Le Droit dans tous ses états

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Tierce opposition et report de la date de cessation des paiements (Cass. com. 14 juin 2017)

Par un arrêt du 14 juin 2017, la Cour de cassation a estimé que la tierce opposition, qu’elle soit formée à titre incident, à l’encontre d’un jugement prononçant le report de la cessation des paiements était soumise au délai de 10 jours prévu à l’article R. 661-2 du Code de commerce, par dérogation au droit commun.

  • Faits
    • Par jugement du 25 juillet 2008, une procédure de sauvegarde a été ouverte à l’égard d’une société dont les difficultés se sont par la suite aggravées.
    • Cette procédure a été convertie en redressement judiciaire le 28 novembre 2008, à la suite de quoi, par jugement du 15 mai 2009, publié au BODACC le 17 juin suivant, la date de la cessation des paiements a, finalement, été reportée au 1er juin 2007
    • Après le prononcé de la liquidation judiciaire, le 24 juillet 2009, le liquidateur a assigné un créancier en annulation d’un prêt qu’il avait consenti à la société débitrice le 22 juin 2007
    • Par jugement du 20 septembre 2012, il est fait droit à sa demande : le prêt est annulé
  • Demande
    • La société prêteuse forme alors tierce opposition incidente au jugement de report, afin d’échapper à la nullité qui prenait assise sur la conclusion du contrat de prêt au cours de la période suspecte.
  • Procédure
    • Par un arrêt du 22 juin 2015, la Cour d’appel de Riom a déclaré la tierce opposition formée par le créancier irrecevable
    • Les juges du fond estiment que l’action de ce dernier n’avait pas été exercée dans le délai imparti, soit, conformément à l’article R. 661-2 du Code de commerce dans un délai de 10 jours à compter du prononcé de la décision.
  • Moyen
    • Au soutien de son pourvoi, le créancier considère qu’il était parfaitement recevable à agir, nonobstant l’expiration du délai de 10 jours.
    • Selon lui, lorsque la tierce opposition est formée de manière incidente, son action est perpétuelle
    • L’article 586 du Code de procédure civile dispose en ce sens que si la tierce opposition « est ouverte à titre principal pendant trente ans à compter du jugement à moins que la loi n’en dispose autrement» (alinéa 1er), elle « peut être formée sans limitation de temps contre un jugement produit au cours d’une autre instance par celui auquel on l’oppose. » (alinéa 2e)
  • Solution
    • Par un arrêt du 14 juin 2017, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le créancier
    • Bien que l’argument avancé par ce dernier fût pour le moins convaincant, la chambre commerciale estime que « la cour d’appel a exactement retenu que l’article R. 661-2 du code de commerce, qui fixe les conditions d’exercice de la tierce opposition contre les décisions rendues en matière de redressement ou de liquidation judiciaires, est exclusif des règles de droit commun, que la tierce opposition soit principale ou incidente».
    • Autrement dit, pour la Cour de cassation l’article R. 661-2 du Code de commerce dérogerait à l’application de l’article 586 du Code civil qui, d’ailleurs, précise s’agissant de la tierce opposition formée à titre principal que le délai de 30 ans s’applique « à moins que la loi n’en dispose autrement.»
    • Le caractère « supplétif » de l’alinéa 1er de l’article 586 du Code civil est ainsi étendu à la tierce opposition incidente.
    • Autre apport de l’arrêt qui mérite d’être relevé, la Cour de cassation affirme que « un créancier, informé par la publication au BODACC d’un jugement de report de la date de cessation des paiements, qui est susceptible d’avoir une incidence sur ses droits en application des dispositions des articles L. 632-1 et L. 632-2 du code de commerce, a, dès cette date, un intérêt à former tierce opposition à cette décision»
    • L’auteur du pourvoi soutenait quant à lui que « est recevable la tierce opposition incidente formée par un créancier à l’encontre d’un jugement reportant la date de cessation des paiements rendu en fraude de ses droits à l’occasion de l’action en nullité facultative (art. L. 632-2 c. com.) d’un acte passé au cours de la période suspecte introduite après l’expiration du délai de dix jours de l’article R. 661-2 du code de commerce pour agir en tierce opposition, période au cours de laquelle le créancier était dépourvu d’intérêt à agir ».
    • Ainsi, pour la chambre commerciale, contrairement à l’argument avancé par le créancier, celui-ci avait intérêt à agir dès la date de publication du jugement prononçant le report de la cessation des paiements.

Cass. com. 14 juin 2017

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Riom, 22 juillet 2015), que le tribunal de commerce a ouvert une procédure de sauvegarde à l’égard de la société 2G moto passion (la société débitrice) le 25 juillet 2008 et a converti la procédure en redressement judiciaire le 28 novembre 2008 ; que, par un jugement du 15 mai 2009, publié au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC) le 17 juin suivant, il a reporté la date de la cessation des paiements au 1er juin 2007 ; qu’après le prononcé de la liquidation judiciaire, le 24 juillet 2009, le liquidateur a assigné la société AZ en annulation d’un prêt qu’elle avait consenti à la société débitrice le 22 juin 2007 ; qu’ayant fait appel du jugement du 20 septembre 2012 qui avait annulé le prêt, la société AZ a formé tierce opposition incidente au jugement de report ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société AZ fait grief à l’arrêt de déclarer sa tierce opposition irrecevable alors, selon le moyen :
1°/ toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement ; d’où il suit qu’est recevable la tierce opposition incidente formée par un créancier à l’encontre d’un jugement reportant la date de cessation des paiements rendu en fraude de ses droits à l’occasion de l’action en nullité facultative (art. L. 632-2 c. com.) d’un acte passé au cours de la période suspecte introduite après l’expiration du délai de dix jours de l’article R. 661-2 du code de commerce pour agir en tierce opposition, période au cours de laquelle le créancier était dépourvu d’intérêt à agir ; qu’ainsi, en déclarant irrecevable pour tardiveté la tierce opposition incidente formée par la société AZ, fondée sur la fraude, contre le jugement du 15 mai 2009, publié au BODACC le 17 juin 2009, ayant reporté la date de cessation des paiements de la société 2G moto passion au 1er juin 2007 quand l’action en nullité du prêt en date du 22 juin 2007 fondée sur l’article L. 632-2 du code de commerce avait été introduite par M. Pétavy en qualité de liquidateur judiciaire de la société 2G moto passion, par acte du 19 mars 2010, et que l’intérêt à agir en tierce opposition ne naissait qu’à cette date, la cour d’appel a privé la société AZ de son droit d’accès au juge et violé l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ensemble les articles 31, 583 et 586, alinéa 2, du code de procédure civile ;
2°/ que la tierce opposition incidente exercée après l’expiration du délai pour former tierce opposition principale est perpétuelle ; d’où il suit qu’en enfermant la tierce opposition incidente formée par la société AZ au délai de dix jours de l’article R. 661-2 du code de commerce, quand elle n’était soumise à aucun délai, la cour d’appel a violé ledit texte par fausse application et 586, alinéa 2, du code civil par refus d’application ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d’appel a exactement retenu que l’article R. 661-2 du code de commerce, qui fixe les conditions d’exercice de la tierce opposition contre les décisions rendues en matière de redressement ou de liquidation judiciaires, est exclusif des règles de droit commun, que la tierce opposition soit principale ou incidente ;
Et attendu, en second lieu, qu’un créancier, informé par la publication au BODACC d’un jugement de report de la date de cessation des paiements, qui est susceptible d’avoir une incidence sur ses droits en application des dispositions des articles L. 632-1 et L. 632-2 du code de commerce, a, dès cette date, un intérêt à former tierce opposition à cette décision ; que le grief de la première branche, qui postule le contraire, manque en droit ;
D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;

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