Le Droit dans tous ses états

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La responsabilité des dirigeants sociaux à l’égard des associés : conditions et effets

Par Vincent Roulet, Maître de conférences Hdr à l’Université de Tours, Avocat au barreau de Paris, Edgar Avocats

La responsabilité civile des dirigeants à l’égard des associés eux-mêmes n’est prévue par aucun texte[1]. De prime abord, cet oubli ne choque pas. Les associés sont intéressés au succès – et à la protection – de la société. Pourvu que celle-ci ait les moyens d’agir pour assurer sa défense contre des dirigeants indélicats, les associés sont déjà protégés. Leur reconnaître, en plus, un droit d’agir en leurs noms pour obtenir réparation reviendrait à doubler le montant de l’indemnisation, donc à enrichir les associés au détriment du dirigeant fautif. Les associés sont d’autant plus protégés que la loi leur reconnaît la possibilité d’agir eux-mêmes pour assurer la défense de la société[2]. À y regarder de plus près cependant, l’intérêt des associés ne se confond pas parfaitement avec l’intérêt de la société ; et ce n’est pas parce qu’un dirigeant assure la direction de la société en conformité avec l’intérêt de celle-ci qu’il ne viole pas les intérêts propres des associés. Ceux-ci disposent de droits auxquels la société ou l’association, en tant que personne morale, est parfaitement étrangère. La violation du droit à l’information dont sont créanciers les associés ou les membres de l’association leur cause un préjudice ; pour autant, rien n’indique que la société ou l’association souffrent elles-mêmes de ce défaut d’information. Afin d’assurer la protection des droits que l’associé ou l’actionnaire tire de la loi, les juges accueillent ces actions en responsabilité[3].

La responsabilité des dirigeants à l’égard des associés se distingue de la responsabilité des dirigeants à l’égard de la société par son objet. Il ne s’agit plus de reconstituer le patrimoine social mais seulement le patrimoine personnel d’un ou plusieurs associés individuellement envisagés.

Plan. Si les effets de la responsabilité à l’égard des associés (2) sont sensiblement identiques à ceux de la responsabilité à l’égard de la société, il n’en va pas de même à propos des conditions de cette responsabilité (1) ni des actions permettant de la constater (3).

1. Les conditions de la responsabilité civile

Le jeu de la responsabilité suppose que soient démontrés ensemble une faute et un préjudice.

Faute. La mise en cause de la responsabilité des dirigeants à l’endroit des associés est subordonnée à l’établissement d’une faute, laquelle est de même nature que celle emportant leur responsabilité à l’endroit de la société. Les associés peuvent alors se prévaloir, pour eux-mêmes, d’une infraction aux dispositions légales et réglementaires, d’une violation des statuts ou d’une faute de gestion. Aucun seuil de gravité de la faute n’est posé : il n’est pas nécessaire que la faute ait la nature d’une faute détachable des fonctions sociales[4].

Préjudice. La seule existence d’une faute dans la conduite de la société est cependant insuffisante. Un préjudice doit avoir été causé non pas à la société elle-même (dans une telle hypothèse, joue la responsabilité des dirigeants à l’endroit de la société) mais aux associés, à titre individuel. La frontière n’est pas aisée à tracer. Lorsque la société subit un préjudice, celui-ci se répercute nécessairement sur les associés : la valeur de leurs parts sociales ou de leurs actions est affectée. L’inverse en revanche n’est pas toujours vrai. Un associé peut subir un préjudice propre – défaut d’information, absence de distribution des bénéfices – sans que la société ait elle-même été victime des agissements de son dirigeant. La Cour de cassation réserve la recevabilité de l’action en responsabilité engagée, en leurs noms, par les associés, à cette seconde hypothèse.

Il reste alors à distinguer les deux types de préjudices. Ne constitue pas un préjudice distinct le préjudice subi par un actionnaire à raison de la diminution du patrimoine social découlant d’infractions pénales accomplies par les dirigeants[5] ou à raison de la dépréciation de ses titres résultant des fautes commises dans la gestion de la société[6]. Il n’en va pas différemment lorsque ces fautes de gestion ont conduit à une minoration du montant des bénéfices distribués[7]. Constituent en revanche des préjudices distincts ceux qui résultent d’un manquement aux diverses obligations d’information des associés ou actionnaires[8] ou d’une présentation de comptes inexacts qui détermina l’acquisition de parts sociales[9]. Réalise encore un préjudice distinct la manœuvre frauduleuse visant à évincer les associés minoritaires[10]. Enfin les associés minoritaires souffrent d’un préjudice distinct à raison d’un abus de majorité dès lors que celui-ci, n’ayant pas nui à la société, s’est traduit par une rupture d’égalité entre associés[11].

2. Les conséquences de la responsabilité civile

Joue pleinement le principe de la réparation intégrale du préjudice subi par les associés, les actionnaires ou les sociétaires. Le dirigeant est tenu d’indemniser totalement le préjudice par eux subi ; en cas de pluralité de dirigeants fautifs, jouent les règles relatives à la solidarité applicable en matière de responsabilité à l’égard de la société.

3. L’action en responsabilité civile

L’action en responsabilité civile est exercée par les actionnaires individuellement lésés sous la réserve de la prescription.

Action en responsabilité. Il appartient aux associés ou aux actionnaires lésés d’agir eux-mêmes à l’encontre des dirigeants de la société. Toutefois, afin de faciliter, en fait, la réparation, l’article R. 225-167 du Code de commerce applicable aux sociétés anonymes reconnait, dans certaines circonstances, une « action de groupe » au profit des demandeurs. Il est nécessaire, pour cela, que les actionnaires aient subi un préjudice personnel et que le préjudice personnel de chacun des demandeurs ait été subi « en raison des mêmes faits » imputables aux dirigeants.

Lorsque ces deux conditions sont réunies, mandat peut être donné à l’un ou à plusieurs des actionnaires s’estimant victime. Le mandat est écrit. Il mentionne expressément qu’il donne au(x) mandataire(s) le pouvoir d’accomplir au nom du mandant tous les actes de la procédure et précise, le cas échéant, qu’il emporte pouvoir d’exercer les droits de recours.

La demande en justice formée par les mandataires est soumise à des conditions strictes : elle indique les noms, prénoms et adresse de chacun des mandants ainsi que le nombre des actions qu’ils détiennent. Elle précise enfin le montant de la réparation réclamée par chacun d’eux.

Prescription. S’appliquent les même règles de prescription que celles qui régissent l’action sociale, notamment en ce qui concerne le délai – trois ans – et le point de départ de celui-ci[12].

  Le devoir de loyauté des dirigeants   En accédant aux fonctions sociales, ou à l’occasion de leur exercice, certains dirigeants succombent aux tentations de la situation. Soit qu’ils acquièrent des compétences particulières ou une bonne connaissance des marchés dans lesquels opère la société, soit qu’ils réalisent être au carrefour des échanges de parts sociales, ils entrevoient des possibilités de valoriser pour eux-mêmes le mandat social qui leur a été confié. Ainsi n’est-il pas rare qu’un dirigeant, en son nom propre ou au nom d’une seconde société qu’il dirige, déploie des activités concurrentes à celle de la société dont il assure la direction. Comme il n’est pas rare qu’il joue le rôle d’intermédiaire occulte – fort bien rémunéré – à l’occasion de la cession de droits sociaux.   Depuis l’arrêt Vilgrain (Com., 27 février 1996, n° 94-11.241), la Cour de cassation sanctionne les manquements au devoir de loyauté ou à l’obligation de fidélité qui s’imposent au dirigeant d’une société. Les bénéficiaires du devoir de loyauté sont les associés eux-mêmes lorsqu’il est question de la cession de droits sociaux (même décision) ou la société elle-même lorsque le dirigeant concurrence par ailleurs cette dernière (Com., 15 novembre 2011, n° 10-15.049).   Engagent leur responsabilité à l’endroit des associés à raison du préjudice spécial subi par eux : – Le président de la société ayant acquis les actions d’un actionnaire minoritaire tout en dissimulant à celui-ci qu’il avait engagé des négociations auprès d’une banque d’affaires pour vendre ces mêmes actions à un prix sensiblement supérieur (Com., 27 février 1996, préc.), – Le président de la société qui, par l’intermédiaire d’une seconde société dont il assure le contrôle, a procédé au rachat des actions de la première société sans informer les cédants des négociations déjà engagées par la deuxième société avec une troisième société en vue de la revente de ces actions (Com., 12 mai 2004, n° 00-15.618). Et engagent leurs responsabilités à l’égard de la société : – Le gérant d’une société qui fait exécuter la seconde tranche d’un programme immobilier par une seconde société dont il assurait également la gérance (Com., 15 novembre 2011, préc.), – Le président d’une société qui, peu avant son départ de celle-ci et la constitution d’une société concurrente délie certains salariés de la clause de non-concurrence les liant à la première société puis les engage au sein de la société concurrente (Com., 24 février 1998, n° 96-12.638). – Le gérant d’une société qui, durant l’exécution du préavis statutairement prévu consécutive à sa démission a créé une société concurrente et commencé l’exploitation de celle-ci (Com., 12 février 2002, n° 00-11.602).   Enfin, le devoir de loyauté ou de « fidélité » n’est pas étendu par la jurisprudence à l’associé ou l’actionnaire, lequel peut mener une activité concurrente à la société dont il est membre, nonobstant l’obligation de loyauté découlant de l’article 1134 alinéa 3 du code civil ou l’affectio societatis, et sous la réserve d’actes de concurrence déloyale (Com., 3 mars 2015, n° 13-25.237).  

[1] Les difficultés, en la matière, se concentrent sur la responsabilité des dirigeants de sociétés à l’égard des associés ou actionnaires. Les règles évoquées ci-après sont cependant parfaitement transposables à la responsabilité des dirigeants d’association à l’endroit des sociétaires.

[2] Action sociale ut singuli, v. supra, p.

[3] A défaut de texte particulier, l’action en responsabilité repose sur le texte de droit commun, l’article 1382 du Code civil, aux termes duquel « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

[4] Com., 9 mars 2010, n° 08-21.547, arrêt Gaudriot. La faute détachable des fonctions sociales n’est exigée, pour engager la responsabilité des dirigeants, qu’à l’endroit des tiers à la société (v. infra).

[5] Crim., 4 avril 2001, n° 00-80.406.

[6] Com., 1er avril 1997, n° 94.18-912.

[7] Civ. 3ème, 22 septembre 2009, n° 08-18.483.

[8] Crim., 30 janvier 2002, n° 01-84.256.

[9] Crim., 5 novembre 1991, n° 90-82.605.

[10] Com., 8 novembre 2005, n° 03-19.679.

[11] V., p. ex. : l’hypothèse d’une mise en réserve systématique des bénéfices, à l’exclusion de toute distribution aux associés ou actionnaires. L’annulation de la décision nuisible aux minoritaires est une autre voie de « réparation ». Sur la notion d’abus de majorité, v. M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, op. cit., n° 394 et s.

[12] Com., 10 juillet 2012, n° 11-22.146.

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