Contrat d’assurance: les déclarations inexactes

La déclaration du risque conditionne l’équilibre du contrat d’assurance, en ce qu’elle détermine l’étendue de l’engagement de l’assureur. Elle permet, en effet, à l’assureur d’apprécier la nature et l’étendue du risque qu’il accepte de garantir, et de fixer en conséquence le montant de la prime. L’assuré, de son côté, est tenu à une obligation de sincérité dans les réponses qu’il apporte au questionnaire proposé par l’assureur. Ce devoir de loyauté est d’autant plus déterminant que l’évaluation du risque repose presque exclusivement sur les informations ainsi recueillies.

Lorsqu’une irrégularité affecte cette déclaration — qu’il s’agisse d’une réponse inexacte, d’une omission ou d’un silence gardé sur une circonstance particulière —, l’équilibre du contrat s’en trouve compromis. L’assureur, privé d’une information essentielle, n’a pu apprécier le risque en pleine connaissance de cause. Le droit positif organise, pour rétablir cette rupture, un régime de sanctions articulé autour de l’état d’esprit de l’assuré au moment de la déclaration.

Deux hypothèses doivent alors être distinguées. Si l’irrégularité procède d’une volonté délibérée de tromper l’assureur, elle constitue une fausse déclaration intentionnelle et emporte la nullité du contrat dans les conditions fixées à l’article L. 113-8 du Code des assurances. En revanche, si l’inexactitude ou l’omission résulte d’une simple négligence, la déclaration est qualifiée de non intentionnelle : le contrat subsiste, mais ses effets sont aménagés conformément à l’article L. 113-9.

1. La fausse déclaration intentionnelle

a. Les éléments constitutifs de la fausse déclaration intentionnelle

i. L’exigence de mauvaise foi de l’assuré

La nullité prévue à l’article L. 113-8 du Code des assurances repose sur la constatation d’une réticence ou d’une fausse déclaration intentionnelle imputable à l’assuré, c’est-à-dire sur la démonstration d’un comportement empreint de mauvaise foi. Cette notion, à la frontière entre l’intention de nuire et le simple fait volontaire, implique une volonté délibérée de fausser l’appréciation du risque par l’assureur lors de la souscription.

L’élément déterminant est ici la volonté de tromper l’assureur, ou tout au moins de l’induire en erreur sur l’existence, la nature ou l’ampleur du risque à garantir, afin d’obtenir l’émission du contrat à des conditions plus favorables, voire l’acceptation pure et simple d’un risque qu’il aurait refusé s’il avait été informé loyalement. Il s’agit ainsi d’un véritable dol technique, visant à vicier le consentement de l’assureur, indépendamment de toute volonté de causer un dommage à ce dernier (Cass. 2e civ., 16 juin 2022, n°20-20.745).

La dissimulation volontaire d’une information connue par l’assuré, et dont il sait le caractère déterminant pour l’assureur, suffit à caractériser la mauvaise foi. Ainsi, la jurisprudence retient la fausse déclaration intentionnelle même en l’absence de volonté de nuire, dès lors que l’assuré a, en conscience, fait prévaloir ses intérêts propres au détriment de la mutualité assurantielle. Tel est le cas d’un assuré qui, pour bénéficier d’une prime plus avantageuse, se déclare seul conducteur alors que son fils – jeune permis – utilise en réalité le véhicule de manière habituelle (Cass. 1re civ., 11 déc. 1990, n° 88-13.044).

La fausse déclaration peut revêtir diverses formes : affirmation mensongère, omission volontaire, altération consciente d’une réponse au questionnaire. Elle ne se réduit pas à une dissimulation formelle : elle peut résulter d’un comportement silencieux, qualifié alors de réticence, dès lors qu’il est motivé par l’intention de soustraire un élément significatif à l’appréciation de l’assureur.

La mauvaise foi suppose ainsi deux éléments cumulatifs :

  • une connaissance par l’assuré de l’exacte réalité du risque, qu’il se garde de révéler ;
  • et une intention de dissimulation visant à influencer la décision de l’assureur, qu’il s’agisse de la souscription, du montant de la prime, ou de l’acceptation du risque.

Le caractère déterminant de l’information tue ou faussée constitue une exigence complémentaire : la déclaration mensongère n’est sanctionnée que si elle a modifié « l’objet du risque ou diminué l’opinion de l’assureur » (C. assur., art. L. 113-8 ; Cass. 2e civ., 12 mai 2011, n° 10-11.832). L’existence d’une telle altération peut résulter de l’importance du risque non déclaré (ex. : séropositivité, activité nocturne dangereuse, inscription au fichier du grand banditisme – Cass. 2e civ., 25 juin 2020, n° 19-14.278).

En revanche, la fausse déclaration ne saurait être retenue si l’assuré a agi de bonne foi, par ignorance, oubli excusable ou en raison d’une interprétation raisonnable d’un questionnaire ambigu ou mal formulé. La jurisprudence reconnaît ainsi que l’intention dolosive peut être exclue en présence d’un état dépressif, d’un niveau d’instruction limité, ou de difficultés de compréhension liées à une barrière linguistique (Cass. 1re civ., 25 févr. 1986, n°84-16.882).

ii. L’appréciation de la mauvaise foi

La nullité du contrat d’assurance fondée sur l’article L. 113-8 du Code des assurances ne peut être prononcée que si la mauvaise foi de l’assuré est rigoureusement caractérisée. Conformément au principe de présomption de bonne foi posé à l’article 2268 du Code civil, il appartient à l’assureur de démontrer que la déclaration inexacte procède d’une intention dolosive de l’assuré, c’est-à-dire de la volonté de tromper l’assureur sur l’étendue ou la nature du risque à garantir. Cette exigence est constante en jurisprudence (v. notamment Cass. 2e civ., 10 déc. 2009, n° 09-10.053).

L’appréciation de cette mauvaise foi relève du pouvoir souverain des juges du fond, qui en apprécient les éléments constitutifs in concreto, à la lumière des circonstances propres à chaque espèce (Cass. 1re civ., 4 oct. 2000, n° 97-20.867). La Cour de cassation se borne à vérifier que les juges ont recherché l’existence de cette volonté frauduleuse et qu’ils ont motivé leur décision en ce sens (v. notamment Cass. 2e civ., 2 févr. 2017, n° 16-14.815).

Plusieurs indices convergents sont susceptibles de révéler l’intention de dissimuler, sans pour autant former des présomptions irréfragables :

  • La gravité objective de l’élément omis, notamment lorsqu’il s’agit d’une pathologie sérieuse, d’antécédents judiciaires lourds, de condamnations pénales, ou d’activités dangereuses, susceptibles d’altérer substantiellement l’opinion du risque (v. Cass. 2e civ., 11 sept. 2014, n° 13-22.429).
  • La proximité temporelle entre l’événement dissimulé et la déclaration, qui permet de déduire que l’assuré n’a pu l’ignorer au moment de remplir le questionnaire (Cass. 1re civ., 7 oct. 1998, n°96-17.315).
  • Le degré d’intelligibilité du questionnaire, qui conditionne la portée des réponses et la possibilité d’apprécier leur fausseté. Lorsque le document remis est précis, détaillé, et dénué d’ambiguïté, toute discordance entre les réponses et la réalité du risque est plus difficilement excusable (Cass. 2e civ., 30 juin 2016, n° 15-22.842). À l’inverse, une ambiguïté de l’assureur ou un défaut de clarté dans la formulation du questionnaire peut écarter la mauvaise foi (Cass. crim., 9 déc. 1992, n° 90-83.149).
  • Le profil de l’assuré, pris en compte par la jurisprudence, qui peut retenir une absence de mauvaise foi lorsque l’assuré présente une faible capacité de compréhension, un faible niveau d’instruction, un état psychique altéré, ou une maîtrise imparfaite de la langue française (v. Cass. 1re civ., 20 oct. 1993, n° 91-17.112). Inversement, la mauvaise foi sera retenue plus aisément chez un professionnel averti ou un souscripteur ayant une compétence particulière dans le domaine concerné (Cass. 2e civ., 29 mars 2012, n° 11-14.305).
  • Le contenu des déclarations : l’accumulation d’inexactitudes, de contradictions ou de silences révélateurs peut conduire les juridictions à retenir l’intention dolosive, notamment lorsque les erreurs ne peuvent raisonnablement être imputées à un oubli bénin. Ainsi en est-il d’un assuré ayant minoré de 20 kg son poids tout en majorant sa taille de 6 cm, tout en dissimulant des antécédents médicaux lourds (CA Colmar, 9 janv. 2017, n° 15/05647).
  • Les déclarations spontanées ou les aveux peuvent également fonder la constatation de la mauvaise foi, y compris lorsqu’aucun questionnaire n’a été formellement rédigé, dès lors que la déclaration erronée procède clairement de l’assuré lui-même (Cass. 2e civ., 4 févr. 2016, n° 15-13.850).

La jurisprudence rappelle enfin que le caractère intentionnel de la fausse déclaration doit être distingué de l’existence d’un lien de causalité avec le sinistre. En vertu de l’article L. 113-8, alinéa 1er, la sanction est encourue « alors même que le risque omis ou dénaturé a été sans influence sur le sinistre » (v. Cass. 2e civ., 23 mai 2013, n° 12-19.952). Cette dissociation entre fausse déclaration et réalisation du risque renforce le rôle central de l’appréciation de la mauvaise foi, laquelle demeure le pivot de la nullité.

Enfin, la jurisprudence constante de la Cour de cassation souligne que la sanction prévue par l’article L. 113-8 du Code des assurances s’applique indépendamment de toute influence de la fausse déclaration sur la réalisation du sinistre. Le texte est explicite : « le contrat d’assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle […] alors même que le risque omis ou dénaturé par l’assuré a été sans influence sur le sinistre ».

Il ressort de cette dissociation entre la déclaration dolosive et l’événement assuré un renversement de perspective : il ne s’agit pas de protéger l’assureur uniquement contre des sinistres non désirés, mais plus fondamentalement de préserver l’équilibre initial du contrat, compromis dès la formation par une information volontairement tronquée. Le dol, ainsi caractérisé, vicie le consentement de l’assureur non quant aux effets du contrat, mais quant à l’objet même de son engagement (v. en ce sens, Cass. 2e civ., 23 mai 2013, n° 12-19.952).

En ce sens, la jurisprudence a admis que la nullité puisse être prononcée, même si le sinistre ne présente aucun lien de causalité avec la déclaration erronée. Tel est le cas, par exemple, lorsqu’un assuré dissimule sciemment deux vols antérieurs dans une déclaration d’assurance multirisque commerçant : cette omission justifie la nullité du contrat, bien que le sinistre survenu soit un incendie sans rapport avec les vols (Cass. 1re civ., 22 janv. 2002, n°99-12.044). De même, la non-déclaration d’une hospitalisation pour sciatique entraîne la nullité du contrat, bien que la perte d’emploi litigieuse résulte d’une pathologie distincte (Cass. 2e civ., 8 juill. 2004, n°03-13.114).

La doctrine souligne ainsi que la fausse déclaration intentionnelle rompt l’équilibre actuariel du contrat en faussant l’évaluation du risque par l’assureur. Ce dernier n’a pas pu se former une opinion exacte de l’étendue du risque garanti, ce qui compromet la validité de son engagement.

Cette lecture s’impose avec d’autant plus de rigueur dans les assurances multirisques, où un seul élément mensonger suffit à contaminer l’économie globale du contrat, sauf à apprécier distinctement chaque garantie si les risques sont juridiquement divisibles (v. Cass. 2e civ., 6 juill. 2023, n° 22-11.045).

La sanction repose donc moins sur l’adéquation entre la déclaration mensongère et la réalisation du dommage que sur la gravité de la rupture de confiance qu’elle révèle. La mauvaise foi de l’assuré se trouve ainsi érigée en critère exclusif d’appréciation de la nullité, selon une logique résolument objective : c’est la loyauté dans la formation du contrat – et non la pertinence ex post des informations – qui fonde la sanction.

iii. La preuve de la mauvaise foi

L’article L. 113-8 du Code des assurances, qui prévoit la nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle de l’assuré, impose à l’assureur l’établissement d’une double preuve : démontrer, d’une part, l’inexactitude ou la réticence dans la déclaration, et, d’autre part, le caractère intentionnel de cette dissimulation. Conformément au principe de droit commun énoncé à l’article 1353 du Code civil, et à la présomption de bonne foi consacrée par l’article 2274, il appartient à celui qui invoque la mauvaise foi – en l’occurrence, l’assureur – d’en rapporter la preuve.

La jurisprudence est constante : la preuve de la fausse déclaration intentionnelle incombe intégralement à l’assureur qui entend se prévaloir de la nullité du contrat (Cass. 1re civ., 21 janv. 1957 ; Cass. crim., 13 nov. 1986). Cette charge de la preuve se révèle souvent délicate, en raison de la subjectivité inhérente à la notion d’intention dolosive. Il ne suffit pas, en effet, de constater l’inexactitude d’une réponse pour en déduire la volonté de tromper. Encore faut-il établir que l’assuré avait pleine conscience de l’importance de l’information omise ou altérée, et qu’il a volontairement cherché à fausser l’appréciation du risque par l’assureur.

Compte tenu de ce que la mauvaise foi est un fait juridique, elle peut être établie par tous moyens, dès lors que les droits de la défense sont respectés (Cass. 1re civ., 26 avr. 2000, n°97-22.560 ). Parmi les principaux éléments probatoires admis, on compte :

  • Le questionnaire écrit et signé : Il constitue l’instrument probatoire privilégié. Lorsque l’assuré a répondu par écrit à un formulaire clair, précis et intelligible, une réponse erronée, surtout à une question déterminante, pourra suffire à fonder la présomption de mauvaise foi (Cass. 2e civ., 14 avr. 2016, n° 15-18.226). La jurisprudence exige néanmoins que ce document ait bien été communiqué au souscripteur, en vertu du principe du contradictoire (Cass. 2e civ., 12 mai 2011, n° 10-19.649).
  • Les déclarations spontanées de l’assuré : En l’absence de questionnaire formalisé, la jurisprudence admet que des réponses volontairement inexactes, apportées spontanément par l’assuré, puissent suffire à établir la mauvaise foi, notamment lorsqu’elles sont consignées dans les conditions particulières signées (Cass. 2e civ., 4 févr. 2016, n° 15-13.850).
  • Les pièces médicales et administratives : En matière d’assurance de personnes, les certificats médicaux, les dossiers hospitaliers ou les antécédents judiciaires peuvent révéler que l’assuré avait nécessairement connaissance du fait omis ou dissimulé. Ces pièces doivent cependant être obtenues dans le respect du secret médical et du contradictoire. Ainsi, la désignation d’un expert judiciaire peut être sollicitée pour accéder, de manière indirecte, aux données médicales pertinentes (Cass. 1re civ., 7 déc. 2004, n° 02-12.539).
  • Les indices extérieurs et concordants : La jurisprudence admet que des indices circonstanciels puissent établir la volonté de dissimulation : correspondances privées mentionnant la vétusté d’un immeuble (Cass. 1re civ., 18 déc. 1990, n° 89-19.097), dissimulation d’un conducteur habituel non titulaire du permis (Cass. 1re civ., 17 mars 1993, n°91-14.605), ou encore déclarations incompatibles avec les fonctions exercées (Cass. 2e civ., 25 févr. 2010, n°09-13.225). De manière exceptionnelle, le recours à un enquêteur privé a pu être jugé admissible, sous réserve du respect de la vie privée et de la proportionnalité des investigations (Cass. 1re civ., 31 oct. 2012, n°11-17.476).
  • L’aveu ou la reconnaissance postérieure : L’aveu de l’assuré, même implicite, est un élément probatoire de poids. S’il reconnaît avoir volontairement minoré un élément déterminant, comme le poids réel dans une déclaration santé ou la présence de sinistres antérieurs (Cass. 2e civ., 14 juin 2012, n° 11-11.344), la preuve de sa mauvaise foi sera réputée établie.

Enfin, la jurisprudence rappelle avec constance que la seule inexactitude dans la déclaration ne suffit pas à emporter la nullité. En l’absence d’un faisceau d’éléments convergents établissant l’intention de tromper l’assureur sur l’appréciation du risque, la mauvaise foi ne peut être présumée (Cass. 2e civ., 10 déc. 2009, n° 09-10053). Cette rigueur protectrice vise à éviter que l’assureur ne transforme un simple oubli ou une négligence en dol contractuel.

Il en résulte que la preuve doit être à la fois objective (portant sur la fausseté manifeste de la déclaration) et subjective (portant sur la conscience qu’avait l’assuré de l’importance de l’élément dissimulé). L’un sans l’autre ne saurait suffire à faire prospérer l’action en nullité.

b. Les conséquences de la fausse déclaration intentionnelle

L’article L. 113-8 du Code des assurances consacre un régime autonome de nullité, dont les fondements et les effets s’écartent sensiblement de ceux qui gouvernent le droit commun des obligations contractuelles. Ce mécanisme spécifique vise à réprimer la réticence ou la fausse déclaration intentionnelle de l’assuré, dès lors que celle-ci a altéré l’appréciation que l’assureur pouvait raisonnablement se faire du risque à garantir. Il importe de souligner que cette nullité est encourue même en l’absence de tout lien de causalité entre l’élément dissimulé et la réalisation du sinistre.

Cette rigueur se justifie par l’économie particulière du contrat d’assurance, dont l’équilibre repose de manière décisive sur la transparence et la loyauté de l’information fournie par le souscripteur. En effet, le risque, objet même du contrat, n’existe aux yeux de l’assureur qu’à travers les déclarations de son cocontractant. Dès lors, toute dissimulation volontaire est de nature à vicier le fondement du consentement donné par l’assureur et à compromettre la sincérité de l’engagement qu’il a souscrit.

i. Le principe de la nullité

Le régime de nullité instauré par l’article L. 113-8 du Code des assurances présente une physionomie singulière, à la fois par son champ d’application et par sa finalité. Il trouve à s’appliquer dès lors qu’une omission ou une fausse déclaration intentionnelle, imputable à l’assuré, a eu pour effet de modifier l’objet du risque ou d’en altérer l’appréciation que l’assureur était en droit de s’en faire lors de la souscription. L’influence s’apprécie ex ante, c’est-à-dire au regard des critères qui président à la décision d’assurer — qu’il s’agisse de l’acceptation du risque, de la fixation de la prime, ou encore de l’étendue de la garantie — et ce, abstraction faite de toute considération sur la survenance effective d’un sinistre en lien avec le fait dissimulé (C. assur., art. L. 113-8, al. 1er ; v. aussi Cass. 2e civ., 23 mai 2013, n°12-19.952).

Ce régime s’applique aussi bien lors de la formation du contrat qu’au cours de son exécution, notamment à l’occasion d’une aggravation du risque que l’assuré omet volontairement de porter à la connaissance de l’assureur. Si l’article L. 113-4 du Code des assurances encadre les effets de cette omission lorsqu’elle procède de la seule négligence ou de la bonne foi, c’est à l’article L. 113-8 qu’il revient de sanctionner l’intention frauduleuse, dans une continuité jurisprudentielle affirmée dès l’arrêt fondateur du 29 septembre 1941 (Cass. civ., 29 sept. 1941 : DC 1943, p. 10, note Besson) et maintenue jusqu’à des décisions récentes (Cass. crim., 2 déc. 2014, n° 14-80.933).

L’originalité de cette nullité tient à son détachement des règles générales du droit commun. En prévoyant que la nullité peut être prononcée « indépendamment des causes ordinaires de nullité », l’article L. 113-8 du Code des assurances exclut l’exigence de démontrer un vice du consentement au sens des articles 1130 et suivants du Code civil. Il ne s’agit ni d’une erreur ni d’un dol au sens traditionnel, mais d’un mécanisme propre au droit des assurances, spécifiquement élaboré pour garantir à l’assureur une information loyale et complète sur les éléments essentiels du risque, condition sine qua non de la formation équilibrée du contrat.

Ce régime dérogatoire relève de l’ordre public de protection: il est institué au seul profit de l’assureur, qui demeure l’unique titulaire de l’action en nullité. L’assuré ne saurait s’en prévaloir, ni opposer à l’assureur une quelconque renonciation anticipée à invoquer cette nullité. Ce monopole de l’action en nullité s’explique par la finalité du texte, qui vise moins à rétablir l’équilibre contractuel qu’à sanctionner un comportement objectivement blâmable : la volonté délibérée de tromper le cocontractant sur les éléments fondamentaux de son engagement.

S’agissant enfin de l’objet même de la déclaration, il n’est pas nécessaire que l’omission ait porté sur un fait expressément visé par une question précise de l’assureur, dès lors que la formulation de celle-ci, même générale, permettait raisonnablement d’inclure le renseignement dissimulé. En ce sens, la Cour de cassation a jugé que l’assuré ne peut se prévaloir du caractère général de la question pour se soustraire à son devoir de sincérité (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n° 00-12.419). En revanche, la jurisprudence exclut toute obligation de révélation spontanée sur des points non couverts par le questionnaire, sous peine de réintroduire, en violation de la réforme de 1989, une logique de déclaration spontanée incompatible avec le modèle du questionnaire fermé (v. Cass. 2e civ., 3 juin 2010, n° 09-14.876 ; sur les textes, L. 113-2, 3°, et L. 112-3, al. 4, C. assur.).

Ainsi conçu, le mécanisme de nullité instauré par l’article L. 113-8 répond à une logique avant tout prophylactique. Il vise à dissuader les comportements déloyaux en érigeant la véracité des déclarations en condition substantielle de validité du contrat d’assurance. Le régime privilégie donc une logique de sanction fondée sur la loyauté contractuelle, plutôt qu’une réparation fondée sur le seul déséquilibre économique de la prestation.

ii. Les effets de la nullité

==>À l’égard des parties

La nullité du contrat prononcée sur le fondement de l’article L. 113-8 du Code des assurances entraîne la disparition rétroactive du lien contractuel. Le contrat est réputé n’avoir jamais existé à compter de la date à laquelle la fausse déclaration intentionnelle a été commise. Cette date correspond, selon les cas, soit à celle de la formation du contrat, soit à celle de l’événement postérieur ayant constitué une aggravation dolosive du risque (Cass. crim., 2 déc. 2014, n°14-80.933).

Cette rétroactivité produit des conséquences particulièrement sévères : l’assureur retrouve le droit de réclamer le remboursement de toutes les sommes versées à compter de la fausse déclaration. Ces versements sont considérés comme dépourvus de cause juridique, puisque la garantie n’aurait jamais dû être accordée (Cass. 2e civ., 16 juin 2022, n° 20-20.745).

Cependant, la restitution ne peut être exigée que de la personne ayant effectivement perçu les fonds. Ainsi, lorsqu’une société est bénéficiaire des prestations versées, son dirigeant ne peut être tenu personnellement à restitution, sauf à démontrer sa participation effective à la manœuvre dolosive.

À la différence du régime général de la nullité des contrats, l’article L. 113-8, alinéa 2, interdit à l’assuré de revendiquer la restitution des primes versées, même si l’assureur n’a en réalité jamais assumé le moindre risque. Les primes demeurent acquises à l’assureur et celles qui n’ont pas encore été payées sont dues à titre de dommages et intérêts.

La règle est sévère. Elle traduit une volonté du législateur de ne pas traiter la nullité comme une simple correction d’un déséquilibre contractuel, mais comme une véritable sanction, destinée à punir l’assuré de mauvaise foi. Cette règle est perçue en doctrine comme l’expression d’une “peine privée”.

Par exception, en matière d’assurance sur la vie, la sanction est atténuée. L’article L. 113-8, alinéa 3, combiné à l’article L. 132-18 du Code des assurances, impose à l’assureur de restituer la provision mathématique constituée au jour de la nullité, même en cas de fausse déclaration intentionnelle. Cette règle s’explique par la nature particulière du contrat d’assurance vie, qui repose avant tout sur une logique d’épargne : l’assureur capitalise des fonds pour le compte de l’assuré. Lui refuser toute restitution reviendrait à permettre un enrichissement injustifié du professionnel.

Par ailleurs, lorsqu’un contrat couvre plusieurs risques, la jurisprudence opère une appréciation in concreto de la portée de la fausse déclaration. Si cette dernière ne concerne qu’un seul risque, la nullité pourra être partielle (Cass. 2e civ., 2 avr. 2009, n° 08-12.942). En revanche, si les garanties sont indivisibles, notamment du fait d’une prime globale assise sur un critère unique, la nullité affectera l’intégralité du contrat (Cass. 1re civ., 22 janv. 2002, n°99-12.044). Ce principe d’indivisibilité joue ici à plein, fondée sur une approche fonctionnelle du contrat.

Enfin, la nullité fondée sur l’article L. 113-8 peut être invoquée à tout moment par l’assureur, y compris après l’expiration du délai de prescription biennale prévu à l’article L. 114-1 du Code des assurances. En effet, lorsqu’elle est soulevée par voie d’exception pour faire obstacle à une demande de garantie ou de règlement, la nullité échappe aux règles de prescription applicables aux actions en justice (Cass. 2e civ., 12 mars 2009, n°08-11.444). Cette faculté renforce la portée dissuasive du dispositif.

==>À l’égard des tiers

Conformément à l’article L. 112-6 du Code des assurances, la nullité est opposable à tout tiers au contrat qui en revendique les effets. Cela inclut notamment les bénéficiaires désignés, les assurés pour compte et les victimes agissant par la voie de l’action directe.

Ainsi, la jurisprudence constante considère que la victime ne peut invoquer l’inopposabilité de la nullité prononcée sur le fondement de l’article L. 113-8, même si celle-ci est révélée à l’occasion du sinistre (Cass. crim., 12 juin 2012, n° 11-87.395). Cette rigueur a cependant été tempérée en matière d’assurance automobile.

Sous l’effet de la directive européenne n° 2009/103/CE et de son interprétation par la CJUE (CJUE, 20 juill. 2017, aff. C-287/16), le législateur français a inséré un article L. 211-7-1 dans le Code des assurances, interdisant à l’assureur d’opposer la nullité du contrat à la victime d’un accident de la circulation ou à ses ayants droit. Cette nullité reste toutefois opposable à l’assuré, même s’il est également victime de l’accident, sauf dans les hypothèses d’abus de droit (CJUE, 19 sept. 2024, aff. C-236/23, Matmut).

Enfin, l’assureur conserve la possibilité d’exercer un recours subrogatoire contre l’assuré responsable après indemnisation de la victime, afin de récupérer les sommes versées, dès lors que ce dernier a contribué par sa fraude à la production du sinistre (Cass. 2e civ., 8 févr. 2006, n° 05-16.031).

iii. Les tempérament aux effets de la nullité

Si la nullité fondée sur l’article L. 113-8 du Code des assurances frappe l’assuré de mauvaise foi avec une sévérité toute particulière, elle n’en constitue pas pour autant un pouvoir discrétionnaire et sans limite entre les mains de l’assureur. Divers mécanismes, d’origine légale, jurisprudentielle ou contractuelle, concourent à en atténuer, voire à en neutraliser les effets. Ces tempéraments, inspirés tant de l’équité que de la protection de l’ordre public économique, assurent un équilibre entre la nécessaire répression de la fraude et les exigences de sécurité juridique.

==>La renonciation, expresse ou tacite, de l’assureur

L’assureur qui, en pleine connaissance de la fausse déclaration, poursuit l’exécution du contrat sans réserve, peut être présumé avoir renoncé à se prévaloir de la nullité. Cette renonciation peut être explicite, par exemple par une déclaration formelle d’intention, ou tacite, lorsqu’elle résulte d’un comportement non équivoque tel que le versement d’une indemnité ou la perception de primes postérieurement à la découverte de l’irrégularité (Cass. 1re civ., 12 juin 2012, n° 11-12.443). À l’inverse, un simple acte d’exécution du contrat, accompli sans pleine conscience du manquement, ne saurait emporter renonciation implicite.

Deux présomptions légales encadrent ce mécanisme : l’article L. 113-4 du Code des assurances en matière d’aggravation du risque, et l’article L. 113-17 en matière de direction du procès. Dans les deux cas, la renonciation se déduit de la continuité d’un comportement actif et volontaire. Toutefois, la jurisprudence demeure exigeante : la preuve d’une volonté dépourvue d’ambiguïté reste nécessaire.

==>La complicité ou la connaissance du mandataire de l’assureur

Un autre frein à l’action en nullité réside dans l’attitude des représentants de l’assureur. Lorsqu’il est établi que le mandataire – courtier, agent général ou préposé – avait connaissance de la fausse déclaration, ou y a contribué, l’assureur se voit privé de la faculté d’invoquer la nullité, en vertu de l’article L. 511-1 du Code des assurances, qui rend l’entreprise d’assurance civilement responsable des actes de ses mandataires (Cass. 1re civ., 4 avr. 1995, n° 92-20.112).

Cette jurisprudence s’inscrit dans une logique de loyauté : l’assureur ne saurait se prévaloir d’une irrégularité qu’il a contribué à faire naître, directement ou par l’entremise de son représentant. La charge de la preuve pèse ici sur l’assuré, qui devra établir, avec un degré suffisant de certitude, la connaissance ou la participation du mandataire à l’anomalie déclarative.

==>Dispositions dérogatoires

Le régime de nullité prévu par l’article L. 113-8 cède également devant des dispositifs spéciaux ou conventionnels, tels que l’article L. 113-10 du Code des assurances relatif aux assurances à primes et risques variables. Ce dernier texte instaure une sanction alternative – le versement d’une indemnité plafonnée – qui, lorsqu’il a été contractuellement stipulé, évince le recours à la nullité (Cass. 1re civ., 31 mars 1998, n° 96-12.526). Il en va de même lorsque le contrat prévoit un régime spécifique de sanction en cas de déclaration erronée, à condition que ce régime ait été clairement exprimé.

De manière générale, l’assureur ne peut cumuler les sanctions issues du droit spécial et celles issues du droit commun ou du droit spécial d’ordre public : la nullité ne peut être actionnée que si elle n’est pas exclue par une disposition spéciale ou par l’application d’un texte dérogatoire.

==>Les clauses d’incontestabilité

Dans certaines branches, notamment en matière d’assurance de personnes ou de contrats collectifs, il est d’usage de stipuler une clause dite d’incontestabilité, aux termes de laquelle l’assureur renonce, après un certain délai, à invoquer la nullité pour fausse déclaration.

Si ces clauses sont valables en principe, elles ne peuvent avoir pour effet de couvrir une manœuvre frauduleuse manifeste. Ainsi, la jurisprudence considère qu’elles ne sauraient faire obstacle à l’application de l’article L. 113-8 dans les cas de réticence ou de déclaration mensongère caractérisée (Cass. 1re civ., 20 juin 2000, n° 98-10.655). La clause d’incontestabilité doit donc être interprétée avec rigueur, et ne saurait priver l’assureur de la faculté d’agir contre l’assuré de mauvaise foi.

==>Les correctifs tenant à l’ordre public de protection

Enfin, certaines hypothèses spécifiques appellent une modulation des effets de la nullité, au nom de l’ordre public de protection, en particulier lorsque sont en cause des victimes d’accidents de la circulation. En vertu des articles L. 211-1 et L. 211-7-1 du Code des assurances, introduits à la suite de la jurisprudence Fidelidade (CJUE, 20 juill. 2017, aff. C-287/16), la nullité n’est pas opposable aux tiers victimes d’un accident impliquant un véhicule terrestre à moteur, même si elle repose sur une fausse déclaration intentionnelle du souscripteur (Cass. 2e civ., 16 janv. 2020, n° 18-23.381).

2. La fausse déclaration non intentionnelle

La fausse déclaration non intentionnelle du risque, lorsqu’elle résulte de la simple négligence ou de l’ignorance excusable de l’assuré, ne relève pas du régime sévère de la nullité prévu à l’article L. 113-8 du Code des assurances. C’est un régime autonome, plus clément, que consacre l’article L. 113-9 du même code. Loin d’ignorer les conséquences d’une déclaration inexacte, ce texte organise un dispositif correctif proportionné, articulé autour de deux situations distinctes : selon que l’inexactitude est révélée avant ou après la survenance du sinistre. Dans la première hypothèse, l’assureur dispose d’un droit d’option entre la résiliation du contrat ou sa continuation moyennant une augmentation de la prime. Dans la seconde, il peut obtenir une réduction de l’indemnité due, selon une règle proportionnelle fondée sur l’écart entre la prime perçue et celle qui aurait été exigée si le risque avait été correctement déclaré.

i. Hypothèse d’une découverte antérieure au sinistre : résiliation ou maintien du contrat

Lorsque l’erreur dans les déclarations de l’assuré est révélée avant la réalisation du sinistre, l’assureur dispose, en vertu de l’article L. 113-9, alinéa 2 du Code des assurances, d’un droit d’option dont la mise en œuvre est strictement encadrée. Ce texte prévoit que «?si elle est constatée avant tout sinistre, l’assureur a le droit soit de maintenir le contrat, moyennant une augmentation de prime acceptée par l’assuré, soit de résilier le contrat dix jours après notification adressée à l’assuré par lettre recommandée, en restituant la portion de la prime payée pour le temps où l’assurance ne court plus. »

Ainsi, deux options s’offrent à l’assureur : conclure un avenant modifiant la prime, sous réserve de l’accord de l’assuré, ou bien résilier le contrat de manière unilatérale, dans les formes prévues. Cette résiliation ne peut produire effet qu’à l’expiration d’un délai de dix jours suivant la notification par lettre recommandée. Elle emporte, par ailleurs, l’obligation de restituer à l’assuré la part de prime afférente à la période non couverte. L’assuré, pour sa part, ne bénéficie d’aucun droit symétrique de résiliation sur ce fondement, comme l’a rappelé la Cour de cassation (Cass., ch. réunies, 8 juill. 1953).

Toutefois, une difficulté particulière surgit dans les situations dites intermédiaires, dans lesquelles le sinistre survient après la découverte de l’irrégularité par l’assureur, mais avant que celui-ci n’ait exercé son droit d’option. Ce décalage dans le temps, qui tient à l’inertie ou à la lenteur de réaction de l’assureur, soulève une interrogation : peut-il encore, après réalisation du risque, résilier le contrat ou imposer une surprime avec effet rétroactif ?

La réponse de la jurisprudence est négative. Dans un tel cas, l’assureur est considéré comme ayant perdu le bénéfice des facultés offertes par l’article L. 113-9, alinéa 2. Il ne peut plus ni résilier, ni renégocier rétroactivement les conditions contractuelles. La Cour de cassation assimile en effet cette situation à celle d’une découverte postérieure au sinistre, neutralisant les prérogatives correctrices réservées à la phase antérieure. Seul reste alors ouvert le mécanisme de la réduction proportionnelle de l’indemnité, prévu pour les déclarations inexactes découvertes après sinistre (v. Cass. 2e civ., 2 mars 2017, n°15-27.831).

Cette solution s’explique par une exigence de cohérence procédurale et de protection de l’assuré : dès lors que le risque s’est réalisé, il ne saurait être légitime que l’assureur modifie les termes du contrat de façon rétroactive pour échapper à ses obligations indemnitaires.

ii. Hypothèse d’une découverte postérieure au sinistre : réduction proportionnelle de l’indemnité

==>Principe de la réduction proportionnelle du taux de prime

Lorsque l’assureur ne découvre l’erreur ou l’omission affectant la déclaration du risque qu’à l’occasion d’un sinistre, il ne peut ni invoquer la nullité du contrat – faute d’intention dolosive – ni résilier rétroactivement la police. La sanction applicable est alors de nature économique: l’article L. 113-9, alinéa 3 du Code des assurances institue en effet une réduction proportionnelle de l’indemnité, fondée sur le déséquilibre contractuel résultant de la sous-évaluation du risque.

Le texte dispose que « dans le cas où la constatation n’a lieu qu’après un sinistre, l’indemnité est réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues, si les risques avaient été complètement et exactement déclarés. »

Ce mécanisme correcteur, communément désigné sous l’appellation de règle proportionnelle du taux de prime, vise à restaurer l’équilibre économique du contrat en cas de déclaration imparfaite du risque. Son application repose sur une opération arithmétique limpide : l’indemnité versée par l’assureur est ajustée à due concurrence de la cotisation réellement perçue, rapportée à celle qui aurait été légitimement exigée si l’appréciation du risque avait reposé sur des données exactes.

Indemnité versée = Préjudice subi × (Prime payée ÷ Prime exigible)

Il s’agit ici de reconstituer fictivement l’économie du contrat que l’assureur aurait conclu s’il avait été correctement informé. Il ne s’agit donc pas de sanctionner la mauvaise foi de l’assuré – absente en l’espèce – mais d’assurer un réajustement ex post de la contrepartie financière.

L’application de la réduction proportionnelle est indépendante de toute incidence causale entre l’erreur déclarative et la réalisation du dommage : même si l’irrégularité a été sans influence sur le sinistre, la réduction s’applique (Cass. 2e civ., 17 avr. 2008, n° 07-13.053). Cette solution découle de l’économie technique du contrat d’assurance : ce n’est pas l’événement dommageable qui fonde la garantie, mais la sincérité de l’évaluation du risque.

Dès lors, l’assuré ne peut utilement opposer que le risque litigieux aurait été couvert aux mêmes conditions même si la déclaration avait été exacte : le seul critère est celui de la prime qui aurait été exigée en connaissance de cause.

==>Mise en oeuvre de la réduction proportionnelle du taux de prime

Encore faut-il que l’assureur soit en mesure de démontrer le bien-fondé de sa prétention. Il lui incombe d’établir, par des éléments objectifs (grille tarifaire, simulation de tarification, clauses types…), le montant de la prime qu’il aurait appliquée en cas de déclaration conforme (Cass. 2e civ., 12 sept. 2013, n° 12-26.245). À défaut, la réduction proportionnelle ne peut être légalement prononcée (v. Cass. 1re civ., 6 juin 2000, n° 97-19.241).

Les juges du fond conservent ici un pouvoir souverain pour déterminer le taux de prime “normal”, en l’absence d’accord entre les parties. Il ne peut toutefois retenir une réduction forfaitaire en substitution de la règle mathématique prévue par la loi, sous peine de censure (Cass. 1re civ., 16 déc. 1998).

==>Opposabilité de la réduction proportionnelle du taux de prime

Sauf disposition contraire, la réduction proportionnelle de l’indemnité est opposable à toute personne invoquant le contrat d’assurance, y compris les bénéficiaires et les victimes dans les assurances de responsabilité (Cass. 1re civ., 15 févr. 1977, n°75-14.244). Cette solution repose sur le principe selon lequel les droits du tiers s’adossent à ceux de l’assuré, et ne sauraient excéder ce que l’assureur aurait dû s’engager à couvrir.

Des exceptions textuelles existent cependant, en particulier en matière d’assurance automobile obligatoire, où l’article R. 211-13, 3° du Code des assurances interdit expressément l’opposabilité de la réduction proportionnelle à la victime, tout en préservant un recours subrogatoire de l’assureur contre son assuré.

==>Régime procédural de la demande en réduction proportionnelle

La demande en réduction proportionnelle ne peut être soulevée d’office par le juge : elle doit être expressément formulée par l’assureur (Cass. 1re civ., 16 oct. 1990, n°88-20.481). L’office du juge est en effet limité par l’article 4 du Code de procédure civile aux prétentions des parties. En revanche, elle est recevable en cause d’appel sur le fondement de l’article 564, dès lors qu’elle tend seulement à limiter le montant de l’indemnité réclamée (Cass. 2e civ., 9 févr. 2012, n°11-13.245).

Enfin, le régime dérogatoire applicable en Alsace-Moselle en matière de réduction proportionnelle d’indemnité a été censuré par le Conseil constitutionnel, rétablissant ainsi l’unité du droit des assurances sur le territoire national. Jusqu’en 2014, l’article L. 191-4 du Code des assurances prévoyait que, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, la réduction proportionnelle ne pouvait être appliquée si le risque omis ou dénaturé était sans incidence sur la réalisation du sinistre ou n’en modifiait pas la couverture contractuelle. Ce régime dérogatoire interdisait l’application de toute sanction, même en présence d’une déclaration erronée ayant altéré l’évaluation du risque par l’assureur, dès lors que cette inexactitude était restée sans incidence sur le sinistre ou sur l’étendue de la garantie.

À l’occasion d’un litige opposant un assureur à des héritiers d’un souscripteur décédé, relatif à la déclaration erronée de la superficie d’un bien immobilier, la Cour de cassation a été saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité (Cass. 1re civ., 26 juin 2014, n° 13-27.943). Il était demandé si l’article L. 191-4, dans la mesure où il interdisait la réduction proportionnelle dans certains départements sans considération de l’équilibre économique du contrat, ne portait pas atteinte au principe d’égalité devant la loi tel que garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Le Conseil constitutionnel, par décision du 26 septembre 2014, a fait droit à cette analyse (Cons. const. 26 sept. 2014, n°2014-414) Il a jugé que la disposition contestée, issue de la loi du 6 mai 1991, aggravait une différence de traitement injustifiée entre assurés selon leur lieu de résidence. La règle spéciale n’était ni fondée sur une différence de situation pertinente, ni justifiée par un motif d’intérêt général en rapport direct avec l’objet de la loi. Elle a donc été déclarée contraire à la Constitution, au visa du principe d’égalité.

L’abrogation de l’article L. 191-4, prononcée avec effet immédiat pour toutes les affaires non jugées définitivement, a ainsi mis un terme à un régime local dérogatoire en matière de déclaration du risque, en réaffirmant la pleine applicabilité de l’article L. 113-9 du Code des assurances, y compris en Alsace-Moselle. Cette censure marque un retour à l’unité du droit des assurances, fondée sur une conception objective et économique du contrat, indépendante de toute considération géographique ou territoriale.

Déclaration des risques: conditions d’opposabilité et efficacité du questionnaire

Le fondement de l’opposabilité du questionnaire réside dans sa fonction même : permettre à l’assureur de se forger une opinion éclairée sur le risque qu’il accepte de garantir. C’est en ce sens que l’article L. 113-2, 2° du Code des assurances impose à l’assuré de répondre exactement aux questions posées par l’assureur, « notamment dans le formulaire de déclaration du risque », dès lors qu’elles portent sur des « circonstances de nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend en charge ». La jurisprudence y rattache fermement le sort du contrat, en ce qu’une réponse inexacte portant sur un élément pertinent altérant l’appréciation du risque est susceptible d’entraîner sa nullité (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n° 00-12.419).

À cet égard, la jurisprudence admet expressément que le questionnaire puisse porter sur des circonstances relatives à un risque exclu de la garantie, dès lors que l’information sollicitée est susceptible d’influer l’opinion de l’assureur sur les risques effectivement pris en charge. Ce lien fonctionnel est particulièrement saillant en assurance de personnes, où une affection médicalement exclue peut révéler une vulnérabilité favorisant la réalisation d’un autre sinistre couvert.

L’efficacité du questionnaire suppose, corrélativement, que les réponses apportées par l’assuré soient exactes, c’est-à-dire complètes, sincères et intelligibles. Il s’agit d’un prolongement naturel du principe de bonne foi consacré aux articles 1104 et 1112 du Code civil, et qui irrigue l’ensemble du processus précontractuel.

La réponse ne peut être tenue pour fautive si l’assuré ignorait la circonstance à déclarer — par exemple, une pathologie asymptomatique non diagnostiquée (Cass. 1re civ., 1er févr. 2000, n°97-11.539). De même, l’absence de conscience de devoir déclarer la circonstance, telle qu’une myopie ancienne ou des antécédents médicaux que l’assuré croyait sans incidence, exclut toute mauvaise foi (Cass. 1re civ., 6 janv. 1994, n°91-20.095).

Cette approche fondée sur la subjectivisation de l’obligation déclarative, désormais bien ancrée dans la jurisprudence, impose à l’assureur d’établir non seulement la connaissance de la circonstance, mais aussi la conscience de sa pertinence pour l’évaluation du risque.

L’efficacité du dispositif repose enfin sur la qualité du questionnaire lui-même. L’assureur ne peut se prévaloir d’une déclaration inexacte que si elle a été fournie en réponse à une question claire, précise et individualisée, formulée avant la conclusion du contrat. Tel est l’enseignement constant de la jurisprudence depuis l’arrêt de principe de la chambre mixte du 7 février 2014 (Cass., ch. mixte, 7 févr. 2014, n° 12-85.107), réaffirmé depuis lors par de nombreuses décisions, tant civiles que pénales (v. par ex. : Cass. 2e civ., 13 déc. 2018, n°17-28.093 ; Cass. crim., 18 mars 2014, n° 12-87.195).

L’article L. 112-3, alinéa 4 du Code des assurances en précise les contours : « Lorsque, avant la conclusion du contrat, l’assureur a posé des questions par écrit […], il ne peut se prévaloir du fait qu’une question exprimée en termes généraux n’a reçu qu’une réponse imprécise. » Autrement dit, l’imprécision de la question interdit toute sanction à l’encontre de l’assuré, fût-il de mauvaise foi (Cass. 1re civ., 16 févr. 1994).

Les clauses de déclaration pré-rédigée ne peuvent suppléer à cette exigence, sauf à démontrer l’existence de réponses effectivement données à des questions précises et antérieures à la conclusion du contrat. En l’absence de telles garanties procédurales, elles sont réputées non écrites et inopposables (Cass. 2e civ., 4 avr. 2024, n°22-18.176).

Aussi, il appartient à l’assureur d’établir, cumulativement :

  • que des questions précises ont été posées,
  • que l’assuré y a répondu de façon erronée ou incomplète,
  • que cette déclaration inexacte a exercé une influence sur son opinion du risque.

Cette triple démonstration est d’autant plus rigoureuse que la jurisprudence admet, avec nuance, la prise en compte de déclarations spontanées (Cass. 2e civ., 17 janv. 2019, n°15-18.514), voire d’aveux, pour fonder la nullité du contrat (Cass. 2e civ., 3 mars 2016, n°15-13.500). Toutefois, de telles hypothèses restent dérogatoires et strictement encadrées.

Enfin, la signature du questionnaire (ou de ses transpositions dans les conditions particulières) constitue un élément probatoire fondamental, à condition qu’elle atteste d’un réel échange déclaratif et non d’un simple acquiescement à une formulation unilatérale.

Contrat d’assurance: de la distinction entre l’obligation d’information, le devoir de conseil et le devoir de mise en garde

L’acte de distribution constitue, en droit contemporain des assurances, le point d’ancrage d’un ensemble d’obligations précontractuelles essentielles à la formation équilibrée du contrat. Dès lors qu’un professionnel – qu’il s’agisse d’un assureur, d’un intermédiaire ou d’un distributeur à titre accessoire – intervient dans le cadre défini par les articles L. 511-1 et R. 511-1 du Code des assurances, il s’inscrit dans un cadre juridique exigeant, conçu pour garantir que l’offre d’assurance soit à la fois transparente, loyale et véritablement adaptée aux besoins exprimés par le souscripteur.

Ces obligations, qui participent d’une logique de protection du consentement, ont pour finalité de rééquilibrer une relation contractuelle marquée par une asymétrie d’information. Leur contenu est désormais expressément précisé par les textes : il s’articule autour de trois devoirs distincts mais complémentaires, qui forment le socle de l’intervention du distributeur en amont de la souscription : l’information, le conseil et la mise en garde.

  • L’obligation d’information : fournir une information brute, claire et loyale
    • L’obligation d’information constitue le noyau dur de la protection précontractuelle.
    • Elle impose au distributeur de communiquer au souscripteur des informations objectives, pertinentes et compréhensibles, portant non seulement sur le produit proposé, mais également sur l’identité du distributeur et les modalités essentielles de souscription.
    • Elle s’inscrit dans une logique de transparence, en vue de garantir un consentement libre et éclairé, conformément à l’article 1112-1 du Code civil.
    • Dans son contenu, l’obligation d’information consiste à exposer l’opération d’assurance à l’état brut, sans appréciation ni orientation, mais avec rigueur, clarté et loyauté.
    • Elle constitue ainsi le socle minimal de protection du souscripteur, et le point de départ de toute démarche de conseil.
    • Elle est d’autant plus fondamentale que le droit des assurances, par nature technique, place souvent le souscripteur en position d’infériorité informationnelle face au distributeur.
  • Le devoir de conseil : orienter la décision au regard des besoins exprimés
    • Prévu à l’article L. 521-4 du Code des assurances, le devoir de conseil engage le professionnel dans une démarche plus exigeante.
    • Il ne s’agit plus seulement de transmettre une information, mais d’orienter le choix du candidat à l’assurance, en fonction des exigences et besoins exprimés.
    • Ce devoir impose au distributeur de :
      • s’enquérir de la situation du client, notamment à travers un recueil formalisé de ses besoins ;
      • apprécier la pertinence du produit envisagé au regard de cette situation ;
      • émettre, le cas échéant, un avis motivé sur l’opportunité de souscrire.
    • La doctrine a clairement établi la spécificité de cette obligation.
    • Comme l’indique Hubert Groutel, le conseil suppose une appréciation intellectuelle, une analyse comparative et une orientation active.
    • Il constitue une démarche qualitative, qui dépasse le cadre purement informatif.
    • L’obligation de conseil, tout en reposant sur l’information, la dépasse, en exigeant l’engagement du professionnel dans une logique d’aide à la décision, au service de l’intérêt du souscripteur.
  • Le devoir de mise en garde : alerter sans orienter
    • Moins explicitement codifié, mais largement reconnu par la jurisprudence et la doctrine, le devoir de mise en garde complète le triptyque protecteur.
    • Il naît lorsqu’un risque spécifique, une complexité manifeste ou une inadéquation caractérisée entre le produit et la situation du client est identifiée.
    • Il impose alors au professionnel d’attirer l’attention du souscripteur sur les conséquences négatives potentielles de l’opération projetée.
    • À la différence du conseil, la mise en garde ne consiste pas à recommander une solution, mais à prévenir un danger.
    • Elle s’applique notamment :
      • en cas de produit complexe ou technique (notamment en matière d’assurance-vie ou de contrats à composante financière) ;
      • lorsque le souscripteur n’a pas les capacités de comprendre l’étendue de la garantie ou ses limites ;
      • ou encore lorsque l’opération comporte des risques d’exclusion ou de non-couverture manifeste.
    • En cela, le devoir de mise en garde préserve la liberté contractuelle, tout en permettant un consentement éclairé, en alertant le client sur les zones de fragilité du contrat.
    • Il s’agit d’un devoir d’alerte, distinct du devoir de conseil, mais non moins essentiel dans les relations d’assurance à fort enjeu.

Ces obligations trouvent leur origine dans l’inégalité des compétences et des moyens d’information entre les parties au contrat. Comme le relèvent Geneviève. Viney et Patrice Jourdain, cette dissymétrie impose au professionnel de compenser l’ignorance de son interlocuteur, dans le respect du principe de loyauté contractuelle (C. civ., art. 1104), qui irrigue l’ensemble du droit commun des contrats.

La source de ces obligations n’est pas univoque : elles procèdent à la fois du droit spécial des assurances, du droit commun des contrats, et, dans certains cas, du droit de la consommation. Si le contrat d’assurance est en principe exclu du champ d’application de certaines dispositions générales du Code de la consommation (C. consom., art. L. 111-3), la jurisprudence reconnaît néanmoins leur applicabilité lorsque le distributeur agit à titre accessoire ou hors du champ professionnel (v. Cass. 1re civ., 22 mai 2008, n° 05-21.822).

Ainsi, en fonction du statut du distributeur, de la nature de la relation, et de l’existence ou non d’un lien contractuel, ces obligations peuvent recevoir différents fondements juridiques, sans que leur contenu ne s’en trouve amoindri.

Le non-respect des obligations précontractuelles engage la responsabilité du distributeur, qu’elle soit contractuelle ou délictuelle, selon la nature du lien au moment du manquement.

Les sanctions sont multiples :

  • nullité du contrat pour vice du consentement (erreur ou dol),
  • inopposabilité de certaines clauses (notamment d’exclusion ou de déchéance),
  • résolution du contrat pour inexécution fautive,
  • ou encore responsabilité civile et allocation de dommages et intérêts.

A cet égard, il est admis que ces obligations sont d’ordre public, de sorte qu’elles ne peuvent être écartées par une clause contractuelle.

Par leur nature même, ces obligations participent de la régulation de l’accès à l’assurance et du rétablissement d’un équilibre entre parties inégales. Elles s’inscrivent dans le prolongement d’un droit des contrats marqué par l’exigence de loyauté, de transparence, et de responsabilité dans la conduite des relations précontractuelles.

Les parties au contrat d’assurance porté par une mutuelle: le membre honoraire

L’adhésion constitue l’acte juridique créateur de la relation entre une personne et une mutuelle. Elle ne saurait être réduite à une simple formalité d’accès aux prestations : elle marque l’entrée dans une communauté organisée, fondée sur des valeurs spécifiques – solidarité, démocratie, non-lucrativité – et sur un projet collectif de protection sociale. En ce sens, l’adhésion emporte un double effet : elle confère à la fois un statut d’assuré et une qualité de membre, ancrée dans une logique institutionnelle propre au modèle mutualiste.

Conformément à l’article L. 114-1, alinéa 2, du Code de la mutualité, l’adhésion implique l’acceptation des statuts, du règlement intérieur et du règlement mutualiste, qui fixent les engagements contractuels réciproques. Ce triptyque normatif constitue le fondement des droits et obligations du membre, aussi bien sur le plan assurantiel (définition des garanties et cotisations) que statutaire (participation à la vie démocratique de la mutuelle).

Le Code de la mutualité distingue deux grandes catégories d’adhérents : les membres participants et les membres honoraires.

Nous nous focaliserons ici sur la seconde catégorie de membre.

Aux côtés des membres participants, le Code de la mutualité prévoit une catégorie distincte d’adhérents : les membres honoraires. Prévue à l’article L. 114-1, alinéa 4, cette qualité est ouverte aux personnes qui ne bénéficient d’aucune garantie assurantielle, mais qui souhaitent néanmoins contribuer à la vie de la mutuelle par leur engagement financier ou institutionnel.

1. Conditions d’admission

La qualité de membre honoraire peut être attribuée, selon les conditions fixées par les statuts de la mutuelle, aux catégories suivantes :

  • Les personnes physiques qui versent à la mutuelle des cotisations, contributions ou dons, ou qui lui ont rendu des services équivalents, sans bénéficier en retour de prestations. Cette situation vise notamment les anciens membres désireux de soutenir l’organisme, ou les personnalités impliquées dans son rayonnement social ou territorial.
  • Les personnes morales souscriptrices de contrats collectifs, en particulier les employeurs ayant conclu un contrat avec la mutuelle pour couvrir leurs salariés (art. L. 114-1, al. 5). Cette faculté est réservée aux mutuelles régies par le livre II du Code de la mutualité. Elle permet une implication institutionnelle des partenaires collectifs sans lien assurantiel propre.
  • Les représentants des salariés de ces personnes morales souscriptrices, lorsque les statuts de la mutuelle l’autorisent. Il s’agit ici d’une catégorie indirecte de membres honoraires, qui permet une représentation élargie des salariés dans la gouvernance mutualiste.

La qualité de membre honoraire ne s’acquiert pas de plein droit : elle est soumise à l’agrément du conseil d’administration de la mutuelle. L’article 11 des statuts-types de la Fédération Nationale de la Mutualité Française prévoit que cette admission peut résulter :

  • soit d’une demande expresse de la personne concernée ;
  • soit d’une proposition émanant du conseil d’administration lui-même.

Le conseil peut fixer des critères spécifiques, tenir compte de la contribution effective de la personne à la mutuelle, et, le cas échéant, déléguer cette prérogative à un comité ou à un dirigeant désigné. Cette procédure d’admission encadre rigoureusement l’accès à un statut qui, bien que sans contrepartie assurantielle, ouvre des droits politiques au sein de l’organisme.

En application de l’article L. 114-1, al. 6, les règlements mutualistes définissent les droits et obligations des membres honoraires, au même titre que ceux des membres participants, en ce qui concerne les cotisations (éventuelles) et la participation à la vie institutionnelle. Ces règlements, adoptés par l’assemblée générale sur proposition du conseil d’administration, constituent le cadre de référence pour apprécier l’implication attendue des membres honoraires et leur position dans l’organisation.

2. Statut et rôle au sein de la gouvernance mutualiste

Bien qu’ils ne soient ni bénéficiaires de garanties, ni liés par les règlements mutualistes définissant les engagements assurantiels, les membres honoraires peuvent exercer des droits politiques au sein de la mutuelle, dès lors que les statuts le prévoient.

À ce titre, ils peuvent :

  • participer à l’assemblée générale et y exercer un droit de vote, au même titre que les membres participants ;
  • être éligibles aux fonctions d’administrateur, s’ils sont des personnes physiques, ou s’ils représentent une personne morale elle-même membre honoraire.

Ce rôle institutionnel contribue à élargir la gouvernance mutualiste à des acteurs extérieurs au cercle des assurés, mais qui partagent les valeurs, les orientations ou les enjeux de la mutuelle. Il permet également d’impliquer durablement les partenaires collectifs — notamment les employeurs souscripteurs — dans la stratégie de l’organisme, sans leur reconnaître pour autant de droits à prestations.

Les parties au contrat d’assurance porté par une mutuelle: le membre participant

L’adhésion constitue l’acte juridique créateur de la relation entre une personne et une mutuelle. Elle ne saurait être réduite à une simple formalité d’accès aux prestations : elle marque l’entrée dans une communauté organisée, fondée sur des valeurs spécifiques – solidarité, démocratie, non-lucrativité – et sur un projet collectif de protection sociale. En ce sens, l’adhésion emporte un double effet : elle confère à la fois un statut d’assuré et une qualité de membre, ancrée dans une logique institutionnelle propre au modèle mutualiste.

Conformément à l’article L. 114-1, alinéa 2, du Code de la mutualité, l’adhésion implique l’acceptation des statuts, du règlement intérieur et du règlement mutualiste, qui fixent les engagements contractuels réciproques. Ce triptyque normatif constitue le fondement des droits et obligations du membre, aussi bien sur le plan assurantiel (définition des garanties et cotisations) que statutaire (participation à la vie démocratique de la mutuelle).

Le Code de la mutualité distingue deux grandes catégories d’adhérents : les membres participants et les membres honoraires.

Nous nous focaliserons ici sur la première catégorie de membre.

Le membre participant constitue l’adhérent-type du contrat d’assurance mutualiste. Il incarne la spécificité du modèle mutualiste, en ce qu’il est à la fois bénéficiaire de garanties et acteur engagé de la gouvernance démocratique de l’organisme. L’article L. 114-1, alinéa 2, du Code de la mutualité le définit comme «?la personne physique qui bénéficie des prestations de la mutuelle à laquelle elle a adhéré et en ouvre le droit à ses ayants droit?».

Sa qualité repose sur une logique de double appartenance : juridique, au titre de la couverture assurantielle qu’il acquiert en contrepartie de sa cotisation ; politique, au regard de sa participation à la vie statutaire et institutionnelle de la mutuelle.

a. Qui peut être membre participant?

La qualité de membre participant est réservée, en vertu de l’article L. 114-1, alinéa 2 du Code de la mutualité, aux personnes physiques qui remplissent les conditions d’adhésion définies par les statuts de la mutuelle. Il s’agit d’un statut personnel, qui ne peut être conféré qu’à des individus, et dont l’attribution repose à la fois sur des critères statutaires d’éligibilité et sur la souscription effective d’une garantie.

i. Les conditions statutaires d’accès

Chaque mutuelle détermine, dans ses statuts, les conditions d’accès à l’adhésion. Ces conditions doivent être conformes aux principes posés par le Code de la mutualité, notamment ceux d’égalité et de non-discrimination, mais peuvent intégrer des critères propres à l’objet social de l’organisme, tels que :

  • l’appartenance à une catégorie socio-professionnelle déterminée ;
  • la résidence dans une zone géographique spécifique ;
  • l’affiliation à un régime particulier de sécurité sociale ;
  • ou tout autre critère objectif et pertinent, dès lors qu’il est prévu par les statuts.

Ainsi, peut devenir membre participant toute personne physique remplissant les conditions statutaires et acceptée par la mutuelle, dès lors qu’elle adhère et s’acquitte de la cotisation correspondant aux garanties souscrites, que ce soit dans le cadre d’une opération individuelle ou collective.

ii. Le cas particulier des mineurs de plus de 16 ans

Le Code de la mutualité prévoit une disposition spécifique à l’article L. 114-2, selon laquelle les mineurs âgés de plus de seize ans peuvent adhérer seuls, sans autorisation parentale, sous réserve qu’ils expriment une volonté éclairée. Cette disposition illustre la vocation inclusive et éducative de la mutualité, en reconnaissant aux jeunes la capacité de s’engager dans un dispositif solidaire dès l’âge de 16 ans.

iii. L’affiliation sans consentement dans les opérations collectives obligatoires

Enfin, il convient de souligner que dans le cadre des opérations collectives à adhésion obligatoire (article L. 221-2, III, 2°), la qualité de membre participant peut être attribuée automatiquement, sans qu’il soit nécessaire que la personne accomplisse un acte d’adhésion individuel. Dans cette hypothèse, la simple affiliation, opérée par l’effet d’un acte collectif à portée normative (convention collective, accord d’entreprise, décision unilatérale de l’employeur), suffit à faire naître la qualité de membre participant, dès lors que la personne bénéficie effectivement des garanties.

b. La formalisation de l’adhésion

L’adhésion donnant accès à la qualité de membre participant peut intervenir dans deux cadres juridiques distincts : celui de l’opération individuelle, d’une part, et celui de l’opération collective, d’autre part. Ces deux régimes, bien que juridiquement distincts, partagent une finalité commune : l’intégration de l’adhérent dans la communauté mutualiste en tant qu’assuré et acteur.

i. L’adhésion dans le cadre d’une opération individuelle

==>Définition juridique de l’opération individuelle

L’opération individuelle se définit, au sens de l’article L. 221-2, II du Code de la mutualité, comme celle par laquelle une personne physique adhère directement à une mutuelle ou à une union, en signant un bulletin d’adhésion. Cette adhésion intervient dans le cadre des activités d’assurance de personnes mentionnées à l’article L. 111-1, I, 1° (maladie, accident, prévoyance, etc.).

Ce type d’opération repose sur une démarche entièrement personnelle et volontaire, traduisant une volonté propre d’adhérer à la mutuelle, sans l’intermédiaire d’un contrat collectif.

La qualification juridique de l’adhérent dépend de sa situation au regard des garanties :

  • Si la personne physique adhérente est bénéficiaire des garanties, elle acquiert, à la date de sa signature, la qualité de membre participant. Elle devient ainsi à la fois bénéficiaire des garanties et membre statutaire de la mutuelle.
  • En revanche, si elle n’est pas elle-même bénéficiaire (par exemple lorsqu’elle adhère pour le compte d’un tiers), elle n’obtient que la qualité de membre honoraire. Dans ce cas, la personne physique effectivement couverte doit elle-même signer le bulletin d’adhésion pour être reconnue comme membre participant.

Cette exigence illustre le principe selon lequel la qualité de membre participant ne peut être acquise que par une personne physique bénéficiaire des garanties, et uniquement par l’effet d’un acte d’adhésion personnellement accompli. En ce sens, l’opération individuelle constitue un modèle d’adhésion fondé sur l’engagement exprès du bénéficiaire, à l’opposé de la logique à laquelle répond une opération collective.

==>Effets de l’adhésion

L’adhésion à une mutuelle produit des effets juridiques immédiats. Dès la signature du bulletin d’adhésion, et à condition que la personne physique soit bénéficiaire des garanties, celle-ci acquiert de plein droit la qualité de membre participant.

Cette qualité ne se réduit pas à la simple situation d’« assuré » : elle confère à l’adhérent un statut unique, à la fois assuré au titre du contrat mutualiste et membre actif de la mutuelle, participant à sa gouvernance.

D’une part, l’adhérent devient titulaire de droits à prestations, dans le cadre d’un régime assurantiel défini par le règlement mutualiste. Ce règlement précise la nature, l’étendue, les modalités de mise en œuvre, ainsi que les éventuelles exclusions ou limitations de garanties. Il encadre également les obligations de l’adhérent, au premier rang desquelles figure le versement régulier de la cotisation.

D’autre part, l’adhésion ouvre l’accès au régime statutaire de la mutuelle : le membre participant dispose d’un droit de vote à l’assemblée générale, d’une éligibilité aux fonctions d’administrateur, ainsi que d’un droit d’information et de participation aux décisions collectives. Ces droits s’exercent selon le principe « un membre, une voix » (art. L. 110-1 du Code de la mutualité), indépendamment du niveau de cotisation ou des prestations reçues.

Ce statut unifié, qui confère à la fois une protection assurantielle et une capacité d’intervention dans la gouvernance de l’organisme, constitue l’une des marques les plus distinctives de la mutualité. Il reflète une vision du contrat d’adhésion comme instrument de solidarité, mais aussi d’implication démocratique, au service d’un projet collectif non lucratif.

ii. L’adhésion dans le cadre d’une opération collective

Lorsque les garanties sont proposées dans un cadre collectif, l’adhésion à la mutuelle n’est plus initiée directement par la personne physique, mais organisée par l’entremise d’une personne morale souscriptrice, telle qu’un employeur, une association ou un groupement professionnel. Dans ce cas, c’est cette entité qui contracte avec la mutuelle pour le compte d’un ensemble de personnes, généralement ses salariés ou ses membres.

L’article L. 221-2, III du Code de la mutualité distingue alors deux régimes, selon le caractère facultatif ou obligatoire de l’adhésion individuelle. Cette distinction conditionne la manière dont la qualité de membre participant est acquise par les personnes physiques couvertes.

==>L’opération collective à adhésion facultative

Une opération collective est dite facultative lorsque chaque personne concernée dispose de la liberté d’adhérer ou non aux garanties souscrites pour son groupe (salariés d’une entreprise, membres d’une association, etc.). Ce régime repose donc sur une décision individuelle.

Concrètement, l’adhésion se matérialise :

  • soit par la signature d’un bulletin d’adhésion individuel ;
  • soit par l’acceptation expresse du contrat collectif conclu entre la mutuelle et la personne morale souscriptrice (employeur ou autre).

L’adhérent accepte ainsi les statuts de la mutuelle, les règlements mutualistes, et la notice d’information, dans les mêmes conditions que dans une opération individuelle.

À compter de la date de son adhésion, la personne physique acquiert la qualité de membre participant. Elle bénéficie des garanties prévues et participe à la vie statutaire de la mutuelle (vote, éligibilité, etc.).

La seule différence avec l’adhésion individuelle réside dans le cadre contractuel initial : ici, le contrat collectif lie d’abord la mutuelle et une entité tierce (ex. : l’employeur), mais l’engagement final de l’adhérent reste personnel, volontaire et juridiquement autonome.

==>L’opération collective à adhésion obligatoire

L’opération devient obligatoire lorsque l’affiliation des personnes physiques résulte d’un acte collectif ayant force contraignante, sans qu’un consentement individuel ne soit requis. L’adhésion n’est plus volontaire : elle découle d’une décision imposée à l’ensemble d’un groupe ou d’une catégorie de personnes.

Ce caractère obligatoire peut avoir plusieurs fondements :

  • une disposition légale ou réglementaire ;
  • une convention collective ou un accord de branche ;
  • un accord ratifié par la majorité des personnes concernées ;
  • ou une décision unilatérale de l’employeur (DUE).

Dans ces hypothèses, la personne physique est automatiquement affiliée à la mutuelle. Cette simple affiliation suffit à lui conférer la qualité de membre participant, sans qu’il soit nécessaire de signer un bulletin d’adhésion.

Le droit de la mutualité admet ici une exception au principe de liberté contractuelle, en ce qu’il reconnaît à l’acte collectif une valeur équivalente à un consentement individuel, à condition que soient respectées les garanties fixées par les statuts et les règlements mutualistes.

L’affiliation produit alors les mêmes effets juridiques qu’une adhésion individuelle : le salarié ou le membre affilié devient membre participant à part entière, bénéficiant des prestations et participant à la gouvernance de l’organisme.

c. Les droits et obligations attachés à la qualité de membre participant

La qualité de membre participant emporte des droits juridiques mais aussi des droits politiques, fondant l’originalité de l’engagement mutualiste.

i. Les droits juridiques

Les règlements mutualistes, adoptés soit par l’assemblée générale, soit par le conseil d’administration selon les statuts (art. L. 114-1 et L. 114-17 C. mutualité), déterminent l’ensemble des engagements contractuels opposables à la mutuelle comme au membre. Ces règlements précisent notamment :

  • les prestations garanties,
  • les modalités de déclaration des sinistres,
  • les délais de prescription,
  • les causes d’exclusion ou de déchéance,
  • les conditions de résiliation ou de reconduction tacite.

Le contenu de ces règlements est encadré par l’article R. 114-0-1 du Code de la mutualité, qui impose des mentions obligatoires, et par l’article L. 110-2, qui prohibe toute discrimination injustifiée. Sauf exception pour les opérations collectives obligatoires, la modulation des cotisations et des prestations ne peut être fondée que sur des critères objectifs limitativement énumérés (revenu, âge, durée d’appartenance, régime de sécurité sociale, lieu de résidence, etc.), à l’exclusion de l’état de santé ou du sexe.

ii. Les droits politiques

La participation à la vie démocratique de la mutuelle est un corollaire essentiel de l’adhésion. Le membre participant dispose :

  • d’un droit de vote à l’assemblée générale,
  • d’un droit de candidature au conseil d’administration,
  • d’un droit d’information sur les décisions prises par les organes de gouvernance.

Ces droits s’exercent conformément au principe d’égalité entre les membres, exprimé par la règle « un membre, une voix », qui constitue l’un des fondements du modèle mutualiste.

En ce sens, le membre participant n’est pas un usager passif du service d’assurance, mais un acteur engagé, porteur d’un projet collectif de protection sociale. Il participe à la délibération, à la décision, et à la co-construction de l’action mutualiste.

Les tiers intéressés au contrat d’assurance porté par une mutuelle: les ayants droit et les bénéficiaires

Le cœur du modèle mutualiste réside dans le lien d’adhésion unissant chaque membre à la mutuelle. Cet engagement ne se réduit ni à une simple relation contractuelle, ni à une prestation de service : il scelle une appartenance à une organisation autonome, porteuse d’un projet de solidarité et fondée sur une gouvernance démocratique. La qualité de membre n’est donc pas le simple corollaire de la souscription à une garantie ; elle procède d’un rattachement statutaire, engageant à la fois juridiquement et institutionnellement.

Le Code de la mutualité reconnaît deux formes principales de participation à la vie mutualiste : celle des membres participants, bénéficiaires des garanties et pleinement intégrés à la gouvernance de l’organisme, et celle des membres honoraires, qui contribuent au fonctionnement de la mutuelle sans relever de sa logique assurantielle.

L’analyse des conditions d’accès à la qualité de membre, des modalités d’adhésion et des droits qui y sont attachés permet de mieux comprendre la spécificité de l’engagement mutualiste, à l’intersection du droit des assurances et du droit des organismes à but non lucratif.

Nous nous focaliserons ici sur le statut des tiers intéressés au contrat d’assurance porté par une mutuelle.

Le contrat d’assurance mutualiste produit des effets qui débordent la seule relation entre la mutuelle et ses membres. En effet, certaines personnes, bien que n’ayant pas la qualité de membre, peuvent bénéficier des prestations assurantielles mises en œuvre par l’organisme. Ces bénéficiaires extérieurs à la mutuelle ne sont ni parties à l’acte d’adhésion, ni ne forment le corps électoral, ni ne participent à la gouvernance mutualiste. Néanmoins, leur intérêt à l’opération d’assurance résulte :

  • soit d’un lien dérivé, par l’intermédiaire d’un membre participant ;
  • soit d’un engagement contractuel spécifique, fondé sur une stipulation pour autrui.

a. Les ayants droit des membres participants

Les ayants droit sont les personnes désignées par les statuts ou les règlements mutualistes comme pouvant bénéficier des garanties souscrites par un membre participant. Leur droit est donc accessoire et dépendant de celui du membre dont ils dépendent (C. mutualité, art. L. 114-1, al. 2).

i. Une qualité accessoire, sans statut de membre

Contrairement au membre participant, l’ayant droit n’est pas adhérent à la mutuelle :

  • il ne signe aucun bulletin d’adhésion,
  • ne participe pas à la gouvernance de l’organisme,
  • et ne peut ni voter ni être élu dans les instances statutaires.

Il tire l’intégralité de ses droits des dispositions statutaires ou règlementaires applicables au membre participant dont il dépend. Par conséquent, la cessation d’adhésion du membre principal (résiliation, radiation, décès non couvert) emporte disparition du droit à prestations de l’ayant droit, sauf stipulation contraire.

ii. Définition du statut

Depuis l’abrogation de l’ancien article L. 313-3 du Code de la sécurité sociale, le législateur n’offre plus de définition de la notion d’ayant droit dans le cadre des contrats mutualistes. En conséquence, il revient désormais à chaque mutuelle de définir, dans ses statuts ou ses règlements mutualistes, les personnes qui peuvent être reconnues comme ayants droit d’un membre participant.

Cette définition est laissée à l’appréciation des mutuelles, sous réserve du respect des principes généraux du droit de la mutualité, en particulier le principe de non-discrimination (C. mutualité, art. L. 110-1 et L. 110-2). Les statuts peuvent ainsi prévoir que sont considérés comme ayants droit :

  • le conjoint marié du membre ;
  • le partenaire lié par un pacte civil de solidarité (PACS) ;
  • le concubin notoire ;
  • les enfants mineurs ou à charge ;
  • voire, selon les cas, certains ascendants ou autres membres de la famille vivant au foyer.

Cette autonomie permet aux mutuelles d’adapter leur politique de couverture aux réalités sociales et familiales contemporaines, en intégrant, par exemple, les nouveaux modèles familiaux ou les situations de dépendance économique.

b. Les bénéficiaires désignés par une stipulation pour autrui

Outre les ayants droit, une autre catégorie de personnes peut bénéficier des effets du contrat d’assurance mutualiste sans pour autant être membre de la mutuelle : il s’agit des bénéficiaires désignés par une stipulation pour autrui, conformément au régime prévu aux articles 1205 et suivants du Code civil.

Ce mécanisme permet à l’adhérent — dit le stipulant — de prévoir, dans le contrat mutualiste, qu’un tiers bénéficiera d’une prestation déterminée, sans être lui-même partie à la convention. Ce schéma est courant dans les garanties de prévoyance, notamment pour les prestations en cas de décès, d’invalidité ou d’incapacité, où le capital ou la rente est directement versé à un tiers désigné.

i. Un droit propre, né de la volonté du stipulant

Contrairement à l’ayant droit, dont la qualité est statutairement défini et juridiquement dérivé de l’adhésion du membre participant, le bénéficiaire d’une stipulation pour autrui dispose d’un droit propre, né de l’acte du stipulant.

Ce droit :

  • n’est pas subordonné à la qualité de membre du bénéficiaire ;
  • devient directement opposable à la mutuelle dès lors qu’il a été accepté ;
  • et ouvre la voie à une action personnelle en exécution de la prestation, selon les modalités prévues dans le contrat.

La stipulation produit donc un effet direct et immédiat au profit du tiers, qui peut valablement réclamer le versement des sommes ou l’exécution de l’engagement prévu, indépendamment de tout lien juridique avec la mutuelle.

ii. L’absence de qualité de membre

Malgré l’existence d’un droit sur la prestation, le bénéficiaire d’une stipulation pour autrui ne devient pas pour autant membre de la mutuelle. Il reste extérieur à la structure mutualiste, et n’est investi d’aucune des prérogatives attachées à la qualité d’adhérent.

Concrètement :

  • il ne participe pas à l’assemblée générale et ne dispose d’aucun droit de vote ;
  • il ne peut être éligible à aucune fonction au sein des instances dirigeantes ;
  • il n’est tenu par aucune obligation de cotisation ou de contribution ;
  • et il n’est pas soumis aux statuts ou règlements mutualistes, sauf en cas d’adhésion dûment formalisée.

Ce n’est que s’il accomplit les formalités d’adhésion — notamment la signature du bulletin et l’acceptation des statuts et règlements mutualistes — qu’il pourra acquérir la qualité de membre participant.

Les parties au contrat d’assurance porté par une mutuelle

Le cœur du modèle mutualiste réside dans le lien d’adhésion unissant chaque membre à la mutuelle. Cet engagement ne se réduit ni à une simple relation contractuelle, ni à une prestation de service : il scelle une appartenance à une organisation autonome, porteuse d’un projet de solidarité et fondée sur une gouvernance démocratique. La qualité de membre n’est donc pas le simple corollaire de la souscription à une garantie ; elle procède d’un rattachement statutaire, engageant à la fois juridiquement et institutionnellement.

Le Code de la mutualité reconnaît deux formes principales de participation à la vie mutualiste : celle des membres participants, bénéficiaires des garanties et pleinement intégrés à la gouvernance de l’organisme, et celle des membres honoraires, qui contribuent au fonctionnement de la mutuelle sans relever de sa logique assurantielle.

L’analyse des conditions d’accès à la qualité de membre, des modalités d’adhésion et des droits qui y sont attachés permet de mieux comprendre la spécificité de l’engagement mutualiste, à l’intersection du droit des assurances et du droit des organismes à but non lucratif.

Nous nous focaliserons ici sur le statut des seules personnes adhérentes, membres de la mutuelle.

L’adhésion constitue l’acte juridique créateur de la relation entre une personne et une mutuelle. Elle ne saurait être réduite à une simple formalité d’accès aux prestations : elle marque l’entrée dans une communauté organisée, fondée sur des valeurs spécifiques – solidarité, démocratie, non-lucrativité – et sur un projet collectif de protection sociale. En ce sens, l’adhésion emporte un double effet : elle confère à la fois un statut d’assuré et une qualité de membre, ancrée dans une logique institutionnelle propre au modèle mutualiste.

Conformément à l’article L. 114-1, alinéa 2, du Code de la mutualité, l’adhésion implique l’acceptation des statuts, du règlement intérieur et du règlement mutualiste, qui fixent les engagements contractuels réciproques. Ce triptyque normatif constitue le fondement des droits et obligations du membre, aussi bien sur le plan assurantiel (définition des garanties et cotisations) que statutaire (participation à la vie démocratique de la mutuelle).

Le Code de la mutualité distingue deux grandes catégories d’adhérents : les membres participants et les membres honoraires.

1. Les membres participants

Le membre participant constitue l’adhérent-type du contrat d’assurance mutualiste. Il incarne la spécificité du modèle mutualiste, en ce qu’il est à la fois bénéficiaire de garanties et acteur engagé de la gouvernance démocratique de l’organisme. L’article L. 114-1, alinéa 2, du Code de la mutualité le définit comme «?la personne physique qui bénéficie des prestations de la mutuelle à laquelle elle a adhéré et en ouvre le droit à ses ayants droit?».

Sa qualité repose sur une logique de double appartenance : juridique, au titre de la couverture assurantielle qu’il acquiert en contrepartie de sa cotisation ; politique, au regard de sa participation à la vie statutaire et institutionnelle de la mutuelle.

a. Qui peut être membre participant?

La qualité de membre participant est réservée, en vertu de l’article L. 114-1, alinéa 2 du Code de la mutualité, aux personnes physiques qui remplissent les conditions d’adhésion définies par les statuts de la mutuelle. Il s’agit d’un statut personnel, qui ne peut être conféré qu’à des individus, et dont l’attribution repose à la fois sur des critères statutaires d’éligibilité et sur la souscription effective d’une garantie.

i. Les conditions statutaires d’accès

Chaque mutuelle détermine, dans ses statuts, les conditions d’accès à l’adhésion. Ces conditions doivent être conformes aux principes posés par le Code de la mutualité, notamment ceux d’égalité et de non-discrimination, mais peuvent intégrer des critères propres à l’objet social de l’organisme, tels que :

  • l’appartenance à une catégorie socio-professionnelle déterminée ;
  • la résidence dans une zone géographique spécifique ;
  • l’affiliation à un régime particulier de sécurité sociale ;
  • ou tout autre critère objectif et pertinent, dès lors qu’il est prévu par les statuts.

Ainsi, peut devenir membre participant toute personne physique remplissant les conditions statutaires et acceptée par la mutuelle, dès lors qu’elle adhère et s’acquitte de la cotisation correspondant aux garanties souscrites, que ce soit dans le cadre d’une opération individuelle ou collective.

ii. Le cas particulier des mineurs de plus de 16 ans

Le Code de la mutualité prévoit une disposition spécifique à l’article L. 114-2, selon laquelle les mineurs âgés de plus de seize ans peuvent adhérer seuls, sans autorisation parentale, sous réserve qu’ils expriment une volonté éclairée. Cette disposition illustre la vocation inclusive et éducative de la mutualité, en reconnaissant aux jeunes la capacité de s’engager dans un dispositif solidaire dès l’âge de 16 ans.

iii. L’affiliation sans consentement dans les opérations collectives obligatoires

Enfin, il convient de souligner que dans le cadre des opérations collectives à adhésion obligatoire (article L. 221-2, III, 2°), la qualité de membre participant peut être attribuée automatiquement, sans qu’il soit nécessaire que la personne accomplisse un acte d’adhésion individuel. Dans cette hypothèse, la simple affiliation, opérée par l’effet d’un acte collectif à portée normative (convention collective, accord d’entreprise, décision unilatérale de l’employeur), suffit à faire naître la qualité de membre participant, dès lors que la personne bénéficie effectivement des garanties.

b. La formalisation de l’adhésion

L’adhésion donnant accès à la qualité de membre participant peut intervenir dans deux cadres juridiques distincts : celui de l’opération individuelle, d’une part, et celui de l’opération collective, d’autre part. Ces deux régimes, bien que juridiquement distincts, partagent une finalité commune : l’intégration de l’adhérent dans la communauté mutualiste en tant qu’assuré et acteur.

i. L’adhésion dans le cadre d’une opération individuelle

==>Définition juridique de l’opération individuelle

L’opération individuelle se définit, au sens de l’article L. 221-2, II du Code de la mutualité, comme celle par laquelle une personne physique adhère directement à une mutuelle ou à une union, en signant un bulletin d’adhésion. Cette adhésion intervient dans le cadre des activités d’assurance de personnes mentionnées à l’article L. 111-1, I, 1° (maladie, accident, prévoyance, etc.).

Ce type d’opération repose sur une démarche entièrement personnelle et volontaire, traduisant une volonté propre d’adhérer à la mutuelle, sans l’intermédiaire d’un contrat collectif.

La qualification juridique de l’adhérent dépend de sa situation au regard des garanties :

  • Si la personne physique adhérente est bénéficiaire des garanties, elle acquiert, à la date de sa signature, la qualité de membre participant. Elle devient ainsi à la fois bénéficiaire des garanties et membre statutaire de la mutuelle.
  • En revanche, si elle n’est pas elle-même bénéficiaire (par exemple lorsqu’elle adhère pour le compte d’un tiers), elle n’obtient que la qualité de membre honoraire. Dans ce cas, la personne physique effectivement couverte doit elle-même signer le bulletin d’adhésion pour être reconnue comme membre participant.

Cette exigence illustre le principe selon lequel la qualité de membre participant ne peut être acquise que par une personne physique bénéficiaire des garanties, et uniquement par l’effet d’un acte d’adhésion personnellement accompli. En ce sens, l’opération individuelle constitue un modèle d’adhésion fondé sur l’engagement exprès du bénéficiaire, à l’opposé de la logique à laquelle répond une opération collective.

==>Effets de l’adhésion

L’adhésion à une mutuelle produit des effets juridiques immédiats. Dès la signature du bulletin d’adhésion, et à condition que la personne physique soit bénéficiaire des garanties, celle-ci acquiert de plein droit la qualité de membre participant.

Cette qualité ne se réduit pas à la simple situation d’« assuré » : elle confère à l’adhérent un statut unique, à la fois assuré au titre du contrat mutualiste et membre actif de la mutuelle, participant à sa gouvernance.

D’une part, l’adhérent devient titulaire de droits à prestations, dans le cadre d’un régime assurantiel défini par le règlement mutualiste. Ce règlement précise la nature, l’étendue, les modalités de mise en œuvre, ainsi que les éventuelles exclusions ou limitations de garanties. Il encadre également les obligations de l’adhérent, au premier rang desquelles figure le versement régulier de la cotisation.

D’autre part, l’adhésion ouvre l’accès au régime statutaire de la mutuelle : le membre participant dispose d’un droit de vote à l’assemblée générale, d’une éligibilité aux fonctions d’administrateur, ainsi que d’un droit d’information et de participation aux décisions collectives. Ces droits s’exercent selon le principe « un membre, une voix » (art. L. 110-1 du Code de la mutualité), indépendamment du niveau de cotisation ou des prestations reçues.

Ce statut unifié, qui confère à la fois une protection assurantielle et une capacité d’intervention dans la gouvernance de l’organisme, constitue l’une des marques les plus distinctives de la mutualité. Il reflète une vision du contrat d’adhésion comme instrument de solidarité, mais aussi d’implication démocratique, au service d’un projet collectif non lucratif.

ii. L’adhésion dans le cadre d’une opération collective

Lorsque les garanties sont proposées dans un cadre collectif, l’adhésion à la mutuelle n’est plus initiée directement par la personne physique, mais organisée par l’entremise d’une personne morale souscriptrice, telle qu’un employeur, une association ou un groupement professionnel. Dans ce cas, c’est cette entité qui contracte avec la mutuelle pour le compte d’un ensemble de personnes, généralement ses salariés ou ses membres.

L’article L. 221-2, III du Code de la mutualité distingue alors deux régimes, selon le caractère facultatif ou obligatoire de l’adhésion individuelle. Cette distinction conditionne la manière dont la qualité de membre participant est acquise par les personnes physiques couvertes.

==>L’opération collective à adhésion facultative

Une opération collective est dite facultative lorsque chaque personne concernée dispose de la liberté d’adhérer ou non aux garanties souscrites pour son groupe (salariés d’une entreprise, membres d’une association, etc.). Ce régime repose donc sur une décision individuelle.

Concrètement, l’adhésion se matérialise :

  • soit par la signature d’un bulletin d’adhésion individuel ;
  • soit par l’acceptation expresse du contrat collectif conclu entre la mutuelle et la personne morale souscriptrice (employeur ou autre).

L’adhérent accepte ainsi les statuts de la mutuelle, les règlements mutualistes, et la notice d’information, dans les mêmes conditions que dans une opération individuelle.

À compter de la date de son adhésion, la personne physique acquiert la qualité de membre participant. Elle bénéficie des garanties prévues et participe à la vie statutaire de la mutuelle (vote, éligibilité, etc.).

La seule différence avec l’adhésion individuelle réside dans le cadre contractuel initial : ici, le contrat collectif lie d’abord la mutuelle et une entité tierce (ex. : l’employeur), mais l’engagement final de l’adhérent reste personnel, volontaire et juridiquement autonome.

==>L’opération collective à adhésion obligatoire

L’opération devient obligatoire lorsque l’affiliation des personnes physiques résulte d’un acte collectif ayant force contraignante, sans qu’un consentement individuel ne soit requis. L’adhésion n’est plus volontaire : elle découle d’une décision imposée à l’ensemble d’un groupe ou d’une catégorie de personnes.

Ce caractère obligatoire peut avoir plusieurs fondements :

  • une disposition légale ou réglementaire ;
  • une convention collective ou un accord de branche ;
  • un accord ratifié par la majorité des personnes concernées ;
  • ou une décision unilatérale de l’employeur (DUE).

Dans ces hypothèses, la personne physique est automatiquement affiliée à la mutuelle. Cette simple affiliation suffit à lui conférer la qualité de membre participant, sans qu’il soit nécessaire de signer un bulletin d’adhésion.

Le droit de la mutualité admet ici une exception au principe de liberté contractuelle, en ce qu’il reconnaît à l’acte collectif une valeur équivalente à un consentement individuel, à condition que soient respectées les garanties fixées par les statuts et les règlements mutualistes.

L’affiliation produit alors les mêmes effets juridiques qu’une adhésion individuelle : le salarié ou le membre affilié devient membre participant à part entière, bénéficiant des prestations et participant à la gouvernance de l’organisme.

c. Les droits et obligations attachés à la qualité de membre participant

La qualité de membre participant emporte des droits juridiques mais aussi des droits politiques, fondant l’originalité de l’engagement mutualiste.

i. Les droits juridiques

Les règlements mutualistes, adoptés soit par l’assemblée générale, soit par le conseil d’administration selon les statuts (art. L. 114-1 et L. 114-17 C. mutualité), déterminent l’ensemble des engagements contractuels opposables à la mutuelle comme au membre. Ces règlements précisent notamment :

  • les prestations garanties,
  • les modalités de déclaration des sinistres,
  • les délais de prescription,
  • les causes d’exclusion ou de déchéance,
  • les conditions de résiliation ou de reconduction tacite.

Le contenu de ces règlements est encadré par l’article R. 114-0-1 du Code de la mutualité, qui impose des mentions obligatoires, et par l’article L. 110-2, qui prohibe toute discrimination injustifiée. Sauf exception pour les opérations collectives obligatoires, la modulation des cotisations et des prestations ne peut être fondée que sur des critères objectifs limitativement énumérés (revenu, âge, durée d’appartenance, régime de sécurité sociale, lieu de résidence, etc.), à l’exclusion de l’état de santé ou du sexe.

ii. Les droits politiques

La participation à la vie démocratique de la mutuelle est un corollaire essentiel de l’adhésion. Le membre participant dispose :

  • d’un droit de vote à l’assemblée générale,
  • d’un droit de candidature au conseil d’administration,
  • d’un droit d’information sur les décisions prises par les organes de gouvernance.

Ces droits s’exercent conformément au principe d’égalité entre les membres, exprimé par la règle « un membre, une voix », qui constitue l’un des fondements du modèle mutualiste.

En ce sens, le membre participant n’est pas un usager passif du service d’assurance, mais un acteur engagé, porteur d’un projet collectif de protection sociale. Il participe à la délibération, à la décision, et à la co-construction de l’action mutualiste.

2. Les membres honoraires

Aux côtés des membres participants, le Code de la mutualité prévoit une catégorie distincte d’adhérents : les membres honoraires. Prévue à l’article L. 114-1, alinéa 4, cette qualité est ouverte aux personnes qui ne bénéficient d’aucune garantie assurantielle, mais qui souhaitent néanmoins contribuer à la vie de la mutuelle par leur engagement financier ou institutionnel.

a. Conditions d’admission

La qualité de membre honoraire peut être attribuée, selon les conditions fixées par les statuts de la mutuelle, aux catégories suivantes :

  • Les personnes physiques qui versent à la mutuelle des cotisations, contributions ou dons, ou qui lui ont rendu des services équivalents, sans bénéficier en retour de prestations. Cette situation vise notamment les anciens membres désireux de soutenir l’organisme, ou les personnalités impliquées dans son rayonnement social ou territorial.
  • Les personnes morales souscriptrices de contrats collectifs, en particulier les employeurs ayant conclu un contrat avec la mutuelle pour couvrir leurs salariés (art. L. 114-1, al. 5). Cette faculté est réservée aux mutuelles régies par le livre II du Code de la mutualité. Elle permet une implication institutionnelle des partenaires collectifs sans lien assurantiel propre.
  • Les représentants des salariés de ces personnes morales souscriptrices, lorsque les statuts de la mutuelle l’autorisent. Il s’agit ici d’une catégorie indirecte de membres honoraires, qui permet une représentation élargie des salariés dans la gouvernance mutualiste.

La qualité de membre honoraire ne s’acquiert pas de plein droit : elle est soumise à l’agrément du conseil d’administration de la mutuelle. L’article 11 des statuts-types de la Fédération Nationale de la Mutualité Française prévoit que cette admission peut résulter :

  • soit d’une demande expresse de la personne concernée ;
  • soit d’une proposition émanant du conseil d’administration lui-même.

Le conseil peut fixer des critères spécifiques, tenir compte de la contribution effective de la personne à la mutuelle, et, le cas échéant, déléguer cette prérogative à un comité ou à un dirigeant désigné. Cette procédure d’admission encadre rigoureusement l’accès à un statut qui, bien que sans contrepartie assurantielle, ouvre des droits politiques au sein de l’organisme.

En application de l’article L. 114-1, al. 6, les règlements mutualistes définissent les droits et obligations des membres honoraires, au même titre que ceux des membres participants, en ce qui concerne les cotisations (éventuelles) et la participation à la vie institutionnelle. Ces règlements, adoptés par l’assemblée générale sur proposition du conseil d’administration, constituent le cadre de référence pour apprécier l’implication attendue des membres honoraires et leur position dans l’organisation.

b. Statut et rôle au sein de la gouvernance mutualiste

Bien qu’ils ne soient ni bénéficiaires de garanties, ni liés par les règlements mutualistes définissant les engagements assurantiels, les membres honoraires peuvent exercer des droits politiques au sein de la mutuelle, dès lors que les statuts le prévoient.

À ce titre, ils peuvent :

  • participer à l’assemblée générale et y exercer un droit de vote, au même titre que les membres participants ;
  • être éligibles aux fonctions d’administrateur, s’ils sont des personnes physiques, ou s’ils représentent une personne morale elle-même membre honoraire.

Ce rôle institutionnel contribue à élargir la gouvernance mutualiste à des acteurs extérieurs au cercle des assurés, mais qui partagent les valeurs, les orientations ou les enjeux de la mutuelle. Il permet également d’impliquer durablement les partenaires collectifs — notamment les employeurs souscripteurs — dans la stratégie de l’organisme, sans leur reconnaître pour autant de droits à prestations.

Le contrat d’assurance porté par une mutuelle: principes directeurs

Le contrat d’assurance porté par une mutuelle se distingue radicalement du contrat d’assurance de droit commun, tant par son architecture juridique que par sa finalité sociale. Loin d’un contrat bilatéral de nature commerciale conclu entre un assureur et un souscripteur, il s’agit d’un acte d’adhésion à une entité collective, structurée comme personne morale de droit privé à but non lucratif, régie par ses statuts et par le Code de la mutualité (art. L. 110-1).

Cet acte d’adhésion n’ouvre pas seulement droit à une prestation : il marque l’entrée dans un collectif de protection solidaire, où le membre participant n’est pas un client mais un assuré-citoyen, investi de droits, de devoirs et d’une vocation à la gouvernance démocratique de l’organisme. En cela, le contrat mutualiste dépasse la seule logique assurantielle pour inscrire la relation contractuelle dans un projet commun d’organisation sociale de la solidarité.

Cette nature duale du lien unissant la mutuelle à ses membres a été consacrée avec force par l’ordonnance n° 2017-734 du 4 mai 2017, qui a introduit dans le Code de la mutualité un chapitre préliminaire intitulé « Principes communs aux mutuelles, unions et fédérations ». Ce chapitre affirme explicitement les valeurs fondatrices de la mutualité : non-lucrativité, liberté, démocratie et solidarité. Ces principes ne sont pas de simples proclamations : ils structurent de manière contraignante l’action des mutuelles, en délimitant tant leur champ d’activité que les conditions d’exercice de leurs missions assurantielles.

Le contrat mutualiste s’inscrit ainsi dans une relation d’assurance impliquant des engagements réciproques en matière de prestations et de cotisations, mais également — et indissociablement — dans une relation d’appartenance institutionnelle à une entité poursuivant un objet social collectif. Cette appartenance se traduit notamment par la participation aux décisions collectives, l’exercice du droit de vote, la contribution aux excédents non distribuables, et l’ancrage dans un fonctionnement statutaire transparent, tel que requis à l’article L. 110-1.

En outre, cette spécificité est renforcée par le principe de spécialité, dont le Code de la mutualité tire les conséquences juridiques tant au plan interne (interdiction de pratiquer plusieurs branches d’assurance dans un même organisme) qu’externe (interdiction de cumuler activité assurantielle et gestion de services médico-sociaux, sauf accessoirement : art. L. 111-1, III). La finalité sociale et la cohérence structurelle des mutuelles sont donc juridiquement protégées, au prix d’une limitation volontaire de leur champ d’intervention.

Ainsi, l’identité mutualiste se forge dans l’articulation entre finalité non marchande, appartenance collective et solidarité active, dans un cadre où la technique assurantielle est au service d’une éthique sociale. C’est dans cette logique que s’inscrit le contrat mutualiste, dont les effets ne peuvent être pleinement compris qu’en les replaçant dans l’ordonnancement normatif qui structure les rapports entre la mutuelle et les personnes concernées par son action : membres participants, ayants droit, affiliés, bénéficiaires.

1. Les statuts : socle identitaire et organique de la mutuelle

Dans l’architecture juridique qui régit les relations entre la mutuelle et ses membres, les statuts occupent une place centrale sinon fondamentale. Ils ne sont pas de simples actes constitutifs ; ils constituent l’acte fondateur de la mutuelle, à la fois support de sa personnalité morale, réceptacle de ses finalités sociales, et instrument de régulation interne. Le Code de la mutualité consacre cette fonction structurante à l’article L. 114-4, qui énumère de manière détaillée les mentions devant obligatoirement y figurer.

Les statuts déterminent ainsi :

  • l’objet social de la mutuelle, sa dénomination, son siège, ainsi que, pour les organismes pratiquant des opérations d’assurance, les branches d’activité garanties, y compris en réassurance ou en substitution ;
  • les conditions et modalités d’adhésion, de radiation et d’exclusion des membres, ainsi que les critères d’identification des ayants droit des membres participants ;
  • la composition des organes dirigeants, le mode d’élection et la durée du mandat des administrateurs, la limite d’âge, les règles de représentation en assemblée générale, et les conditions de vacance des sièges en cas de démission ou de décès.

Par-delà ces éléments techniques, les statuts constituent le véritable socle identitaire de la mutuelle. En effet, ils traduisent dans leur contenu les valeurs constitutives du modèle mutualiste, telles qu’elles sont affirmées à l’article L. 110-1 du Code de la mutualité : but non lucratif, gouvernance démocratique, gestion désintéressée, principe de solidarité, participation des membres.

Ils ne se contentent donc pas de fixer les règles de fonctionnement ; ils incarnent un projet collectif, nourri d’un idéal d’entraide et de justice sociale. Le statut de membre ne se réduit pas à une situation contractuelle passive : il emporte participation active à la vie démocratique de l’organisme, dans le respect du principe fondamental « un membre, une voix ». Cette égalité de participation, quel que soit le montant des cotisations versées ou le niveau des prestations perçues, consacre l’adhésion à une logique d’égalité civique mutualiste, à rebours des logiques capitalistiques.

La portée normative des statuts est d’autant plus importante qu’ils sont opposables aux membres (art. L. 114-1, al. 1), sous réserve qu’ils leur aient été communiqués au moment de l’adhésion. Toute modification doit également leur être notifiée pour être applicable. Cette exigence participe de la transparence statutaire, garante d’une adhésion pleinement informée et librement consentie, fondement de la qualité de membre.

En définitive, les statuts forment le noyau normatif autour duquel s’articule toute la vie de la mutuelle. Ils garantissent la cohérence interne du groupement, tout en assurant le respect des principes d’organisation démocratique et de solidarité qui fondent la spécificité mutualiste. En cela, ils ne sont pas seulement un instrument de régulation institutionnelle: ils sont le réceptacle vivant de l’engagement collectif, porteur de l’identité, de la légitimité et de la pérennité de l’action mutualiste.

2. Les règlements mutualistes : fondement de la relation assurantielle

Si les statuts expriment le projet institutionnel et organique de la mutuelle, les règlements mutualistes en constituent le prolongement fonctionnel, en ce qu’ils organisent, de manière précise et normative, la relation d’assurance entre la mutuelle et ses membres. Codifiés à l’article L. 114-1, II du Code de la mutualité, ces règlements définissent « le contenu des engagements contractuels existant entre chaque membre participant ou honoraire et la mutuelle […] en ce qui concerne les prestations et les cotisations ».

Ils constituent ainsi, dans les opérations d’assurance individuelles ou collectives à adhésion facultative, le support juridique direct de la garantie assurantielle. L’adhésion du membre — constatée par la signature d’un bulletin — emporte acceptation expresse du règlement mutualiste applicable, lequel tient lieu de contrat au sens fonctionnel du terme. La force obligatoire de ce règlement repose sur son intégration dans un ensemble normatif cohérent, qui articule engagement personnel et appartenance collective.

L’importance de ce document tient également à la densité normative de son contenu, encadrée tant par le législateur que par le pouvoir réglementaire. Le décret n° 2022-388 du 17 mars 2022 est ainsi venu renforcer le formalisme de l’article R. 114-0-1, en imposant la présence de clauses précises, rédigées en caractères très apparents, notamment :

  • les conditions d’entrée en vigueur des garanties,
  • les exclusions, nullités et déchéances,
  • les délais de prescription,
  • les modalités de résiliation, de reconduction, ou de prorogation du contrat ou de l’adhésion,
  • les délai de versement des prestations et la nature de l’indemnisation.

Ces exigences visent à garantir un haut niveau de lisibilité juridique, en phase avec le double objectif de protection de l’adhérent et de transparence contractuelle, qui irrigue l’ensemble du régime mutualiste.

Le contenu des règlements mutualistes est, par ailleurs, subordonné aux principes généraux énoncés à l’article L. 110-2 du Code de la mutualité, en particulier ceux de non-discrimination, d’égalité de traitement, et de modulation équitable des cotisations et prestations. Conformément à ce texte, et sauf exception liée aux opérations collectives obligatoires, la modulation des droits et obligations des membres ne peut intervenir que sur la base de critères objectifs, strictement encadrés, tels que :

  • le revenu,
  • la durée d’appartenance à la mutuelle,
  • le régime de sécurité sociale d’affiliation,
  • le lieu de résidence,
  • le nombre d’ayants droit,
  • ou l’âge du membre participant.

Il est en revanche formellement interdit, dans le cadre des opérations individuelles ou collectives à adhésion facultative, de fonder une modulation sur l’état de santé ou sur le sexe du membre ou du bénéficiaire. Cette interdiction est renforcée par les dispositions de l’article L. 110-3, issues de la transposition de la directive 2004/113/CE relative à l’égalité d’accès aux biens et services.

La rédaction du règlement mutualiste devient ainsi le lieu de cristallisation d’une relation contractuelle encadrée par des impératifs éthiques : il ne saurait être l’instrument d’une sélection des risques, mais doit être au service d’une couverture solidaire et inclusive. Le contrat mutualiste, tel que formalisé par le règlement, se distingue ainsi d’un contrat d’assurance de marché, en ce qu’il incorpore une logique redistributive, dans laquelle les plus faibles ne sont pas exclus mais protégés par la force du collectif.

À ce titre, les règlements mutualistes incarnent la transposition technique des principes mutualistes dans l’univers des garanties assurantielles. Ils permettent d’opérationnaliser, au sein d’un dispositif normatif accessible et encadré, les engagements réciproques entre la mutuelle et ses membres, dans le respect de l’esprit de solidarité qui fonde l’institution.

3. Le contrat collectif : support spécifique des opérations assurantielles groupées

Lorsque la couverture assurantielle est organisée dans un cadre collectif, la relation juridique ne repose plus principalement sur l’acte d’adhésion individuel du membre, mais sur un contrat écrit conclu entre la mutuelle et une personne morale souscriptrice, telle qu’un employeur, une association, ou un groupement professionnel. Cette modalité particulière est expressément prévue à l’article L. 114-1, III du Code de la mutualité, selon lequel « les droits et obligations résultant d’opérations collectives font l’objet d’un contrat écrit entre la personne morale souscriptrice et la mutuelle ».

Ce contrat collectif constitue le cadre juridique commun aux personnes physiques affiliées dans le cadre de l’opération. Il précise notamment les garanties offertes, les modalités d’affiliation, la répartition des cotisations, les exclusions éventuelles, les règles de reconduction et de cessation, ainsi que les mécanismes de gestion. Il organise donc une relation triangulaire, dans laquelle la mutuelle s’engage envers un groupe déterminé de bénéficiaires par l’intermédiaire d’un tiers contractant, lui-même engagé pour le compte des membres affiliés.

Toutefois, ce modèle collectif ne supprime pas nécessairement la logique d’adhésion individuelle. En effet, l’article L. 221-2 du Code de la mutualité prévoit que, dans certaines hypothèses, notamment dans le cadre d’opérations collectives à adhésion facultative, la signature d’un bulletin d’adhésion individuel demeure exigée. Cette coexistence entre un contrat collectif conclu avec un souscripteur et un règlement mutualiste collectif accepté individuellement soulève des difficultés d’articulation juridique, particulièrement en matière de détermination du support contractuel applicable et du régime contentieux afférent.

L’ambiguïté réside notamment dans le fait que le dernier alinéa de l’article L. 114-1 impose le recours à un contrat collectif écrit pour toutes les opérations collectives, alors que l’article L. 221-2, qui n’a pas été abrogé, continue de reconnaître la validité d’une adhésion par bulletin dans certains cas. Cette dualité non résolue peut entraîner une insécurité juridique, tant pour les mutuelles que pour les adhérents, quant à la source exacte des engagements réciproques, à leur opposabilité, et aux modalités de preuve en cas de litige.

Au-delà de ces enjeux techniques, le recours au contrat collectif soulève également des questions de représentativité et de consentement. Dans les régimes collectifs obligatoires, l’affiliation résulte parfois d’une décision unilatérale de l’employeur ou d’un accord collectif, sans que le salarié ait exprimé un consentement formel. Le droit de la mutualité tente d’encadrer cette réalité en imposant, par exemple, la remise d’une notice d’information (art. L. 221-6 C. mutualité), ou encore en régissant strictement les clauses de résiliation et de reconduction.

Malgré ces contraintes, le contrat collectif joue un rôle structurant essentiel dans le déploiement de la protection mutualiste à l’échelle des collectifs de travail, des institutions et des groupements. Il permet de mutualiser les risques à grande échelle, d’étendre la couverture à des personnes qui n’auraient pas nécessairement adhéré à titre individuel, et de faire vivre concrètement le principe de solidarité dans une logique professionnelle ou territoriale.

Les tiers intéressés à la formation du contrat d’assurance: les intermédiaires

Bien que le contrat d’assurance se forme, en principe, entre deux parties — le souscripteur et l’assureur —, il est loin de se limiter à ce seul cercle contractuel. Le droit des assurances admet qu’il puisse impliquer des tiers, soit par leurs intérêts dans les effets du contrat, soit par leur intervention lors de sa formation.

Ainsi, certains tiers — tels que l’assuré pour compte ou le bénéficiaire — se voient reconnaître un véritable droit propre à la garantie, sans avoir pris part à la conclusion du contrat. Leur intégration dans la sphère contractuelle résulte d’une stipulation pour autrui ou, dans certains cas, d’une disposition légale.

D’autres tiers, en amont cette fois, interviennent dans le processus de formation du contrat. Il en va ainsi des intermédiaires d’assurance — agents généraux, courtiers, mandataires — dont le rôle, bien que distinct des parties, est juridiquement structurant : ces professionnels facilitent, encadrent ou engagent la relation contractuelle.

Le contrat d’assurance se révèle ainsi perméable : ouvert en aval à des bénéficiaires extérieurs, et en amont à des acteurs de sa genèse, il invite à repenser les frontières classiques de la relation contractuelle.

Nous nous focaliserons ici sur les tiers intéressés à la formation du contrat d’assurance, soit les intermédiaires.

Si le contrat d’assurance s’élabore en principe entre un souscripteur et un assureur, sa formation fait souvent intervenir des tiers qualifiés d’intermédiaires. Ces derniers, qu’ils agissent au nom ou pour le compte de l’assureur, du souscripteur ou même en leur nom propre, jouent un rôle essentiel dans la genèse du lien contractuel. Leur fonction dépasse la simple transmission d’informations : ils peuvent engager juridiquement l’une ou l’autre des parties et influencer la formation, la validité ou encore les effets du contrat. Une distinction s’impose alors entre les différentes catégories d’intermédiaires, chacune dotée d’un statut et d’un régime propres : agent général d’assurance, courtier, mandataire d’assurance, ou encore mandataire d’intermédiaire.

1. L’agent général d’assurance

L’agent général est le représentant permanent d’une entreprise d’assurance. Son statut, régi par le Code des assurances (notamment l’article R. 511-2) et encadré par la Convention collective nationale du 2 juin 2003, repose sur une relation de mandat de droit commun, à laquelle s’ajoutent des dispositions spécifiques issues du droit de l’assurance.

Mandataire de l’assureur, l’agent engage directement ce dernier vis-à-vis des souscripteurs. Il peut proposer, négocier et conclure des contrats d’assurance au nom de la compagnie qu’il représente. Il peut également percevoir les primes et, dans certaines limites, régler les sinistres. Cette capacité d’engagement fait de lui un relais contractuel de l’assureur, dont les actes – y compris fautifs – peuvent engager la responsabilité, selon les règles de la représentation.

Toutefois, s’il est lié par une relation de dépendance économique, l’agent général n’est pas un salarié : il conserve une autonomie dans la gestion de son portefeuille et dans l’exercice de son activité professionnelle. Cette dualité – autonomie de gestion et pouvoir de représentation – confère à l’agent général une place singulière parmi les professionnels de l’intermédiation.

2. Le courtier d’assurance

À la différence de l’agent général, le courtier n’est pas lié à une compagnie d’assurance déterminée. Il agit en principe pour le compte de l’assuré, auquel il doit loyauté et conseil. Il est tenu d’une obligation d’analyse des besoins du client et d’un devoir de conseil, sous peine d’engager sa responsabilité professionnelle en cas de défaillance.

Sur le plan juridique, le courtier est souvent considéré comme un mandataire du souscripteur. Il est chargé de rechercher, au nom et pour le compte de celui-ci, les garanties les plus adaptées auprès d’un ou plusieurs assureurs. Toutefois, dans certaines hypothèses, il peut également conclure le contrat au nom de l’assuré, lorsque ce dernier lui en donne mandat exprès.

Mais la position du courtier n’est pas univoque. Il peut également être tenu de transmettre certaines informations à l’assureur, et sa défaillance dans l’exécution de cette obligation peut produire des effets sur la validité ou l’opposabilité du contrat. En outre, si le courtier encaisse les primes, il le fait en vertu d’un mandat exprès, et sa responsabilité est engagée en cas de défaut de reversement.

3. Le mandataire d’assurance

Le mandataire d’assurance est défini à l’article L. 511-1 du Code des assurances comme toute personne autre qu’un salarié de l’entreprise d’assurance, habilitée à exercer, contre rémunération, des activités d’intermédiation. Cette notion vise un éventail d’acteurs plus large, qui peuvent agir pour le compte d’un assureur sans en avoir le statut d’agent général.

Le mandataire est donc un intermédiaire occasionnel ou spécialisé, lié par un mandat ponctuel ou limité. Il peut s’agir, par exemple, d’un professionnel distribuant des produits d’assurance en complément d’une autre activité commerciale (vendeur automobile, banquier, etc.). Dans ce cas, sa mission est circonscrite, et sa responsabilité dépendra de l’étendue du mandat reçu et de la nature des informations fournies au souscripteur.

La loi exige que le mandataire soit immatriculé à l’ORIAS, comme tout intermédiaire, et qu’il respecte les obligations d’information et de transparence prévues aux articles L. 521-1 et suivants du Code des assurances.

4. Le mandataire d’intermédiaire

Enfin, le mandataire d’intermédiaire – souvent qualifié de « sous-mandataire » – agit pour le compte d’un intermédiaire principal, qu’il s’agisse d’un agent, d’un courtier ou d’un mandataire d’assurance. Il intervient dans un cadre subordonné, n’ayant pas de relation directe avec l’assureur ou le souscripteur final.

Cette catégorie, introduite par la réforme du droit des assurances issue de la directive Solvabilité II, est soumise à des obligations similaires à celles des autres intermédiaires, notamment en matière de transparence, d’information précontractuelle et d’immatriculation à l’ORIAS. Sa responsabilité est susceptible d’être engagée à la fois à l’égard du mandant et du cocontractant, en cas de manquement dans la phase précontractuelle.

Les tiers intéressés aux effets du contrat d’assurance: les assurés et les bénéficiaires

Bien que le contrat d’assurance se forme, en principe, entre deux parties — le souscripteur et l’assureur —, il est loin de se limiter à ce seul cercle contractuel. Le droit des assurances admet qu’il puisse impliquer des tiers, soit par leurs intérêts dans les effets du contrat, soit par leur intervention lors de sa formation.

Ainsi, certains tiers — tels que l’assuré pour compte ou le bénéficiaire — se voient reconnaître un véritable droit propre à la garantie, sans avoir pris part à la conclusion du contrat. Leur intégration dans la sphère contractuelle résulte d’une stipulation pour autrui ou, dans certains cas, d’une disposition légale.

D’autres tiers, en amont cette fois, interviennent dans le processus de formation du contrat. Il en va ainsi des intermédiaires d’assurance — agents généraux, courtiers, mandataires — dont le rôle, bien que distinct des parties, est juridiquement structurant : ces professionnels facilitent, encadrent ou engagent la relation contractuelle.

Le contrat d’assurance se révèle ainsi perméable : ouvert en aval à des bénéficiaires extérieurs, et en amont à des acteurs de sa genèse, il invite à repenser les frontières classiques de la relation contractuelle.

Nous nous focaliserons ici sur les tiers intéressés aux effets du contrat d’assurance, soit les assurés et les bénéficiaires.

Certains tiers, bien qu’étrangers à la conclusion du contrat d’assurance, peuvent en tirer directement avantage. C’est le cas de l’assuré pour compte et du bénéficiaire, qui accèdent à la garantie par un mécanisme conventionnel ou légal. Leur intégration dans la relation contractuelle leur confère un droit propre, tout en les soumettant au régime du contrat.

a. Le tiers assuré : l’assurance pour compte

La structure classique du contrat d’assurance repose sur une relation intuitu personae entre le souscripteur et l’assureur. Pourtant, cette relation bilatérale peut être aménagée de manière à conférer la qualité d’assuré à un tiers, par le biais du mécanisme de l’assurance pour compte. Ce dernier, consacré à l’article L. 112-1, alinéa 2, du Code des assurances, permet de souscrire une assurance « pour le compte de qui il appartiendra », transformant alors un tiers en véritable assuré, sans qu’il ait participé à la formation du contrat.

i. Fondement

L’assurance pour compte repose sur le mécanisme juridique de la stipulation pour autrui, prévu à l’article 1205 du Code civil. Dans ce schéma, le souscripteur (qualifié de stipulant) conclut un contrat d’assurance avec un assureur (le promettant), en vue de faire bénéficier un tiers (le bénéficiaire de la stipulation) de la garantie d’assurance. Ce tiers acquiert ainsi, par l’effet du contrat, la qualité d’assuré, bien qu’il ne soit pas partie au contrat au moment de sa formation.

L’article L. 112-1, alinéa 2, du Code des assurances reconnaît expressément ce montage : « L’assurance peut […] être contractée pour le compte de qui il appartiendra. La clause vaut, tant comme assurance au profit du souscripteur du contrat que comme stipulation pour autrui au profit du bénéficiaire connu ou éventuel de ladite clause. »

Ce texte opère une double reconnaissance : il confirme d’une part que le souscripteur peut contracter pour son propre compte et, d’autre part, qu’il peut le faire au bénéfice d’un tiers, désigné ou non, lequel se voit conférer la qualité d’assuré.

Cependant, l’existence d’une assurance pour compte ne se présume pas. Conformément aux principes du droit des obligations (art. 1203 et 1205 du Code civil), la stipulation pour autrui suppose une volonté claire des parties de conférer des effets au contrat au profit d’un tiers. Cette volonté non équivoque peut toutefois résulter implicitement des termes du contrat et des circonstances de sa souscription. Elle ne doit donc pas nécessairement être exprimée de manière formelle dans la police, pourvu qu’elle puisse être déduite avec suffisamment de certitude (Cass. 2e civ., 5 mars 2020, n°19-10.201).

Pour établir cette volonté implicite, la jurisprudence procède souvent à une analyse des intérêts d’assurance en présence. Elle vérifie si le tiers, prétendument assuré pour compte, justifie d’un intérêt direct et légitime à la non-réalisation du risque (art. L. 121-6 du Code des assurances). Cette exigence d’intérêt d’assurance est centrale : elle permet de distinguer une véritable assurance pour compte d’un simple effet de couverture indirecte.

ii. Domaine

L’assurance pour compte est principalement mobilisée dans les assurances de dommages, qu’il s’agisse d’assurances de chose ou de responsabilité. Elle irrigue notamment les pratiques contractuelles en matière de transport, de location, de dépôt ou encore dans les assurances professionnelles et collectives. L’exemple du transporteur assurant les marchandises qui lui sont confiées par des tiers est éclairant : le contrat couvre à la fois sa responsabilité (assurance de responsabilité) et la valeur des biens transportés (Cass. 1re civ., 24 juin 2003, n°00-17.213).

L’assurance pour compte présente cette particularité que le tiers bénéficiaire n’a pas besoin d’être nommément désigné dans la police : sa déterminabilité suffit. Ainsi, un critère objectif, tel que la qualité de propriétaire des biens ou la participation à l’opération assurée, permet d’identifier l’assuré pour compte (Cass. 1re civ., 10 juill. 1995, n°92-13.534). Cette souplesse permet d’intégrer dans la couverture d’assurance des parties prenantes multiples, comme c’est le cas dans les assurances de chantier ou les contrats multirisques couvrant l’immeuble pour le compte de l’occupant et du propriétaire.

iii. Effets

Le tiers assuré pour compte, bénéficiaire de la stipulation prévue à l’article L. 112-1 du Code des assurances, dispose d’un droit propre contre l’assureur. En tant que titulaire d’un droit personnel direct, il peut exercer une action directe pour obtenir le bénéfice de la garantie d’assurance, sans avoir à passer par le souscripteur (Cass. civ., 17 oct. 1945). Il ne se trouve donc pas en concurrence avec les créanciers du souscripteur : son droit n’est ni dérivé, ni subrogatoire, mais autonome.

Toutefois, le tiers ainsi assuré n’est pas étranger au régime contractuel. En vertu de l’article L. 112-1, alinéa 3, l’assureur peut lui opposer toutes les exceptions nées du contrat, qu’elles soient liées au comportement du souscripteur ou à celui du tiers lui-même. Il en va ainsi, par exemple :

La jurisprudence admet toutefois un tempérament en ce qui concerne la prescription : son point de départ est repoussé au jour où l’assuré pour compte a eu la possibilité d’agir, c’est-à-dire lorsqu’il a eu connaissance du sinistre ou de la possibilité d’exercer ses droits (Cass. 2e civ., 15 mars 2007, n°05-20.856).

Par ailleurs, si le tiers assuré bénéficie de la garantie, il ne supporte pas pour autant les obligations principales du contrat. En particulier, il n’est pas tenu au paiement des primes, sauf s’il s’est expressément engagé à le faire (Cass. 2e civ., 25 juin 2020, n° 19-13.624). Cette obligation demeure à la charge exclusive du souscripteur.

Il reste que, dans son intérêt, l’assuré pour compte peut être amené à collaborer à l’exécution du contrat, notamment en déclarant le sinistre ou en participant aux opérations d’expertise, afin de ne pas compromettre sa faculté de recours contre l’assureur.

En somme, le tiers assuré occupe une position singulière : sans être partie au contrat lors de sa formation, il est néanmoins intégré dans son exécution, bénéficiant de la garantie tout en étant soumis à ses limites. Il s’agit ainsi d’un tiers bénéficiaire inclus dans le champ contractuel, qui échappe à l’effet relatif classique du contrat sans pour autant se voir reconnaître la plénitude des prérogatives d’un contractant.

b. Le tiers bénéficiaire : entre stipulation contractuelle et désignation légale

La notion de bénéficiaire dans le contrat d’assurance désigne la personne au profit de laquelle la prestation d’assurance est exécutée en cas de réalisation du risque, sans que cette personne ait nécessairement participé à la conclusion du contrat. À la différence de l’assuré pour compte, qui assume le risque, le bénéficiaire est le réceptacle de la garantie, ce qui fait de lui le titulaire d’un droit propre à l’indemnisation. Son intervention dans les effets du contrat peut résulter soit d’une stipulation contractuelle, soit d’une disposition légale.

i. La stipulation pour autrui

Dans les assurances de personnes, et plus particulièrement en matière d’assurance-vie, le bénéficiaire est généralement désigné par le souscripteur à travers une stipulation pour autrui (C. civ., art. 1205 ; C. assur., art. L. 132-8). Le souscripteur (le stipulant) demande à l’assureur (le promettant) de s’engager à verser la prestation au profit d’un tiers (le bénéficiaire), en cas de survenance de l’événement assuré (décès, survie, invalidité, etc.).

Cette stipulation peut bénéficier à un tiers nommément désigné, mais aussi à une personne déterminable au moment de la réalisation du risque (par ex., « à mes héritiers » ou « à mon conjoint »). En vertu de l’article L. 132-8 du Code des assurances, cette désignation peut être faite dans la police, par avenant, ou même par testament.

L’acceptation du bénéfice de la stipulation par le bénéficiaire confère à sa situation juridique une stabilité accrue : elle rend la stipulation irrévocable, sauf clause contraire (C. civ., art. 1206 ; C. assur., art. L. 132-9). Dès cette acceptation, le bénéficiaire dispose d’un droit propre, de nature contractuelle, qu’il peut exercer directement contre l’assureur.

Néanmoins, ce droit demeure soumis aux conditions du contrat, en vertu de l’article L. 112-6 du Code des assurances, qui prévoit que « l’assureur peut opposer au bénéficiaire toutes les exceptions opposables au souscripteur ». Ainsi, les nullités, les exclusions de garantie, ou encore la prescription, peuvent être invoquées par l’assureur contre le bénéficiaire, y compris lorsqu’elles sont fondées sur un comportement imputable au souscripteur.

Un tempérament important a cependant été admis par la jurisprudence : lorsque le sinistre est déjà réalisé, certaines déchéances ne peuvent plus priver le bénéficiaire de son droit, notamment lorsque le manquement contractuel relève du seul souscripteur (Cass. 1re civ., 2 avr. 1974, n°73-10.356).

ii. La désignation légale du bénéfice

Dans certaines hypothèses, la qualité de bénéficiaire ne résulte pas de la volonté des parties, mais de la loi. C’est notamment le cas en assurance de responsabilité, où la victime du dommage causé par l’assuré dispose d’un droit d’action directe contre l’assureur. Cette prérogative est consacrée à l’article L. 124-3 du Code des assurances, qui prévoit que « le tiers lésé dispose d’un droit d’action directe contre l’assureur de la personne responsable ».

Ce mécanisme répond à une finalité de protection de la victime, en lui permettant de contourner les éventuelles défaillances du responsable (insolvabilité, absence d’initiative procédurale) et d’agir directement contre le garant du risque.

Là encore, ce droit est autonome et personnel : la victime n’agit ni en subrogation, ni en représentation du responsable, mais en vertu d’un droit propre, de source légale. Toutefois, la jurisprudence a maintenu l’applicabilité des exceptions issues du contrat d’assurance, notamment les exclusions de garantie, la nullité du contrat, ou encore la prescription (Cass. 1re civ., 4 juin 1996, n° 94-13.614). Ces exceptions sont opposables à la victime, même si elle n’en a pas eu connaissance, conformément à l’article L. 112-6 du Code des assurances.

Toutefois, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, les déchéances fondées sur un manquement personnel du souscripteur, telles que l’inexécution d’une obligation de déclaration, ne peuvent être opposées à la victime lorsque le sinistre est déjà survenu. La Haute juridiction rappelle à cet égard que l’intérêt de la victime, protégée par la loi, prime sur la sanction contractuelle du comportement du responsable (Cass. 1re civ., 6 mai 1997, n°95-15.319).