Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

Protection du logement familial: la sanction de l’exigence de consentement des deux époux (art. 215, al. 3e C. civ.)

I) La nullité relative

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que, en cas de violation de l’exigence du double consentement des époux « celui des deux qui n’a pas donné son consentement à l’acte peut en demander l’annulation : l’action en nullité lui est ouverte dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous. »

Il ressort de cette disposition que, en cas d’accomplissement par un époux seul d’un acte privant la famille de son logement, la sanction encourue c’est la nullité de l’acte.

Et par nullité, il faut entendre nullité relative dans la mesure où la règle instaurée par le texte intéresse l’ordre public de protection.

Il en résulte qu’elle ne peut être soulevée que par l’époux dont les intérêts ont été contrariés, ce qui interdit donc à l’auteur de l’acte litigieux de s’en prévaloir (V. en ce sens Cass. com. 26 mars 1996, n°94-13.124).

Dans un arrêt du 3 mars 2010, la Cour de cassation a néanmoins précisé que « si l’article 215 du code civil désigne l’époux dont le consentement n’a pas été donné comme ayant seul qualité pour exercer l’action en nullité de l’acte de disposition, par son conjoint, des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, cet époux doit justifier d’un intérêt actuel à demander l’annulation de l’acte » (Cass. 1ère civ. 3 mars 2010, n°08-13.500)

Dans cette affaire, l’épouse qui se prévalait de la nullité de l’acte n’occupait plus le logement familial au jour de l’introduction de son action en justice, de sorte qu’elle ne justifiait d’aucun intérêt à agir.

Lorsque, toutefois, cet intérêt à agir sera démontré, le juge ne dispose d’aucun pouvoir d’appréciation quat à accueillir la nullité dès lors que les conditions de l’article 215, al. 3e di Code civil. Il s’agit là d’une nullité de droit et non d’une nullité faculté dont le prononcé est laissé à la discrétion du juge.

II) L’action en nullité

==> Principe : le bref délai

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que l’action en nullité est ouverte au conjoint lésé « dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous. »

Cette action est ainsi enfermée dans un double délai :

  • Premier délai
    • L’action en nullité peut être exercé dans le délai d’un an à compter du jour où son titulaire a eu connaissance de l’acte.
    • Dans un arrêt du 2 décembre 1982, la Cour de cassation a précisé qu’il s’agit là d’un délai de prescription, de sorte qu’il est susceptible de faire l’objet d’une interruption ou d’une suspension (V. en ce sens 2e civ. 2 déc. 1982, n°80-15.998).
    • Quant à la preuve de la connaissance de l’acte, il est admis qu’elle puisse être rapportée par tous moyens, dans la mesure où il s’agit de prouver un fait juridique.
    • La charge de la preuve pèse, selon la jurisprudence, sur le tiers défendeur auquel qui il appartiendra de démontrer que le conjoint de l’époux avec lequel il a contracté ne pouvait pas ignorer l’opération contestée (V. en ce sens 1ère civ. 6 avr. 1994, n°92-15.000).
  • Second délai
    • L’action en nullité ne peut être exercée, en tout état de cause, au-delà d’un délai d’un an à compter de la date de dissolution du mariage.
    • Cela signifie, dès lors, que dans l’hypothèse où l’époux lésé découvrirait l’acte litigieux après la dissolution du mariage il ne pourra agir en nullité qu’à la condition que cette dissolution soit intervenue moins d’un an avant la saisine du juge.
    • La Cour de cassation a rappelé cette règle dans un arrêt du 12 janvier 2011 en affirmant « qu’aux termes de l’article 215, alinéa 3, du code civil, l’action en nullité accordée à l’épouse ne peut être exercée plus d’un an à compter du jour où elle a eu connaissance de l’acte sans jamais pouvoir être intentée plus d’un an après la dissolution du régime matrimonial» ( 1ère civ. 12 janv. 2011, n°09-15.631).
    • Au-delà de ce délai d’un an, l’action en nullité est forclose, étant précisé qu’il s’agit là d’un délai préfix, soit insusceptible d’interruption ou de suspension.
    • Quant à la notion de dissolution, elle est discutée en doctrine, recouvre-t-elle seulement les cas de dissolution au sens classique du terme (divorce et décès) ou doit-elle être étendue aux cas de séparation de corps et de changement de régime matrimonial ?
    • La doctrine majoritaire, derrière laquelle nous nous rangeons, abonde dans le sens de la première solution.
    • En effet, l’article 215 al. 3 du Code civil a vocation à s’appliquer autant que le mariage perdure.
    • Dans ces conditions, seule la dissolution qui met définitivement fin à l’union matrimoniale doit être prise en compte pour déterminer le point de départ de l’action en nullité.

==> Tempéraments

Si, de principe, l’action en nullité est enfermée dans un bref délai, il est des cas où ce délai est susceptible d’être allongé.

  • La nullité est soulevée en défense par l’époux lésé
    • Il est des cas où la nullité de l’acte privant la famille de son logement est susceptible d’être excipée par voie d’exception, soit lorsque l’époux lésé est le défendeur à l’instance.
    • Dans cette hypothèse, le délai pour soulever la nullité s’en trouve modifié.
      • Le principe de perpétuité de l’exception de nullité
        • Lorsque la nullité est soulevée par voie d’exception, le délai de prescription est très différent de celui imparti à celui qui agit par voie d’action.
        • Aux termes de l’article 1185 du Code civil « l’exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n’a reçu aucune exécution. »
        • Il ressort de cette disposition que l’exception de nullité est perpétuelle
        • Cette règle n’est autre que la traduction de l’adage quae temporalia ad agendum perpetua sunt ad excipiendum, soit les actions sont temporaires, les exceptions perpétuelles
        • Concrètement, cela signifie que, tandis que le demandeur peut se voir opposer la prescription de son action en nullité pendant un délai de défini par un texte (5 ans en droit commun et 1 an pour l’action fondée sur l’article 215, al. 3), le défendeur pourra toujours invoquer la nullité de l’acte pour échapper à son exécution
        • Cette règle a été instituée afin d’empêcher que le créancier d’une obligation n’attende la prescription de l’action pour solliciter l’exécution de l’acte sans que le débiteur ne puisse lui opposer la nullité dont il serait frappé.
      • Les conditions à la perpétuité de l’exception de nullité
        • Pour que l’exception de nullité soit perpétuelle, trois conditions doivent être réunies
          • Première condition
            • Conformément à un arrêt rendu par la Cour de cassation le 1er décembre 1998 « l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte juridique qui n’a pas encore été exécuté» ( 1ère civ. 1er déc. 1998)
            • Autrement dit, l’exception de nullité doit être soulevée par le défendeur pour faire obstacle à une demande d’exécution de l’acte
            • Dans le cas contraire, l’exception en nullité ne pourra pas être opposée au demandeur dans l’hypothèse où l’action serait prescrite.
          • Deuxième condition
            • Il ressort de l’article 1185 du Code civil, que l’exception de nullité est applicable à la condition que l’acte n’ai reçu aucune exécution.
            • Cette solution avait été adoptée par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 mai 2012 ( 1ère civ. 4 mai 2012)
            • Dans cette décision, elle a affirmé que « la règle selon laquelle l’exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte qui n’a pas encore été exécuté»
            • Cette règle a été complétée par la jurisprudence dont il ressort que peu importe :
              • Que le contrat n’ait été exécuté que partiellement ( 1ère civ. 1er déc. 1998)
              • Que la nullité invoquée soit absolue ou relative ( 1ère civ. 24 avr. 2013).
              • Que le commencement d’exécution ait porté sur d’autres obligations que celle arguée de nullité ( 1ère civ. 13 mai 2004)
          • Troisième condition
            • Bien que l’article 1185 ne le précise pas, l’exception de nullité n’est perpétuelle qu’à la condition qu’elle soit invoquée aux fins d’obtenir le rejet des prétentions de la partie adverse
            • Dans l’hypothèse où elle serait soulevée au soutien d’une autre demande, elle devrait alors être requalifiée en demande reconventionnelle au sens de l’article 64 du Code de procédure civil.
            • Aussi, se retrouverait-elle à la portée de la prescription qui, si elle n’affecte jamais l’exception, frappe toujours l’action.
            • Or une demande reconventionnelle s’apparente à une action, en ce sens qu’elle consiste pour son auteur à « être entendu sur le fond de celle-ci afin que le juge la dise bien ou mal fondée» ( 30 CPC).
    • La question s’est posée en jurisprudence de savoir si l’époux lésé pouvait se prévaloir de la nullité l’acte privant la famille de son logement par voie d’exception et, par voie de conséquence invoquer cette nullité sans condition de délai.
    • Par un arrêt du 8 février 2000, la Cour de cassation a répondu par l’affirmation à cette question.
    • Elle a affirmé en ce sens, au visa de l’article 215, al. 3e du Code civil « qu’il résulte de ce texte, que si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les droits par lesquels est assuré le logement de la famille, l’action en nullité est ouverte à son conjoint pendant une année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous ; que cette disposition ne peut avoir pour effet de priver le conjoint du droit d’invoquer la nullité comme moyen de défense contre la demande d’exécution d’un acte irrégulièrement passé par l’autre époux» ( 1ère civ. 8 févr. 2000, n°98-10.836).
      • Faits
        • Dans cette affaire, pour garantir le remboursement d’un emprunt qu’il avait contracté auprès d’un établissement de crédit, un époux séparé de biens lui avait consenti une hypothèque sur une maison qui lui appartenait en propre et qui était affectée au logement de sa famille.
        • Consécutivement à la défaillance de cet époux, la banque engage des poursuites judiciaires aux fins de saisie du bien donné en garantie.
        • En défense, la conjointe de l’emprunteur qui n’avait pas consenti à la constitution de l’hypothèque sur le bien alors qu’il s’agissait de la résidence familiale excipe la nullité de l’acte d’affectation hypothécaire.
      • Procédure
        • Par un jugement du 28 novembre 1997, le Tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains a rejeté la demande de nullité formulée par l’épouse lésée.
        • Au soutien de sa décision il a considéré que l’action était prescrite et que l’épouse ne pouvait pas soulever la nullité par voie d’exception, dès lors qu’il lui avait été possible d’agir.
      • Décision
        • La Cour de cassation casse et annule le jugement rendu par les juges du fond au visa de l’article 215, al. 3e du Code civil.
        • Elle estime que, bien au contraire, l’épouse était parfaitement recevable à exciper l’exception de nullité de sorte que si l’action était bien prescrite, la nullité pouvait néanmoins être soulevée par voie d’exception.
      • Au bilan, l’époux dont le consentement était requis en application de l’article 215, al. 3e du Code civil pourra toujours, nonobstant l’écoulement du délai de prescription, opposer l’exception de nullité à un tiers qui solliciterait l’exécution d’un acte conclu en violation du dispositif de protection du logement familial.
  • Le logement familial est un bien commun
    • Dans l’hypothèse où les époux sont mariés sous le régime légal et que le logement familial constitue un bien commun, l’article 215, al. 3e du Code civil se retrouve en concurrence avec l’article 1427 du Code civil.
    • Cette dernière disposition envisage, en effet, la sanction de la violation par un époux d’une règle de cogestion.
    • Le premier alinéa du texte prévoit en ce sens que « si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l’autre, à moins qu’il n’ait ratifié l’acte, peut en demander l’annulation».
    • L’alinéa 2 précise que « l’action en nullité est ouverte au conjoint pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté. »
    • La question qui alors se pose est de savoir quel délai retenir dans l’hypothèse où le logement familial est un bien commun.
    • En principe, les règles du régime primaire priment sur les règles du régime matrimonial pour lequel ont opté les époux.
    • Reste que, au cas particulier, l’article 1427 du Code civil instaure une règle plus protectrice que celle énoncée par le régime primaire en portant de délai pour agir en nullité de l’acte qui prive la famille de son logement à deux ans.
    • Dans ces conditions, quelle disposition appliquer ? L’article 215 qui instaure un bref délai d’un an ou l’article 1427 qui prévoit un délai de deux ans ?
    • Pour la doctrine, il y a lieu de faire application de l’article 1427, de sorte que l’action en nullité peut être exercée pendant un délai de deux ans lorsque le logement de la famille est un bien commun.
    • Encore faut-il néanmoins que l’acte en cause corresponde à l’un des cas de cogestion énoncés aux articles 1422, 1424 et 1425 du Code civil.
    • Tel ne sera pas le cas, par exemple, de la résiliation d’un contrat d’assurance, la Cour de cassation ayant estimé, dans un arrêt du 14 novembre 2006, que cet acte ne relève pas du domaine de la cogestion ( 1ère civ. 14 nov. 2006, n°05-19.402).

II) Les effets de la nullité

La nullité a pour effet d’anéantir rétroactivement l’acte accompli en violation de l’article 215, al. 3e du Code civil. Par rétroactivité il faut entendre que l’acte est censé n’avoir jamais existé.

Cela signifie, autrement dit, que l’acte est anéanti, tant pour ses effets futurs que pour ses effets passés.

Dans l’hypothèse où l’acte a reçu un commencement d’exécution, voire a été exécuté totalement, l’annulation du contrat suppose de revenir à la situation antérieure, soit au statu quo ante.

Dans un arrêt du 3 mars 2010 la Cour de cassation a pris le soin de préciser que la nullité privait l’acte de tout effet, de sorte que le tiers contractant ne pouvait pas se prévaloir du bénéfice d’une clause pénale stipulée dans cet acte (Cass. 1ère civ. 3 mars 2010, n°08-18.947).

La première chambre civile est allée encore plus loin en jugeant que la nullité pouvait s’étendre, par contamination, à la promesse de porte-fort attachée à l’acte anéanti (Cass. 1ère civ. 11 oct. 1989, n°88-13.631).

Dans cette affaire, un époux a vendu le bien affecté au logement de la famille à un tiers par l’entremise d’une agence immobilière en se portant fort de la ratification de l’acte par sa conjointe.

Consécutivement au refus de cette dernière de consentir à la vente, les tiers acquéreurs ont sollicité l’exécution de la promesse de porte-fort consentie à leur profit, exécution qui devait se traduire par l’octroi de dommages et intérêts.

Tandis que les juges du fonds ont considéré que cette promesse était parfaitement valable, la Première chambre civile retient la solution inverse, au motif que la nullité frappant l’acte de vente atteignait également la promesse de porte-fort qui y était attachée.

La solution est ici contestable dans la mesure où elle revient à étendre de façon excessive le périmètre de l’article 215, al. 3e du Code civil.

Non seulement la promesse de porte-fort ne menaçait en rien le logement familial puisque son inexécution ne pouvait donner lieu qu’à l’octroi de dommages et intérêts, mais encore cette promesse pouvait être regardée comme totalement indépendante de l’acte de vente pris séparément.

Telle n’est toutefois pas la voie que la Cour de cassation a choisi d’emprunter. Depuis lors, elle n’est jamais revenue sur sa position.

Pratiquement, cela signifie que le tiers qui est victime de l’annulation de l’acte, ne dispose d’aucun recours contre l’époux avec lequel il a contracté.

La Cour de cassation considère qu’il lui appartenait « d’exiger les consentements nécessaires à la validité de la vente » (Cass. 1ère civ. 11 oct. 1989, n°88-13.631).

Tout au plus, il pourra engager la responsabilité du professionnel de l’immobilier pour manquement à son obligation de conseil.

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