Le Droit dans tous ses états

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La notion de dépense ménagère

L’article 220, al. 1er du Code civil prévoit que seules les dettes contractées pour « l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants » donnent lieu à solidarité.

Le domaine de la solidarité des époux est ainsi circonscrit à un certain type de dépenses. En dehors du périmètre défini par le texte, la solidarité n’a pas vocation à jouer.

Il en résulte, pratiquement, que les tiers ne seront pas fondés à actionner en paiement l’époux qui n’était pas partie à l’acte. Seul celui qui a réalisé la dépense, exclue du domaine de la solidarité, est engagé envers le tiers.

La question qui alors se pose est de savoir quelles sont les dépenses visées par l’article 220 du Code civil.

==> La finalité de la dette : une dépense ménagère

La lecture de l’article 220, al. 1er du code civil révèle que l’appartenance d’une dépense à la catégorie des dettes donnant lieu à solidarité répond à un critère de finalité.

Le texte prévoit, en effet, qu’il faut que la dépense ait pour objet « l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants ».

Elle doit, autrement dit, présenter un caractère ménager, étant précisé que le ménage est envisagé par l’article 220 comme incluant, tant les époux, que leurs enfants.

Les dépenses susceptibles de donner lieu à la solidarité sont ainsi toutes celles qui intéressent la cellule familiale.

  • S’agissant des dépenses ayant pour finalité l’entretien du ménage
    • Il est admis qu’il s’agit ici des dépenses courantes strictement nécessaires au fonctionnement du ménage.
    • Tel est le cas des dépenses en lien avec les aliments, l’habillement, l’habitation, le transport, l’énergie, le téléphone, l’internet etc.
    • Pour la plupart, il s’agira de dépenses qui présentent une certaine périodicité et qui procèdent de l’accomplissement d’actes d’administration ou conservatoires.
    • Classiquement on oppose les dépenses ménagères aux dépenses d’investissement, soit celles qui visent, pour le ménage, à se constituer un patrimoine (immobilier ou mobilier).
    • Plus généralement sont exclues de la catégorie des dépenses ménagères toutes celles qui, soit en raison de leur nature, soit en raison de leur montant, sont exceptionnelles.
    • Ainsi, le coût d’acquisition ou de construction du logement familial n’est pas constitutif d’une dépense ménagère.
    • Dans un arrêt du 11 janvier 1984, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les opérations d’investissement d’un ménage, et notamment celles qui ont pour objet de lui permettre de se constituer un patrimoine immobilier, n’entrent pas dans la catégorie des actes ménagers d’entretien ou d’éducation auxquels l’article 220 du code civil attache la solidarité de plein droit» ( 1ère civ. 11 janv. 1984, n°82-15.461).
    • À l’inverse, la jurisprudence considère que la dette de loyer contractée par les époux en vue d’habiter un logement relève de la catégorie des dépenses ménagères ( 2e civ. 3 oct. 1990, n°88-18453).
    • Les charges de copropriété endossent la même qualification ( 3e civ. 1er déc. 1999, n°98-11726).
    • Il est indifférent que la dépense exposée ne concerne qu’un seul époux, ce qui importe étant qu’elle soit directement liée au fonctionnement du ménage.
    • Or pour fonctionner, il est nécessaire que chacun de ses membres soit en bonne santé (frais médicaux), suffisamment nourri (dépenses d’aliment), correctement habillées (dépenses d’habillement) etc.
    • Plus généralement il faut que les besoins de la vie courante des époux et des enfants soient satisfaits, raison pour laquelle toutes les dépenses qui visent à répondre à ces besoins seront qualifiées de ménagères (V. en ce sens 1ère civ. 4 juin 2007, n°05-15351).
    • Pour ce qui est des dépenses exposées en vue d’améliorer les conditions de vie du ménage, leur qualification est plus délicate.
    • La question s’est notamment posée pour les dépenses d’amélioration du logement familial.
    • Si, la jurisprudence n’exclut pas, d’emblée, que ces dépenses puissent être qualifiées de ménagères, elle opère néanmoins une distinction entre celles qui visent à améliorer le confort de vie de la famille et celles réalisées en vue d’apporter une plus-value au bien.
    • Tandis que les premières sont éligibles à la qualification de dépenses ménagères, tel n’est pas le cas des secondes qui sont regardées comme des dépenses d’investissement.
    • Ainsi, des dépenses qui seraient réalisées pour rénover le système de chauffage de la résidence familiale pourraient parfaitement être qualifiées de dépenses ménagères.
    • En revanche, une dépense visant à acquérir un fonds voisin en vue d’étendre l’assiette du domaine familial ne pourrait pas accéder à cette qualification.
    • La question s’est encore posé du caractère ménager d’une dépense d’acquisition d’un véhicule.
    • Lorsque l’acquisition se fait au moyen d’une location avec option d’achat, la dépense peut, sans difficulté, être qualifiée de ménagère.
    • Lorsque, en revanche, l’acquisition prend la forme d’une dépense en capital la doctrine est divisée.
    • Quant à la jurisprudence, elle l’a admis dans certains arrêts (V. en ce sens CA Paris, 9 mars 1989; CA Grenoble, 5 nov. 1997).
    • Le doute disparaît, en tout état de cause, s’agissant de l’acquisition d’un véhicule de luxe : elle est exclue de la catégorie des dépenses ménagères (V. CA Aix-en-Provence, 17 janv. 1994).
    • À l’examen, il semble qu’il faille distinguer selon que le véhicule qui a fait l’objet d’une acquisition présente un caractère utilitaire ou somptuaire[1].
    • Enfin, il est admis que les dépenses d’agrément puissent être qualifiées de ménagères, dès lors qu’elles profitent aux deux époux (CA Paris, 5 juill. 1996).
  • S’agissant des dépenses ayant pour finalité l’éducation des enfants
    • Les dépenses réalisées en vue de l’éducation des enfants ne soulèvent pas de difficulté de qualification.
    • Ce sont essentiellement celles qui sont liées à l’alimentation, à la nourriture, à l’habillement, à la scolarité ou encore à la santé.
    • Il peut encore s’agit de dépenses relatives aux loisirs des enfants, telles que les frais de licence d’une pratique sportive ou les frais relatifs à l’inscription dans une école de musique et plus généralement dans toute structure cultuelle et artistique.
    • Il est indifférent que l’enfant soit mineur ou majeur : ce qui importe c’est qu’il soit à la charge de ses parents.
    • Plus délicate est, en revanche, la question des dépenses exposées pour un enfant qui ne serait issu d’un seul époux.
    • Pour l’heure, la jurisprudence ne s’est pas prononcée sur cette question. Quant à la doctrine, elle est hésitante.
    • Pour Anne Karm, « la discussion semble devoir se régler sur le terrain de la contribution et non de l’obligation à la dette»[2].
    • Autrement dit, il y aurait lieu de faire fi de la situation du couple dont les tiers ne sont pas censés avoir connaissance et considérer que dès lors qu’une dépense est exposée pour l’éducation de l’un des enfants qui compose le ménage, cette dépense présente un caractère ménager.

==> L’indifférence de la source de la dette : les dettes contractuelles et extracontractuelles

La lecture de l’alinéa 1er de l’article 220 du Code civil suggère que seules les dépenses ménagères qui auraient une cause contractuelle donneraient lieu à solidarité.

La référence au contrat intervient, en effet, à deux reprises dans le texte :

  • Tout d’abord, il est prévu que « chacun des époux a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants».
  • Ensuite, il est énoncé que « toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement.»

Est-ce à dire qu’une dette qui aurait une cause extracontractuelle serait exclue du domaine de la solidarité ?

Si l’on s’attache à la lettre de l’article 220, cela ne fait aucun doute. Si néanmoins l’on se réfère à l’esprit de cette disposition, rien n’est moins sûr.

En effet, l’objectif recherché par législateur lors de l’instauration de cette règle est de conférer aux époux une sphère d’autonomie leur permettant de pourvoir aux besoins de la vie courante du ménage.

Or ces besoins ne supposent pas toujours la souscription d’un engagement de nature contractuelle. Il peut aussi s’agir de régler une dépense dont la cause est d’origine légale, délictuelle ou quasi délictuelle.

Entre ces deux approches qui ont divisé la doctrine, la jurisprudence a retenu la seconde. Dans un arrêt du 7 juin 1989, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’article 220 du Code civil que « ce texte, qui fait peser sur les époux une obligation solidaire, a vocation à s’appliquer à toute dette même non contractuelle ayant pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants » (Cass. 1ère civ. 7 juin 1989, n°87-19.049).

Cass. 1ère civ. 7 juin 1989
Sur le pourvoi formé par l'UAP, Union des Assurances de Paris, dont le siège est à Paris (1er), 9, place Vendôme,

en cassation d'un arrêt rendu le 3 juillet 1987, par la cour d'appel de Versailles (1re chambre, 2e section), au profit :

1°/ de Monsieur Alfred S., et autre,

défendeurs à la cassation ; La demanderesse invoque à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ; Sur le rapport de M. le conseiller Averseng, les observations de Me Célice, avocat de l'UAP, les conclusions de M. Dontenwille, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ; Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :

Vu l'article 220 du Code civil ; Attendu que ce texte, qui fait peser sur les époux une obligation solidaire, a vocation à s'appliquer à toute dette même non contractuelle ayant pour objet l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants ;

Attendu que les époux S. demeuraient avec leurs deux enfants dans un appartement pris à bail de l'Union des assurances de Paris (UAP) ; que, par ordonnance de non-conciliation sur requête en divorce, Mme S. a provisoirement obtenu la garde des enfants et la jouissance du logement ; que M. S. a alors cessé d'y habiter ; que le bail a ultérieurement pris fin, par l'effet d'une clause résolutoire, en raison du défaut de paiement du loyer ; que Mme S. s'est cependant maintenue dans l'appartement ; Attendu que, pour rejeter à l'égard de M. S. la demande en indemnité d'occupation de l'UAP, l'arrêt attaqué énonce que si le mari reste, même après l'ordonnance de non conciliation et ce jusqu'au jugement de divorce définitif, cotitulaire du bail et tenu de ce fait au paiement des loyers avec son épouse, il n'en est pas de même lorsque la clause résolutoire a mis fin au bail en ce qui concerne les deux époux ; qu'en ce cas c'est l'épouse seule demeurée indûment dans les lieux qui doit régler les indemnités consécutives à son occupation personnelle à laquelle son époux est étranger lorsqu'il a quitté les lieux ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, bien que le divorce ne soit opposable aux tiers qu'à partir du jour où les formalités de mentions en marge prescrites par les règles de l'état civil, ont été accomplies, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 juillet 1987, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;

Dans cette affaire, se posait notamment la question de savoir si une indemnité d’occupation due par un époux (séparé de sa conjointe) qui occupait seul l’ancien logement familial dont le bail avait été résolu en raison du non-règlement de loyers, pouvait être qualifiée de dépense ménagère au sens de l’article 220 du Code civil.

La Cour de cassation répond par l’affirmative à cette question, considérant qu’il est indifférent que la dette dont se prévaut le créancier ait une cause contractuelle.

Dans un arrêt du 14 février 1995, elle a, par suite, semblé revenir sur sa position en jugeant que l’indemnité d’occupation due par un époux qui s’était maintenu dans la résidence familiale après sa séparation avec sa conjointe, ne donnait pas lieu à solidarité (Cass. 1ère civ. 14 févr. 1995, n°92-19.780).

Fallait-il voir dans cette décision, un revirement de jurisprudence ? Il n’en est rien. Dans cette décision, la Première chambre civile exclut la solidarité, non pas en raison de l’absence de cause contractuelle de la dette litigieuse, mais parce qu’elle avait été contractée dans l’intérêt exclusif d’un époux. Or pour relever de la catégorie des dépenses ménagères, la dette doit servir les intérêts, non pas d’un seul époux, mais du ménage, ce qui n’était pas le cas au cas particulier.

Cette interprétation de la décision ainsi rendue par la Cour de cassation a été confirmée dans les arrêts qu’elle rendra ultérieurement.

Dans un arrêt du 4 juin 2009, elle a, par exemple, considéré qu’une dette de restitution d’une prestation sociale indûment perçue pouvait être qualifiée de dépense ménagère.

Au soutien de sa décision elle affirme que « l’article 220 du code civil, qui fait peser sur les époux une obligation solidaire, a vocation à s’appliquer à toute dette, même non contractuelle, ayant pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants sans distinguer entre l’entretien actuel et futur du ménage » (Cass. 1ère civ. 4 juin 2009, n°07-13.122).

La Cour de cassation admet encore que les dettes de cotisations sociales puissent appartenir à la catégorie des dépenses ménagères, ces dettes ayant une cause, non pas contractuelle, mais légale (V. en ce sens Cass. soc.12 mai 1977).

Dans un arrêt du 9 octobre 1991, la Première chambre civile a précisé, s’agissant d’une dette de cotisations d’assurance vieillesse, qu’il était indifférent que cette dépense ait été réalisée pour l’entretien actuel ou futur du ménage.

La Cour de cassation affirme, en effet, que « l’article 220 du Code civil, qui fait peser sur les époux une obligation solidaire, a vocation à s’appliquer à toute dette, même non contractuelle, ayant pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, et n’opère aucune distinction entre l’entretien actuel et futur du ménage?; qu’ayant pour but de permettre au titulaire de la pension d’assurer, après la cessation de son activité professionnelle, l’entretien du ménage et, en cas de décès, l’entretien de son conjoint survivant par réversion de l’avantage, le versement de cotisations d’assurance vieillesse constitue une dette ménagère » (Cass. 1ère civ. 9 oct. 1991, n°89-16.111).

Cette solution a été réitérée à plusieurs reprises pour des dettes de même nature (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 17 mai 1993, n°91-17.144 ; Cass. 1ère civ. 12 mai 2004, n°02-30.716)

Au total, il apparaît que la cause extracontractuelle de la dette est sans incidence sur sa qualification de dépense ménagère.

==> De la différence entre les dépenses ménagères et les charges du mariage

Bien qu’elles se recoupent en de nombreux points, les dépenses ménagères et les charges du mariage ne doivent pas être confondues.

Tout d’abord, les dépenses ménagères intéressent l’obligation à la dette (rapports des époux avec les tiers), tandis que les charges du mariage intéressent la contribution à la dette (rapports des époux entre eux).

Ensuite, les périmètres de ces deux catégories de dépenses ne se superposent pas : les charges du mariage couvrent un périmètre bien plus large que les dépenses ménagères.

En effet, les dépenses ménagères correspondent à toutes les dépenses strictement nécessaires au fonctionnement du ménage (nourriture, logement, habillement, frais de scolarité des enfants, frais de santé, électricité, gaz, téléphone etc). Il s’agit donc de dépenses primaires dont le couple ne peut pas faire l’économie.

Quant aux charges du mariage, non seulement elles incluent ces dépenses primaires, mais encore elles comprennent toutes les dépenses qui sont liées au train de vie des époux.

Par train de vie, il faut entendre toutes les dépenses d’agrément et plus généralement toutes celles en lien avec l’épanouissement du couple et dont l’accomplissement est conforme à l’intérêt de la famille.

Parce que les charges du mariage se rapportent au train de vie du ménage, la jurisprudence admet que puissent relever de leur périmètre les frais exposés pour les vacances des époux, voire pour l’acquisition d’une résidence secondaire.

Dans un arrêt du 20 mai 1981, la première chambre civile a affirmé en ce sens que « la contribution des époux aux charges du ménage est distincte, par son fondement et par son but, de l’obligation alimentaire et peut inclure des dépenses d’agrément » (Cass. 1ère civ. 20 mai 1981).

La Cour de cassation a encore considéré que des dépenses d’investissement visant à acquérir le logement familial pouvaient être qualifiées de charges du mariage (Cass. 1ère civ. 12 juin 2013, 11-26748).

Tel n’est pas le cas des dépenses ménagères qui ne peuvent, en aucun cas, comprendre des dépenses d’investissement (Cass. 1ère civ. 11 janv. 1984, n°82-15.461).

[1] V. en ce sens J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°72, p. 62.

[2] A. Karm, Régime matrimonial primaire – Autonomie des époux, Jurisclasseur, n°21.

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