pas en eux-mêmes preuve ou marque de leur origine, la propriété personnelle de l’époux, si elle est contestée, devra être établie par écrit ».

Pour prouver le caractère propre d’un bien, c’est donc un écrit qui devra être produit. De quel écrit s’agit-il ?

Le texte précise que deux sortes d’écrits sont admises :

  • Les preuves préconstituées
    • Il s’agit ici des inventaires, des actes d’emploi ou de remploi, les actes constatant une libéralité ou encore l’acquisition d’un bien avant la célébration du mariage.
  • Les écrits de toutes natures
    • L’article 1402, al. 2e prévoit que faute de preuve préconstituée, le juge pourra prendre en considération tous écrits, notamment titres de famille, registres et papiers domestiques, ainsi que documents de banque et factures.

À l’analyse, il ressort de l’article 1402 qu’il n’est nullement nécessaire de produire, comme exigé en droit commun de la preuve, un acte authentique ou un acte sous seing privé, pour établir le caractère propre d’un bien.

Les exigences posées par ce texte sont bien moindres que celles énoncées à l’article 1359 du Code civil.

Pour exemple, tandis que le commencement de preuve par écrit ne peut, en droit commun, émaner que de celui à qui on l’oppose, l’article 1402 admet qu’il puisse avoir été établi par l’époux qui s’en prévaut.

b. Exception : la preuve par tous moyens

L’exigence d’écrit posée par l’article 1402, al. 2e du Code civil souffre d’une exception. Le texte précise que, faute d’écrit, le juge « pourra même admettre la preuve par témoignage ou présomption, s’il constate qu’un époux a été dans l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit. »

Dans cette hypothèse, la preuve du caractère propre du bien disputé pourra être rapportée par tous moyens.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par la formule « impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ». Quelles sont les situations visées par cette formule ?

Tout d’abord, il peut être observé qu’elle fait directement écho à la règle énoncée à l’article 1360 du Code civil qui prévoit que, pour la preuve des actes juridiques, l’exigence d’écrit reçoit exception « en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s’il est d’usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l’écrit a été perdu par force majeure. »

Ensuite, s’agissant de l’impossibilité matérielle ou morale pour un époux de se procurer un écrit elle correspond à deux situations qu’il convient de distinguer :

  • L’impossibilité matérielle de se procurer un écrit
    • Cette situation se rencontre lorsque l’opération juridique a été accomplie dans des circonstances exceptionnelles qui empêchaient qu’un écrit soit régularisé.
    • L’ancien article 1348 du Code civil donnait des exemples, tels que « les dépôts faits en cas d’incendie, tumulte ou naufrage» ou encore « les obligations contractées en cas d’accidents imprévus, où l’on ne pourrait pas avoir fait des actes par écrit »
    • L’idée qui préside à cette exception est que lorsque, en raison des circonstances particulières, l’acte juridique n’a pas pu être régularisé dans les formes requises, il y a lieu de dispenser les parties d’écrit et de les autoriser à rapporter la preuve par tout moyen
  • L’impossibilité morale de se procurer un écrit
    • Cette situation se rencontre lorsque l’impossibilité de régulariser un écrit tient soit aux usages, soit aux relations particulières entretenues entre les parties.
    • Il est, en effet, peu courant de rédiger un contrat entre époux, entre parents et enfants ou encore entre concubins.
    • Aussi, parce que certaines relations font obstacle à l’établissement d’un écrit, le législateur autorise que la preuve puisse être rapportée par écrit.

Enfin, pour faire jouer l’exception tenant à l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, l’époux revendiquant devra, au préalable, établir cette impossibilité. Parce qu’il s’agit d’un fait juridique, la preuve est libre.

Ce n’est que s’il y parvient que le juge pourra admettre que le caractère propre du bien dont l’époux revendique la propriété puisse être prouvé par témoignage ou par présomption.

S’agissant des tiers, la question s’est posée en doctrine de savoir s’ils pouvaient se prévaloir de l’exception tenant à l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit.

Si l’on s’en tient à une lecture littérale de l’article 1402, al. 2e in fine du Code civil, une réponse négative semble devoir être apportée à cette question.

Le texte prévoit en effet, que la preuve est libre que si le juge « constate qu’un époux a été dans l’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit ». Il n’est pas fait ici mention des tiers.

Reste que, à l’analyse, les tiers ne seront que très rarement en capacité de se procurer un écrit.

Surtout, conformément au droit commun, si la preuve par écrit peut être imposée aux parties d’un acte, elle ne peut jamais l’être aux tiers.

Par hypothèse, ils sont, en effet, dans l’impossibilité de se constituer un écrit puisque étrangers à l’opération.

Dans ces conditions, les tiers seront toujours autorisés à rapporter le caractère propre d’un bien par tous moyens.

[1] A. Colin et H. Capitant, Traité élémentaire de droit civil français, par M. Julliot de la Morandière, Dalloz, 1936, n°143.

[2] I. Dauriac, Les régimes matrimoniaux et le pacs, éd. LGDJ, 2010, n°353 ; pp. 210-211.

[3] V. notamment H. Mazeaud, La communauté réduite au bon vouloir de chacun des époux, DS 1965, chron. p. 91 ; R. Savatier, La finance ou la gloire, DS 1965, chron. p. 135, A. Précigout, La réforme des régimes matrimoniaux, JCP N 1966. I. 1978, n°89.

[4] A. Colin et H. Capitant, Traité élémentaire de droit civil français, par M. Julliot de la Morandière, Dalloz, 1936, n°143.

[5] R.Plaisant, « la protection du logiciel par le droit d’auteur », Gaz.Pal, 25 septembre 1983, doctr. P2 à 4.

[6] G. Cornu, « La réforme des régimes matrimoniaux », JCP 1967, I, 2128, n°39 à 49.

[7] H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, Paris 1955, t.1, p. 253, n°228.

[8] J. Monnet, « Communauté légale – actif commun », J.-Cl. Civ. code, art. 1400 à 1403, fasc. 20, n°66.

[9] A. Chamoulaud-Trapier, « Communauté légale : actif des patrimoines », Rép. de Droit civil, Dalloz, n°357.

[10] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°302, p. 238.

[11] A. Coloner, Droit civil – Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°407, p.198.

[12] G. Ripert et J. Boulanger, Traité élémentaire de droit civil, t. IV, n° 261

[13] J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°328, p.321.

[14] A. Coloner, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°414, p. 200

[15] F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°374, p. 295.

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