Le Droit dans tous ses états

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Les biens propres par leur origine: les biens présents au jour du mariage

Le principe général qui préside au dispositif de répartition des biens sous le régime légal est que tous les biens acquis à titre onéreux pendant le mariage ont vocation à tomber en communauté.

A contrario, cela signifie que les biens présents au jour du mariage et les biens acquis à titre gratuit au cours du mariage sont exclus de la masse commune et appartiennent donc en propre à l’un ou l’autre époux.

I) Principe général

L’article 1405, al. 1er du Code civil prévoit que « restent propres les biens dont les époux avaient la propriété ou la possession au jour de la célébration du mariage ».

Ainsi, tous les biens que les époux ont acquis ou qu’ils possédaient antérieurement au mariage sont exclus d’emblée de la masse commune.

Contrairement à l’ancien régime légal – en vigueur avant que la loi du 13 juillet 1965 ne soit adoptée – qui ne visait que les seuls immeubles, l’article 1405 n’opère aucune distinction entre les meubles et les immeubles.

Pour endosser la qualification de propre, la nature du bien est indifférente. Il en va de même des circonstances de l’acquisition ou de ses modalités.

La seule exigence posée par le texte c’est que le bien ait été acquis avant la célébration du mariage ou dont il avait la possession.

II) Mise en œuvre

La règle selon laquelle tous les biens acquis ou possédés avant la célébration du mariage restent propres soulève une difficulté de mise en œuvre lorsque le transfert de propriété est différé dans le temps.

L’acquisition échelonnée dans le temps d’un bien peut avoir pour cause :

  • Soit le jeu de la prescription acquisitive
  • Soit de l’effet d’une stipulation contractuelle

A) Le jeu de la prescription acquisitive

Il ressort de l’article 1405 du Code civil que pour être qualifié de propre, il n’est pas absolument nécessaire que le bien ait fait l’objet d’une acquisition, il peut également avoir été seulement possédé.

Cette précision n’est pas sans importance. Elle signifie que, en cas d’usucapion, le bien appartiendra en propre à l’époux possesseur nonobstant l’expiration du délai de la prescription acquisitive au cours du mariage.

Pour que la prescription acquisitive puisse jouer, encore faudra-t-il que la possession soit établie.

Pour ce faire, elle devra être caractérisée dans ses éléments constitutifs que sont :

  • La maîtrise physique de la chose : le corpus
  • La volonté de se comporter comme le propriétaire de la chose : l’animus

La possession devra, en outre, n’être affectée d’aucun vice, soit être utile. Par utile, il faut entendre présentant les caractères énoncés à l’article 2261 du Code civil.

Selon cette disposition, « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

Ce n’est que si ces conditions sont remplies que la prescription acquisitive produira ses pleins effets.

A cet égard, s’agissant de la durée de la prescription, elle dépend de la nature du bien objet de la possession.

  • S’il s’agit d’un immeuble, la prescription pourra être de 10 ans en cas de bonne foi du possesseur et de justification d’un juste titre. À défaut, la durée de la prescription acquisitive est portée à trente ans.
  • S’il s’agit d’un meuble, l’effet acquisitif de la possession est immédiat, sauf à ce que le possesseur soit de mauvaise foi auquel cas la durée de la prescription sera de trente ans.

Lorsque la prescription acquisitive produit ses effets, le bien objet de la possession est réputé avoir été acquis avant la célébration du mariage, raison pour laquelle il échappera à la communauté et restera propre à l’époux possesseur.

B) L’effet d’une stipulation contractuelle

Il est des cas où la stipulation d’une clause contractuelle aura pour effet de différer dans le temps le transfert de propriété du bien objet du contrat.

Tel sera notamment le cas en présence d’avant-contrats, tels qu’une promesse unilatérale de vente et une promesse synallagmatique ou encore pour les contrats assortis d’une condition suspensive.

La question qui alors se pose est de savoir à quelle date intervient l’acquisition du bien pour ces situations où le processus de formation du contrat s’échelonne dans le temps.

A l’analyse, il ressort de la jurisprudence que c’est la date du transfert de propriété qui doit servir de référence pour déterminer si l’acquisition est intervenue avant ou après la célébration du mariage.

À cet égard, plusieurs situations doivent être envisagées :

==> La promesse unilatérale de vente

Pour rappel, aux termes de l’article 1124 du Code civil « la promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. »

La spécificité de cet avant-contrat est que, après que les parties se sont entendues sur les éléments essentiels de contrat de vente projeté, seul le promettant a donné son consentement.

Aussi, la vente ne sera formée qu’au moment de l’exercice de l’option par le bénéficiaire de la promesse.

Ce n’est donc pas au moment de la conclusion de la promesse unilatérale que le transfert de propriété interviendra, mais à la date de levée de l’option.

Dans ces conditions, le bien sera propre si l’option est exercée avant la célébration du mariage et tombera en communauté si l’option est levée postérieurement.

==> La promesse synallagmatique de vente

La promesse synallagmatique de contrat est l’acte par lequel deux parties s’engagent réciproquent l’une envers l’autre à conclure un contrat dont les éléments essentiels (la chose et le prix pour la vente) sont déterminés.

À la différence de la promesse unilatérale de vente, la promesse synallagmatique implique que les deux parties ont donné leur consentement quant à la conclusion du contrat de vente projeté.

C’est la raison pour laquelle l’article 1589 du Code civil prévoit que « la promesse de vente vaut vente, lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix. »

En matière de promesse synallagmatique de vente, le Code civil pose ainsi un rapport d’équivalence entre la promesse et la vente.

Cette équivalence se justifie par le fait que, lors de la conclusion de la promesse synallagmatique, toutes les conditions de validité du contrat de vente sont d’ores et déjà remplies :

  • Les parties ont exprimé leur consentement définitif à la vente
  • Les parties se sont entendues sur la chose et sur le prix

Aussi, est-il admis que le transfert de propriété intervient à la date de conclusion de la promesse et non au jour de la réitération par acte authentique.

Ce n’est que si les parties stipulent expressément dans la promesse synallagmatique que la réitération des consentements est un élément essentiel du contrat de vente que le transfert de propriété sera différé au jour de l’établissement de l’acte authentique.

La raison en est que la règle selon laquelle « la promesse de vente vaut vente n’a qu’un caractère supplétif » (V. en ce sens Cass. 3e civ. 10 mai 2005).

S’agissant d’une promesse synallagmatique de vente conclue avant la célébration, afin de déterminer si le bien vendu tombe ou non en communauté il convient de distinguer deux situations :

  • La réitération des consentements par acte authentique est une simple modalité d’exécution du contrat
    • Dans cette hypothèse, les parties n’ont pas fait de la réitération des consentements un élément essentiel du contrat.
    • Le transfert de propriété interviendra alors à la date de conclusion de la promesse.
    • Le bien acquis par l’époux lui appartiendra donc en propre
  • La réitération des consentements par acte authentique est un élément constitutif du contrat
    • Dans cette hypothèse, les parties ont fait de la réitération des consentements un élément essentiel du contrat.
    • Il en résulte que le transfert de propriété interviendra à la date de l’établissement de l’acte authentique.
    • Si cette formalité est accomplie postérieurement à la célébration du mariage, le bien acquis par l’époux tombera en communauté.

Au bilan, la date du transfert de propriété du bien objet de la promesse synallagmatique de vente dépend de la fonction que les parties ont entendu donner à la réitération des consentements en la forme authentique, à tout le moins lorsqu’elle interviendra postérieurement à la célébration du mariage, tandis que la promesse aura été conclue avant.

==> Le contrat translatif de propriété assorti d’une condition suspensive

Pour mémoire, la condition suspensive stipulée dans un contrat a pour effet de suspendre la naissance d’une obligation à la réalisation d’un événement futur et incertain.

Lorsque cette obligation porte sur la délivrance d’une chose, la question se pose de la date du transfert de propriété.

Est-ce le jour de conclusion du contrat ou est-ce au jour de réalisation de la condition ?

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1179 du Code civil prévoyait que « la condition accomplie a un effet rétroactif au jour auquel l’engagement a été contracté ».

La réalisation de la condition produisait de la sorte un effet rétroactif.

Cette règle a été abandonnée par le législateur lors de la réforme des obligations.

Le nouvel article 1304-5, al. 1er du Code civil prévoit désormais que « l’obligation devient pure et simple à compter de l’accomplissement de la condition suspensive. »

Ainsi, l’obligation sous condition suspensive produit ses effets, non plus au jour de la conclusion du contrat, mais au jour de la réalisation de la condition.

Il en résulte que c’est cette seconde date qui sert de référence pour déterminer si le transfert de propriété du bien objet de la condition intervient avant ou après la célébration du mariage.

Dès lors, si la condition se réalise après la célébration du mariage ce bien tombera en communauté, alors même que le contrat définitif a été conclu avant que les époux ne soient mariés. Si en revanche, elle se réalise avant, le bien restera propre à l’époux contractant.

==> La stipulation d’une clause différant le transfert de propriété

L’article 1196, al. 2e du Code civil prévoit que le transfert de propriété « peut être différé par la volonté des parties, la nature des choses ou par l’effet de la loi. »

Ainsi, est-il des cas où le transfert de propriété ne sera pas concomitant à la formation du contrat, il sera différé dans le temps.

Ce sont là autant d’exceptions au principe de transfert solo consensu.

En pareil cas, c’est donc la date à laquelle a été différé le transfert de propriété qui permettra de déterminer si le bien est propre ou commun.

Le bien sera propre si le transfert de propriété intervient avant la célébration du mariage et commun s’il se produit après.

Trois hypothèses sont envisagées par l’article 1196 du Code civil :

  • La volonté des parties
    • Les règles qui régissent le transfert de propriété sont supplétives, ce qui implique qu’il peut y être dérogé par convention contraire.
    • Les parties sont ainsi libres de prévoir que le transfert de propriété du bien aliéné interviendra à une date ne correspondant pas à celle de conclusion du contrat.
    • Elles peuvent néanmoins prévoir que le transfert se produira seulement, soit après la survenant d’un événement déterminé, soit au moment du complet paiement du prix.
      • La clause de réserve de propriété
        • Il est courant, en matière commerciale, que le cédant souhaite se ménager le bénéfice d’une clause de réserve de propriété, clause consistant à subordonner le transfert de propriété du bien aliéné au complet paiement du prix.
        • L’article 2367 du Code civil prévoit en ce sens que « la propriété d’un bien peut être retenue en garantie par l’effet d’une clause de réserve de propriété qui suspend l’effet translatif d’un contrat jusqu’au complet paiement de l’obligation qui en constitue la contrepartie»
        • Ainsi, tant que l’acquéreur, qui est entré en possession du bien, n’a pas réglé le vendeur il n’est investi d’aucun droit réel sur celui-ci.
        • La clause de réserve de propriété est un instrument juridique redoutable qui confère à son bénéficiaire une situation particulièrement privilégiée lorsque le débiteur fait l’objet, soit de mesures d’exécution forcée, soit d’une procédure collective.
        • Pour être valable, la clause de réserve de propriété doit néanmoins être stipulée, par écrit, et, au plus tard, le jour de la livraison du bien.
      • La clause de réitération par acte authentique
        • Cette clause consiste à subordonner le transfert de propriété du bien aliéné à la réitération des consentements par acte authentique.
        • Contrairement à ce qui a pu être décidé par certaines juridictions, la stipulation d’une telle clause diffère, non pas la formation du contrat qui est acquise dès l’échange des consentements, mais le transfert de la propriété du bien aliéné.
        • Ce transfert interviendra au moment de la réitération des consentements devant notaire qui constatera l’opération par acte authentique.
        • Dans un arrêt 20 décembre 1994, la haute juridiction a, de la sorte, refusé de suivre une Cour d’appel qui avait estimé que le contrat de vente, objet d’une promesse synallagmatique, n’était pas parfait, dès lors que ladite promesse était assortie d’une clause qui stipulait que « que l’acquéreur sera propriétaire des biens vendus à compter seulement de la réitération par acte authentique».
  • La nature des choses
    • Il est certaines catégories de choses qui se prêtent mal à ce que le transfert de propriété intervienne concomitamment à la formation du contrat
    • Tel est le cas des choses fongibles (de genre) et des choses futures :
      • Les choses fongibles
        • Par chose fongible, il faut entendre une chose qui ne possède pas une individualité propre.
        • L’article 587 du Code civil désigne les choses fongibles comme celles qui sont « de même quantité et qualité» et l’article 1892 comme celles « de même espèce et qualité ».
        • Selon la formule du Doyen Cornu, les choses fongibles sont « rigoureusement équivalentes comme instruments de paiement ou de restitution ».
        • Pour être des choses fongibles, elles doivent, autrement dit, être interchangeables, soit pouvoir indifféremment se remplacer les unes, les autres, faire fonction les unes les autres.
          • Exemple : une tonne de blé, des boîtes de dolipranes, des tables produites en série etc…
        • Les choses fongibles se caractérisent par leur espèce (nature, genre) et par leur quotité.
        • Ainsi, pour individualiser la chose fongible, il est nécessaire d’accomplir une opération de mesure ou de compte.
        • Lorsque des choses fongibles sont aliénées, dans la mesure où, par hypothèse, au moment de la formation du contrat, elles ne sont pas individualisées, le transfert de propriété ne peut pas s’opérer.
        • Aussi, ce transfert de propriété ne pourra intervenir qu’au moment de l’individualisation de la chose fongible, laquelle se produira postérieurement à la conclusion du contrat.
        • Pratiquement, cette individualisation pourra se faire par pesée, compte ou mesure ( 1585 C. civ.)
        • Elle pourra également se traduire par une vente en bloc ( 1586 C. civ.).
        • Le plus souvent cette action sera réalisée le jour de la livraison de la chose.
      • Les choses futures
        • Les choses futures sont celles qui n’existent pas encore au moment de la formation du contrat.
        • À cet égard, l’ancien article 1130 du Code civil disposait que « les choses futures peuvent faire l’objet d’une obligation»
        • Le nouvel article 1130, issu de la réforme des obligations prévoit désormais que « l’obligation a pour objet une prestation présente ou future».
        • Ce cas particulier est bien connu en droit de la vente. On vend bien sans difficulté des immeubles à construire (art. 1601-1 c.civ).
        • Ce n’est pas à dire que la loi ne prohibe pas ponctuellement de tels contrats.
        • L’article L. 131-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit, par exemple, que « la cession globale des œuvres futures est nulle»
        • Lorsque la vente de choses futures est permise, la loi aménage les conséquences de la vente si la chose devait ne jamais exister.
        • En tout état de cause, lorsque le contrat a pour objet l’aliénation d’une chose future, le transfert de propriété ne pourra intervenir qu’au jour où elle existera et plus précisément au jour où elle sera livrée à l’acquéreur.
  • L’effet de la loi
    • Il est des cas où le transfert de propriété du bien aliéné sera différé sous l’effet de la loi.
    • Il en va ainsi de la vente à terme définie à l’article 1601-2 du Code civil comme « le contrat par lequel le vendeur s’engage à livrer l’immeuble à son achèvement, l’acheteur s’engage à en prendre livraison et à en payer le prix à la date de livraison. »
    • Le texte poursuit en précisant que « le transfert de propriété s’opère de plein droit par la constatation par acte authentique de l’achèvement de l’immeuble ; il produit ses effets rétroactivement au jour de la vente. »
    • Le transfert de propriété du bien est également différé en matière de vente en l’état futur d’achèvement définie à l’article 1601-3 du Code civil comme « le contrat par lequel le vendeur transfère immédiatement à l’acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des constructions existantes. »
    • À la différente de la vente à terme, ici les ouvrages à venir deviennent la propriété de l’acquéreur au fur et à mesure de leur exécution, étant précisé que l’acquéreur est tenu d’en payer le prix à mesure de l’avancement des travaux.

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