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L’accession mobilière: régime juridique

L’accession par incorporation correspond à l’hypothèse où le propriétaire d’une chose acquiert la propriété de tout ce qui s’unit et s’incorpore à cette chose.

Les biens n’ont pas une conformation définitive. Ils sont susceptibles de se transformer notamment par l’adjonction à eux d’un autre bien. Dès lors que cette union se réalise, il y a lieu de considérer que l’un des deux biens a disparu par incorporation à l’autre bien.

Alors que l’occupation permet d’acquérir un bien qui n’a pas de propriétaire et que l’accession par production rend, en principe, propriétaire celui qui était propriétaire du bien source, l’accession par incorporation présente cette particularité d’opérer éventuellement un changement de propriétaire.

Cette forme accession est, en effet, susceptible de conduire à une acquisition dérivée, en ce sens que la chose incorporée peut avoir appartenu à un premier propriétaire qui est alors privé de son droit par le jeu l’incorporation. Le bien incorporé avant un propriétaire et il l’a perdu sous l’effet matériel de l’incorporation.

Les règles qui régissent l’accession par incorporation sont régies aux articles 551 et suivants du Code civil. À l’examen, ces règles diffèrent selon que l’incorporation intéresse des meubles ou des immeubles, d’où la nécessité de les envisager séparément.

Nous nous focaliserons ici sur l’accession mobilière.

==> Domaine

L’accession mobilière est de loin la forme d’accession la plus rare, dans la mesure où elle ne pourra jouer que dans les hypothèses où, d’une part, la règle « en fait de meuble possession vaut titre » ne pourra pas s’appliquer et, d’autre part, lorsqu’aucune convention n’aura été conclu entre les biens qui ont vocation à s’unir.

À l’examen, l’accession mobilière ne jouera que dans des hypothèses résiduelles d’incorporation qui ne sont pas réglées par une convention, ni n’entrent en concours avec l’effet acquisitif attaché à la possession.

C’est seulement dans cet espace, qui n’est pas que théorique, mais qui demeure restreint, que les règles énoncées aux articles 565 et suivants du Code civil ont vocation à s’appliquer.

À cet égard, ces dispositions ne règlent que l’incorporation d’un meuble à un autre meuble. Lorsqu’un meuble est incorporé à un immeuble, ce sont les règles de l’accession immobilière qui ont vocation à s’appliquer.

Par ailleurs, l’article 565 du Code civil après avoir énoncé à son alinéa 1er que « le droit d’accession, quand il a pour objet deux choses mobilières appartenant à deux maîtres différents, est entièrement subordonné aux principes de l’équité naturelle » précise en son second alinéa que « les règles suivantes serviront d’exemple au juge pour se déterminer, dans les cas non prévus, suivant les circonstances particulières. »

Il ressort de cette disposition que le législateur autorise le juge à se déterminer en considération des « principes de l’équité naturelle » en dehors des cas d’accession mobilière non envisagés par les articles 567 à 577 du Code civil.

Si lors de l’entrée en vigueur du Code civil, ce renvoi aux « principes de l’équité naturelle » était sans application pratique dans la mesure où toutes les hypothèses d’incorporation de meuble à meuble étaient couvertes par les textes, il est désormais susceptible de présenter un intérêt lorsqu’il s’agit d’envisager une extension de l’accession mobilière aux choses incorporelles.

Il est, en effet, soutenu, par une partie de la doctrine que l’article 565, de par sa généralité, ne distinguerait pas selon que la chose objet de l’incorporation est corporelle ou incorporelle.

Aussi, les biens tels qu’une œuvre de l’esprit, une marque ou encore une créance seraient, selon certains auteurs, susceptibles d’être soumis aux techniques de l’accession mobilière.

En tout état de cause, l’accession opérera différemment selon les formes qu’elle revêtira, tout en étant soumise à un régime juridique commun.

I) Les formes d’accession mobilières

La loi en distingue trois formes d’accession mobilière :

A) L’adjonction

  1. Notion

L’adjonction correspond, selon l’article 566 du Code civil, à l’hypothèse où deux choses appartenant à différents maîtres ont été unies de manière à former un tout, mais restent néanmoins séparables, en sorte que l’une puisse subsister sans l’autre.

Un auteur précise que « le tout créé est davantage que la somme des différents éléments assemblés, car il tire avantage non seulement de chacune des deux substances ainsi unies, mais aussi de l’effet spécifique de la réunion »[1].

L’adjonction se produit lorsque, par exemple, un tableau est associé à un cadre, un téléphone mobile est protégé par un étui ou encore une épée est déposée dans son fourreau.

L’ensemble forme un tout qui, par l’effet d’une manœuvre qui ne risque pas d’endommager l’une des deux choses, demeure sécable.

2. Règles d’attribution de la propriété

La question qui se pose ici est de savoir à qui revient la propriété du tout ? Pour le déterminer il convient de se référer aux articles 566 à 569 du Code civil qui fixent le régime de l’adjonction.

==> Le principe de l’accessoire

L’article 566 in fine du Code civil dispose que « le tout appartient au maître de la chose qui forme la partie principale, à la charge de payer à l’autre la valeur, estimée à la date du paiement, de la chose qui a été unie. »

Ainsi, cette disposition s’en remet à la règle de l’accessoire pour déterminer à quel propriétaire des biens objets de l’adjonction revient la propriété du tout.

Pour mémoire, selon cette règle, l’accessoire suit le principal de sorte que c’est le propriétaire du bien constitue ce principal auquel est attribué la propriété de l’ensemble.

Si, a priori, la règle ainsi énoncée est simple, elle se complique lorsqu’il s’agit de déterminer quel bien doit être qualifié de principal et quel bien endosse le statut d’accessoire.

Lorsque l’adjonction consiste à unir un tableau à son cadre, l’exercice ne soulève pas de difficulté particulière.

Quid, en revanche, de l’hypothèse où il s’agit d’unir deux pierres précieuses entre elles ? Est-ce le propriétaire du diamant ou de l’émeraude ?

==> Règles de conflit

Par chance, le Code civil prévoit aux articles 567 et 569 des règles de résolution des conflits qui ont vocation à s’appliquer alternativement

==> Mise en œuvre

B) La spécification

  1. Notion

La spécification correspond à l’hypothèse de la création d’une chose nouvelle par le travail d’une personne qui a œuvré à partir d’un bien meuble initial qui ne lui appartenait pas.

Pour illustrer cette forme de spécification Demolombe prend l’exemple de l’orfèvre qui, à partir de l’or qu’on lui donne en fait un flambeau. Il y a encore spécification lorsque, à partir d’une pièce de bois, le menuisier en fait une table ou lorsqu’à partir d’un bloc de marbre, le statuaire en fait un apollon.

À la différence de l’adjonction ou du mélange, il ne s’agit pas ici d’unir plusieurs biens qui appartiendraient à des propriétaires différents, mais d’en créer un nouveau à partir d’un bien initial par le travail d’une personne qui n’en est pas le propriétaire.

Aussi, le conflit qui est susceptible de naître de cette situation oppose non pas deux propriétaires qui se disputeraient la propriété du bien formé à partir des choses qu’ils auraient apportées, mais un propriétaire, celui du bien qui a été transformé, et la personne (ouvrier, artisan etc) qui a fourni sa force de travail pour transformer le bien.

Pour résoudre ce conflit, le Code civil a prescrit des règles qui envisagent le cas de la spécification.

Ces règles n’auront toutefois vocation à s’appliquer qu’en dehors de toute relation contractuelle.

Lorsque, en effet, le bien a été créé dans le cadre de l’exécution d’un contrat de travail par exemple, c’est ce contrat qui réglera la question de l’attribution de la propriété. Les règles de l’accession seront automatiquement écartées.

2. Règles d’attribution de la propriété

La question qui se pose ici est de savoir à qui revient la propriété du bien transformé ? Doit-elle revenir à celui qui a fourni la matière ou à celui qui a fourni sa force de travail ?

Le régime de l’accession par spécification est fixé aux articles 570 et 572 du Code civil. Il ressort de la combinaison de ces dispositions qu’il y a lieu de distinguer deux situations :

a) Le travailleur qui a transformé le bien n’a fourni que sa seule force de travail

==> Principe

L’article 570 du Code civil prévoit que « si un artisan ou une personne quelconque a employé une matière qui ne lui appartenait pas à former une chose d’une nouvelle espèce, soit que la matière puisse ou non reprendre sa première forme, celui qui en était le propriétaire a le droit de réclamer la chose qui en a été formée en remboursant le prix de la main-d’œuvre estimée à la date du remboursement. »

Il ressort de cette disposition que c’est au propriétaire de la matière que revient la propriété du bien nouvellement créé à partir de cette dernière.

En contrepartie de cette attribution du bien, il devra indemniser celui qui a fourni son industrie. La raison en est que nul ne peut s’enrichir aux dépens d’autrui, raison pour laquelle il y a lieu de « rembourser le prix de la main-d’œuvre ».

Reste que les rédacteurs du Code civil ont entendu faire prévaloir la matière sur l’industrie. À cet égard, il est indifférent que la chose transformée puisse faire l’objet d’une remise en état sans que cela ne génère des inconvénients.

==> Exception

L’article 571 du Code civil dispose que si « la main-d’œuvre était tellement importante qu’elle surpassât de beaucoup la valeur de la matière employée, l’industrie serait alors réputée la partie principale, et l’ouvrier aurait le droit de retenir la chose travaillée, en remboursant au propriétaire le prix de la matière, estimée à la date du remboursement. »

Ainsi, la propriété du bien transformé peut revenir à celui qui a fourni son industrie à la condition que celle-ci surpasse « de beaucoup » la valeur de la matière employée.

Le texte fait ici application de la règle de l’accessoire en réputant la main œuvre comme la partie principale du bien nouveau lorsque sa création procède moins de la fourniture de la matière que de la fourniture de l’industrie ; encore qu’il est ici exigé l’existence d’une différence importante quant à la part contributive de chaque prestation.

Autrement dit, pour que le travailleur conserve la propriété du bien créé, il est nécessaire que le travail qui a été fourni pour la transformation de la matière soit sans commune mesure avec la valeur de cette dernière.

L’appréciation du rapport main-d’œuvre / valeur de la matière relève du pouvoir d’appréciation du juge du fond qui devront donc déterminer si l’industrie fournir par le travail est tellement importante qu’elle surpasse « de beaucoup » la valeur de la matière employée.

En tout état de cause, lorsque la propriété du bien nouvellement créé revient au travailleur, il lui appartiendra de rembourser au propriétaire le prix de la matière, estimée à la date du remboursement.

Afin de déterminer le prix, il y aura lieu de se référer à celui pratiqué sur le marché au jour du remboursement.

b) Le travailleur qui a transformé le bien a fourni sa force de travail et de la matière

==> Principe

L’article 572 du Code civil prévoit que « lorsqu’une personne a employé en partie la matière qui lui appartenait et en partie celle qui ne lui appartenait pas à former une chose d’une espèce nouvelle, sans que ni l’une ni l’autre des deux matières soit entièrement détruite, mais de manière qu’elles ne puissent pas se séparer sans inconvénient, la chose est commune aux deux propriétaires, en raison, quant à l’un, de la matière qui lui appartenait, quant à l’autre, en raison à la fois et de la matière qui lui appartenait et du prix de sa main-d’œuvre. Le prix de la main-d’œuvre est estimé à la date de la licitation prévue à l’article 575 ».

Ainsi, cette disposition envisage l’hypothèse où le travailleur n’a pas seulement fourni sa force de travail pour la création du bien, il a également apporté de la matière dont il était propriétaire.

La règle posée par l’article 572 instaure une indivision sur le bien nouvellement créé entre le travailleur et le propriétaire qui a apporté une partie de la matière qui a été employée.

La quote-part qui revient à chacun est proportionnelle à la valeur de ce qui a été fourni :

Toutefois, parce que nul ne peut être maintenu en division, il pourra toujours être fait application de l’article 575 du Code civil qui autorise un partage du bien indivis en valeur par voie de licitation.

Par ailleurs, le principe énoncé par l’article 572 n’a vocation à s’appliquer qu’autant que la situation ne relève pas des autres cas de spécification envisagés aux articles 570 et 571 du Code civil. Lorsque tel sera le cas, il conviendra de combiner ces dispositions.

==> Variantes

Pour Demolombe, afin de déterminer la solution applicable en cas de spécification d’un bien, il y a lieu, en application de 572 du Code civil combiné avec les articles 570 et 571 de distinguer trois hypothèses :

C) Le mélange

  1. Notion

Le mélange correspond à l’hypothèse où la chose formée procède d’une association de plusieurs matières appartenant à différents propriétaires, mais dont aucune ne peut être regardée comme la matière principale et dont la séparation, une fois combinées, s’avère difficile, sinon impossible.

Pour illustrer cette forme d’accession, Demolombe a écrit que le « blé qui m’appartenait, a été, sans mon consentement, confondu avec le blé de Paul, soit fortuitement, soit par le fait de Paul lui-même ou d’un tiers, ou bien c’est mon vin qui a été mêlé avec son vin ; Ou encore, un lingot, qui était à moi, a été fondu avec le lingot qui appartenait à Paul ».

Le mélange intéresse ainsi tout particulièrement les choses fongibles, soit celles qui ne possèdent pas d’individualité propre, car sont de même espèce et qualité. Une fois confondues, leur séparation n’est pas sans soulever d’inconvénients qui peuvent s’avérer insurmontables.

C’est la raison pour laquelle le Code civil prescrit des règles qui visent à déterminer à quel propriétaire il convient d’attribuer le bien qui résulte des différentes matières mélangées.

2. Règles d’attribution de la propriété

Le régime de l’accession par mélange est fixé aux articles 573 et 574 du Code civil. Il s’articule autour d’un principe qui est assorti d’une exception.

==> Principe

L’article 573 alinéa 1er du Code civil prévoit que « lorsqu’une chose a été formée par le mélange de plusieurs matières appartenant à différents propriétaires, mais dont aucune ne peut être regardée comme la matière principale, si les matières peuvent être séparées, celui à l’insu duquel les matières ont été mélangées peut en demander la division. »

Il ressort de cette disposition qu’il y a lieu de distinguer selon qu’il est ou non possible d’identifier parmi les matières qui ont été mélangées laquelle peut être regardée comme l’élément principal du bien nouvellement créé.

==> Exception

Répondant à la même logique que l’article 568 applicable à l’accession par adjonction, l’article 574 du Code civil prévoit que « si la matière appartenant à l’un des propriétaires était de beaucoup supérieure à l’autre par la quantité et le prix, en ce cas le propriétaire de la matière supérieure en valeur pourrait réclamer la chose provenue du mélange en remboursant à l’autre la valeur de sa matière, estimée à la date du remboursement. »

Par exception à la règle posée à l’article 573, le propriétaire de la matière « de beaucoup supérieure à l’autre par la quantité et le prix » est donc autorisé, en toute hypothèse, soit indépendamment de la règle de l’accessoire et du caractère ou non sécable du bien issu du mélange, à s’en réserver, pour lui seul, la propriété.

En contrepartie de cette réservation, il devra néanmoins rembourser aux autres propriétaires la valeur de leur matière, estimée à la date du remboursement.

Il n’est ainsi question ici, ni de partage en nature, ni de d’indivision, mais d’une attribution pleine et entière du bien nouvellement créée à un seul des propriétaires.

II) Le régime général de l’accession mobilière

Si l’accession mobilière peut emprunter plusieurs formes au nombre desquelles figurent, l’adjonction, la spécification et le mélange, elle demeure soumise à des règles communes qui s’appliquent en toute hypothèse.

[1] S. Becquet, Le bien industriel, LDGJ 2005, Bibl. dr. privé, t. 448, n°54

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