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L’accession mobilière par spécification

L’accession mobilière est de loin la forme d’accession la plus rare, dans la mesure où elle ne pourra jouer que dans les hypothèses où, d’une part, la règle « en fait de meuble possession vaut titre » ne pourra pas s’appliquer et, d’autre part, lorsqu’aucune convention n’aura été conclu entre les biens qui ont vocation à s’unir.

À l’examen, l’accession mobilière ne jouera que dans des hypothèses résiduelles d’incorporation qui ne sont pas réglées par une convention, ni n’entrent en concours avec l’effet acquisitif attaché à la possession.

C’est seulement dans cet espace, qui n’est pas que théorique, mais qui demeure restreint, que les règles énoncées aux articles 565 et suivants du Code civil ont vocation à s’appliquer.

À cet égard, ces dispositions ne règlent que l’incorporation d’un meuble à un autre meuble. Lorsqu’un meuble est incorporé à un immeuble, ce sont les règles de l’accession immobilière qui ont vocation à s’appliquer.

Par ailleurs, l’article 565 du Code civil après avoir énoncé à son alinéa 1er que « le droit d’accession, quand il a pour objet deux choses mobilières appartenant à deux maîtres différents, est entièrement subordonné aux principes de l’équité naturelle » précise en son second alinéa que « les règles suivantes serviront d’exemple au juge pour se déterminer, dans les cas non prévus, suivant les circonstances particulières. »

Il ressort de cette disposition que le législateur autorise le juge à se déterminer en considération des « principes de l’équité naturelle » en dehors des cas d’accession mobilière non envisagés par les articles 567 à 577 du Code civil.

Si lors de l’entrée en vigueur du Code civil, ce renvoi aux « principes de l’équité naturelle » était sans application pratique dans la mesure où toutes les hypothèses d’incorporation de meuble à meuble étaient couvertes par les textes, il est désormais susceptible de présenter un intérêt lorsqu’il s’agit d’envisager une extension de l’accession mobilière aux choses incorporelles.

Il est, en effet, soutenu, par une partie de la doctrine que l’article 565, de par sa généralité, ne distinguerait pas selon que la chose objet de l’incorporation est corporelle ou incorporelle.

Aussi, les biens tels qu’une œuvre de l’esprit, une marque ou encore une créance seraient, selon certains auteurs, susceptibles d’être soumis aux techniques de l’accession mobilière.

En tout état de cause, l’accession opérera différemment selon les formes qu’elle revêtira, tout en étant soumise à un régime juridique commun.

La loi en distingue trois formes d’accession mobilière :

Nous nous focaliserons ici sur l’accession par spécification.

  1. Notion

La spécification correspond à l’hypothèse de la création d’une chose nouvelle par le travail d’une personne qui a œuvré à partir d’un bien meuble initial qui ne lui appartenait pas.

Pour illustrer cette forme de spécification Demolombe prend l’exemple de l’orfèvre qui, à partir de l’or qu’on lui donne en fait un flambeau. Il y a encore spécification lorsque, à partir d’une pièce de bois, le menuisier en fait une table ou lorsqu’à partir d’un bloc de marbre, le statuaire en fait un apollon.

À la différence de l’adjonction ou du mélange, il ne s’agit pas ici d’unir plusieurs biens qui appartiendraient à des propriétaires différents, mais d’en créer un nouveau à partir d’un bien initial par le travail d’une personne qui n’en est pas le propriétaire.

Aussi, le conflit qui est susceptible de naître de cette situation oppose non pas deux propriétaires qui se disputeraient la propriété du bien formé à partir des choses qu’ils auraient apportées, mais un propriétaire, celui du bien qui a été transformé, et la personne (ouvrier, artisan etc) qui a fourni sa force de travail pour transformer le bien.

Pour résoudre ce conflit, le Code civil a prescrit des règles qui envisagent le cas de la spécification.

Ces règles n’auront toutefois vocation à s’appliquer qu’en dehors de toute relation contractuelle.

Lorsque, en effet, le bien a été créé dans le cadre de l’exécution d’un contrat de travail par exemple, c’est ce contrat qui réglera la question de l’attribution de la propriété. Les règles de l’accession seront automatiquement écartées.

2. Règles d’attribution de la propriété

La question qui se pose ici est de savoir à qui revient la propriété du bien transformé ? Doit-elle revenir à celui qui a fourni la matière ou à celui qui a fourni sa force de travail ?

Le régime de l’accession par spécification est fixé aux articles 570 et 572 du Code civil. Il ressort de la combinaison de ces dispositions qu’il y a lieu de distinguer deux situations :

a) Le travailleur qui a transformé le bien n’a fourni que sa seule force de travail

==> Principe

L’article 570 du Code civil prévoit que « si un artisan ou une personne quelconque a employé une matière qui ne lui appartenait pas à former une chose d’une nouvelle espèce, soit que la matière puisse ou non reprendre sa première forme, celui qui en était le propriétaire a le droit de réclamer la chose qui en a été formée en remboursant le prix de la main-d’œuvre estimée à la date du remboursement. »

Il ressort de cette disposition que c’est au propriétaire de la matière que revient la propriété du bien nouvellement créé à partir de cette dernière.

En contrepartie de cette attribution du bien, il devra indemniser celui qui a fourni son industrie. La raison en est que nul ne peut s’enrichir aux dépens d’autrui, raison pour laquelle il y a lieu de « rembourser le prix de la main-d’œuvre ».

Reste que les rédacteurs du Code civil ont entendu faire prévaloir la matière sur l’industrie. À cet égard, il est indifférent que la chose transformée puisse faire l’objet d’une remise en état sans que cela ne génère des inconvénients.

==> Exception

L’article 571 du Code civil dispose que si « la main-d’œuvre était tellement importante qu’elle surpassât de beaucoup la valeur de la matière employée, l’industrie serait alors réputée la partie principale, et l’ouvrier aurait le droit de retenir la chose travaillée, en remboursant au propriétaire le prix de la matière, estimée à la date du remboursement. »

Ainsi, la propriété du bien transformé peut revenir à celui qui a fourni son industrie à la condition que celle-ci surpasse « de beaucoup » la valeur de la matière employée.

Le texte fait ici application de la règle de l’accessoire en réputant la main œuvre comme la partie principale du bien nouveau lorsque sa création procède moins de la fourniture de la matière que de la fourniture de l’industrie ; encore qu’il est ici exigé l’existence d’une différence importante quant à la part contributive de chaque prestation.

Autrement dit, pour que le travailleur conserve la propriété du bien créé, il est nécessaire que le travail qui a été fourni pour la transformation de la matière soit sans commune mesure avec la valeur de cette dernière.

L’appréciation du rapport main-d’œuvre / valeur de la matière relève du pouvoir d’appréciation du juge du fond qui devront donc déterminer si l’industrie fournir par le travail est tellement importante qu’elle surpasse « de beaucoup » la valeur de la matière employée.

En tout état de cause, lorsque la propriété du bien nouvellement créé revient au travailleur, il lui appartiendra de rembourser au propriétaire le prix de la matière, estimée à la date du remboursement.

Afin de déterminer le prix, il y aura lieu de se référer à celui pratiqué sur le marché au jour du remboursement.

b) Le travailleur qui a transformé le bien a fourni sa force de travail et de la matière

==> Principe

L’article 572 du Code civil prévoit que « lorsqu’une personne a employé en partie la matière qui lui appartenait et en partie celle qui ne lui appartenait pas à former une chose d’une espèce nouvelle, sans que ni l’une ni l’autre des deux matières soit entièrement détruite, mais de manière qu’elles ne puissent pas se séparer sans inconvénient, la chose est commune aux deux propriétaires, en raison, quant à l’un, de la matière qui lui appartenait, quant à l’autre, en raison à la fois et de la matière qui lui appartenait et du prix de sa main-d’œuvre. Le prix de la main-d’œuvre est estimé à la date de la licitation prévue à l’article 575 ».

Ainsi, cette disposition envisage l’hypothèse où le travailleur n’a pas seulement fourni sa force de travail pour la création du bien, il a également apporté de la matière dont il était propriétaire.

La règle posée par l’article 572 instaure une indivision sur le bien nouvellement créé entre le travailleur et le propriétaire qui a apporté une partie de la matière qui a été employée.

La quote-part qui revient à chacun est proportionnelle à la valeur de ce qui a été fourni :

Toutefois, parce que nul ne peut être maintenu en division, il pourra toujours être fait application de l’article 575 du Code civil qui autorise un partage du bien indivis en valeur par voie de licitation.

Par ailleurs, le principe énoncé par l’article 572 n’a vocation à s’appliquer qu’autant que la situation ne relève pas des autres cas de spécification envisagés aux articles 570 et 571 du Code civil. Lorsque tel sera le cas, il conviendra de combiner ces dispositions.

==> Variantes

Pour Demolombe, afin de déterminer la solution applicable en cas de spécification d’un bien, il y a lieu, en application de 572 du Code civil combiné avec les articles 570 et 571 de distinguer trois hypothèses :

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