Le devoir de conseil au stade de la souscription du contrat d’assurance: l’assistance dans la déclaration des risques

Au-delà du conseil portant sur le choix du produit d’assurance, l’intermédiaire conserve un rôle d’accompagnement déterminant lors de la phase de souscription proprement dite. Cette étape, qui marque la transition entre la simple proposition et la conclusion effective du contrat, revêt une importance particulière car elle conditionne l’efficacité future de la garantie. Comme l’observe justement la Cour de cassation, « une obligation générale de vérification pèse sur l’agent général d’assurances au titre des devoirs de sa profession », obligation qui va se décliner aux différentes phases du processus de formation du contrat (Cass. 1re civ., 10 mai 2000, n° 98-10.033).

Le devoir de conseil au stade de la souscription se distingue donc du conseil préalable par son caractère opérationnel et technique. Il ne s’agit plus seulement d’orienter le souscripteur vers le produit adapté à ses besoins, mais de l’assister concrètement dans la mise en œuvre de cette décision. Cette assistance revêt trois dimensions essentielles : l’accompagnement dans la déclaration du risque, la vérification de l’adéquation des garanties retenues, et l’encadrement des formalités de conclusion.

Nous nous focaliserons ici sur l’accompagnement dans la déclaration des risques.

I. Le contenu de l’obligation de déclaration du risque

La déclaration du risque s’impose comme l’un des fondements structurants du contrat d’assurance, dans la mesure où elle conditionne directement la formation, la validité et l’exécution équilibrée de la convention. L’article L. 113-2 du Code des assurances, profondément modifié par la loi du 31 décembre 1989, a substitué au système de déclaration spontanée un mécanisme de questions-réponses qui place l’assureur en position d’initiative. Cette évolution législative a paradoxalement renforcé le rôle de l’intermédiaire, devenu l’interface naturelle entre l’assureur qui interroge et l’assuré qui répond.

L’intermédiaire se trouve ainsi investi d’une mission d’assistance technique qui dépasse la simple transmission d’informations. Cette évolution s’inscrit dans un mouvement plus large de revalorisation du rôle de conseil des professionnels de l’assurance dans l’accompagnement de leurs clients.

II. L’étendue de l’obligation d’assistance déclarative

L’assistance de l’intermédiaire dans la déclaration du risque obéit à un équilibre délicat entre diligence professionnelle et respect de l’autonomie du souscripteur. La jurisprudence a progressivement délimité les contours de cette obligation.

D’une part, l’intermédiaire doit transmettre fidèlement les informations dont il a connaissance. La Cour de cassation a ainsi sanctionné l’agent général qui avait omis volontairement de signaler, dans la proposition d’assurance qu’il avait fait signer au propriétaire d’une voiture, un accident dont celui-ci avait été antérieurement l’auteur[49]. Cette obligation de transmission s’étend aux circonstances portées à la connaissance de l’intermédiaire par des voies autres que les déclarations directes du souscripteur.

D’autre part, la Cour de cassation rappelle de manière constante que l’intermédiaire d’assurance n’est pas tenu de contrôler la véracité des déclarations effectuées par le preneur d’assurance concernant le risque à garantir (Cass. 1re civ., 14 nov. 2001). Cette position se justifie par la préservation de l’équilibre contractuel et le respect du principe selon lequel l’intermédiaire ne saurait se substituer intégralement au souscripteur dans l’exécution de ses obligations.

III. Les limites de l’obligation d’investigation

L’obligation d’assistance de l’intermédiaire connaît une limite essentielle : elle ne saurait se muer en devoir d’enquête. S’il lui incombe de formuler des questions précises et pertinentes, propres à permettre une évaluation adéquate des besoins de couverture, il n’est pas tenu de rechercher activement des informations que le souscripteur ne lui aurait pas spontanément communiquées – que cette réticence soit volontaire ou involontaire.

Cette limitation s’inscrit dans le respect du dispositif instauré par l’article L. 113-2 du Code des assurances, qui repose sur une répartition claire des responsabilités : il revient à l’assuré de répondre de bonne foi aux questions posées, sans que l’intermédiaire ait à contrôler la sincérité ou l’exhaustivité des réponses.

Cela étant, dès lors que certaines données en sa possession font apparaître une discordance manifeste – incohérence entre les éléments déclarés et les pièces fournies, lacunes évidentes dans les réponses – l’intermédiaire demeure tenu d’exercer sa vigilance professionnelle. Il lui appartient alors, au titre de son devoir de conseil, de solliciter les précisions nécessaires ou de signaler les risques d’inexactitude, afin d’éviter toute fausse représentation du risque à l’assureur.

 

  1. D. Langé, « Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005 », Mélanges Bigot, p. 259 ?
  2. J. Bigot, « L’obligation de conseil des intermédiaires », RGDA 2018, p. 445 ?
  3. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  4. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  5. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil (à propos du conseil en investissement assurantiel) », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  6. A. Pélissier, « Devoir de conseil de l’assureur et de la banque », RGDA 2019, n° 1169, p. 7 ?
  7. I. Monin-Lafin, « Le nouveau régime du conseil en assurance », Trib. ass. 2018, p. 45 ?
  8. J. Kullmann, « L’interprétation systémique en droit des assurances », RGDA 2019, p. 234 ?
  9. J. Bigot, « Les niveaux de conseil : clarification ou complexification ? », RGDA 2018, p. 445 ?
  10. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  11. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  12. D. Langé, « La gradation des obligations de conseil », RGDA 2019, p. 156 ?
  13. P. Mayaux, « L’économie du conseil en assurance », Rev. dr. bancaire et fin. 2019, p. 23 ?
  14. H. Groutel, “Le devoir de conseil en assurance”, Risques 1990, n° 2, p. 89 ?
  15. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018 ?
  16. D. Lange, “Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005”, Mélanges Bigot, p. 259. ?
  17. Y. Lequette, “L’obligation de renseignement et le droit commun du contrat”, in L’information en droit privé, LGDJ, 1978, p. 305 ?
  18. Directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers. ?
  19. Voir notamment A. Couret, H. Le Nabasque, “Valeurs mobilières”, Dalloz Action, 2020, n° 12.45 ?
  20. M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, “Droit des sociétés”, Litec, 31e éd., 2018, n° 452 ?
  21. Art. L. 111-1 du Code de la consommation ?
  22. H. Groutel, “L’évolution du devoir de conseil en assurance”, RCA 2019, étude 4 ?
  23. N. Reich, “Protection of Consumers’ Economic Interests by the EC”, Sydney Law Review, 1992, vol. 14, p. 23 ?
  24. Directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances, considérant 31 ?
  25. Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, RGAT 1965, p. 175, note A. Besson ?
  26. J. Lasserre Capdeville, “Le conseil en investissement”, Rev. dr. bancaire et fin. 2018, dossier 15 ?
  27. Directive 2014/65/UE du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers ?
  28. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018, p. 12 ?
  29. Ph. Storck, “La transformation de l’intermédiation financière”, Rev. économie financière 2017, n° 127, p. 45 ?
  30. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008 ?
  31. Malaurie Ph., Aynès L., Stoffel-Munck Ph., Droit des obligations, LGDJ ?
  32. J. Bigot, « Missions non traditionnelles : la responsabilité professionnelle du producteur d’assurances », L’Assureur Conseil, oct. 1987, p. 3 ?
  33. Cass. 1?? civ., 6 nov. 1984, RGAT 1985, p. 313 ?
  34. H. Groutel, « Le devoir de conseil en assurance », Risques 1990, n° 2, p. 89. ?
  35. Cass. 1?? civ., 10 nov. 1964, JCP G 1965, II, 13981, note PP ?
  36. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  37. J.-C. Heydel, « L’agent général d’assurance », LGDJ, 2019, n° 156 ?
  38. Cass. 1?? civ., 28 oct. 1986, RGAT 1986, p. 610 ?
  39. L. Mayaux, Les assurances de personnes, Traité, t. IV, n° 835 ?
  40. D. Lange, « Les limites du devoir de conseil », RGDA 2019, p. 456 ?
  41. J. Kullmann, Le contrat d’assurance, Traité, t. 3, n° 1262 ?
  42. L. Mayaux, « Les grands risques et la protection du consommateur », RGDA 2018, p. 234 ?
  43. H. Groutel, « L’exclusion des grands risques », RCA 2019, comm. 156 ?
  44. J. Bigot, D. Langé, J. Moreau et J.-L. Respaud, La distribution d’assurance, éd. LGDJ, 2020, n°1257. ?
  45. P. Maystadt, « Les assurances affinitaires », Argus, 2020, p. 45 ?
  46. J. Bigot, « Les courtiers grossistes », in Traité de droit des assurances, t. 6, n° 234 ?
  47. Cass. com., 18 avr. 2019, n° 18-11108 ?
  48. CA Lyon, 18 févr. 2003, RGDA 2003, p. 371, obs. J. Kullmann ?
  49. Cass. 1re civ., 31 mars 1981, Bull. civ. I, n° 108 ; D. 1982, IR, p. 97, note Berr et Groutel. ?

Le moment de la délivrance du conseil en assurance

L’évolution contemporaine du droit de l’assurance témoigne d’une préoccupation croissante pour l’équilibrage de la relation contractuelle entre distributeurs et souscripteurs. Cette démarche trouve une expression particulièrement significative dans le renforcement du devoir de conseil, dont l’ordonnance du 16 mai 2018 a précisé les modalités d’exécution.

La dimension temporelle de cette obligation soulève des interrogations d’une complexité particulière. À quel moment le distributeur doit-il délivrer son conseil ? Comment articuler cette exigence avec les contraintes pratiques de la distribution d’assurance ? Le renouvellement du contrat fait-il renaître cette obligation ?

Ces questions invitent à examiner les moments critiques où s’actualise le devoir de conseil, révélant les tensions entre impératifs de protection du consommateur et exigences de sécurité juridique.

I. La délivrance du conseil avant la conclusion du contrat

Le caractère précontractuel du devoir de conseil est consacré par l’article L. 521-4 du Code des assurances qui dispose que « avant la conclusion de tout contrat d’assurance, le distributeur […] précise par écrit […] les exigences et les besoins » du souscripteur éventuel. Cette exigence revêt une portée particulière dans la mesure où elle impose une intervention active du distributeur en amont de tout engagement contractuel.

Le principe signifie concrètement que le conseil ne peut intervenir efficacement qu’avant que le consentement du souscripteur ne soit définitivement formé. Une fois le contrat conclu, l’objectif du conseil – éclairer le choix du contractant – ne peut plus être atteint. Cette logique transparaît dans la finalité même assignée par le législateur à cette intervention : permettre au souscripteur de « prendre une décision en toute connaissance de cause ». Cette expression révèle que le conseil vise à parfaire le consentement avant qu’il ne se cristallise dans l’acte contractuel.

La lettre de l’article L. 521-4 du Code des assurances confirme cette approche. L’obligation faite au distributeur de « conseiller un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel » utilise à dessein la référence au « souscripteur éventuel », marquant ainsi que l’intervention doit nécessairement précéder l’engagement définitif. Cette conception s’inscrit dans une vision dynamique de la formation du contrat d’assurance. Comme le relève Jean Bigot, « le conseil est dû avant la conclusion de tout contrat d’assurance » car « la conclusion du contrat d’assurance vient au terme d’un processus de formation qui commence par la « proposition d’assurance » émanant d’un candidat à l’assurance mais qui va devoir mûrir sous les informations et les conseils du distributeur jusqu’à la signature de la police ».

Hubert Groutel souligne à cet égard que « le devoir de conseil en assurance » doit s’exercer « dès lors que s’engage le processus de formation du contrat », car c’est précisément à ce moment que le futur assuré a besoin d’être éclairé sur l’adéquation entre ses besoins et l’offre qui lui est présentée. L’ordonnance du 16 mai 2018 a d’ailleurs renforcé cette logique en imposant que le distributeur « précise par écrit les exigences et les besoins » du client « sur la base des informations obtenues auprès du souscripteur éventuel », marquant ainsi l’importance de la phase précontractuelle de dialogue et d’analyse.

Cette exigence de délivrance du conseil antérieurement à la conclusion du contrat répond à une finalité préventive clairement identifiée par la doctrine. Luc Mayaux observe que « l’objectif de la directive et des textes qui l’ont transposée est de combler ce déficit de compétence en chargeant l’une des parties, le distributeur, de renseigner le consommateur d’assurance ». Cette mission ne peut s’accomplir qu’en amont de l’engagement contractuel. Daniel Langé relève également que cette obligation précontractuelle vise à « éviter que l’assuré soit privé de la garantie » par une inadéquation entre ses besoins réels et le contrat souscrit.

La jurisprudence a d’ailleurs sanctionné les manquements à cette obligation précontractuelle. Dans un arrêt du 7 mars 1989, la Cour de cassation a ainsi retenu la responsabilité d’un courtier qui avait « omis de conseiller à l’assuré de résilier la garantie des dommages immatériels » inadaptée à sa situation, soulignant que cette obligation s’exerçait « dès avant la conclusion du contrat » (Cass. 1re civ., 7 mars 1989).

L’exigence de fourniture du conseil avant la conclusion du contrat s’articule étroitement avec les autres obligations précontractuelles, notamment l’obligation d’information consacrée aux articles L. 521-2 et L. 521-3 du Code des assurances. Comme le souligne Hubert Groutel, «si tout conseil suppose une information préalable, toute information n’aboutit pas nécessairement à un conseil»[30]. Cette distinction est essentielle car elle permet de comprendre que le conseil ne se limite pas à la transmission d’informations brutes, mais implique une véritable démarche d’analyse et de recommandation. L’article L. 521-4 du Code des assurances traduit cette exigence en imposant que le distributeur « conseille un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel » et «précise les raisons qui motivent ce conseil ».

La Cour de cassation a d’ailleurs précisé, dans un arrêt du 13 décembre 2012, que la clarté du contrat peut dispenser de l’exécution de l’obligation d’informer, mais ne dispense jamais de l’exécution de l’obligation de conseil dont l’objet est différent, confirmant ainsi la spécificité et l’autonomie de l’obligation de conseil précontractuel (Cass. 1re civ., 13 déc. 2012, n° 11-27.631).

Cette conception du conseil emporte des conséquences pratiques déterminantes. Elle impose d’abord au distributeur de structurer sa démarche commerciale de manière à ménager un temps spécifique dédié au conseil, distinct de la phase de conclusion proprement dite. Cette exigence se matérialise par l’obligation de formalisation écrite qui impose de « préciser par écrit » les exigences et besoins du client ainsi que « les raisons qui motivent ce conseil ». Cette formalisation vise précisément à matérialiser l’antériorité du conseil par rapport à la conclusion du contrat.

Le principe implique enfin que le distributeur doit disposer, avant toute conclusion, de l’ensemble des éléments nécessaires à la délivrance d’un conseil éclairé, ce qui suppose un recueil préalable et approfondi des informations relatives à la situation du souscripteur potentiel. Cette intervention précontractuelle constitue donc le socle temporel sur lequel repose l’ensemble du dispositif de protection du consommateur d’assurance, justifiant l’attention particulière que lui porte le législateur contemporain.

II. La délivrance du conseil lors du renouvellement du contrat

Une interrogation spécifique mérite d’être examinée s’agissant de l’application du devoir de conseil lors du renouvellement du contrat d’assurance. Cette problématique révèle les tensions entre l’automatisme de la tacite reconduction et l’exigence d’un conseil actualisé.

La jurisprudence a établi de longue date que la tacite reconduction n’entraîne pas une simple prorogation du contrat existant, mais donne naissance à un nouveau contrat. Cette analyse, confirmée par la Cour de cassation notamment dans un arrêt rendu le 18 janvier 1983 pourrait théoriquement imposer la délivrance d’un nouveau conseil à chaque échéance contractuelle (Cass. 1re civ., 18 janv. 1983, n° 81-14.860).

Cette exigence trouve sa justification dans l’évolution naturelle de la situation du souscripteur. Comme le souligne Jean Bigot « les besoins du client ont pu changer, de même que les opportunités à saisir sur le marché ». Cette observation revêt une acuité particulière dans un environnement économique et réglementaire en constante mutation, où les produits d’assurance évoluent rapidement pour s’adapter aux nouveaux risques et aux attentes changeantes de la clientèle.

Jean Bigot relève à cet égard que « la finalité du conseil pourrait le justifier », dans la mesure où celui-ci vise « la recommandation d’un contrat qui serait adapté aux besoins du souscripteur » éventuel, appréciés à un moment donné. À l’instant du renouvellement, cette adéquation mérite d’être réévaluée, les circonstances ayant pu évoluer depuis la souscription initiale.

L’ordonnance du 16 mai 2018 a d’ailleurs anticipé cette problématique en précisant, à l’article L. 521-2, III du Code des assurances, que « le souscripteur ou l’adhérent est informé des changements affectant l’une des informations » relatives au distributeur « s’il effectue, au titre du contrat d’assurance après sa conclusion, des paiements autres que les primes en cours et les versements prévus ». Cette disposition témoigne de la volonté du législateur de maintenir une information actualisée tout au long de la relation contractuelle.

La doctrine civiliste a d’ailleurs souligné l’importance de cette actualisation dans le contexte plus large du droit des contrats. Philippe Malaurie observe que « l’évolution des circonstances peut remettre en cause l’équilibre contractuel initial », justifiant une vigilance particulière lors des renouvellements successifs[31].

Néanmoins, la mise en œuvre pratique de cette exigence soulève des difficultés considérables. L’automatisme de la tacite reconduction, prévu à l’article L. 113-3 du Code des assurances, vise précisément à éviter les interruptions de garantie et à simplifier la gestion contractuelle. Imposer un conseil systématique à chaque renouvellement pourrait contrarier cette logique de continuité.

La solution semble résider dans une approche nuancée, fondée sur l’évolution significative de la situation du souscripteur ou du marché de l’assurance. Luc Mayaux suggère ainsi que « l’obligation de conseil ne devrait s’imposer au renouvellement qu’en cas de modification substantielle des besoins du souscripteur ou de l’offre disponible ». Cette approche permettrait de concilier l’exigence de protection du consommateur avec les impératifs de sécurité juridique et d’efficacité commerciale.

Cette problématique illustre plus largement les défis posés par l’adaptation du droit traditionnel de l’assurance aux exigences contemporaines de protection du consommateur, révélant la nécessité d’un équilibre délicat entre formalisme juridique et pragmatisme commercial.

 

  1. D. Langé, « Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005 », Mélanges Bigot, p. 259 ?
  2. J. Bigot, « L’obligation de conseil des intermédiaires », RGDA 2018, p. 445 ?
  3. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  4. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  5. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil (à propos du conseil en investissement assurantiel) », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  6. A. Pélissier, « Devoir de conseil de l’assureur et de la banque », RGDA 2019, n° 1169, p. 7 ?
  7. I. Monin-Lafin, « Le nouveau régime du conseil en assurance », Trib. ass. 2018, p. 45 ?
  8. J. Kullmann, « L’interprétation systémique en droit des assurances », RGDA 2019, p. 234 ?
  9. J. Bigot, « Les niveaux de conseil : clarification ou complexification ? », RGDA 2018, p. 445 ?
  10. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  11. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  12. D. Langé, « La gradation des obligations de conseil », RGDA 2019, p. 156 ?
  13. P. Mayaux, « L’économie du conseil en assurance », Rev. dr. bancaire et fin. 2019, p. 23 ?
  14. H. Groutel, “Le devoir de conseil en assurance”, Risques 1990, n° 2, p. 89 ?
  15. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018 ?
  16. D. Lange, “Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005”, Mélanges Bigot, p. 259. ?
  17. Y. Lequette, “L’obligation de renseignement et le droit commun du contrat”, in L’information en droit privé, LGDJ, 1978, p. 305 ?
  18. Directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers. ?
  19. Voir notamment A. Couret, H. Le Nabasque, “Valeurs mobilières”, Dalloz Action, 2020, n° 12.45 ?
  20. M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, “Droit des sociétés”, Litec, 31e éd., 2018, n° 452 ?
  21. Art. L. 111-1 du Code de la consommation ?
  22. H. Groutel, “L’évolution du devoir de conseil en assurance”, RCA 2019, étude 4 ?
  23. N. Reich, “Protection of Consumers’ Economic Interests by the EC”, Sydney Law Review, 1992, vol. 14, p. 23 ?
  24. Directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances, considérant 31 ?
  25. Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, RGAT 1965, p. 175, note A. Besson ?
  26. J. Lasserre Capdeville, “Le conseil en investissement”, Rev. dr. bancaire et fin. 2018, dossier 15 ?
  27. Directive 2014/65/UE du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers ?
  28. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018, p. 12 ?
  29. Ph. Storck, “La transformation de l’intermédiation financière”, Rev. économie financière 2017, n° 127, p. 45 ?
  30. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008 ?
  31. Malaurie Ph., Aynès L., Stoffel-Munck Ph., Droit des obligations, LGDJ ?
  32. J. Bigot, « Missions non traditionnelles : la responsabilité professionnelle du producteur d’assurances », L’Assureur Conseil, oct. 1987, p. 3 ?
  33. Cass. 1?? civ., 6 nov. 1984, RGAT 1985, p. 313 ?
  34. H. Groutel, « Le devoir de conseil en assurance », Risques 1990, n° 2, p. 89. ?
  35. Cass. 1?? civ., 10 nov. 1964, JCP G 1965, II, 13981, note PP ?
  36. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  37. J.-C. Heydel, « L’agent général d’assurance », LGDJ, 2019, n° 156 ?
  38. Cass. 1?? civ., 28 oct. 1986, RGAT 1986, p. 610 ?
  39. L. Mayaux, Les assurances de personnes, Traité, t. IV, n° 835 ?
  40. D. Lange, « Les limites du devoir de conseil », RGDA 2019, p. 456 ?
  41. J. Kullmann, Le contrat d’assurance, Traité, t. 3, n° 1262 ?
  42. L. Mayaux, « Les grands risques et la protection du consommateur », RGDA 2018, p. 234 ?
  43. H. Groutel, « L’exclusion des grands risques », RCA 2019, comm. 156 ?
  44. J. Bigot, D. Langé, J. Moreau et J.-L. Respaud, La distribution d’assurance, éd. LGDJ, 2020, n°1257. ?
  45. P. Maystadt, « Les assurances affinitaires », Argus, 2020, p. 45 ?
  46. J. Bigot, « Les courtiers grossistes », in Traité de droit des assurances, t. 6, n° 234 ?
  47. Cass. com., 18 avr. 2019, n° 18-11108 ?
  48. CA Lyon, 18 févr. 2003, RGDA 2003, p. 371, obs. J. Kullmann ?
  49. Cass. 1re civ., 31 mars 1981, Bull. civ. I, n° 108 ; D. 1982, IR, p. 97, note Berr et Groutel. ?

Le devoir de conseil : les règles communes à tous les produits d’assurance

Le devoir de conseil en matière d’assurance fait l’objet d’un encadrement juridique à la fois général et spécial. Il obéit, d’une part, à un ensemble de règles communes applicables à tous les produits d’assurance, qu’ils relèvent du domaine des assurances de dommages ou des assurances de personnes. Il est également soumis, d’autre part, à des dispositions spécifiques, destinées à régir plus strictement la distribution des contrats d’assurance vie et de capitalisation, en particulier lorsqu’ils comportent une valeur de rachat ou sont exprimés en unités de compte.

Les règles générales, issues des articles L. 521-1 à L. 521-4 du Code des assurances, organisent les obligations pesant sur tout distributeur : devoir d’agir au mieux des intérêts du souscripteur, recueil préalable des besoins, justification du conseil formulé. Ce socle normatif encadre la distribution de l’ensemble des produits d’assurance dans une perspective de protection du consentement et d’adéquation des garanties proposées.

Mais ce cadre commun a été complété par un régime particulier, applicable aux produits d’assurance vie comportant des valeurs de rachat, aux contrats exprimés en unités de compte, ainsi qu’aux contrats de capitalisation. Ces instruments, assimilés à des produits d’investissement fondés sur l’assurance, font l’objet de dispositions particulières aux articles L. 522-1 à L. 522-7 du Code des assurances.

Nous nous focaliserons ici sur les règles communes à tous les produits d’assurance irriguant le régime du devoir de conseil.

A cet égard, quel que soit le produit d’assurance distribué, le devoir de conseil n’est pas une obligation ponctuelle ou circonstanciée : il s’inscrit dans un temps contractuel étendu, qui excède la seule conclusion du contrat pour embrasser également son exécution. Cette articulation entre le temps de la formation et celui de l’exécution, désormais consacrée par les textes, est aussi le fruit d’une construction jurisprudentielle constante, qui a reconnu très tôt que la relation entre l’assureur — ou son intermédiaire — et le preneur d’assurance ne s’épuise pas dans l’instant de la souscription.

La définition même de l’activité de distribution d’assurance, posée par l’article L. 511-1, I du Code des assurances, en atteste. Le législateur y appréhende la distribution comme un continuum, incluant non seulement les actes préparatoires à la conclusion du contrat — la recommandation, la présentation, la proposition — mais aussi la gestion et l’exécution du contrat, « notamment en cas de sinistre ». Il en résulte une extension fonctionnelle du devoir de conseil à ces deux temps majeurs de la vie contractuelle : le temps de la formation, moment de l’engagement du souscripteur, et le temps de l’exécution, moment de la concrétisation des prestations garanties.

Ce double ancrage du devoir de conseil est au cœur des articles L. 521-1 à L. 521-4 du Code des assurances, qui en définissent les modalités et la portée. Ainsi, l’article L. 521-4, en son I, impose au distributeur, avant toute conclusion, de recueillir les besoins et les exigences du client, et de motiver par écrit le choix du contrat recommandé. Mais cette exigence de loyauté ne disparaît pas avec la formation du contrat : elle se prolonge en cours d’exécution, comme l’indique l’article L. 521-3, lequel impose une information actualisée du souscripteur chaque fois que survient une modification substantielle de la relation contractuelle.

La jurisprudence a très tôt reconnu que le devoir d’information et de conseil ne se limite pas à la seule phase de souscription du contrat d’assurance. Si la formulation classique de cette obligation s’est d’abord attachée à l’instant de la formation contractuelle, la Cour de cassation a progressivement admis qu’elle se prolonge au-delà de cette étape initiale, notamment dans le cadre de l’exécution du contrat et à l’occasion de certains événements postérieurs, tels que la survenance d’un sinistre ou la modification des besoins du souscripteur.

C’est dans ce sens que s’inscrit un arrêt de la deuxième chambre civile du 5 juillet 2006 (Cass. 2e civ., 5 juill. 2006, n°04-10.723). Il y était reproché à un agent général d’assurance d’avoir manqué à son devoir de conseil en ne signalant pas à l’assurée — une personne âgée ayant souscrit une police multirisques habitation — les conséquences d’une clause d’exclusion de garantie fondée sur une période d’inhabitation du bien. Pour écarter toute faute, la cour d’appel avait retenu que cette obligation devait s’apprécier exclusivement à la date de souscription, en 1974, et que l’agent ne disposait alors d’aucun élément permettant d’anticiper des périodes prolongées d’absence du domicile par l’assurée.

La Cour de cassation censure ce raisonnement en des termes non équivoques, en affirmant que « le devoir d’information et de conseil de l’agent d’assurance ne s’achève pas lors de la souscription du contrat ». Elle rappelle ainsi que ce devoir peut se réactiver postérieurement, notamment lorsque la situation de l’assuré évolue et que le professionnel est en mesure d’intervenir utilement pour adapter ou commenter les stipulations contractuelles susceptibles d’être sources d’incompréhensions ou d’exclusions.

Cette solution s’inscrit dans une conception dynamique et continue de la relation contractuelle en assurance. Le professionnel ne saurait se retrancher derrière la date de souscription pour s’exonérer de toute vigilance ultérieure, surtout lorsque des événements ou des comportements révélateurs (par exemple, une absence prolongée, une déclaration d’intention, une nouvelle affectation du bien) sont de nature à mettre en cause l’étendue ou l’effectivité de la couverture. La jurisprudence affirme ainsi une responsabilité durable, adaptée à la temporalité réelle du besoin d’assurance.

La doctrine a également souligné que le devoir de conseil ne saurait être enfermé dans le seul moment de la conclusion du contrat. Il s’agit d’une obligation dont la vocation est de garantir, dans la durée, l’adéquation entre la couverture contractuelle et les besoins réels de l’assuré, lesquels ne sont pas figés au jour de la souscription. À ce titre, ce devoir impose au distributeur de réagir chaque fois que des circonstances nouvelles sont de nature à remettre en cause cette adéquation.

Cette conception est désormais consacrée par le droit positif. L’article L. 511-1 du Code des assurances définit l’activité de distribution comme englobant non seulement les opérations préparatoires à la conclusion du contrat, mais aussi les actes relatifs à sa gestion et à son exécution, «?notamment en cas de sinistre?». Il en résulte que le devoir de conseil peut être mobilisé à différents moments de la relation contractuelle, dès lors que l’équilibre du contrat ou l’intérêt de l’assuré l’exigent.

Il convient dès lors de distinguer les deux moments où s’exerce le devoir de conseil:

  • Le conseil au stade de la formation du contrat, lorsque le professionnel oriente le souscripteur vers une couverture appropriée à ses besoins exprimés ;
  • Le conseil en cours d’exécution, lorsque la situation de l’assuré évolue ou lorsqu’un événement particulier appelle une mise en œuvre adaptée des garanties contractuelles.

A) Le devoir de conseil au stade de la formation du contrat

Le devoir de conseil s’exerce dès l’instant où le distributeur entre en relation avec le candidat à l’assurance. Il joue tout d’abord un rôle d’orientation, en guidant le souscripteur vers le produit le plus adapté à ses besoins. Mais ce devoir ne s’interrompt pas une fois le choix effectué : il se prolonge au moment de la souscription du contrat, étape durant laquelle le professionnel doit accompagner l’assuré dans la formulation de ses déclarations, la compréhension de l’étendue des garanties, et la transmission des éléments nécessaires à la conclusion du contrat.

L’analyse du devoir de conseil impose donc de distinguer :

  • Le devoir de conseil au stade du choix du produit d’assurance ;
  • Le devoir de conseil au stade de la souscription du contrat d’assurance.

1. Le devoir de conseil au stade du choix du produit d’assurance

1.1. Le contenu du devoir de conseil

a. Les différents niveaux de devoir de conseil

L’article L. 521-4 du Code des assurances constitue la pierre angulaire du nouveau dispositif de conseil instauré par la transposition de la directive sur la distribution d’assurances. Cette disposition dessine une architecture remarquablement équilibrée, selon l’expression de Daniel Langé, qui articule deux prestations de nature distincte : une obligation universelle de conseil minimal et un service facultatif de recommandation personnalisée.

Le premier alinéa consacre l’obligation pour tout distributeur de « conseiller un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ou de l’adhérent éventuel et préciser les raisons qui motivent ce conseil ». Cette obligation socle, d’application générale, procède d’une logique de protection minimale garantissant à tout souscripteur un niveau élémentaire de conseil adapté à sa situation.

Le second alinéa institue une prestation d’une tout autre nature en disposant que « lorsque le distributeur d’assurance propose au souscripteur éventuel ou à l’adhérent éventuel un service de recommandation personnalisée, ce service consiste à lui expliquer pourquoi, parmi plusieurs contrats ou plusieurs options au sein d’un contrat, un ou plusieurs contrats ou options correspondent le mieux à ses exigences et à ses besoins ». Cette modalité renforcée, relevant de l’initiative commerciale du professionnel, suppose un engagement spécifique traduisant une montée en gamme du conseil.

Cette dualité structurelle reflète la volonté du législateur de concilier la protection universelle du consommateur et la liberté d’entreprendre des distributeurs, tout en permettant la valorisation commerciale de prestations de conseil différenciées.

i. Les niveaux de conseil énoncés par les textes

==>L’obligation socle de cohérence

Le premier alinéa de l’article L. 521-4 du Code des assurances érige en principe une obligation de portée générale, applicable à tout distributeur, sans exception ni aménagement possible. Il impose de proposer un contrat « cohérent avec les exigences et les besoins » du souscripteur ou de l’adhérent éventuel. Cette exigence constitue, selon une formule doctrinale désormais consacrée, le «seuil incompressible de la protection du consommateur». Elle assure, quel que soit le mode de distribution, un niveau élémentaire de conseil garantissant que l’offre proposée ne soit pas manifestement inadaptée à la situation de l’intéressé.

La notion de « cohérence » revêt ici une signification technique : elle implique une adéquation fonctionnelle entre les caractéristiques du contrat et les besoins exprimés, sans pour autant exiger que la solution proposée soit la plus avantageuse ou la plus complète parmi toutes celles disponibles sur le marché. Ainsi que l’a souligné Luc Mayaux, il s’agit d’une « adéquation de base entre l’offre et la demande », qui se distingue nettement des prestations plus élaborées caractérisant les services de conseil renforcés.

Cette obligation de cohérence est indissociable de celle de motivation : le distributeur doit «préciser les raisons qui motivent ce conseil». Ce devoir d’explication, qui prolonge la jurisprudence antérieure relative au devoir de conseil, participe de l’objectif de transparence poursuivi par le législateur européen, tout en préservant les exigences de clarté et de loyauté traditionnellement requises en droit français.

==>Le service de recommandation personnalisée

Le second alinéa de l’article L. 521-4 institue une prestation d’une nature différente, qualifiée de « service de recommandation personnalisée ». Cette qualification, qui procède d’un choix délibéré du législateur, souligne le caractère facultatif et différencié de cette modalité de conseil. Contrairement à l’obligation socle qui s’impose ex lege à tout distributeur, ce service relève de l’initiative commerciale du professionnel et suppose un engagement spécifique de sa part.

L’objet du service est clairement défini : il s’agit « d’expliquer pourquoi, parmi plusieurs contrats ou plusieurs options au sein d’un contrat, un ou plusieurs correspondent le mieux aux exigences et aux besoins » du souscripteur. Cette définition repose sur trois éléments structurants.

En premier lieu, la pluralité des solutions envisagées : le service suppose que le distributeur soit en mesure de proposer plusieurs contrats adaptés, condition que Hubert Groutel identifie comme « essentielle à la qualification du service ».

En second lieu, l’existence d’une analyse comparative : au-delà du simple examen d’adéquation, le distributeur doit procéder à une évaluation différenciée des options disponibles, pour recommander celle ou celles qui présentent la meilleure adéquation au profil du client. Cette démarche, que Pierre-Grégoire Marly qualifie de « montée en gamme du conseil », engage le professionnel dans un processus plus exigeant, tant sur le plan méthodologique que sur celui des moyens.

Enfin, le service emporte une obligation d’explication approfondie : la recommandation formulée doit être étayée par une justification circonstanciée, intelligible et personnalisée. Le distributeur ne peut se contenter d’un raisonnement standardisé : il doit démontrer en quoi la solution préconisée se distingue favorablement, au regard des besoins spécifiques du client.

==>Le service service de recommandation fondé sur une analyse impartiale et personnalisée

L’économie du dispositif se complexifie à travers l’article L. 521-2, II, 1°, c), qui permet à certains distributeurs de revendiquer la fourniture d’un « service de recommandation fondé sur une analyse impartiale et personnalisée ». Cette disposition, transposant l’article 3 de la directive DDA, vise les professionnels non liés par une obligation contractuelle d’exclusivité, et aptes à analyser « un nombre suffisant de contrats d’assurance offerts sur le marché ».

La formulation soulève une interrogation : s’agit-il d’un niveau autonome de conseil, ou simplement d’une modalité qualifiée du service de recommandation personnalisée mentionné à l’article L. 521-4, II ?

Deux lectures s’affrontent. La première, adoptée par l’ACPR, considère qu’un troisième niveau de conseil est institué, distinct du service de recommandation « classique » par son caractère impartial et par l’exigence d’une analyse étendue du marché. Cette lecture présente une certaine cohérence fonctionnelle, mais demeure discutée au regard des textes.

La seconde, plus fidèle à l’économie générale du dispositif, y voit une modalité renforcée du conseil personnalisé : l’article L. 521-2, II, 1°, c) ne créerait pas un niveau distinct, mais définirait les conditions dans lesquelles un professionnel peut légitimement revendiquer l’impartialité de son analyse.

Cette seconde interprétation, soutenue par une partie de la doctrine, permet de préserver l’architecture duale initialement voulue par le législateur, tout en reconnaissant la spécificité des pratiques exercées dans un cadre non exclusif. Elle offre également une cohérence d’ensemble entre les exigences de transparence posées par la directive et les principes fondamentaux du droit français de la distribution.

Cette hésitation d’interprétation, révélatrice des tensions persistantes entre les normes européennes et les catégories juridiques internes, appelle à terme une clarification jurisprudentielle.

ii. La découverte par l’ACPR de trois niveaux de conseil

Dans une notice publiée en juillet 2018 et intitulée « Principes du conseil en assurance », l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a entrepris une clarification du régime juridique issu de la directive sur la distribution d’assurances. Présentée comme une réponse aux incertitudes entourant la mise en œuvre du nouveau cadre, cette démarche exégétique s’inscrit dans le cadre de la mission de protection de la clientèle que l’article L.612-1 du Code monétaire et financier confère à l’Autorité, et dans l’exercice de son pouvoir de recommandation non contraignante.

Selon les propres termes de l’ACPR, cette initiative visait à « clarifier les obligations incombant aux distributeurs dans un contexte réglementaire renouvelé ». L’Autorité y procède à une lecture conjointe des articles L. 521-4 et L. 521-2 du Code des assurances, dont certains auteurs soulignent le caractère « systémique », en ce qu’elle tend à ordonner l’ensemble du dispositif selon une hiérarchie fonctionnelle des niveaux de conseil. Cette approche, saluée par Isabelle Monin-Lafin comme « particulièrement éclairante pour les praticiens », repose sur l’idée que la transparence à l’égard des assurés commande de distinguer formellement les différentes modalités de conseil susceptibles d’être proposées.

Trois niveaux sont ainsi identifiés:

  • Le premier niveau, de nature obligatoire, consiste à proposer un contrat « cohérent (approprié) avec les besoins et les exigences du client ». Il correspond à l’obligation de conseil général prévue par l’article L. 521-4, I, et constitue, selon l’ACPR, l’équivalent fonctionnel du « devoir de conseil » tel qu’il a été façonné de longue date par la jurisprudence française. Il représente le socle minimal de protection offert à tout preneur d’assurance, indépendamment de la complexité du contrat ou du canal de distribution utilisé.
  • Le deuxième niveau, de nature facultative, repose sur la fourniture d’un « service de recommandation personnalisée », tel que défini par l’article L. 521-4, II. Il implique que le distributeur soit en mesure de proposer plusieurs contrats ou options, tous cohérents avec les besoins exprimés, et d’expliquer les raisons pour lesquelles l’un ou plusieurs d’entre eux correspondent le mieux au profil du client. L’ACPR précise que ce service suppose une démarche comparative structurée, que ne recouvre pas le simple conseil de cohérence.
  • Le troisième niveau se singularise par l’existence d’une analyse impartiale. Fondé sur l’article L. 521-2, II, 1°, c), il impose au distributeur de démontrer qu’il a analysé un « nombre suffisant de contrats d’assurance offerts sur le marché ». Cette modalité, selon l’ACPR, s’adresse prioritairement aux courtiers indépendants, dépourvus de toute obligation contractuelle d’exclusivité, et capables, de ce fait, d’opérer une sélection objectivée et représentative des offres disponibles.

L’Autorité justifie cette construction tripartite par souci de lisibilité et de gradation des exigences, en cohérence avec l’objectif de protection proportionnée poursuivi par le droit de la distribution. Elle entend ainsi articuler les différentes strates du conseil autour de trois critères cumulatifs : la nature de l’engagement du distributeur, l’étendue de l’analyse menée, et le degré de personnalisation de la recommandation formulée.

Cette démarche, bien qu’innovante sur le plan pédagogique, soulève néanmoins des interrogations quant à sa conformité à la lettre des textes. En effet, si elle permet de traduire la complexité du dispositif dans une grille opérationnelle aisément mobilisable, elle prend le risque d’introduire une distinction conceptuelle non expressément consacrée par le législateur, ce qui justifie, comme on le verra, une mise en perspective critique du triptyque proposé.

iii. Pour une conception duale du conseil

==>L’artifice de la classification tripartite

La grille tripartite élaborée par l’ACPR, si elle présente un intérêt certain sur le plan pédagogique, peine à convaincre au regard d’une lecture rigoureuse des textes. L’analyse juridique attentive du dispositif normatif conduit plutôt à retenir une structure binaire, conforme à l’économie générale de l’article L. 521-4 du Code des assurances, qui distingue expressément une obligation de conseil de base et, de manière distincte, un service de recommandation personnalisée.

La distinction instituée par l’Autorité entre les niveaux 2 et 3 repose en réalité sur une extrapolation : l’article L. 521-2, II, 1°, c), sur lequel elle fonde le « troisième niveau », ne crée pas un régime autonome de conseil, mais détermine les conditions dans lesquelles un distributeur peut revendiquer le caractère impartial de sa recommandation. Il ne s’agit donc pas d’un niveau distinct dans la hiérarchie des obligations, mais d’un critère de qualité, attaché à la mise en œuvre du service de recommandation personnalisée déjà prévu à l’article L. 521-4, II.

Autrement dit, cette disposition relève avant tout d’une logique de transparence sur les méthodes de sélection des produits proposés, et non de la création d’un niveau supplémentaire de conseil. Comme le rappelle justement Jean Bigot, « la multiplication des niveaux risque de créer plus de confusion que de clarté ». Luc Mayaux abonde dans le même sens, estimant que « l’interprétation administrative, si elle est légitime dans son principe, ne saurait méconnaître l’économie générale voulue par le législateur ». Une telle surenchère dans la typologie des niveaux de conseil, sans véritable ancrage textuel, tend à brouiller la lecture du droit applicable et à fragiliser la sécurité juridique des acteurs de la distribution.

==>Obligation socle et service de recommandation personnalisée

Le premier niveau de conseil, expressément énoncé à l’article L. 521-4, I, consiste en l’obligation, pour tout distributeur, de proposer un contrat « cohérent avec les exigences et les besoins » du souscripteur ou de l’adhérent. Il s’agit là d’un impératif universel, qui constitue — selon une formule doctrinale désormais consacrée — le « seuil incompressible de la protection du consommateur »¹². Cette obligation trouve sa justification dans le déséquilibre structurel entre un professionnel informé et un preneur profane, déséquilibre que la jurisprudence avait déjà identifié comme fondement d’un devoir de conseil, bien avant l’intervention du législateur européen.

Le second niveau de conseil correspond au service de recommandation personnalisée, défini à l’article L. 521-4, II. Ce service, que le distributeur peut choisir de proposer, suppose une démarche d’analyse comparative entre plusieurs contrats ou options, ainsi qu’une motivation individualisée du choix retenu. Sa mise en œuvre peut naturellement varier selon les moyens, la méthode et le degré d’engagement du professionnel. Toutefois, ces différences dans les conditions d’exécution ne sauraient conduire à reconnaître l’existence d’un niveau de conseil distinct sur le plan juridique. Comme le rappelle Hubert Groutel, il s’agit d’un même service, dont l’intensité varie selon les cas, sans que cette variabilité justifie la création d’un régime autonome..

==>Les deux modalités d’exécution du service de recommandation personnalisée

L’article L. 521-4, II permet une certaine latitude dans la mise en œuvre du service de recommandation personnalisée. Deux modalités d’exécution peuvent être identifiées, selon les pratiques constatées et les capacités techniques du distributeur :

  • Première modalité : le professionnel propose une sélection de plusieurs contrats, sans prétention à l’exhaustivité du marché. Cette approche, compatible avec une recommandation personnalisée, suppose toutefois une pluralité réelle et pertinente d’options – la pratique professionnelle tend à retenir un minimum de trois alternatives comparables.
  • Deuxième modalité : le distributeur fonde sa recommandation sur une analyse impartiale, au sens de l’article L. 521-2, II, 1°, c). Il doit alors démontrer qu’il a examiné un nombre suffisant de contrats d’assurance offerts sur le marché et qu’il n’est lié par aucun accord d’exclusivité. Cette configuration, qui renforce la portée du conseil délivré, ne constitue pas pour autant un niveau autonome de conseil, mais une variante qualifiée du service de recommandation personnalisée. Elle en précise les conditions d’exercice les plus exigeantes, notamment en termes d’étendue et d’objectivité de l’analyse de marché.

Il en résulte que le système repose, non sur une tripartition rigide, mais sur une dichotomie enrichie par des modalités d’exécution à intensité variable. Cette conception duale, fondée sur une interprétation stricte des textes, respecte à la fois la lettre et l’esprit du dispositif, tout en garantissant aux professionnels une grille de lecture cohérente, et aux clients un niveau de conseil proportionné à l’engagement du distributeur.

iv. Les enjeux pratiques de la distinction

==>Les implications en matière de rémunération et d’information précontractuelle

La distinction entre l’obligation socle de cohérence et le service de recommandation personnalisée emporte des effets concrets notables, tant sur le terrain de la rémunération que sur celui de l’information due au souscripteur.

Sur le plan de la rémunération, l’article L. 521-2, II, 2°, a) du Code des assurances autorise expressément l’intermédiaire à percevoir, en complément des commissions versées par les assureurs, des honoraires versés directement par le souscripteur ou l’adhérent. Cette faculté prend toute sa légitimité lorsque le distributeur propose un service de recommandation personnalisée : en tant que prestation à valeur ajoutée, reposant sur une analyse comparative approfondie, elle justifie une rémunération spécifique, distincte des modes de rémunération classiques.

À l’inverse, l’obligation de conseil de premier niveau, imposée à tous les distributeurs en vertu de l’article L. 521-4, I, ne saurait ouvrir droit à une facturation complémentaire : elle relève du strict respect du cadre légal minimal, et sa mise en œuvre doit être réputée incluse dans la rémunération de droit commun.

Sur le plan de l’information précontractuelle, l’article L. 521-2, I, impose au distributeur d’indiquer explicitement s’il fournit un service de recommandation concernant les contrats qu’il propose. Cette exigence vise à garantir une transparence accrue à l’égard du client sur la nature exacte de la prestation dont il bénéficie. Elle permet à ce dernier d’identifier, en amont de la souscription, si le conseil dont il bénéficie s’inscrit dans une logique de simple cohérence ou relève d’une véritable démarche de sélection comparative.

==>La gradation des obligations professionnelles

Le niveau d’exigence pesant sur le distributeur varie en fonction du type de conseil fourni. Dans le cadre de l’obligation socle prévue à l’article L. 521-4, I du Code des assurances, l’ACPR admet que la motivation du conseil peut revêtir une forme synthétique et standardisée. Il suffit que les explications données permettent au souscripteur de comprendre, de manière intelligible, pourquoi le contrat proposé est considéré comme cohérent avec les besoins qu’il a exprimés.

En revanche, lorsque le distributeur propose un service de recommandation personnalisée au sens de l’article L. 521-4, II, les exigences sont significativement renforcées. Dans ce cas, la motivation doit être pleinement individualisée. Elle doit mettre en évidence, de manière claire et circonstanciée, les raisons pour lesquelles le ou les contrats recommandés présentent une adéquation optimale avec le profil, les attentes et les objectifs du client. Il ne saurait s’agir d’une justification générique, mais bien d’un raisonnement argumenté, fondé sur des éléments objectifs.

Cette gradation, analysée par Daniel Langé comme étant « parfaitement cohérente avec la logique économique du dispositif », s’accompagne d’exigences méthodologiques renforcées. Le distributeur qui propose un service de recommandation personnalisée doit en effet s’engager dans une démarche structurée, fondée sur une analyse comparative formalisée, reposant sur des critères objectifs, pertinents et vérifiables. Il lui appartient non seulement d’identifier plusieurs solutions adaptées, mais aussi de justifier, de manière explicite et circonstanciée, la sélection opérée au regard des besoins exprimés par le client.

Au final, cette différenciation répond à une logique de proportionnalité : à prestation enrichie, obligations renforcées. Le distributeur qui propose un service à plus forte valeur ajoutée assume, en contrepartie, une charge accrue d’analyse, de justification et de formalisation. Cette montée en exigence constitue la contrepartie légitime de la possibilité de valoriser commercialement ce service, notamment par le biais d’honoraires spécifiques.

Saluée par la doctrine comme une approche « économiquement rationnelle », cette gradation du devoir de conseil permet de concilier deux impératifs complémentaires : d’une part, la garantie d’une protection effective du souscripteur, fondée sur une exigence minimale de cohérence ; d’autre part, la reconnaissance de l’expertise technique et de l’autonomie professionnelle des distributeurs qui s’engagent dans une prestation de conseil renforcé. Elle établit ainsi un équilibre cohérent entre les obligations légales de base, la liberté de moduler le niveau de service, et l’exigence de transparence vis-à-vis du client.

b. Le processus d’élaboration du devoir de conseil

Le devoir de conseil en matière d’assurance ne se réduit pas à une simple obligation d’information : il constitue une véritable prestation intellectuelle à caractère personnalisé, orientée vers l’identification et la satisfaction des besoins spécifiques du souscripteur. Sa finalité première est d’assurer l’adéquation entre les caractéristiques du contrat proposé et la situation propre de l’assuré éventuel, en dépassant le cadre purement déclaratif pour engager le distributeur dans une démarche active de conseil.

Codifié à l’article L. 521-4 du Code des assurances, ce devoir repose sur une méthode structurée, articulée autour de trois étapes successives et interdépendantes. D’abord, le recueil des exigences et des besoins du client constitue le point de départ incontournable : il s’agit de dresser un diagnostic fiable à partir des éléments fournis par le souscripteur, souvent profane. Ensuite, l’analyse de ces éléments permet au distributeur d’identifier les paramètres pertinents — objectifs, situation personnelle, attentes exprimées — à la lumière des offres disponibles. Enfin, la formulation du conseil, dernière étape du processus, se matérialise par une recommandation motivée, exprimée en des termes compréhensibles, et justifiée au regard des éléments recueillis.

Ce cheminement méthodique a pour fonction de compenser l’asymétrie informationnelle qui caractérise la relation entre le professionnel et le souscripteur. Il permet de structurer l’échange contractuel en instaurant une dynamique de dialogue, visant à garantir une prise de décision éclairée, conforme à l’intérêt du client et aux principes de transparence et de loyauté.

i. Le recueil préalable des besoins et exigences

==>L’obligation légale de diagnostic

Le Code des assurances consacre, par son article L. 521-4, I, une obligation de diagnostic préalable à toute recommandation. Cette disposition contraint le distributeur à « préciser par écrit, sur la base des informations obtenues auprès du souscripteur éventuel ou de l’adhérent éventuel, les exigences et les besoins de celui-ci ». Cette exigence légale révèle une démarche structurée en deux temps distincts : d’abord une collecte minutieuse des informations pertinentes, suivie de leur formalisation écrite.

Cette première phase dépasse très largement le cadre d’une simple formalité administrative. Il s’agit véritablement d’une analyse approfondie des besoins du client, comparable à celle que l’on retrouve dans d’autres domaines spécialisés du conseil professionnel, comme l’audit patrimonial en gestion de fortune ou encore l’analyse fonctionnelle pratiquée en ingénierie. Cette analogie n’est pas anodine : dans tous ces secteurs, la qualité finale du conseil délivré dépend étroitement de la précision du diagnostic réalisé en amont.

La doctrine contemporaine souligne que cette démarche diagnostique transforme fondamentalement la nature de l’acte de distribution. Celui-ci ne se limite plus à la simple présentation d’un produit standardisé, mais s’élève au rang d’une prestation intellectuelle personnalisée[14]. Cette évolution s’inscrit dans le mouvement général de tertiarisation de l’économie, où la valeur ajoutée réside moins dans le produit lui-même que dans l’accompagnement qui l’entoure.

L’exigence d’un support écrit répond à plusieurs impératifs. D’un point de vue probatoire, elle permet d’établir la réalité et la consistance de la démarche diagnostique. La jurisprudence civile a en effet consacré le principe selon lequel c’est à celui qui est légalement tenu de fournir un conseil de prouver l’exécution de cette obligation (Cass. 2e civ., 17 nov. 2016, n° 15-14.820). Cette règle, initialement dégagée en matière bancaire, trouve une application particulièrement pertinente en assurance, secteur où les contentieux post-contractuels demeurent fréquents.

D’un point de vue pédagogique, l’écrit favorise la compréhension mutuelle entre distributeur et souscripteur. Il permet au professionnel de vérifier que son analyse correspond bien à la réalité vécue par le client, tandis qu’il offre à ce dernier une vision structurée de ses propres besoins, parfois initialement mal formalisés.

==>La délimitation des besoins exprimés

La phase de délimitation des besoins constitue le cœur de l’analyse préalable. Elle impose au distributeur une démarche active de questionnement et de reformulation, dépassant la simple réception passive des demandes du client.

Cette obligation de reformulation technique revêt une dimension particulièrement importante en assurance, secteur caractérisé par une forte asymétrie de connaissances entre professionnels et consommateurs. Le langage assurantiel, riche en concepts techniques et en références juridiques spécialisées, demeure largement inaccessible au public non initié. La mission du distributeur consiste dès lors à opérer une traduction entre l’expression spontanée des préoccupations du client et la terminologie précise des contrats d’assurance.

Cette fonction de traduction s’apparente à celle exercée par d’autres professions du conseil, notamment les architectes dans le domaine de la construction ou les notaires en matière successorale. Dans tous ces secteurs, le professionnel doit comprendre les attentes exprimées dans un langage profane pour les transposer dans un cadre technique et juridique approprié.

Le document de synthèse résultant de cette analyse acquiert une valeur contractuelle particulière. Bien que sa forme demeure libre, son contenu délimitera le périmètre dans lequel le conseil est attendu. Cette délimitation contractuelle du périmètre d’intervention protège tant le distributeur contre d’éventuelles réclamations ultérieures portant sur des aspects non couverts par sa mission, que le souscripteur contre des recommandations inadaptées à ses besoins réels.

L’ACPR a d’ailleurs souligné, dans ses recommandations sectorielles, l’importance de cette phase de cadrage préalable, qu’elle considère comme « déterminante pour la qualité de la relation commerciale ultérieure »[15]. Cette position de l’autorité de supervision confirme que l’obligation d’analyse ne relève pas de la seule technique juridique, mais s’inscrit dans une démarche plus large d’amélioration de la qualité de service dans le secteur assurantiel.

==>Les limites du devoir d’enquête

Le législateur a pris soin de délimiter précisément l’étendue des obligations pesant sur le distributeur lors de la phase de recueil d’informations. L’article L. 521-4, III du Code des assurances précise explicitement que les données relatives aux exigences et besoins du souscripteur « reposent en particulier sur les éléments d’information communiqués par le souscripteur éventuel ». Cette formulation n’est pas anodine : elle établit un équilibre entre l’exigence de conseil personnalisé et la praticabilité économique de la distribution d’assurance.

Cette limitation trouve sa justification dans la nature même de l’activité de distribution. Le distributeur n’est pas investi d’une mission d’audit ou d’investigation approfondie de la situation de son client. Son expertise porte sur la technique assurantielle et non sur l’évaluation patrimoniale ou l’analyse comptable. Comme l’a souligné la doctrine spécialisée, le professionnel de l’assurance demeure tenu de « poser les bonnes questions » mais ne saurait être contraint à « des investigations approfondies sur des données que le client ne souhaite pas révéler »[16].

La jurisprudence administrative elle-même a reconnu cette limitation en matière de marchés publics d’assurance, considérant que l’assistant à maîtrise d’ouvrage en assurance n’était pas tenu de vérifier l’exactitude des informations transmises par la collectivité publique, dès lors que ces informations paraissaient cohérentes et vraisemblables (CE, 10 févr. 2014).

Cette approche pragmatique se justifie également par des considérations d’efficacité économique. Imposer au distributeur des obligations d’investigation trop étendues conduirait inévitablement à un renchérissement du coût de la distribution, répercuté in fine sur les primes d’assurance. Le législateur a ainsi privilégié un modèle fondé sur la coopération loyale entre les parties plutôt que sur la méfiance systématique.

Néanmoins, cette limitation ne saurait être comprise comme une exonération totale de vigilance. La jurisprudence civile a progressivement affiné les contours de cette obligation, distinguant entre l’investigation active – non exigée – et la vigilance passive – requise. Ainsi, le distributeur demeure tenu de relever les incohérences manifestes dans les déclarations de son client et de solliciter les clarifications nécessaires (Cass. 1ère civ. 7 mars 1989).

Cette obligation de vigilance trouve particulièrement à s’appliquer lorsque les déclarations du souscripteur paraissent manifestement incompatibles avec sa situation apparente ou avec les exigences du marché assurantiel. Dans de telles hypothèses, l’abstention du distributeur pourrait être qualifiée de négligence professionnelle.

L’équilibre ainsi établi respecte la logique contractuelle du droit français, fondée sur la bonne foi des parties. Il reconnaît que le souscripteur demeure le mieux placé pour connaître sa propre situation, tout en maintenant une exigence de professionnalisme du distributeur dans l’exploitation des informations qui lui sont communiquées.

Cette délimitation des responsabilités s’inscrit enfin dans une conception moderne de la relation de conseil, qui privilégie l’accompagnement personnalisé à partir d’informations fiables plutôt que l’investigation systématique potentiellement intrusive et économiquement inefficiente.

ii. L’analyse de la situation du souscripteur

==>L’appréciation des compétences du souscripteur

La personnalisation du conseil impose une évaluation fine du profil du souscripteur, particulièrement de ses compétences en matière assurantielle. Cette approche différenciée s’inscrit dans une conception moderne de la protection contractuelle, qui privilégie l’adaptation aux situations concrètes plutôt que l’application uniforme de règles abstraites.

La jurisprudence a progressivement affiné cette grille d’analyse, distinguant plusieurs catégories de souscripteurs selon leur degré d’expertise. Les professionnels exerçant une activité en lien avec l’assurance bénéficient ainsi d’une présomption de compétence qui allège corrélativement les obligations du distributeur. Cette approche trouve son fondement dans la théorie générale des obligations, où l’intensité du devoir de conseil varie selon la qualité des parties au contrat[17].

À l’inverse, les consommateurs et les professionnels non spécialistes bénéficient d’une protection renforcée. La Cour de cassation a ainsi considéré qu’un entrepreneur du bâtiment, bien que professionnel dans son domaine, demeurait un profane en matière d’assurance et pouvait légitimement attendre de son distributeur une information complète sur les garanties essentielles (Cass. 2e civ. 29 mars 2018, n°17-14.975).

Cette modulation s’étend également aux personnes morales, dont la taille et l’organisation influent sur le niveau d’expertise présumé. Le régime des “grands risques”, défini à l’article L. 111-6 du Code des assurances, témoigne de cette différenciation : les entreprises dépassant certains seuils sont présumées disposer de l’expertise nécessaire pour évaluer leurs besoins d’assurance sans assistance particulière?.

L’appréciation concrète de ces compétences nécessite une analyse au cas par cas, tenant compte non seulement du statut du souscripteur, mais également de son expérience personnelle en matière d’assurance, de la complexité de son exposition aux risques, et des moyens dont il dispose pour s’informer.

==>L’évaluation de la complexité du contrat

Le législateur a expressément lié l’intensité du conseil à la complexité du produit proposé. L’article L. 521-4, III du Code des assurances dispose que les précisions fournies au souscripteur sont « adaptées à la complexité du contrat d’assurance proposé ». Cette exigence de proportionnalité évite un formalisme excessif de la distribution tout en maintenant un niveau de protection approprié.

Cette approche graduée trouve son inspiration dans la réglementation des services financiers, où la directive MiFID avait déjà consacré le principe d’une information proportionnée à la complexité des instruments proposés[18]. L’assurance, par sa technicité croissante et la diversification de ses produits, nécessitait une approche similaire.

L’ACPR a formalisé cette gradation en distinguant trois niveaux d’intervention : le conseil de base obligatoire, centré sur la cohérence entre besoins et produit proposé ; le service de recommandation personnalisée, impliquant une analyse comparative ; et enfin le conseil fondé sur une analyse de marché, supposant une expertise élargie?.

Cette classification en trois niveaux s’inspire directement des standards internationaux utilisés dans le secteur financier, où la distinction traditionnelle s’établit entre l’exécution simple d’ordres (« execution only »), le conseil en investissement (« investment advice ») et la gestion discrétionnaire (« portfolio management »)[19]. Son intégration dans le domaine assurantiel illustre la convergence croissante des cadres réglementaires applicables aux secteurs bancaire et assurantiel, témoignant ainsi d’une logique commune de structuration des offres de conseil financier.

La complexité du produit d’assurance se mesure à l’aune de plusieurs critères précis : le nombre et la diversité des garanties proposées, la présence éventuelle de mécanismes sophistiqués tels que la participation aux bénéfices, l’adossement à des supports financiers présentant une forte volatilité, ainsi que l’existence de clauses d’exclusion particulièrement techniques. L’appréciation rigoureuse de ces éléments exige une expertise à la fois actuarielle et juridique, compétence spécifique qui relève nécessairement des distributeurs professionnels.

==>La prise en compte des informations disponibles

Le périmètre du conseil est naturellement limité par l’étendue des informations effectivement disponibles. Cette limitation protège le distributeur contre des obligations d’investigation disproportionnées tout en maintenant une exigence de diligence raisonnable.

La jurisprudence a établi que l’information ne pouvant porter que sur des faits connus de l’intermédiaire, il incombe au preneur de prouver que celui-ci en avait connaissance (Cass. 1re civ., 18 mars 2003). Cette règle de preuve protège le distributeur contre des allégations invérifiables tout en incitant le souscripteur à une communication transparente.

Cette approche s’inspire de la théorie générale de l’information, développée notamment en droit des sociétés, où l’obligation d’information du dirigeant est limitée aux faits dont il a effectivement connaissance[20]. Elle trouve également écho en droit de la consommation, où l’obligation d’information du professionnel porte sur les caractéristiques essentielles du produit qu’il maîtrise naturellement[21].

Cependant, cette limitation ne dispense pas le distributeur d’une vigilance active face aux informations manifestement incohérentes ou incomplètes. La jurisprudence sanctionne ainsi le professionnel qui, face à des déclarations suspectes, s’abstiendrait de solliciter les clarifications nécessaires (Cass. 1ère civ. 7 mars 1989).

L’équilibre ainsi établi respecte la logique économique de la distribution d’assurance : le distributeur mobilise son expertise technique pour optimiser l’information fournie par le client, sans pour autant se substituer à celui-ci dans l’appréciation de sa propre situation. Cette répartition des rôles préserve l’efficacité du processus commercial tout en maintenant un niveau d’exigence professionnel approprié.

iii. La formulation du conseil : simple proposition ou recommandation motivée

==>Le conseil obligatoire : la proposition cohérente

Le premier niveau de conseil, désormais imposé à tout distributeur par l’article L. 521-4, I du Code des assurances, établit un socle minimal d’exigences professionnelles. Cette obligation fondamentale contraint le distributeur à proposer « un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ou de l’adhérent éventuel » tout en précisant « les raisons qui motivent ce conseil ».

Cette exigence de cohérence constitue une véritable révolution conceptuelle dans l’approche de la distribution d’assurance. Elle substitue à la logique commerciale traditionnelle – centrée sur l’écoulement de produits – une logique de service personnalisé fondée sur l’adéquation entre l’offre et la demande[22]. Cette évolution s’inscrit dans le mouvement général de protection du consommateur qui caractérise le droit européen contemporain[23].

L’obligation d’information objective qui accompagne ce conseil revêt une importance particulière. L’article L. 521-4, I impose que le distributeur fournisse « des informations objectives sur le produit d’assurance proposé sous une forme compréhensible, exacte et non trompeuse ». Cette formulation reprend la terminologie de la directive sur la distribution d’assurances, elle-même inspirée de la réglementation des services financiers[24].

Le caractère obligatoire de cette démarche marque une rupture avec l’ancien droit, où seule la jurisprudence imposait un devoir de conseil aux intermédiaires d’assurance[25]. La codification de cette obligation garantit une application uniforme sur l’ensemble du territoire et simplifie le contentieux en offrant un référentiel normatif précis.

La motivation du conseil constitue un élément central de cette obligation. Elle permet au souscripteur de comprendre les raisons qui sous-tendent la recommandation, favorisant ainsi une décision éclairée. Cette exigence s’inspire des standards développés en matière de conseil en investissement, où la justification des recommandations constitue depuis longtemps une obligation déontologique fondamentale[26].

==>Le service de recommandation personnalisée facultatif

Au-delà du conseil de base obligatoire, l’article L. 521-4, II du Code des assurances consacre un niveau supérieur d’intervention : le service de recommandation personnalisée. Cette prestation facultative « consiste à expliquer pourquoi, parmi plusieurs contrats ou plusieurs options au sein d’un contrat, un ou plusieurs contrats ou options correspondent le mieux à ses exigences et à ses besoins ».

Cette disposition s’inspire directement de l’approche développée par la directive MiFID II en matière de conseil en investissement[27]. L’analogie n’est pas fortuite : elle témoigne de la volonté du législateur européen d’harmoniser les standards de protection des consommateurs entre les différents secteurs financiers.

Le service de recommandation personnalisée suppose une analyse comparative préalable, impliquant l’examen de plusieurs solutions concurrentes. Cette exigence distingue fondamentalement ce service du conseil de base, qui peut se satisfaire de la présentation d’une solution unique dès lors qu’elle est cohérente avec les besoins identifiés.

Cette prestation s’inscrit dans une logique de différenciation concurrentielle, permettant aux distributeurs de valoriser leur expertise par une offre de service premium. L’ACPR a d’ailleurs souligné que ce service, dépassant les obligations légales minimales, pouvait justifier une rémunération spécifique[28].

La recommandation personnalisée implique également une responsabilité accrue du distributeur. Contrairement au conseil de base, qui se contente de vérifier la cohérence d’une solution, la recommandation engage le distributeur sur le caractère optimal de son choix parmi plusieurs alternatives. Cette différence d’engagement explique le caractère facultatif de cette prestation.

L’évolution vers ces services différenciés reflète la maturation du marché français de l’assurance, où la concurrence ne porte plus seulement sur les prix mais également sur la qualité du service. Cette tendance, observée dans d’autres secteurs de services financiers, transforme progressivement les distributeurs en véritables conseillers spécialisés[29].

1.2. Les modalités d’exécution du devoir de conseil

L’évolution du droit de la distribution d’assurance, marquée par la transposition de la directive du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurance (DDA) par l’ordonnance du 16 mai 2018, a profondément renouvelé l’approche du devoir de conseil. Cette obligation, forgée de longue date par la jurisprudence avant d’être consacrée par la loi du 15 décembre 2005, connaît désormais un encadrement précis de ses modalités d’exécution. L’analyse de ces modalités suppose d’examiner successivement le moment d’exécution de cette obligation et l’identification des parties qui y sont intéressées.

a. Le moment de la délivrance du devoir de conseil

i. La délivrance du conseil avant la conclusion du contrat

Le caractère précontractuel du devoir de conseil est consacré par l’article L. 521-4 du Code des assurances qui dispose que « avant la conclusion de tout contrat d’assurance, le distributeur […] précise par écrit […] les exigences et les besoins » du souscripteur éventuel. Cette exigence revêt une portée particulière dans la mesure où elle impose une intervention active du distributeur en amont de tout engagement contractuel.

Le principe signifie concrètement que le conseil ne peut intervenir efficacement qu’avant que le consentement du souscripteur ne soit définitivement formé. Une fois le contrat conclu, l’objectif du conseil – éclairer le choix du contractant – ne peut plus être atteint. Cette logique transparaît dans la finalité même assignée par le législateur à cette intervention : permettre au souscripteur de « prendre une décision en toute connaissance de cause ». Cette expression révèle que le conseil vise à parfaire le consentement avant qu’il ne se cristallise dans l’acte contractuel.

La lettre de l’article L. 521-4 du Code des assurances confirme cette approche. L’obligation faite au distributeur de « conseiller un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel » utilise à dessein la référence au « souscripteur éventuel », marquant ainsi que l’intervention doit nécessairement précéder l’engagement définitif. Cette conception s’inscrit dans une vision dynamique de la formation du contrat d’assurance. Comme le relève Jean Bigot, « le conseil est dû avant la conclusion de tout contrat d’assurance » car « la conclusion du contrat d’assurance vient au terme d’un processus de formation qui commence par la « proposition d’assurance » émanant d’un candidat à l’assurance mais qui va devoir mûrir sous les informations et les conseils du distributeur jusqu’à la signature de la police ».

Hubert Groutel souligne à cet égard que « le devoir de conseil en assurance » doit s’exercer « dès lors que s’engage le processus de formation du contrat », car c’est précisément à ce moment que le futur assuré a besoin d’être éclairé sur l’adéquation entre ses besoins et l’offre qui lui est présentée. L’ordonnance du 16 mai 2018 a d’ailleurs renforcé cette logique en imposant que le distributeur « précise par écrit les exigences et les besoins » du client « sur la base des informations obtenues auprès du souscripteur éventuel », marquant ainsi l’importance de la phase précontractuelle de dialogue et d’analyse.

Cette exigence de délivrance du conseil antérieurement à la conclusion du contrat répond à une finalité préventive clairement identifiée par la doctrine. Luc Mayaux observe que « l’objectif de la directive et des textes qui l’ont transposée est de combler ce déficit de compétence en chargeant l’une des parties, le distributeur, de renseigner le consommateur d’assurance ». Cette mission ne peut s’accomplir qu’en amont de l’engagement contractuel. Daniel Langé relève également que cette obligation précontractuelle vise à « éviter que l’assuré soit privé de la garantie » par une inadéquation entre ses besoins réels et le contrat souscrit.

La jurisprudence a d’ailleurs sanctionné les manquements à cette obligation précontractuelle. Dans un arrêt du 7 mars 1989, la Cour de cassation a ainsi retenu la responsabilité d’un courtier qui avait « omis de conseiller à l’assuré de résilier la garantie des dommages immatériels » inadaptée à sa situation, soulignant que cette obligation s’exerçait « dès avant la conclusion du contrat » (Cass. 1re civ., 7 mars 1989).

L’exigence de fourniture du conseil avant la conclusion du contrat s’articule étroitement avec les autres obligations précontractuelles, notamment l’obligation d’information consacrée aux articles L. 521-2 et L. 521-3 du Code des assurances. Comme le souligne Hubert Groutel, «si tout conseil suppose une information préalable, toute information n’aboutit pas nécessairement à un conseil»[30]. Cette distinction est essentielle car elle permet de comprendre que le conseil ne se limite pas à la transmission d’informations brutes, mais implique une véritable démarche d’analyse et de recommandation. L’article L. 521-4 du Code des assurances traduit cette exigence en imposant que le distributeur « conseille un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel » et «précise les raisons qui motivent ce conseil ».

La Cour de cassation a d’ailleurs précisé, dans un arrêt du 13 décembre 2012, que la clarté du contrat peut dispenser de l’exécution de l’obligation d’informer, mais ne dispense jamais de l’exécution de l’obligation de conseil dont l’objet est différent, confirmant ainsi la spécificité et l’autonomie de l’obligation de conseil précontractuel (Cass. 1re civ., 13 déc. 2012, n° 11-27.631).

Cette conception du conseil emporte des conséquences pratiques déterminantes. Elle impose d’abord au distributeur de structurer sa démarche commerciale de manière à ménager un temps spécifique dédié au conseil, distinct de la phase de conclusion proprement dite. Cette exigence se matérialise par l’obligation de formalisation écrite qui impose de « préciser par écrit » les exigences et besoins du client ainsi que « les raisons qui motivent ce conseil ». Cette formalisation vise précisément à matérialiser l’antériorité du conseil par rapport à la conclusion du contrat.

Le principe implique enfin que le distributeur doit disposer, avant toute conclusion, de l’ensemble des éléments nécessaires à la délivrance d’un conseil éclairé, ce qui suppose un recueil préalable et approfondi des informations relatives à la situation du souscripteur potentiel. Cette intervention précontractuelle constitue donc le socle temporel sur lequel repose l’ensemble du dispositif de protection du consommateur d’assurance, justifiant l’attention particulière que lui porte le législateur contemporain.

ii. La délivrance du conseil lors du renouvellement du contrat

Une interrogation spécifique mérite d’être examinée s’agissant de l’application du devoir de conseil lors du renouvellement du contrat d’assurance. Cette problématique révèle les tensions entre l’automatisme de la tacite reconduction et l’exigence d’un conseil actualisé.

La jurisprudence a établi de longue date que la tacite reconduction n’entraîne pas une simple prorogation du contrat existant, mais donne naissance à un nouveau contrat. Cette analyse, confirmée par la Cour de cassation notamment dans un arrêt rendu le 18 janvier 1983 pourrait théoriquement imposer la délivrance d’un nouveau conseil à chaque échéance contractuelle (Cass. 1re civ., 18 janv. 1983, n° 81-14.860).

Cette exigence trouve sa justification dans l’évolution naturelle de la situation du souscripteur. Comme le souligne Jean Bigot « les besoins du client ont pu changer, de même que les opportunités à saisir sur le marché ». Cette observation revêt une acuité particulière dans un environnement économique et réglementaire en constante mutation, où les produits d’assurance évoluent rapidement pour s’adapter aux nouveaux risques et aux attentes changeantes de la clientèle.

Jean Bigot relève à cet égard que « la finalité du conseil pourrait le justifier », dans la mesure où celui-ci vise « la recommandation d’un contrat qui serait adapté aux besoins du souscripteur » éventuel, appréciés à un moment donné. À l’instant du renouvellement, cette adéquation mérite d’être réévaluée, les circonstances ayant pu évoluer depuis la souscription initiale.

L’ordonnance du 16 mai 2018 a d’ailleurs anticipé cette problématique en précisant, à l’article L. 521-2, III du Code des assurances, que « le souscripteur ou l’adhérent est informé des changements affectant l’une des informations » relatives au distributeur « s’il effectue, au titre du contrat d’assurance après sa conclusion, des paiements autres que les primes en cours et les versements prévus ». Cette disposition témoigne de la volonté du législateur de maintenir une information actualisée tout au long de la relation contractuelle.

La doctrine civiliste a d’ailleurs souligné l’importance de cette actualisation dans le contexte plus large du droit des contrats. Philippe Malaurie observe que « l’évolution des circonstances peut remettre en cause l’équilibre contractuel initial », justifiant une vigilance particulière lors des renouvellements successifs[31].

Néanmoins, la mise en œuvre pratique de cette exigence soulève des difficultés considérables. L’automatisme de la tacite reconduction, prévu à l’article L. 113-3 du Code des assurances, vise précisément à éviter les interruptions de garantie et à simplifier la gestion contractuelle. Imposer un conseil systématique à chaque renouvellement pourrait contrarier cette logique de continuité.

La solution semble résider dans une approche nuancée, fondée sur l’évolution significative de la situation du souscripteur ou du marché de l’assurance. Luc Mayaux suggère ainsi que « l’obligation de conseil ne devrait s’imposer au renouvellement qu’en cas de modification substantielle des besoins du souscripteur ou de l’offre disponible ». Cette approche permettrait de concilier l’exigence de protection du consommateur avec les impératifs de sécurité juridique et d’efficacité commerciale.

Cette problématique illustre plus largement les défis posés par l’adaptation du droit traditionnel de l’assurance aux exigences contemporaines de protection du consommateur, révélant la nécessité d’un équilibre délicat entre formalisme juridique et pragmatisme commercial.

b. Les parties intéressées au devoir de conseil

b.1. Le débiteur du devoir de conseil

L’identification des débiteurs du devoir de conseil en assurance révèle une architecture complexe où se mêlent obligations légales et constructions prétoriennes. Comme le souligne Jean Bigot, « l’obligation de conseil des intermédiaires d’assurances [est devenue] l’une des caractéristiques de leur activité »[32]. Cette obligation, initialement d’origine jurisprudentielle, a connu une consécration légale progressive qui en a étendu le champ d’application à de nouveaux débiteurs.

i. Les personnes assujetties au devoir de conseil

==>Les entreprises d’assurance

  • Les assureurs stricto sensu
    • La directive sur la distribution d’assurance de 2016, transposée par l’ordonnance du 16 mai 2018, a marqué un tournant décisif en soumettant expressément les entreprises d’assurance pratiquant la vente directe aux mêmes obligations de conseil que les intermédiaires.
    • Comme l’observe Luc Mayaux, cette évolution répond à un impératif d’égalité de traitement : « la clientèle doit disposer des mêmes protections quel que soit le canal de distribution ».
    • L’article L. 521-4 du Code des assurances impose désormais à tout distributeur, y compris l’entreprise d’assurance en vente directe, de « préciser par écrit les exigences et les besoins du souscripteur éventuel » et de lui «fournir des informations objectives sur le produit d’assurance proposé ».
    • Cette obligation se double d’un véritable devoir de conseil consistant à conseiller « un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ».
    • La jurisprudence avait d’ailleurs anticipé cette évolution législative en sanctionnant régulièrement les manquements de l’assureur à son devoir de conseil[33].
    • Ainsi, dans l’affaire de l’exposition « Our Body », la Cour de cassation a retenu la responsabilité contractuelle de l’assureur qui n’avait pas « attiré l’attention de la société organisatrice de l’exposition sur le risque d’annulation de l’exposition » (Cass. 1ère civ. 29 oct. 2014, n°13-19.729).
  • Les mutuelles et institutions de prévoyance
    • L’ordonnance de 2018 a étendu le champ d’application du devoir de conseil aux organismes relevant du Code de la mutualité et du Code de la sécurité sociale.
    • L’article L. 116-6 du Code de la mutualité dispose que « les dispositions du Code des assurances relatives aux distributeurs d’assurance sont applicables aux mutuelles et unions régies par le livre III du présent code, sous réserve des règles propres à ces mutuelles ou unions ».
    • Cette extension répond à une logique de cohérence du système juridique, comme le relève Hubert Groutel : « il serait paradoxal que les assurés bénéficient d’une protection différente selon qu’ils s’adressent à une société d’assurance, une mutuelle ou une institution de prévoyance »[34].

==>Les distributeurs d’assurance

  • Les courtiers d’assurance
    • Les courtiers constituent historiquement les premiers débiteurs du devoir de conseil. La jurisprudence les a très tôt qualifiés de « guide sûr et conseiller expérimenté »[35], imposant à leur charge une obligation particulièrement étendue en raison de leur indépendance supposée vis-à-vis des assureurs.
    • Cette obligation revêt une intensité particulière pour les courtiers, comme le souligne Pierre-Grégoire Marly : « le courtier doit être en mesure de proposer à son client un contrat qui, non seulement correspondrait au mieux à ses exigences et ses besoins de garantie, mais offrirait les meilleures conditions tarifaires »[36].
  • Les agents généraux d’assurance et autres mandataires d’assurance
    • Bien que mandataires des compagnies d’assurance, les agents généraux sont également tenus du devoir de conseil envers leur clientèle. Cette situation peut créer un conflit d’intérêts potentiel, comme le note un auteur: «l’agent général se trouve dans la situation délicate de devoir servir à la fois les intérêts de son mandant assureur et ceux de sa clientèle »[37].
    • La Cour de cassation a tranché cette difficulté en affirmant que « en sa qualité de professionnel de l’assurance mettant sa compétence à la disposition du public, l’agent général est tenu d’une obligation de conseil »[38].
    • Cette solution s’impose désormais avec force compte tenu des termes de l’article L. 521-1 du Code des assurances qui impose aux distributeurs d’agir « au mieux des intérêts du souscripteur ou de l’adhérent ».

==>Les souscripteurs de contrats collectifs

  • Les employeurs
    • Dans le cadre des assurances collectives, l’employeur souscripteur endosse une double casquette.
    • Bénéficiaire du conseil en tant que souscripteur, il devient également débiteur d’une obligation de conseil envers ses salariés adhérents, comme le précise l’article L. 141-4 du Code des assurances.
    • Cette situation particulière a été analysée par Laurent Mayaux qui observe que « le souscripteur de l’assurance de groupe proposée à l’adhésion devient comme distributeur d’assurance, véritable Janus bifrons »[39].
    • L’employeur concentre aujourd’hui l’essentiel de l’obligation d’information et de conseil sur les garanties promises par les contrats de groupe proposés à l’adhésion des salariés.
  • Les établissements de crédit
    • Les banques prêteuses qui souscrivent des assurances de groupe en garantie des prêts qu’elles accordent sont soumises à un devoir de conseil particulièrement strict.
    • La Cour de cassation a solennellement affirmé que l’obligation « d’éclairer l’adhérent sur l’adéquation des risques couverts » à sa situation personnelle «incombe au seul établissement de crédit souscripteur du contrat d’assurance», ajoutant même qu’«aucun devoir de conseil ou de mise en garde n’incombait à l’assureur de groupe» (Cass. com., 18 avr. 2019, n° 18-11.108).
    • L’établissement de crédit concentre ainsi l’essentiel de l’obligation d’information et de conseil sur les garanties promises par le contrat de groupe souscrit au profit des emprunteurs.
    • Cette jurisprudence, construite avant l’inscription dans la loi de l’obligation d’information et de conseil à la charge de tout distributeur d’assurance, n’en prend que plus de force aujourd’hui.
  • Les associations et personnes morales
    • Les associations d’épargnants et autres personnes morales qui souscrivent des contrats de groupe sont également tenues d’un devoir de conseil envers leurs adhérents.
    • Cette obligation découle de leur qualité de distributeur au sens de l’article L. 511-1 du Code des assurances.
    • Il convient de noter que lorsque le distributeur à titre accessoire, souscripteur du contrat de groupe dont il propose une adhésion à ses clients, est un professionnel d’une autre spécialité, le distributeur qui a placé le contrat de groupe a obligation « de conseiller utilement le souscripteur, distributeur à titre accessoire sur l’étendue des garanties », et d’attirer plus spécialement son attention sur « les exclusions et limites » qu’elles comportent (Cass. 2? civ., 29 mars 2018, n° 17-14.975).
  • Les prestataires de services numériques
    • La révolution numérique a profondément bouleversé l’écosystème de la distribution d’assurance, faisant émerger de nouveaux acteurs dont le statut juridique soulève des interrogations inédites.
    • Les plateformes et comparateurs en ligne incarnent cette mutation technologique qui questionne les frontières traditionnelles de l’intermédiation d’assurance et, par voie de conséquence, l’application du devoir de conseil.
    • Contrairement à une idée répandue, les comparateurs d’assurance en ligne n’ont jamais bénéficié d’un statut dérogatoire en droit français.
    • La multiplication des plateformes de comparaison n’a pas donné lieu à une catégorie juridique autonome.
    • Comme l’a rappelé l’ACPR dès 2015, « le statut de comparateur n’est ni défini, ni reconnu spécifiquement par la réglementation française ».
    • Cette lacune juridique a longtemps créé une zone d’incertitude quant au régime applicable à ces nouveaux acteurs, nombreux étant ceux qui arguaient de la spécificité de leur activité pour échapper aux obligations traditionnelles de l’intermédiation d’assurance.
    • La directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances (DDA) a permis de clarifier cette question en adoptant une approche fonctionnelle plutôt que statutaire.
    • Elle considère comme constitutive de distribution d’assurance : « la fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par le client sur un site internet ou par d’autres moyens de communication et l’établissement d’un classement de produits d’assurance comprenant une comparaison des prix et des produits, ou une remise de prime, lorsque le client peut conclure un contrat directement ou indirectement au moyen d’un site internet ou d’autres moyens de communication. »
    • Cette définition a été fidèlement transposée en droit français à l’article L. 511-1, I, alinéa 2 du Code des assurances, dans sa version issue de l’ordonnance n° 2018-361 du 16 mai 2018.
    • Le texte français reprend substantiellement la formulation européenne en précisant : « est également considérée comme de la distribution d’assurances la fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par le souscripteur ou l’adhérent sur un site internet ou par d’autres moyens de communication et l’établissement d’un classement de produits d’assurance comprenant une comparaison des prix et des produits, ou une remise de prime, lorsque le souscripteur ou l’adhérent peut conclure le contrat directement ou indirectement au moyen du site internet ou par d’autres moyens de communication. »
    • A l’analyse, la qualification d’activité de distribution repose sur plusieurs critères cumulatifs définis par l’article L. 511-1 :
      • La fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par l’utilisateur
      • L’établissement d’un classement de produits comprenant une comparaison des prix et des produits
      • La possibilité pour l’utilisateur de conclure un contrat directement ou indirectement par le biais de la plateforme
    • Cette approche téléologique privilégie la substance économique de l’activité sur sa forme juridique, conformément à l’esprit de la directive européenne visant à éviter les contournements réglementaires.
    • Cette qualification n’est pas neutre sur le plan juridique.
    • Elle implique que les comparateurs d’assurance relèvent intégralement du champ de la réglementation applicable aux distributeurs et sont donc soumis à l’ensemble des obligations professionnelles prévues par le Code des assurances, notamment :
      • L’obligation d’immatriculation à l’ORIAS (article L. 512-1)
      • L’obligation de capacité professionnelle (articles L. 512-7 et suivants)
      • Les règles relatives à la prévention des conflits d’intérêts (article L. 521-1)
      • Le respect des règles de conduite (articles L. 521-1 à L. 521-6)
      • Et surtout, le devoir de conseil prévu à l’article L. 521-4
    • Sur ce dernier point, la position de l’ACPR est explicite et sans ambiguïté : «dans ce contexte, le comparateur d’assurance sur Internet est avant tout un courtier d’assurance ».
    • Cette qualification entraîne l’application intégrale du régime de responsabilité prévu pour les intermédiaires d’assurance.
    • Il en résulte que, dès lors qu’un comparateur permet au souscripteur de conclure un contrat, directement ou par redirection vers un partenaire, il doit être regardé comme participant à l’acte de distribution et, à ce titre, tenu d’un devoir de conseil à l’égard de l’utilisateur.
    • Conformément à l’article L. 521-4 du Code des assurances, le comparateur doit :
      • Préciser par écrit les exigences et les besoins du souscripteur éventuel
      • Fournir des informations objectives sur le produit d’assurance proposé sous une forme compréhensible, exacte et non trompeuse
      • Conseiller un contrat cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur
      • Préciser les raisons qui motivent ce conseil
    • L’application de ces obligations aux comparateurs soulève des difficultés pratiques particulières :
      • La limitation du périmètre de comparaison : aucun comparateur ne peut avoir accès à l’ensemble du marché, ce qui questionne la pertinence du conseil fourni
      • L’automatisation du processus : la dimension largement automatisée de la comparaison peut entrer en tension avec l’exigence de personnalisation du conseil
      • La transparence sur les partenariats : l’obligation d’information sur les conflits d’intérêts impose de révéler les accords commerciaux avec les assureurs référencés
    • Comme le souligne l’ACPR, « les comparateurs ont développé une approche marketing qui s’appuie sur le sentiment qu’ont les internautes d’avoir accès à une base d’informations sans limite ».
    • Cette communication peut créer une confusion préjudiciable aux consommateurs qui croient bénéficier d’une vision exhaustive du marché.
    • À ce jour, l’autorité de régulation constate que « la majorité des comparaisons se fait sur le seul critère tarifaire, sans que le consommateur soit averti des limites du conseil fourni ou que la fiabilité des offres présentées soit garantie».
    • Cette approche essentiellement tarifaire entre en contradiction avec l’obligation de conseil qui impose de prendre en compte l’ensemble des besoins du souscripteur et non le seul critère économique.

ii. Les personnes non assujetties au devoir de conseil

L’identification des personnes exclues du devoir de conseil répond à une logique de proportionnalité et d’efficience économique. Comme le souligne Daniel Langé, « ces exclusions visent à éviter l’application d’obligations inadaptées à certaines situations où le déséquilibre informationnel justifiant le devoir de conseil n’existe pas »[40].

==>Les exclusions liées à la nature des risques

  • Les grands risques
    • L’article L. 521-5 du Code des assurances exclut expressément de l’obligation de conseil « la présentation d’un contrat couvrant les risques mentionnés à l’article L. 111-6 ».
    • Cette exclusion concerne deux catégories de risques distincts.
      • Les grands risques par nature
        • Certains risques relèvent de la catégorie des grands risques en raison de leur objet même.
        • Il s’agit notamment des véhicules ferroviaires, aériens, maritimes, lacustres et fluviaux ainsi que la responsabilité civile afférente à ces véhicules, les marchandises transportées, les installations d’énergies marines renouvelables définies par décret en Conseil d’État, et les assurances crédit et caution lorsque le souscripteur exerce à titre professionnel une activité industrielle, commerciale ou libérale en rapport avec le risque couvert.
      • Les grands risques par la taille
        • Dans les autres branches d’assurance de dommages, la qualification de grand risque dépend de la taille de l’entreprise souscriptrice.
        • Le risque n’est « grand » que si l’entreprise dépasse les limites d’au moins deux des trois critères chiffrés visés à l’article R. 111-1 du Code des assurances : total du bilan supérieur à 6,2 millions d’euros, chiffre d’affaires supérieur à 12,8 millions d’euros, ou plus de 250 salariés en moyenne.
    • Cette exclusion des grands risques du champ d’application du devoir de conseil se justifie par la présomption de compétence des souscripteurs de cette catégorie de risques.
    • Comme l’explique Jérôme Kullmann : « Le législateur considère que la personne qui cherche à assurer des grands risques détient les connaissances et l’expertise nécessaires pour décider, de son propre chef, de souscrire tel ou tel contrat d’assurance »[41].
    • Laurent Mayaux nuance cette approche en observant qu’« autant peut-on comprendre la dispense d’assistance du distributeur auprès de la grande entreprise, dans la mesure où elle dispose en interne des moyens de mobiliser à travers une direction des risques et assurances les compétences nécessaires »[42].Toutefois, il souligne que même ces entreprises « ne peuvent se mettre à la place de l’assureur dans l’appréciation du risque et du règlement de l’éventuel sinistre ».
    • Cette exclusion des grands risques peut donc paraître discutable s’agissant des entreprises qui, bien que dépassant les seuils quantitatifs, ne disposent pas nécessairement en interne des compétences techniques spécialisées pour apprécier tous les aspects de l’assurance, notamment les exclusions complexes ou les mécanismes de franchise sophistiqués.
  • Les traités de réassurance
    • Les traités de réassurance sont également exclus du champ du devoir de conseil.
    • Cette exclusion trouve sa justification dans la nature même de ces opérations, comme l’explique Daniel Langé : la réassurance est négociée «entre deux parties professionnelles de l’assurance entre lesquelles on postule l’égalité de compétence pour aborder la négociation du traité ».
    • Hubert Groutel précise que «cette exclusion se comprend aisément dans la mesure où la réassurance met en relation des professionnels de l’assurance disposant, par hypothèse, des mêmes compétences techniques»[43].
    • L’asymétrie informationnelle qui justifie le devoir de conseil dans les relations entre professionnels et consommateurs disparaît dans ce contexte.

==>Les exclusions liées au statut de l’intermédiaire

  • Les intermédiaires à titre accessoire
    • L’article L. 513-1 du Code des assurances prévoit un régime dérogatoire pour certains intermédiaires à titre accessoire.
    • Ces intermédiaires, « qui, comme l’indique leur dénomination, bénéficient de dérogations aux exigences s’imposant aux autres intermédiaires à raison de la simplicité des produits d’assurance qu’ils distribuent »[44], échappent partiellement aux obligations de conseil.
    • Cette dérogation concerne notamment la distribution d’assurances dites «affinitaires», caractérisées par leur simplicité et leur standardisation.
    • Comme le note Philippe Maystadt, « ces produits, souvent liés à l’achat d’un bien ou d’un service principal, présentent des caractéristiques suffisamment simples pour ne pas justifier un conseil approfondi »[45].
    • Toutefois, cette dérogation ne doit pas compromettre la protection des consommateurs.
    • L’article L. 513-2 du Code des assurances prévoit que c’est à l’entreprise ou à l’intermédiaire d’assurance qui distribuent via l’intermédiaire à titre accessoire de faire en sorte que des “dispositions appropriées et proportionnées” soient prises pour assurer le respect des dispositions relatives aux règles de conduite.
  • Les courtiers grossistes
    • Les courtiers grossistes occupent une position singulière dans l’organisation du marché de l’assurance.
    • Contrairement aux courtiers dits traditionnels ou « détaillants », ils interviennent en amont de la chaîne de distribution, en concevant des produits, en négociant les conditions de couverture avec les assureurs, ou encore en structurant l’offre assurantielle destinée à être diffusée par un réseau d’apporteurs ou de courtiers distributeurs.
    • Comme l’explique Jean Bigot, « les courtiers grossistes interviennent en amont de la chaîne de distribution, en concevant des produits ou en négociant des conditions avec les assureurs, mais sans contact avec l’assuré final »[46].
    • Leur rôle est ainsi souvent double : ils peuvent être distributeurs de produits d’assurance, tout en exerçant, dans certains cas, une fonction de délégataire de gestion pour le compte d’un assureur.
      • La fonction de distributeur auprès d’un réseau d’intermédiaires
        • Lorsqu’ils interviennent en qualité de distributeurs, les courtiers grossistes conçoivent des produits qu’ils mettent à disposition de courtiers détaillants, chargés de les proposer aux clients finaux.
        • Dans ce schéma, le courtier grossiste ne contracte pas avec le candidat à l’assurance et ne participe pas à l’acte de distribution final.
        • C’est le courtier détaillant – titulaire d’un mandat de placement de risques conféré par l’assuré – qui exerce l’intermédiation de proximité et recueille les besoins du client.
        • Il en découle que le devoir de conseil repose exclusivement sur ce dernier, seul en mesure d’évaluer les attentes du souscripteur, de l’interroger, de le mettre en garde, et de lui recommander un contrat adéquat.
        • Le courtier grossiste, en revanche, n’entretient aucun lien contractuel ni relation commerciale avec le preneur d’assurance.
        • Mieux encore, il n’est pas autorisé à en avoir, car le client appartient exclusivement au courtier distributeur.
        • Toute ingérence du courtier grossiste dans cette relation pourrait être qualifiée de détournement de clientèle, et engager sa responsabilité délictuelle.
        • Dans ces conditions, il serait juridiquement incohérent de lui imposer un devoir de conseil qu’il n’a ni les moyens ni le droit d’exercer.
      • La fonction de délégataire de gestion pour le compte de l’assureur
        • Par ailleurs, certains courtiers grossistes assument, en parallèle de leur activité de distribution, une mission de gestion administrative pour le compte de l’assureur, dans le cadre d’une délégation de gestion.
        • Ils interviennent alors en exécution du contrat d’assurance, souvent après la souscription, et accomplissent des actes tels que l’émission des pièces contractuelles, la gestion des sinistres ou le recouvrement des primes.
        • Dans ce cadre, le courtier grossiste agit au nom et pour le compte de l’assureur.
        • Il n’est plus un distributeur, mais un gestionnaire délégué, placé sous l’autorité juridique du porteur de risque.
        • Même lorsque cette mission de gestion implique un contact direct avec l’assuré (par exemple lors du traitement d’un sinistre ou de l’émission d’un certificat), aucun devoir de conseil autonome ne peut naître à sa charge, car il n’accomplit pas d’acte de distribution.
        • Le cas échéant, s’il devait exister une obligation de conseil dans le cadre de la gestion, celle-ci ne pourrait être imputée qu’à l’assureur, débiteur naturel du devoir, et non au délégataire, qui n’intervient que par représentation.
    • La question de savoir si un courtier grossiste peut être tenu au devoir de conseil à l’égard de l’assuré final a été expressément tranchée par la Cour de cassation dans un arrêt du 23 mars 2017 (Cass. 2e civ., 23 mars 2017, n° 16-15.090).
    • En l’espèce, une assurée reprochait à la société April, intervenant en qualité de courtier grossiste, un manquement à son devoir de conseil lors de l’adhésion à un contrat d’assurance de groupe emprunteur, souscrit par l’intermédiaire d’une association.
    • La société April agissait exclusivement dans le cadre d’une délégation de gestion consentie par l’assureur, la société Axeria Prévoyance.
    • Elle n’avait ni commercialisé le contrat, ni participé à son élaboration.
    • La Cour de cassation rejette le pourvoi et affirme que « la société April, intervenue dans la seule gestion administrative du contrat d’assurance sur délégation de l’assureur, n’avait ni proposé le contrat d’assurance ni participé à l’élaboration de la proposition d’assurance, de sorte qu’elle n’était débitrice à l’égard de l’assurée d’aucune obligation d’information et de conseil. »
    • Par cette décision, la Haute juridiction délimite avec précision le périmètre d’application du devoir de conseil, en opérant une distinction fonctionnelle entre deux types d’activités exercées par les courtiers grossistes : d’une part, les fonctions de distribution, qui impliquent un devoir de conseil, et d’autre part, les fonctions de gestion administrative, qui en sont exclues.
    • Elle affirme ainsi que le courtier grossiste n’engage pas sa responsabilité à ce titre lorsqu’il cumule les trois caractéristiques suivantes :
      • Absence d’intervention dans la conception ou la présentation du contrat d’assurance
        • Le devoir de conseil trouve son fondement dans l’acte de distribution au sens propre : il suppose que l’intermédiaire participe, directement ou indirectement, à la présentation, à la recommandation, ou à la mise en place d’un contrat d’assurance à destination d’un client déterminé.
        • Or, dans l’affaire jugée, la Cour de cassation relève que la société April n’a ni proposé le contrat, ni participé à l’élaboration de la proposition : le produit avait été conçu et présenté au client par un autre intermédiaire (le cabinet Michel Astre), seul en lien avec le souscripteur.
        • Ce premier critère exclut donc la qualification d’activité de distribution.
        • En l’absence d’une implication dans le processus de placement du risque, le courtier grossiste ne saurait être regardé comme débiteur d’un devoir de conseil.
      • Exercice d’une mission de gestion par délégation de l’assureur
        • La société April agissait dans le cadre d’une délégation de gestion consentie par l’assureur.
        • Elle se bornait à exécuter des tâches telles que la tenue des dossiers, la production des certificats d’adhésion ou la gestion des flux contractuels, sans initiative commerciale ou responsabilité dans la construction de l’offre.
        • Dans ce contexte, le courtier grossiste agit en représentation de l’assureur, dans un cadre strictement déterminé.
        • Il n’endosse pas le rôle de distributeur, mais celui de gestionnaire de prestations au nom du porteur de risque.
        • Toute obligation d’information ou de conseil qui pourrait être invoquée dans ce contexte relèverait de la seule responsabilité de l’assureur, le gestionnaire n’étant qu’un relais technique.
        • La Haute juridiction se fonde donc sur une analyse fonctionnelle du rôle du courtier : elle retient que l’absence d’autonomie dans la présentation du produit, jointe à la qualité de mandataire du gestionnaire, suffit à écarter toute obligation personnelle de conseil.
      • Absence de relation contractuelle directe avec le souscripteur
        • Enfin, la Cour de cassation insiste sur un troisième élément fondamental : l’inexistence de tout lien contractuel direct entre le courtier grossiste et le preneur d’assurance.
        • Elle écarte expressément l’argument fondé sur l’existence d’échanges de courriers ou la remise de documents : ces simples démarches administratives ne suffisent pas à caractériser une relation juridique autonome de nature à faire naître des obligations propres au gestionnaire.
        • Cette précision est essentielle. Elle souligne que le devoir de conseil suppose une relation d’intermédiation individualisée : il implique que l’intermédiaire soit investi d’un mandat – explicite ou implicite – par le client, qu’il soit en situation de dialogue et de recueil d’informations, et qu’il puisse formuler une recommandation adaptée.
        • En l’absence de tout lien de droit entre le courtier grossiste et le preneur d’assurance, aucune de ces conditions n’est remplie.
  • Les indicateurs
    • En droit de la distribution d’assurance, les indicateurs constituent une catégorie à part, expressément exclue du champ d’application du régime de l’intermédiation.
    • À la différence des courtiers, agents généraux ou mandataires, ces acteurs ne sont pas considérés comme des distributeurs au sens du Code des assurances, et n’assument donc aucune des obligations professionnelles attachées à cette qualité.
    • L’article R. 511-3, III du Code des assurances définit leur rôle restrictif : ils sont des « indicateurs dont le rôle se borne à mettre en relation l’assuré et l’assureur, ou l’assuré et l’un des intermédiaires mentionnés à l’article R. 511-2, ou à signaler l’un à l’autre ».
    • Autrement dit, l’indicateur se limite à une mise en relation ou à une simple recommandation de contact, sans participer à la présentation, à la proposition, ni à la conclusion d’un contrat d’assurance.
    • Il n’exerce aucun acte de distribution au sens de l’article L. 511-1, et ne réalise pas de travaux préparatoires à la souscription.
    • Cette qualification emporte des conséquences juridiques majeures : n’étant pas un distributeur, l’indicateur est exclu du champ d’application de l’article L. 521-4, et ne peut être tenu au devoir de conseil à l’égard du candidat à l’assurance.
      • Fondement de l’exclusion: la nature restrictive de l’activité d’indication
        • Le Code des assurance distingue expressément certaines activités accessoires qui, bien qu’elles puissent participer indirectement à la mise en place de contrats, échappent à la qualification d’intermédiation.
        • Tel est le cas des indicateurs d’affaires, qui bénéficient d’un statut dérogatoire précisément défini par les textes.
        • L’article L. 511-1, II du Code des assurances, dans la liste de ses exclusions, précise que « ne sont pas considérées comme de la distribution d’assurances des activités s’apparentant à de l’indication d’affaires ».
        • Cette disposition est éclairée par l’article R. 511-3, III, qui encadre strictement les contours de cette fonction : « La présente section ne fait pas obstacle à la rétrocession d’une commission d’apport aux indicateurs dont le rôle se borne à mettre en relation l’assuré et l’assureur, ou l’assuré et l’un des intermédiaires mentionnés à l’article R. 511-2, ou à signaler l’un à l’autre. »
        • Trois éléments caractérisent donc le périmètre limité de l’activité d’indication :
          • une simple mise en relation entre un assuré potentiel et un professionnel habilité (assureur ou intermédiaire),
          • un signalement passif ne s’accompagnant d’aucune présentation des garanties,
          • et, éventuellement, la perception d’une commission d’apport, à condition qu’elle ne rémunère pas une prestation assimilable à un acte de distribution.
        • L’utilisation du verbe « se borne » dans le texte réglementaire souligne le caractère strictement délimité de cette activité : l’indicateur ne participe ni à l’élaboration ni à la présentation de l’offre, et n’intervient pas dans la conclusion du contrat.
        • Il n’a, en réalité, aucune légitimité à influencer le consentement du souscripteur, ce qui justifie son exclusion du régime de la distribution d’assurance.
        • Les textes vont plus loin en énonçant négativement les actes interdits à l’indicateur. Il lui est notamment interdit :
          • de présenter les garanties d’un contrat d’assurance ;
          • de recueillir les informations nécessaires à l’établissement d’un devis ;
          • ou encore d’exposer oralement ou par écrit les conditions de garantie, telles que définies à l’article R. 511-1, alinéa 1er.
        • Dès lors que l’indicateur franchit l’une de ces limites, il cesse de bénéficier de l’exclusion et devient un intermédiaire au sens plein, devant satisfaire aux obligations afférentes: immatriculation à l’ORIAS, conditions de capacité, assurance RC professionnelle, devoir de conseil, etc.
        • La doctrine a souligné avec justesse que cette frontière est historiquement liée à l’évolution du droit de l’intermédiation.
        • Comme l’ont observé certains auteurs, « le problème vient de l’évolution de la définition de l’intermédiaire lui-même », qui, depuis la réforme de 2005, repose sur la qualité de professionnel impliqué dans le processus contractuel, et non plus uniquement sur l’acte de présentation formelle du contrat.
      • Les conséquences de l’exclusion sur le devoir de conseil
        • L’exclusion des indicateurs d’affaires du champ de l’article L. 511-1 du Code des assurances implique, par cohérence, leur exonération du devoir de conseil prévu à l’article L. 521-4.
        • Cette exemption n’est pas circonstancielle mais structurelle : l’indicateur n’est pas un distributeur, et ne peut donc être assujetti à des obligations qui ne concernent que les acteurs de la distribution.
        • Elle se justifie également par l’impossibilité matérielle pour l’indicateur d’exercer un conseil pertinent.
        • En effet, il ne peut :
          • ni présenter les garanties du contrat ;
          • ni interroger l’assuré sur ses besoins ou objectifs ;
          • ni analyser la situation assurantielle ou proposer des solutions adaptées.
        • Or, le devoir de conseil suppose précisément ces facultés : recueillir les exigences et besoins, formuler une recommandation motivée, éclairer la décision du souscripteur.
        • L’indicateur, par définition, n’en a ni la compétence ni le droit, ce qui rend toute obligation de conseil juridiquement inopérante à son égard.
        • Pour autant, la frontière entre l’indication d’affaires et la distribution peut s’avérer difficile à respecter en pratique.
        • Comme le relève pertinemment la doctrine, « pour signaler un assuré à un assureur, et pour en retirer une commission d’apport au sens de l’article R. 511-3, encore faut-il au minimum que l’indicateur d’assurance se soit renseigné préalablement sur la possibilité pour l’assureur signalé de répondre aux besoins du futur assuré ».
        • Cette observation met en lumière une tension structurelle : l’efficacité commerciale de l’indication suppose un minimum d’information sur les profils des clients et les offres disponibles, mais ce recueil d’informations, dès lors qu’il devient substantiel ou oriente une décision, peut franchir le seuil de l’intermédiation.
        • Dès que l’indicateur commence à adapter ses signalements en fonction des besoins du client ou à orienter celui-ci vers un contrat particulier, il bascule dans une activité de conseil, qui requiert un statut d’intermédiaire et l’assujettissement aux règles professionnelles de la distribution.
        • A cet égard, un défaut d’habilitation d’un intermédiaire est assorti de sanctions pénales au sens de l’article L. 514-1 (deux ans d’emprisonnement et/ou une amende de 6 000 €).
        • Sans compter les risques relatifs à la déclaration mensongère au sens de l’article L. 310-28 du Code des assurances.
        • Au civil, les conséquences sont tout aussi lourdes : si l’apporteur est requalifié en intermédiaire, il supportera pleinement le devoir de conseil dû à l’assuré, et les risques de responsabilité afférents, sans assurance pour le protéger.
        • Cette perspective explique l’importance cruciale du respect strict des limites de l’activité d’indication.
    • L’une des clés de distinction entre l’intermédiaire d’assurance et l’indicateur réside dans l’absence totale d’assistance.
    • Cette approche a été confirmée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt de la cour d’appel de Paris du 8 mars 1996 qui considérait qu’un franchisé n’était pas un intermédiaire dès lors qu’il n’avait pas « assisté les clients dans la recherche et la prise de garantie ».
    • Le critère opérant semble donc résider dans l’abstention de toute forme d’assistance dans la conclusion du contrat, l’indicateur devant se cantonner «strictement à la seule mise en relation, sans fournir, d’une quelconque façon, une assistance à la mise en place de la police ».

==>Les exclusions liées aux circonstances

Le devoir de conseil, bien qu’étant une obligation du distributeur d’assurance, connaît certains aménagements dans ses modalités d’exécution ou peut être suspendu dans des circonstances particulières. Ces situations, loin de remettre en cause le principe même de l’obligation de conseil, témoignent de la nécessaire adaptation du droit aux réalités pratiques de la distribution d’assurance.

  • La commercialisation à distance d’urgence
    • Dans certaines situations d’urgence, notamment lors de la commercialisation à distance, les informations précontractuelles peuvent être fournies après la conclusion du contrat.
    • L’article R. 521-2, II du Code des assurances prévoit expressément que «lorsque le contrat a été conclu à la demande du souscripteur utilisant un moyen technique à distance ne permettant pas la transmission des informations sur support papier ou sur un autre support durable, le distributeur met les informations à disposition immédiatement après la conclusion du contrat ».
    • Cette dérogation ne supprime nullement l’obligation mais en aménage les modalités d’exécution pour tenir compte des contraintes techniques inhérentes aux nouveaux modes de communication.
    • Elle s’inscrit dans une logique pragmatique qui reconnaît que l’urgence d’une couverture d’assurance peut justifier une inversion de l’ordre chronologique habituel entre information et souscription.
    • Plusieurs conditions cumulatives doivent être réunies pour que cette dérogation trouve à s’appliquer :
      • La souscription doit résulter d’une demande expresse du souscripteur, excluant ainsi toute initiative du distributeur
      • L’utilisation d’un moyen technique à distance doit être établie
      • Cette technique doit ne pas permettre la transmission des informations sur support papier ou durable au moment de la souscription
      • Les informations doivent être mises à disposition immédiatement après la conclusion du contrat
    • Cette exception ne concerne que les modalités de transmission des informations et non leur contenu.
    • Le distributeur demeure tenu de fournir l’intégralité des informations précontractuelles requises, y compris le conseil adapté aux besoins du souscripteur.
    • Comme le précise le document joint, “l’intermédiaire n’est pas exonéré de ses obligations d’information, lesquelles sont simplement décalées dans le temps“.
  • Le refus du souscripteur
    • Depuis la loi relative à l’industrie verte du 23 octobre 2023, qui a instauré un devoir de conseil dans la durée, le législateur a dû prendre en compte la possibilité pour le souscripteur de refuser l’actualisation de son conseil. L’article A. 522-2, I, 3° du Code des assurances prévoit désormais que «l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance ou de capitalisation n’est pas tenu de procéder à l’actualisation des informations du souscripteur ou de l’adhérent comme mentionné au 2° du III de l’article L. 522-5 si le souscripteur ou l’adhérent oppose un refus ou n’a pas donné suite à la demande d’actualisation adressée sur tout support durable par l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance ou de capitalisation, après une relance effectuée sur tout support durable au sens de l’article L. 111-9 du présent code».
    • Cette disposition s’inscrit dans le cadre plus large de l’obligation de réactualisation du conseil prévue à l’article L. 522-5, III du Code des assurances.
    • Le distributeur doit procéder à une actualisation des informations lorsque :
      • Il est informé d’un changement dans la situation du souscripteur
      • Le contrat n’a fait l’objet d’aucune opération pendant 4 ans (ou 2 ans en cas de service de recommandation personnalisée)
      • Une opération susceptible d’affecter significativement le contrat est envisagée
    • Cependant, cette obligation cède devant la volonté expresse du souscripteur.
    • Le texte prévoit même une procédure : le distributeur doit adresser une demande d’actualisation “sur tout support durable” et, en cas de silence du souscripteur, effectuer une relance avant de pouvoir considérer que l’obligation ne s’applique plus.
    • Cette disposition reconnaît l’autonomie du souscripteur tout en préservant les intérêts légitimes du distributeur.
    • Elle évite que ce dernier ne soit indéfiniment tenu d’une obligation de conseil actualisé face à un souscripteur qui refuse de coopérer ou qui, en toute connaissance de cause, souhaite maintenir son contrat en l’état.
    • Le législateur a ainsi trouvé un équilibre délicat entre deux impératifs : d’une part, la protection du souscripteur par un conseil adapté et actualisé ; d’autre part, le respect de sa liberté contractuelle et de son droit à refuser cette protection s’il l’estime superflue.
    • Lorsque le souscripteur oppose un refus ou ne donne pas suite à la demande d’actualisation, “la durée de 4 ans ou de 2 ans mentionnée ci-avant est appliquée de nouveau à compter de ce refus ou de la relance”.
    • Cette solution assure une forme de “remise à zéro” du compteur, permettant au distributeur de reproposer ultérieurement une actualisation sans être indéfiniment lié par un refus ancien.

b.2. Le créancier du devoir de conseil

i. Règles générales

Le créancier du devoir de conseil est, par principe, le « souscripteur éventuel » ou « l’adhérent éventuel », selon la terminologie constante des articles L. 521-4 et L. 522-5 du Code des assurances. Cette formulation met l’accent sur le caractère précontractuel de l’obligation, conformément à l’économie générale de la directive du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances.

L’emploi du terme « éventuel » traduit la finalité préventive du dispositif : il s’agit d’éclairer la décision contractuelle avant qu’elle ne soit définitivement arrêtée. Cette approche s’inscrit dans la logique consumériste qui sous-tend la réglementation européenne, visant à permettre au consommateur de « prendre une décision en connaissance de cause ».

La distinction opérée par le législateur entre « souscripteur » et « adhérent » reflète la diversité des schémas contractuels en assurance. Le souscripteur désigne celui qui contracte directement avec l’assureur dans le cadre d’une assurance individuelle, tandis que l’adhérent vise celui qui rejoint un contrat de groupe préalablement souscrit par une personne morale ou un chef d’entreprise, conformément à la définition de l’article L. 141-1 du Code des assurances³.

ii. Les situations particulières

==>L’assurance de groupe

  • Le souscripteur du contrat groupe
    • En matière d’assurance de groupe, l’analyse du devoir de conseil se heurte à une complexité supplémentaire, liée à la structure duale du mécanisme contractuel. En effet, ce type d’assurance repose sur deux niveaux de relation juridique distincts mais articulés :
      • d’une part, un contrat d’assurance collectif conclu entre un souscripteur (généralement une personne morale, une entreprise ou une association) et l’assureur ;
      • d’autre part, des adhésions individuelles au contrat-cadre de la part des membres du groupe concerné (salariés, adhérents, emprunteurs, etc.), qui bénéficient des garanties prévues par le contrat collectif.
    • Cette dualité contractuelle engendre une dissociation entre celui qui négocie et souscrit le contrat (le souscripteur) et ceux qui en bénéficient (les adhérents), ce qui redéfinit en profondeur le périmètre et les modalités du devoir de conseil.
    • Dans ce contexte, le souscripteur – personne morale ou employeur – est seul en relation directe avec le distributeur, et peut légitimement exiger de ce dernier les informations et recommandations nécessaires avant la conclusion du contrat collectif.
    • Il lui revient en effet d’apprécier l’adéquation du contrat-cadre aux besoins du groupe qu’il entend couvrir, ce qui suppose une analyse approfondie des risques collectifs, du profil des adhérents potentiels, ainsi que des garanties et exclusions contenues dans le contrat proposé.
    • Le souscripteur occupe ainsi une position particulière : intermédiaire entre l’assureur et les bénéficiaires potentiels, il porte la responsabilité de choisir une offre adaptée aux intérêts de la collectivité.
    • Cette responsabilité implique, en contrepartie, que le distributeur lui délivre un conseil éclairé et personnalisé, portant non pas sur des besoins individuels, mais sur les caractéristiques générales du groupe à assurer.
  • Les adhérents individuels : créanciers de second rang
    • Les adhérents au contrat collectif ne sont pas parties à la négociation initiale, mais ils deviennent bénéficiaires des garanties dès leur adhésion individuelle au dispositif.
    • À ce titre, ils peuvent également être considérés comme créanciers du devoir de conseil, mais dans une mesure différente de celle du souscripteur initial. Cette qualité de créancier de second rang découle de leur besoin légitime d’être informés et conseillés sur les conditions de leur adhésion :
      • pour en comprendre la portée,
      • pour évaluer son intérêt au regard de leur situation personnelle,
      • et pour pouvoir prendre une décision éclairée, notamment lorsque l’adhésion est facultative, comme en matière d’assurance emprunteur ou de prévoyance individuelle.
    • Contrairement à la tendance générale en matière de contrats d’assurance individuels, la reconnaissance d’un devoir de conseil au profit des adhérents d’un contrat d’assurance de groupe ne constitue pas un principe général.
    • Elle demeure strictement circonscrite à certaines hypothèses, dans lesquelles un professionnel assume expressément un rôle de distributeur vis-à-vis des adhérents individuels.
    • A cet égard, La jurisprudence de la Cour de cassation a reconnu de manière nette la qualité de créancier du conseil à certains adhérents, notamment les emprunteurs adhérant à une assurance de groupe souscrite par leur banque.
    • L’arrêt de principe rendu par la chambre commerciale le 18 avril 2019 affirme que « l‘obligation d’éclairer l’adhérent sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur […] incombe au seul établissement de crédit souscripteur du contrat d’assurance »[47].
    • Cette solution ne repose pas sur une reconnaissance abstraite et générale de la qualité de créancier des adhérents, mais sur une qualification fonctionnelle du souscripteur-emprunteur comme distributeur effectif de l’assurance.
    • C’est en raison de ce rôle actif dans la commercialisation du produit que la banque est tenue d’un devoir de conseil à l’égard de l’adhérent.
    • L’article L. 141-4 du Code des assurances impose au souscripteur de remettre à chaque adhérent une notice d’information, décrivant notamment les garanties offertes et les modalités de mise en œuvre du contrat.
    • Cette obligation traduit un droit à l’information à la charge du souscripteur, mais ne fonde pas à elle seule un véritable devoir de conseil au sens de l’article L. 521-4.
    • Le devoir de conseil suppose en effet :
      • une relation directe entre un professionnel et l’adhérent ;
      • un recueil d’informations personnelles ;
      • une recommandation individualisée.
    • Or, dans la plupart des régimes collectifs, l’adhésion se fait sans contact personnalisé avec un distributeur, par simple acceptation des conditions du contrat-cadre.
    • En l’absence de ce lien personnel, l’adhérent n’est pas considéré comme créancier du conseil, sauf circonstances particulières.
    • La reconnaissance de la qualité de créancier du conseil pour l’adhérent dépend donc étroitement des modalités de son adhésion :
      • En cas d’adhésion facultative (assurance emprunteur, prévoyance complémentaire), l’adhérent dispose d’un pouvoir de choix. Il doit être en mesure de comparer les options disponibles et d’évaluer l’intérêt de son adhésion au regard de sa situation personnelle. Dans ce cas, si un professionnel agit comme distributeur à son égard, un devoir de conseil peut s’appliquer.
      • En cas d’adhésion obligatoire (ex. : assurance collective d’entreprise à caractère obligatoire), le besoin de conseil est atténué : l’adhérent n’a pas à choisir, il subit une affiliation imposée. Le droit à l’information subsiste, mais le devoir de conseil n’a pas lieu de s’exercer de la même manière.
    • Lorsque les conditions sont réunies, la situation conduit à une configuration à créanciers multiples du devoir de conseil :
      • Le souscripteur reste créancier du conseil vis-à-vis du distributeur pour ce qui concerne l’adéquation du contrat-cadre aux besoins du groupe ;
      • L’adhérent, quant à lui, peut devenir créancier d’un conseil individualisé dans la seule mesure où un professionnel assume un rôle actif de distribution à son égard.
    • C’est cette condition – l’existence d’un acte de distribution au profit de l’adhérent – qui fonde ou exclut l’application du devoir de conseil.
    • À défaut, aucun distributeur ne peut être tenu d’une obligation qu’il n’a pas eu l’occasion d’exercer.
    • La prudence de la jurisprudence et de la doctrine s’explique ainsi : la qualité de créancier du devoir de conseil n’est jamais présumée en matière d’assurance de groupe, mais doit être analysée au cas par cas, selon les circonstances concrètes de l’adhésion et l’identité du professionnel impliqué.

==>L’assurance pour compte

L’assurance pour compte constitue un mécanisme particulier où une personne souscrit une assurance non pas pour elle-même, mais pour le compte d’autrui, qu’il soit déterminé ou déterminable au moment du sinistre. Cette configuration soulève des questions spécifiques quant à l’identification des créanciers du devoir de conseil.

  • Principe
    • La jurisprudence admet désormais que le bénéficiaire de l’assurance pour compte peut se prévaloir d’un défaut de conseil, même en l’absence de lien contractuel direct avec l’assureur ou le distributeur. Cette solution s’écarte du principe traditionnel de l’effet relatif des contrats pour privilégier une approche fonctionnelle centrée sur la finalité protectrice de l’assurance.
    • Un arrêt de la première chambre civile du 18 janvier 2018 illustre cette évolution (Cass. 1re civ., 18 janv. 2018, n°16-29.062 et 17-10.189).
    • En l’espèce, une SCI, propriétaire de murs loués à un exploitant de discothèque, se trouvait dans une situation d’assurance pour compte particulièrement révélatrice.
    • La SCI, représentée par son gérant, louait des murs à un exploitant qui y exploitait une discothèque.
    • Par l’intermédiaire d’un cabinet de courtage en assurances, l’exploitant avait conclu « tant pour son propre compte que pour celui de la SCI, un contrat d’assurance », sur la base d’un questionnaire « renseigné et signé par lui ainsi que par [le gérant de la SCI] ».
    • Lors de la destruction de la discothèque par incendie, l’assureur a pu opposer à la SCI la faute intentionnelle de l’exploitant-souscripteur et refuser sa garantie.
    • La SCI et son gérant ont alors assigné l’assureur du courtier, estimant que ce dernier « avait engagé sa responsabilité pour ne pas les avoir utilement conseillés, ni correctement informés sur la nature, les spécificités et l’étendue de la police d’assurance souscrite pour le compte de la SCI ».
    • La cour d’appel avait initialement adopté une position restrictive, considérant que « le contrat d’assurance pour compte est une stipulation pour autrui et que, dès lors, seul le souscripteur, qui a contracté l’assurance par l’intermédiaire de son courtier, peut revendiquer de celui-ci le respect de son obligation de loyauté et d’information ».
    • Elle avait également retenu que « le seul fait que [le gérant de la SCI] ait pu suivre de près la négociation du contrat d’assurance en présence du préposé [du courtier] n’est pas de nature à lui conférer la qualité de futur souscripteur et de rendre le courtier débiteur d’obligations à son égard ou à l’égard de la société qu’il représentait ».
    • La Cour de cassation censure cette analyse au visa de l’article L. 520-1, II, du Code des assurances (devenu L. 521-4).
    • Elle reproche à la cour d’appel d’avoir retenu des « motifs impropres à établir» l’absence d’obligation du courtier.
    • La Haute juridiction considère qu’en l’espèce, lorsque le gérant de la SCI avait « conjointement avec [l’exploitant], consulté [le courtier], remplissant et signant avec lui le questionnaire qu’elle leur avait remis pour pouvoir évaluer le risque à assurer, et manifesté ainsi sa volonté de voir la SCI assurée en toute circonstance contre le risque incendie », la SCI avait acquis « la qualité de souscripteur éventuel ».
    • Cette qualification emporte des conséquences importantes : le courtier était dès lors « tenu d’une obligation d’information sur les conséquences, pour l’assuré pour compte, des causes de non garantie opposables au souscripteur et d’une obligation de conseil relative à l’adaptation du contrat aux risques que la SCI entendait voir garantir ».
  • Fondement
    • Cette solution s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence développée en matière d’action directe.
    • Comme l’a établi l’arrêt d’assemblée plénière du 6 octobre 2006, un tiers peut reprocher à un contractant l’inexécution de ses obligations contractuelles si cette inexécution lui cause un préjudice.
    • L’arrêt “Boot Shop” ou “Myr’ho” (Cass. Ass. plén., 6 octobre 2006, n° 05-13.255) pose le principe que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.
    • Cette solution, initialement développée en matière de responsabilité délictuelle, trouve ici une application particulière.
    • L’assurance pour compte a précisément pour objet de protéger des personnes qui ne sont pas parties au contrat initial.
    • Il serait paradoxal que ces bénéficiaires, pour la protection desquels l’assurance a été souscrite, ne puissent invoquer les manquements du distributeur qui les privent d’une couverture adéquate.
    • Certains auteurs analysent cette situation à travers le prisme de la stipulation pour autrui.
    • Le souscripteur stipulerait le bénéfice du conseil au profit du bénéficiaire final, créant ainsi un lien juridique direct entre ce dernier et le distributeur.
  • Modalités d’application
    • Les conditions de mise en œuvre
      • Pour que le bénéficiaire puisse invoquer un défaut de conseil, plusieurs conditions doivent être réunies :
        • L’existence d’une assurance pour compte : Il faut établir que l’assurance a bien été souscrite dans l’intérêt d’autrui
        • Un préjudice direct : Le bénéficiaire doit démontrer qu’il subit personnellement un préjudice du fait du défaut de conseil
        • Un lien de causalité : Le préjudice doit résulter directement du manquement aux obligations de conseil
    • L’étendue du conseil dû
      • Le conseil dû au bénéficiaire porte principalement sur :
        • L’existence même de l’assurance et son périmètre de couverture
        • L’adéquation des garanties aux risques effectivement encourus par le bénéficiaire
        • Les modalités de mise en œuvre des garanties
        • Les exclusions susceptibles d’affecter la couverture
  • Portée
    • L’arrêt du 18 janvier 2018 introduit une notion nouvelle : celle de «souscripteur éventuel » en matière d’assurance pour compte.
    • Cette qualification ne procède pas d’un lien contractuel direct, mais de la participation effective du bénéficiaire au processus de souscription.
    • L’arrêt dégage plusieurs critères pour reconnaître cette qualité :
      • La consultation conjointe du distributeur par le souscripteur formel et le bénéficiaire
      • La participation active au processus d’évaluation du risque (remplissage et signature du questionnaire)
      • La manifestation de volonté de voir le bien assuré contre les risques identifiés
    • Une fois cette qualité reconnue, le distributeur assume deux obligations spécifiques vis-à-vis du bénéficiaire :
      • Une obligation d’information sur les conséquences des causes de non-garantie opposables au souscripteur formel
      • Une obligation de conseil sur l’adaptation du contrat aux risques que le bénéficiaire entend voir garantir
    • Aussi, la portée exacte de cette jurisprudence reste à préciser.
    • Tous les bénéficiaires d’assurance pour compte n’acquièrent pas automatiquement la qualité de « souscripteur éventuel ».
    • Cette qualification semble subordonnée à une participation effective au processus de souscription.

iii. La modulation du conseil selon les compétences du créancier

==>Le principe de proportionnalité

  • L’adaptation du devoir aux capacités du créancier
    • Le devoir de conseil n’est pas figé : il s’adapte au profil du destinataire.
    • L’un de ses traits essentiels est sa modulation en fonction des compétences du créancier, selon une logique de proportionnalité qui irrigue aussi bien le droit de la consommation que celui des relations professionnelles.
    • La jurisprudence consacre expressément ce principe.
    • Dans un arrêt du 17 janvier 2019, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation affirme que « l’étendue de l’obligation d’information et de conseil du courtier, dont la preuve du respect incombe à celui-ci, est ajustée selon les connaissances et les capacités du créancier » (Cass. 2e civ., 17 janv. 2019, n°17-31.408).
    • En l’espèce, une société exploitant un domaine viticole avait, avec l’aide d’un courtier, remplacé un contrat multirisque agricole par un contrat multirisque industriel. À la suite d’un sinistre, elle reprochait au courtier un défaut de conseil, en invoquant des lacunes de couverture par rapport à l’ancien contrat.
    • La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir écarté la responsabilité du courtier. Elle relève que le dirigeant :
      • s’était personnellement chargé de définir les montants à garantir ;
      • avait souscrit le contrat en connaissance de cause ;
      • et que les clauses litigieuses étaient suffisamment claires pour qu’un professionnel averti comprenne les différences de couverture.
    • En particulier, les juges avaient noté que les limitations de garantie étaient expressément stipulées, telles que la couverture des pertes plafonnée à 150 000 € ou l’indemnisation calculée sur la base du prix de revient.
    • Cet arrêt illustre parfaitement que l’implication du client dans la définition des garanties, jointe à la clarté des stipulations contractuelles, peut exonérer le courtier de sa responsabilité pour défaut de conseil lorsque le client est un professionnel expérimenté.
    • Cette solution jurisprudentielle permet de dégager plusieurs principes structurants :
      • L’évaluation concrète des compétences : Le juge doit apprécier, au cas par cas, si le souscripteur avait les capacités techniques ou juridiques de comprendre la portée du contrat.
      • La valorisation de l’implication personnelle : Lorsque le client s’implique directement dans la définition du contrat, son autonomie réduit d’autant le devoir d’assistance du professionnel.
      • La clarté des stipulations contractuelles : Un professionnel averti ne saurait invoquer un défaut de conseil sur des clauses claires, compréhensibles et librement négociées.
    • L’obligation de conseil demeure une obligation de moyens renforcée, exigeant une démarche proactive du professionnel.
    • Toutefois, cette obligation n’implique pas un devoir de vigilance uniforme et maximal dans tous les cas.
    • Le droit impose une juste proportion entre l’intensité du devoir et le degré de compétence du cocontractant.
    • Cette modulation permet de concilier deux exigences :
      • la protection des souscripteurs profanes, en leur garantissant un accompagnement adapté à leur niveau de compréhension ;
      • et la responsabilisation des professionnels avertis, qui ne peuvent se défausser de leur autonomie décisionnelle en invoquant systématiquement un défaut de conseil.
  • Les critères d’appréciation de la compétence
    • La détermination du niveau de compétence du créancier s’effectue selon plusieurs paramètres.
    • L’expérience professionnelle constitue un critère déterminant, comme l’illustre un arrêt de la première chambre civile du 9 juillet 1991 (Cass. 1re civ., 28 oct. 1991, n° 90-15.029).
    • En l’espèce, un artisan-couvreur reprochait à son assureur et à l’agent général un manquement au devoir de conseil, soutenant qu’ils auraient dû «l’éclairer sur l’érosion de sa garantie au fil de dix années d’assurances» et lui «conseiller une révision du taux de garantie».
    • L’artisan estimait que l’agent général avait « manqué à son devoir de renseignement et de conseil » en ne l’alertant pas sur l’insuffisance progressive de sa couverture due à l’inflation.
    • La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir relevé qu’« en sa qualité d’artisan [l’assuré] était à même d’apprécier l’évolution des prix consécutive à l’érosion monétaire et de veiller à faire modifier, en conséquence, ses polices d’assurance ».
    • La Haute juridiction valide la déduction selon laquelle « en l’espèce l’agent n’était pas tenu à un devoir de renseignement et de conseil particulier sur ce point ».
    • Cette solution illustre parfaitement la prise en compte de l’expérience professionnelle dans l’appréciation des compétences du créancier.
    • L’artisan, par sa pratique quotidienne et sa connaissance du marché de la construction, était présumé capable d’appréhender les effets de l’inflation sur la valeur de ses biens et activités.
    • Cette expertise professionnelle justifie l’allègement correspondant du devoir de conseil de l’intermédiaire.
    • La formation et le parcours professionnel sont également pris en considération dans l’évaluation des compétences du créancier.
    • Ainsi, une cour d’appel a pu débouter un souscripteur « diplômé de l’École normale, de l’institut d’études politiques et de l’ENA » de sa demande de dommages-intérêts pour défaut de conseil, considérant que son niveau de formation lui permettait d’appréhender les enjeux du contrat d’assurance-vie litigieux[48].
    • Cette approche différenciée témoigne de la volonté jurisprudentielle d’adapter l’intensité du devoir de conseil aux capacités réelles du créancier, évitant ainsi une infantilisation excessive des professionnels et des personnes disposant d’une formation ou d’une expérience particulière.

==>La typologie des créanciers selon leurs compétences

  • Les consommateurs profanes
    • Les particuliers dépourvus d’expérience en matière d’assurance constituent la catégorie de créanciers bénéficiant de la protection la plus étendue.
    • Cette situation s’enracine dans le déséquilibre informationnel caractérisant la relation entre le professionnel de l’assurance et le consommateur.
    • L’arrêt fondateur de la première chambre civile du 10 novembre 1964 impose au courtier d’être « un guide sûr et expérimenté », formule qui a irrigué l’ensemble de la jurisprudence ultérieure (Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, n°62-13.411).
    • Cette exigence traduit la mission éducatrice dévolue aux professionnels de l’assurance vis-à-vis de leur clientèle non avertie.
  • Les consommateurs avertis
    • La pratique judiciaire a fait émerger une catégorie intermédiaire de consommateurs avertis, qui, sans être des professionnels de l’assurance, disposent d’une expérience ou de compétences particulières justifiant un allègement du devoir de conseil.
    • Un arrêt de la deuxième chambre civile du 22 janvier 2004 qualifie ainsi un souscripteur de contrat d’assurance-vie chef d’entreprise, par ailleurs gestionnaire avisé d’un compte d’épargne en actions (PEA) ayant choisi dans un but spéculatif d’investir ses actifs sur des unités de compte (Cass. 2e civ., 22 janv. 2004).
    • L’évaluation du caractère averti du consommateur s’effectue de manière casuistique.
    • La jurisprudence examine les circonstances concrètes révélatrices de l’expérience du souscripteur, notamment ses investissements antérieurs et sa familiarité avec les produits financiers.
  • Les professionnels avertis
    • Le devoir de conseil, s’il constitue en principe une obligation de vigilance renforcée à la charge du distributeur, n’est pas exercé avec la même intensité envers tous les souscripteurs.
    • La jurisprudence admet une modulation de son contenu en fonction des compétences professionnelles ou de l’expérience technique du créancier de l’obligation.
    • Cette modulation repose sur l’idée que certains professionnels disposent d’un niveau de connaissance suffisant pour appréhender les enjeux juridiques et économiques d’un contrat d’assurance, de sorte qu’un conseil personnalisé ou insistant serait redondant, voire inutile.
    • Deux arrêts de la deuxième chambre civile illustrent cette approche.
      • Le cas du mandataire judiciaire (Cass. 2e civ., 16 mai 2013, n° 12-19.119)
        • Dans cette affaire, la Cour de cassation rejette le pourvoi d’un professionnel qui reprochait à l’assureur de ne pas l’avoir informé de la brièveté du délai de prescription applicable à son action.
        • La Haute juridiction valide l’appréciation des juges du fond ayant retenu que le demandeur, en sa qualité de mandataire judiciaire, était présumé connaître la règle de droit invoquée.
        • Cette décision marque une ligne claire : lorsque le créancier est un professionnel du droit ou de la procédure, la jurisprudence ne fait pas peser sur l’assureur ou son intermédiaire une obligation d’alerte sur des éléments juridiques accessibles au professionnel concerné, dès lors qu’ils relèvent de sa sphère de compétence habituelle.
      • Le cas du professionnel de l’immobilier (Cass. 2e civ., 22 nov. 2018, n° 17-19.454)
        • Dans cette seconde espèce, un professionnel de l’immobilier, qui avait procédé de lui-même à une renégociation de ses garanties, reprochait à l’assureur de ne pas avoir proposé une couverture sur un bien spécifique ultérieurement sinistré.
        • La Cour de cassation rejette sa demande, en considérant qu’il avait sciemment exclu ledit bien du périmètre d’assurance et qu’en sa qualité de professionnel, il devait être en mesure d’apprécier les conséquences de ses propres choix contractuels.
        • Il en ressort que la responsabilité du professionnel averti est pleinement engagée lorsqu’il prend seul l’initiative de définir le périmètre des garanties, sans solliciter d’éclaircissements ou sans faire état d’une incertitude particulière.
    • Ces deux décisions permettent de dégager une grille d’analyse de l’intensité du devoir de conseil envers les professionnels avertis :
      • L’expérience technique ou juridique du souscripteur justifie une atténuation du devoir de conseil, en particulier lorsqu’il dispose, de par sa profession, d’une connaissance suffisante du domaine considéré.
      • L’autonomie décisionnelle du professionnel est prise en compte : lorsqu’il élabore seul le projet de couverture ou renégocie les garanties sans demande d’assistance, il est tenu pour pleinement informé.
      • La clarté des stipulations contractuelles joue un rôle déterminant : un professionnel ne peut invoquer un manquement au devoir de conseil s’il était à même de comprendre les termes du contrat, à défaut d’ambiguïté ou de complexité manifeste.
    • L’obligation de conseil n’est pas purement évincée à l’égard des professionnels avertis. Elle demeure, mais son contenu s’adapte à la qualité du souscripteur.
    • Ainsi, le distributeur n’est pas dispensé de toute vigilance, mais il n’est tenu de faire porter son conseil que sur les points objectivement ambigus ou manifestement omis, sans devoir alerter sur des évidences juridiques ou des conséquences manifestes pour un professionnel expérimenté.
    • Cette solution assure un équilibre entre protection du client et reconnaissance de sa compétence, en évitant une infantilisation du souscripteur averti tout en préservant l’exigence de rigueur à l’égard du distributeur.

1.3. La formalisation du devoir de conseil

a. L’obligation de motivation du conseil

L’article L. 521-4, I du Code des assurances impose au distributeur de « préciser les raisons qui motivent ce conseil ». Issue de la directive (UE) 2016/97 sur la distribution d’assurances, transposée en droit français par l’ordonnance du 16 mai 2018, cette obligation constitue l’un des apports majeurs du nouveau régime du devoir de conseil.

Cette exigence ne saurait être réduite à une simple formalité. Elle traduit une évolution fondamentale du rôle du distributeur, appelé non seulement à recommander un contrat adapté aux besoins exprimés, mais à justifier de manière argumentée les raisons qui fondent cette recommandation. Comme le souligne la doctrine, il ne s’agit pas d’ordonner un choix au souscripteur, mais de lui fournir les éléments lui permettant de prendre une décision en toute connaissance de cause.

L’article L. 521-4, III ajoute que ces raisons doivent être « adaptées à la complexité du contrat d’assurance proposé ». Le législateur opère ainsi une modulation bienvenue de l’intensité de l’obligation de motivation, tenant compte de la nature et de la technicité des produits concernés. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), dans sa note de juillet 2018 sur les « Principes du conseil en assurance », propose à cet égard une typologie en trois niveaux :

  • Niveau 1 (obligatoire pour toute distribution) : la motivation peut être synthétique et standardisée, à condition de permettre au client de vérifier de façon effective la cohérence du contrat proposé avec ses exigences et ses besoins.
  • Niveaux 2 et 3 (services de recommandation personnalisée) : la motivation doit être spécifiquement individualisée, justifiant le choix d’un produit plutôt qu’un autre sur la base d’une analyse comparative.

La motivation du conseil revêt une dimension probatoire essentielle. Depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 25 février 1997, il appartient au distributeur de prouver l’exécution de son obligation de conseil (Cass. 1re civ., 25 févr. 1997, n°94-19.685). La motivation écrite constitue ainsi un élément de preuve déterminant.

Les précisions relatives à la rationalité du choix conseillé permettent de vérifier la qualité du conseil ou de la recommandation à partir des considérations et des circonstances dont l’intermédiaire a tenu compte pour arrêter sa position.

La motivation peut être intégrée dans plusieurs documents remis au souscripteur, parmi lesquels :

  • les fiches de conseil ou documents de recommandation,
  • les annexes de diagnostic des besoins,
  • les comptes-rendus d’entretien,
  • ou encore, en cas de recommandation personnalisée, les analyses comparatives réalisées sur le marché.

La motivation du conseil s’articule enfin avec le document d’information normalisé sur le produit d’assurance (IPID), exigé par l’article L. 112-2, al. 4 du Code des assurances. Ce document, élaboré par le concepteur du produit, présente de manière synthétique les caractéristiques essentielles du contrat. Le conseil personnalisé du distributeur doit s’appuyer sur ces données, les interpréter à la lumière des besoins du client, et compléter les informations standardisées par une justification adaptée à la situation particulière du souscripteur.

b. Le support du conseil

L’article L. 521-6 du Code des assurances érige le support écrit, et en particulier le papier, en mode de communication par défaut pour les informations fournies par le distributeur. Ce choix du législateur répond à une double finalité : garantir la réflexion préalable du souscripteur et constituer une preuve de l’exécution du devoir de conseil.

L’écrit exigé n’est pas seulement l’instrument de preuve de l’exécution du devoir d’information et de conseil, mais a pour première utilité de permettre au souscripteur éventuel une prise de connaissance détaillée des précisions sur le produit conseillé dans des conditions qui favorisent la réflexion préalable à la prise de décision.

L’article L. 521-6 admet toutefois que la communication puisse se faire sur un support durable autre que le papier, à condition de respecter deux exigences cumulatives :

  • Le support doit être « approprié aux opérations commerciales entre le distributeur et le souscripteur et adhérent »
  • Le client doit avoir « choisi ce mode de communication après s’être vu proposer par le distributeur les deux modalités »

Le Code de la consommation définit le support durable comme « tout instrument permettant au consommateur de stocker des informations qui lui sont adressées personnellement afin de pouvoir s’y reporter ultérieurement pendant un laps de temps adapté aux fins auxquelles les informations sont destinées et qui permet la reproduction à l’identique des informations stockées » (art. L. 22-4 C. conso). Il peut s’agir, par exemple, d’un fichier PDF sécurisé conservé sur un espace personnel.

L’article R. 521-2, I du Code des assurances impose que les informations soient «communiquées au souscripteur ou à l’adhérent de manière claire, exacte et non trompeuse». Cette triple exigence reprend les standards européens et s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence relative aux obligations d’information.

La Cour de cassation a eu l’occasion de sanctionner les manquements à ces exigences. Ainsi, dans un arrêt du 6 novembre 1984, elle a retenu la responsabilité d’un intermédiaire qui avait informé l’exploitant d’un restaurant que tous les risques d’exploitation étaient couverts, alors que le risque de vol des objets déposés au vestiaire ne l’était pas (Cass. 1re civ., 6 nov. 1984).

Enfin, l’article L. 111-11 du Code des assurances impose la conservation des documents précontractuels et contractuels pendant une durée « adaptée à leur finalité », au minimum cinq ans après la fin de la relation contractuelle. Cette obligation vise à garantir la disponibilité de la preuve sur le long terme, notamment en cas de contentieux tardif.

L’absence ou l’insuffisance de formalisation du conseil peut conduire à engager la responsabilité du distributeur. La jurisprudence est constante pour considérer que le défaut de preuve de l’exécution du conseil équivaut à un manquement à cette obligation (Cass. 1re civ., 13 déc. 2012, n° 11-27.766).

1.4. La sanction du devoir de conseil

a. Sanctions civiles

==>Nature de la responsabilité

Le manquement au devoir de conseil engage la responsabilité contractuelle de l’intermédiaire ou de l’assureur distributeur. Cette responsabilité trouve son fondement dans l’article 1231-1 du Code civil (ancien article 1147), qui dispose que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution ».

La Cour de cassation a précisé que lorsque le préposé d’une société d’assurance commet une faute dans la phase précontractuelle, la responsabilité de celle-ci ne peut être engagée sur le terrain délictuel, car une faute commise dans la phase précontractuelle n’est pas extérieure au contrat (Cass. 1re civ., 9 juill. 1996, n° 94-18.696).

==>Charge de la preuve

Comme indiqué plus avant, l’arrêt de principe de la Cour de cassation du 25 février 1997 a opéré un renversement fondamental de la charge de la preuve. Désormais, c’est à « celui qui est légalement ou contractuellement tenu de fournir une information de rapporter la preuve qu’il a exécuté cette obligation » (Cass. 1re civ., 25 févr. 1997, n°94-19.685).

Cette jurisprudence, confirmée par de nombreuses décisions ultérieures (Cass. 1re civ., 3 févr. 1998, n° 96-13.201), place le distributeur dans une position particulièrement délicate puisqu’il doit constituer par anticipation la preuve de l’exécution de son obligation.

La preuve de l’exécution du devoir de conseil peut être rapportée par tous moyens (C. civ., art. 1358). En pratique, elle résulte principalement :

  • De la production de documents écrits signés par le client
  • De la démonstration de la clarté des mentions des documents communiqués
  • De l’établissement de la parfaite information du souscripteur sur les caractéristiques du contrat

A cet égard, la jurisprudence considère que la simple remise des conditions générales ne suffit pas toujours à établir l’exécution du devoir de conseil, notamment lorsque les clauses sont complexes ou comportent des exclusions importantes (Cass. 1re civ., 19 janv. 1994).

==>Préjudice indemnisable

Le préjudice le plus fréquemment invoqué résulte du défaut de couverture consécutif au conseil inadéquat. Il peut s’agir :

  • De l’absence de garantie pour un risque spécifique qui aurait dû être couvert
  • D’une couverture insuffisante par rapport aux besoins réels du souscripteur
  • De la souscription d’un contrat inadapté générant des exclusions préjudiciables

Ainsi, la Cour de cassation a retenu la responsabilité d’un agent général qui avait fait souscrire une assurance ne prévoyant pas les risques afférents au transport des passagers, alors qu’il lui avait été expressément demandé cette garantie (Cass. 1re civ., 10 févr. 1987).

La notion de « défaut de conseil utile » recouvre les situations où l’intermédiaire a omis de délivrer un conseil qui aurait permis au souscripteur d’éviter un préjudice. La jurisprudence a ainsi sanctionné :

L’évaluation du préjudice soulève des difficultés particulières, notamment lorsqu’il s’agit d’établir le lien de causalité entre le manquement et le dommage. La Cour de cassation exige que le préjudice soit « en relation directe » avec la faute commise (Cass. 1re civ., 6 mai 1981).

En matière d’assurance-vie, la jurisprudence reconnaît la réparation de la «perte de chance» résultant d’un conseil inadéquat, notamment lorsque le souscripteur démontre qu’il aurait fait des choix différents s’il avait été correctement conseillé (CA Angers, 6 nov. 2007, n° 06/01539).

b. Sanctions administratives et disciplinaires

i. Le contrôle de l’ACPR

L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) dispose de pouvoirs étendus de contrôle et de sanction en matière de distribution d’assurance. Ces pouvoirs trouvent leur fondement dans les articles L. 612-39 et suivants du Code monétaire et financier.

L’article L. 612-39 confère à l’ACPR le pouvoir de « contrôler le respect par les personnes soumises à son contrôle des dispositions qui leur sont applicables ». Ce contrôle s’étend naturellement aux obligations relatives au devoir de conseil.

L’ACPR peut sanctionner différents types de manquements relatifs au devoir de conseil :

  • Les manquements formels :
    • Absence de formalisation écrite du conseil
    • Défaut de conservation des documents probatoires
    • Non-respect des modalités de remise des informations précontractuelles
  • Les manquements substantiels :
    • Conseil inadapté aux besoins du client
      • Défaut d’analyse des exigences et besoins du souscripteur
      • Recommandation de produits complexes sans vérification de l’aptitude du client

L’article L. 612-39 du Code monétaire et financier prévoit une gradation des sanctions administratives :

  • L’avertissement
  • Le blâme
  • L’interdiction d’exercer certaines opérations
  • Le retrait d’agrément ou de l’immatriculation
  • Les sanctions pécuniaires

Les sanctions pécuniaires peuvent atteindre des montants substantiels. L’article L. 612-39, III fixe le plafond à 100 millions d’euros ou 10 % du chiffre d’affaires annuel pour les personnes morales.

ii. L’encadrement des pratiques commerciales déloyales

L’ACPR veille également au respect des règles relatives aux pratiques commerciales déloyales dans le secteur de l’assurance. Cette mission s’appuie sur :

  • Les dispositions du Code des assurances relatives aux règles de conduite (articles L. 521-1 et suivants)
  • Les règles du Code de la consommation relatives aux pratiques commerciales déloyales
  • Les orientations et recommandations émises par l’ACPR

L’ACPR a développé une jurisprudence fournie en matière de sanctions des pratiques commerciales non conformes. Elle sanctionne notamment :

  • Les défaillances dans l’information précontractuelle
  • Les manquements aux obligations de conseil en assurance-vie
  • Les pratiques de vente agressives ou inadaptées

L’ACPR coordonne son action avec d’autres autorités :

  • L’Autorité des marchés financiers (AMF) pour les produits d’investissement fondés sur l’assurance
  • La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour les pratiques commerciales déloyales
  • Les juridictions pénales pour les infractions les plus graves

Cette coordination permet une approche cohérente de la répression des manquements au devoir de conseil, garantissant une protection efficace des consommateurs d’assurance.

2. Le devoir de conseil au stade de la souscription du contrat d’assurance

Au-delà du conseil portant sur le choix du produit d’assurance, l’intermédiaire conserve un rôle d’accompagnement déterminant lors de la phase de souscription proprement dite. Cette étape, qui marque la transition entre la simple proposition et la conclusion effective du contrat, revêt une importance particulière car elle conditionne l’efficacité future de la garantie. Comme l’observe justement la Cour de cassation, « une obligation générale de vérification pèse sur l’agent général d’assurances au titre des devoirs de sa profession », obligation qui va se décliner aux différentes phases du processus de formation du contrat (Cass. 1re civ., 10 mai 2000, n° 98-10.033).

Le devoir de conseil au stade de la souscription se distingue donc du conseil préalable par son caractère opérationnel et technique. Il ne s’agit plus seulement d’orienter le souscripteur vers le produit adapté à ses besoins, mais de l’assister concrètement dans la mise en œuvre de cette décision. Cette assistance revêt trois dimensions essentielles : l’accompagnement dans la déclaration du risque, la vérification de l’adéquation des garanties retenues, et l’encadrement des formalités de conclusion.

a. L’assistance dans la déclaration du risque

i. Le contenu de l’obligation de déclaration du risque

La déclaration du risque s’impose comme l’un des fondements structurants du contrat d’assurance, dans la mesure où elle conditionne directement la formation, la validité et l’exécution équilibrée de la convention. L’article L. 113-2 du Code des assurances, profondément modifié par la loi du 31 décembre 1989, a substitué au système de déclaration spontanée un mécanisme de questions-réponses qui place l’assureur en position d’initiative. Cette évolution législative a paradoxalement renforcé le rôle de l’intermédiaire, devenu l’interface naturelle entre l’assureur qui interroge et l’assuré qui répond.

L’intermédiaire se trouve ainsi investi d’une mission d’assistance technique qui dépasse la simple transmission d’informations. Cette évolution s’inscrit dans un mouvement plus large de revalorisation du rôle de conseil des professionnels de l’assurance dans l’accompagnement de leurs clients.

ii. L’étendue de l’obligation d’assistance déclarative

L’assistance de l’intermédiaire dans la déclaration du risque obéit à un équilibre délicat entre diligence professionnelle et respect de l’autonomie du souscripteur. La jurisprudence a progressivement délimité les contours de cette obligation.

D’une part, l’intermédiaire doit transmettre fidèlement les informations dont il a connaissance. La Cour de cassation a ainsi sanctionné l’agent général qui avait omis volontairement de signaler, dans la proposition d’assurance qu’il avait fait signer au propriétaire d’une voiture, un accident dont celui-ci avait été antérieurement l’auteur[49]. Cette obligation de transmission s’étend aux circonstances portées à la connaissance de l’intermédiaire par des voies autres que les déclarations directes du souscripteur.

D’autre part, la Cour de cassation rappelle de manière constante que l’intermédiaire d’assurance n’est pas tenu de contrôler la véracité des déclarations effectuées par le preneur d’assurance concernant le risque à garantir (Cass. 1re civ., 14 nov. 2001). Cette position se justifie par la préservation de l’équilibre contractuel et le respect du principe selon lequel l’intermédiaire ne saurait se substituer intégralement au souscripteur dans l’exécution de ses obligations.

iii. Les limites de l’obligation d’investigation

L’obligation d’assistance de l’intermédiaire connaît une limite essentielle : elle ne saurait se muer en devoir d’enquête. S’il lui incombe de formuler des questions précises et pertinentes, propres à permettre une évaluation adéquate des besoins de couverture, il n’est pas tenu de rechercher activement des informations que le souscripteur ne lui aurait pas spontanément communiquées – que cette réticence soit volontaire ou involontaire.

Cette limitation s’inscrit dans le respect du dispositif instauré par l’article L. 113-2 du Code des assurances, qui repose sur une répartition claire des responsabilités : il revient à l’assuré de répondre de bonne foi aux questions posées, sans que l’intermédiaire ait à contrôler la sincérité ou l’exhaustivité des réponses.

Cela étant, dès lors que certaines données en sa possession font apparaître une discordance manifeste – incohérence entre les éléments déclarés et les pièces fournies, lacunes évidentes dans les réponses – l’intermédiaire demeure tenu d’exercer sa vigilance professionnelle. Il lui appartient alors, au titre de son devoir de conseil, de solliciter les précisions nécessaires ou de signaler les risques d’inexactitude, afin d’éviter toute fausse représentation du risque à l’assureur.

b. La vérification de l’adéquation des garanties

i. Le contrôle de cohérence entre besoins et garanties

Au stade de la souscription, l’intermédiaire doit s’assurer que le contrat finalement retenu corresponde effectivement aux besoins exprimés et aux caractéristiques du risque à couvrir. Cette vérification constitue le prolongement naturel du conseil initial et répond à l’exigence légale selon laquelle le distributeur conseille « un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel » (C. assur., art. L. 521-4, I, al. 2.).

La jurisprudence rappelle que l’intermédiaire doit s’assurer de la cohérence entre les garanties souscrites et la situation réelle du preneur d’assurance. Cette exigence trouve une parfaite illustration dans un arrêt de la Cour de cassation du 10 mai 2000, où des époux locataires d’un immeuble à usage professionnel et d’habitation avaient souscrit, par l’intermédiaire d’agents généraux d’assurance, une police “global habitation à options” qui excluait de la garantie “incendie” les bâtiments et les risques locatifs (Cass. 1re civ., 10 mai 2000, n° 98-10.033).

Les deux polices successivement souscrites désignaient par erreur les preneurs comme “propriétaires occupants“, alors qu’ils étaient en réalité locataires. Lorsqu’un incendie prit naissance dans la partie habitation de l’immeuble, les époux se trouvèrent dépourvus de couverture pour les risques locatifs et recherchèrent subsidiairement la responsabilité des agents généraux pour leur avoir fait souscrire une garantie inadaptée à leurs besoins d’assurance.

La Cour de cassation a censuré la décision d’appel qui avait débouté les preneurs de leur action en responsabilité. Elle rappelle qu’« une obligation générale de vérification pèse sur l’agent général d’assurances au titre des devoirs de sa profession » et que, « s’il n’est pas tenu de vérifier l’exactitude des déclarations du souscripteur quant à l’étendue du risque, l’agent général répond néanmoins des conséquences de ses propres erreurs ».

En l’espèce, la Première chambre civile reproche aux juges du fond d’avoir retenu que le fait d’avoir fait souscrire à des locataires une police d’assurance en qualité de propriétaire excluant les risques locatifs n’était pas constitutif d’une faute, « sans constater que l’indication erronée sur la qualité des souscripteurs était le fait de ces derniers ». Cette solution illustre parfaitement l’obligation pour l’intermédiaire de vérifier l’adéquation entre la qualité réelle du souscripteur et les garanties proposées, faute de quoi sa responsabilité peut être engagée pour manquement à son devoir de conseil.

ii. L’attention portée aux exclusions et limitations

L’assistance lors de la souscription implique une vigilance particulière concernant les exclusions et limitations de garantie. L’intermédiaire doit vérifier que ces dispositions, souvent techniques et complexes, ne viennent pas priver le souscripteur de la protection qu’il recherche. La jurisprudence sanctionne régulièrement les manquements à cette obligation d’attention. Deux arrêts emblématiques permettent de saisir la portée de cette exigence.

La Cour de cassation a ainsi retenu la responsabilité d’un courtier qui n’avait « fait aucune allusion à une clause d’exclusion en informant [ses clients] des garanties qu’il venait d’obtenir pour eux », alors que « la clause litigieuse n’était guère explicite, pouvait être interprétée comme une simple limitation de garantie » (Cass. 1re civ., 27 nov. 1990, n°88-18.580).

En l’espèce, des bijoutiers avaient souscrit une police « tous risques bijouterie ». Le contrat excluait toute garantie lorsque la valeur des objets laissés hors coffre pendant les heures de fermeture excédait 750 000 francs. Lors d’un vol de bijoux d’une valeur de 877 494 francs, l’assureur refusa l’indemnisation en invoquant cette clause. Le tribunal de commerce avait condamné l’assureur à payer 750 000 francs, analysant la clause comme une limitation de garantie. Mais la cour d’appel infirma, considérant qu’il s’agissait d’une exclusion de garantie.

La Cour de cassation retient que l’ambiguïté de la clause créait pour le courtier une obligation renforcée d’explication. L’arrêt précise que le préjudice causé aux assurés «consistait dans la privation de la garantie que ceux-ci croyaient acquise ». Cette solution révèle que l’intermédiaire ne peut se contenter de transmettre le contrat : il doit identifier les dispositions ambiguës et en expliciter clairement la portée.

De même, dans un arrêt du 14 juin 2012 la Cour de cassation a censuré une cour d’appel qui considérait que la simple lecture des conditions contractuelles permettait aux assurés de connaître les conditions précises du contrat (Cass. 2e civ., 14 juin 2012, n°11-13.548). Elle retient au contraire qu’il incombait au préposé de l’assureur, « tenu à une obligation d’information et de conseil, d’attirer l’attention des assurés sur l’intérêt de souscrire une garantie complémentaire pour les meubles et objets devant garnir l’habitation », dès lors que « ce contrat, dont les clauses litigieuses sont disséminées dans les conditions générales et particulières, n’est ni clair ni précis sur l’étendue de la garantie ».

Dans cette affaire, des souscripteurs néerlandais avaient souscrit une assurance habitation pour une maison qu’ils venaient d’acquérir et où ils ont emménagé quelques mois plus tard. Après un incendie, l’assureur accepta de garantir la reconstruction mais refusa d’indemniser le mobilier, non couvert par le contrat. La cour d’appel avait débouté les assurés, estimant qu’il leur appartenait de modifier leur contrat après installation de leur mobilier et que la simple lecture des conditions leur permettait de connaître l’étendue de leur garantie.

La Cour de cassation casse cette décision. Elle souligne que la dispersion des clauses dans différentes parties du contrat et leur manque de clarté renforcent l’obligation d’intervention active de l’intermédiaire. Celui-ci doit anticiper l’évolution des besoins de l’assuré et l’alerter sur l’intérêt de souscrire des garanties complémentaires.

Il ressort de cette jurisprudence que l’obligation d’attention aux exclusions et limitations impose une démarche active de l’intermédiaire. Il ne suffit pas de remettre les conditions contractuelles, même claires. L’intermédiaire doit analyser le contrat, identifier les dispositions susceptibles de créer un décalage entre les attentes de l’assuré et la réalité de sa couverture, et l’en informer expressément.

Cette obligation revêt même une dimension prospective : l’intermédiaire doit anticiper l’évolution des besoins d’assurance liés à la situation particulière de l’assuré et l’alerter sur les lacunes de couverture qui pourraient apparaître.

L’exigence jurisprudentielle conduit ainsi à une conception particulièrement stricte du devoir de conseil : l’intermédiaire doit non seulement s’assurer que l’assuré comprend son contrat, mais également veiller à ce qu’aucun malentendu ne subsiste sur l’étendue effective de sa protection, notamment concernant les exclusions et limitations de garantie.

iii. La continuité de la couverture

L’intermédiaire doit également veiller à la continuité de la couverture d’assurance, particulièrement lors du remplacement d’un contrat existant. La jurisprudence impose de vérifier la continuité de la couverture des risques avant de procéder à la résiliation d’un contrat et à la souscription d’un nouveau (Cass. 1re civ., 18 déc. 1987).

Cette exigence de continuité s’accompagne d’un devoir de conseil sur les modifications de garanties lors du remplacement d’un contrat. L’obligation pour l’intermédiaire d’attirer l’attention du preneur sur les réductions de garantie trouve une illustration remarquable dans l’arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2006 (Cass. 2e civ., 8 mars 2006, n° 05-11.319).

En l’espèce, une assurée avait souscrit auprès d’une compagnie d’assurance un contrat multirisques comportant une garantie vol de bijoux. Son agent général lui fit souscrire une nouvelle police en remplacement de ce contrat. Lorsqu’elle fut victime d’un cambriolage au cours duquel lui furent dérobés des bijoux, l’assureur refusa de l’indemniser, « la nouvelle police ne couvrant pas le vol de bijoux ». L’assurée assigna alors la compagnie ainsi que l’agent général en responsabilité et indemnisation, « en invoquant notamment un manquement de l’agent général à son devoir de conseil et d’information ».

La cour d’appel avait considéré que l’agent général n’avait pas manqué à ses obligations, énonçant que « caractérise en droit l’accomplissement de l’obligation d’information par l’agent d’assurance le fait de signer et de recevoir un exemplaire du contrat par l’assuré » et relevant qu’il était « constant que [l’assurée] a signé un contrat dénué de toute ambiguïté » et que « les clauses relatives à l’assurance vol pour les bijoux et objets précieux sont claires et compréhensibles ».

La Cour de cassation censure cette approche restrictive du devoir de conseil. Elle reproche aux juges du fond d’avoir statué « alors qu’elle constatait que la nouvelle police souscrite par [l’assurée] remplaçait celle qu’elle avait précédemment conclue avec le même assureur, mais qu’elle ne comportait pas la garantie vol de bijoux acquise dans la précédente, et sans rechercher si [l’agent général] avait attiré l’attention de l’assurée sur cette réduction de garantie ».

Cette décision établit clairement que le devoir de conseil de l’intermédiaire ne se limite pas à la remise du contrat, même lorsque ses clauses sont parfaitement claires. Il implique une obligation active d’alerter le souscripteur sur les modifications substantielles de garanties, particulièrement lorsque le nouveau contrat offre une protection moindre que le précédent, même si cette modification résulte d’une démarche apparemment volontaire du client.

c. L’assistance à la conclusion effective du contrat

La phase de souscription ne s’achève pas avec la délivrance du conseil et la signature de la proposition d’assurance. L’intermédiaire demeure tenu d’accompagner le processus de formation du contrat jusqu’à sa conclusion effective, en s’assurant que toutes les conditions nécessaires à la prise d’effet des garanties sont réunies.

i. La transmission et le suivi de la proposition

L’intermédiaire qui reçoit une proposition d’assurance doit la transmettre à l’entreprise d’assurance dans les plus brefs délais et vérifier que l’assureur a effectivement accepté la proposition. Cette obligation trouve son fondement dans la définition légale de l’activité de distribution d’assurance, qui consiste notamment à « présenter, proposer ou aider à conclure des contrats d’assurance » au sens de l’article L. 511-1 du Code des assurances.

La jurisprudence sanctionne avec rigueur les manquements à cette obligation. Dans un arrêt du 9 décembre 2004, la Cour de cassation a ainsi retenu la responsabilité de courtiers qui, «saisis d’une demande de garantie dans les termes de la proposition qu’ils avaient transmise, ont accepté le paiement de la prime correspondante en affirmant de concert que le navire était assuré, y compris pour son annexe alors qu’aucun contrat n’était intervenu avec l’assureur » (Cass. 1re civ., 9 déc. 2004, n° 99-21.391).

En l’espèce, un acquéreur de voilier avait sollicité un premier courtier, lequel s’était adressé à un second courtier qui avait obtenu une proposition du Bureau de souscription d’assurances. Après acquisition du navire et remise du chèque correspondant au montant de la proposition, les courtiers avaient confirmé « la validité de l’assurance du navire y compris son annexe ». Lorsque le navire fut endommagé par un cyclone, l’assureur refusa la prise en charge au motif qu’« aucune garantie d’assurances n’avait été conclue ». La Cour de cassation retient que les courtiers « ont induit [l’acquéreur] en erreur, l’empêchant de souscrire une garantie valable ».

Cette décision illustre que l’acceptation du paiement de la prime et l’affirmation de l’effectivité de la couverture créent une apparence trompeuse dont les intermédiaires doivent répondre lorsqu’aucun contrat n’a été effectivement conclu avec l’assureur.

L’obligation de transmission de la proposition de d’assuarnce s’accompagne d’un devoir de suivi qui impose à l’intermédiaire de s’assurer de l’aboutissement positif de la démarche. Il doit notamment vérifier que l’assureur a donné une suite favorable à la proposition et, dans le cas contraire, en informer rapidement le client. La Cour de cassation a ainsi jugé qu’un intermédiaire manque à ses obligations s’il omet d’informer sans délai l’assuré de ce que sa proposition d’assurance n’a pas été acceptée par l’assureur (Cass. 1re civ., 3 mars 1987).

En cas de refus de l’assureur, l’intermédiaire doit non seulement informer le client de ce refus, mais également l’assister dans la recherche d’une solution alternative. Cette exigence découle du fait que l’intermédiaire, professionnel de l’assurance, dispose des compétences et des relations nécessaires pour orienter son client vers d’autres assureurs susceptibles d’accepter le risque.

ii. La vérification des conditions de prise d’effet des garanties

L’assistance lors de la souscription comprend la vérification de l’accomplissement de toutes les formalités nécessaires à la prise d’effet des garanties. Cette vérification porte notamment sur la signature de la police par le souscripteur et, le cas échéant, sur le paiement de la première prime lorsque la prise d’effet des garanties est subordonnée à ce paiement.

L’intermédiaire d’assurance engage ainsi sa responsabilité s’il délivre une attestation d’assurance sans s’être préalablement assuré de l’effectivité de la couverture. Il ne peut ainsi faire naître dans l’esprit du souscripteur une apparence de garantie non encore acquise.

A cet égard, dans un arrêt du 7 juin 1979, la Cour de cassation a jugé fautif le comportement d’un agent général qui avait remis à un client une attestation mentionnant un numéro de note de couverture ainsi qu’une période de validité, alors qu’aucune note de couverture n’avait été établie à ce stade, et que l’assureur n’avait pas été avisé (Cass. 1re civ., 7 juin 1979).

La Haute juridiction a considéré qu’en délivrant un tel document, l’intermédiaire avait induit le souscripteur en erreur sur l’existence d’une couverture immédiate, faisant ainsi naître un préjudice du fait de la confiance légitime accordée à l’attestation.

De même, un intermédiaire manque à ses obligations s’il laisse subsister une incertitude sur l’effectivité de la couverture. La première chambre civile a ainsi sanctionné un courtier qui avait informé son client de ce qu’il était régulièrement assuré pour le risque envisagé, alors que la police n’avait pas encore été signée et ne couvrait qu’une partie des risques (Cass. 1re civ., 13 oct. 1987, n°86-13.736).

Au bilan, l’obligation de vérification s’étend aux conditions techniques de mise en œuvre des garanties. L’intermédiaire doit s’assurer que le souscripteur respecte les obligations qui conditionnent l’effectivité de sa couverture. À titre d’exemple, si la garantie est subordonnée à des conditions techniques de protection du risque, il doit vérifier que ces conditions sont effectivement réunies.

iii. L’information sur les modalités d’exécution

Au moment de la souscription, l’intermédiaire doit informer le souscripteur des modalités pratiques d’exécution du contrat, notamment en ce qui concerne le paiement des primes et la déclaration des sinistres. Cette information, distincte du conseil sur le choix du produit, vise à assurer une exécution efficace du contrat.

==>L’information sur le paiement des primes

L’intermédiaire doit d’abord renseigner le souscripteur sur les échéances et modalités de paiement des primes. Cette information revêt une importance particulière car le défaut de paiement peut entraîner la suspension ou la résiliation du contrat, privant l’assuré de sa couverture au moment où il en a le plus besoin.

L’obligation d’information porte notamment sur les conséquences du non-paiement dans les délais contractuels. L’intermédiaire doit expliquer clairement que le défaut de paiement d’une prime peut conduire à la mise en demeure de l’assuré et, à défaut de régularisation, à la résiliation du contrat. Cette information préventive permet au souscripteur d’organiser ses paiements en conséquence et d’éviter une rupture de garantie.

Lorsque la prise d’effet du contrat est subordonnée au paiement de la première prime ou d’un acompte, l’intermédiaire doit alerter expressément le client sur cette condition suspensive. L’assuré doit comprendre qu’aucune garantie ne prendra effet tant que ce paiement n’aura pas été effectué, même si la police a été signée.

==>L’information sur les procédures de déclaration des sinistres

L’intermédiaire doit également informer le souscripteur des modalités de déclaration des sinistres. Cette information technique est essentielle car le non-respect des procédures contractuelles peut entraîner des déchéances de garantie préjudiciables à l’assuré.

L’information porte d’abord sur les délais de déclaration. L’intermédiaire doit expliquer que la déclaration doit intervenir dans un délai déterminé à compter de la survenance du sinistre ou du moment où l’assuré en a eu connaissance. Il doit également préciser les conséquences d’une déclaration tardive, qui peut conduire à une réduction de l’indemnité si l’assureur établit qu’il a subi un préjudice du fait de ce retard.

L’information concerne ensuite les formalités à accomplir. L’intermédiaire doit indiquer les documents à fournir, les justificatifs à rassembler et les démarches à effectuer auprès de l’assureur. Cette information pratique permet d’accélérer le traitement du dossier et d’éviter les demandes de pièces complémentaires qui retardent l’indemnisation.

Enfin, l’intermédiaire doit expliquer les obligations de l’assuré en cas de sinistre, notamment son devoir de collaboration avec l’assureur et l’obligation de prendre toutes mesures conservatoires pour limiter l’aggravation des dommages.

==>L’information sur les obligations déclaratives en cours de contrat

L’intermédiaire doit informer le souscripteur des obligations déclaratives qui pèsent sur lui pendant toute la durée du contrat. Cette information porte principalement sur l’obligation de déclaration des aggravations de risques, fondamentale pour préserver l’équilibre du contrat d’assurance.

L’assuré doit comprendre qu’il a l’obligation de déclarer à son assureur toute circonstance nouvelle de nature à aggraver les risques ou à en créer de nouveaux. L’intermédiaire doit expliquer que cette obligation s’impose même lorsque l’aggravation résulte de circonstances indépendantes de la volonté de l’assuré.

L’information doit également porter sur les conséquences du défaut de déclaration d’une aggravation de risques. Selon la gravité du manquement et son caractère intentionnel ou non, l’assureur peut soit résilier le contrat, soit maintenir la garantie moyennant une augmentation de prime, soit réduire l’indemnité en cas de sinistre.

Cette information préventive permet d’assurer la sincérité des déclarations et de maintenir la confiance mutuelle nécessaire au bon fonctionnement du contrat d’assurance. Elle contribue également à préserver l’équilibre technique du contrat en permettant à l’assureur d’adapter sa tarification à l’évolution réelle du risque.

B) Le devoir de conseil au stade de l’exécution du contrat

Le devoir de conseil ne s’épuise pas à la formation du contrat. S’il trouve son ancrage dans la phase précontractuelle, ce devoir connaît aujourd’hui une prolongation postérieure, que la jurisprudence a progressivement façonnée, puis que le législateur est venu consacrer en certaines matières. Cette extension répond à la spécificité du contrat d’assurance, qui s’inscrit, par nature, dans la durée.

Il ne s’agit pas d’une simple transposition mécanique des obligations précontractuelles à la phase d’exécution. Le devoir de conseil post-contractuel repose sur une approche renouvelée de la relation d’assurance : il ne suffit pas que le contrat soit initialement adapté aux besoins de l’assuré, encore faut-il qu’il le demeure tout au long de son exécution. Car l’assurance est un contrat vivant, destiné à accompagner un assuré dont les risques, les besoins, et les circonstances personnelles ou professionnelles évoluent.

Dans cette perspective, la jurisprudence a reconnu que le distributeur d’assurance demeure tenu, au-delà de la souscription, d’un devoir de vigilance active. Cette obligation consiste à s’assurer que la couverture reste pertinente, et à alerter l’assuré lorsqu’un ajustement apparaît nécessaire. La Cour de cassation a clairement affirmé que « le devoir d’information et de conseil de l’agent d’assurance ne s’achève pas lors de la souscription du contrat » (Cass. civ. 2e, 5 juillet 2006, n°04-10.273). Par cette formule désormais classique, la Haute juridiction consacre la dimension continue du devoir de conseil, indissociable de l’effectivité de la protection assurantielle.

Le législateur lui-même a récemment endossé cette vision évolutive. La loi du 23 octobre 2023, relative à l’industrie verte, a introduit en matière d’assurance-vie un véritable « devoir de conseil dans la durée ». Cette disposition, qui impose aux distributeurs de réévaluer périodiquement l’adéquation du contrat, traduit la maturation d’un mouvement amorcé par la jurisprudence. Elle laisse entrevoir une possible extension à d’autres branches du droit des assurances.

Ainsi consolidé, le devoir de conseil post-contractuel appelle une mise en œuvre concrète selon trois axes principaux :

  • L’adaptation du contrat aux évolutions du risque et des besoins de l’assuré ;
  • L’assistance dans la gestion quotidienne du contrat ;
  • La vigilance en cas de modification substantielle du contrat (avenants, changements de situation, ou dénonciation d’une garantie).

1. L’adaptation du contrat aux évolutions du risque et des besoins

a. L’adaptation des garanties tout au long de la vie du contrat

Le contrat d’assurance s’inscrit naturellement dans la durée et doit, par conséquent, s’adapter aux évolutions des circonstances qui l’entourent. Cette exigence d’adaptation continue trouve son fondement dans la finalité même de l’assurance : garantir l’assuré contre les aléas futurs en tenant compte de l’évolution de sa situation.

La Cour de cassation a consacré ce principe d’adaptation en précisant que l’intermédiaire d’assurance ne peut se contenter d’un conseil ponctuel au moment de la souscription. Il doit, tout au long de la relation contractuelle, veiller à ce que la couverture demeure adéquate aux besoins de l’assuré. Cette obligation trouve une application particulièrement remarquable dans l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 5 juillet 2006, dans l’affaire dite « L’agent général et la vieille dame » (Cass. 2e civ., 5 juill. 2006, n° 04-10.273).

En l’espèce, une assurée, ayant souscrit par l’intermédiaire d’un agent général une police multirisques habitation comportant une clause d’exclusion en cas d’inhabitation prolongée du bien assuré, avait vu sa garantie refusée à la suite d’un vol survenu pendant son absence prolongée liée à son placement en maison de retraite. Ses ayants droit avaient alors recherché la responsabilité de l’agent, estimant qu’il aurait dû l’alerter sur les conséquences de cette clause au regard de l’évolution de sa situation personnelle.

Pour écarter toute faute, la cour d’appel avait estimé que le devoir de conseil devait s’apprécier uniquement au jour de la souscription du contrat, soit en 1974, et qu’il n’était pas établi que l’intermédiaire avait à cette époque connaissance de l’éventualité d’une inhabitation prolongée.

La Cour de cassation censure cette analyse, en énonçant que « le devoir d’information et de conseil de l’agent d’assurance ne s’achève pas lors de la souscription du contrat ». En retenant la responsabilité de l’intermédiaire, elle affirme ainsi que ce devoir s’apprécie en fonction des évolutions connues de la situation de l’assuré, notamment lorsque ces évolutions ont pour effet de rendre inadaptées les garanties souscrites au regard du risque réellement encouru.

Cet arrêt confère une portée dynamique à l’obligation de conseil, laquelle ne saurait rester figée dans le temps lorsque l’intermédiaire est informé de faits nouveaux susceptibles d’altérer la pertinence du contrat initialement conclu.

b. L’adaptation des garanties aux évolutions du risque

L’intermédiaire d’assurance ne saurait se borner à un rôle d’intermédiaire technique figé dans le temps. Lorsque le risque évolue de manière significative, en particulier quant à son ampleur ou sa nature, il lui appartient, dès lors qu’il en a connaissance, d’alerter l’assuré sur l’inadéquation potentielle des garanties contractuellement souscrites. Ce devoir d’alerte, qui s’inscrit dans le prolongement du devoir général de conseil, implique une démarche active d’adaptation du contrat au regard des nouveaux éléments portés à la connaissance du professionnel.

Cette exigence a été nettement affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 décembre 2006 (Cass. 2e civ., 21 déc. 2006, n° 06-13.158). En l’espèce, une clinique privée, assurée pour sa responsabilité civile professionnelle à hauteur de dix millions de francs, avait vu son activité obstétricale croître substantiellement au fil du temps. À la suite d’un sinistre grave survenu lors d’un accouchement, la clinique a été condamnée in solidum avec un praticien. Elle a alors recherché la responsabilité de son assureur pour insuffisance de la couverture, estimant que l’agent général de ce dernier n’avait pas attiré son attention sur la nécessité d’ajuster les plafonds de garantie.

La cour d’appel avait rejeté la demande en estimant que la clinique, en sa qualité de professionnel de santé averti, devait elle-même mesurer l’importance de l’enjeu assurantiel. Or, la Haute juridiction casse l’arrêt, en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché si l’agent général, ayant pourtant été informé de l’augmentation notable de l’activité, avait exécuté son devoir d’alerte quant à l’inadéquation des garanties au regard de l’exposition réelle au risque.

Autrement dit, l’agent général engage sa responsabilité lorsqu’il a connaissance d’une évolution significative du risque et qu’il ne conseille pas l’assuré sur la nécessité d’adapter les garanties en conséquence. Ce que la jurisprudence impose, ce n’est pas une vigilance permanente, mais une réaction appropriée lorsque des éléments concrets révèlent une modification du risque. La connaissance effective de cette évolution constitue ainsi le point de départ d’un devoir de conseil complémentaire. À défaut d’intervention, l’intermédiaire peut être tenu responsable du préjudice subi par l’assuré du fait de garanties restées inadaptées.

Cependant, l’exigence instituée par cette jurisprudence ne signifie pas que l’intermédiaire d’assurance devrait exercer une veille permanente sur la situation de son client. Elle ne s’apparente pas à une obligation de surveillance générale et continue. La Cour de cassation l’a explicitement affirmé dans un arrêt du 8 décembre 2016 (Cass. 2e civ., 8 déc. 2016, n° 15-25.128).

Dans cette affaire, une société exploitant un fonds de commerce avait vu la valeur de ce dernier passer de 35 000 euros à 140 000 euros à la suite d’une acquisition. L’agent général, informé de cette acquisition par un créancier de son client, n’avait pourtant pas recommandé de réévaluation de la garantie « perte de fonds de commerce », maintenue à un niveau notoirement insuffisant. La cour d’appel a considéré que cette abstention constituait un manquement à l’obligation de conseil, la connaissance de la modification du risque étant avérée.

Il ressort de cette jurisprudence que le devoir d’adaptation des garanties repose non sur une obligation de surveillance continue, mais sur une exigence de réactivité dès lors que l’intermédiaire dispose d’une information pertinente. Il n’est pas investi d’une mission générale de veille sur la situation de son client. En revanche, dès qu’il est informé – directement ou par un tiers – d’un fait de nature à modifier substantiellement l’étendue du risque garanti, il lui incombe d’en tirer les conséquences et d’alerter l’assuré sur la nécessité éventuelle d’ajuster le contrat. À défaut d’une telle démarche, l’intermédiaire s’expose à voir sa responsabilité engagée pour manquement au devoir de conseil, notamment en cas de perte de chance d’avoir pu bénéficier d’une couverture mieux adaptée.

c. L’adaptation des garanties aux besoins et exigences du souscripteur

Le devoir de conseil ne s’épuise pas au moment de la souscription. Il s’inscrit dans une temporalité plus large et doit accompagner l’évolution des besoins de l’assuré tout au long de la vie du contrat.

Sur ce point, la Cour de cassation a jugé que la tacite reconduction d’un contrat d’assurance équivaut à la conclusion d’un nouveau contrat (Cass. 1re civ., 2 déc. 2003, n°00-19.561). Cette qualification emporte une conséquence pratique déterminante : elle réactive l’obligation d’information et de conseil de l’intermédiaire. Celui-ci ne saurait se contenter des éléments antérieurs. Il doit, à chaque reconduction, s’interroger sur l’adéquation des garanties aux besoins actuels du souscripteur.

Cependant, cette obligation de réévaluation ne saurait être automatique. L’article L. 520-2, II, 2° du Code des assurances précise que l’évaluation des exigences et besoins repose « en particulier sur les éléments d’information communiqués par le souscripteur ». Autrement dit, l’intermédiaire n’est tenu d’adapter son conseil que dans la mesure où il dispose d’informations pertinentes sur une évolution de la situation assurée.

La jurisprudence en donne une illustration claire : la responsabilité de l’agent général a été écartée dans un cas où l’assuré n’avait jamais déclaré l’exercice d’une activité nouvelle non couverte par la garantie initiale (Cass. 1re civ., 12 janv. 1999, n°96-18.752).

Inversement, dès lors que l’intermédiaire a connaissance d’une évolution de la situation ou d’un changement de besoin, il lui revient d’en tirer les conséquences et de proposer les ajustements nécessaires du contrat. Il ne peut se retrancher derrière une inaction de l’assuré face à une inadéquation manifeste. Son silence peut alors constituer un manquement au devoir de conseil, engageant sa responsabilité professionnelle.

2. L’assistance dans la gestion courante du contrat

L’assistance de l’intermédiaire ne se limite pas à l’adaptation des garanties mais s’étend à l’ensemble de la gestion courante du contrat. Cette assistance revêt une dimension particulièrement importante dans la mesure où elle concerne des actes et décisions qui peuvent directement affecter l’efficacité de la garantie.

a. Le conseil en matière de déclaration de sinistre

L’assistance dans la déclaration et la gestion des sinistres constitue l’une des manifestations les plus critiques du devoir de conseil post-contractuel, car elle conditionne directement l’indemnisation de l’assuré.

==>L’obligation d’examiner l’importance du sinistre

La jurisprudence impose à l’intermédiaire une obligation d’analyse qui va au-delà de la simple transmission des informations reçues. L’arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 1991 illustre parfaitement cette exigence en sanctionnant l’agent général qui n’avait pas suffisamment accompagné son client dans l’évaluation d’un sinistre (Cass. civ., 17 déc. 1991, n°89-11.344).

Dans cette affaire, l’agriculteur assuré contre la grêle avait avisé par téléphone son agent général d’une perte de récolte due à un orage de grêle. La déclaration écrite de sinistre n’avait été dressée que le 6 septembre suivant, soit bien au-delà du délai de quatre jours prévu par la police. Face au refus de garantie de l’assureur pour déclaration tardive, l’agriculteur avait recherché la responsabilité de l’agent général.

La cour d’appel avait initialement débouté l’assuré en considérant qu’aucune faute n’était imputable à l’agent général dès lors que l’agriculteur n’avait pas demandé dans le délai imparti à l’agent général d’adresser une déclaration à la compagnie.

La Cour de cassation a censuré cette analyse en rappelant que « même s’il est établi que l’appel téléphonique n’avait signalé que des dommages peu importants pouvant être équivalents à la franchise, il n’en demeure pas moins que l’agent général a manqué à son devoir de conseil en n’examinant pas avec son client quelle pouvait être l’importance du sinistre et les suites à lui donner dans le délai imparti ».

Cette décision révèle l’étendue du devoir de conseil de l’intermédiaire qui ne peut se contenter d’une appréciation superficielle de la situation. L’obligation d’examen impose à l’agent général de procéder à une analyse approfondie avec l’assuré, même lorsque celui-ci minimise initialement l’importance du sinistre.

Cette obligation d’examen s’explique par le fait que l’assuré, souvent profane en matière d’assurance, peut sous-estimer l’importance d’un sinistre ou méconnaître les conséquences d’une déclaration tardive. Dans l’espèce jugée, l’agriculteur avait vraisemblablement pensé que les dommages n’excédaient pas le montant de la franchise et qu’il n’était donc pas utile de procéder à une déclaration formelle. L’agent général aurait dû l’éclairer sur cette appréciation et l’accompagner dans l’évaluation précise des dégâts.

L’intermédiaire doit donc adopter une démarche proactive pour éviter que son client ne subisse un préjudice du fait de sa méconnaissance des règles assurantielles. Cette exigence témoigne de la dimension pédagogique du rôle de l’intermédiaire qui doit non seulement informer mais également éduquer l’assuré sur les enjeux liés à la bonne exécution de ses obligations contractuelles.

==>L’information sur les délais de prescription

L’assistance de l’intermédiaire doit également porter sur les délais susceptibles d’affecter les droits de l’assuré. L’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 5 janvier 2017 illustre parfaitement cette exigence en sanctionnant un assureur de protection juridique qui avait manqué à son obligation d’information concernant l’expiration imminente de la garantie décennale (Cass. 3e civ., 5 janv. 2017, n° 15-25.644).

Dans cette affaire, la maître d’ouvrage avait fait diviser un bâtiment en six logements et avait confié la maîtrise d’œuvre à un architecte et le lot carrelage à une société de carrelage. Après réception des travaux le 21 décembre 1996, des fissures étaient apparues sur le carrelage au cours de l’été 2005. Informée de ces désordres, la société d’assurance de protection juridique avait désigné un expert et confié le dossier à un avocat qui avait assigné la société de carrelage le 5 décembre 2006, puis le maître d’œuvre le 23 juillet 2007, action déclarée prescrite par jugement du 10 avril 2008.

La Cour de cassation a retenu la responsabilité de l’assureur en relevant que « la société d’assurance, qui devait fournir à son assurée des informations sur les moyens de sauvegarder ses intérêts et sur ses possibilités d’action, n’avait pas conseillé à la maître d’ouvrage d’engager une action contre le maître d’œuvre et ne l’avait pas informée que la garantie décennale venait à expiration à la date du 21 décembre 2006, se bornant à l’informer de la transmission de son dossier à l’avocat ».

La Haute juridiction a considéré que ce manquement de l’assureur à son obligation de conseil et d’information à l’égard de son assurée était caractérisé. En effet, la Cour d’appel avait relevé que « la responsabilité décennale des constructeurs ayant participé aux travaux de restauration était engagée, que celle du maître d’œuvre ayant assuré la direction des travaux apparaissait prépondérante, qu’en raison de la date proche de l’échéance de la garantie des constructeurs, l’issue contentieuse du dossier apparaissait être la plus appropriée ».

Cette décision révèle l’étendue de l’obligation d’information pesant sur l’assureur de protection juridique. Il ne suffit pas de transmettre le dossier à un avocat ; l’assureur doit également éclairer l’assuré sur les enjeux temporels de l’action envisagée, notamment lorsque l’expiration prochaine d’une garantie spécifique comme la garantie décennale risque de compromettre les droits de l’assuré.

Cette exigence de vigilance s’impose avec d’autant plus de force que les délais de prescription en matière de construction constituent une spécificité technique souvent méconnue des assurés. Dans l’espèce jugée, l’assurée ne pouvait raisonnablement être censée connaître la portée exacte de l’expiration de la garantie décennale au 21 décembre 2006, soit dix ans après la réception des travaux.

L’intermédiaire doit donc non seulement informer l’assuré de l’existence de ces délais mais également l’assister dans l’appréciation de leur impact sur sa situation juridique et, le cas échéant, dans les démarches nécessaires pour préserver ses droits. Cette obligation s’inscrit dans la logique générale du devoir de conseil post-contractuel qui impose à l’intermédiaire d’adopter une démarche proactive pour éviter que son client ne subisse un préjudice du fait de sa méconnaissance des règles juridiques applicables.

La solution retenue témoigne également de l’évolution de la jurisprudence vers une conception extensive du devoir de conseil de l’assureur de protection juridique, qui ne se limite pas à la fourniture d’une assistance juridique mais s’étend à l’information et au conseil sur les stratégies contentieuses les plus appropriées compte tenu des contraintes temporelles.

b. L’information sur l’évolution de la réglementation et des garanties

Le devoir de conseil qui intervient dans le cadre de l’exécution du contrat inclut une obligation d’information sur les évolutions susceptibles d’affecter la couverture d’assurance. Toutefois, cette obligation n’est ni générale ni illimitée : elle s’apprécie au regard de la nature des changements intervenus et de leur lien direct avec le contrat.

==>Les limites de l’obligation d’information sur les garanties nouvelles

La Cour de cassation a expressément limité l’obligation d’information de l’assureur en ce qui concerne les garanties issues de l’évolution de son offre commerciale. Dans un arrêt du 1er décembre 1998, elle a jugé qu’il ne peut être reproché à un assureur de ne pas avoir informé l’ensemble de ses assurés de l’existence de nouvelles garanties désormais proposées. Une telle exigence excéderait son devoir de renseignement (Cass. 1re civ., 1er déc. 1998, n° 94-13.589).

Cette position repose sur un principe d’équilibre : l’assureur n’est pas tenu d’un devoir général de conseil portant sur toutes les options commerciales qu’il pourrait développer. L’information due ne s’étend pas à l’ensemble des évolutions de l’offre, sauf lien direct avec le contrat en cours.

==>L’obligation d’information en cas de modification du cadre juridique applicable

En revanche, dès lors qu’une évolution législative ou réglementaire modifie les droits ou obligations issus du contrat d’assurance en cours, l’intermédiaire est tenu d’en informer son client. Ce devoir d’alerte s’impose notamment lorsqu’un changement juridique affecte directement la validité, l’étendue ou l’exercice des garanties souscrites.

Cette distinction entre innovations commerciales et évolutions juridiques permet d’assurer un juste équilibre. L’intermédiaire n’est pas transformé en conseiller juridique permanent, mais il doit veiller à informer l’assuré des conséquences concrètes des évolutions normatives qui impactent l’exécution du contrat.

Ainsi se dessine une obligation d’information ciblée, fondée sur la pertinence du changement au regard de la protection effective de l’assuré.

3. Les obligations spécifiques liées aux modifications contractuelles

L’intervention de l’intermédiaire prend une importance particulière lors des modifications du contrat d’assurance. Ces périodes de transition – telles que le remplacement ou la résiliation – sont souvent propices à une dégradation de la protection de l’assuré.

Ce dernier peut, sans en avoir pleinement conscience, se retrouver temporairement ou durablement sans couverture, ou avec des garanties insuffisantes. Il appartient donc à l’intermédiaire de sécuriser ces phases sensibles, en s’assurant que les ajustements contractuels ne laissent place à aucun risque de vide ou d’inadéquation de la couverture.

a. Le devoir de conseil lors du remplacement de contrat

Le remplacement d’un contrat d’assurance par un nouveau contrat constitue une opération particulièrement délicate. L’assuré, rassuré par la continuité apparente de sa couverture, ne prête pas toujours l’attention nécessaire aux modifications de garanties qui peuvent être introduites par le nouveau contrat.

L’intermédiaire doit donc impérativement attirer l’attention de l’assuré sur les changements susceptibles d’affecter sa couverture. Cette exigence répond à un impératif de transparence: l’assuré doit pouvoir consentir en toute connaissance de cause aux modifications de ses garanties.

La jurisprudence a ainsi sanctionné l’intermédiaire qui, sollicité par l’assuré pour modifier la garantie contre le vol, avait fait signer le nouveau contrat sans attirer son attention sur les exigences de moyens de protection supplémentaires introduites dans les conditions générales (Cass. 1re civ., 20 janv. 1987). Dans cette affaire, le changement de contrat s’accompagnait de conditions de garantie plus strictes que l’assuré ignorait, ce qui risquait de compromettre l’efficacité de sa couverture en cas de sinistre.

De même, la responsabilité d’un agent général a été retenue pour avoir proposé en remplacement d’un contrat multirisques une nouvelle police dans laquelle la garantie « vol de bijoux » ne figurait plus (Cass. 2e civ., 8 mars 2006, n°05-11.319).

Dans cette affaire, l’assurée avait souscrit auprès du groupe Drouot, devenu la société Axa assurances puis Axa France IARD, un contrat d’assurance multirisques comportant une garantie vol de bijoux. L’agent général d’Axa lui avait fait souscrire une nouvelle police en remplacement de ce contrat. Ayant été victime d’un cambriolage au cours duquel lui avaient été dérobés des bijoux, l’assurée avait demandé la garantie de l’assureur, qui avait refusé de l’indemniser, la nouvelle police ne couvrant pas le vol de bijoux.

La cour d’appel avait considéré que l’agent général n’avait pas manqué à ses obligations au motif que « caractérise en droit l’accomplissement de l’obligation d’information par l’agent d’assurance le fait de signer et de recevoir un exemplaire du contrat par l’assuré » et qu’« il est constant que l’assurée a signé un contrat dénué de toute ambiguïté » dont « les clauses relatives à l’assurance vol pour les bijoux et objets précieux sont claires et compréhensibles de la part de tout le monde ».

La Cour de cassation a censuré cette analyse en relevant que la cour d’appel avait constaté « que la nouvelle police souscrite par l’assurée remplaçait celle qu’elle avait précédemment conclue avec le même assureur, mais qu’elle ne comportait pas la garantie vol de bijoux acquise dans la précédente, et sans rechercher si l’agent général avait attiré l’attention de l’assurée sur cette réduction de garantie ».

Cette décision révèle que la simple signature du contrat par l’assuré et la clarté des clauses contractuelles ne suffisent pas à exonérer l’intermédiaire de son obligation d’information lorsque le nouveau contrat ne reprend pas des garanties figurant dans le contrat précédent. Le fait que les clauses soient claires ne dispense pas l’intermédiaire d’attirer spécifiquement l’attention de l’assuré sur les modifications défavorables.

L’arrêt établit donc une distinction fondamentale entre l’information passive, qui consiste à remettre un contrat lisible, et l’information active, qui impose à l’intermédiaire de signaler expressément les réductions de garantie lors du remplacement d’un contrat. Cette obligation active se justifie par le fait que l’assuré, dans un contexte de remplacement de contrat chez le même assureur, peut légitimement s’attendre au maintien des garanties dont il bénéficiait antérieurement.

b. Le devoir de conseil lors de la résiliation du contrat

La résiliation du contrat d’assurance place l’assuré dans une situation de vulnérabilité particulière : il se trouve privé de couverture alors que son besoin d’assurance persiste généralement. Cette situation est d’autant plus critique lorsque la résiliation n’émane pas de la volonté de l’assuré mais résulte, par exemple, d’un défaut de paiement ou d’une décision de l’assureur.

L’obligation essentielle de l’intermédiaire consiste à ne jamais laisser croire à l’assuré qu’il demeure protégé lorsque son contrat a été résilié. Cette exigence répond à un impératif de sécurité juridique : l’assuré doit connaître précisément l’état de sa couverture pour pouvoir, le cas échéant, souscrire une nouvelle assurance ou adapter son comportement au risque de découvert.

La jurisprudence a sanctionné plusieurs comportements de nature à induire l’assuré en erreur sur la persistance de sa garantie.

Dans un arrêt du 7 novembre 1972, la Cour de cassation a retenu la faute de l’agent qui avait accepté de l’assuré le complément de primes correspondant à un avenant, alors qu’une lettre de résiliation avait préalablement mis fin au contrat (Cass. 1ère civ. 7 nov. 1972). En acceptant ce paiement, l’agent donnait à l’assuré l’impression légitime que le contrat était toujours en vigueur et que l’avenant prendrait effet.

Cette situation illustre le caractère trompeur que peut revêtir l’encaissement de sommes par l’intermédiaire après résiliation du contrat. L’assuré interprète naturellement cet encaissement comme la preuve que sa couverture perdure.

De même, dans un arrêt du 23 mai 2000, la Cour de cassation a considéré que manquent à leur devoir d’information et de conseil les agents qui ont encaissé la prime alors que la police était résiliée pour défaut de paiement, sans rappeler à l’assuré cette résiliation (Cass. 1ère civ. 23 mai 2000, n°98-11.768).

Dans cette affaire, la société assurée, spécialisée dans l’élevage et le conditionnement d’anguilles, était couverte auprès de l’UAP par l’intermédiaire d’agents généraux. La société ayant omis de payer la prime de l’une de ses polices garantissant les dommages à ses bâtiments d’exploitation, elle avait été mise en demeure par l’assureur de payer l’échéance par une lettre recommandée du 11 octobre 1991 qui reproduisait et expliquait le mécanisme de suspension et de résiliation automatique organisé par l’article L. 113-3 du Code des assurances.

Le 26 décembre suivant, un chèque d’un montant de 2 861 francs, correspondant à deux primes dont celle de la police entre-temps résiliée, avait été remis par le gérant de la société à un employé des agents généraux lors d’un passage de ce dernier dans les locaux de la société. À la même époque, le gérant avait demandé qu’on lui prépare un contrat pour une catégorie de matériel, contrat effectivement souscrit le 20 février 1992.

Lorsqu’un incendie était survenu le 19 février 1992 dans le bâtiment d’élevage, l’assureur avait fait valoir la résiliation du contrat et dénié sa garantie. La société avait alors assigné l’assureur ainsi que les agents généraux en réparation du préjudice causé par le manquement de ces derniers à leur devoir de conseil.

La Cour de cassation a retenu la responsabilité des agents généraux du fait de leur «manquement à leur devoir d’information et de conseil consistant dans le fait d’avoir encaissé la prime, alors que la police était résiliée, sans rappeler au gérant cette résiliation, ni lui conseiller de souscrire une nouvelle police, ni faire de différence, dans le paiement reçu, entre la prime afférente au contrat en cours et celle du contrat résilié».

Cette décision révèle plusieurs enseignements importants. D’abord, l’encaissement de la prime constitue en lui-même un acte susceptible d’induire l’assuré en erreur sur l’état de sa couverture, même lorsque la résiliation a été régulièrement notifiée. Ensuite, les agents auraient dû distinguer, dans le paiement reçu, la prime afférente au contrat en cours de celle relative au contrat résilié. Enfin, l’obligation des intermédiaires ne se limite pas à l’information sur la résiliation mais s’étend au conseil de souscrire une nouvelle police pour maintenir la couverture.

L’arrêt souligne que le comportement des agents généraux était d’autant plus fautif qu’à cette même époque, l’assuré demandait une assurance supplémentaire qui avait effectivement été établie peu après, démontrant ainsi sa volonté de maintenir sa couverture d’assurance.

L’obligation de l’intermédiaire ne va toutefois pas jusqu’à garantir le maintien effectif de la couverture d’assurance. En effet, il convient de faire la distinction entre:

  • D’une part, une obligation de transparence qui impose à l’intermédiaire d’informer clairement l’assuré sur l’état réel de sa couverture et de ne jamais le laisser croire, par ses actes ou son attitude, qu’il demeure protégé alors que son contrat a été résilié.
  • D’autre part, l’absence d’obligation de résultat quant au maintien effectif de la garantie lorsque les circonstances extérieures (retrait d’agrément, refus des assureurs, antécédents de l’assuré) rendent difficile ou impossible la souscription d’un nouveau contrat.

Cette approche permet de protéger l’assuré contre les comportements trompeurs tout en évitant d’imposer à l’intermédiaire une responsabilité excessive face à des situations échappant à son contrôle.

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  4. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  5. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil (à propos du conseil en investissement assurantiel) », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  6. A. Pélissier, « Devoir de conseil de l’assureur et de la banque », RGDA 2019, n° 1169, p. 7 ?
  7. I. Monin-Lafin, « Le nouveau régime du conseil en assurance », Trib. ass. 2018, p. 45 ?
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  12. D. Langé, « La gradation des obligations de conseil », RGDA 2019, p. 156 ?
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  19. Voir notamment A. Couret, H. Le Nabasque, “Valeurs mobilières”, Dalloz Action, 2020, n° 12.45 ?
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  49. Cass. 1re civ., 31 mars 1981, Bull. civ. I, n° 108 ; D. 1982, IR, p. 97, note Berr et Groutel. ?

Le devoir de conseil en assurance: notion, évolution, fonction et nature

==>Notion

Parler de devoir de conseil plutôt que d’obligation de conseil ne relève pas d’une simple coquetterie terminologique. Ce glissement lexical signale une inflexion plus profonde dans la manière de concevoir la relation entre le distributeur d’assurance et son interlocuteur. Là où la notion d’obligation s’inscrit dans l’architecture classique du droit des contrats — créancier, débiteur, inexécution, responsabilité —, celle de devoir suggère une exigence plus vaste, moins circonscrite par les seules catégories juridiques. Le devoir renvoie à une posture professionnelle, à une attitude d’engagement éclairé qui excède le strict formalisme normatif.

En cela, le devoir se distingue de l’obligation par son enracinement dans une forme d’éthique de la relation, parfois qualifiée de déontologique, parfois pensée en termes fonctionnels. Là où l’obligation décrit un lien contraignant entre deux sujets de droit, le devoir incarne une norme d’attitude, qui traduit l’idée selon laquelle savoir implique responsabilité. Le distributeur ne se contente pas d’exécuter une prestation : il est supposé comprendre, anticiper, orienter. Il ne subit pas l’obligation, il assume un rôle.

De plus en plus présente dans la doctrine, cette terminologie s’affirme comme une manière d’exprimer que la norme juridique, ici, ne se contente pas d’ordonner un comportement mais qualifie une charge professionnelle spécifique, liée à l’asymétrie d’information, à la technicité du produit, à la vulnérabilité relative du preneur d’assurance. Le choix du mot devoir est donc porteur : il traduit une évolution du droit positif vers une exigence de comportement structurant l’identité même du professionnel, et non plus seulement les modalités de son engagement contractuel.

En somme, là où l’obligation engage juridiquement, le devoir engage ontologiquement le professionnel dans ce qu’il est et ce qu’il représente : un acteur du marché, certes, mais surtout un intermédiaire de confiance, un professionnel de l’éclairage dans un domaine complexe, opaque, parfois anxiogène. C’est dans cette perspective que doit être saisie la notion de devoir de conseil, telle qu’elle se dégage de l’article L. 521-4 du Code des assurances.

Loin de demeurer une pure construction doctrinale, cette exigence a désormais trouvé son assise dans un fondement textuel explicite. L’article L. 521-4 du Code des assurances érige le devoir de conseil en obligation précontractuelle autonome, engageant le professionnel dans une démarche active et personnalisée : il doit s’enquérir des exigences et des besoins exprimés par le client, apprécier la pertinence du contrat envisagé au regard de ces éléments, et émettre, le cas échéant, un avis motivé sur l’opportunité de souscrire. La directive du 20 janvier 2016, dont cette disposition est la transposition, conforte cette orientation en conférant au conseil une fonction structurante de l’acte de distribution.

La doctrine souligne cette spécificité. Ainsi, Hubert Groutel rappelle que le conseil « suppose une appréciation intellectuelle, une analyse comparative et une orientation active ». Il ne s’agit donc pas simplement de porter à la connaissance du souscripteur un contenu normatif ou contractuel, mais de l’accompagner, par une démarche de compréhension, vers la solution la mieux adaptée à sa situation. Le conseil se distingue de l’information par sa dimension qualitative, par l’effort d’intelligibilité et par l’intention d’orientation.

Dès lors, le devoir de conseil peut être défini comme l’exigence faite au professionnel d’accompagner le client dans son acte de souscription, par un processus d’analyse, de reformulation et de recommandation, en fonction des besoins qu’il a su exprimer ou que le professionnel a pu objectiver. Il ne s’agit pas simplement d’informer, ni même de prévenir : il s’agit d’aider à décider — ce qui suppose de faire preuve de compétence, de loyauté, et d’écoute.

==>L’évolution du devoir de conseil

Le devoir de conseil n’est pas une création législative ex nihilo. Il s’est d’abord construit dans le silence des textes, au fil d’une construction prétorienne, par laquelle la jurisprudence a progressivement imposé au professionnel de l’assurance une exigence de loyauté active à l’égard de son client. Ce mouvement, d’abord diffus, s’est nourri d’une logique d’équité et d’efficacité, à mesure que les juridictions, confrontées à des litiges mettant en cause des intermédiaires défaillants, en ont affirmé la nécessité.

Un arrêt précurseur mérite en ce sens d’être signalé. Dans un arrêt du 10 novembre 1964 (Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, n°62-13.411), la Cour de cassation reconnaît explicitement que le courtier d’assurance, au regard de la relation de confiance nouée avec son client de longue date, ne saurait se soustraire à un rôle actif dans le suivi et l’évaluation des garanties souscrites. En l’espèce, la haute juridiction approuve les juges du fond d’avoir reproché au professionnel de ne pas avoir été, vis-à-vis de son client, « le guide sûr et le conseiller expérimenté qu’il aurait dû être ». Le manquement ainsi constaté n’était pas réductible à une simple omission, mais relevait d’une véritable défaillance dans l’exercice d’un rôle de vigilance et d’accompagnement. Par cette formule, la Haute juridiction anticipe déjà, en creux, ce que la doctrine qualifiera plus tard de devoir de conseil.

Cette position jurisprudentielle a ensuite connu un développement soutenu, notamment dans les années 1980. Ainsi, la responsabilité d’un agent général est retenue pour ne pas avoir proposé une garantie couvrant précisément les besoins exprimés par l’assuré (Cass. 1re civ., 6 mai 1981). Cette solution reposait encore sur le droit commun de la responsabilité, en particulier l’ancien article 1382 du Code civil, et n’exigeait pas nécessairement l’existence d’un contrat entre l’assuré lésé et le professionnel fautif.

C’est le droit européen qui viendra donner à cette exigence un fondement textuel spécifique. La directive du 9 décembre 2002 a amorcé la reconnaissance du conseil comme une composante autonome de la distribution d’assurance. Mais c’est la directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 (dite directive sur la distribution d’assurance, ou DDA) qui parachève cette reconnaissance. Elle définit expressément le conseil comme “la fourniture de recommandations personnalisées à un client, à sa demande ou à l’initiative du distributeur des produits d’assurance, au sujet d’un ou de plusieurs contrats d’assurance” (art. 2, § 15, DDA), et l’érige en exigence centrale du processus de distribution. La directive promeut ainsi une logique d’adéquation entre les caractéristiques du produit et les besoins propres du souscripteur, ce qui renforce la portée fonctionnelle du devoir de conseil.

Transposée à l’article L. 521-4 du Code des assurances, la définition du devoir de conseil issue de la directive (UE) 2016/97 s’impose aujourd’hui comme une règle juridique autonome, applicable à l’ensemble des professionnels de la distribution d’assurance, sans distinction de statut ou de mode d’intervention. Le texte français reprend fidèlement les exigences européennes en imposant au distributeur :

  • de s’enquérir des exigences et des besoins exprimés par le client ;
  • d’apprécier l’adéquation du contrat proposé à cette situation ;
  • et, le cas échéant, de formuler un avis motivé sur l’opportunité de souscrire.

Cette transposition ne se limite pas à formaliser une pratique déjà existante : elle transforme la nature même de l’exigence. Ce qui relevait autrefois d’un impératif de loyauté, nourri par la jurisprudence et les usages professionnels, devient désormais une obligation légale précisément définie. Le conseil n’est plus laissé à l’appréciation du professionnel : il s’impose comme une condition incontournable de la validité de l’acte de distribution. Le droit n’invite plus à bien faire : il ordonne de faire bien.

==>La fonction du devoir de conseil

Le devoir de conseil ne saurait être relégué au rang d’exigence accessoire. Il ne s’agit pas d’un correctif périphérique, mais d’une exigence centrale, qui façonne la substance même de l’engagement contractuel. Sa raison d’être réside dans le déséquilibre structurel qui affecte la relation d’assurance : celle-ci oppose, d’un côté, un professionnel aguerri, doté d’une maîtrise technique, juridique et commerciale des produits assurantiels ; de l’autre, un souscripteur profane, dont la capacité à comprendre la portée des garanties proposées est limitée par son absence de compétence spécifique. Il ne s’agit donc pas de restaurer un équilibre abstrait, mais de garantir une adéquation réelle entre le contrat proposé et les besoins de l’assuré.

Aussi, contrairement à l’achat d’un bien tangible, l’assurance repose sur la promesse d’une protection future contre un aléa incertain, formulée à travers un contrat dont les stipulations techniques, exclusions, conditions et délais sont rarement pleinement maîtrisés par le client. Dans ce contexte, le devoir de conseil vise à rééquilibrer la relation en permettant au professionnel de traduire, clarifier et adapter l’offre à la situation concrète du souscripteur.

En amont de la conclusion du contrat, ce devoir poursuit une triple finalité :

  • Identifier les besoins et contraintes spécifiques du client à travers un dialogue structuré,
  • Adapter l’offre d’assurance à ces éléments, en écartant les produits inadaptés,
  • Accompagner la décision du souscripteur, par une recommandation claire et motivée.

Il ne s’agit donc pas uniquement d’un exercice d’information descendante, mais d’un véritable travail de mise en adéquation, orienté vers la sécurité juridique et économique du preneur d’assurance. Ce rôle est d’autant plus crucial que l’inadéquation des garanties constitue l’une des principales sources de contentieux, notamment en cas de sinistre.

La jurisprudence l’a d’ailleurs expressément reconnu: le devoir de conseil ne se limite pas à la phase de souscription du contrat. Dans un arrêt du 5 juillet 2006, la Cour de cassation a affirmé que «?le devoir d’information et de conseil de l’agent d’assurance ne s’achève pas lors de la souscription du contrat?» (Cass. 2e civ., 5 juill. 2006, n° 04-10.273). Cette précision souligne la dimension évolutive du devoir de conseil, lequel ne s’épuise pas dans l’instant de la formation, mais accompagne la relation contractuelle dans la durée, en particulier lorsque survient une modification du contrat ou un changement dans la situation de l’assuré. Le conseil devient alors une exigence continue, réactivée par les événements, au service de l’adéquation permanente entre la garantie et les besoins.

Ainsi, le devoir de conseil remplit une double fonction essentielle. D’une part, une fonction réparatrice, en ce qu’il vise à corriger les déséquilibres informationnels structurels entre le professionnel et le souscripteur, notamment ceux liés à la complexité technique des produits et à l’opacité des clauses contractuelles. D’autre part, une fonction préventive, puisqu’il tend à éviter les litiges nés de garanties inadaptées, en s’assurant en amont que la solution proposée correspond effectivement aux besoins exprimés ou objectivés du client. Ce faisant, le devoir de conseil conduit à repenser la relation contractuelle au-delà du seul principe d’autonomie de la volonté. Il ne s’agit plus seulement de garantir la liberté de contracter, mais de veiller à ce que cette liberté s’exerce de manière éclairée, dans un cadre où l’asymétrie d’information est compensée par l’expertise et la diligence du professionnel. Le contrat ne procède plus d’un simple échange de consentements : il repose sur un processus d’accompagnement, destiné à assurer l’adéquation entre les besoins et exigences du candidat à l’assurance et la solution proposée.

==>Nature du devoir de conseil

Le devoir de conseil en assurance revêt une nature hybride, à l’intersection du droit des contrats, de la responsabilité, et de ce que la doctrine qualifie désormais, à juste titre, d’obligation professionnelle autonome.

Lorsque le distributeur (intermédiaire, agent général, courtier, ou encore assureur en vente directe) entretient avec le souscripteur un lien contractuel, la jurisprudence rattache classiquement le devoir de conseil au régime de la responsabilité contractuelle : l’inexécution du devoir ouvre droit à réparation en vertu des articles 1103, 1217 et 1231-1 du Code civil. À l’inverse, en l’absence de lien contractuel — notamment en présence d’un tiers souscripteur ou lorsque le professionnel agit au nom exclusif de l’assureur — le manquement au devoir de conseil engage la responsabilité délictuelle sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.

Mais au-delà de cette dichotomie entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle, le devoir de conseil trouve son véritable fondement dans la fonction même du distributeur d’assurance. Il s’agit, en effet, d’une obligation inhérente à l’exercice professionnel, pesant sur quiconque propose ou présente un produit d’assurance, en raison de sa compétence technique et de la complexité des opérations qu’il met en œuvre au bénéfice d’un cocontractant, souvent profane ou insuffisamment informé.

Cette conception fonctionnelle du devoir de conseil a été précocement affirmée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt de principe de la première chambre civile du 6 mai 1981 aux termes duquel la Cour de cassation a retenu la faute d’un agent général et de sa compagnie pour ne pas avoir orienté une entreprise débutante vers une assurance couvrant sa responsabilité décennale, alors même que celle-ci leur avait demandé de souscrire les garanties nécessaires à l’exercice de son activité (Cass. 1re civ., 6 mai 1981, n° 80-10.019).

Depuis, cette approche a été confirmée de manière constante, la Haute juridiction rappelant que le professionnel est tenu à une obligation de conseil non pas en vertu d’un quelconque mandat ou contrat particulier, mais « en sa qualité de professionnel de l’assurance mettant sa compétence à la disposition du public » (Cass. 1re civ., 28 oct. 1986).

À cet égard, le devoir de conseil revêt, par nature, le caractère d’une obligation de moyens : le distributeur n’est pas tenu de garantir un résultat – en l’occurrence, la souscription d’une couverture parfaitement adaptée – mais il doit déployer l’ensemble des diligences attendues d’un professionnel compétent pour proposer un contrat en adéquation avec les besoins et exigences exprimés et les caractéristiques personnelles du souscripteur.

Cependant, la mise en œuvre de cette obligation obéit à un régime probatoire dérogatoire. Contrairement au principe selon lequel la charge de la preuve incombe au demandeur, il appartient ici au distributeur – et non à l’assuré – de démontrer qu’il a bien satisfait à son devoir de conseil. Ce renversement de la charge de la preuve, consacré à l’article 1353, alinéa 2 du Code civil, a été clairement affirmé par la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 25 févr. 1997, n° 94-19.685). Il se justifie par l’asymétrie d’information et de compétence entre un professionnel de l’assurance, rompu à la technicité des produits distribués, et un client qui, bien souvent, ne dispose ni des connaissances, ni des outils lui permettant d’apprécier seul la pertinence des garanties proposées.

En d’autres termes, il ne suffit pas d’avoir conseillé : encore faut-il être en mesure d’en rapporter la preuve, au moyen de documents écrits, de comptes rendus d’entretien ou de tout autre élément attestant des diligences accomplies pour identifier les besoins du souscripteur et lui recommander une couverture adaptée.

==>Règles applicables

Le devoir de conseil en matière d’assurance fait l’objet d’un encadrement juridique à la fois général et spécial. Il obéit, d’une part, à un ensemble de règles communes applicables à tous les produits d’assurance, qu’ils relèvent du domaine des assurances de dommages ou des assurances de personnes. Il est également soumis, d’autre part, à des dispositions spécifiques, destinées à régir plus strictement la distribution des contrats d’assurance vie et de capitalisation, en particulier lorsqu’ils comportent une valeur de rachat ou sont exprimés en unités de compte.

Les règles générales, issues des articles L. 521-1 à L. 521-4 du Code des assurances, organisent les obligations pesant sur tout distributeur : devoir d’agir au mieux des intérêts du souscripteur, recueil préalable des besoins, justification du conseil formulé. Ce socle normatif encadre la distribution de l’ensemble des produits d’assurance dans une perspective de protection du consentement et d’adéquation des garanties proposées.

Mais ce cadre commun a été complété par un régime particulier, applicable aux produits d’assurance vie comportant des valeurs de rachat, aux contrats exprimés en unités de compte, ainsi qu’aux contrats de capitalisation. Ces instruments, assimilés à des produits d’investissement fondés sur l’assurance, font l’objet de dispositions particulières aux articles L. 522-1 à L. 522-7 du Code des assurances.

Contrat d’assurance: la fausse déclaration intentionnelle

La déclaration du risque conditionne l’équilibre du contrat d’assurance, en ce qu’elle détermine l’étendue de l’engagement de l’assureur. Elle permet, en effet, à l’assureur d’apprécier la nature et l’étendue du risque qu’il accepte de garantir, et de fixer en conséquence le montant de la prime. L’assuré, de son côté, est tenu à une obligation de sincérité dans les réponses qu’il apporte au questionnaire proposé par l’assureur. Ce devoir de loyauté est d’autant plus déterminant que l’évaluation du risque repose presque exclusivement sur les informations ainsi recueillies.

Lorsqu’une irrégularité affecte cette déclaration — qu’il s’agisse d’une réponse inexacte, d’une omission ou d’un silence gardé sur une circonstance particulière —, l’équilibre du contrat s’en trouve compromis. L’assureur, privé d’une information essentielle, n’a pu apprécier le risque en pleine connaissance de cause. Le droit positif organise, pour rétablir cette rupture, un régime de sanctions articulé autour de l’état d’esprit de l’assuré au moment de la déclaration.

Deux hypothèses doivent alors être distinguées. Si l’irrégularité procède d’une volonté délibérée de tromper l’assureur, elle constitue une fausse déclaration intentionnelle et emporte la nullité du contrat dans les conditions fixées à l’article L. 113-8 du Code des assurances. En revanche, si l’inexactitude ou l’omission résulte d’une simple négligence, la déclaration est qualifiée de non intentionnelle : le contrat subsiste, mais ses effets sont aménagés conformément à l’article L. 113-9.

Nous nous focaliserons ici sur la fausse déclaration intentionnelle.

1. La fausse déclaration intentionnelle

a. Les éléments constitutifs de la fausse déclaration intentionnelle

i. L’exigence de mauvaise foi de l’assuré

La nullité prévue à l’article L. 113-8 du Code des assurances repose sur la constatation d’une réticence ou d’une fausse déclaration intentionnelle imputable à l’assuré, c’est-à-dire sur la démonstration d’un comportement empreint de mauvaise foi. Cette notion, à la frontière entre l’intention de nuire et le simple fait volontaire, implique une volonté délibérée de fausser l’appréciation du risque par l’assureur lors de la souscription.

L’élément déterminant est ici la volonté de tromper l’assureur, ou tout au moins de l’induire en erreur sur l’existence, la nature ou l’ampleur du risque à garantir, afin d’obtenir l’émission du contrat à des conditions plus favorables, voire l’acceptation pure et simple d’un risque qu’il aurait refusé s’il avait été informé loyalement. Il s’agit ainsi d’un véritable dol technique, visant à vicier le consentement de l’assureur, indépendamment de toute volonté de causer un dommage à ce dernier (Cass. 2e civ., 16 juin 2022, n°20-20.745).

La dissimulation volontaire d’une information connue par l’assuré, et dont il sait le caractère déterminant pour l’assureur, suffit à caractériser la mauvaise foi. Ainsi, la jurisprudence retient la fausse déclaration intentionnelle même en l’absence de volonté de nuire, dès lors que l’assuré a, en conscience, fait prévaloir ses intérêts propres au détriment de la mutualité assurantielle. Tel est le cas d’un assuré qui, pour bénéficier d’une prime plus avantageuse, se déclare seul conducteur alors que son fils – jeune permis – utilise en réalité le véhicule de manière habituelle (Cass. 1re civ., 11 déc. 1990, n° 88-13.044).

La fausse déclaration peut revêtir diverses formes : affirmation mensongère, omission volontaire, altération consciente d’une réponse au questionnaire. Elle ne se réduit pas à une dissimulation formelle : elle peut résulter d’un comportement silencieux, qualifié alors de réticence, dès lors qu’il est motivé par l’intention de soustraire un élément significatif à l’appréciation de l’assureur.

La mauvaise foi suppose ainsi deux éléments cumulatifs :

  • une connaissance par l’assuré de l’exacte réalité du risque, qu’il se garde de révéler ;
  • et une intention de dissimulation visant à influencer la décision de l’assureur, qu’il s’agisse de la souscription, du montant de la prime, ou de l’acceptation du risque.

Le caractère déterminant de l’information tue ou faussée constitue une exigence complémentaire : la déclaration mensongère n’est sanctionnée que si elle a modifié « l’objet du risque ou diminué l’opinion de l’assureur » (C. assur., art. L. 113-8 ; Cass. 2e civ., 12 mai 2011, n° 10-11.832). L’existence d’une telle altération peut résulter de l’importance du risque non déclaré (ex. : séropositivité, activité nocturne dangereuse, inscription au fichier du grand banditisme – Cass. 2e civ., 25 juin 2020, n° 19-14.278).

En revanche, la fausse déclaration ne saurait être retenue si l’assuré a agi de bonne foi, par ignorance, oubli excusable ou en raison d’une interprétation raisonnable d’un questionnaire ambigu ou mal formulé. La jurisprudence reconnaît ainsi que l’intention dolosive peut être exclue en présence d’un état dépressif, d’un niveau d’instruction limité, ou de difficultés de compréhension liées à une barrière linguistique (Cass. 1re civ., 25 févr. 1986, n°84-16.882).

ii. L’appréciation de la mauvaise foi

La nullité du contrat d’assurance fondée sur l’article L. 113-8 du Code des assurances ne peut être prononcée que si la mauvaise foi de l’assuré est rigoureusement caractérisée. Conformément au principe de présomption de bonne foi posé à l’article 2268 du Code civil, il appartient à l’assureur de démontrer que la déclaration inexacte procède d’une intention dolosive de l’assuré, c’est-à-dire de la volonté de tromper l’assureur sur l’étendue ou la nature du risque à garantir. Cette exigence est constante en jurisprudence (v. notamment Cass. 2e civ., 10 déc. 2009, n° 09-10.053).

L’appréciation de cette mauvaise foi relève du pouvoir souverain des juges du fond, qui en apprécient les éléments constitutifs in concreto, à la lumière des circonstances propres à chaque espèce (Cass. 1re civ., 4 oct. 2000, n° 97-20.867). La Cour de cassation se borne à vérifier que les juges ont recherché l’existence de cette volonté frauduleuse et qu’ils ont motivé leur décision en ce sens (v. notamment Cass. 2e civ., 2 févr. 2017, n° 16-14.815).

Plusieurs indices convergents sont susceptibles de révéler l’intention de dissimuler, sans pour autant former des présomptions irréfragables :

  • La gravité objective de l’élément omis, notamment lorsqu’il s’agit d’une pathologie sérieuse, d’antécédents judiciaires lourds, de condamnations pénales, ou d’activités dangereuses, susceptibles d’altérer substantiellement l’opinion du risque (v. Cass. 2e civ., 11 sept. 2014, n° 13-22.429).
  • La proximité temporelle entre l’événement dissimulé et la déclaration, qui permet de déduire que l’assuré n’a pu l’ignorer au moment de remplir le questionnaire (Cass. 1re civ., 7 oct. 1998, n°96-17.315).
  • Le degré d’intelligibilité du questionnaire, qui conditionne la portée des réponses et la possibilité d’apprécier leur fausseté. Lorsque le document remis est précis, détaillé, et dénué d’ambiguïté, toute discordance entre les réponses et la réalité du risque est plus difficilement excusable (Cass. 2e civ., 30 juin 2016, n° 15-22.842). À l’inverse, une ambiguïté de l’assureur ou un défaut de clarté dans la formulation du questionnaire peut écarter la mauvaise foi (Cass. crim., 9 déc. 1992, n° 90-83.149).
  • Le profil de l’assuré, pris en compte par la jurisprudence, qui peut retenir une absence de mauvaise foi lorsque l’assuré présente une faible capacité de compréhension, un faible niveau d’instruction, un état psychique altéré, ou une maîtrise imparfaite de la langue française (v. Cass. 1re civ., 20 oct. 1993, n° 91-17.112). Inversement, la mauvaise foi sera retenue plus aisément chez un professionnel averti ou un souscripteur ayant une compétence particulière dans le domaine concerné (Cass. 2e civ., 29 mars 2012, n° 11-14.305).
  • Le contenu des déclarations : l’accumulation d’inexactitudes, de contradictions ou de silences révélateurs peut conduire les juridictions à retenir l’intention dolosive, notamment lorsque les erreurs ne peuvent raisonnablement être imputées à un oubli bénin. Ainsi en est-il d’un assuré ayant minoré de 20 kg son poids tout en majorant sa taille de 6 cm, tout en dissimulant des antécédents médicaux lourds (CA Colmar, 9 janv. 2017, n° 15/05647).
  • Les déclarations spontanées ou les aveux peuvent également fonder la constatation de la mauvaise foi, y compris lorsqu’aucun questionnaire n’a été formellement rédigé, dès lors que la déclaration erronée procède clairement de l’assuré lui-même (Cass. 2e civ., 4 févr. 2016, n° 15-13.850).

La jurisprudence rappelle enfin que le caractère intentionnel de la fausse déclaration doit être distingué de l’existence d’un lien de causalité avec le sinistre. En vertu de l’article L. 113-8, alinéa 1er, la sanction est encourue « alors même que le risque omis ou dénaturé a été sans influence sur le sinistre » (v. Cass. 2e civ., 23 mai 2013, n° 12-19.952). Cette dissociation entre fausse déclaration et réalisation du risque renforce le rôle central de l’appréciation de la mauvaise foi, laquelle demeure le pivot de la nullité.

Enfin, la jurisprudence constante de la Cour de cassation souligne que la sanction prévue par l’article L. 113-8 du Code des assurances s’applique indépendamment de toute influence de la fausse déclaration sur la réalisation du sinistre. Le texte est explicite : « le contrat d’assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle […] alors même que le risque omis ou dénaturé par l’assuré a été sans influence sur le sinistre ».

Il ressort de cette dissociation entre la déclaration dolosive et l’événement assuré un renversement de perspective : il ne s’agit pas de protéger l’assureur uniquement contre des sinistres non désirés, mais plus fondamentalement de préserver l’équilibre initial du contrat, compromis dès la formation par une information volontairement tronquée. Le dol, ainsi caractérisé, vicie le consentement de l’assureur non quant aux effets du contrat, mais quant à l’objet même de son engagement (v. en ce sens, Cass. 2e civ., 23 mai 2013, n° 12-19.952).

En ce sens, la jurisprudence a admis que la nullité puisse être prononcée, même si le sinistre ne présente aucun lien de causalité avec la déclaration erronée. Tel est le cas, par exemple, lorsqu’un assuré dissimule sciemment deux vols antérieurs dans une déclaration d’assurance multirisque commerçant : cette omission justifie la nullité du contrat, bien que le sinistre survenu soit un incendie sans rapport avec les vols (Cass. 1re civ., 22 janv. 2002, n°99-12.044). De même, la non-déclaration d’une hospitalisation pour sciatique entraîne la nullité du contrat, bien que la perte d’emploi litigieuse résulte d’une pathologie distincte (Cass. 2e civ., 8 juill. 2004, n°03-13.114).

La doctrine souligne ainsi que la fausse déclaration intentionnelle rompt l’équilibre actuariel du contrat en faussant l’évaluation du risque par l’assureur. Ce dernier n’a pas pu se former une opinion exacte de l’étendue du risque garanti, ce qui compromet la validité de son engagement.

Cette lecture s’impose avec d’autant plus de rigueur dans les assurances multirisques, où un seul élément mensonger suffit à contaminer l’économie globale du contrat, sauf à apprécier distinctement chaque garantie si les risques sont juridiquement divisibles (v. Cass. 2e civ., 6 juill. 2023, n° 22-11.045).

La sanction repose donc moins sur l’adéquation entre la déclaration mensongère et la réalisation du dommage que sur la gravité de la rupture de confiance qu’elle révèle. La mauvaise foi de l’assuré se trouve ainsi érigée en critère exclusif d’appréciation de la nullité, selon une logique résolument objective : c’est la loyauté dans la formation du contrat – et non la pertinence ex post des informations – qui fonde la sanction.

iii. La preuve de la mauvaise foi

L’article L. 113-8 du Code des assurances, qui prévoit la nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle de l’assuré, impose à l’assureur l’établissement d’une double preuve : démontrer, d’une part, l’inexactitude ou la réticence dans la déclaration, et, d’autre part, le caractère intentionnel de cette dissimulation. Conformément au principe de droit commun énoncé à l’article 1353 du Code civil, et à la présomption de bonne foi consacrée par l’article 2274, il appartient à celui qui invoque la mauvaise foi – en l’occurrence, l’assureur – d’en rapporter la preuve.

La jurisprudence est constante : la preuve de la fausse déclaration intentionnelle incombe intégralement à l’assureur qui entend se prévaloir de la nullité du contrat (Cass. 1re civ., 21 janv. 1957 ; Cass. crim., 13 nov. 1986). Cette charge de la preuve se révèle souvent délicate, en raison de la subjectivité inhérente à la notion d’intention dolosive. Il ne suffit pas, en effet, de constater l’inexactitude d’une réponse pour en déduire la volonté de tromper. Encore faut-il établir que l’assuré avait pleine conscience de l’importance de l’information omise ou altérée, et qu’il a volontairement cherché à fausser l’appréciation du risque par l’assureur.

Compte tenu de ce que la mauvaise foi est un fait juridique, elle peut être établie par tous moyens, dès lors que les droits de la défense sont respectés (Cass. 1re civ., 26 avr. 2000, n°97-22.560 ). Parmi les principaux éléments probatoires admis, on compte :

  • Le questionnaire écrit et signé : Il constitue l’instrument probatoire privilégié. Lorsque l’assuré a répondu par écrit à un formulaire clair, précis et intelligible, une réponse erronée, surtout à une question déterminante, pourra suffire à fonder la présomption de mauvaise foi (Cass. 2e civ., 14 avr. 2016, n° 15-18.226). La jurisprudence exige néanmoins que ce document ait bien été communiqué au souscripteur, en vertu du principe du contradictoire (Cass. 2e civ., 12 mai 2011, n° 10-19.649).
  • Les déclarations spontanées de l’assuré : En l’absence de questionnaire formalisé, la jurisprudence admet que des réponses volontairement inexactes, apportées spontanément par l’assuré, puissent suffire à établir la mauvaise foi, notamment lorsqu’elles sont consignées dans les conditions particulières signées (Cass. 2e civ., 4 févr. 2016, n° 15-13.850).
  • Les pièces médicales et administratives : En matière d’assurance de personnes, les certificats médicaux, les dossiers hospitaliers ou les antécédents judiciaires peuvent révéler que l’assuré avait nécessairement connaissance du fait omis ou dissimulé. Ces pièces doivent cependant être obtenues dans le respect du secret médical et du contradictoire. Ainsi, la désignation d’un expert judiciaire peut être sollicitée pour accéder, de manière indirecte, aux données médicales pertinentes (Cass. 1re civ., 7 déc. 2004, n° 02-12.539).
  • Les indices extérieurs et concordants : La jurisprudence admet que des indices circonstanciels puissent établir la volonté de dissimulation : correspondances privées mentionnant la vétusté d’un immeuble (Cass. 1re civ., 18 déc. 1990, n° 89-19.097), dissimulation d’un conducteur habituel non titulaire du permis (Cass. 1re civ., 17 mars 1993, n°91-14.605), ou encore déclarations incompatibles avec les fonctions exercées (Cass. 2e civ., 25 févr. 2010, n°09-13.225). De manière exceptionnelle, le recours à un enquêteur privé a pu être jugé admissible, sous réserve du respect de la vie privée et de la proportionnalité des investigations (Cass. 1re civ., 31 oct. 2012, n°11-17.476).
  • L’aveu ou la reconnaissance postérieure : L’aveu de l’assuré, même implicite, est un élément probatoire de poids. S’il reconnaît avoir volontairement minoré un élément déterminant, comme le poids réel dans une déclaration santé ou la présence de sinistres antérieurs (Cass. 2e civ., 14 juin 2012, n° 11-11.344), la preuve de sa mauvaise foi sera réputée établie.

Enfin, la jurisprudence rappelle avec constance que la seule inexactitude dans la déclaration ne suffit pas à emporter la nullité. En l’absence d’un faisceau d’éléments convergents établissant l’intention de tromper l’assureur sur l’appréciation du risque, la mauvaise foi ne peut être présumée (Cass. 2e civ., 10 déc. 2009, n° 09-10053). Cette rigueur protectrice vise à éviter que l’assureur ne transforme un simple oubli ou une négligence en dol contractuel.

Il en résulte que la preuve doit être à la fois objective (portant sur la fausseté manifeste de la déclaration) et subjective (portant sur la conscience qu’avait l’assuré de l’importance de l’élément dissimulé). L’un sans l’autre ne saurait suffire à faire prospérer l’action en nullité.

b. Les conséquences de la fausse déclaration intentionnelle

L’article L. 113-8 du Code des assurances consacre un régime autonome de nullité, dont les fondements et les effets s’écartent sensiblement de ceux qui gouvernent le droit commun des obligations contractuelles. Ce mécanisme spécifique vise à réprimer la réticence ou la fausse déclaration intentionnelle de l’assuré, dès lors que celle-ci a altéré l’appréciation que l’assureur pouvait raisonnablement se faire du risque à garantir. Il importe de souligner que cette nullité est encourue même en l’absence de tout lien de causalité entre l’élément dissimulé et la réalisation du sinistre.

Cette rigueur se justifie par l’économie particulière du contrat d’assurance, dont l’équilibre repose de manière décisive sur la transparence et la loyauté de l’information fournie par le souscripteur. En effet, le risque, objet même du contrat, n’existe aux yeux de l’assureur qu’à travers les déclarations de son cocontractant. Dès lors, toute dissimulation volontaire est de nature à vicier le fondement du consentement donné par l’assureur et à compromettre la sincérité de l’engagement qu’il a souscrit.

i. Le principe de la nullité

Le régime de nullité instauré par l’article L. 113-8 du Code des assurances présente une physionomie singulière, à la fois par son champ d’application et par sa finalité. Il trouve à s’appliquer dès lors qu’une omission ou une fausse déclaration intentionnelle, imputable à l’assuré, a eu pour effet de modifier l’objet du risque ou d’en altérer l’appréciation que l’assureur était en droit de s’en faire lors de la souscription. L’influence s’apprécie ex ante, c’est-à-dire au regard des critères qui président à la décision d’assurer — qu’il s’agisse de l’acceptation du risque, de la fixation de la prime, ou encore de l’étendue de la garantie — et ce, abstraction faite de toute considération sur la survenance effective d’un sinistre en lien avec le fait dissimulé (C. assur., art. L. 113-8, al. 1er ; v. aussi Cass. 2e civ., 23 mai 2013, n°12-19.952).

Ce régime s’applique aussi bien lors de la formation du contrat qu’au cours de son exécution, notamment à l’occasion d’une aggravation du risque que l’assuré omet volontairement de porter à la connaissance de l’assureur. Si l’article L. 113-4 du Code des assurances encadre les effets de cette omission lorsqu’elle procède de la seule négligence ou de la bonne foi, c’est à l’article L. 113-8 qu’il revient de sanctionner l’intention frauduleuse, dans une continuité jurisprudentielle affirmée dès l’arrêt fondateur du 29 septembre 1941 (Cass. civ., 29 sept. 1941 : DC 1943, p. 10, note Besson) et maintenue jusqu’à des décisions récentes (Cass. crim., 2 déc. 2014, n° 14-80.933).

L’originalité de cette nullité tient à son détachement des règles générales du droit commun. En prévoyant que la nullité peut être prononcée « indépendamment des causes ordinaires de nullité », l’article L. 113-8 du Code des assurances exclut l’exigence de démontrer un vice du consentement au sens des articles 1130 et suivants du Code civil. Il ne s’agit ni d’une erreur ni d’un dol au sens traditionnel, mais d’un mécanisme propre au droit des assurances, spécifiquement élaboré pour garantir à l’assureur une information loyale et complète sur les éléments essentiels du risque, condition sine qua non de la formation équilibrée du contrat.

Ce régime dérogatoire relève de l’ordre public de protection: il est institué au seul profit de l’assureur, qui demeure l’unique titulaire de l’action en nullité. L’assuré ne saurait s’en prévaloir, ni opposer à l’assureur une quelconque renonciation anticipée à invoquer cette nullité. Ce monopole de l’action en nullité s’explique par la finalité du texte, qui vise moins à rétablir l’équilibre contractuel qu’à sanctionner un comportement objectivement blâmable : la volonté délibérée de tromper le cocontractant sur les éléments fondamentaux de son engagement.

S’agissant enfin de l’objet même de la déclaration, il n’est pas nécessaire que l’omission ait porté sur un fait expressément visé par une question précise de l’assureur, dès lors que la formulation de celle-ci, même générale, permettait raisonnablement d’inclure le renseignement dissimulé. En ce sens, la Cour de cassation a jugé que l’assuré ne peut se prévaloir du caractère général de la question pour se soustraire à son devoir de sincérité (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n° 00-12.419). En revanche, la jurisprudence exclut toute obligation de révélation spontanée sur des points non couverts par le questionnaire, sous peine de réintroduire, en violation de la réforme de 1989, une logique de déclaration spontanée incompatible avec le modèle du questionnaire fermé (v. Cass. 2e civ., 3 juin 2010, n° 09-14.876 ; sur les textes, L. 113-2, 3°, et L. 112-3, al. 4, C. assur.).

Ainsi conçu, le mécanisme de nullité instauré par l’article L. 113-8 répond à une logique avant tout prophylactique. Il vise à dissuader les comportements déloyaux en érigeant la véracité des déclarations en condition substantielle de validité du contrat d’assurance. Le régime privilégie donc une logique de sanction fondée sur la loyauté contractuelle, plutôt qu’une réparation fondée sur le seul déséquilibre économique de la prestation.

ii. Les effets de la nullité

==>À l’égard des parties

La nullité du contrat prononcée sur le fondement de l’article L. 113-8 du Code des assurances entraîne la disparition rétroactive du lien contractuel. Le contrat est réputé n’avoir jamais existé à compter de la date à laquelle la fausse déclaration intentionnelle a été commise. Cette date correspond, selon les cas, soit à celle de la formation du contrat, soit à celle de l’événement postérieur ayant constitué une aggravation dolosive du risque (Cass. crim., 2 déc. 2014, n°14-80.933).

Cette rétroactivité produit des conséquences particulièrement sévères : l’assureur retrouve le droit de réclamer le remboursement de toutes les sommes versées à compter de la fausse déclaration. Ces versements sont considérés comme dépourvus de cause juridique, puisque la garantie n’aurait jamais dû être accordée (Cass. 2e civ., 16 juin 2022, n° 20-20.745).

Cependant, la restitution ne peut être exigée que de la personne ayant effectivement perçu les fonds. Ainsi, lorsqu’une société est bénéficiaire des prestations versées, son dirigeant ne peut être tenu personnellement à restitution, sauf à démontrer sa participation effective à la manœuvre dolosive.

À la différence du régime général de la nullité des contrats, l’article L. 113-8, alinéa 2, interdit à l’assuré de revendiquer la restitution des primes versées, même si l’assureur n’a en réalité jamais assumé le moindre risque. Les primes demeurent acquises à l’assureur et celles qui n’ont pas encore été payées sont dues à titre de dommages et intérêts.

La règle est sévère. Elle traduit une volonté du législateur de ne pas traiter la nullité comme une simple correction d’un déséquilibre contractuel, mais comme une véritable sanction, destinée à punir l’assuré de mauvaise foi. Cette règle est perçue en doctrine comme l’expression d’une “peine privée”.

Par exception, en matière d’assurance sur la vie, la sanction est atténuée. L’article L. 113-8, alinéa 3, combiné à l’article L. 132-18 du Code des assurances, impose à l’assureur de restituer la provision mathématique constituée au jour de la nullité, même en cas de fausse déclaration intentionnelle. Cette règle s’explique par la nature particulière du contrat d’assurance vie, qui repose avant tout sur une logique d’épargne : l’assureur capitalise des fonds pour le compte de l’assuré. Lui refuser toute restitution reviendrait à permettre un enrichissement injustifié du professionnel.

Par ailleurs, lorsqu’un contrat couvre plusieurs risques, la jurisprudence opère une appréciation in concreto de la portée de la fausse déclaration. Si cette dernière ne concerne qu’un seul risque, la nullité pourra être partielle (Cass. 2e civ., 2 avr. 2009, n° 08-12.942). En revanche, si les garanties sont indivisibles, notamment du fait d’une prime globale assise sur un critère unique, la nullité affectera l’intégralité du contrat (Cass. 1re civ., 22 janv. 2002, n°99-12.044). Ce principe d’indivisibilité joue ici à plein, fondée sur une approche fonctionnelle du contrat.

Enfin, la nullité fondée sur l’article L. 113-8 peut être invoquée à tout moment par l’assureur, y compris après l’expiration du délai de prescription biennale prévu à l’article L. 114-1 du Code des assurances. En effet, lorsqu’elle est soulevée par voie d’exception pour faire obstacle à une demande de garantie ou de règlement, la nullité échappe aux règles de prescription applicables aux actions en justice (Cass. 2e civ., 12 mars 2009, n°08-11.444). Cette faculté renforce la portée dissuasive du dispositif.

==>À l’égard des tiers

Conformément à l’article L. 112-6 du Code des assurances, la nullité est opposable à tout tiers au contrat qui en revendique les effets. Cela inclut notamment les bénéficiaires désignés, les assurés pour compte et les victimes agissant par la voie de l’action directe.

Ainsi, la jurisprudence constante considère que la victime ne peut invoquer l’inopposabilité de la nullité prononcée sur le fondement de l’article L. 113-8, même si celle-ci est révélée à l’occasion du sinistre (Cass. crim., 12 juin 2012, n° 11-87.395). Cette rigueur a cependant été tempérée en matière d’assurance automobile.

Sous l’effet de la directive européenne n° 2009/103/CE et de son interprétation par la CJUE (CJUE, 20 juill. 2017, aff. C-287/16), le législateur français a inséré un article L. 211-7-1 dans le Code des assurances, interdisant à l’assureur d’opposer la nullité du contrat à la victime d’un accident de la circulation ou à ses ayants droit. Cette nullité reste toutefois opposable à l’assuré, même s’il est également victime de l’accident, sauf dans les hypothèses d’abus de droit (CJUE, 19 sept. 2024, aff. C-236/23, Matmut).

Enfin, l’assureur conserve la possibilité d’exercer un recours subrogatoire contre l’assuré responsable après indemnisation de la victime, afin de récupérer les sommes versées, dès lors que ce dernier a contribué par sa fraude à la production du sinistre (Cass. 2e civ., 8 févr. 2006, n° 05-16.031).

iii. Les tempérament aux effets de la nullité

Si la nullité fondée sur l’article L. 113-8 du Code des assurances frappe l’assuré de mauvaise foi avec une sévérité toute particulière, elle n’en constitue pas pour autant un pouvoir discrétionnaire et sans limite entre les mains de l’assureur. Divers mécanismes, d’origine légale, jurisprudentielle ou contractuelle, concourent à en atténuer, voire à en neutraliser les effets. Ces tempéraments, inspirés tant de l’équité que de la protection de l’ordre public économique, assurent un équilibre entre la nécessaire répression de la fraude et les exigences de sécurité juridique.

==>La renonciation, expresse ou tacite, de l’assureur

L’assureur qui, en pleine connaissance de la fausse déclaration, poursuit l’exécution du contrat sans réserve, peut être présumé avoir renoncé à se prévaloir de la nullité. Cette renonciation peut être explicite, par exemple par une déclaration formelle d’intention, ou tacite, lorsqu’elle résulte d’un comportement non équivoque tel que le versement d’une indemnité ou la perception de primes postérieurement à la découverte de l’irrégularité (Cass. 1re civ., 12 juin 2012, n° 11-12.443). À l’inverse, un simple acte d’exécution du contrat, accompli sans pleine conscience du manquement, ne saurait emporter renonciation implicite.

Deux présomptions légales encadrent ce mécanisme : l’article L. 113-4 du Code des assurances en matière d’aggravation du risque, et l’article L. 113-17 en matière de direction du procès. Dans les deux cas, la renonciation se déduit de la continuité d’un comportement actif et volontaire. Toutefois, la jurisprudence demeure exigeante : la preuve d’une volonté dépourvue d’ambiguïté reste nécessaire.

==>La complicité ou la connaissance du mandataire de l’assureur

Un autre frein à l’action en nullité réside dans l’attitude des représentants de l’assureur. Lorsqu’il est établi que le mandataire – courtier, agent général ou préposé – avait connaissance de la fausse déclaration, ou y a contribué, l’assureur se voit privé de la faculté d’invoquer la nullité, en vertu de l’article L. 511-1 du Code des assurances, qui rend l’entreprise d’assurance civilement responsable des actes de ses mandataires (Cass. 1re civ., 4 avr. 1995, n° 92-20.112).

Cette jurisprudence s’inscrit dans une logique de loyauté : l’assureur ne saurait se prévaloir d’une irrégularité qu’il a contribué à faire naître, directement ou par l’entremise de son représentant. La charge de la preuve pèse ici sur l’assuré, qui devra établir, avec un degré suffisant de certitude, la connaissance ou la participation du mandataire à l’anomalie déclarative.

==>Dispositions dérogatoires

Le régime de nullité prévu par l’article L. 113-8 cède également devant des dispositifs spéciaux ou conventionnels, tels que l’article L. 113-10 du Code des assurances relatif aux assurances à primes et risques variables. Ce dernier texte instaure une sanction alternative – le versement d’une indemnité plafonnée – qui, lorsqu’il a été contractuellement stipulé, évince le recours à la nullité (Cass. 1re civ., 31 mars 1998, n° 96-12.526). Il en va de même lorsque le contrat prévoit un régime spécifique de sanction en cas de déclaration erronée, à condition que ce régime ait été clairement exprimé.

De manière générale, l’assureur ne peut cumuler les sanctions issues du droit spécial et celles issues du droit commun ou du droit spécial d’ordre public : la nullité ne peut être actionnée que si elle n’est pas exclue par une disposition spéciale ou par l’application d’un texte dérogatoire.

==>Les clauses d’incontestabilité

Dans certaines branches, notamment en matière d’assurance de personnes ou de contrats collectifs, il est d’usage de stipuler une clause dite d’incontestabilité, aux termes de laquelle l’assureur renonce, après un certain délai, à invoquer la nullité pour fausse déclaration.

Si ces clauses sont valables en principe, elles ne peuvent avoir pour effet de couvrir une manœuvre frauduleuse manifeste. Ainsi, la jurisprudence considère qu’elles ne sauraient faire obstacle à l’application de l’article L. 113-8 dans les cas de réticence ou de déclaration mensongère caractérisée (Cass. 1re civ., 20 juin 2000, n° 98-10.655). La clause d’incontestabilité doit donc être interprétée avec rigueur, et ne saurait priver l’assureur de la faculté d’agir contre l’assuré de mauvaise foi.

==>Les correctifs tenant à l’ordre public de protection

Enfin, certaines hypothèses spécifiques appellent une modulation des effets de la nullité, au nom de l’ordre public de protection, en particulier lorsque sont en cause des victimes d’accidents de la circulation. En vertu des articles L. 211-1 et L. 211-7-1 du Code des assurances, introduits à la suite de la jurisprudence Fidelidade (CJUE, 20 juill. 2017, aff. C-287/16), la nullité n’est pas opposable aux tiers victimes d’un accident impliquant un véhicule terrestre à moteur, même si elle repose sur une fausse déclaration intentionnelle du souscripteur (Cass. 2e civ., 16 janv. 2020, n° 18-23.381).

Contrat d’assurance: les déclarations tardives

L’obligation d’information qui pèse sur l’assuré pendant l’exécution du contrat implique, en cas de survenance de circonstances nouvelles susceptibles d’aggraver sensiblement le risque garanti ou d’en créer de nouveaux, une déclaration dans un délai de quinze jours à compter du moment où il en a connaissance (C. assur., art. L. 113-2, 3°). Le manquement à cette obligation, lorsqu’il ne relève ni de la mauvaise foi ni d’une volonté frauduleuse, ne tombe pas sous le coup des articles L. 113-8 ou L. 113-9 du Code des assurances. Il relève d’un régime autonome, institué par la loi du 31 décembre 1989, et organisé par l’article L. 113-2, alinéa 9.

1. Principe

Le retard dans la déclaration par l’assuré d’une circonstance nouvelle aggravant le risque assuré est encadré par un régime juridique spécifique, introduit par la loi du 31 décembre 1989. Il est régi par l’article L. 113-2, alinéa 9 du Code des assurances, qui énonce que «?lorsqu’elle est prévue par une clause du contrat, la déchéance pour déclaration tardive ne peut être opposée à l’assuré que si l’assureur établit que le retard dans la déclaration lui a causé un préjudice.?»

Ce dispositif, qui rompt avec la logique antérieure de sanction automatique, repose sur trois conditions strictement cumulatives.

a. La stipulation d’une clause contractuelle

En premier lieu, la déchéance ne peut produire d’effet que si elle est expressément stipulée dans le contrat d’assurance. Cette exigence est constante en jurisprudence : une clause générale ou implicite ne suffit pas. La Cour de cassation a ainsi jugé inopposable à l’assuré une sanction de déchéance qui n’était pas spécifiquement prévue à ce titre dans la police (Cass. 1re civ., 24 févr. 1965).

À cette exigence de fond s’ajoute une exigence de forme, issue de l’article L. 112-4, alinéa 2 du Code des assurances : la clause doit être rédigée en caractères très apparents afin que l’assuré en ait eu une connaissance effective. Cette prescription vise à garantir l’efficacité de l’information précontractuelle. La jurisprudence en a fait une condition d’opposabilité : la clause ne peut produire d’effet que si sa présentation matérielle attire suffisamment l’attention de l’assuré (Cass. 1re civ., 9 mai 1994, n° 92-12.990).

b. La démonstration d’un préjudice imputable au retard

En second lieu, l’assureur ne peut invoquer la déchéance qu’à la condition de prouver que le retard dans la déclaration lui a causé un préjudice. Cette exigence, introduite par la loi du 31 décembre 1989, marque une rupture avec le régime antérieur, qui admettait la déchéance sans exigence de justification.

Le préjudice peut résider, par exemple, dans l’impossibilité de réévaluer le montant de la prime à due concurrence du risque nouvellement aggravé, dans une perte de chance de résilier le contrat à temps, ou encore dans l’exposition à un risque qu’il n’aurait pas accepté de garantir. Il appartient à l’assureur d’en apporter la preuve concrète, et non de se contenter d’alléguer abstraitement une atteinte à l’équilibre du contrat (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-21.869). Cette appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond, qui peuvent refuser la déchéance en l’absence de démonstration suffisante du lien entre le retard et le préjudice invoqué.

c. L’absence de cause légitime justifiant le retard

La troisième condition requise pour que la déchéance soit valablement opposée à l’assuré tient à l’absence de toute cause légitime faisant obstacle à la déclaration dans le délai requis. En effet, l’article L. 113-2, alinéa 9 prévoit expressément que « […] elle [la déchéance] ne peut également être opposée dans tous les cas où le retard est dû à un cas fortuit ou de force majeure. »

Ce correctif vise à exclure toute sanction lorsque l’assuré s’est trouvé, de manière objectivement insurmontable, dans l’impossibilité de déclarer l’aggravation du risque dans le délai de quinze jours prévu à l’article L. 113-2, 2°.

Si la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée explicitement sur les contours de cette exception, il convient de l’apprécier à la lumière des critères généraux issus du droit commun : le cas fortuit ou la force majeure se caractérisent par un événement imprévisible, irrésistible et extérieur à la volonté du débiteur, ici l’assuré. La preuve de cette impossibilité objective pèse sur ce dernier.

Ainsi, l’assureur ne saurait se prévaloir de la clause de déchéance si l’assuré démontre que le manquement allégué procède d’une situation sur laquelle il n’avait aucune prise, telle qu’une hospitalisation d’urgence, une incapacité cognitive temporaire, ou encore une impossibilité de communication matériellement vérifiable.

2. Limites

Le régime juridique instauré à l’article L. 113-2, alinéa 9 du Code des assurances soulève de sérieuses interrogations quant à la nature exacte de la sanction encourue par l’assuré en cas de déclaration tardive d’une aggravation du risque. Si le législateur qualifie expressément cette sanction de « déchéance », cette terminologie apparaît, à l’analyse, inadaptée.

Traditionnellement, la déchéance de garantie vise à sanctionner le non-respect, par l’assuré, de ses obligations postérieures à la réalisation du sinistre – telles que le manquement aux délais de déclaration du sinistre ou l’inobservation de mesures de sauvegarde (v. notamment : Cass. 1re civ., 15 juin 1931). Or, en matière de déclaration des circonstances aggravantes, le manquement reproché est antérieur au sinistre, puisque le retard concerne une obligation de mise à jour du risque en cours de contrat. Il s’agit donc d’un manquement pré-sinistre, ce qui rend impropre la qualification traditionnelle de « déchéance ».

Plusieurs auteurs ont relevé que le régime institué à l’article L. 113-2, alinéa 9, repose sur une logique indemnitaire, dans la mesure où l’assureur ne peut opposer la déchéance que s’il établit l’existence d’un préjudice subi du fait du retard. Cette condition essentielle – posée par le texte – rapproche davantage cette sanction du régime de la responsabilité contractuelle que de celui d’une déchéance stricto sensu (v. not. Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-21.869). De fait, l’obligation d’identifier et de démontrer un dommage – qu’il soit économique (non-révision de la prime), actuariel (exposition à un risque non tarifé), ou encore informationnel – en fait un outil correctif plus qu’un mécanisme répressif.

Surtout, la conséquence juridique de ce manquement – à savoir la perte totale du droit à garantie – interroge au regard du principe de proportionnalité qui irrigue par ailleurs le droit des assurances. En cas d’inexactitude – non intentionnelle – des déclarations contestées le Code prévoit une simple réduction proportionnelle de l’indemnité (art. L. 113-9 C. assur.), ce qui ménage la position de l’assuré de bonne foi. À l’inverse, la déchéance pour déclaration tardive s’applique indifféremment, sans égard à la bonne ou à la mauvaise foi de l’assuré, frappant avec la même sévérité le simple retard non intentionnel et l’omission délibérée. Une telle rigueur contraste singulièrement avec les principes de modulation des sanctions qui prévalent ailleurs en droit des assurances.

On pourrait objecter qu’un recours à une clause d’exclusion de garantie, plus cohérent conceptuellement pour sanctionner un défaut de déclaration affectant le champ du risque couvert, serait juridiquement préférable. Cependant, cette solution serait moins protectrice des tiers lésés : en matière de responsabilité, la clause d’exclusion produit des effets erga omnes et peut donc être opposée aux victimes (sous réserve des exceptions légales, v. C. assur., art. L. 124-3), contrairement à la déchéance conventionnelle, qui est inopposable aux tiers (Cass. 1re civ., 15 juin 1931, préc.). C’est sans doute pour cette raison que le législateur a maintenu ce mécanisme hybride – malgré ses faiblesses conceptuelles – dans une perspective de conciliation entre les intérêts de l’assureur et la nécessaire protection des tiers en matière d’assurance de responsabilité.

L’exécution de la promesse de porte-fort

Si la promesse de porte-fort intrigue par sa nature, elle suscite tout autant d’interrogations quant à ses modalités d’exécution. En effet, le simple fait que le promettant s’engage à obtenir d’un tiers un comportement déterminé ne saurait suffire à en épuiser les effets juridiques. C’est au stade de la mise en œuvre de cette promesse – qu’il s’agisse de provoquer une ratification, d’obtenir la conclusion d’un acte ou encore de garantir l’exécution d’une obligation – que se révèle la complexité du mécanisme.

À la croisée des obligations contractuelles, de la liberté individuelle et de la technique des garanties, l’exécution de la promesse de porte-fort repose sur une articulation subtile entre la rigueur de l’engagement souscrit par le promettant et la pleine autonomie du tiers concerné. Car si le promettant est tenu, le tiers, lui, demeure libre. Cette tension originelle structure toute l’économie de la promesse et en conditionne les effets.

C’est donc dans le mouvement même de son exécution – ou de sa non-exécution – que la promesse de porte-fort déploie ses conséquences, tant à l’égard du promettant que vis-à-vis du tiers. Encore faut-il distinguer les figures du porte-fort de ratification, de conclusion et d’exécution, chacune obéissant à une logique propre, mais répondant à un principe commun : le respect du caractère intersubjectif du lien contractuel.

A) Les modalités d’exécution de la promesse de porte-fort

La promesse de porte-fort, en tant qu’engagement personnel du promettant à obtenir d’un tiers la réalisation d’un fait – conclusion, ratification ou exécution d’un acte – n’épuise pas ses effets dans sa seule formation. Elle appelle, pour produire pleinement ses conséquences, une phase d’exécution, dont les modalités varient selon la nature de l’engagement, mais dont l’économie repose sur une structure commune articulée autour de la liberté du tiers, de la rigueur dans la preuve, et d’un régime différencié selon que l’on se trouve face à un porte-fort de ratification, de conclusion ou d’exécution.

1. Une exécution soumise à la libre volonté du tiers

Le principe directeur est celui de la liberté d’exécution du tiers. En vertu de l’article 1199 du Code civil, le contrat formé entre le promettant et le bénéficiaire ne saurait produire d’effet à l’égard du tiers tant que celui-ci n’y adhère pas de sa propre initiative. Qu’il s’agisse de conclure un contrat, d’y adhérer a posteriori ou d’exécuter une obligation déterminée, le tiers ne peut y être juridiquement contraint. La ratification, la conclusion ou l’exécution ne sauraient donc résulter que d’un acte volontaire du tiers.

Ce principe demeure même lorsque le tiers est, en pratique, intimement lié au promettant – en tant que parent, conjoint, associé ou, plus encore, héritier. Ainsi, le tiers successeur du porte-fort pourrait être tenté de satisfaire à l’engagement de son auteur afin d’éviter de voir sa responsabilité engagée sur le fondement d’une inexécution. Mais cette pression d’ordre moral ou économique ne saurait abolir sa liberté juridique. La jurisprudence, sur ce point, est constante : même en présence de liens successoraux, l’obligation de ratifier ne saurait être imposée (Cass. 1re civ., 26 nov. 1975, n°74-10.356).

Certaines décisions plus anciennes ont pu laisser croire que les héritiers du promettant seraient tenus de ratifier l’acte litigieux (Cass. civ., 28 juin 1859), mais ces arrêts doivent être relus à la lumière des circonstances particulières qui les fondaient. Ils concernaient en effet des cas où le porte-fort était également personnellement engagé, notamment en qualité de co-indivisaire ayant aliéné sa part : les héritiers étaient alors tenus non en tant que tiers, mais au titre de l’obligation de garantie contre l’éviction, transmise de plein droit.

2. L’acte de ratification dans le porte-fort de ratification

Lorsque le porte-fort s’analyse comme un engagement de faire ratifier un acte préalablement conclu, l’exécution promise prend classiquement la forme de la ratification du contrat par le tiers. Celle-ci, au sens strict, s’entend d’un acte juridique unilatéral, par lequel une personne approuve l’acte accompli pour elle mais sans mandat, en en endossant les effets à titre personnel. L’effet juridique en est déterminant : le contrat devient pleinement opposable au tiers, avec effet rétroactif, conformément à l’alinéa 3 de l’article 1204 du Code civil.

La ratification peut être expresse – par déclaration ou écrit non équivoque – ou tacite, lorsque le comportement du tiers manifeste sans ambiguïté sa volonté d’adhérer à l’acte (Cass., ass. plén., 22 avr. 2011, n° 09-16.008). La jurisprudence a ainsi déduit une ratification de l’exécution du contrat ou de la poursuite volontaire d’une situation contractuelle connue (Cass. 1re civ., 15 mai 2008, n° 06-20.806).

La forme de la ratification ne fait l’objet d’aucun formalisme particulier. Toutefois, certains auteurs estiment qu’un principe de parallélisme des formes pourrait s’imposer lorsque le contrat dont la ratification est attendue est soumis à une exigence de forme ad solemnitatem. Ainsi, une ratification d’un contrat solennel – tel qu’un contrat de mariage ou une hypothèque – devrait intervenir sous la même forme (Savatier, Boulanger). Cette thèse, bien que discutée, s’inscrit dans une logique de protection du consentement : si la forme vise la protection de la personne, elle doit s’étendre à tout acte préparatoire. À l’inverse, si elle tend à garantir les tiers, la ratification peut échapper à cette contrainte.

Enfin, il n’est pas exclu que la ratification soit réalisée par un tiers substitué au bénéficiaire désigné initialement, pourvu que le contrat le prévoie expressément (Cass. 3e civ., 26 juin 1996, n° 94-18.525).

3. L’exécution dans le porte-fort d’exécution

Lorsque l’engagement porte non sur l’adhésion à un acte, mais sur l’exécution d’une obligation déterminée – obligation de faire, de ne pas faire, voire de payer une somme d’argent – la réalisation du fait promis par le tiers suffit à libérer le promettant (art. 1204, al. 2 C. civ.). Il ne s’agit plus ici de ratification au sens technique du terme, mais bien d’un comportement d’exécution, constaté dans les faits.

La doctrine s’accorde pour dire que cette hypothèse, très fréquente dans la pratique contractuelle (distribution, cession de droits sociaux, engagement post-cession…), repose sur une logique différente : ce n’est pas l’adhésion rétroactive à un acte passé qui est attendue, mais la réalisation d’une prestation future. Il n’existe donc pas d’effet rétroactif. Le tiers n’est pas tenu, mais s’il exécute spontanément l’obligation, le promettant est libéré.

Ainsi, la distinction entre porte-fort de ratification et porte-fort d’exécution appelle une vigilance terminologique : si la ratification reste un acte juridique unilatéral, l’exécution dans le second cas est un simple fait juridique, étranger à toute notion de consentement rétroactif. Confondre les deux reviendrait à méconnaître les effets distincts qu’ils emportent, notamment en matière de responsabilité du promettant.

B) Les effets de l’exécution de la promesse

Lorsque le fait promis par le porte-fort n’est pas réalisé – en particulier, lorsque le tiers refuse de ratifier l’acte ou ne satisfait pas à l’obligation visée – l’économie de la promesse est bouleversée. Toutefois, cette inexécution ne produit pas les mêmes effets selon que l’on se place du point de vue du promettant ou de celui des tiers.

1. Les effets à l’égard du porte-fort

L’inexécution du fait promis par le tiers fait reposer la charge de la responsabilité exclusivement sur le porte-fort, lequel s’est personnellement engagé envers le bénéficiaire à l’obtention d’un comportement ou d’un acte d’autrui. Cette construction singulière du droit des obligations est expressément consacrée à l’article 1204, alinéa 2 du Code civil, qui érige la promesse de porte-fort en obligation autonome de faire.

En effet, l’engagement du porte-fort est un engagement de faire, plus précisément de faire faire. Or, l’ordre juridique exclut qu’une telle obligation puisse être exécutée par équivalent ou par contrainte directe. La jurisprudence, constante sur ce point, rejette toute possibilité d’exécution forcée, en nature ou sous astreinte, de l’obligation issue de la promesse. La Cour de cassation refuse ainsi de condamner le promettant à réaliser personnellement l’obligation qu’il s’était engagé à faire exécuter par un tiers (Cass. 1re civ., 7 mars 2018, n° 15-21.244), au motif que cela reviendrait à le substituer au débiteur initial, ce qui excède la nature même de l’engagement contracté.

La sanction attachée à cette inexécution se limite donc à une condamnation en dommages-intérêts. L’engagement du porte-fort, bien qu’il ait pu être qualifié par la doctrine ancienne de « garantie d’exécution », n’implique pas une obligation de résultat assimilable à celle de la caution. Il s’agit d’une obligation autonome dont l’inexécution, quelle qu’en soit la cause, ouvre droit à réparation, sous la forme indemnitaire, et non à l’exécution en nature.

L’indemnisation allouée au bénéficiaire n’est pas automatique ni nécessairement équivalente à la prestation promise. Contrairement à la caution, qui s’engage à exécuter l’obligation principale en cas de défaillance du débiteur, le porte-fort s’engage uniquement à obtenir cette exécution. Il ne saurait donc être mécaniquement tenu à la dette d’autrui. Dès lors, le montant des dommages-intérêts n’est pas nécessairement calqué sur la valeur du contrat non exécuté.

L’appréciation du préjudice relève d’un pouvoir souverain des juges du fond, qui doivent évaluer le dommage dans les limites de la prévisibilité au jour de la conclusion de la promesse (C. civ., art. 1231-3). La réparation peut être équivalente à la somme non perçue ou à la perte de chance, selon les circonstances (Cass. com. 30 juin 2009, n° 08-12.975). Par exemple, dans un arrêt de principe du 18 avril 2000, la société s’était engagée à garantir le maintien dans l’emploi d’un salarié jusqu’à l’âge légal de la retraite (Cass. 1re civ., 18 avr. 2000, n°98-15.360). Le licenciement prématuré du salarié a conduit à une condamnation à hauteur de 500 000 francs, soit une somme nettement inférieure au montant des rémunérations escomptées jusqu’à 60 ans. Cette solution illustre l’attachement de la jurisprudence à la spécificité de l’engagement de porte-fort, en refusant de confondre l’indemnisation du préjudice avec l’exécution pure et simple du contrat.

Comme l’a relevé la doctrine, ce raisonnement participe d’un retour à l’orthodoxie juridique: la responsabilité du porte-fort repose exclusivement sur la non-réalisation du fait promis, et non sur l’objet du contrat qui devait en résulter. C’est donc le préjudice réel du bénéficiaire – perte d’un avantage, perte de chance, frais engagés – qui fonde l’indemnisation.

Le porte-fort conserve toutefois la possibilité de s’exonérer de sa responsabilité, selon les règles classiques de la responsabilité contractuelle. Il pourra, par exemple, démontrer l’existence d’une cause étrangère, qu’il s’agisse d’un cas de force majeure ou d’une faute du bénéficiaire (C. civ., art. 1231-1). Toutefois, seule une faute exclusive de ce dernier pourra libérer totalement le promettant (Cass. com. 22 mai 2002, n° 00-12.523). La force majeure est, quant à elle, plus difficile à caractériser, car elle doit affecter l’obligation propre du porte-fort, et non celle du tiers (C. civ., art. 1218).

Sur le plan conventionnel, les parties peuvent aménager la responsabilité du porte-fort. Il est ainsi admis de stipuler une clause pénale, fixant forfaitairement le montant de l’indemnité due en cas d’inexécution (C. civ., art. 1231-5). Toutefois, cette clause est susceptible de modulation par le juge si elle présente un caractère manifestement excessif ou dérisoire, ou encore si l’obligation a été exécutée partiellement.

Il est également loisible de prévoir une limitation de responsabilité, sous réserve du respect des exigences issues du droit commun des contrats. Toute clause qui porterait atteinte à l’obligation essentielle serait réputée non écrite (art. 1170 C. civ.). De même, dans les contrats d’adhésion, les clauses créant un déséquilibre significatif au détriment de l’adhérent pourront être frappées de nullité (art. 1171 C. civ.), voire qualifiées de clauses abusives dans les relations de consommation (art. R. 212-1, 6° C. consom.). La jurisprudence récente souligne l’exigence de vigilance dans la rédaction de telles clauses (Cass. 1re civ., 26 janv. 2022, n° 20-16.782).

Enfin, il importe de rappeler que l’action en responsabilité fondée sur la promesse de porte-fort ne bénéficie qu’au seul cocontractant du promettant, c’est-à-dire au bénéficiaire de la promesse. Cette action est exclusivement personnelle : elle ne saurait être exercée par un tiers ni étendue au profit de personnes non parties à l’engagement (Cass. com. 6 janv. 1998, n° 95-11.763). Cette solution consacre le caractère essentiellement intersubjectif de la promesse de porte-fort, qui constitue une figure spécifique du droit des obligations inter partes.

2. Les effets à l’égard des tiers

L’un des fondements cardinaux du droit des contrats tient à l’effet relatif des conventions: elles n’engagent que les parties. La promesse de porte-fort, en ce qu’elle tend à garantir le comportement d’un tiers, ne fait pas exception à ce principe. Ainsi, le tiers auquel se rapporte la promesse ne saurait être tenu par elle, ni s’en prévaloir, tant qu’il n’a pas exprimé son adhésion à l’acte.

L’article 1199 du Code civil, issu de la réforme de 2016, énonce que « le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties ». Il confirme la jurisprudence antérieure qui affirmait que le tiers demeure totalement étranger à l’acte conclu entre le promettant et le bénéficiaire. Ce principe revêt une portée d’autant plus forte en matière de porte-fort que l’on pourrait être tenté de faire peser sur le tiers une pression contractuelle indirecte : or, cette tentation doit être écartée.

Le tiers ne saurait ainsi être tenu de respecter les stipulations de la promesse ni être juridiquement inquiété en cas de non-réalisation du fait promis. Il conserve, en principe, une entière liberté de comportement. Le bénéficiaire de la promesse ne dispose d’aucune action directe contre lui, la sanction de l’inexécution pesant uniquement sur le porte-fort.

La seule hypothèse dans laquelle le tiers se trouve lié par la promesse est celle où il y ratifie l’objet. Cette ratification peut être expresse ou tacite (C. civ., art. 1204, al. 1er). Par ce mécanisme, le tiers devient rétroactivement partie au contrat initial, lequel produit dès lors tous ses effets à son égard. Cette transformation de la promesse en engagement parfait s’opère sans qu’il soit besoin d’un nouvel acte.

La ratification tacite, bien que plus délicate à établir, peut être déduite de comportements non équivoques, tels qu’une exécution volontaire, des courriers manifestant l’intention d’honorer l’engagement, ou l’absence d’objection dans un contexte contractuel explicite. Toutefois, la preuve d’une telle ratification repose sur celui qui l’invoque, et les tribunaux se montrent légitimement exigeants dans leur appréciation.

À défaut de ratification, la promesse demeure sans effet à l’égard du tiers : l’inexécution du fait promis ne saurait lui être imputée.

Lorsque la promesse de porte-fort concerne la conclusion par le tiers d’un contrat déterminé, et que celui-ci ne ratifie pas l’engagement, la question de la survie du contrat principal se pose. En pareil cas, le contrat conclu par le promettant seul, sans le pouvoir ou le consentement du tiers, se trouve privé d’un élément essentiel : l’accord de volonté de la véritable partie concernée. Cette situation engendre la caducité du contrat, conformément à l’article 1186 du Code civil, qui prévoit que « le contrat devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît ».

La caducité se distingue ici de la nullité en ce qu’elle suppose un contrat valablement formé, mais devenu inopérant du fait de la défaillance d’un élément postérieur à sa formation : en l’occurrence, la non-ratification. Elle entraîne la disparition rétroactive du contrat, sauf si celui-ci a d’ores et déjà produit des effets irréversibles, comme un transfert de propriété, auquel cas la restitution devra être ordonnée, sauf prescription acquisitive (Cass. 1ère civ., 6 juin 1990, n° 88-16.896).

Une jurisprudence plus récente, en matière de contrats interdépendants, reconnaît d’ailleurs la possibilité d’une rétroactivité de la caducité (Cass. com. 5 juin 2007, n°04-20.380), ce qui conforte la thèse d’un anéantissement complet du contrat en l’absence de ratification.

Malgré l’absence de tout effet obligatoire à l’égard du tiers, certaines situations peuvent justifier son implication sur des fondements extracontractuels, et notamment quasi-contractuels.

La gestion d’affaires (C. civ., art. 1301) pourrait être invoquée lorsque le porte-fort agit dans l’intérêt manifeste du tiers et en son absence. Si les conditions sont réunies (initiative utile, absence de mandat, diligence conforme à l’intérêt du géré), le tiers pourra être tenu d’indemniser les frais engagés.

L’enrichissement injustifié (C. civ., art. 1303) peut également constituer un fondement d’action dans l’hypothèse où le tiers a profité de la promesse sans cause légitime, au détriment du bénéficiaire. Encore faudra-t-il démontrer un appauvrissement corrélatif et l’absence de cause juridique à l’enrichissement.

Ces mécanismes demeurent subsidiaires et sont soumis à une appréciation stricte des juridictions. Ils illustrent cependant que le tiers, bien que fondamentalement étranger à la promesse, n’échappe pas toujours totalement à toute forme de responsabilité, dès lors que son comportement ou son bénéfice objectif dépasse la simple passivité contractuelle.

La forme de la promesse de porte-fort

La promesse de porte-fort, comme la plupart des engagements contractuels, n’obéit à aucun formalisme ad validitatem. Elle peut être exprimée de manière expresse ou résulter de circonstances traduisant une volonté non équivoque de s’engager pour autrui. Toutefois, son identification soulève des exigences accrues en matière probatoire, en particulier lorsqu’elle est implicite, et connaît des limites lorsqu’elle s’inscrit dans le périmètre d’actes solennels ou juridiquement protégés.

==>Principe

La jurisprudence constante reconnaît que la promesse de porte-fort peut naître aussi bien d’un engagement explicite que d’une manifestation implicite de volonté. Encore faut-il, dans ce dernier cas, que les faits invoqués traduisent avec certitude l’intention du promettant de s’obliger pour un tiers. C’est précisément ce qu’exige la Cour de cassation lorsqu’elle affirme que l’engagement tacite « ne peut résulter que d’actes manifestant l’intention certaine du promettant de s’engager pour un tiers » (Cass. 1re civ., 17 juill. 2001, n° 98-10.827).

Cette exigence permet d’écarter toute assimilation mécanique entre promesse pour autrui et promesse de porte-fort, contre laquelle s’élèvent nombre d’auteurs, en dépit des arguments tirés de l’article 1191 du Code civil – selon lequel, en cas de doute sur le sens d’une clause, il convient de retenir celui qui lui donne effet. Certes, plusieurs auteurs classiques, à l’instar de Demolombe, Saleilles ou encore Baudry-Lacantinerie, ont soutenu qu’il fallait préférer une interprétation utile à une lecture neutralisante, même au prix d’une reconstruction implicite de la volonté. Mais cette approche, critiquée par la doctrine moderne, heurte tant l’article 1190 du Code civil, qui impose en cas de doute une lecture favorable au débiteur, que l’impératif de sécurité juridique.

Il en résulte qu’en dehors d’une stipulation claire, la promesse de porte-fort ne saurait être inférée qu’avec la plus grande prudence. Elle requiert, même de manière tacite, une démonstration positive de la volonté du promettant de garantir le comportement d’autrui. À cet égard, la rédaction d’un écrit, bien que non obligatoire, peut constituer un indice fort de l’intention d’engagement, notamment lorsqu’elle vise à suppléer un défaut de pouvoir ou à assurer la ratification d’un acte préalablement conclu.

==>Limites

La souplesse formelle attachée au porte-fort connaît toutefois d’importantes restrictions lorsque l’acte en cause est soumis à un formalisme ad solemnitatem. En effet, dès lors que le législateur exige la comparution personnelle de la partie à l’acte ou l’accomplissement d’une manifestation de volonté authentifiée, la substitution par un porte-fort devient inopérante.

C’est notamment le cas en matière de conventions matrimoniales, où l’article 1394 du Code civil impose la présence et le consentement simultané des futurs époux ou de leurs mandataires dûment habilités, devant notaire. La jurisprudence a ainsi très tôt invalidé les pratiques consistant, pour les parents, à conclure le contrat de mariage de leurs enfants en se portant fort de leur ratification (v. par ex. Cass. civ., 29 mai 1854), en considérant que cette substitution méconnaît les exigences protectrices du formalisme matrimonial. La ratification ultérieure par les époux eux-mêmes n’a aucun effet : la nullité de l’acte originel, entaché d’un vice substantiel, contamine la promesse de porte-fort elle-même, laquelle se trouve dépourvue d’objet.

Des réserves similaires s’imposent en matière de donation, où l’article 933 du Code civil impose une procuration en la forme authentique pour l’acceptation opérée par un représentant du donataire. En principe, il ne saurait y avoir de promesse valable visant à obtenir cette acceptation ultérieure : seule une acceptation personnelle conforme à l’article 932, assortie d’une notification régulière, peut valoir engagement du donataire. Toutefois, la doctrine reconnaît qu’une acceptation par porte-fort, bien qu’inopérante à l’égard du donataire, peut subsister comme engagement unilatéral du promettant, et permettre au donataire d’accepter directement la libéralité selon les formes requises.

En revanche, dans des matières où le formalisme ne vise pas à garantir le libre consentement mais à satisfaire des objectifs économiques – comme en matière hypothécaire – la promesse de porte-fort conserve sa place. Ainsi, l’authenticité exigée pour l’inscription hypothécaire n’interdit pas qu’un tiers, sans pouvoir, s’engage à faire ratifier l’affectation d’un bien par le propriétaire (Cass. req., 3 août 1859). Le formalisme, ici, n’est pas incompatible avec la logique du porte-fort, dès lors que l’intervention ultérieure du véritable titulaire peut valider l’acte dans les conditions légales.

Enfin, il convient de rappeler que le mécanisme du porte-fort ne peut être mobilisé pour valider rétroactivement un engagement entaché d’un vice de forme. L’aval d’un effet de commerce irrégulier, frappé de nullité, ne saurait être transformé en promesse de porte-fort (Cass. com., 8 sept. 2015, n° 14-14.208). Ce type de manœuvre reviendrait à contourner les exigences substantielles de la validité d’un acte par le truchement d’une garantie personnelle, ce que la jurisprudence refuse catégoriquement.

Porte-fort: la conclusion de la promesse

Au carrefour du droit des obligations et des mécanismes de garantie, la promesse de porte-fort intrigue par sa singularité. Elle ne consiste ni en une représentation, ni en une substitution, ni en une simple caution : elle engage une personne – le promettant – à obtenir d’un tiers un comportement déterminé, sans que ce dernier ne soit encore partie à l’acte. Fréquemment mobilisée en pratique – notamment dans les cessions d’actions, les garanties de passif, ou encore les conventions intragroupes – elle soulève des interrogations fondamentales sur la nature, l’objet et les effets de l’engagement contracté.

A) La nature de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort occupe une place singulière au sein du droit des obligations, tant elle se distingue des mécanismes classiques d’engagement ou de garantie. Le promettant ne s’engage ni à représenter autrui, ni à exécuter à sa place, ni même à répondre de ses défaillances. Il contracte en son propre nom l’obligation de faire en sorte qu’un tiers accomplisse un fait déterminé : consentir à un acte, exécuter une prestation, ou encore adopter un certain comportement. Ce qui est promis, ce n’est donc pas un résultat matériel ou juridique, mais l’obtention de l’intervention d’un tiers.

Une telle configuration confère à l’engagement du promettant une physionomie particulière. Il s’agit d’une obligation strictement personnelle, détachée de toute représentation, fondée non sur la substitution, mais sur l’influence. Elle ne repose ni sur l’affectation d’un patrimoine ni sur une logique accessoire, mais sur un lien contractuel propre, dont le contenu et l’intensité font l’objet d’analyses doctrinales contrastées. Faut-il y voir une obligation de faire? Une obligation de résultat ? Ou simplement l’exigence d’un comportement loyal et actif ? L’hésitation même des textes et des jurisprudences révèle la richesse du modèle, et la nécessité d’une lecture nuancée.

C’est dans cette perspective que la promesse de porte-fort s’impose comme une construction contractuelle subtile, où la force de l’engagement tient autant à ce qu’il promet qu’à la manière dont il doit être mis en œuvre.

1. Une obligation de faire

L’engagement contracté par le porte-fort s’analyse traditionnellement comme une obligation de faire. Cette qualification, consacrée de longue date par la jurisprudence, vaut tant pour le porte-fort de ratification (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n° 89-17.982) que pour le porte-fort d’exécution (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777). Le promettant ne s’engage ni à exécuter personnellement l’obligation du tiers, ni à s’y substituer, mais à obtenir de ce dernier qu’il réalise le fait promis. Il s’agit d’un engagement de faire advenir un comportement émanant d’autrui.

Certes, la réforme du droit des obligations opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 a fait disparaître, à l’article 1101 du Code civil, la célèbre distinction entre les obligations de donner, de faire et de ne pas faire. Pour autant, cette mutation rédactionnelle ne saurait être interprétée comme une suppression de la catégorie elle-même. En pratique, la distinction conserve toute sa portée, notamment dans les régimes d’exécution et de responsabilité. L’obligation du porte-fort reste bien, au sens matériel, une obligation positive, dans laquelle il incombe au promettant d’agir – de se comporter – en vue d’obtenir le fait du tiers.

La nature même de cette obligation permet de souligner ce qui distingue fondamentalement la promesse de porte-fort des sûretés classiques telles que le cautionnement. La caution s’engage à payer ou exécuter en lieu et place du débiteur défaillant. Le porte-fort, en revanche, ne se substitue pas : il intervient. Il ne s’oblige pas à faire ce que le tiers n’a pas fait, mais à agir pour que ce dernier le fasse. Il ne s’agit donc ni d’une obligation pécuniaire, ni d’une obligation d’exécution substitutive, mais bien d’un engagement contractuel distinct, orienté vers l’obtention du comportement d’un tiers.

Une partie de la doctrine considère que le porte-fort ne peut qu’être débiteur d’une prestation positive. Selon cette conception classique, issue notamment des travaux de Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet, l’engagement du porte-fort suppose nécessairement une intervention, une action, une démarche. Une obligation de ne pas faire, qui se caractérise par une abstention, serait dès lors inconciliable avec la nature même du mécanisme, lequel repose sur l’idée d’un soutien actif apporté au bénéficiaire du contrat.

Cette conception n’est toutefois pas exempte de critiques. Aucun texte ne prohibe expressément qu’un porte-fort s’engage à empêcher un tiers d’adopter un comportement déterminé. L’hypothèse, certes plus marginale, n’en est pas moins concevable : ainsi, un promettant pourrait s’engager à convaincre un tiers de ne pas se désister d’une instance, de ne pas résilier un contrat, ou encore de ne pas violer une clause de non-concurrence. Dans ces cas, la prestation promise consisterait non à susciter une action, mais à prévenir une initiative. Ce faisant, le porte-fort n’agirait pas pour faire advenir un fait, mais pour en empêcher la réalisation.

Dès lors, si l’on veut rendre compte de cette diversité des configurations possibles, la notion d’« obligation de faire », dans son acception stricte, apparaît insuffisante.

C’est dans cette perspective que certains auteurs ont proposé de raisonner non plus en termes d’obligation de faire ou de ne pas faire, mais d’« obligation comportementale ». Cette notion, mise en lumière notamment par Philippe Dupichot, a pour mérite de recentrer l’analyse sur l’essence fonctionnelle de l’engagement du porte-fort : ce qui est exigé de lui n’est pas un résultat matériel défini, mais une attitude déterminée, orientée vers un objectif contractuel.

L’obligation du porte-fort, sous cette lumière, apparaît comme une obligation d’adopter une conduite active, adaptée, appropriée – qu’il s’agisse de provoquer une action ou de contenir une initiative. La frontière entre « faire » et « ne pas faire » s’estompe : ce qui compte, c’est le comportement du promettant et son implication effective dans le processus de réalisation (ou d’empêchement) du fait promis.

Cette approche comportementale permet également de justifier que la promesse de porte-fort échappe au formalisme probatoire de l’article 1376 du Code civil (ancien art. 1326). Comme la jurisprudence l’a désormais confirmé (Cass. com., 18 juin 2013, n°12-18.890), l’objet de l’engagement n’est pas une somme d’argent ni une quantité de biens fongibles, mais un comportement à adopter. L’écrit simple suffit à en rapporter la preuve. La promesse de porte-fort se distingue donc non seulement du cautionnement par sa nature, mais aussi par son régime de preuve.

Une conclusion provisoire : l’obligation du porte-fort comme engagement de comportement

Qu’elle soit formulée en termes d’obligation de faire ou d’obligation comportementale, l’obligation du porte-fort conserve sa spécificité : elle repose sur la mobilisation personnelle du promettant en vue d’obtenir un comportement d’un tiers. Cette mobilisation peut revêtir différentes formes – action, négociation, dissuasion – mais elle suppose toujours une implication volontaire dans un processus contractuel dont le résultat échappe, en dernier ressort, à son contrôle direct.

C’est cette spécificité – l’engagement d’une volonté agissante au service de l’intervention d’un tiers – qui confère au porte-fort sa singularité et justifie son autonomie conceptuelle dans l’architecture des sûretés personnelles.

2. Une obligation personnelle

L’engagement souscrit dans le cadre d’une promesse de porte-fort se distingue par son caractère profondément personnel. Le promettant agit en son nom propre et pour son propre compte, sans recevoir de mandat ni disposer d’aucune délégation de pouvoir émanant du tiers. Il ne représente pas ce dernier : il ne parle pas pour lui, mais s’engage à provoquer son intervention.

Cette précision n’est pas anodine. Elle permet d’écarter toute confusion avec des institutions voisines, telles que la représentation (mandat ou pouvoir légal), la représentation sans pouvoir (soumise à ratification), ou encore la technique du prête-nom. Dans chacun de ces cas, celui qui intervient agit au nom et pour le compte d’un autre, dans le but de produire des effets juridiques à l’égard de ce dernier. Rien de tel dans le mécanisme du porte-fort, où le promettant ne peut créer la moindre obligation dans le chef du tiers.

Il n’y a donc pas de pouvoir de représentation attaché à la promesse de porte-fort. Le tiers reste entièrement libre de refuser d’exécuter le fait promis. Ce que le bénéficiaire tient, ce n’est pas un engagement du tiers, mais l’engagement personnel du promettant d’obtenir ce fait, à défaut de quoi ce dernier engage sa propre responsabilité contractuelle.

Cette autonomie dans l’engagement s’explique par l’essence même du mécanisme. Le promettant ne garantit pas le patrimoine d’un débiteur, comme le ferait une caution ou une sûreté réelle, mais mobilise son propre comportement pour susciter une action d’autrui. Ainsi, la promesse de porte-fort n’emprunte ni à la logique du cautionnement, fondée sur l’accessoire, ni à celle de la représentation, fondée sur la substitution juridique de volonté.

La promesse de porte-fort incarne, à bien des égards, l’expression la plus aboutie d’un engagement volontaire et strictement personnel. Le promettant ne s’efface pas derrière un tiers dont il relayerait la volonté ; il agit en son nom propre, en s’engageant à tout mettre en œuvre pour obtenir l’intervention d’un autre. Son rôle n’est pas de se substituer, mais d’influencer. Il ne représente pas, il mobilise. Ainsi, le lien contractuel ne s’établit qu’entre le promettant et le bénéficiaire : le tiers, objet du fait promis, demeure juridiquement extérieur à la relation, sauf à ratifier lui-même l’acte ou à exécuter l’obligation.

3. Une obligation autonome

Une autre des particularités de la promesse de porte-fort réside dans l’autonomie de l’engagement souscrit par le promettant. Contrairement aux garanties, tel que le cautionnement qui présentent un caractère accessoire, en ce sens qu’elles dépendent étroitement de l’existence et du contenu de l’obligation principale, l’obligation née du porte-fort se déploie indépendamment de l’obligation du tiers à laquelle elle se rapporte. C’est ce qu’a rappelé avec force la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 1er avril 2014, en affirmant que « le porte-fort est tenu envers le bénéficiaire de la promesse des conséquences de l’inexécution de l’engagement promis » (Cass. com., 1er avr. 2014, n° 13-10.629).

L’autonomie de cette obligation se manifeste à deux égards. D’abord, l’existence, la validité ou l’efficacité de l’obligation du tiers ne conditionnent en rien l’engagement du porte-fort : le promettant contracte en son nom propre et engage sa responsabilité dès lors que le fait promis ne se réalise pas, quelle qu’en soit la cause. Ensuite, le bénéficiaire dispose, en vertu de cet engagement, d’un droit personnel direct contre le promettant, indépendamment de toute relation contractuelle ou juridique avec le tiers concerné.

L’autonomie de cette obligation se manifeste à deux égards. D’une part, le promettant contracte en son nom propre : il n’intervient ni comme représentant, ni comme débiteur substitué, mais comme contractant principal. D’autre part, le bénéficiaire dispose, en vertu de cet engagement, d’une créance directe contre le promettant, sans qu’aucun lien juridique n’ait besoin d’exister entre lui et le tiers dont le fait est promis.

C’est précisément cette autonomie qui a permis de dissiper l’ambiguïté entretenue par certaines décisions antérieures – notamment l’arrêt controversé du 13 décembre 2005 (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217) – qui tendaient à assimiler le porte-fort d’exécution à un cautionnement dissimulé, dès lors que l’objet de la promesse portait sur le paiement d’une somme d’argent. Cette assimilation a été vivement critiquée par la doctrine, qui y voyait une confusion entre deux techniques profondément distinctes, et elle a été abandonnée par la Cour dans sa jurisprudence postérieure.

En effet, le promettant ne s’engage pas à satisfaire l’obligation du tiers en cas de défaillance, mais à obtenir de ce dernier un comportement déterminé. Il ne s’agit donc ni d’un engagement subsidiaire, ni d’une garantie d’exécution, mais d’une obligation principale, autonome, qui trouve sa cause dans l’engagement contractuel librement consenti.

4. Une obligation de résultat… ou de moyens ?

La nature de l’obligation que souscrit le porte-fort a toujours fait l’objet d’un débat nourri, tant en doctrine qu’en jurisprudence. La question est simple dans sa formulation mais complexe dans ses implications : le promettant est-il tenu d’un simple effort ou d’un résultat ? L’analyse de la promesse de porte-fort oscille ainsi, classiquement, entre l’obligation de moyens et l’obligation de résultat, selon la dichotomie théorisée par René Demogue, dont la fortune jurisprudentielle fut considérable, mais dont l’usage en la matière révèle rapidement ses limites.

La jurisprudence majoritaire, soucieuse de renforcer la sécurité contractuelle du bénéficiaire, penche en faveur d’une obligation de résultat. Ainsi, dans un arrêt fondateur du 1er avril 2014, la première chambre civile de la Cour de cassation a énoncé que « le porte-fort, débiteur d’une obligation de résultat autonome, est tenu envers le bénéficiaire de la promesse des conséquences de l’inexécution de l’engagement promis » (Cass. 1re civ., 1er avr. 2014, n° 13-10.629). Il en résulte que la seule inexécution du fait promis par le tiers suffit à engager la responsabilité du porte-fort, sauf à démontrer l’existence d’un cas de force majeure ou d’une faute du bénéficiaire (Cass. com., 22 mai 2002, n° 00-12.523).

Ce raisonnement présente l’avantage, sur le plan probatoire, d’assurer une protection efficace du créancier : il n’a pas à prouver la carence du promettant, mais seulement l’inexécution du fait promis. La promesse de porte-fort se rapproche alors, dans sa mise en œuvre, d’un mécanisme de garantie stricte. Mais cette logique, si elle satisfait le bénéficiaire, ne manque pas de susciter des interrogations quant à la cohérence conceptuelle de l’analyse. Comment admettre qu’un promettant soit tenu d’un résultat qu’il ne maîtrise pas, puisque l’exécution du fait promis dépend du consentement libre et personnel d’un tiers ? L’atteinte du but est incertaine par essence, ce qui rend délicate l’imputation mécanique de la responsabilité au promettant.

C’est cette difficulté que met en lumière une partie de la doctrine contemporaine, à la suite notamment de Denis Mazeaud, qui appelle à dépasser l’alternative classique entre moyens et résultat au profit d’une lecture plus fine et contractuelle de l’engagement du porte-fort. Dans cette optique, l’obligation du promettant est analysée comme une obligation comportementale : le promettant ne garantit pas la survenance du fait promis, mais s’engage à adopter un comportement actif, persévérant et loyal, orienté vers la réalisation de ce fait. L’échec du tiers n’engage donc la responsabilité du porte-fort que s’il révèle une carence fautive de sa part.

Cette conception, loin d’être purement théorique, a trouvé un écho dans la jurisprudence. Un arrêt de la chambre commerciale du 29 février 2000 (Cass. com., 29 févr. 2000, n° 96-13.604), certes resté isolé, illustre avec acuité cette analyse. La Cour reproche aux juges du fond de ne pas avoir vérifié si le promettant avait, avant l’ouverture de la procédure collective du tiers, mis en œuvre tous les moyens nécessaires pour obtenir l’exécution de l’obligation promise. La solution, bien que discrète, marque un infléchissement notable : le juge n’exige plus un résultat, mais évalue l’intensité de l’effort fourni.

L’ambiguïté du texte de l’article 1204, alinéa 2, du Code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, renforce cette lecture. Le texte prévoit que « le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis. Dans le cas contraire, il peut être condamné à des dommages et intérêts ». Le recours au mode verbal « peut » n’est pas fortuit : il suggère que la condamnation du promettant n’a rien d’automatique. Une appréciation in concreto du comportement adopté est exigée. Plusieurs auteurs y voient la marque d’une obligation de performance, c’est-à-dire d’un engagement à agir avec diligence en vue d’un résultat, sans en garantir l’obtention.

Dès lors, une synthèse semble s’imposer. L’analyse en termes d’obligation de résultat, rigoureuse sur le plan probatoire, apparaît trop stricte pour rendre compte de la réalité du mécanisme. Inversement, la qualification d’obligation de moyens stricto sensu semble inadaptée, tant elle laisse la possibilité au promettant d’adopter une attitude purement passive. Une voie intermédiaire, fondée sur la notion d’obligation comportementale, permet de concilier les exigences de rigueur contractuelle et de réalisme juridique : le porte-fort ne garantit pas le fait d’autrui, mais s’engage à faire tout ce qui est en son pouvoir pour le provoquer. Il est responsable non de l’échec, mais de son inertie ou de sa négligence.

Une telle approche s’inscrit dans un mouvement plus large de remise en cause des catégories classiques, comme en témoigne l’absence de toute référence à la distinction entre obligation de moyens et de résultat dans la réforme du droit des contrats. Elle invite à recentrer l’analyse sur le contenu précis de l’engagement souscrit et sur l’intensité de la mobilisation attendue. C’est ce qui rapproche, à bien des égards, la promesse de porte-fort de la lettre d’intention, dont elle partage la structure et la finalité. Dans les deux cas, il ne s’agit pas d’une promesse d’exécution, mais d’un engagement à influencer.

Ainsi, la promesse de porte-fort s’analyse moins comme une garantie de résultat que comme une obligation contractuelle exigeante, dont la portée dépendra de la qualité de l’implication du promettant. Ce dernier ne promet pas que le tiers agira, mais qu’il fera tout ce qui dépend de lui pour qu’il agisse. Là réside la véritable mesure de sa responsabilité.

B) L’objet de la promesse du porte-fort

La promesse de porte-fort, entendue comme l’engagement par lequel une personne s’oblige envers autrui à obtenir le fait d’un tiers, embrasse une diversité d’objets dont l’étude révèle l’extrême plasticité du mécanisme. Qu’il s’agisse d’un engagement visant à obtenir le consentement du tiers à un acte juridique, l’accomplissement matériel d’un fait déterminé ou encore l’exécution d’une obligation, le porte-fort se prête à des fonctions multiples – allant de la simple facilitation contractuelle à la garantie personnelle d’exécution.

1. Les engagements relatifs à la formation de l’acte : les porte-fort de ratification et de conclusion

La promesse de porte-fort trouve un terrain d’application privilégié dans la phase de formation du contrat, lorsque, pour des raisons juridiques ou pratiques, l’un des contractants souhaite anticiper la participation d’un tiers à une opération sans que ce dernier ne soit encore engagé. La doctrine contemporaine regroupe, sous l’appellation de porte-fort de formation, deux formes d’engagement distinctes mais étroitement apparentées : le porte-fort de ratification et le porte-fort de conclusion. Si la distinction repose sur le degré d’élaboration de l’acte auquel le tiers est appelé à participer, l’intention sous-jacente reste identique : permettre la réalisation d’un acte juridique avec la participation ultérieure d’un tiers, en sécurisant dès l’origine les intérêts de l’autre partie.

a. Le porte-fort de ratification

Le porte-fort de ratification constitue, historiquement et conceptuellement, la forme la plus ancienne et la plus classique de la promesse de porte-fort. Elle s’applique lorsque le tpromettant a conclu un acte juridique déterminé, en toute connaissance de cause de son absence de pouvoir de représentation, et qu’il s’engage à obtenir du tiers la ratification de cet acte.

La jurisprudence considère que cet engagement constitue une obligation de faire, à savoir celle d’agir en sorte que le tiers ratifie l’acte (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n° 89-17.982). L’ordonnance du 10 février 2016, en consacrant à l’article 1204 du Code civil la figure du porte-fort, a maintenu cette conception, en posant que « celui qui se porte fort du fait d’un tiers est tenu envers le cocontractant de la bonne exécution de l’engagement ». Le mécanisme est ici dissocié de toute représentation effective : il suppose l’inexistence de pouvoirs de représentation, la volonté du promettant d’obtenir l’adhésion du tiers, et l’engagement de supporter personnellement les conséquences de son éventuel refus.

Ce type de porte-fort se rencontre dans de nombreux contextes : en droit des personnes, notamment lorsqu’un représentant légal, ne pouvant accomplir seul un acte au nom d’un incapable, s’engage à en obtenir la ratification à la majorité ou à la fin de l’incapacité ; en droit des sociétés, lorsque les fondateurs d’une société en formation contractent au nom de celle-ci et s’engagent à obtenir la ratification des organes compétents une fois la société immatriculée (Cass. com., 24 oct. 2000, n° 97-21.796).

La promesse de porte-fort joue alors un rôle de facilitation contractuelle, permettant de surmonter temporairement l’indisponibilité ou l’indétermination du tiers, sans compromettre la validité de l’opération. Elle permet également, pour le bénéficiaire, d’exiger des dommages-intérêts en cas de refus de ratification, confortant ainsi sa position.

b. Le porte-fort de conclusion

À la différence du porte-fort de ratification, le porte-fort de conclusion concerne les hypothèses où aucun acte juridique n’a encore été conclu : le promettant s’engage alors à ce qu’un tiers conclue à l’avenir un acte déterminé ou déterminable. L’objet de la promesse n’est donc pas la ratification d’un acte déjà formalisé, mais la conclusion d’un acte futur – contrat ou acte unilatéral – dont les termes peuvent ne pas encore être négociés.

Cette figure s’est considérablement développée en droit des affaires, et notamment dans le domaine des pactes d’actionnaires (clauses de sortie conjointe, d’entraînement ou de garantie de cession), où le promettant s’engage à ce qu’un tiers conclue un contrat de cession d’actions à des conditions identiques à celles dont il bénéficie (Cass. com., 24 mai 2016, n° 14-14.933). Elle est également courante dans les relations collectives du travail, par exemple lorsque le syndicat patronal s’engage à ce que des entreprises reclassent certains salariés (Cass. soc., 12 févr. 1975), ou encore dans les contrats de distribution, dans lesquels un exploitant se porte fort que ses ayants cause concluront eux aussi un contrat d’approvisionnement (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-11.807).

Contrairement au porte-fort de ratification, cette promesse n’entraîne pas de rétroactivité : le tiers, en acceptant ultérieurement de conclure l’acte envisagé, ne ratifie pas un acte antérieur mais conclut un contrat nouveau. Il s’agit dès lors non pas d’un simple prolongement du mécanisme classique, mais d’une figure autonome, que certains auteurs qualifient de porte-fort de conclusion.

L’intérêt de ce mécanisme réside dans sa souplesse et dans la fonction de garantie qu’il remplit : le promettant ne s’oblige pas seulement à obtenir la conclusion d’un acte, mais garantit également le cocontractant contre le préjudice que pourrait entraîner son absence. L’engagement revêt ainsi un caractère indemnitaire, assimilable à une garantie de conclusion.

c. Finalités communes

Malgré leurs différences structurelles – notamment quant au moment auquel l’acte visé est ou sera conclu – les deux figures partagent une finalité contractuelle identique : favoriser la participation d’un tiers à une opération envisagée, tout en assurant au bénéficiaire de la promesse une protection effective contre le refus du tiers. Leurs différences de régime (rétroactivité de la ratification dans un cas, conclusion autonome dans l’autre) ne remettent pas en cause leur unité fonctionnelle.

C’est en ce sens que la doctrine dominante regroupe ces deux figures sous la catégorie commune de porte-fort de formation. Cette approche trouve également appui dans le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 10 février 2016, qui reconnaît l’existence d’un porte-fort de ratification, d’un porte-fort de conclusion, et d’un porte-fort d’exécution, tout en précisant que les deux premiers relèvent d’une même dynamique contractuelle.

2. L’engagement relatif à l’exécution de l’obligation

Si la promesse de porte-fort joue un rôle déterminant au stade de la formation du contrat, elle conserve toute son efficacité lorsque l’acte juridique est déjà valablement conclu, et que le tiers est engagé à l’égard du bénéficiaire de la promesse. Le promettant ne vise plus alors à obtenir l’adhésion d’un tiers à un acte projeté, mais à garantir l’exécution d’une obligation née d’un contrat existant. C’est cette seconde variété, consacrée par l’article 1204 du Code civil, que la doctrine et la jurisprudence désignent comme le porte-fort d’exécution.

Dans cette hypothèse, le promettant s’engage à ce qu’un tiers exécute effectivement l’obligation à laquelle il est tenu en vertu d’un acte juridique déjà formé. Ce tiers peut être débiteur en vertu d’un contrat ou d’un acte unilatéral. L’article 1204, alinéa 1er, consacre cette forme en affirmant que « celui qui se porte fort du fait d’un tiers est tenu envers le cocontractant de la bonne exécution de l’engagement ».

Le promettant ne saurait être considéré comme un garant passif ou un simple spectateur de la relation contractuelle : il s’oblige activement à faire en sorte que le tiers exécute son obligation. Cette obligation est donc une obligation de résultat, le promettant devant adopter les comportements nécessaires pour obtenir l’exécution. À défaut, il engage sa propre responsabilité contractuelle à l’égard du bénéficiaire, indépendamment de toute faute du tiers défaillant (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777).

Cette conception fonctionnelle – selon laquelle le promettant doit user de son influence, de son autorité ou de ses moyens pour conduire le tiers à l’exécution – a conduit certains auteurs à parler de “garantie d’influence”, notion particulièrement féconde dans les rapports d’affaires.

Le porte-fort d’exécution trouve une application récurrente en droit des affaires, où il sert de technique de sécurisation contractuelle.

Il est ainsi fréquent, à l’occasion d’une cession de droits sociaux, que le cessionnaire se porte fort de l’exécution d’obligations par la société cédée elle-même, à l’égard du cédant. Le mécanisme peut concerner, par exemple, le remboursement d’un compte courant d’associé, l’exécution d’un contrat de travail maintenu jusqu’à la retraite du dirigeant (Cass. 1ère civ., 18 avr. 2000, n°98-15.360), ou encore le respect d’une clause de non-concurrence stipulée dans l’acte de cession (Cass. com., 8 mars 2016, n° 14-24.921).

En matière de contrats de distribution, l’exploitant d’un fonds peut se porter fort que le locataire-gérant respectera les engagements pris envers un fournisseur dans le cadre d’un contrat d’approvisionnement (Cass. com., 14 janv. 1980, n°78-10.696), ou que les autres distributeurs du réseau respecteront une exclusivité territoriale, engageant ainsi la tête de réseau à répondre des comportements des membres du réseau (Cass. com., 9 mars 2010, n° 09-11.807).

De telles stipulations s’observent également dans les relations de groupe : le promettant peut garantir qu’un organe social prendra une décision favorable ou que la société mère exécutera une obligation envers un cocontractant du groupe.

La finalité du porte-fort d’exécution est clairement indemnitaire : le bénéficiaire de la promesse peut réclamer des dommages-intérêts si l’obligation du tiers n’est pas exécutée, sans qu’il ait besoin de démontrer une faute du promettant. Il s’agit là d’une obligation principale, née d’un lien contractuel autonome entre le promettant et le bénéficiaire, distinct du rapport entre ce dernier et le débiteur principal.

C’est en cela que le mécanisme se rapproche du cautionnement, sans toutefois s’y confondre. Pendant un temps, la jurisprudence commerciale a pu assimiler les deux mécanismes, qualifiant le porte-fort d’exécution de cautionnement (Cass. com. 13 déc. 2005, n°03-19.217), avant de revenir sur cette position et d’affirmer leur autonomie conceptuelle (Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-18.890).

La doctrine majoritaire considère désormais le porte-fort d’exécution comme une sûreté personnelle sui generis, souvent qualifiée de garantie indemnitaire. Contrairement au cautionnement, dont le caractère accessoire implique que la nullité ou l’extinction de l’obligation principale entraîne la disparition de la sûreté, le porte-fort d’exécution subsiste indépendamment de la validité de l’engagement du tiers, dès lors que l’inexécution provoque un préjudice au bénéficiaire.

Certains auteurs, toutefois, soulignent que cette distinction peut s’avérer fragile lorsque l’obligation du tiers est une obligation monétaire, et que le promettant s’engage à obtenir son paiement : dans ce cas, la promesse s’apparente, matériellement, à un cautionnement. Mais cette analyse est critiquée au motif qu’elle méconnaît la structure propre de l’engagement du porte-fort, lequel n’est pas un engagement de substitution mais de moyens renforcés en vue d’obtenir l’exécution du tiers.

Enfin, la promesse de porte-fort d’exécution tend à s’imbriquer, dans la pratique, avec d’autres mécanismes de garantie, notamment avec la lettre d’intention, définie à l’article 2322 du Code civil. Lorsque cette dernière comporte une obligation de résultat, la frontière entre les deux techniques devient ténue : dans les deux cas, le garant s’engage personnellement à assurer la bonne exécution d’une obligation par un tiers, et à indemniser en cas d’échec.

Il a ainsi été proposé de regrouper ces techniques sous la catégorie de “garanties d’influence”, dont le point commun réside dans la volonté du bénéficiaire de s’assurer de la diligence du promettant pour faire exécuter une obligation par un tiers. Cette approche met en lumière la rationalité économique du porte-fort d’exécution, particulièrement adapté aux contextes où la confiance contractuelle repose davantage sur l’influence réelle du promettant que sur des garanties strictement patrimoniales.

3. Le cas marginal de la promesse d’un fait matériel

En marge des hypothèses classiques dans lesquelles la promesse de porte-fort porte sur un acte juridique, une fraction de la doctrine, dans une perspective plus théorique que pratique, a envisagé que l’engagement du promettant puisse viser un simple fait matériel. Cette figure, souvent rattachée à la tradition romaine et remise en lumière par la doctrine du XIXe siècle, trouve son origine dans les écrits de Pothier, selon lesquels « on peut promettre le fait d’autrui, comme de promettre qu’un tel fera une chose ».

Dans cette optique, la promesse pourrait porter, non sur la ratification ou la conclusion par un tiers d’un acte juridique, mais sur la réalisation d’un comportement matériel déterminé par ce dernier. Il en serait ainsi, par exemple, de la promesse selon laquelle un tiers traversera un pays à pied pour délivrer un message en main propre, ou encore de celle consistant à assurer qu’un tiers décorera une salle de réception à l’aide de compositions florales.

Dans ces hypothèses, le promettant ne s’engage ni à obtenir la ratification d’un acte juridique accompli sans pouvoir, ni à garantir la conclusion future d’un contrat, mais à faire en sorte que le tiers accomplisse une action déterminée, étrangère au registre des conventions. La doctrine classique, à l’instar de Bufnoir ou de Baudry-Lacantinerie, s’était ainsi plu à évoquer ces engagements singuliers pour en explorer les limites.

Toutefois, pareille hypothèse se heurte aux fondements techniques du mécanisme du porte-fort, tels que consacrés par la jurisprudence et par l’article 1204 du Code civil. En effet, la promesse de porte-fort suppose la mise en œuvre d’un rapport triangulaire dans lequel l’engagement du promettant vise à renforcer l’efficacité juridique d’un acte accompli ou à accomplir par le tiers. Elle requiert, à cet égard, un acte principal – qu’il s’agisse d’un contrat ou d’un acte unilatéral – et repose sur la possibilité d’une ratification ou d’une exécution juridique de cet acte.

Or, dans les hypothèses envisagées – telles que celle d’un tiers qui porterait assistance à une personne âgée lors de son déménagement ou exécuterait un morceau de musique à l’occasion d’un concert – aucune structure contractuelle n’est identifiable, et l’engagement du promettant ne saurait être rattaché à une quelconque volonté d’établir un lien juridique entre le bénéficiaire et le tiers. L’absence de rétroactivité, de capacité d’engagement du tiers, et de mécanisme de ratification ôte à l’opération toute consistance au regard du régime du porte-fort.

C’est pourquoi une partie importante de la doctrine, à la suite notamment de Jean Boulanger, refuse d’inclure de telles hypothèses dans le champ d’application du porte-fort proprement dit. Ces engagements sont le plus souvent analysés comme de simples promesses d’indemnisation conditionnelle, assises sur la survenance incertaine d’un fait futur : par exemple, « si votre frère ne joue pas son récital, je vous indemniserai », ou encore, « si votre amie ne vient pas livrer les œuvres prévues, je prendrai en charge les frais d’exposition ». Dans cette logique, il ne s’agit pas d’un engagement portant sur le fait d’un tiers, mais d’un engagement personnel subordonné à la survenance d’un événement, à l’instar de toute condition suspensive.

En outre, certaines situations relèvent en réalité d’un contrat d’entreprise, même lorsque l’exécution est confiée à un tiers. Celui qui promet qu’un traiteur livrera un dîner ou qu’un prestataire installera une œuvre lumineuse dans un lieu donné s’engage, non sur un fait matériel d’autrui, mais sur la bonne exécution d’une prestation, dont il est lui-même contractuellement responsable.

Il en résulte que la promesse de porte-fort portant sur un fait matériel ne correspond ni à la lettre ni à l’esprit de l’article 1204 du Code civil, et qu’elle demeure une construction purement doctrinale, sans pertinence pratique ni fondement normatif solide. La quasi-totalité de la jurisprudence contemporaine évite soigneusement de se placer sur ce terrain incertain, préférant recourir à des qualifications plus robustes : contrat d’entreprise, obligation de résultat assortie d’une clause pénale, ou engagement sous condition suspensive.

Comme le résume justement Jean Boulanger, la promesse de porte-fort « n’a révélé son utilité que dans la mesure où elle a pu servir à l’établissement d’un rapport contractuel où le promettant et le stipulant avaient le commun désir de faire entrer un tiers ». En dehors de ce schéma, l’engagement du promettant ne trouve pas à s’épanouir dans le cadre du droit commun des contrats.

Le porte-fort: définition, évolution, fonctions

§1: Définition

La promesse de porte-fort est une institution juridique singulière, dont l’originalité tient à la nature même de l’engagement souscrit par le promettant. Contrairement à la promesse pour autrui, qui aurait pour effet d’engager un tiers à son insu, la promesse de porte-fort repose exclusivement sur l’obligation personnelle du promettant, lequel s’engage envers le bénéficiaire à obtenir l’accomplissement d’un fait par un tiers.

Ainsi, il ne saurait être question d’une quelconque extension de l’effet obligatoire du contrat à un tiers, ce qui eût contrevenu au principe fondamental de l’effet relatif des conventions, énoncé aujourd’hui à l’article 1199 du Code civil et déjà consacré sous l’empire du texte napoléonien. Comme l’écrivait Planiol, « il ne peut y avoir de contrat qu’entre ceux qui ont donné leur consentement à ses stipulations »[1]. La promesse de porte-fort se démarque précisément de cette logique en instaurant un mécanisme fondé non sur l’engagement direct du tiers, mais sur la responsabilité du promettant qui s’oblige personnellement à obtenir du tiers un comportement déterminé.

Cette construction confère à la promesse de porte-fort une structure contractuelle triangulaire : elle implique trois personnes — le promettant, le bénéficiaire et le tiers —, mais repose sur la seule volonté de deux d’entre elles, le promettant et le bénéficiaire. Il en résulte une dissociation entre l’engagement du promettant et l’intervention effective du tiers, qui demeure libre d’exécuter ou non le fait promis. Comme l’avait souligné Pothier, le promettant « ne peut créer d’obligation à la charge d’un tiers », mais il peut « prendre l’engagement de le convaincre d’y consentir »[2].

La promesse de porte-fort se distingue par la nature de l’obligation qu’elle fait peser sur le promettant : il ne s’engage pas à exécuter lui-même l’obligation du tiers, mais à obtenir de ce dernier qu’il s’exécute. Il s’agit ainsi d’une obligation de faire, qui requiert du promettant qu’il déploie tous les moyens nécessaires pour convaincre le tiers d’accomplir le fait promis.

Cette obligation de faire, bien que simple en apparence, ne saurait être réduite à une simple déclaration d’intention ou à un engagement purement potestatif. Elle revêt, au contraire, un caractère juridiquement contraignant pour le promettant, qui ne peut se soustraire à son engagement sans en assumer les conséquences. Comme l’écrivait Pothier, « celui qui se porte fort n’engage pas le tiers, mais s’oblige lui-même à obtenir de lui ce qu’il a promis »[3].

Le promettant est ainsi tenu d’accomplir toutes diligences pour que le tiers exécute l’acte en cause. À défaut d’y parvenir, il engage sa responsabilité contractuelle envers le bénéficiaire. Cette mécanique distingue fondamentalement la promesse de porte-fort du cautionnement : là où la caution assume une obligation de paiement subsidiaire en cas d’inexécution du débiteur principal, le porte-fort demeure responsable non pas de l’exécution de l’obligation du tiers, mais de l’accomplissement de son engagement personnel d’obtenir cette exécution.

L’obligation du promettant s’exécute en deux temps :

  • Si le tiers accomplit l’acte promis
    • Lorsque le tiers exécute l’engagement envisagé, soit spontanément, soit sous l’influence du promettant, la promesse de porte-fort remplit sa fonction et libère ce dernier de toute obligation.
    • L’acte ainsi accompli est réputé pleinement valide et opposable au bénéficiaire, consolidant ainsi la relation contractuelle initialement établie.
    • Cette situation se rapproche du mécanisme de la ratification d’un acte accompli sans pouvoir préalable.
    • En droit de la représentation, lorsqu’un mandataire agit sans y être autorisé, la validation ultérieure de l’acte par le mandant confère à celui-ci une efficacité rétroactive, le faisant remonter à la date de sa conclusion initiale.
    • Cette logique transposée au porte-fort de ratification signifie que la promesse souscrite par le promettant trouve son plein effet dès que le tiers donne son accord.
    • L’article 1204, alinéa 3, du Code civil consacre expressément cette rétroactivité en énonçant que si le porte-fort vise la ratification d’un engagement, celle-ci est réputée valider l’acte dès la date à laquelle la promesse a été conclue.
    • Cette règle répond à un impératif de sécurité juridique, évitant une période d’incertitude quant au statut de l’engagement en cause.
    • Ce principe n’est pas une innovation récente. Planiol affirmait déjà que « la ratification opère rétroactivement et purifie l’acte de toute irrégularité tenant à l’absence de pouvoir initial ».
    • Cette approche, confirmée par la jurisprudence, implique que l’acte ratifié est réputé avoir toujours été valable, et non simplement à compter de l’accord ultérieur du tiers.
    • D’un point de vue pratique, cette rétroactivité est essentielle, notamment dans le domaine des affaires, où il est fréquent que des engagements soient pris avant que le tiers concerné ne soit en mesure de donner son consentement formel.
    • La promesse de porte-fort permet ainsi de sécuriser les transactions en garantissant au bénéficiaire soit l’engagement du tiers par ratification, soit une indemnisation en cas d’échec.
    • Ce mécanisme constitue ainsi un instrument de souplesse contractuelle tout en assurant une protection efficace des parties engagées dans l’opération.
  • Si le tiers refuse de s’exécuter
    • Si le promettant échoue à convaincre le tiers d’exécuter l’engagement promis, il se trouve alors en situation de manquement à son obligation et engage sa responsabilité contractuelle à l’égard du bénéficiaire.
    • Cette responsabilité repose sur le principe selon lequel tout engagement souscrit doit être honoré sous peine de réparation.
    • Dès le XIX? siècle, la doctrine s’était déjà prononcée sur cette spécificité de la promesse de porte-fort.
    • Planiol soulignait que « celui qui se porte fort ne contracte pas une dette d’autrui, mais une dette propre, qui consiste à obtenir d’un tiers qu’il s’exécute, sous peine d’indemnité ».
    • Cette analyse met en lumière le fait que l’obligation du promettant ne porte pas directement sur la prestation due par le tiers, mais sur les efforts qu’il doit fournir pour que celui-ci s’exécute.
    • En conséquence, si le tiers refuse de se conformer à l’engagement promis, le bénéficiaire ne dispose d’aucun recours contre lui, mais peut se retourner exclusivement contre le promettant.
    • Ce dernier devra alors réparer le préjudice causé par l’inexécution, ce qui peut donner lieu à deux formes d’indemnisation :
      • Des dommages-intérêts compensatoires, visant à replacer le bénéficiaire dans la situation où il se serait trouvé si le tiers avait honoré son engagement.
      • Une indemnisation plus large, incluant d’éventuels préjudices économiques ou moraux résultant du défaut d’exécution de la promesse.
    • La doctrine contemporaine a précisé la nature exacte de cette obligation. Philippe Simler observe ainsi que « l’engagement du porte-fort repose sur une obligation de moyens renforcée, en ce qu’il doit tout mettre en œuvre pour parvenir à ses fins, mais sans garantir nécessairement la réussite de l’opération »[4].
    • Aussi, contrairement à une obligation de résultat, où l’exécution est exigée à tout prix, la promesse de porte-fort impose au promettant d’agir avec diligence et persévérance, mais ne le contraint pas à un succès absolu.

Il importe de souligner, enfin, que la promesse de porte-fort, en dépit de son appellation, n’est nullement un engagement unilatéral. Elle constitue bien un contrat, au sens de l’article 1101 du Code civil, et doit donc satisfaire aux conditions de validité énoncées à l’article 1128: consentement des parties, capacité juridique, contenu licite et certain. Le terme de «promesse» ne doit donc pas induire en erreur : le porte-fort suppose un accord de volontés entre le promettant et le bénéficiaire. Comme le résument plusieurs auteurs, il s’agit d’un contrat référant au fait d’un tiers, et non d’une simple déclaration unilatérale de volonté.

La jurisprudence, quant à elle, admet l’existence d’une promesse de porte-fort tacite, à condition qu’elle résulte d’actes manifestant sans équivoque l’intention du promettant de s’engager à obtenir le fait du tiers (Cass. 1re civ., 17 juill. 2001, n° 98-10.827). Cette rigueur protège contre le risque d’une requalification abusive de toute promesse pour autrui en porte-fort.

Ainsi conçu, le contrat de porte-fort ne saurait être invoqué pour pallier la nullité d’un engagement entaché d’un vice de forme (Cass. com., 8 sept. 2015, n° 14-14.208), ni pour contourner des dispositions d’ordre public, telles que celles relatives au logement de la famille dans le cadre du régime matrimonial (Cass. 1re civ., 11 oct. 1989, n° 88-13.631). Il demeure un outil juridique à la fois souple et exigeant, qui repose sur un équilibre subtil entre liberté contractuelle et responsabilité personnelle.

Enfin, il convient de rejeter la tentation doctrinale de réduire le porte-fort à un simple contrat de couverture d’un risque. Si certaines analyses, à l’instar de celles d’E. Netter ou de J. Boulanger, ont tenté de rapprocher le porte-fort d’un mécanisme assurantiel, cette lecture apparaît réductrice. Contrairement à l’assureur, le porte-fort ne perçoit généralement aucune rémunération, n’est pas soumis à agrément, et surtout ne se borne pas à compenser un risque : il s’engage à l’éviter. Comme le résume pertinemment Isabelle Riassetto, « le porte-fort ne se contente pas de couvrir un risque : il s’oblige à l’empêcher de se réaliser ».

§2: Evolution

==>Origines

Dans le droit romain, le principe de l’intuitus personae gouvernait la formation des obligations et interdisait à quiconque d’engager un tiers sans son consentement. Conformément à la règle res inter alios acta, un contrat ne pouvait produire d’effet qu’entre les parties qui y avaient directement consenti. L’idée même qu’un individu puisse lier autrui contre son gré heurtait les fondements du formalisme juridique romain. Pourtant, certains fragments du droit classique laissaient entrevoir une préfiguration du porte-fort. L’un des exemples les plus significatifs est fourni par les Institutes de Justinien : Si quis effecturum se ut Tituis daret, spoponderit, obligatur (« Si quelqu’un promet qu’il fera en sorte que Titius donne, il est tenu »). Bien que le tiers restât libre de refuser, le promettant pouvait néanmoins être contraint à indemniser l’autre partie en cas d’échec. Loin de constituer une obligation pesant sur le tiers, cet engagement reposait sur une obligation propre du promettant, qui s’engageait à user de tous moyens pour atteindre le résultat souhaité.

Au fil des siècles, la rigidité du droit romain s’est atténuée sous l’influence des usages commerciaux et des pratiques féodales. Durant le Moyen Âge, la promesse de porte-fort s’est développée sous des formes variées, souvent dictées par des rapports de force plus que par une conception purement contractuelle. Le garant pouvait être un seigneur influent, un prince ou un suzerain, dont l’engagement consistait à user de son autorité, voire de la contrainte, pour obtenir du tiers qu’il exécute une obligation. L’histoire rapporte ainsi l’exemple du comte de Champagne, qui, en 1231, s’engagea auprès des bourgeois de Neufchâteau à contraindre militairement le duc de Lorraine à respecter ses engagements. À cette époque, la promesse de porte-fort n’était donc pas encore un mécanisme juridique structuré, mais une pratique informelle, souvent liée à des rapports de dépendance ou à une influence politique.

Avec la codification napoléonienne, la promesse de porte-fort fit son entrée dans le Code civil sous l’article 1120, qui affirmait que l’on peut se porter fort pour un tiers en promettant le fait de celui-ci, sauf à indemniser en cas de refus d’exécution du tiers. Toutefois, ce texte soulevait plusieurs difficultés. Insérée dans le chapitre consacré au consentement des parties, la promesse de porte-fort semblait être traitée comme une exception au principe de l’effet relatif des contrats, sans que son régime propre ne soit véritablement précisé. Le texte ne distinguait pas les différentes formes de porte-fort et n’explicitait pas clairement les obligations du promettant.

==>Porte-fort de ratification et porte-fort d’exécution

Face aux incertitudes entourant la portée de l’engagement du porte-fort, la jurisprudence s’attacha progressivement à en clarifier la nature. Deux formes distinctes de promesse de porte-fort furent ainsi dégagées. La première, dite porte-fort de ratification, repose sur l’engagement du promettant à obtenir du tiers qu’il ratifie rétroactivement un acte accompli en son nom, mais sans son consentement préalable. Cette technique s’est développée en droit des sociétés, notamment dans les hypothèses où une société en formation voit ses représentants conclure des engagements qui nécessitent une approbation postérieure des organes sociaux. La seconde forme, désignée sous le nom de porte-fort d’exécution, est apparue progressivement dans la jurisprudence du XIX? et du XX? siècle. Ici, le promettant ne se borne pas à garantir une ratification ultérieure, mais s’engage à ce que le tiers exécute effectivement une obligation. Si le tiers venait à refuser, le promettant pouvait alors être tenu de répondre personnellement du préjudice subi par le bénéficiaire, en lui versant des dommages-intérêts.

L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 13 décembre 2005 s’inscrit pleinement dans cette évolution jurisprudentielle visant à clarifier le régime de la promesse de porte-fort en distinguant le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution (Cass. com. 13 déc. 2005, n°03-19.217). Dans cet arrêt, la Cour de cassation énonce le principe selon lequel celui qui se porte fort pour un tiers en promettant la ratification par ce dernier d’un engagement est tenu d’une obligation autonome dont il se trouve déchargé dès la ratification par le tiers, tandis que celui qui se porte fort de l’exécution d’un engagement par un tiers s’engage accessoirement à l’engagement principal souscrit par ce dernier et à y satisfaire si le tiers ne l’exécute pas lui-même. Par cette distinction, la Haute juridicition affirme que le porte-fort de ratification constitue une obligation propre du promettant, qui disparaît une fois le tiers ratifiant l’acte, tandis que le porte-fort d’exécution l’assimile à un garant, contraint de répondre personnellement en cas de défaillance du tiers.

L’affaire en question portait sur un acquéreur qui, après avoir signé un protocole d’accord pour l’acquisition d’un fonds de commerce, avait indiqué qu’une société en formation se substituerait à lui pour la signature et l’exécution du contrat, tout en précisant qu’il se portait garant de la parfaite exécution des obligations de cette société. Toutefois, la société ayant ultérieurement fait défaut, les créanciers se sont retournés contre l’acquéreur en invoquant la promesse de porte-fort qu’il avait souscrite.

La cour d’appel, après avoir analysé les engagements successifs, avait estimé que l’acquéreur ne s’était pas engagé comme caution mais avait souscrit une promesse de porte-fort, en promettant que la société exécuterait effectivement les obligations prévues. La Cour de cassation casse cette décision en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché si les actes litigieux comportaient une mention manuscrite exprimant de manière claire et non équivoque la portée exacte de l’engagement du promettant. Elle rappelle ainsi que la qualification de porte-fort d’exécution implique une exigence accrue de précision quant à l’intention du promettant et à l’étendue de son obligation.

Cette distinction, qui avait déjà été analysée par la doctrine, notamment par Planiol, trouve ainsi une consécration explicite. Elle s’inscrit dans une approche où le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution obéissent à des logiques distinctes : tandis que le premier permet de régulariser un engagement contracté sans pouvoir, en le validant rétroactivement par la ratification du tiers, le second impose au promettant une obligation propre et subsidiaire, qui lui fait supporter les conséquences d’une inexécution éventuelle du tiers. Comme le soulignera plus tard Philippe Simler, cette dernière forme de porte-fort s’apparente à une sûreté personnelle sui generis, renforçant la sécurité contractuelle sans pour autant se confondre avec un cautionnement stricto sensu.

==>Réforme du droit des obligations

La réforme du 10 février 2016 a définitivement consacré cette construction doctrinale et jurisprudentielle en intégrant la promesse de porte-fort dans le titre du Code civil relatif aux effets des contrats à l’égard des tiers. Cette modification a permis de lever l’ambiguïté entourant la nature de cet engagement. L’article 1203 du Code civil dispose que « on ne peut s’engager en son propre nom que pour soi-même », rappelant ainsi que la promesse de porte-fort ne crée pas d’obligation pour le tiers, mais uniquement pour le promettant. L’article 1204, quant à lui, établit une distinction claire entre les conséquences de la promesse selon que le tiers s’exécute ou non. Il prévoit que « le promettant est libéré de toute obligation si le tiers accomplit le fait promis », mais qu’à défaut, « il peut être condamné à des dommages-intérêts ». L’alinéa 3 précise en outre que lorsque la promesse de porte-fort porte sur une ratification, celle-ci produit un effet rétroactif, confirmant ainsi une solution admise en jurisprudence de longue date.

L’un des apports essentiels de la réforme du 10 février 2016 réside dans la consécration explicite du porte-fort d’exécution, dont la reconnaissance jusqu’alors reposait essentiellement sur la pratique contractuelle et l’interprétation jurisprudentielle. En lui conférant un fondement légal, le législateur a définitivement ancré ce mécanisme dans le droit des sûretés personnelles, le positionnant aux côtés du cautionnement et des garanties autonomes.

La doctrine s’est largement fait l’écho de cette évolution. Philippe Simler souligne ainsi que le porte-fort d’exécution constitue une sûreté personnelle atypique, distincte du cautionnement, en ce qu’il fait peser sur le promettant une obligation propre et non une simple garantie accessoire. Contrairement au cautionnement, où la caution s’engage à répondre d’une dette en cas de défaillance du débiteur principal, la promesse de porte-fort d’exécution n’impose pas au promettant de se substituer au tiers dans l’exécution de l’engagement promis. Elle lui impose seulement une obligation de moyens : il doit déployer tous les efforts nécessaires pour obtenir du tiers qu’il s’exécute, sans pour autant garantir le résultat.

L’efficacité de ce mécanisme repose donc sur la capacité du promettant à influencer le tiers et sur la confiance accordée par le bénéficiaire dans la faculté du promettant à obtenir l’exécution de l’engagement promis. Cette reconnaissance légale, en clarifiant la nature et les effets du porte-fort d’exécution, permet ainsi de sécuriser les opérations contractuelles, en offrant aux parties un instrument intermédiaire entre la simple promesse et la garantie pure et simple d’exécution.

En clarifiant le régime juridique du porte-fort et en mettant fin aux incertitudes entourant son application, la réforme de 2016 a définitivement intégré cet instrument dans le corpus du droit des obligations. Après une lente maturation doctrinale et jurisprudentielle, il s’impose aujourd’hui comme un outil incontournable de la pratique contractuelle, offrant aux parties un mécanisme souple et efficace pour sécuriser leurs engagements.

§3: Fonctions

I) Le porte-fort de ratification

A) Les fonctions assignées au porte-fort de ratification

Le porte-fort de ratification, consacré par l’article 1204 du Code civil, joue un rôle essentiel en droit des obligations. Il permet à une personne de s’engager à ce qu’un tiers, qui n’a pas initialement consenti à un acte, le ratifie ultérieurement. Ce mécanisme présente une double utilité : il offre au cocontractant une sécurité en lui garantissant que l’acte pourra être confirmé, tout en laissant au tiers la liberté d’accepter ou de refuser cette ratification.

Historiquement, le porte-fort de ratification est né d’un besoin de flexibilité contractuelle. Il visait à assurer la validité d’un engagement pris sans pouvoir préalable, en garantissant qu’il serait ratifié par l’intéressé une fois en mesure de le faire. Planiol soulignait déjà que le porte-fort de ratification « ne vise pas à imposer une obligation à un tiers, mais à garantir qu’il donnera son consentement, sous peine pour le promettant de devoir indemniser le cocontractant »[5].

L’une des avancées majeures de la réforme du 10 février 2016 réside dans la clarification des effets de la ratification. Désormais, lorsque le tiers confirme l’engagement promis, cette validation remonte rétroactivement à la date de la promesse de porte-fort, comme le prévoit expressément l’article 1204 du Code civil. Cette consécration met un terme aux incertitudes doctrinales et jurisprudentielles qui entouraient jusqu’alors la portée de la ratification.

L’un des premiers terrains d’application du porte-fort de ratification fut le droit des incapacités, où il palliait l’incapacité juridique de certaines personnes à s’engager directement. Avant l’entrée en vigueur de la réforme du 5 mars 2007, qui a introduit l’article 507 du Code civil, cette technique était fréquemment utilisée pour contourner les lourdeurs inhérentes au régime de protection des incapables. Ainsi, le représentant d’un mineur ou d’un majeur protégé pouvait conclure un acte en se portant fort de la ratification ultérieure de l’intéressé, une fois celui-ci devenu juridiquement capable.

Ce procédé offrait une alternative aux partages judiciaires, traditionnellement longs et onéreux, en permettant la conclusion d’un partage amiable assorti d’une promesse de ratification. Il assurait ainsi une certaine fluidité dans la gestion patrimoniale des incapables tout en conférant une sécurité aux cocontractants.

La jurisprudence a, par ailleurs, admis que le représentant légal d’un mineur puisse acquérir un bien immobilier en son nom, en se portant fort que l’intéressé ratifierait la transaction à sa majorité (Cass. 3e civ., 6 nov. 1970, n°69-12.426). Ce mécanisme permettait d’anticiper des opérations patrimoniales essentielles sans attendre l’extinction de l’incapacité, tout en garantissant au vendeur la conclusion effective de la transaction. En cas de refus de ratification par l’incapable devenu majeur, le promettant restait tenu de réparer le préjudice subi par l’autre partie, renforçant ainsi la sécurité juridique des transactions conclues sous ce régime.

Le porte-fort de ratification joue également un rôle en matière d’indivision. Un indivisaire ne peut, en principe, engager ses coïndivisaires sans leur consentement préalable. Toutefois, en se portant fort de leur ratification ultérieure, il apporte une souplesse bienvenue dans la gestion des biens indivis, en permettant d’éviter l’inertie qui résulterait de l’impossibilité d’obtenir immédiatement l’accord de tous les indivisaires.

Cette technique se révèle particulièrement utile dans le cadre des mandats de vente. Un indivisaire peut ainsi mandater un agent immobilier en garantissant que les autres indivisaires confirmeront la cession. Ce procédé permet de sécuriser l’opération pour l’acheteur potentiel tout en évitant d’attendre que chaque coïndivisaire donne son accord préalable.

Toutefois, cette méthode n’est pas exempte de risques. En cas de décès d’un coïndivisaire avant qu’il n’ait pu ratifier l’acte, la validité de l’engagement peut être remise en question, exposant ainsi le promettant à une responsabilité contractuelle. Dans cette hypothèse, le cocontractant peut exiger une indemnisation si la ratification promise n’a finalement pas lieu.

L’efficacité de ce mécanisme repose donc sur la capacité du promettant à anticiper les intentions des coïndivisaires, sans pour autant avoir l’assurance absolue de leur adhésion. Cette incertitude inhérente au porte-fort de ratification a conduit Ripert à affirmer que « la promesse de porte-fort projette une obligation conditionnelle qui dépend entièrement de la volonté d’un tiers, là où d’autres garanties créent un engagement direct »[6]. Loin d’être une sûreté classique, le porte-fort de ratification demeure un engagement délicat, où la crédibilité du promettant joue un rôle déterminant dans la réussite de l’opération.

Le droit des sociétés constitue un autre domaine privilégié d’application du porte-fort de ratification. Son utilité se manifeste notamment dans les hypothèses où un organe social excède ses pouvoirs en concluant un contrat qui nécessite l’approbation ultérieure d’un autre organe, tel que l’assemblée générale des actionnaires.

Avant l’adoption de la loi du 24 juillet 1966, les actes accomplis pour le compte d’une société en formation étaient systématiquement assortis d’une promesse de porte-fort, faute de quoi le signataire restait personnellement engagé. L’article L. 210-6 du Code de commerce a depuis lors formalisé cette pratique en prévoyant que la société peut reprendre les actes passés en son nom avant son immatriculation, mais cette reprise ne se fait qu’à l’initiative des organes compétents.

Le porte-fort de ratification est également utilisé dans les groupes de sociétés, où une société mère peut se porter fort que sa filiale ratifiera un engagement contracté en son nom (Cass. com., 25 mai 1970). Ce mécanisme est particulièrement stratégique dans des opérations nécessitant une réactivité immédiate, où il est impossible d’attendre l’approbation formelle de l’ensemble des actionnaires ou des organes de direction.

Enfin, la technique est largement employée en matière de cession de droits sociaux, où elle permet d’assurer que certains engagements seront ratifiés par les actionnaires ou les dirigeants d’une société cédée. La jurisprudence a admis qu’un cédant puisse se porter fort de la cession des actions de certains associés à un tiers, garantissant ainsi la réalisation de l’opération sous peine de voir sa responsabilité engagée (Cass. com., 22 juill. 1986).

B) Distinctions avec d’autres opérations juridiques

La promesse de porte-fort de ratification se distingue nettement d’autres mécanismes contractuels qui, bien que partageant certaines similitudes, obéissent à des logiques et des effets juridiques distincts. Qu’il s’agisse du mandat, de la représentation sans pouvoir, de la promesse de bons offices ou encore de la convention de prête-nom, l’analyse de ces figures révèle des différences fondamentales quant à la portée de l’engagement du promettant et aux effets juridiques attachés à l’intervention du tiers.

==>Promesse de porte-fort et mandat

Si la promesse de porte-fort de ratification repose sur l’engagement d’un promettant à obtenir l’adhésion d’un tiers à un acte, elle se distingue fondamentalement du mandat en ce que le porte-fort agit en dehors de toute investiture préalable de la part du tiers concerné. Le mandataire, en vertu des articles 1984 et suivants du Code civil, agit au nom et pour le compte du mandant, en vertu d’un pouvoir qui lui a été conféré. À l’inverse, le porte-fort n’intervient pas comme représentant du tiers, mais en son nom propre et sous sa seule responsabilité.

La jurisprudence a consacré cette distinction en affirmant que la qualité de porte-fort est exclusive de celle de mandataire. Ainsi, un indivisaire qui vend un bien indivis en se portant fort de la ratification de son coïndivisaire ne peut être considéré comme son mandataire, de sorte que le refus de ratification entraîne la résolution de l’acte (CA Riom, 14 janv. 1982). De même, la Cour de cassation a rappelé qu’un individu qui dépasse les pouvoirs qui lui avaient été conférés ne peut se prévaloir du mandat mais, au mieux, être tenu comme porte-fort s’il promet la ratification du mandant (Cass. com., 6 févr. 2007, n° 05-14.660.).

Loin de créer un lien de représentation entre le tiers et le bénéficiaire de la promesse, la promesse de porte-fort place le promettant dans une situation autonome : il prend sur lui l’engagement d’obtenir l’adhésion du tiers et en supporte les conséquences en cas d’échec.

==>Promesse de porte-fort et représentation sans pouvoir

La promesse de porte-fort de ratification présente, à première vue, certaines similitudes avec l’hypothèse de la représentation sans pouvoir. L’article 1156 du Code civil prévoit en effet que l’acte accompli par un pseudo-représentant, c’est-à-dire par une personne se présentant comme mandataire sans y avoir été habilitée, est inopposable au tiers tant que celui-ci ne l’a pas ratifié. Ce mécanisme repose ainsi sur une validation rétroactive de l’acte par le représenté, logique que l’on retrouve, en apparence, dans le cadre du porte-fort de ratification.

Toutefois, cette parenté est trompeuse. Une distinction s’impose : le pseudo-représentant, en agissant au nom d’autrui, ne s’engage pas personnellement. Il se borne à revendiquer un pouvoir dont l’existence conditionne l’efficacité de l’acte. Si la ratification n’intervient pas, l’acte reste sans effet à l’égard du tiers prétendument représenté, mais n’engage pas davantage celui qui en a pris l’initiative. Il en va tout autrement dans le mécanisme du porte-fort : le promettant n’entend pas agir au nom du tiers, mais en son nom propre. Il assume ainsi un engagement personnel et autonome, consistant à obtenir la ratification du tiers. En cas de refus de celui-ci, le promettant est tenu d’indemniser le cocontractant du préjudice résultant de l’inexécution de son obligation de faire.

Comme l’a souligné Alain Benabent, le porte-fort constitue une forme de « fausse représentation ». Cette expression rend compte de l’apparente proximité entre les deux figures, tout en soulignant leur différence de nature. Le mandat, désormais encadré aux articles 1153 à 1161 du Code civil depuis l’ordonnance du 10 février 2016, suppose en effet une habilitation préalable conférant au mandataire le pouvoir d’engager le mandant. Le porte-fort, au contraire, repose sur l’absence de tout pouvoir représentatif. Comme l’a écrit Delvincourt dès 1813, « si même je contracte au nom d’une personne dont je n’ai de pouvoir, ni légal, ni conventionnel, et que je me porte fort pour elle, je suis censé par là garantir à l’autre partie la ratification de celui au nom duquel j’ai agi, et m’obliger au paiement des dommages-intérêts, en cas de non-ratification ».

Cette différence entre les deux opérations explique que les actes accomplis par le porte-fort n’engagent pas le tiers pour lequel il se porte garant. Ce dernier n’intervient pas dans l’acte, et ne peut y être tenu qu’en cas de ratification expresse. C’est pourquoi la jurisprudence considère que la qualité de porte-fort est incompatible avec celle de mandataire (Cass. com., 6 févr. 2007, n° 05-14.660). Le promettant agit donc exclusivement en son propre nom et pour son propre compte, même s’il s’engage à rapporter ultérieurement le fait d’un tiers.

Enfin, si certains auteurs ont pu voir dans le porte-fort une modalité particulière de la représentation, cette assimilation se heurte à une limite structurelle : la représentation suppose un pouvoir donné par le représenté, là où le porte-fort agit sans autorisation préalable. Cette différence est d’autant plus significative qu’elle empêche d’expliquer certaines variantes du porte-fort, au premier rang desquelles le porte-fort d’exécution, pour lequel la logique de la représentation s’avère inopérante.

Ainsi, la promesse de porte-fort n’est pas un simple ersatz de la représentation sans pouvoir. Elle en épouse certains contours formels, mais s’en écarte résolument dans sa substance, en érigeant en engagement personnel ce qui, dans la représentation, repose sur un pouvoir d’autrui.

==>Promesse de porte-fort et promesse de bons offices

La promesse de porte-fort de ratification ne saurait être confondue avec la simple promesse de bons offices, bien que toutes deux tendent vers un même objectif : obtenir d’un tiers qu’il adopte un comportement déterminé, qu’il s’agisse de ratifier un acte ou de conclure une convention. Pourtant, la nature juridique de ces deux engagements diffère fondamentalement.

La promesse de bons offices se définit classiquement comme l’engagement d’une personne à « user de tous les moyens en son pouvoir pour obtenir l’engagement d’un tiers ». Elle repose ainsi sur une obligation de moyens. Le promettant ne garantit aucunement le résultat de son intervention, mais seulement sa diligence : il s’engage à faire ses meilleurs efforts, à déployer une activité, sans pouvoir être tenu responsable si celle-ci n’aboutit pas. En cas d’échec, le créancier n’est fondé à obtenir réparation que s’il démontre que le promettant a manqué à cette obligation de moyens – ce qui suppose, en pratique, la preuve d’une carence dans les diligences déployées.

C’est précisément cette logique que la Cour de cassation a illustrée dans un arrêt du 7 mars 1978 : elle y a jugé qu’un héritier, qui s’était engagé à favoriser l’accord de son cohéritier pour la cession d’un bien, ne s’était pas porté fort, faute d’avoir promis expressément d’obtenir cette adhésion. L’engagement pris ne dépassait donc pas la sphère des bons offices, et n’emportait pas d’obligation indemnitaire en cas d’échec de la transaction (Cass. 3e civ., 7 mars 1978, n°76-14.534).

En revanche, le promettant d’un porte-fort de ratification contracte une véritable obligation de faire, au sens de l’article 1204 du Code civil. Son engagement est personnel et autonome: il promet, non pas de tenter d’obtenir la ratification du tiers, mais de l’obtenir effectivement. L’échec de cette ratification constitue, en tant que tel, une inexécution fautive de son obligation, ouvrant droit à réparation. En ce sens, le porte-fort s’oblige à un résultat. La doctrine ne cesse de rappeler que cette promesse revêt une véritable valeur juridique, par opposition à ce que Jean Carbonnier qualifiait de « promesse morale de bons offices », impropre à engager juridiquement son auteur.

Cela étant, la frontière entre les deux mécanismes n’est pas toujours tracée avec la rigueur que l’on pourrait souhaiter. Ainsi, dans un arrêt du 29 février 2000, la chambre commerciale de la Cour de cassation a pu affirmer que le porte-fort est tenu « d’une obligation de moyens à l’égard de son cocontractant » (Cass. com., 29 févr. 2000, n° 96-13.604). Cette formulation, pour le moins ambivalente, a nourri les débats doctrinaux quant à l’intensité de l’obligation pesant sur le porte-fort, certains auteurs estimant que l’on pourrait concevoir une gradation entre le porte-fort et les bons offices, une sorte de « porte-fort atténué », en deçà de l’engagement de plein exercice.

Pour autant, cette tentation de dilution ne doit pas conduire à altérer la spécificité juridique du mécanisme. Le critère décisif demeure : alors que la promesse de bons offices est purement potestative et s’analyse en une obligation de moyens dépourvue d’effet automatique, le porte-fort implique une obligation ferme, dont l’inexécution engage nécessairement la responsabilité contractuelle de son auteur. Là où l’un propose un soutien, l’autre garantit un aboutissement.

En définitive, si les deux engagements peuvent être formulés dans des termes voisins, leur régime et leurs effets divergent profondément. L’un se borne à appuyer, l’autre à s’engager. Le premier repose sur la diligence, le second sur l’effectivité. C’est là, toute la différence entre la simple bienveillance du négociateur et l’engagement ferme du garant.

==>Promesse de porte-fort et convention de prête-nom

La promesse de porte-fort de ratification ne doit pas être assimilée à la convention de prête-nom, bien que ces deux mécanismes impliquent l’intervention d’un tiers dans une opération juridique.

Dans une convention de prête-nom, une personne conclut un acte en son nom propre mais pour le compte d’un tiers qui demeure caché. À l’inverse, dans la promesse de porte-fort, le tiers est identifié et sa ratification est attendue pour valider l’acte. Cette distinction a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 janvier 2004, où elle a souligné que, dans le prête-nom, l’acquéreur apparent dissimule l’acquéreur réel, tandis que dans le porte-fort, l’existence du tiers est révélée dès la conclusion de l’acte (Cass. com., 21 janv. 2004, n° 00-14.211).

D’autre part, la convention de prête-nom emporte une transmission automatique des droits sur l’acte conclu par le prête-nom au bénéficiaire réel, tandis que dans le porte-fort de ratification, l’acte ne produit effet à l’égard du tiers que s’il consent expressément à sa ratification.

II) Le porte-fort d’exécution

A) Fonctions assignées au porte-fort d’exécution

Initialement conçu comme un instrument garantissant la ratification d’un engagement contracté par un tiers, le porte-fort a progressivement élargi son champ d’application pour remplir une autre fonction: l’exécution par ce tiers de l’engagement qu’il a souscrit. Cette évolution, consacrée par la jurisprudence et désormais admise en doctrine, a permis au porte-fort de se positionner comme un mécanisme de garantie contractuelle, particulièrement prisé dans les relations d’affaires et les montages contractuels complexes.

Longtemps, la jurisprudence a cantonné la promesse de porte-fort à un engagement de ratification, excluant toute assimilation à une sûreté personnelle. Ce positionnement strict s’appuyait sur la conception classique selon laquelle le porte-fort ne faisait que garantir l’adhésion future d’un tiers à un acte, sans s’engager sur l’exécution effective d’une obligation par ce dernier.

Toutefois, dès les années 1980, la pratique contractuelle a conduit à une relecture de cette notion, ouvrant la voie à la reconnaissance d’un porte-fort d’exécution. Désormais, le promettant ne s’engage plus seulement à obtenir l’adhésion du tiers, mais à garantir que ce dernier respectera l’obligation promise. En cas d’inexécution, le promettant devient alors débiteur d’une obligation de réparation, le plus souvent sous forme d’indemnisation du cocontractant lésé.

Le porte-fort d’exécution s’est particulièrement développé dans le cadre des relations d’affaires. Il est fréquemment utilisé pour sécuriser des engagements dont l’exécution dépend d’une entité tierce, notamment :

Dans toutes ces hypothèses, l’engagement du porte-fort ne consiste pas à contraindre le tiers, mais à compenser les conséquences d’une éventuelle inexécution.

L’émergence du porte-fort d’exécution a suscité des débats quant à sa nature juridique. Certaines décisions jont tenté de le rapprocher du cautionnement, en raison de sa fonction de garantie accessoire à un engagement principal. Dans un arrêt du 13 décembre 2005, la Cour de cassation a ainsi distingué le porte-fort de ratification, qui est une obligation autonome, du porte-fort d’exécution, qui s’analyse comme un engagement accessoire à l’obligation principale (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217).

Toutefois, cette assimilation au cautionnement n’a jamais été totalement admise. La doctrine s’accorde à reconnaître que le porte-fort d’exécution conserve une autonomie propre, distincte des sûretés personnelles traditionnelles, en ce qu’il repose sur une obligation de faire et non une obligation de paiement. Contrairement au cautionnement, qui impose au garant de s’exécuter à la place du débiteur en cas de défaillance, le porte-fort d’exécution ne crée pas d’obligation substitutive, mais uniquement une responsabilité contractuelle en cas de non-respect de l’engagement promis.

La réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 a consacré la dualité du mécanisme du porte-fort en introduisant une distinction implicite entre le porte-fort de ratification et le porte-fort d’exécution. L’alinéa 2 de l’article 1204 du Code civil dispose ainsi que « si le tiers accomplit le fait promis », laissant entendre que l’engagement du promettant peut porter non seulement sur la ratification d’un acte, mais également sur son exécution.

Cette reconnaissance législative met un terme aux incertitudes doctrinales et jurisprudentielles qui entouraient la qualification du porte-fort d’exécution. Désormais, il est admis que ce dernier constitue une véritable garantie contractuelle, permettant de sécuriser des engagements sans nécessairement recourir aux mécanismes de cautionnement ou de garantie autonome.

B) Distinctions avec d’autres opérations juridiques

Le porte-fort d’exécution se distingue nettement d’autres mécanismes de garantie, bien qu’il partage avec eux certaines caractéristiques. Son originalité tient à la nature même de son engagement : le promettant garantit non pas le paiement d’une dette, comme une caution, mais l’accomplissement par un tiers d’un fait juridique déterminé. Cette spécificité a conduit la jurisprudence et la doctrine à examiner ses liens avec d’autres techniques de garantie, tout en insistant sur son autonomie conceptuelle.

==>Porte-fort d’exécution et cautionnement

Le porte-fort d’exécution, bien qu’il tende à garantir l’exécution d’une obligation par un tiers, ne saurait être assimilé au cautionnement, tant les fondements, la nature juridique et le régime de ces deux mécanismes divergent.

Le cautionnement, tel que défini à l’article 2288 du Code civil dans sa version issue de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, repose sur un engagement subsidiaire et personnel de la caution de satisfaire à l’obligation d’un tiers débiteur en cas de défaillance de ce dernier. Il s’agit donc d’un contrat accessoire par essence, qui lie la caution au créancier dans les mêmes termes que l’obligation principale. La caution s’engage à payer la dette du débiteur, devenant ainsi, en cas d’inexécution, un véritable débiteur de substitution.

À l’inverse, le porte-fort d’exécution repose sur un engagement autonome de faire. Le promettant ne reprend pas à son compte l’obligation du tiers, mais s’engage en son nom propre à obtenir l’exécution de cette obligation par le débiteur principal. En cas d’inexécution, il ne paie pas la dette garantie, mais indemnise le bénéficiaire du préjudice résultant de son propre manquement à cette obligation de faire. La logique est donc indemnitaire, fondée sur la responsabilité contractuelle du promettant.

La jurisprudence a longtemps entretenu une certaine confusion sur ce point. Dans un arrêt emblématique du 13 décembre 2005 (Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19.217), la Cour de cassation a qualifié l’engagement du porte-fort d’exécution d’« accessoire à l’engagement principal souscrit par le tiers », ajoutant que le promettant s’engage « à y satisfaire si le tiers ne l’exécute pas lui-même ». Une telle formule, empruntée au régime du cautionnement, laissait entendre que le porte-fort s’apparenterait à une sûreté personnelle accessoire, susceptible d’être requalifiée, selon les circonstances, en cautionnement. Cette assimilation a d’ailleurs été reprise dans plusieurs arrêts postérieurs.

Toutefois, cette position a été abandonnée au profit d’une approche plus fidèle à la nature indemnitaire du porte-fort. Dans un arrêt du 18 juin 2013 (Cass. com., 18 juin 2013, n° 12-18.890), la chambre commerciale a expressément écarté l’application de l’article 1326 du Code civil, en retenant que l’engagement de porte-fort constitue une obligation de faire. Elle a ainsi affirmé l’autonomie de cet engagement par rapport à l’obligation principale garantie, consacrant définitivement la spécificité du mécanisme. Cette solution a été réaffirmée par la suite (Cass. com., 8 juill. 2014, n° 13-14.777), contribuant à clarifier les frontières entre le porte-fort d’exécution et le cautionnement.

La doctrine dominante a salué cette clarification, en soulignant que le porte-fort d’exécution, loin d’être un cautionnement déguisé, obéit à une logique profondément différente. Il ne repose pas sur la solidarité ou sur une obligation de paiement subsidiaire, mais sur la réparation du dommage causé par la non-réalisation d’un fait promis. Comme le rappelle Isabelle Riassetto, l’engagement du porte-fort est strictement personnel et indemnitaire : il ne s’agit pas de garantir l’obligation d’autrui, mais de s’engager à en assurer l’exécution par un tiers, à ses risques et périls.

Ce caractère indemnitaire permet également d’écarter l’ensemble des règles spéciales propres au cautionnement, notamment celles relatives au formalisme de l’article 2297 du Code civil ou aux obligations d’information prévues aux articles 2293 et suivants. Le porte-fort d’exécution échappe à ces contraintes, ce qui en fait un outil de garantie souple, adapté aux besoins pratiques des acteurs économiques, notamment dans les montages contractuels impliquant des sociétés en formation ou des groupes de sociétés.

Ainsi, si le porte-fort d’exécution et le cautionnement partagent un objectif commun – garantir l’exécution d’une obligation –, leur structure juridique, leur régime applicable et la nature de l’engagement qu’ils recouvrent divergent fondamentalement. Le premier s’inscrit dans une logique d’engagement autonome de faire, générateur d’une responsabilité contractuelle en cas de manquement, là où le second repose sur une logique d’engagement subsidiaire de paiement. C’est précisément cette distinction conceptuelle qui justifie le refus, aujourd’hui consolidé, d’assimiler le porte-fort d’exécution au cautionnement.

==>Porte-fort d’exécution et garantie autonome

L’article 2321 du Code civil définit la garantie autonome comme l’engagement, pris en considération d’une obligation souscrite par un tiers, de verser une somme d’argent à première demande ou selon des modalités prédéterminées. Sa spécificité tient à son détachement radical de l’obligation principale : le garant s’engage de manière indépendante, sans pouvoir opposer les exceptions que le débiteur pourrait faire valoir. C’est ce mécanisme d’engagement abstrait, affranchi du sort de la dette garantie, qui confère à cette sûreté son caractère proprement autonome.

À l’inverse, le porte-fort d’exécution poursuit une finalité toute différente : il ne consiste pas en un engagement pécuniaire prédéterminé, mais en une obligation de faire. Le promettant s’engage à obtenir du tiers l’exécution d’une obligation déterminée, et n’est tenu d’indemniser le bénéficiaire qu’en cas d’échec de cette démarche. Il s’agit donc d’un engagement de comportement, et non d’un engagement de paiement. La nature indemnitaire du mécanisme a été confirmée par la Cour de cassation, laquelle a précisé que l’engagement du porte-fort repose sur les règles de la responsabilité contractuelle (Cass. com., 25 janv. 2005, n° 01-15.926), ce qui implique que la réparation est fonction du préjudice effectivement subi, et non d’un montant forfaitaire convenu à l’avance.

Certes, plusieurs arrêts ont qualifié le porte-fort d’engagement personnel autonome (Cass. 1re civ., 16 avr. 2015, n° 14-13.694), et une partie de la doctrine a repris cette formule pour souligner l’indépendance de l’obligation du promettant à l’égard du tiers. Toutefois, cette autonomie ne suffit pas à confondre le porte-fort d’exécution avec la garantie autonome visée à l’article 2321 du Code civil. Il ne s’agit ni d’un engagement de paiement à première demande, ni d’une promesse abstraite et détachée de toute inexécution préalable : le porte-fort n’intervient qu’en second lieu, pour réparer un manquement du tiers, et uniquement à hauteur du dommage prouvé.

Par ailleurs, contrairement à la garantie autonome, le porte-fort n’a jamais vocation à produire un effet libératoire immédiat pour le créancier. Il n’enclenche pas un mécanisme de substitution financière automatique, mais ouvre droit, le cas échéant, à des dommages et intérêts, selon une logique purement indemnitaire. Ce caractère indemnitaire exclut d’ailleurs toute assimilation au modèle de la garantie autonome, sauf à ce que le porte-fort soit assorti d’une clause pénale fixant par avance l’indemnité due en cas de manquement – hypothèse très particulière que certains auteurs mentionnent comme pouvant troubler la frontière conceptuelle.

Enfin, la tentation de rapprocher le porte-fort d’exécution d’autres mécanismes abstraits, telle la délégation imparfaite prévue à l’article 1336 du Code civil, doit également être écartée. Si la garantie autonome est parfois analysée comme une forme de délégation dans laquelle le garant s’oblige directement envers le créancier, le porte-fort d’exécution n’opère aucune substitution de débiteur. Le promettant ne s’engage pas à satisfaire personnellement à l’obligation du tiers : il garantit seulement que celui-ci l’exécutera, et répond de son propre fait si l’exécution échoue.

En somme, si le porte-fort d’exécution peut, à certains égards, paraître autonome dans son engagement, il ne revêt en aucun cas les caractéristiques essentielles de la garantie autonome au sens de l’article 2321. Il demeure un engagement de faire, structuré autour d’une logique indemnitaire fondée sur l’inexécution d’un fait promis, et ne saurait être confondu avec un instrument financier de paiement automatique.

==>Porte-fort d’exécution et assurance-crédit

L’assurance-crédit, bien qu’indemnitaire comme le porte-fort d’exécution, repose sur une logique différente : elle garantit exclusivement le non-recouvrement d’une créance en cas d’insolvabilité du débiteur.

Ainsi :

  • L’assurance-crédit couvre uniquement une obligation de paiement, tandis que le porte-fort d’exécution peut concerner toute obligation contractuelle.
  • L’indemnisation de l’assurance-crédit dépend de la survenance d’un sinistre économique (l’insolvabilité du débiteur), tandis que le porte-fort d’exécution engage la responsabilité du promettant dès que le tiers n’exécute pas son obligation.

==>Porte-fort d’exécution et délégation imparfaite

La délégation imparfaite implique qu’un délégant obtienne d’un tiers (le délégué) qu’il prenne un engagement envers un créancier (le délégataire).

Contrairement au porte-fort d’exécution :

  • La délégation crée un nouveau rapport d’obligation direct entre le délégataire et le délégué. Le porte-fort d’exécution, en revanche, ne lie pas directement le tiers au créancier, mais impose au promettant une obligation indemnitaire en cas de défaillance du tiers.
  • Le délégué devient débitrice principale du délégataire, tandis que dans le porte-fort d’exécution, le tiers reste le débiteur principal.

==>Porte-fort d’exécution et lettre d’intention

L’article 2322 du Code civil définit la lettre d’intention comme « l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier ». Par cette définition, le législateur a consacré la spécificité de cette sûreté personnelle, distincte du cautionnement, en insistant sur la notion de soutien, davantage comportementale qu’obligatoire dans ses effets.

Cette finalité rapproche la lettre d’intention du porte-fort d’exécution, dans la mesure où ces deux mécanismes ont pour objet de garantir indirectement l’exécution d’une obligation par un tiers. L’analogie devient particulièrement pertinente lorsque la lettre d’intention comporte une obligation de résultat. Dans une telle hypothèse, son souscripteur s’engage, tout comme le promettant dans une promesse de porte-fort, à faire en sorte que le débiteur principal exécute son obligation, sous peine d’être tenu à indemnisation. Cette convergence a conduit une partie de la doctrine à assimiler les deux figures, estimant que la lettre d’intention à obligation de résultat constitue une variante du porte-fort d’exécution.

Toutefois, cette assimilation ne saurait être générale ni systématique. D’une part, elle ne concerne nullement la lettre d’intention à obligation de moyens, dans laquelle le souscripteur ne promet aucun résultat déterminé, mais seulement de mettre en œuvre les diligences nécessaires pour favoriser l’exécution par le débiteur. En cas d’échec, sa responsabilité n’est engagée que si une faute peut lui être reprochée, ce qui le distingue nettement du porte-fort d’exécution, dont l’engagement est autonome et se résout en une obligation de réparation dès lors que le tiers n’exécute pas l’obligation promise, quelle que soit l’implication du promettant.

D’autre part, même dans l’hypothèse d’une lettre d’intention assortie d’une obligation de résultat, une distinction subsiste quant à l’intensité de l’engagement. Le porte-fort d’exécution impose au promettant de garantir effectivement le comportement du tiers : il s’engage à ce que ce dernier s’exécute, et non à simplement appuyer ou accompagner son exécution. Ce faisant, il assume une responsabilité de plein droit en cas de défaillance du tiers, indépendamment de toute faute ou négligence de sa part. La lettre d’intention, même contraignante, n’atteint généralement pas ce degré de rigueur.

Enfin, il convient de souligner que cette analogie ne vaut qu’à l’égard du porte-fort d’exécution. Le porte-fort de ratification, qui relève de la formation du contrat et non de sa garantie, échappe à cette logique et ne saurait être rattaché, même par analogie, à la lettre d’intention.

Ainsi, si certaines lettres d’intention, par leur formulation, tendent à produire des effets similaires à ceux du porte-fort d’exécution, en particulier lorsqu’elles traduisent une véritable obligation de résultat, la distinction entre les deux mécanismes demeure juridiquement fondée, tant en raison de leur régime que de la nature exacte de l’obligation qu’ils font peser sur leur auteur. Le premier s’analyse en une garantie stricte de comportement, engageant le promettant à réparer l’inexécution, tandis que la seconde, sauf stipulation expresse contraire, conserve une vocation d’assistance, modulée selon l’intensité de l’engagement souscrit.