Attribution préférentielle: effets

L’attribution préférentielle constitue une modalité d’allotissement. Elle ne confère pas immédiatement la propriété du bien à l’attributaire, mais lui assure qu’il lui sera dévolu lors de la division définitive des actifs indivis. Cette intégration dans son lot s’effectue sous réserve du respect de l’équilibre du partage, ce qui peut impliquer le versement d’une soulte destinée à compenser les droits des autres indivisaires.

A) L’intégration du bien dans le lot de l’attributaire

L’attribution préférentielle constitue une modalité particulière d’allotissement permettant à un indivisaire de se voir attribuer un bien spécifique en priorité, sous réserve du respect de certaines conditions. Elle ne confère cependant pas immédiatement à son bénéficiaire la pleine propriété du bien en cause. Tant que le partage n’a pas été définitivement consommé, l’attributaire demeure soumis au régime de l’indivision, avec toutes les conséquences qui en découlent.

Ce régime transitoire implique notamment que l’attributaire ne puisse exercer sur le bien l’ensemble des prérogatives du propriétaire exclusif, qu’il s’agisse de l’administration, de la disposition ou encore de l’exploitation du bien. Toutefois, une fois le partage clôturé, l’attribution préférentielle produit un effet déclaratif qui consolide rétroactivement les droits de l’attributaire, lui reconnaissant une pleine propriété réputée acquise dès l’ouverture de l’indivision.

1. L’acquisition des droits attachés au bien

L’attribution préférentielle constitue un mode particulier d’allotissement dans le cadre du partage successoral ou de l’indivision. Son bénéficiaire ne devient pas immédiatement propriétaire du bien qui lui est attribué, mais acquiert un droit à en recevoir la pleine propriété lors de la division définitive des actifs. Tant que le partage n’est pas consommé, le bien demeure juridiquement soumis au régime de l’indivision, avec toutes les conséquences que cela implique.

Ainsi, jusqu’à la clôture des opérations de partage:

  • L’attributaire ne détient qu’un droit provisoire sur le bien, sans pour autant pouvoir se comporter comme un propriétaire exclusif ;
  • Il ne peut en disposer seul, notamment par voie de cession ou d’hypothèque, sauf à recueillir le consentement des autres indivisaires ou à obtenir une homologation judiciaire ;
  • Le bien attribué reste régi par les règles de l’indivision, impliquant notamment que les actes de disposition nécessitent l’accord unanime des indivisaires ou une majorité qualifiée (art. 815-3 C. civ.).

Cependant, une fois le partage définitivement consommé, l’attribution préférentielle produit un effet déclaratif et rétroactif. En vertu du principe de l’effet déclaratif du partage, le bien est réputé avoir toujours appartenu à l’attributaire depuis l’ouverture de l’indivision, sans qu’il y ait eu transmission de propriété à proprement parler (art. 883 C. civ.). 

Il s’ensuit que l’attributaire peut exercer sur le bien tous les droits attachés à la pleine propriété, sans avoir à justifier d’un titre de transfert. 

2. L’estimation des biens

L’intégration du bien dans le lot de l’attributaire suppose nécessairement une évaluation rigoureuse, visant à préserver l’égalité entre les indivisaires. L’article 832-4 du Code civil fixe à cet égard une règle fondamentale : la valeur du bien doit être déterminée à la date de la jouissance divise, qui doit être la plus proche possible du jour du partage effectif.

L’évaluation du bien repose sur plusieurs critères:

  • La valeur vénale du bien au jour du partage
    • Il convient de tenir compte des prix du marché et de l’état du bien au moment où l’attributaire en prend possession exclusive.
    • Cette évaluation exclut toute spéculation sur des hausses futures du marché ou sur des facteurs incertains.
  • L’état du bien et les éventuelles modifications survenues durant l’indivision
    • Si le bien s’est détérioré ou a été amélioré au cours de l’indivision, il faut distinguer l’origine de ces changements :
      • Les plus-values résultant d’événements fortuits (ex. : revalorisation du quartier, travaux publics alentour) profitent à l’indivision.
      • Celles issues d’initiatives personnelles de l’attributaire lui reviennent, sous réserve d’une indemnisation éventuelle due aux coindivisaires.
      • À l’inverse, les moins-values imputables à la négligence de l’attributaire devront être prises en compte à son détriment.
  • La prise en compte des charges et impenses engagées par l’attributaire
    • L’attributaire préférentiel, bien que destiné à devenir propriétaire du bien qui lui est attribué, ne peut prétendre à la pleine jouissance privative de celui-ci avant la clôture définitive des opérations de partage. 
    • Durant cette période transitoire, le bien demeure indivis et soumis aux règles gouvernant l’indivision (art. 832 et 1476 C. civ.).
    • Cette situation a des conséquences directes sur la prise en charge des dépenses relatives au bien. 
    • Conformément à l’article 815-13 du Code civil, lorsqu’un indivisaire a assumé des frais de conservation et de gestion sur un bien indivis, il peut en obtenir remboursement, sous réserve d’une appréciation en équité. 
    • Ce remboursement est évalué au regard :
      • Des dépenses effectivement engagées par l’indivisaire ;
      • De la plus-value conférée au bien, appréciée à la date du partage.
    • Ainsi, si l’attributaire a financé des travaux d’amélioration (rénovation, agrandissement, modernisation du bien), il peut prétendre à une indemnisation équitable dès lors que ces investissements ont contribué à valoriser le bien indivis. 
    • À l’inverse, si le bien a fait l’objet d’une dégradation imputable à l’attributaire, celui-ci devra indemniser la masse indivise pour le préjudice causé.
    • Un arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 mars 1990 illustre précisément ces principes. 
    • Dans cette affaire, la Première chambre civile a censuré une cour d’appel qui avait considéré que les travaux financés par l’attributaire préférentiel après un jugement d’attribution de 1979 devaient rester à sa charge, au motif qu’il était devenu propriétaire du bien par le seul effet de ce jugement. 
    • La Haute juridiction rappelle au contraire que le bien demeure indivis jusqu’au partage, et que l’attributaire, à ce titre, doit pouvoir obtenir la prise en compte des dépenses qu’il a engagées pour sa conservation et son amélioration (Cass. 1re civ., 20 mars 1990, n°88-16.847).
    • Ce principe s’articule avec l’exigence d’une évaluation correcte du bien au jour du partage. 
    • Dans le même arrêt, la Cour a cassé une décision qui avait prescrit une simple réactualisation de la valeur du bien sur la base d’un indice du coût de la construction, rappelant que l’estimation du bien doit être réalisée à la date effective du partage, et non sur la base d’une indexation mécanique.
    • Dès lors, toute dépense engagée par l’attributaire sur le bien indivis doit être analysée au regard de ses effets sur la valeur du bien. 
    • Cette appréciation suppose une distinction entre :
      • Les dépenses nécessaires à la conservation du bien, qui doivent être remboursées ;
      • Les dépenses d’amélioration, qui peuvent donner lieu à une indemnisation si elles ont généré une plus-value ;
      • Les détériorations fautives, qui doivent être compensées par l’attributaire au bénéfice de la masse indivise.

Enfin, l’évaluation du bien attribué constitue un enjeu fondamental pour l’équilibre du partage. Si la valeur du bien correspond ou est inférieure aux droits de l’attributaire dans la masse partageable, elle s’impute simplement sur sa part, sans qu’aucune compensation supplémentaire ne soit requise. En revanche, lorsque la valeur du bien excède ses droits, l’attributaire doit verser une soulte aux autres indivisaires afin de rétablir l’équité. Cette compensation s’effectue généralement en numéraire, mais elle peut également prendre la forme d’une dation en paiement, sous réserve de l’accord des parties et des conditions légales applicables.

La rigueur de cette estimation revêt une importance d’autant plus grande que des contestations peuvent surgir ultérieurement. La jurisprudence admet ainsi qu’une réévaluation du bien puisse être sollicitée, notamment lorsque la valeur retenue lors de l’attribution initiale apparaît obsolète au moment du partage effectif (Civ. 1re, 4 janv. 1980, Bull. civ. I, no 9 ; Civ. 1re, 28 avr. 1986, Bull. civ. I, no 105). Toutefois, une telle révision ne saurait être fondée sur des considérations purement spéculatives : elle suppose la démonstration de circonstances objectives ayant substantiellement modifié la valeur du bien depuis son évaluation initiale.

Dans un arrêt du 4 janvier 1980, la Cour de cassation a jugé avec rigueur que l’évaluation d’un bien attribué préférentiellement devait être stabilisée et ne pouvait faire l’objet d’une révision qu’en présence de circonstances économiques objectives ayant substantiellement modifié sa valeur depuis la première estimation (Cass. 1re civ., 4 janv. 1980, n°78-13.596). En l’espèce, une héritière sollicitait la réactualisation de la valeur d’immeubles successoraux, estimant que la fixation opérée en 1975, lors de leur attribution préférentielle, ne correspondait plus à leur valeur réelle au moment du partage. La Cour de cassation rejeta cette demande, rappelant que la valeur des biens attribués doit être déterminée à une date aussi proche que possible du partage et qu’en l’absence de disposition contraire, l’évaluation arrêtée par la décision initiale s’imposait avec l’autorité de la chose jugée.

Cette solution met en évidence une distinction essentielle :

  • Lorsque le partage n’est pas encore définitivement arrêté, une réévaluation peut être envisagée si des circonstances nouvelles et objectives ont modifié substantiellement la valeur du bien ;
  • À l’inverse, si une décision judiciaire a fixé irrévocablement cette valeur, aucune révision ne saurait intervenir, même en cas de fluctuations du marché immobilier.

Ainsi, une revalorisation ne peut être admise sur la seule base d’une évolution économique. Elle doit reposer sur des éléments concrets, tels qu’une évolution réglementaire modifiant la constructibilité du bien ou une altération significative de son état.

Dès lors, il appartient aux parties d’anticiper les risques liés à une fixation inadaptée de la valeur du bien, en veillant, avant la finalisation du partage, à solliciter une expertise actualisée, seule à même d’éviter les litiges ultérieurs.

3. Le paiement de la soulte

L’attribution préférentielle, en ce qu’elle permet à un indivisaire de se voir attribuer un bien spécifique en priorité, ne saurait rompre l’égalité du partage. Dès lors, lorsque la valeur du bien attribué excède les droits de l’attributaire dans la masse à partager, celui-ci se trouve redevable d’une soulte destinée à rétablir cet équilibre. Cette compensation, qui s’effectue généralement en numéraire, peut sous certaines conditions prendre la forme d’une dation en paiement.

Toutefois, les modalités de règlement de cette soulte diffèrent selon que l’attribution préférentielle revêt un caractère facultatif ou résulte d’un droit reconnu par la loi.

a. L’attribution préférentielle facultative

Lorsqu’elle revêt un caractère facultatif, l’attribution préférentielle demeure soumise à l’appréciation du juge, lequel peut, en opportunité, décider de l’accorder ou de la refuser. Conscient du risque d’atteinte à l’égalité entre copartageants, le législateur a posé une règle de principe : le paiement comptant de la soulte (art. 832-4, al. 1er C. civ.).

Cette exigence repose sur l’idée que l’attribution préférentielle ne saurait s’opérer aux dépens des autres indivisaires, lesquels doivent être indemnisés immédiatement de la perte d’un bien qui aurait pu leur revenir. Cette règle emporte plusieurs conséquences qu’il y a lieu d’examiner.

==>L’insolvabilité de l’attributaire comme obstacle à l’attribution préférentielle

L’octroi d’une attribution préférentielle ne peut être accordé sans garantie quant à la solvabilité de l’attributaire. Ainsi, le juge peut légitimement rejeter une demande lorsque le requérant ne dispose pas des ressources nécessaires pour s’acquitter de la soulte due (Cass. 1re civ., 25 mars 1997, n° 95-15.770).

Ce principe répond à une logique de protection des copartageants, lesquels ne doivent pas se voir imposer un risque d’insolvabilité. En effet, une fois l’attribution préférentielle réalisée, les copartageants ne disposent plus du bien initialement indivis et doivent compter sur la capacité financière de l’attributaire pour percevoir la compensation qui leur est due. Le juge appréciera donc l’opportunité de l’attribution en fonction des moyens du requérant, et pourra l’écarter si le paiement de la soulte apparaît incertain.

==>L’impossibilité d’octroyer des délais judiciaires de paiement

Le caractère immédiat du paiement distingue les attributions préférentielles facultatives des attributions préférentielles de droit. Le juge est dépourvu de tout pouvoir d’accorder des délais de paiement au débiteur de la soulte, ce qui signifie que l’attributaire doit être en mesure de régler immédiatement l’intégralité de la somme due.

Cette règle s’applique avec une rigueur particulière dans le cadre du partage d’une communauté dissoute par divorce ou séparation de biens, où il a été jugé que l’attribution préférentielle, bien qu’admise, ne saurait être accompagnée d’un paiement différé (Cass. 1re civ., 11 juin 2008, n° 07-16.184).

Toutefois, bien que le juge ne puisse accorder de délai, les copartageants ont la possibilité de convenir amiablement d’un paiement différé, sous réserve d’un accord express (art. 832-4, al. 2 C. civ.). En pareil cas, les parties peuvent organiser librement les modalités du paiement et fixer, le cas échéant, un échéancier, un taux d’intérêt conventionnel ou encore des garanties spécifiques destinées à assurer le règlement des sommes dues.

==>Les modalités du paiement de la soulte

  • Principe du paiement en numéraire
    • Le paiement en numéraire constitue le mode normal d’acquittement de la soulte dans le cadre d’une attribution préférentielle facultative.
    • Conformément à l’article 832-4, alinéa 1er du Code civil, la soulte doit être réglée immédiatement, sauf accord amiable entre les copartageants. 
    • Cette règle vise à préserver l’égalité du partage en garantissant aux copartageants évincés une compensation financière immédiate, leur permettant ainsi de recouvrer leur part dans l’indivision sous une forme directement mobilisable.
    • L’exigence de paiement comptant s’explique par la nature même de l’attribution préférentielle facultative : ne constituant pas un droit en faveur du demandeur, elle est accordée sous réserve qu’il puisse assurer l’équilibre du partage sans léser les autres indivisaires. 
    • Dès lors, le défaut de paiement de la soulte peut justifier un refus de l’attribution préférentielle, le juge pouvant considérer que l’insolvabilité du requérant met en péril les intérêts des copartageants créanciers (Cass. 1re civ., 25 mars 1997, n° 95-15.770).
    • Toutefois, les parties conservent la liberté d’aménager contractuellement les modalités de paiement. 
    • Un accord amiable peut notamment prévoir un échelonnement du règlement, dans des conditions fixées par les copartageants eux-mêmes. En l’absence de convention contraire, les sommes restant dues produisent intérêts au taux légal à compter de la date du partage définitif (art. 834, al. 2 C. civ.).
  • Tempéraments
    • Le paiement par compensation
        • Bien que la règle de principe impose un règlement en numéraire, la soulte peut, dans certains cas, être acquittée par compensation. 
        • Ce mécanisme permet d’éteindre réciproquement des obligations de paiement lorsqu’un indivisaire est à la fois débiteur d’une soulte et créancier d’une somme équivalente due par l’indivision ou par ses copartageants.
        • La compensation est envisageable notamment dans les situations suivantes :
          • Créance de salaire différé : lorsqu’un héritier a travaillé au sein d’une exploitation familiale sans percevoir de rémunération, il peut être titulaire d’une créance de salaire différé à l’encontre de la succession. Cette créance peut être compensée avec la soulte qu’il doit verser à ses cohéritiers (Cass. 1re civ., 22 janv. 1958).
          • Indemnités diverses : lorsqu’un indivisaire a avancé des frais de conservation ou de gestion d’un bien indivis, ou s’il bénéficie d’une indemnité compensatoire allouée dans le cadre d’un divorce, ces sommes peuvent être prises en compte pour neutraliser partiellement ou totalement la soulte due.
          • Dommages et intérêts : dans certaines situations, des sommes allouées à l’un des copartageants à titre de réparation (par exemple, dans le cadre d’un divorce) peuvent être compensées avec la soulte résultant de l’attribution préférentielle (CA Paris, 4 nov. 1969).
        • Si la compensation est possible, elle reste subordonnée à la réunion des conditions prévues par le droit commun (art. 1347 C. civ.). 
        • En particulier, la créance opposée en compensation doit être certaine, liquide et exigible. 
        • À défaut, la compensation ne peut être imposée aux autres copartageants et nécessite leur consentement.
    • La dation en paiement
      • Si le paiement de la soulte est normalement exigible en numéraire, il peut également s’opérer par le biais d’une dation en paiement, c’est-à-dire par la remise d’un bien en contrepartie de la créance de soulte.
      • La dation en paiement repose avant tout sur un accord des copartageants : l’attributaire ne peut l’imposer unilatéralement aux autres indivisaires. 
      • Ceux-ci doivent accepter de recevoir un bien en contrepartie de leur créance, et ce, en considération de sa valeur vénale et de son adéquation avec le montant de la soulte due.
      • Cette solution peut être particulièrement pertinente lorsque :
        • L’attributaire ne dispose pas de liquidités suffisantes pour régler la soulte en numéraire.
        • L’actif indivis comprend des biens dont le partage en nature est difficile ou dont la cession est économiquement inopportune.
        • Les copartageants sont enclins à recevoir un bien plutôt qu’un versement monétaire, notamment pour préserver la continuité d’une exploitation agricole ou d’un ensemble immobilier indivis.
      • Lorsque la dation en paiement est consentie, elle doit être formalisée dans l’acte de partage. En cas de litige sur la valeur du bien remis en dation, une expertise peut être ordonnée afin de garantir l’équivalence avec le montant de la soulte due.
      • La dation en paiement entraîne un transfert immédiat de propriété au profit des copartageants créanciers. 
      • Ces derniers deviennent titulaires du bien remis en contrepartie de la soulte, ce qui éteint corrélativement la dette de l’attributaire.
      • Cette modalité de paiement présente plusieurs avantages :
        • Elle évite la nécessité d’un financement bancaire pour l’attributaire, ce qui peut être un critère déterminant lorsque les montants en jeu sont élevés.
        • Elle permet aux copartageants de se voir attribuer un bien d’une valeur équivalente à leur part successorale, sans attendre le versement d’une soulte en numéraire.
      • Cependant, la dation en paiement doit être encadrée avec précaution. 
      • Son exécution suppose que le bien remis en paiement ne soit grevé d’aucune charge de nature à en diminuer la valeur. 
      • De même, en cas de contestation sur l’équivalence de la dation avec la soulte due, il pourrait être nécessaire d’engager une action judiciaire pour statuer sur la validité de l’opération.
      • Le Code civil prévoit expressément la possibilité d’une dation en paiement dans le cadre de l’attribution préférentielle de biens agricoles destinés à constituer un groupement foncier agricole (art. 832-1, al. 4 C. civ.). 
      • Dans ce cas, les copartageants peuvent être réglés par l’attribution de parts du groupement foncier en contrepartie de leur créance de soulte, sous réserve qu’ils n’aient pas manifesté leur opposition à ce mode de règlement dans un délai d’un mois.
      • D’une manière plus générale, la jurisprudence a admis que le paiement d’une soulte puisse être réalisé par la remise d’un bien immobilier ou de parts sociales lorsque les parties en conviennent librement et que cette solution permet de préserver l’équilibre du partage.

==>La production d’intérêts

Le paiement de la soulte dans le cadre d’une attribution préférentielle soulève la question de la production d’intérêts, notamment en cas de report du règlement. En l’absence de convention contraire entre les copartageants, le régime applicable repose sur une distinction entre la période antérieure et la période postérieure au partage définitif.

  • L’absence d’intérêts avant la date du partage définitif
    • Le principe posé par l’article 834, alinéa 2, du Code civil est que la soulte ne produit pas d’intérêts avant la clôture définitive des opérations de partage. 
    • Autrement dit, tant que le partage n’a pas été formellement établi, les créanciers de la soulte ne peuvent exiger aucun intérêt, sauf stipulation expresse des parties.
    • Ce principe repose sur une logique d’équilibre entre les copartageants: tant que l’indivision subsiste juridiquement, l’attributaire du bien reste soumis aux règles de l’indivision et ne bénéficie pas encore pleinement des prérogatives exclusives de propriété. 
    • Dès lors, l’obligation de verser des intérêts sur la soulte ne prend effet qu’à compter du moment où l’attributaire devient juridiquement propriétaire exclusif du bien attribué.
    • Toutefois, les copartageants ont la possibilité de déroger à cette règle en stipulant contractuellement que la soulte portera intérêts avant la date du partage. 
    • Une telle convention peut être pertinente notamment lorsque le paiement de la soulte est différé et que les créanciers souhaitent être indemnisés du préjudice financier résultant de l’attente prolongée.
  • La production d’intérêts après le partage définitif
    • À compter de la date du partage définitif, la soulte devient de plein droit productive d’intérêts au taux légal, sauf si les copartageants ont convenu d’un taux différent. 
    • Cette règle vise à assurer une indemnisation des créanciers de la soulte pour le retard dans le paiement effectif de leur créance, en évitant qu’ils ne subissent une dépréciation monétaire.
    • Le régime applicable s’articule autour de deux principes:
      • Le point de départ des intérêts : les intérêts commencent à courir dès la date du partage définitif, sans qu’une mise en demeure préalable soit nécessaire.
      • Le taux applicable : en l’absence de stipulation contractuelle, les intérêts sont calculés au taux légal. Toutefois, les parties peuvent convenir d’un taux conventionnel, sous réserve qu’il ne soit pas usuraire et qu’il soit fixé de manière expresse dans l’acte de partage.

==>Aménagements conventionnels

Lorsque les copartageants concluent un accord amiable sur les modalités de paiement de la soulte, ils disposent d’une large liberté pour organiser l’exigibilité des intérêts. Ils peuvent notamment :

  • Définir un taux d’intérêt conventionnel, inférieur ou supérieur au taux légal, sous réserve qu’il respecte les limites imposées par la législation sur l’usure.
  • Reporter le point de départ des intérêts à une date postérieure à celle du partage définitif, par exemple en cas d’échelonnement du paiement de la soulte.
  • Fixer des échéances de paiement adaptées aux ressources financières de l’attributaire, tout en préservant les intérêts économiques des copartageants créanciers.

En cas de différend sur l’application des intérêts, le juge peut être amené à trancher, mais il ne peut en principe déroger aux règles posées par la loi, sauf si les parties ont expressément prévu des aménagements dans leur convention de partage.

b. L’attribution préférentielle de droit

Dans certaines hypothèses, le législateur a institué un régime favorable à l’attributaire, considérant que la pérennité de certains biens, tels qu’une exploitation agricole, une entreprise familiale ou le logement du conjoint survivant, justifie un assouplissement des contraintes financières pesant sur le partage. L’objectif est d’éviter que l’obligation de paiement immédiat de la soulte ne compromette la conservation du bien et, partant, ne conduise à sa cession forcée.

L’article 832-4, alinéa 2, du Code civil instaure ainsi un mécanisme spécifique qui permet au bénéficiaire de l’attribution préférentielle d’exiger de ses copartageants des délais de paiement pour une fraction de la soulte, dans une double limite :

  • Durée : le report ne peut excéder dix ans, un délai qui résulte d’un aménagement progressif du dispositif, renforcé notamment par la loi d’orientation agricole du 9 juillet 1980.
  • Montant : la fraction de la soulte dont le paiement est différé ne peut excéder la moitié de la somme due.

Ce mécanisme repose sur plusieurs principes, qui encadrent à la fois la mise en œuvre du paiement différé et les garanties dont bénéficient les créanciers de la soulte.

==>L’aménagement légal du paiement au profit de l’attributaire

L’attribution préférentielle de droit constitue une exception au principe du paiement comptant de la soulte, en permettant à l’attributaire de différer une partie de son règlement. Cette mesure vise à préserver la transmission et la conservation de certains biens essentiels, tels que les exploitations agricoles, les entreprises ou le logement familial, en évitant qu’un endettement immédiat ne compromette leur viabilité.

Ce mécanisme, consacré par l’article 832-4, alinéa 2, du Code civil, impose aux copartageants créanciers une forme de crédit forcé. Dès lors que les conditions légales sont réunies, ils ne peuvent s’opposer à l’octroi d’un délai de paiement. Ce dernier est cependant encadré :

  • Durée maximale : l’échelonnement du paiement ne peut excéder dix ans.
  • Montant différé : seule une fraction de la soulte, limitée à 50 % du total dû, peut faire l’objet d’un report.
  • Intérêts légaux : à défaut d’accord entre les parties, les sommes différées portent intérêts au taux légal à compter du partage définitif (Cass. 1re civ., 20 nov. 1979). Toutefois, les copartageants peuvent convenir d’un taux différent, sous réserve qu’il ne soit ni usuraire ni abusif.

Cet aménagement légal vise ainsi à concilier deux exigences contradictoires : assurer la continuité de certains patrimoines tout en préservant les droits des copartageants créanciers.

==>L’exigibilité immédiate de la soulte en cas de cession du bien

Si le législateur a aménagé un cadre favorable à l’attributaire en lui accordant des facilités de paiement, il a également prévu un garde-fou essentiel : la cessation du bénéfice du paiement différé en cas de cession des biens attribués. Ce mécanisme vise à éviter que l’attributaire ne détourne l’avantage qui lui est consenti en réalisant une opération purement spéculative au détriment des autres copartageants.

L’article 832-4, alinéa 3, du Code civil distingue deux hypothèses :

  • Vente de la totalité des biens attribués : la soulte devient immédiatement exigible dans son intégralité. Cette règle repose sur une logique simple : dès lors que l’attributaire perçoit une contrepartie financière immédiate, il n’a plus de raison de bénéficier d’un délai de paiement.
  • Vente partielle des biens : le produit de la cession est affecté au règlement de la fraction de soulte encore due, selon une imputation proportionnelle. Ce dispositif garantit que les créanciers ne soient pas lésés par la liquidation progressive du patrimoine de l’attributaire.

L’objectif de cette règle est d’assurer l’équilibre du partage et de prévenir tout abus du paiement différé. Elle protège ainsi les copartageants créanciers contre le risque d’un retard prolongé dans la perception des sommes qui leur reviennent, tout en maintenant une certaine souplesse pour l’attributaire dans la gestion de son lot.

==>La revalorisation de la soulte en cas d’évolution de la valeur du bien

Le législateur a également introduit un mécanisme de réévaluation du montant de la soulte en fonction des fluctuations de la valeur du bien attribué. L’article 828 du Code civil prévoit ainsi que si la valeur du bien a varié de plus de 25 % depuis le partage en raison de circonstances économiques objectives, la soulte est ajustée en conséquence.

Ce dispositif répond à une logique d’équité :

  • Si la valeur du bien a augmenté, l’attributaire doit verser un complément de soulte, afin de rétablir l’équilibre initial du partage.
  • Si la valeur du bien a diminué, la soulte est révisée à la baisse, de manière à éviter que l’attributaire ne soit tenu de verser une somme disproportionnée au regard de la valeur actuelle du bien.

Cette revalorisation repose sur une appréciation objective des conditions économiques et exclut les plus-values résultant d’améliorations apportées par l’attributaire ou les moins-values liées à une dégradation fautive de sa part. En revanche, elle peut résulter de facteurs exogènes tels que l’évolution du marché immobilier, des modifications du plan local d’urbanisme ou encore des évolutions réglementaires impactant la valorisation du bien.

==>Aménagements conventionnels

Si la loi fixe les principes directeurs du paiement de la soulte dans le cadre d’une attribution préférentielle de droit, les copartageants disposent d’une marge de manœuvre pour en aménager les modalités. Ils peuvent ainsi :

  • Fixer un taux d’intérêt différent du taux légal, sous réserve du respect des dispositions sur l’usure.
  • Réviser à la baisse ou supprimer la règle de revalorisation prévue par l’article 828 du Code civil, afin de sécuriser le montant de la soulte.
  • Prévoir des échéances de paiement spécifiques, adaptées aux capacités financières de l’attributaire et aux attentes des créanciers.

Ces ajustements conventionnels doivent faire l’objet d’une clause expresse dans l’acte de partage, afin d’éviter toute contestation ultérieure.

B) Le partage des autres biens

L’attribution préférentielle, en concentrant la propriété d’un bien déterminé entre les mains d’un seul indivisaire, modifie nécessairement l’équilibre du partage. Afin de rétablir l’égalité entre les copartageants, la compensation de cette attribution s’effectue selon un ordre de priorité, qui repose d’abord sur l’allotissement en nature, avant de recourir, si nécessaire, au paiement d’une soulte. À défaut de solution satisfaisante, la licitation du bien peut être envisagée en dernier recours.

1. L’allotissement prioritaire des copartageants

L’attribution préférentielle constitue un mode particulier d’allotissement et non un prélèvement effectué avant le partage. Dès lors, sa mise en œuvre modifie nécessairement la répartition des biens indivis et impose un rééquilibrage au bénéfice des autres copartageants. Cette opération repose sur trois principes:

  • L’imputation prioritaire de l’attributaire
    • L’attribution préférentielle n’est pas un droit conférant un avantage supplémentaire à son bénéficiaire, mais une modalité particulière d’allotissement qui doit respecter l’égalité du partage.
    • Ainsi, l’attributaire doit imputer la valeur du bien qu’il reçoit sur ses droits dans l’indivision, ce qui exclut toute possibilité d’un tirage au sort des lots, comme le confirme une jurisprudence constante (Cass. 1re civ., 30 juin 1993, n°91-17.804).
    • L’application de ce principe intervient notamment en matière de divorce: lorsqu’un époux obtient l’attribution préférentielle d’un bien immobilier, les autres biens communs doivent être alloués en priorité à l’autre conjoint, à due concurrence de ses droits (Cass. 1re civ., 5 mai 1981, n°79-16.444). 
    • Il en va de même dans le cadre du partage d’une succession: un héritier qui a bénéficié de l’attribution préférentielle d’un bien immobilier ne peut prétendre à un supplément de lot sur d’autres biens indivis (Cass. 1re civ., 18 mars 1975).
    • En pratique, le notaire chargé du partage procède donc à l’allotissement des autres biens indivis au profit des copartageants non attributaires, dans la limite de leurs droits respectifs. 
    • Ce n’est qu’en l’absence de biens suffisants que la compensation s’effectuera sous forme de soulte.
  • L’attribution prioritaire des autres biens indivis aux copartageants non attributaires
    • Lorsque l’attributaire reçoit un bien par préférence, les autres biens indivis doivent être attribués, en priorité, aux copartageants non attributaires. 
    • Cette règle permet de limiter le recours au paiement d’une soulte et de préserver l’équilibre du partage en nature.
    • Ainsi, lorsqu’il existe plusieurs biens de valeur équivalente, l’attribution préférentielle de l’un d’eux à un indivisaire commande que le second bien soit attribué à un autre copartageant. 
    • De même, lorsque l’indivision comprend des biens mobiliers et immobiliers, les copartageants non attributaires peuvent se voir attribuer prioritairement des biens mobiliers pour compenser l’attribution d’un immeuble au profit d’un autre héritier.
    • Ce principe s’applique également en cas d’attribution préférentielle en vue de la constitution d’un groupement foncier agricole.
    • L’article 832-1, alinéa 5, du Code civil prévoit que les biens et droits immobiliers qui ne sont pas destinés à être intégrés dans le groupement doivent être attribués en priorité aux indivisaires qui n’ont pas consenti à sa création, dans la limite de leurs droits successoraux respectifs. 
    • Cette disposition illustre la volonté du législateur de garantir un équilibre entre l’intérêt particulier de l’attributaire et les droits des autres indivisaires.
  • Le versement d’une soulte en compensation
    • Lorsque les biens restants dans l’indivision ne suffisent pas à compenser l’attribution préférentielle, la compensation s’opère par le versement d’une soulte. 
    • Celle-ci représente la valeur excédentaire du bien attribué et garantit l’égalité entre les copartageants.
    • La soulte devient ainsi une nécessité dans plusieurs cas :
      • Lorsque l’attributaire reçoit un bien de valeur supérieure à ses droits dans l’indivision: le versement d’une soulte est alors exigé pour rétablir l’équilibre patrimonial.
      • Lorsque les autres biens indivis ne permettent pas un allotissement équivalent: si les biens restants sont insuffisants ou indivisibles, le recours à la soulte devient incontournable pour éviter une rupture d’égalité entre les héritiers.
      • Lorsque l’attributaire souhaite éviter un partage en nature complexe : dans certaines situations, l’attributaire peut préférer s’acquitter d’une soulte plutôt que de procéder à une répartition matérielle des biens restants.
    • L’évaluation de la soulte repose sur la valeur des biens à la date du partage, en tenant compte des éventuelles plus-values ou moins-values survenues durant l’indivision (art. 832-4 C. civ.).

2. La licitation en dernier recours

L’attribution préférentielle constitue un mode de partage privilégié permettant à un indivisaire d’obtenir un bien en compensation de ses droits indivis. Toutefois, lorsque cette attribution bouleverse trop fortement l’équilibre du partage ou que les modalités de compensation ne permettent pas de garantir une répartition équitable, la licitation apparaît comme une solution nécessaire.

La licitation consiste en la mise en vente du bien indivis, dont le produit est ensuite réparti entre les copartageants au prorata de leurs droits. Ce mécanisme, bien que subsidiaire, répond à plusieurs objectifs : assurer l’égalité entre les indivisaires, mettre fin aux situations de blocage et éviter que l’attribution préférentielle ne soit source d’injustice pour les copartageants évincés.

Le recours à la licitation peut revêtir plusieurs formes, en fonction des circonstances et du degré d’accord entre les indivisaires :

  • La vente de gré à gré
    • Lorsque les copartageants s’accordent sur la nécessité de vendre le bien, une vente de gré à gré peut être organisée.
    • Dans ce cas, les indivisaires recherchent eux-mêmes un acquéreur et définissent ensemble les modalités de la cession (prix, conditions de paiement, délais de signature de l’acte).
    • Ce mode de licitation présente plusieurs avantages :
      • Une meilleure valorisation du bien : en évitant la précipitation d’une mise aux enchères, la vente de gré à gré permet de négocier des conditions plus favorables.
      • Une flexibilité accrue : les parties peuvent convenir d’un paiement échelonné ou d’autres aménagements qui optimisent la transmission du bien.
      • Une maîtrise du processus : les indivisaires conservent un certain contrôle sur la transaction, contrairement à une vente judiciaire qui leur échappe totalement.
    • Toutefois, cette solution suppose un accord unanime entre les indivisaires, ce qui, en pratique, n’est pas toujours réalisable.
  • La vente aux enchères judiciaires
    • Lorsque les indivisaires ne parviennent pas à s’entendre sur la cession, ou si la situation l’exige, la vente peut être ordonnée par le juge dans le cadre d’une licitation judiciaire. 
    • Cette procédure assure une impartialité totale et garantit que le bien sera cédé dans des conditions transparentes.
    • Elle repose sur plusieurs étapes :
      • Saisine du tribunal : un ou plusieurs indivisaires demandent au juge d’ordonner la mise en vente du bien.
      • Désignation d’un notaire : le juge peut confier l’organisation de la vente à un notaire ou à un commissaire de justice.
      • Fixation des conditions de vente : le bien est mis aux enchères publiques, avec publication d’un cahier des charges détaillant les modalités de la cession.
      • Adjudication du bien : le bien est vendu au plus offrant et le produit de la vente est réparti entre les copartageants en fonction de leurs droits.
    • Si la licitation judiciaire assure une égalité de traitement entre les indivisaires, elle présente néanmoins certains inconvénients :
      • Un risque de sous-évaluation : la vente aux enchères peut aboutir à une cession à un prix inférieur à la valeur vénale du bien, notamment en cas de faible concurrence entre acquéreurs.
      • Des coûts supplémentaires : frais d’expertise, frais de publicité et émoluments du notaire ou du commissaire de justice viennent grever le produit de la vente.
      • Une absence de maîtrise pour les indivisaires : contrairement à la vente de gré à gré, les copartageants ne contrôlent ni l’acheteur ni le prix final.

La licitation n’est pas une option systématique, mais elle peut s’imposer dans plusieurs situations où l’attribution préférentielle perturbe l’équilibre du partage ou se heurte à des difficultés pratiques.

  • Lorsque la valeur du bien attribué est trop importante
    • Si la valeur du bien attribué excède de manière significative les droits de l’attributaire dans l’indivision et que la compensation par soulte s’avère disproportionnée ou irréalisable, la licitation peut devenir inévitable.
    • À titre d’exemple, si un bien immobilier constitue l’essentiel du patrimoine à partager et qu’aucun autre bien en nature ne peut être attribué aux copartageants évincés, il sera difficile d’assurer un partage équilibré.
    • Dans un tel cas, la vente du bien et la répartition du produit entre les indivisaires s’imposent comme la seule solution garantissant l’équité du partage.
  • Lorsque le maintien en indivision entraîne des blocages
    • L’indivision est souvent source de conflits et d’entraves à la bonne gestion des biens communs.
    • Les divergences d’intérêts entre les indivisaires peuvent empêcher toute prise de décision, rendant le bien improductif ou entraînant une dégradation de sa valeur.
    • Le juge peut alors être saisi pour mettre fin à l’indivision en ordonnant la licitation.
    • Cette solution permet d’éviter les tensions prolongées et d’assurer une répartition définitive du patrimoine.
  • Lorsque l’attributaire est dans l’incapacité de régler la soulte
    • L’attribution préférentielle repose sur un équilibre financier qui suppose que l’attributaire puisse indemniser les autres indivisaires à hauteur de l’excédent de valeur du bien reçu.
    • Or, si l’attributaire ne dispose pas des ressources suffisantes pour régler la soulte et que les copartageants refusent de lui accorder des délais de paiement, la licitation s’impose comme une alternative.
    • Dans ce cas, la vente du bien permettra d’assurer une répartition immédiate des fonds entre les copartageants, sans dépendre des capacités financières de l’attributaire.

Au total, si l’attribution préférentielle constitue une modalité de partage favorisée par le législateur, elle ne peut se faire au détriment des droits des autres indivisaires.

Ainsi, lorsque l’attribution d’un bien en nature est incompatible avec le principe d’égalité entre copartageants, le recours à la licitation apparaît comme la seule issue permettant de garantir un partage juste et équilibré. Cette solution, bien que perçue comme une contrainte, reste une garantie pour l’ensemble des indivisaires et évite que l’un d’eux ne soit lésé par une répartition inéquitable des biens.

Attribution préférentielle: modalités de mise en oeuvre

L’attribution préférentielle constitue une modalité particulière du partage, permettant à un indivisaire de se voir attribuer, à titre exclusif, un bien indivis moyennant, le cas échéant, le versement d’une soulte. Ce mécanisme, conçu pour préserver l’unité de certains éléments patrimoniaux et garantir une répartition cohérente des biens, repose sur des critères strictement encadrés par le droit positif.

Toutefois, son exercice ne relève pas d’une simple faculté discrétionnaire. Il s’inscrit dans un cadre procédural rigoureux, où la compétence juridictionnelle, les formes de la demande et les conditions de recevabilité obéissent à des principes spécifiques. En particulier, la nature du bien concerné et la qualité du demandeur influencent tant la recevabilité de la prétention que son issue contentieuse.

A) L’exercice de la demande d’attribution préférentielle

1. Modalités de présentation de la demande

a. Compétence

L’attribution préférentielle, en tant que modalité d’allotissement d’un bien indivis, relève en principe du juge du partage. Toutefois, cette règle générale connaît une exception en matière de liquidation du régime matrimonial. En effet, lorsque l’attribution préférentielle porte sur un bien commun ou indivis entre époux après dissolution du mariage, la compétence juridictionnelle est spécifique et a donné lieu à un contentieux récurrent, notamment sur la question de savoir si elle relève du juge du divorce ou du juge chargé du partage définitif.

La Cour de cassation a clairement établi que, dans le cadre de la dissolution du régime matrimonial, la demande d’attribution préférentielle relève de la compétence exclusive du juge aux affaires familiales (JAF). Cette orientation jurisprudentielle repose sur la logique selon laquelle la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux ou ex-époux sont indissociables du contentieux du divorce. Plusieurs arrêts ont consacré cette approche (V. par ex. Cass. 2e, 22 mars 2005, n° 03-20.728).

Avant la réforme de 2004, l’article 264-1 du Code civil imposait déjà au juge du divorce de se prononcer sur les conséquences patrimoniales du divorce, y compris l’attribution préférentielle. La loi du 26 mai 2004 a clarifié ce point en intégrant ces prérogatives dans l’article 267 du Code civil, qui dispose que le juge du divorce est compétent pour trancher toute contestation relative à la liquidation et au partage des intérêts patrimoniaux des époux.

Depuis l’entrée en vigueur de la réforme, le 1er janvier 2005, c’est donc toujours le juge du divorce qui statue sur l’attribution préférentielle lorsqu’elle concerne un bien dépendant du patrimoine des époux. Cette compétence a d’ailleurs été confirmée par des décisions ultérieures, notamment en matière de liquidation de régimes matrimoniaux complexes ou en présence d’une indivision postérieure au divorce (Cass. 1ère civ., 30 janv. 2019, n°18-14.150).

L’enjeu principal réside dans le fait que la demande d’attribution préférentielle peut être formulée dès la phase du divorce. Dans un arrêt du 28 juin 2005, la Cour de cassation a ainsi jugé que le juge du divorce, saisi d’une demande d’attribution préférentielle, ne saurait en différer l’examen au motif que des éléments relatifs à la valeur des biens ou à un projet de partage feraient défaut (Cass. 1ère civ., 28 juin 2005, n°04-13.663). En l’espèce, la cour d’appel de Lyon avait rejeté la demande d’attribution préférentielle du domicile conjugal présentée par le mari, considérant qu’il était prématuré de statuer en l’absence de telles données et que la question pourrait être abordée plus tard, lors de la liquidation de la communauté.

La Cour de cassation a censuré ce raisonnement, en rappelant que, conformément à l’article 264-1 du Code civil alors applicable, le juge qui prononce le divorce doit, à cette occasion, ordonner la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux et, le cas échéant, statuer sur les demandes d’attribution préférentielle. Dès lors, en subordonnant l’examen de cette demande à une étape ultérieure du processus liquidatif, la cour d’appel a méconnu cette obligation légale et violé le texte susvisé.

Par cette décision, la Haute juridiction réaffirme que le juge aux affaires familiales, lorsqu’il est saisi dans le cadre du divorce, doit trancher sans attendre les questions relatives à l’attribution préférentielle, sans pouvoir se retrancher derrière l’absence d’évaluation du bien ou l’inexistence d’un projet de partage. 

La compétence du JAF en matière de liquidation ne se limite pas au cadre du mariage dissous. Il peut également statuer sur les opérations de partage des partenaires de PACS ou des concubins, en vertu de l’article L. 213-3 du Code de l’organisation judiciaire. Ainsi, le partage des intérêts patrimoniaux des couples, qu’ils soient mariés ou non, relève de cette juridiction lorsqu’une indivision est en cause.

b. Forme de la demande

Aucune disposition ne vient encadrer de manière impérative la forme de la demande d’attribution préférentielle. Celle-ci peut être formulée dans un écrit soigneusement rédigé ou simplement résulter d’une manifestation de volonté au cours d’une instance. Cette liberté procédurale s’explique par la finalité même de l’attribution préférentielle, laquelle constitue un mécanisme d’allotissement permettant d’assurer une répartition harmonieuse des biens indivis.

Toutefois, bien que non soumise à des règles de forme, la demande d’attribution préférentielle gagnera à être exprimée par acte écrit afin de garantir la clarté de son objet et de ses implications. A cet égard, elle peut être sollicitée aussi bien dans un partage amiable que dans un partage judiciaire, chacun de ces contextes impliquant des modalités spécifiques.

Dans le cadre d’un partage amiable, la demande est le plus souvent formalisée dans la convention conclue entre les copartageants. L’article 838 du Code civil prévoit d’ailleurs la possibilité d’un partage partiel, autorisant ainsi un accord limité à un bien ou à plusieurs biens faisant l’objet d’une attribution préférentielle, sans pour autant affecter l’intégralité de la masse successorale. Cette souplesse permet aux indivisaires d’organiser librement la répartition des biens et d’éviter ainsi les aléas d’un partage contentieux.

Dans le cadre d’un partage judiciaire, la demande peut être introduite dès l’assignation en partage ou être formulée postérieurement, au fil de l’instance. Elle peut également être portée devant le notaire commis pour conduire les opérations de liquidation, dès lors que le jugement ayant ordonné le partage ne s’y oppose pas expressément. La jurisprudence est venue consacrer cette latitude, admettant que la demande d’attribution préférentielle demeure recevable tant que le partage n’a pas été définitivement arrêté et homologué.

c. Moment de la demande

L’attribution préférentielle constitue un mode d’allotissement qui permet à un indivisaire d’obtenir l’attribution d’un bien indivis en contrepartie d’une indemnité compensatrice versée aux autres coindivisaires. En raison de sa nature, elle bénéficie d’une grande souplesse quant au moment où elle peut être sollicitée. Toutefois, cette liberté trouve des limites, notamment lorsque l’autorité de la chose jugée vient faire obstacle à une demande tardive.

==>Principe

Aucun délai légal n’est fixé pour introduire une demande d’attribution préférentielle. Dès l’ouverture de l’indivision, l’indivisaire qui souhaite bénéficier de cette prérogative peut en faire la demande sans être contraint par une forclusion. Cette souplesse découle de la nature même de l’attribution préférentielle, qui constitue un mode d’allotissement et non une remise en cause du partage lui-même.

Dans un arrêt du 8 mars 1983, la Cour de cassation a ainsi affirmé que l’attribution préférentielle, en tant que « procédé d’allotissement qui met fin à l’indivision, peut être demandée tant que le partage n’a pas été ordonné, selon une autre modalité incompatible, par une décision judiciaire devenue irrévocable » (Cass. 1ère civ., 8 mars 1983, n°82-10.721).

La jurisprudence admet ainsi, de manière constante, que la demande d’attribution préférentielle peut être introduite à divers stades de la procédure, tant que le partage n’a pas conféré à un bien une attribution définitive et exclusive (Cass. 1re civ., 5 nov. 1952).

  • Dès l’ouverture de l’indivision
    • L’attribution préférentielle, en tant que procédé d’allotissement permettant à un indivisaire d’obtenir la propriété exclusive d’un bien moyennant indemnisation de ses co-indivisaires, peut être sollicitée dès l’instant où l’indivision prend naissance. 
    • Aucun délai impératif ne vient restreindre son exercice, et l’indivisaire peut en formuler la demande sans attendre l’ouverture d’une procédure de partage. 
    • L’indivision se constitue dès l’instant où plusieurs personnes deviennent propriétaires d’un même bien sans que leurs quotes-parts respectives ne soient matériellement individualisées. 
    • Cette situation peut découler d’une succession, d’une dissolution de communauté conjugale, d’un achat en indivision ou encore d’un démembrement de propriété. 
    • Dès que l’indivision existe, l’indivisaire remplissant les conditions légales peut exprimer son intention d’obtenir l’attribution préférentielle d’un bien déterminé. 
    • Ce droit ne nécessite aucun formalisme particulier et peut être exercé avant même que ne soit engagée une instance en partage. 
    • Cette absence de contrainte a été confirmée par la jurisprudence, qui reconnaît que la demande peut être présentée tant qu’un partage consommé n’a pas opéré des attributions définitives de propriété (Cass. 1re civ., 5 nov. 1952).
    • L’indivisaire peut faire connaître son souhait d’obtenir l’attribution préférentielle sans attendre l’engagement d’une procédure de partage.
    • Dans le cadre d’un partage amiable, cette demande peut être exprimée lors des discussions entre indivisaires et intégrée à la convention de partage. 
    • Il est également possible de l’inclure dès l’assignation en partage lorsqu’une procédure judiciaire est engagée. 
    • En tout état de cause, tant qu’aucun partage définitif n’a été arrêté, l’indivisaire conserve la faculté de demander l’attribution préférentielle du bien convoité.
  • Avant le jugement ordonnant le partage
    • L’attribution préférentielle peut être sollicitée indépendamment de toute instance en partage. 
    • L’indivisaire désireux d’obtenir la propriété exclusive d’un bien indivis n’a pas l’obligation d’attendre qu’une demande en partage soit introduite pour faire valoir son droit. Il peut ainsi agir de manière autonome en sollicitant directement l’attribution préférentielle devant le juge compétent. 
    • Cette possibilité s’explique par la nature même de l’attribution préférentielle, qui ne s’oppose pas au principe du partage mais en constitue une modalité particulière de réalisation. 
    • Dès lors, elle peut être demandée avant que ne soit engagée une procédure de partage, sans que son exercice ne dépende de la volonté des autres indivisaires.
    • Lorsque l’indivisaire souhaite initier une procédure de partage, il peut également formuler sa demande d’attribution préférentielle dans l’assignation. 
    • Cette voie permet d’éviter toute contestation ultérieure et de garantir une prise en compte immédiate de sa demande lors des opérations de liquidation. 
    • La jurisprudence a admis cette possibilité en affirmant que l’attribution préférentielle pouvait être sollicitée dès la saisine du juge compétent (Cass. 1ère , 19 déc. 1977, n°74-14.297). 
    • Peu importe, à cet égard, que d’autres indivisaires formulent également des demandes concurrentes : l’attribution préférentielle, en tant que procédé d’allotissement, doit être examinée en fonction des conditions légales et des intérêts en présence, sans être conditionnée par l’absence d’opposition des co-indivisaires.
  • Après le jugement ordonnant le partage
    • Le jugement ordonnant le partage n’a pas pour effet d’éteindre la possibilité pour un indivisaire de solliciter l’attribution préférentielle. 
    • En effet, l’attribution préférentielle n’est pas une contestation du partage lui-même, mais une modalité d’allotissement qui vise à permettre la sortie de l’indivision dans des conditions favorisant la conservation de certains biens par des indivisaires ayant un intérêt particulier à les obtenir.
    • Dès lors, une fois le partage ordonné judiciairement, l’indivisaire conserve la faculté de présenter une demande d’attribution préférentielle au cours des opérations de liquidation-partage, tant que le partage n’a pas atteint un caractère définitif. Cette demande peut être introduite devant le notaire commis pour procéder aux opérations de répartition des biens.
    • La jurisprudence reconnaît d’ailleurs expressément cette possibilité, considérant que l’attribution préférentielle n’est qu’un mode particulier d’allotissement qui ne saurait être écarté tant que l’état liquidatif n’a pas été homologué (Cass. 1ère civ., 8 mars 1983, n°82-10.721).
    • Ainsi, tant que les opérations de partage ne sont pas clôturées par une décision définitive ou un accord irrévocable entre les parties, la demande demeure recevable.
    • Par ailleurs, la Cour de cassation a eu l’occasion de censurer des décisions ayant rejeté une demande d’attribution préférentielle au seul motif que le partage avait été ordonné. Elle a rappelé que la demande d’attribution ne saurait être écartée dès lors qu’aucune décision irrévocable n’a fixé de manière définitive la répartition des biens entre les copartageants (V. par ex. Cass. civ. 1ère, 9 janv. 2008, n°06-20.167). 
    • Dès lors, un indivisaire peut encore solliciter une telle attribution devant le notaire ou devant le juge du partage tant que la liquidation n’est pas homologuée, sauf disposition expresse contraire contenue dans la décision ordonnant le partage.
    • Enfin, il convient de souligner que la seule passivité d’un héritier ou d’un indivisaire ne saurait être assimilée à une renonciation tacite au bénéfice de l’attribution préférentielle, sauf s’il ressort de manière claire et non équivoque de son comportement une intention manifeste de ne pas exercer ce droit.
    • Cette souplesse procédurale, qui trouve son fondement dans la volonté du législateur de préserver les intérêts des copartageants, explique pourquoi l’attribution préférentielle demeure ouverte tant que le partage n’a pas été définitivement arrêté.
  • En cause d’appel
    • L’attribution préférentielle peut être sollicitée pour la première fois en cause d’appel, dès lors qu’elle se rattache aux bases mêmes de la liquidation et qu’elle constitue une modalité de répartition des biens indivis. 
    • La Cour de cassation admet ainsi que cette demande revêt le caractère d’une défense au fond, ce qui la rend recevable même en seconde instance, tant que le partage n’a pas été ordonné selon une modalité incompatible par une décision judiciaire devenue irrévocable (Cass. 1ère civ. 1re, 10 mars 1971, n°69-12.132).
    • Ce principe repose sur la nature même de l’attribution préférentielle, qui constitue un procédé d’allotissement permettant d’assurer une répartition cohérente et équitable des biens indivis.
    • La Cour de cassation a ainsi affirmé que l’attribution préférentielle peut être demandée tant que le partage n’a pas été définitivement consommé et que l’affectation des biens reste juridiquement réversible (Cass. 1ère civ., 30 avr. 2014, n° 13-12.346).
    • Cette faculté s’étend notamment aux hypothèses de divorce, dans lesquelles l’un des époux peut former une demande d’attribution préférentielle en appel tant que le jugement de divorce n’a pas acquis force de chose jugée. 
    • Cette solution repose sur une analyse pragmatique de la situation des parties et vise à éviter que la dissolution du lien matrimonial ne fasse obstacle à un partage équitable des biens indivis. 
    • La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a ainsi jugé qu’une telle demande pouvait être présentée pour la première fois en appel, l’attribution préférentielle étant un accessoire de la demande en divorce (Cass. 2e civ., 5 juin 2003, n° 01-13.510).
    • De manière générale, la jurisprudence se montre indulgente à l’égard des demandes tardives d’attribution préférentielle, dès lors qu’elles tendent à éviter une licitation et qu’elles permettent une meilleure adéquation entre les intérêts des indivisaires et la structure du partage.
    • Ainsi, une cour d’appel a admis qu’une demande d’attribution préférentielle puisse être présentée en seconde instance, même si elle retardait le règlement du partage, considérant que celui-ci restait préférable à une vente judiciaire des biens indivis (CA Reims, 7 sept. 2006, n° 04/02427).

==>Limites

Si l’attribution préférentielle peut être sollicitée tant que le partage n’a pas acquis un caractère définitif, elle ne saurait, en revanche, remettre en cause une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée ni modifier un partage amiable dûment conclu entre les indivisaires. 

  • Les décisions ayant acquis l’autorité de la chose jugée
    • L’attribution préférentielle, en tant que modalité du partage, ne peut être exercée si une décision juridictionnelle irrévocable a définitivement fixé la répartition des biens indivis. 
    • La Cour de cassation a, en ce sens, jugé qu’une licitation ordonnée par une décision ayant acquis force de chose jugée exclut toute possibilité ultérieure pour un indivisaire de revendiquer le bien à titre d’attribution préférentielle (Cass. 1ère civ., 19 nov. 1968). 
    • La logique sous-jacente repose sur le principe selon lequel une décision de justice définitive ne peut être remise en question que dans les cas strictement encadrés par la loi, notamment par l’exercice des voies de recours extraordinaires.
    • De la même manière, lorsque l’attribution préférentielle a été définitivement accordée à un indivisaire, elle devient intangible. 
    • La contestation ultérieure de l’état liquidatif établi sur cette base est irrecevable, sauf erreur manifeste ou fraude, qui demeurent des hypothèses exceptionnelles. 
    • Cette solution repose sur l’exigence d’irrévocabilité des décisions de justice : une fois que le droit de propriété d’un bien a été attribué à un indivisaire par une décision définitive, il ne peut être remis en cause, sauf accord de toutes les parties concernées ou révocation du jugement dans le cadre des voies de rétractation prévues par le Code de procédure civile.
    • Plus largement, dans un arrêt du 9 mars 1971 la Cour de cassation a affirmé avec force le principe selon lequel une demande d’attribution préférentielle ne peut être accueillie lorsqu’une décision irrévocable a ordonné une licitation du bien indivis (Cass. 1ère civ., 9 mars 1971, n°70-10.072).
    • En l’espèce, une héritière sollicitait l’attribution préférentielle d’un appartement après le décès du de cujus, alors même qu’un jugement antérieur, rendu le 6 avril 1967, avait ordonné la licitation de ce bien dans le cadre des opérations de liquidation et de partage de la succession.
    • Soutenant que cette décision n’avait qu’un caractère interlocutoire et ne constituait pas un jugement définitif, la demanderesse estimait qu’elle demeurait recevable à solliciter l’attribution préférentielle du bien.
    • Toutefois, la Cour d’appel de Paris avait rejeté cette demande en considérant que la licitation d’un bien, une fois ordonnée par une décision juridictionnelle devenue irrévocable, constituait une modalité de partage incompatible avec une attribution préférentielle ultérieure.
    • Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation valide cette analyse et confirme la solution retenue par les juges du fond. 
    • Elle affirme que « la licitation constitue une modalité de partage incompatible avec l’attribution préférentielle ; que dès lors que la licitation d’un immeuble a été ordonnée par une précédente décision devenue irrévocable, un tribunal ne peut, sans méconnaître l’autorité de la chose jugée, prononcer l’attribution préférentielle du même bien indivis. »
    • Par cette décision, la Haute juridiction consacre une règle cardinale en matière de partage: une fois que le juge a statué de manière définitive sur la répartition d’un bien selon une modalité spécifique — en l’occurrence la licitation —, toute demande ultérieure d’attribution préférentielle est nécessairement irrecevable, sous peine de porter atteinte à l’autorité de la chose jugée.
  • Les conventions de partage amiable
    • Le partage amiable constitue une alternative à l’intervention du juge dans la répartition des biens indivis.
    • Lorsqu’il est adopté par les copartageants, il s’impose à eux et devient irrévocable dès sa formalisation, sous réserve des règles propres aux contrats.
    • En conséquence, une convention de partage amiable qui règle expressément le sort d’un bien susceptible d’attribution préférentielle ne peut être remise en cause de manière unilatérale par l’un des indivisaires.
    • Cette limitation trouve son fondement dans le respect du principe de force obligatoire des conventions, consacré par l’article 1103 du Code civil, selon lequel les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
    • Par conséquent, un indivisaire ayant accepté un partage amiable ne peut ultérieurement solliciter une attribution préférentielle sur un bien qui aurait été attribué à un autre copartageant, sauf à obtenir l’accord unanime des parties pour modifier la répartition initialement convenue.
    • En ce sens, la Cour de cassation a confirmé que la destination d’un bien convenue dans un partage amiable ne pouvait être unilatéralement modifiée par l’un des copartageants, que ce soit pour revendiquer une attribution préférentielle ou pour renoncer à celle précédemment accordée (Cass. 1ère civ., 10 mars 1969).
    • Il en résulte que, sauf vices affectant la convention (erreur, dol, violence), le partage amiable demeure intangible et bloque toute demande ultérieure d’attribution préférentielle qui viendrait perturber la répartition des biens opérée par l’accord des parties.

2. La faculté de renoncer à l’attribution préférentielle

Si l’attribution préférentielle constitue un droit offert à certains indivisaires pour préserver la cohésion patrimoniale et éviter la dispersion des biens dans le cadre d’un partage, elle ne revêt aucun caractère impératif. Son bénéficiaire peut ainsi y renoncer, sous réserve que ni une décision judiciaire irrévocable, ni une convention ne l’en empêchent. Toutefois, cette faculté n’est pas sans limites et demeure soumise à des conditions strictes.

==>Les conditions d’exercice de la faculté de renonciation

Le principe est clair: la renonciation à l’attribution préférentielle est admise, sauf obstacle tenant à une décision de justice passée en force de chose jugée ou à une stipulation contractuelle. Toutefois, fidèle à la règle selon laquelle les renonciations ne se présument pas, la jurisprudence a adopté une approche particulièrement restrictive quant aux circonstances pouvant révéler une volonté non équivoque d’y renoncer.

La Cour de cassation exige que la renonciation soit manifeste et sans équivoque, et ne saurait admettre qu’elle résulte d’un simple comportement passif ou d’une omission dans la procédure. Ainsi, la participation à un partage provisionnel, la demande d’une licitation ou encore la sollicitation d’une expertise pour déterminer la possibilité d’un partage en nature ne suffisent pas à caractériser une renonciation tacite (Cass. civ., 5 avr. 1952).

Dans une affaire où un héritier, après avoir sollicité une expertise sur la possibilité d’un partage en nature, avait ultérieurement demandé l’attribution préférentielle d’un bien, la Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel qui avait conclu à une renonciation implicite, estimant qu’une telle démarche ne traduisait pas nécessairement une volonté de renoncer à son droit (Cass. 1re civ., 6 mars 1961).

De manière plus générale, la jurisprudence admet que l’indivisaire conserve la faculté de solliciter l’attribution préférentielle tant qu’aucun partage définitif n’a été réalisé. Ainsi, même si un accord prévoyant une attribution avait été conclu entre héritiers, la Cour de cassation considère que cette entente ne saurait suffire à démontrer une renonciation définitive, dès lors que l’accord n’a pas été exécuté et que l’indivisaire continue d’agir en vue d’obtenir l’attribution (Cass. 1re civ., 5 juill. 1977, n° 75-13.762).

Toutefois, en application de l’article 753, alinéa 3 du Code de procédure civile, la renonciation peut être déduite du fait qu’une partie ne réitère pas sa demande d’attribution préférentielle dans ses conclusions récapitulatives. Ainsi, une cour d’appel a pu juger qu’une demande non reprise dans ces écritures ne pouvait être reformulée en appel (CA Reims, 28 avr. 2005, n° 04/00334).

==>Le moment d’exercice de la faculté de renonciation

Initialement, la jurisprudence considérait que la renonciation était recevable tant que l’attribution préférentielle n’avait pas été reconnue par une décision passée en force de chose jugée. Ainsi, un indivisaire ayant obtenu l’attribution en première instance pouvait encore y renoncer en cause d’appel (Cass. 1re civ., 17 juin 1970,n°68-13.762). À l’inverse, une renonciation postérieure à un jugement irrévocable n’était pas admise (Cass. 1re civ., 10 mars 1969).

Toutefois, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en admettant que l’indivisaire pouvait renoncer à l’attribution préférentielle tant que le partage définitif n’était pas intervenu. L’argument avancé repose sur le fait que le jugement accordant l’attribution ne transfère pas immédiatement la propriété du bien, sauf s’il est intégré dans un état liquidatif homologué (Cass. 1re civ., 11 juin 1996, n°94-16.608). Ce raisonnement, dicté par des considérations pratiques, permet aux indivisaires de se délier lorsque des circonstances nouvelles (problèmes financiers, évolution du marché immobilier, changement de situation personnelle) rendent l’attribution inopportune. Cette solution a été confirmée par plusieurs décisions ultérieures (Cass. 1re civ., 23 oct. 2013, n° 12-18.170).

Cependant, la doctrine a exprimé des critiques à l’encontre de cette flexibilité, estimant qu’elle favorisait des stratégies opportunistes et contribuait à retarder la finalisation des partages. Pour pallier cet inconvénient, la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 a introduit une restriction au droit de renonciation. Désormais, l’article 834 du Code civil dispose que le bénéficiaire d’une attribution préférentielle ne peut y renoncer qu’à la condition que la valeur du bien ait augmenté de plus du quart entre la date de l’attribution et celle du partage définitif, indépendamment de son fait personnel. Cette règle vise à éviter que les indivisaires ne fassent usage de l’attribution préférentielle comme d’un simple droit d’option, qu’ils pourraient exercer ou abandonner en fonction de l’évolution du marché immobilier.

Néanmoins, un tempérament subsiste. La Cour de cassation a jugé que si la décision octroyant l’attribution n’avait pas encore acquis force de chose jugée, la renonciation demeurait possible en dehors des conditions strictes posées par l’article 834 (Cass. 1re civ., 29 mai 2019, n°18-18.823). En d’autres termes, un appel suspend l’irrévocabilité de l’attribution, permettant ainsi au bénéficiaire de se délier librement tant que l’arrêt définitif n’est pas intervenu.

==>Exclusion conventionnelle de la faculté de renonciation

Il convient de rappeler que l’attribution préférentielle n’étant pas d’ordre public, elle peut être écartée par convention. Ainsi, un indivisaire peut être contractuellement privé de ce droit par une stipulation testamentaire du de cujus, une clause du contrat de mariage ou une disposition statutaire régissant une société dans laquelle le bien est détenu en indivision. Par ailleurs, une convention de partage amiable entre les indivisaires peut également faire obstacle à toute revendication ultérieure d’attribution préférentielle, à moins que l’ensemble des parties ne consente à une modification de l’accord initial.

Cependant, les clauses insérées dans une convention d’indivision doivent respecter les limites posées par le Code civil. L’article 1873-13 énonce notamment que les stipulations prévoyant qu’un indivisaire survivant pourra se voir attribuer la quote-part du défunt ne peuvent préjudicier aux règles d’attribution préférentielle fixées par les articles 831 et suivants du Code civil.

B) Le traitement par le juge des demandes d’attribution préférentielle

1. La décision du juge en présence d’une demande unique d’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle constitue une modalité particulière du partage, permettant à un indivisaire de se voir attribuer certains biens sous réserve du respect des conditions légales. Selon qu’elle est de droit ou facultative, l’étendue du pouvoir du juge varie considérablement : tandis que dans le premier cas, il se borne à vérifier l’application stricte des textes, dans le second, il dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation, guidé par l’équilibre du partage et la prise en compte des intérêts en présence.

a. L’attribution préférentielle de droit

Dans certaines hypothèses limitativement énumérées par la loi, l’attribution préférentielle s’impose au juge dès lors que les conditions légales sont réunies. Dans ces cas, il ne dispose d’aucune latitude d’appréciation et ne peut refuser l’attribution au motif qu’elle ne serait pas opportune ou qu’elle porterait atteinte à un équilibre patrimonial souhaitable. Son rôle se borne alors à vérifier que le demandeur satisfait aux critères légaux, à défaut de quoi sa décision pourrait être censurée par la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 7 nov. 2012, n° 11-16.164).

Trois grandes catégories d’attribution préférentielle de droit sont aujourd’hui reconnues par le Code civil :

  • L’attribution préférentielle des exploitations agricoles de petite et moyenne taille
    • L’article 832 du Code civil prévoit l’attribution préférentielle de droit au profit de l’indivisaire participant activement à l’exploitation. 
    • Ce dispositif vise à garantir la pérennité de ces exploitations en empêchant leur morcellement lors du partage.
    • La participation effective à l’exploitation constitue un critère déterminant, dont l’appréciation peut donner lieu à contestation.
    • La Cour de cassation a ainsi censuré une décision qui avait refusé l’attribution à un indivisaire remplissant pourtant les conditions légales (Cass. 1re civ., 20 oct. 2010, n° 09-67.029).
  • L’attribution préférentielle en vue de la constitution d’un groupement foncier agricole
    • L’article 832-1 du Code civil prévoit l’attribution préférentielle en faveur d’un ou plusieurs indivisaires souhaitant conserver les biens indivis sous la forme d’un groupement foncier agricole. 
    • Cette disposition, introduite pour encourager la transmission du patrimoine agricole et favoriser la continuité des exploitations familiales, permet une gestion collective du bien tout en évitant la dispersion des actifs.
    • Le juge doit alors s’assurer que le projet de groupement foncier répond bien aux critères légaux, notamment en ce qui concerne les intentions déclarées des indivisaires et leur engagement effectif dans cette démarche.
  • L’attribution préférentielle du local d’habitation du défunt, des meubles le garnissant et du véhicule
    • L’article 831-2, alinéa 1er, du Code civil accorde de plein droit au conjoint survivant l’attribution du logement du défunt, des meubles qui le garnissent et du véhicule de celui-ci. 
    • Ce dispositif vise à protéger le cadre de vie du conjoint survivant, en lui permettant de conserver un bien dont il avait l’usage avant le décès.
    • Depuis la loi du 23 juin 2006, cette attribution est également ouverte au partenaire pacsé survivant, à condition que le défunt l’ait expressément prévu dans son testament (C. civ., art. 515-6, al. 2).
    • Le juge doit ainsi vérifier l’existence de cette disposition testamentaire avant de prononcer l’attribution.

Si le juge ne peut refuser l’attribution préférentielle pour des raisons tenant à l’opportunité, son rôle reste essentiel dans la vérification des conditions légales. Il doit notamment s’assurer :

  • Que le demandeur remplit les conditions de qualité requises (statut d’indivisaire, lien avec le défunt ou avec l’exploitation agricole) ;
  • Que les conditions matérielles de l’attribution sont satisfaites, notamment la participation effective à l’exploitation en cas d’attribution d’une entreprise agricole ou la résidence principale dans un logement (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-16.246).

L’attribution préférentielle ne peut être accordée que si ces conditions sont réunies. À défaut, le juge doit motiver son refus de manière précise, faute de quoi sa décision encourt la cassation. Ainsi, une cour d’appel qui rejette une demande sans examiner si le demandeur a effectivement exploité le bien agricole excède ses pouvoirs et commet une erreur de droit (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-16.246).

Si l’attribution préférentielle de droit s’impose lorsque les conditions légales sont remplies, elle peut néanmoins donner lieu à des contestations de la part des autres indivisaires, qui peuvent remettre en cause :

  • La qualité du demandeur : certains coïndivisaires peuvent soutenir que celui-ci ne remplit pas les conditions requises pour bénéficier de l’attribution ;
  • La satisfaction des critères matériels : notamment, la contestation peut porter sur l’absence de résidence effective dans le logement concerné, ou encore sur le fait que l’exploitation agricole ne serait pas réellement gérée par l’indivisaire demandeur.

Dans ces hypothèses, le juge doit apprécier les éléments de preuve fournis par les parties, tout en respectant le principe du contradictoire. Toute décision accordant ou refusant l’attribution doit être motivée par des éléments objectifs et vérifiables.

L’exigence de rigueur procédurale s’applique également en cas de pluralité de demandes concurrentes. Lorsqu’il existe plusieurs demandeurs répondant aux conditions légales, le juge ne peut pas refuser l’attribution au motif que les biens devraient être partagés autrement, mais doit déterminer lequel des demandeurs est le plus apte à en bénéficier (Cass. 1re civ., 20 oct. 2010, n° 09-67.029).

En tout état de cause, toute décision doit être clairement motivée. Une motivation insuffisante expose la décision à la cassation, notamment lorsque :

b. L’attribution préférentielle facultative

À l’inverse de l’attribution préférentielle de droit, qui s’impose au juge dès lors que les conditions légales sont réunies, l’attribution facultative repose sur une évaluation discrétionnaire du magistrat. Celui-ci doit se prononcer en tenant compte des intérêts en présence, de l’équilibre du partage et des conséquences patrimoniales de sa décision.

Dans ce cadre, le simple fait que le demandeur remplisse les conditions légales ne suffit pas à emporter nécessairement la décision en sa faveur. Le juge peut refuser l’attribution si celle-ci compromet un équilibre patrimonial essentiel, si elle est de nature à léser les autres indivisaires, ou si elle ne sert pas l’objectif fondamental du partage (Cass. 1re civ., 13 févr. 2019, n° 18-14.580).

Parmi les biens pouvant faire l’objet d’une attribution préférentielle facultative figurent notamment les entreprises, les locaux d’habitation ou professionnels, le mobilier qui les garnit ainsi que certains droits au bail. Dans chacun de ces cas, le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation, bien que celui-ci soit encadré par des principes directeurs, garantis par la jurisprudence.

==>Les critères essentiels d’appréciation du juge

Lorsque le juge est saisi d’une demande d’attribution préférentielle facultative, son appréciation est essentiellement guidée par trois critères:

  • L’aptitude du demandeur à gérer le bien attribué
    • L’attribution préférentielle suppose que l’indivisaire demandeur soit en mesure d’assurer la gestion, l’entretien ou l’exploitation du bien concerné. 
    • À défaut, l’attribution peut être refusée pour éviter qu’un bien ne se retrouve entre les mains d’un indivisaire incapable d’en assurer la conservation ou la valorisation.
    • Ainsi, la Cour de cassation a validé le rejet d’une attribution portant sur un fonds de commerce, au motif que le demandeur, en raison de son âge avancé et de son état de santé, n’était plus en mesure d’assurer une gestion efficace du fonds (Cass. 1re civ., 27 oct. 1971, n°70-10.125).
    • De même, l’attribution d’un château a pu être refusée lorsqu’il a été démontré que le demandeur n’avait aucun projet d’entretien ou d’exploitation viable et qu’il poursuivait l’unique objectif de revendre le bien en réalisant une plus-value (TGI Paris, 13 nov. 1970).
    • Ce critère est particulièrement déterminant lorsque le bien objet de l’attribution revêt une valeur patrimoniale ou économique significative.
    • Il appartient alors au juge de s’assurer que le demandeur est en mesure d’assumer la charge effective du bien avant d’accorder l’attribution.
  • La solvabilité du demandeur et la capacité à régler la soulte
    • L’un des motifs les plus fréquents de rejet d’une attribution préférentielle repose sur l’incapacité du demandeur à s’acquitter de la soulte due aux autres indivisaires.
    • L’attribution préférentielle ne saurait avoir pour effet de léser les autres indivisaires en leur imposant un déséquilibre financier excessif ou un retard dans l’exécution du partage.
    • La jurisprudence a ainsi validé de nombreux refus fondés sur la situation financière du demandeur, notamment lorsque son impécuniosité était susceptible de porter atteinte aux droits des coïndivisaires (Cass. 1re civ., 21 sept. 2005, n° 02-20.287).
    • Toutefois, un rejet sur ce fondement suppose un examen minutieux des ressources du demandeur. 
    • En effet, la Cour de cassation a sanctionné plusieurs décisions ayant refusé une attribution sans rechercher si le demandeur pouvait compenser l’impossibilité de régler immédiatement la soulte par d’autres moyens financiers (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 06-10.034).
    • L’appréciation du juge doit ainsi être équilibrée et ne pas se limiter à un simple constat d’insolvabilité : il lui appartient d’examiner si des solutions de financement existent et si elles sont de nature à garantir le respect des droits des coïndivisaires.
  • L’incidence de l’attribution sur les autres indivisaires
    • L’attribution préférentielle ne doit pas aboutir à un déséquilibre excessif du partage.
    • En particulier, lorsque le bien concerné représente la majeure partie de l’actif indivis, la licitation peut apparaître plus appropriée afin d’assurer une répartition plus équitable entre les indivisaires (Cass. 1re civ., 2 juin 1970).
    • Dans le cadre des partages successoraux ou consécutifs à un divorce, les intérêts familiaux entrent également en ligne de compte.
    • Par exemple, l’attribution préférentielle d’un logement est fréquemment accordée au conjoint ayant la garde des enfants, afin d’assurer leur stabilité résidentielle. 
    • Toutefois, cette attribution ne saurait être automatique et ne doit pas léser les droits de l’autre époux (Cass. 1re civ., 26 juin 2013, n° 12-11.818).
    • De même, lorsqu’un bien indivis présente une importance stratégique pour plusieurs indivisaires, le juge doit trancher en prenant en compte les conséquences économiques et patrimoniales de son attribution.
    • Il doit donc rechercher la solution la plus équilibrée pour éviter toute atteinte disproportionnée aux intérêts des autres parties.

==>Le contrôle exercé par la Cour de cassation

Bien que le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation en matière d’attribution préférentielle facultative, il demeure astreint à une obligation de motivation rigoureuse.

En effet, toute décision prononçant ou refusant une attribution doit être expressément motivée, faute de quoi elle encourt le risque d’une censure par la Cour de cassation.

Ainsi, un refus fondé sur l’absence d’une estimation récente du bien a été censuré, la Haute juridiction ayant considéré que ce critère était sans incidence sur le principe même de l’attribution (Cass. 1re civ., 16 mars 2016, n° 15-14.822).

De même, un refus motivé par le montant supposé excessif de la soulte doit faire l’objet d’une analyse détaillée des capacités financières du demandeur. À défaut, la décision sera cassée pour défaut de base légale (Cass. 1re civ., 11 avr. 1995, n° 93-14.461).

Enfin, le respect du principe du contradictoire est impératif. Toute décision rejetant une demande d’attribution pour absence de justification financière sans avoir permis au demandeur de s’expliquer est annulée pour violation de l’article 16 du Code de procédure civile (Cass. 1re civ., 28 janv. 2009, n° 07-22.006).

2. La décision du juge en présence de demandes concurrentes d’attribution préférentielle

Lorsqu’un bien indivis fait l’objet de plusieurs demandes d’attribution préférentielle, le juge ne peut se contenter d’une appréciation binaire consistant à accorder ou refuser la demande. Contrairement à l’hypothèse d’une demande unique, où il lui appartient de vérifier la réunion des conditions légales et d’évaluer l’opportunité de l’attribution, la présence de demandes concurrentes l’oblige à procéder à un choix parmi les postulants.

Ce choix ne saurait être laissé à une libre appréciation du magistrat sans cadre défini: l’article 832-3 du Code civil impose un raisonnement en trois temps.

  • En premier lieu, le juge doit se laisser guider par les critères légaux, qui constituent le fondement même du droit à l’attribution préférentielle et limitent son pouvoir discrétionnaire.
  • En deuxième lieu, lorsque plusieurs postulants remplissent les conditions légales, il doit examiner les intérêts en présence, afin de privilégier la solution la plus conforme aux impératifs du partage et de la préservation du bien.
  • En dernier lieu, en cas d’impossibilité de départager les prétendants, il peut opter pour des solutions intermédiaires, telles que l’attribution conjointe ou la licitation du bien.

a. L’examen des critères légaux

L’article 832-3 du Code civil impose au juge, en présence de demandes concurrentes d’attribution préférentielle, de tenir compte de l’aptitude des postulants à gérer le bien en cause et à s’y maintenir. Ce critère général s’applique à l’ensemble des attributions préférentielles, qu’elles portent sur des exploitations agricoles, des fonds de commerce, des locaux professionnels ou d’habitation.

Toutefois, lorsque l’attribution préférentielle porte sur une entreprise, qu’elle soit agricole, commerciale, artisanale ou libérale, le texte précise que le tribunal doit accorder une attention particulière à la durée de la participation personnelle du postulant à l’activité concernée. Cette exigence vise à garantir que l’attributaire désigné soit en mesure d’assurer la continuité et la viabilité de l’entreprise, évitant ainsi des décisions qui compromettraient son exploitation future.

==>L’aptitude générale à gérer les biens en cause et à s’y maintenir

L’attribution préférentielle d’un bien indivis repose sur une exigence essentielle : le postulant doit être en mesure d’assurer une gestion pérenne et efficace du bien concerné. Cette aptitude, qui conditionne le succès de la demande, s’évalue au regard de plusieurs éléments, notamment l’expérience antérieure du demandeur et sa capacité effective à maintenir l’exploitation du bien attribué.

  • L’expérience passée comme présomption d’aptitude à la gestion
    • L’un des principes directeurs en matière d’attribution préférentielle repose sur l’idée qu’un indivisaire ayant fait preuve d’une implication active et constante dans l’exploitation du bien indivis présente les meilleures garanties pour en assurer la pérennité. 
    • Il s’agit d’un critère objectif, destiné à favoriser la continuité de l’exploitation et à éviter toute rupture brutale susceptible de nuire à la valorisation du bien.
    • Dans son appréciation, le juge accorde une importance décisive à l’historique de gestion du postulant, recherchant ainsi celui dont l’engagement passé atteste d’une capacité éprouvée à poursuivre l’exploitation avec sérieux et compétence. 
    • La jurisprudence a d’ailleurs consacré ce critère en relevant que la participation prolongée et constante à la gestion d’un bien indivis constitue un élément discriminant lorsqu’il existe plusieurs demandes concurrentes.
    • Ainsi, en matière agricole, lorsqu’une exploitation était revendiquée par plusieurs indivisaires, la préférence a été donnée à celui dont l’implication était la plus ancienne et continue, la cour ayant estimé qu’il présentait les meilleures garanties de gestion et de préservation de l’intégrité de l’exploitation (CA Pau, 28 févr. 2005, n° 03/02292). 
    • Ce raisonnement repose sur une logique de stabilité et de préservation de l’unité économique du bien, qui justifie l’exclusion des postulants dont l’investissement a été plus intermittent ou secondaire.
    • Un raisonnement similaire prévaut en matière commerciale : lorsqu’un fonds de commerce exploité en indivision fait l’objet de demandes concurrentes, la jurisprudence privilégie le postulant ayant démontré une gestion rigoureuse et continue de l’activité. 
    • En effet, la constance dans l’exploitation d’un commerce constitue un indicateur fort de la capacité du demandeur à assurer la viabilité de l’entreprise.
    • Toutefois, cette présomption d’aptitude à la gestion n’est pas irréfragable. 
    • Elle peut être écartée si des éléments objectifs viennent infirmer la capacité du demandeur à assurer une gestion efficace et pérenne.
    • L’expérience passée doit donc être mise en balance avec l’aptitude actuelle du postulant à poursuivre l’exploitation du bien.
    • C’est précisément ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt récent portant sur l’attribution préférentielle d’une exploitation agricole.
    • Dans cette affaire, plusieurs indivisaires revendiquaient des parcelles agricoles.
    • La Cour d’appel avait attribué ces parcelles à l’un des demandeurs en raison de la continuité de son activité d’agriculteur, tandis que l’autre postulant ne justifiait plus de l’exercice effectif de cette activité. 
    • En validant cette décision, la Cour de cassation a consacré le principe selon lequel la simple implication passée ne suffit pas à justifier une attribution préférentielle si le demandeur n’est plus en mesure d’assurer l’exploitation du bien (Cass.. 1re civ., 28 janv. 2015, n° 13-20.701).
    • Ce raisonnement s’applique à d’autres types de biens indivis, notamment en matière commerciale : lorsqu’un commerce est revendiqué par plusieurs indivisaires, le juge ne se limite pas à constater l’ancienneté de l’investissement du demandeur, mais vérifie également sa capacité à poursuivre l’exploitation de manière efficace.
    • Ainsi, une absence d’activité récente, un état de santé dégradé ou une situation financière instable peuvent conduire à écarter un postulant, même s’il a longtemps participé à l’exploitation du bien.
  • La proximité avec le bien comme facteur déterminant
    • Au-delà de l’engagement passé, la localisation du postulant par rapport au bien objet de l’attribution constitue un critère d’appréciation particulièrement pertinent.
    • Une gestion efficace suppose en effet une présence physique et une implication constante, de sorte qu’un indivisaire résidant sur place et assurant un suivi régulier du bien indivis offrira de meilleures garanties qu’un coïndivisaire vivant à distance et dans l’incapacité d’assurer un contrôle direct et immédiat.
    • Cette exigence de proximité géographique revêt une importance particulière en matière agricole, où la continuité de l’exploitation repose sur une présence effective du gestionnaire.
    • La jurisprudence illustre cette approche en reconnaissant l’avantage de l’indivisaire qui, par son maintien sur le domaine, garantit la gestion stable et la valorisation durable du bien.
    • Ainsi, dans un arrêt du 25 février 1997, la Cour de cassation a validé l’attribution préférentielle d’une exploitation agricole au bénéfice du demandeur demeuré sur place, qui avait poursuivi l’exploitation d’une partie du domaine familial après le décès de sa mère (Cass. 1re civ, 25 févr. 1997, n° 94-19.068).
    • À l’inverse, sa sœur, qui avait quitté la propriété plusieurs années auparavant pour s’installer à Paris, a vu sa demande rejetée.
    • Si cette dernière avait bien participé à l’exploitation avant son départ, son éloignement prolongé et la cessation de toute activité sur le domaine ont conduit les juges du fond à considérer qu’elle ne remplissait plus les conditions d’une gestion effective et continue du bien.
    • La Cour de cassation a validé cette appréciation souveraine des juges du fond, qui avaient estimé que le maintien sur place du frère et son exploitation continue d’une partie des terres indivises constituaient des éléments déterminants en faveur de son attribution préférentielle.
    • Ce principe trouve également à s’appliquer aux locaux commerciaux et aux biens à usage d’habitation.
    • Lorsqu’un indivisaire occupe déjà le bien ou y exerce une activité professionnelle, il bénéficie d’un avantage manifeste sur un coïndivisaire ne résidant pas sur place, son maintien dans les lieux garantissant une transition plus fluide et une gestion optimisée du bien.
    • Dans cette logique, la jurisprudence a précisé que l’occupation passée d’un bien ne suffit pas à justifier son attribution préférentielle si l’intéressé ne présente plus les garanties d’un maintien effectif et utile du bien dans l’avenir.
    • Ainsi, dans un arrêt du 13 février 1967, la Cour de cassation a validé la décision des juges du fond refusant l’attribution préférentielle d’un immeuble à un médecin qui y avait exercé son activité, mais qui ne l’occupait plus au moment du litige (Cass. 1re civ, 13 févr. 1967).
    • Les juges avaient estimé que la demande du médecin ne pouvait prospérer dès lors qu’elle ne s’inscrivait pas dans une logique d’exploitation durable, mais relevait davantage d’une volonté de conserver un bien à titre patrimonial.
    • La Haute juridiction a confirmé cette approche en rappelant que l’attribution préférentielle doit être appréciée en fonction des intérêts en présence et de l’usage effectif du bien.
    • Ces décisions s’inscrivent dans une tendance jurisprudentielle constante : l’attribution préférentielle ne repose pas sur un simple droit à la conservation du bien, mais sur une exigence d’exploitation effective et pérenne.

==>L’importance de la durée de la participation personnelle à l’activité en cas d’attribution préférentielle d’une entreprise

L’attribution préférentielle d’une entreprise obéit à des impératifs spécifiques, distincts de ceux applicables aux biens immobiliers à usage d’habitation ou aux exploitations purement foncières. L’article 832-3 du Code civil impose au juge de tenir compte, en particulier, de la durée de la participation personnelle du postulant à l’activité. Ce critère, introduit par la loi du 10 juillet 1982, vise à garantir que l’attribution bénéficie à celui qui a fait preuve d’un engagement constant et significatif dans la gestion du bien, offrant ainsi les meilleures garanties de viabilité et de continuité économique.

En effet, l’une des finalités de l’attribution préférentielle d’une entreprise est d’assurer la pérennité de l’activité en privilégiant celui dont l’investissement dans la gestion de l’exploitation a été le plus ancien et le plus constant. L’ancienneté de la participation constitue, en ce sens, un indice objectif de compétence et de capacité à poursuivre l’exploitation sans discontinuité. Cette exigence se vérifie tout particulièrement dans le domaine agricole, où la stabilité de l’exploitation constitue un impératif économique et social.

À cet égard, la jurisprudence souligne que le juge doit privilégier le demandeur dont l’implication dans la gestion de l’exploitation a été continue et significative, et qui apparaît le plus à même d’en assurer le maintien et le développement. Ainsi, dans une affaire où plusieurs indivisaires revendiquaient l’attribution d’une exploitation agricole, la cour d’appel a privilégié celui dont l’engagement était le plus long et le plus constant, estimant qu’il présentait les meilleures garanties de gestion à long terme (CA Pau, 28 févr. 2005, n° 03/02292).

De la même manière, ce raisonnement s’applique en matière commerciale, où la longévité et la régularité de l’implication dans l’activité d’un fonds de commerce ou d’une entreprise artisanale constituent un critère déterminant. L’article 832-3 du Code civil prévoit expressément que, lorsqu’une entreprise fait l’objet d’une demande d’attribution préférentielle, le juge doit tenir compte en particulier de la durée de la participation personnelle du postulant à l’exploitation.

Faute de jurisprudence récente et explicite en matière de fonds de commerce, les principes dégagés en matière agricole ou artisanale restent transposables : le postulant justifiant d’un engagement durable et effectif dans l’exploitation bénéficiera d’un avantage décisif sur un coïndivisaire dont l’implication a été plus intermittente ou récente. Ce critère permet ainsi d’éviter toute rupture brutale de l’exploitation, qui pourrait compromettre sa viabilité.

Toutefois, l’appréciation du juge ne saurait se limiter à une lecture mécanique des critères légaux. L’ancienneté et la continuité dans la participation ne suffisent pas, à elles seules, à justifier une attribution préférentielle. 

Le juge doit également procéder à une évaluation plus large, prenant en compte la capacité réelle du postulant à assurer la pérennité de l’exploitation. Ainsi, même si un indivisaire justifie d’un engagement prolongé dans l’entreprise, des éléments tels que sa situation financière, son état de santé ou l’absence d’un projet crédible de poursuite de l’activité peuvent légitimement justifier un refus d’attribution (Cass. 1re civ., 21 mai 1997, n° 95-15.132).

L’ancienneté de la participation à l’exploitation d’une entreprise prend tout son relief dans les conflits successoraux, où plusieurs héritiers peuvent se disputer l’attribution d’une même activité.  Dans ce contexte, le juge privilégiera naturellement le candidat dont l’engagement s’inscrit dans la durée et qui a démontré, par une implication constante et effective, sa capacité à assurer la pérennité de l’exploitation. Ainsi, lorsqu’une entreprise familiale fait l’objet de revendications concurrentes, la priorité est généralement accordée à celui qui a le plus contribué à son développement, offrant ainsi les meilleures garanties d’exploitation future.

À l’inverse, un coïndivisaire dont l’implication s’est révélée plus récente, sporadique ou limitée peut voir sa demande écartée, même s’il satisfait en apparence aux critères légaux. 

b. L’appréciation des intérêts en présence

Lorsqu’une pluralité de postulants satisfait aux critères légaux définis par l’article 832-3 du Code civil, le juge ne peut se limiter à une application purement formelle du texte. Il lui appartient d’adopter une approche plus large en mettant en balance les intérêts patrimoniaux, économiques et familiaux liés à l’attribution préférentielle. Cette analyse suppose de concilier les droits de chaque indivisaire avec l’objectif de préservation du bien indivis et de stabilité successorale.

==>La préservation de l’équilibre patrimonial

Dans le cadre d’un partage, le juge doit veiller à ce que l’attribution préférentielle ne provoque pas un déséquilibre excessif au détriment des autres indivisaires. À ce titre, la capacité financière du demandeur à indemniser ses coïndivisaires par le versement d’une soulte est un facteur déterminant.

Ainsi, l’attribution peut être refusée à un postulant dont la situation financière ne permettrait pas de compenser équitablement les autres copartageants. Ce principe a été rappelé dans un arrêt où la Cour de cassation a validé la décision des juges du fond ayant refusé une attribution préférentielle en raison de l’incapacité du demandeur à payer la soulte nécessaire (Cass. 1ère civ. 1re, 10 mai 2007, n° 06-10.034).

Dès lors, le postulant à l’attribution préférentielle ne doit pas seulement établir son aptitude à gérer le bien, mais également démontrer qu’il est en mesure d’indemniser équitablement les autres indivisaires, afin que l’attribution ne crée pas un déséquilibre au sein du partage successoral.

==>La continuité de l’exploitation et la protection du bien

Lorsque l’attribution préférentielle porte sur une exploitation agricole ou une entreprise, le juge privilégiera le demandeur offrant les meilleures garanties de pérennité de l’activité. Ce critère répond à un impératif économique : éviter que l’exploitation ne soit interrompue ou dégradée par une gestion hasardeuse ou par l’absence d’exploitation effective.

Ainsi, la Cour de cassation a été amenée à censurer une décision d’attribution préférentielle d’une exploitation agricole au bénéfice de deux frères, au détriment de leurs coïndivisaires, en raison d’une insuffisante prise en compte des intérêts en présence (Cass. 1ère civ., 20 janv. 2004, n° 00-14.252). 

En l’espèce, après le décès de leur mère, plusieurs indivisaires revendiquaient l’attribution d’un domaine agricole familial. La cour d’appel avait accordé l’attribution préférentielle à deux frères, en se fondant sur leur implication dans l’exploitation, notamment celle de l’un d’eux qui en exerçait la direction depuis plusieurs années.

Toutefois, la Cour de cassation a censuré cette décision au motif que la cour d’appel avait omis de procéder à une comparaison approfondie des intérêts en présence. En effet, les autres coïndivisaires soutenaient que la gestion des bénéficiaires de l’attribution préférentielle était contestable et qu’elle avait porté atteinte aux intérêts patrimoniaux de l’indivision. Or, l’article 832, alinéa 11, du Code civil impose au juge de statuer sur la demande d’attribution préférentielle en tenant compte de l’ensemble des intérêts en présence. En se bornant à constater l’implication des bénéficiaires dans l’exploitation, sans examiner les griefs des autres coïndivisaires, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

Cet arrêt illustre ainsi une exigence fondamentale : l’implication passée d’un demandeur ne suffit pas, à elle seule, à justifier l’attribution préférentielle. Le juge doit impérativement mettre en balance les intérêts économiques et patrimoniaux de l’ensemble des parties concernées. L’attribution préférentielle ne peut être accordée qu’à la condition qu’elle ne lèse pas de manière disproportionnée les droits des autres indivisaires, notamment lorsque des contestations sur la gestion du bien sont soulevées.

c. Les solutions intermédiaires : pallier l’impossibilité de départager les postulants

Dans certaines hypothèses, aucun des postulants ne se distingue de manière évidente au regard des critères légaux et jurisprudentiels. Le juge dispose alors d’une latitude pour aménager une solution équilibrée, conciliant les intérêts de l’ensemble des indivisaires et préservant la stabilité patrimoniale. Deux solutions alternatives peuvent être envisagées : l’attribution conjointe, qui permet un partage de la gestion entre plusieurs bénéficiaires, et la licitation, qui impose la vente du bien afin d’éviter des conflits irréconciliables.

==>L’attribution conjointe

Lorsque plusieurs demandeurs satisfont aux critères de l’attribution préférentielle et qu’aucun ne se distingue nettement par son aptitude à gérer le bien et à s’y maintenir, le juge peut envisager une répartition partielle du bien litigieux entre plusieurs postulants. Cette solution, bien que moins fréquente, permet d’éviter un déséquilibre trop marqué dans le partage successoral tout en préservant la continuité économique de l’exploitation concernée.

La Cour de cassation a validé cette approche dans une affaire où plusieurs héritiers revendiquaient l’attribution préférentielle de parcelles viticoles issues de la succession de leur père (Cass. 1re civ., 22 févr. 2000, n° 98-10.153). En l’espèce, deux des enfants avaient participé à la mise en valeur des terres litigieuses et chacun exploitait déjà des parcelles en propre. La cour d’appel avait estimé qu’ils étaient également aptes à poursuivre l’exploitation et que l’attribution d’une part significative du domaine à l’un des postulants, sans prise en compte des intérêts de l’autre, aurait entraîné un déséquilibre injustifié.

Dans son arrêt, la Cour de cassation a confirmé la décision des juges du fond, qui avaient attribué à chacun une portion des terres, en considérant que cette solution permettait d’assurer un partage équitable tout en préservant l’intégrité économique de l’exploitation. Elle a relevé que cette décision n’était pas motivée par une simple considération d’équité, mais reposait bien sur les critères posés par l’article 832-1 du Code civil, qui impose au juge de désigner l’attributaire en fonction des intérêts en présence et de l’aptitude des différents postulants à gérer l’exploitation et à s’y maintenir.

Toutefois, l’attribution conjointe suppose plusieurs conditions :

  • Une compatibilité de gestion entre les co-attributaires, afin d’éviter des conflits susceptibles de nuire à l’exploitation du bien ;
  • Une division matériellement possible du bien sans compromettre son intégrité économique ;
  • Un équilibre entre les intérêts successoraux, garantissant que la solution retenue ne lèse aucun héritier de manière disproportionnée.

Ainsi, cette solution ne peut être retenue que lorsque la nature du bien indivis permet une gestion distincte entre plusieurs indivisaires et que ces derniers disposent des compétences nécessaires pour en assurer l’exploitation de manière autonome.

Toutefois, le juge doit rester vigilant quant aux risques de conflits futurs entre co-attributaires. En effet, une exploitation en indivision peut rapidement devenir source de tensions, notamment en cas de désaccord sur la gestion des biens attribués conjointement. Dès lors, l’attribution conjointe ne constitue pas une solution systématique, mais une alternative à envisager lorsque les circonstances le permettent et que les indivisaires sont en mesure d’assurer une gestion sereine et efficace du bien partagé.

==>La licitation

L’attribution préférentielle d’un bien indivis repose sur l’idée qu’un indivisaire peut en assurer la gestion de manière autonome et efficace tout en indemnisant équitablement les autres coïndivisaires. Toutefois, lorsque cette répartition s’avère impossible ou qu’aucun des postulants ne présente de garanties suffisantes pour assurer la continuité de l’exploitation, le juge peut être amené à ordonner la licitation du bien.

La licitation consiste en la vente du bien indivis, soit de manière amiable, soit aux enchères publiques, afin de répartir le produit entre les indivisaires selon leurs droits respectifs. Cette solution est généralement considérée comme un dernier recours, intervenant lorsque :

  • L’attribution préférentielle à un indivisaire ne permet pas d’indemniser équitablement les autres héritiers par le paiement d’une soulte, notamment en raison d’un déséquilibre patrimonial trop important ;
  • Le maintien en indivision risque d’engendrer des conflits de gestion insolubles, notamment lorsque les coïndivisaires sont en désaccord sur la gestion du bien ;
  • Le bien concerné ne peut être matériellement partagé et son exploitation conjointe est impraticable, comme c’est le cas d’un fonds de commerce détenu par d’anciens époux après leur divorce.

La Cour de cassation a validé cette approche dans une affaire où des époux divorcés revendiquaient chacun l’attribution préférentielle d’un fonds de commerce commun (Cass. 1re civ., 22 avr. 1981, n° 79-16.342). Dans cette affaire, les tensions entre les ex-époux rendaient toute gestion commune impossible et l’attribution à l’un d’eux aurait nécessité le versement d’une soulte d’un montant trop élevé. La cour d’appel avait donc décidé d’ordonner la licitation du fonds de commerce, estimant que cette solution permettrait de garantir une répartition équitable des valeurs patrimoniales et d’éviter un conflit prolongé entre les parties.

La Cour de cassation a validé cette analyse en considérant que la licitation faisait apparaître “dans l’intérêt des deux parties, la valeur réelle et non théorique du fonds de commerce“, permettant ainsi à chacun des ex-époux de faire valoir ses droits dans des conditions financières objectives. Elle a également précisé que cette décision relevait de l’appréciation souveraine des juges du fond, qui avaient examiné les intérêts en présence avant de statuer.

Dans une perspective plus large, la licitation peut apparaître comme un instrument essentiel de préservation de l’équilibre patrimonial. Elle permet d’éviter qu’un indivisaire ne s’arroge une position dominante au détriment des autres, en assurant une répartition équitable de la valeur patrimoniale du bien.

Toutefois, cette solution ne saurait être ordonnée qu’en dernier ressort. Le juge doit, avant d’y recourir, explorer toutes les alternatives susceptibles de concilier les intérêts en présence, telles que l’attribution conjointe ou la mise en place de mécanismes compensatoires, à l’instar d’un échelonnement du paiement de la soulte. Ce n’est que lorsque toute tentative d’attribution préférentielle risquerait de rompre l’équilibre financier entre les indivisaires ou de conduire à une impasse dans la gestion du bien que la licitation s’impose avec nécessité.