Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

La répartition de l’actif sous le régime légal: les gains et salaires ou la qualification de biens communs

Au premier rang des biens qui alimentent la communauté, l’article 1401 du Code civil vise ceux qui proviennent de « l’industrie personnelle » des époux.

Par industrie, il faut entendre le travail fourni par les époux qui donne lieu à une création de valeur.

Il s’agit là, pour la plupart des couples mariés, de la principale source d’acquêts, d’où l’enjeu de leur identification.

À l’analyse, l’industrie des époux peut engendrer deux sortes de biens :

  • Les gains et salaires qui ne sont autres que la rémunération perçue en contrepartie d’un travail fourni
  • Les créations matérielles et immatérielles qui sont le produit d’une activité commerciale, artisanale, libérale ou artistique

Nous nous focaliserons ici sur les gains et salaires.

I) La nature des gains et salaires

Parce que l’article 1401 du Code civil vise expressément l’industrie des époux comme source d’acquêts, la nature des différentes rémunérations en argent susceptibles d’être perçues par les époux relevait, sous l’empire du droit antérieur, de l’évidence : il s’agit de biens communs.

La raison en est que la rémunération, sous la forme de gains et salaires, n’est autre que la contrepartie financière à la fourniture d’un travail.

Or dans l’esprit du législateur en 1804, s’il est des biens qui devaient nécessairement tomber en communauté, ce sont les produits du travail, quelle que soit leur forme, car constituant la principale, sinon l’unique, source de subsistance et de richesse du foyer conjugal.

Pour cette raison, leur nature d’acquêt n’a jamais été discutée, ni par la doctrine, ni par la jurisprudence, à tout le moins jusqu’à l’adoption de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

En effet, animé par la volonté d’instaurer une égalité dans les rapports conjugaux, le législateur a, par ce texte, conféré à chaque époux – pratiquement à la femme mariée – le droit de percevoir et disposer librement de ses gains et salaires.

C’était autrement dit leur reconnaître un pouvoir de gestion exclusive sur la rémunération de leur travail.

D’aucuns en ont tiré la conséquence que, tant que les gains et salaires n’étaient pas investis, ils appartiennent en propre à l’époux qui les perçoit, puisque échappant au principe de gestion conjointe des biens communs.

Cette thèse défendue par une frange de la doctrine a provoqué un débat doctrinal qui s’est, par suite, déporté sur le terrain judiciaire. Dans le silence des textes, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de trancher.

A) Enjeux de la qualification

L’enjeu de la qualification des gains et salaires n’est pas que théorique ; il présente un réel intérêt pratique.

L’enjeu est ici de déterminer si, au moment de la liquidation du régime matrimonial, les gains et salaires ont vocation à être partagés par moitié entre les époux et, le cas échéant, si leur utilisation par un époux à des fins exclusivement personnels (financement de l’acquisition ou de l’amélioration d’un bien propre), ouvre droit à récompense au profit de la communauté.

L’enjeu ne doit toutefois pas être surestimé. Il peut, en effet, être observé que si l’on se place sur le terrain des pouvoirs dont sont investis les époux mariés sous le régime légal, il est indifférent que les gains et salaires soient regardés comme des biens communs ou des biens propres.

Dans les deux cas, ils sont soumis au principe de gestion exclusive :

  • S’ils sont qualifiés de biens communs, il y a lieu de se reporter à l’article 223 du Code civil qui pose le principe de libre perception et de disposition des gains et salaires
  • S’ils sont qualifiés de biens propres, il convient de se reporter à l’article 1428 du Code civil qui prévoit que « chaque époux a l’administration et la jouissance de ses propres et peut en disposer librement. »

De la même manière, la qualification des gains et salaires est sans incidence sur leur exclusion du gage des créanciers en cas de dette commune née du chef d’un seul époux.

Quel que soit l’objet de la dette contractée par l’époux débiteur, dès lors qu’elle présente un caractère commun, elle ne sera jamais exécutoire sur les gains et salaires de son conjoint.

Cette exclusion est expressément prévue par l’article 1414 du Code civil pour les dettes communes et par l’article 1415 pour les dettes d’emprunt et de cautionnement.

À l’analyse, l’enjeu ne sera pas ici de savoir si les gains et salaires tombent en communauté, mais de déterminer si, une fois perçus, ils conservent leur statut particulier ou si, lorsqu’ils sont inscrits sur un compte bancaire ils se transforment en acquêts ordinaires.

Tandis que dans le premier cas ils pourront être saisis au titre d’une dette d’emprunt ou de cautionnement, dans le second cas ils échapperont au droit de poursuite du créancier saisissant.

Au bilan, la qualification des gains et salaires présente un enjeu au seul stade de la dissolution du régime.

L’intérêt du débat n’en est pas moins considérable. Ainsi que le relève Isabelle Dauriac « c’est la réalisation même de l’objectif communautaire du régime légal qui en dépend » [1].

B) Controverse doctrinale

La question de la nature des gains et salaires s’est posée après l’adoption de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

En substance, deux thèses se sont affrontées : d’un côté la thèse faisant des gains et salaires des biens propres et d’un autre côté la thèse défendant leur caractère commun.

  • S’agissant de la thèse faisant des gains et salaires des biens propres
    • Cette thèse était défendue par une partie minoritaire de la doctrine[2].
    • Elle reposait, en substance, sur deux arguments principaux
      • Premier argument
        • L’argument majeur avancé pour défendre la qualification de propres des gains et salaires était tiré de l’ancien article 224 du Code civil (devenu 223).
        • Pour mémoire, cette disposition prévoit notamment que les époux peuvent disposer librement de leurs gains et salaires.
        • Or le droit de disposer d’un bien n’est autre que l’un des attributs du droit de propriété, en l’occurrence l’abusus qui, de surcroît, est l’expression du droit de propriété la plus extrême, car il emporte le droit d’aliéner le droit de propriété ; raison pour laquelle l’usufruitier en est privé.
        • Si donc les époux sont titulaires du droit de disposer de leurs gains et salaires, c’est parce qu’il s’agit de biens propres.
      • Second argument
        • Le second argument soutenu par les auteurs consistait à adopter une approche restrictive de la notion d’acquêt.
        • Il ressort d’une lecture littérale de l’article 1401 du Code civil que seuls les biens ayant fait l’objet d’une acquisition à titre onéreux endosseraient la qualification d’acquêt.
        • On pourrait alors en déduire que, bien que provenant de l’industrie personnelle des époux, les gains et salaires demeurent des biens propres tant qu’ils ne sont pas employés à l’acquisition d’un bien nouveau.
  • S’agissant de la thèse faisant des gains et salaires des biens communs
    • Cette thèse a été adoptée par la doctrine majoritaire qui, pour refuser la qualification de biens propres aux gains et salaires, a retourné les arguments avancés par la thèse adverse
      • Premier argument
        • Bien que l’ancien article 224 du Code civil (devenu 223) confère aux époux le droit de percevoir et de disposer librement de leurs gains et salaires, il s’agit là d’une règle, non pas de propriété, mais de pouvoirs.
        • Autrement dit, elle ne préjuge en rien de la qualification des gains et salaires.
        • La règle énoncée se limite à régir les prérogatives dont sont investis les époux sur les rémunérations qu’ils perçoivent au titre de leurs activités professionnelles respectives.
        • L’objectif recherché par le législateur est ici d’assurer l’indépendance professionnelle des époux et non d’instaurer une règle de répartition de l’actif.
        • À cet égard, si tel avait été son intention il n’aurait pas logé cette règle dans une disposition qui relève du régime primaire impératif.
        • Le régime primaire n’a, en effet, pas vocation à traiter la qualification des biens appartenant aux époux, celle-ci étant susceptible de diverger d’un régime à l’autre.
        • Or le régime primaire s’applique à tous les époux quel que soit le régime matrimonial pour lequel ils ont opté.
      • Deuxième argument
        • Contrairement à ce qui est soutenu par les auteurs qui qualifient les gains et salaires de biens propres, il n’est pas nécessaire, pour qu’un bien endosse la qualification d’un bien commun, qu’il soit le produit d’une opération d’acquisition.
        • L’article 1401 du Code civil prévoit seulement que le bien doit provenir, notamment, de l’industrie personnelle des époux.
        • Or par hypothèse, c’est bien de leur industrie que proviennent les gains et salaires des époux.
        • La rémunération n’est autre que la contrepartie financière à un travail fourni.
        • À cet égard, il peut être observé que la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 a repris, à un mot près, l’ancien article 1498, al. 2e du Code civil qui déterminait le périmètre des acquêts lorsque le régime de la communauté réduite aux acquêts n’avait pas encore été élevé au rang de régime légal.
        • La règle telle que formulée par les rédacteurs du Code civil a seulement été transférée à l’article 1401 du Code civil.
        • Or à cette époque, ainsi que le relèvent des auteurs « on sait que l’acquêt du Code civil s’entendait en un sens très large».
        • En somme la notion recouvrait tout ce que les « époux gagnent par leur travail, leur activité et leur esprit d’épargne»[3].
        • Les acquêts ne se limitaient donc pas aux biens acquis à titre onéreux.
        • Ils comprenaient également tous les revenus perçus par les époux.
        • Ces revenus pouvaient provenir, tant de leurs biens propres, que de leur industrie personnelle.
        • Cette conception – large – de la notion d’acquêt s’expliquait, comme vu précédemment, notamment par l’attribution de l’usufruit des biens propres à la communauté.
        • Mais, la loi du 13 juillet 1965 a supprimé cette règle ; d’où l’incertitude créée sur le périmètre de la notion d’acquêt.
        • Il n’en reste pas moins que le législateur n’a pas souhaité le modifier.
        • Les travaux préparatoires révèlent d’ailleurs qu’un amendement qui visait à faire des économies de gains et salaires a été rejeté.
        • C’est là un indice qui confirme le maintien du périmètre des biens communs tel qu’envisagé en 1804.
      • Troisième argument
        • L’instauration d’une communauté dans un régime matrimonial ne se conçoit que si les époux entendent mettre en commun le produit de leur travail.
        • C’est là leur principale source de richesse, sinon la seule.
        • Aussi, exclure les gains et salaires de la masse commune reviendrait à vider de son intérêt la communauté.
        • Pour que la communauté puisse réaliser l’union des intérêts pécuniaires des époux, encore faut-il qu’elle soit alimentée en valeur.
        • Or si elle ne recueille qu’une part résiduelle des biens acquis par les époux, l’objectif qui lui est assigné ne saurait être atteint.
        • Pour cette raison, les gains et salaires perçus par les époux ne peuvent constituer que des biens communs.

Au bilan, les arguments avancés par les auteurs défendant le caractère propre des gains et salaires n’emportent pas la conviction.

Au fond, l’argument décisif est, selon nous, que le législateur a, en 1965, élevé le régime de la communauté réduite aux acquêts au rang de régime légal sans en modifier l’élément central : la notion d’acquêt.

C’est là la preuve que le législateur a entendu maintenir ce régime tel que façonné et pensé en 1804.

Au surplus, instituer en régime légal un régime communautaire n’est pas neutre. La démarche témoigne d’une volonté de faire de la mise en commun des biens le modèle s’appliquant au plus grand nombre.

Or pour que cette démarche ait un sens, cela suppose que la masse commune soit alimentée par le plus petit dénominateur commun des richesses captées par les époux au cours du mariage : les produits de leur travail sous toutes leurs formes, dont les rémunérations en argent que sont les gains et salaires.

C) Position de la jurisprudence

Peu de temps après l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, la question de la qualification des gains et salaires n’a pas manqué d’être soulevée dans les prétoires.

Par un jugement rendu en date du 17 juin 1969, le Tribunal de grande de Bordeaux s’est prononcé en faveur de la qualification de biens communs (TGI Bordeaux, 17 juin 1969).

Cette décision a été confirmée dans un arrêt rendu le 5 janvier 1971 par la Cour d’appel de Bordeaux qui, après avoir rappelé que sous l’empire de l’article 1498 reproduit par l’article 1401 nouveau, les produits du travail étaient communs dès l’origine, a jugé que « l’article 224, al. 2er [devenu 223] ne permet pas d’inférer la faculté offerte aux époux de disposer librement de ses gains et salaires après s’être acquitté des charges du mariage, le caractère propre de ceux-ci » (CA Bordeaux, 5 janv. 1971).

Bien que cette affaire n’ait pas été déférée devant la Cour de cassation elle a, par suite, eu l’occasion d’exprimer sa position.

Dans un arrêt du 8 février 1978, elle la Première chambre civile a notamment affirmé, au visa de l’article 1401 du Code civil que « les produits de l’industrie personnelle des époux font partie de la communauté » (Cass. 1ère civ. 8 févr. 1978, n°75-15731).

Ainsi, pour la Cour de cassation, les gains et salaires perçus par les époux constituent des biens communs.

Cette solution a été reconduite ultérieurement à plusieurs reprises, notamment dans un arrêt rendu le 31 mars 1992 aux termes duquel elle valide la décision de la Cour d’appel qui avait retenu le caractère de biens communs des salaires perçus par un époux (Cass. 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-16343).

Désormais, la nature des gains et salaires ne soulève plus aucune difficulté. Il est unanimement admis qu’ils tombent en communauté, y compris avant même qu’ils ne soient perçus (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 27 mai 2010, n°09-11894).

Cette position adoptée par la jurisprudence au début des années 1970 a été renforcée par la loi du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux et ses conséquences en matière de sociétés.

L’article 1411, al. 1er du Code civil dispose par exemple, dans sa nouvelle rédaction, que les créanciers de l’un ou de l’autre époux au titre de ses dettes personnelles « ne peuvent poursuivre leur paiement que sur les biens propres et les revenus de leur débiteur. »

Si le législateur avait voulu faire des gains et salaires des biens propres, pourquoi les viser séparément dans le texte.

L’adjonction ne se justifie que si l’on appréhende les revenus des époux comme des biens communs, ce qui a été fait par le législateur.

Un autre exemple peut être tiré de la lettre de l’article 1414 du Code civil qui prévoit que « les gains et salaires d’un époux ne peuvent être saisis par les créanciers de son conjoint que si l’obligation a été contractée pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, conformément à l’article 220. »

Là encore l’énoncé de cette règle eut été parfaitement inutile si les revenus perçus par les époux étaient des biens propres, l’article 1418 prévoyant déjà que « lorsqu’une dette est entrée en communauté du chef d’un seul des époux, elle ne peut être poursuivie sur les biens propres de l’autre ».

II) Le domaine des gains et salaires

Une fois la nature des gains et salaires identifiée, qui donc sont endossent la qualification de biens communs, encore faut-il déterminer ce que l’on doit entendre par gains et salaires.

Que recouvre cette notion énoncée à l’article 223 du civil ? Toutes les rémunérations perçues par les époux sont-elles visées ?

À l’analyse, si l’on se reporte à l’article 1401 du Code civil, seules celles qui proviennent de l’industrie personnelle des époux, relèvent du domaine des gains et salaires.

Autrement dit, la rémunération perçue doit nécessairement avoir pour cause la fourniture d’un travail et plus généralement l’exercice d’une activité professionnelle.

Classiquement on distingue deux catégories de rémunérations qui sont comprises dans le périmètre des gains et salaires :

  • Les rémunérations du travail
  • Les substituts de rémunérations du travail

A) Les rémunérations du travail

Pour qu’une rémunération relève de la catégorie des gains et salaires, elle doit provenir de la fourniture d’un travail. Quant à sa forme, elle est indifférente.

==> La provenance de la rémunération

Dès lors qu’une rémunération provient de l’industrie personnelle d’un époux, elle a vocation à tomber en communauté.

À cet égard, le choix de la formule « gains et salaires » n’est pas neutre. En visant spécifiquement les gains et les salaires, le législateur a entendu couvrir les rémunérations perçues au titre, tant de l’exercice d’une activité subordonnée, que d’une activité indépendante.

  • Un salaire
    • Le salaire consiste en une rémunération perçue au titre de l’exercice d’une activité subordonnée.
    • Contrairement à ce que suggère, en première intention, le terme salaire, n’est pas seulement visée la rémunération versée à un salarié dans le cadre de l’exécution d’un contrat de travail.
    • La notion de salaire doit être entendue dans un sens bien plus large.
    • Aussi, relèvent également de cette catégorie le traitement perçu par un fonctionnaire, la solde touchée par un militaire ou encore le cachet réglé à un artiste.
  • Un gain
    • Parce que la perception d’une rémunération peut intervenir dans le cadre de l’exercice d’une activité indépendante, le législateur a adjoint au terme salaire la notion de gain.
    • Le gain consiste, en substance, en la rémunération qu’un travailleur indépendant retire de son activité.
    • La notion de gain recouvre de très nombreuses variétés de rémunération.
    • Il peut, en effet, s’agir d’honoraires, d’émoluments, de bénéfices commerciaux ou non commerciaux, de commissions, de redevances ou encore de droits d’auteur.

S’agissant du travail donnant lieu à la perception d’un salaire ou d’un gain, il est indifférent qu’il soit fourni à titre occasionnel (travail saisonnier) ou à titre habituel (travail salarié).

La Cour de cassation a été jusqu’à admettre dans un arrêt du 30 juin 1992 que le travail pouvait avoir été fourni à titre exceptionnel (Cass. 1ère 30 juin 1992, n°90-18407). Au cas particulier, il s’agissait d’une gratification exceptionnelle versée par un employeur à son salarié.

Ce qui importe, nous dit la Première chambre civile, c’est que la rémunération soit perçue dans le cadre de l’exercice d’une activité professionnelle.

==> La forme de la rémunération

Dès lors qu’il est établi que la rémunération perçue par un époux provient de son industrie personnelle, la forme de cette rémunération est indifférente.

Il peut s’agir, tant d’une rémunération en argent, ce qui est la situation la plus courante, que d’une rémunération en nature, telle que l’octroi d’un véhicule de fonction ou la mise à disposition d’un logement.

Si ces situations ne soulèvent aucune difficulté de qualification, il est des cas où le doute existe en raison de la spécificité de la rémunération.

  • La rémunération sous forme de valeurs mobilières
    • À titre de rémunération complémentaire les dirigeants d’une entreprise ainsi que ses salariés peuvent se voir attribuer des valeurs mobilières.
    • Cette rémunération peut prendre deux formes
      • L’épargne salariale
        • L’article L. 3332-1 du Code du travail autorise les personnes morales à mettre en place un plan d’épargne d’entreprise.
        • Il s’agit d’un système d’épargne collectif ouvrant aux salariés de l’entreprise la faculté de participer, avec l’aide de celle-ci, à la constitution d’un portefeuille de valeurs mobilières.
        • À cet égard, il est admis que sommes inscrites en compte au titre de l’épargne salariale (intéressement et participation) tombent en communauté (V. en ce sens 1ère civ. 23 mai 2006, n°05-11512)
      • Les stock-options
        • S’agissant des stock-options, leur qualification a fait l’objet d’un débat. Pour rappel, il s’agit d’options de souscription d’actions consentie par une société à ses dirigeants ou à certains salariés dont la durée de validité et le prix sont déterminés au moment de leur attribution.
        • Lorsque l’option est exercée avant ou pendant le mariage, la qualification de la stock-option ne soulèvera pas de difficulté. Il y a lieu d’appliquer les critères de qualification de n’importe quel bien. Il s’agira d’un bien propre si l’option est levée avant le mariage et d’un bien commun si l’option est levée postérieurement à la célébration de l’union conjugale.
        • Plus délicate est revanche l’hypothèse où la stock-option est attribuée à un époux pendant le mariage et que l’option est levée après la dissolution du régime matrimoniale.
        • Certains auteurs ont soutenu que, dans la mesure où les stock-options étaient attribuées à l’époux en considération de sa personne, il convenait de les traiter comme des biens propres en application de l’article 1404 du Code civil.
        • Pour mémoire, cette disposition prévoit que « forment des propres par leur nature, quand même ils auraient été acquis pendant le mariage […] tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne. »
        • D’autres auteurs ont avancé qu’il y avait lieu d’opérer une qualification distributive en distinguant le titre et la finance.
        • Autrement dit, tandis que l’instrument financier, support de l’option de souscription d’actions, serait propre car strictement attaché à la personne de l’époux attributaire, la valeur de cet instrument serait en revanche commune, au même titre que n’importe quelle rémunération.
        • Finalement, dans un arrêt du 9 juillet 2014, la Cour de cassation a opté pour la première thèse, soit pour la qualification de bien propre ( 1ère civ. 9 juill. 2014, n°13-15948).
        • Aux termes de cette décision, elle a, en effet, jugé, au visa des articles 1401 et 1404 du Code civil que « selon ces textes, si les droits résultant de l’attribution, pendant le mariage à un époux commun en biens, d’une option de souscription ou d’achat d’actions forment des propres par nature, les actions acquises par l’exercice de ces droits entrent dans la communauté lorsque l’option est levée durant le mariage».
        • Ainsi donc, lorsque l’option est levée postérieurement à la dissolution du mariage, la stock-option endosse la qualification de bien propre.
  • La rémunération perçue au titre de l’exploitation d’un bien propre
    • Il est des cas où un époux tirera sa rémunération de l’exploitation d’un bien propre.
    • Il pourra s’agir d’un fonds de commerce, artisanal ou libéral, d’une exploitation agricole ou encore d’un office ministériel (notaire, huissier) lesquels auront été acquis avant la célébration de l’union matrimoniale ou, à titre gratuit pendant le mariage.
    • Dans ces hypothèses quel traitement réserver à la rémunération perçue par l’époux ?
    • Cette rémunération constitue, tout à la fois, le revenu d’un bien propre et un gain professionnel.
    • Dans le silence des textes, qui n’envisagent pas ce cas de figure, il y a lieu de se tourner de la jurisprudence.
    • Dans un arrêt du 4 janvier 1995, la Cour de cassation a jugé que les revenus tirés d’une exploitation agricole tombaient en communauté en leur qualité de revenus de propres ( 1ère civ. 4 janv. 1995, n°92-20013).
    • Dans un arrêt du 16 mai 2000, la première chambre civile semble finalement être revenue sur sa position en assimilant les revenus d’une exploitation agricole à des gains professionnels (V. en ce sens 1ère civ. 16 mai 2000, n°97.18612).
    • En tout état de cause, que la rémunération perçue au titre de l’exploitation d’un bien propre, soit qualifiée de revenu de propre ou de gain professionnel, dans les deux cas elle a vocation à tomber en communauté.
  • La rémunération perçue au titre d’un apport en industrie
    • Lorsqu’un époux est associé dans une société il peut être titulaire de parts en industrie.
    • Pour mémoire, cette catégorie de parts est attribuée en contrepartie de ce que l’on appelle un apport en industrie.
    • En substance, l’apport en industrie consiste pour un associé à mettre à disposition de la société, sa force de travail, ses compétences, son expérience, son savoir-faire ou encore son influence.
    • La spécificité de cet apport est que, s’il ne donne pas droit à des parts de capital, il ouvre néanmoins droit à participer aux bénéfices.
    • Aussi, l’apporteur percevra-t-il une rémunération en contrepartie de son travail.
    • Cette rémunération sociale relève-t-elle du domaine des gains et salaires ? On en légitimement en droit de s’interroger.
    • À l’analyse, très tôt la jurisprudence a admis que la rémunération perçue au titre d’un apport en industrie était constitutive d’un gain professionnel (V. en ce sens req. 3 nov. 1941).
    • À cet égard, il peut être observé que, si sous l’empire du droit antérieur à la loi n°2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, les parts en industries ne pouvaient être émises que dans les sociétés de personnes, les apports en industrie sont désormais autorisés dans toutes les sociétés à l’exception des sociétés anonymes.

B) Les substituts de rémunération du travail

La catégorie des gains et salaires ne se limite pas aux rémunérations perçues au titre de la fourniture d’un travail, elle comprend plus largement toutes les rémunérations qui ont pour cause l’exercice d’une activité professionnelle.

Aussi, sont assimilés aux gains et salaires ce que l’on appelle les substituts de rémunération du travail. Il s’agit de toutes les indemnités qui visent à remplacer la rémunération du travail.

Ces indemnités sont de deux ordres : Elles sont susceptibles d’être versées au titre de l’interruption de l’activité professionnelle ou au titre de sa cessation.

  • Les indemnités versées au titre de l’interruption de l’activité professionnelle
    • Sont ici concernées les indemnités versées consécutivement à une maladie ou à un accident.
    • À l’analyse, Il y a lieu ici de distinguer selon que l’indemnité vise à réparer un dommage corporel (physique ou psychique) ou à compenser une perte de revenus.
      • L’indemnité vise à compenser une perte de revenus consécutive à une maladie ou à un accident
        • Dans cette hypothèse, l’indemnité est constitutive d’un bien propre en application de l’article 1404 du Code civil.
        • Dans un arrêt du 17 novembre 2010, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « le capital versé au bénéficiaire au titre d’un contrat d’assurance garantissant le risque invalidité a, réparant une atteinte à l’intégrité physique, un caractère personnel de sorte qu’il constitue un bien propre par nature» ( 1ère civ. 17 nov. 2010, n°09-72316)
      • L’indemnité vise à compenser une perte de revenus
        • Dans cette hypothèse, après avoir hésité, la jurisprudence considère que l’indemnité perçue tombe en communauté.
        • La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 23 octobre 1990 en jugeant que la somme versée au titre de l’incapacité temporaire totale de travail, dès lors qu’elle est destinée à compenser la perte de revenus, « cette somme tombe en communauté comme les salaires qui auraient dû être perçus et dont elle constitue un substitut» ( 1ère civ. 23 oct. 1990, n°89.14448).
        • Cette solution a été réaffirmée à plusieurs reprises, notamment dans un arrêt rendu le 29 juin 2011 ( 1ère civ. 29 juin 2011, n°10-23373).
        • Elle a par ailleurs été transposée au cas de perception d’une indemnité d’assurance emprunteur.
        • La Cour de cassation a, en effet, jugé que les indemnités versées par l’assureur ont pour objet, « non de réparer un dommage affectant la personne du souscripteur, mais de compenser la perte de revenus consécutive au licenciement de celui-ci»
        • Elle en déduit que ces indemnités tombent en communauté ( 1ère civ. 3 févr. 2010, n°08-21054).
  • Les indemnités versées au titre de la cessation de l’activité professionnelle
    • L’indemnité de licenciement
      • Cette indemnité est versée au salarié en cas de rupture du contrat de travail par l’employeur.
      • Aussi, vise-t-elle à réparer le préjudice causé par la perte d’emploi.
      • Dans un arrêt du 5 novembre 1991, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que l’indemnité de licenciement versée à un salarié a pour objet de réparer le préjudice résultant de la perte de son emploi, et non un dommage affectant uniquement sa personne,
      • Dans ces conditions, elle a vocation à tomber en communauté ( 1ère civ. 5 nov. 1991, n°90-13479).
      • Les auteurs s’accordent à dire qu’il est indifférent que l’indemnité de licenciement soit contractuelle ou judiciaire.
      • Il en va de même de l’indemnité transactionnelle versée en contrepartie d’une démission du salarié.
      • La solution est désormais bien établie en jurisprudence (V. en ce sens 1ère civ. 28 nov. 2006, n°04-17147).
      • À cet égard, il peut être observé que, en cas de versement de l’indemnité postérieurement à la dissolution de la communauté, la date qui doit être prise en compte pour déterminer si cette indemnité tombe en communauté c’est la date de notification du licenciement.
      • Si la notification intervient après la dissolution du mariage, l’indemnité de licenciement sera constitutive d’un bien propre.
    • L’indemnité de révocation du dirigeant
      • Par analogie avec la solution retenue en matière d’indemnité de licenciement, l’indemnité versée à un dirigeant au titre de sa révocation est un bien commun (V. en ce sens 1ère civ. 5 mars 2008, n°07-14729).
    • L’indemnité de reconstitution de carrière
      • Cette indemnité est versée à un fonctionnaire qui a fait l’objet d’une éviction illégale.
      • Aussi, s’agit-il de lui verser les traitements qu’ils auraient dû percevoir s’il n’avait pas été révoqué, ce qui implique une reconstitution de sa carrière.
      • Dans un arrêt du 15 février 1965, la Cour de cassation a jugé que, dans la mesure où l’indemnité versée visait à compenser une perte de revenus, elle tombait en communauté ( 1ère civ. 15 févr. 1965, n°62-13254).
    • L’indemnité de non-concurrence
      • Cette indemnité est versée à un salarié en contrepartie de son engagement de ne pas exercer une activité professionnelle concurrente à celle de l’entreprise qu’il quitte.
      • Il est admis qu’elle vise à compenser les revenus que le débiteur de la clause de non-concurrence se prive de percevoir conformément aux termes de son engagement.
      • Aussi, constitue-t-elle un bien commun ( soc. 26 mars 1984).
    • L’indemnité de départ en retraite
      • Cette indemnité qui est versée sous forme de capital au jour du départ en retraite d’un salarié est un bien commun ( 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-16343).
      • Elle ne tombera toutefois en communauté qu’à la condition qu’elle soit exigible avant la dissolution du mariage.
      • La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 29 juin 2011 en jugeant, s’agissant du versement d’un pécule d’incitation au départ anticipé dont l’octroi est notamment subordonné à certaines conditions de durée de services et dont le versement trouve dès lors sa cause dans l’activité professionnelle exercée au cours du mariage, qu’il entrait en communauté à compter de la décision d’octroi ( 1ère civ. 29 juin 2011, n°10-20322).

[1] I. Dauriac, Les régimes matrimoniaux et le pacs, éd. LGDJ, 2010, n°353 ; pp. 210-211.

[2] V. notamment H. Mazeaud, La communauté réduite au bon vouloir de chacun des époux, DS 1965, chron. p. 91 ; R. Savatier, La finance ou la gloire, DS 1965, chron. p. 135, A. Précigout, La réforme des régimes matrimoniaux, JCP N 1966. I. 1978, n°89.

[3] A. Colin et H. Capitant, Traité élémentaire de droit civil français, par M. Julliot de la Morandière, Dalloz, 1936, n°143.

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