L’établissement des comptes entre indivisaires constitue une étape cruciale dans le processus de liquidation de l’indivision, permettant de rétablir un équilibre financier au sein de la communauté indivise.
En tenant compte des créances et des dettes de chaque indivisaire vis-à-vis de la masse commune, cette opération vise à corriger les disparités nées de la gestion ou de la jouissance des biens indivis et à garantir une répartition équitable de la masse partageable.
À cet égard, Michel Grimaldi rappelle avec justesse que « l’établissement des comptes entre indivisaires assure une liquidation juste et équilibrée, en prenant en considération tant les contributions apportées que les prélèvements opérés par chacun sur le patrimoine commun ».
I) L’obligation de tenir un état des créances et des dettes
En application de l’article 815-8 du Code civil, toute personne percevant des revenus ou engageant des dépenses pour le compte de l’indivision est tenue de tenir un état des créances et des dettes.
Cette obligation s’étend non seulement aux indivisaires eux-mêmes, mais également à toute personne impliquée dans la gestion des biens indivis, qu’il s’agisse d’un mandataire désigné par les indivisaires ou d’une personne nommée par voie judiciaire.
L’état des créances et des dettes, couramment rédigé par un notaire, constitue un document essentiel à la gestion de l’indivision. Il doit être mis à la disposition des indivisaires et contenir un récapitulatif précis des recettes perçues et des dépenses engagées pour le compte de la collectivité indivise.
Ce document ne se limite pas à un simple état descriptif ; il est un véritable compte de gestion, destiné à permettre aux indivisaires de suivre de manière claire l’évolution financière de l’indivision. Il assure également la transparence quant à la répartition équitable des charges et des bénéfices entre les co-indivisaires.
Dans le cadre d’une succession, le rôle du notaire liquidateur devient primordial. Ce dernier est chargé de tenir un compte d’administration de l’indivision, qui centralise toutes les opérations financières effectuées au nom de la masse indivise.
Ce compte inclut non seulement les revenus perçus, tels que les loyers ou les produits de cession d’actifs indivis, mais également les dépenses nécessaires à la gestion des biens indivis, comme le paiement des taxes ou les frais d’entretien.
Bien que distinct du compte d’indivision proprement dit, ce compte d’administration joue un rôle essentiel. Il permet, en effet, d’établir les créances et les dettes de chaque indivisaire vis-à-vis de l’indivision et d’assurer une liquidation transparente au moment du partage.
II) La finalité des comptes entre indivisaires
L’établissement des comptes entre indivisaires répond à une nécessité impérieuse de régularisation des déséquilibres financiers nés au cours de la gestion de l’indivision. En effet, les relations entre indivisaires, loin d’être figées, évoluent au gré des apports, des dépenses et des bénéfices réalisés par chacun, rendant indispensable une clarification des droits et obligations respectifs avant tout partage définitif.
Les déséquilibres susceptibles de résulter de la gestion de l’indivision revêtent des formes variées. Ils peuvent résulter :
- De dépenses engagées par certains indivisaires pour le compte de la collectivité indivise, telles que des frais d’entretien, des travaux de conservation ou encore des primes d’assurance. Ces dépenses, nécessaires à la préservation du patrimoine commun, doivent être prises en compte afin d’éviter qu’un seul indivisaire supporte des charges qui bénéficient à l’ensemble.
- De la jouissance privative d’un bien indivis par un indivisaire, lorsque celui-ci occupe seul un immeuble indivis, privant ainsi les autres indivisaires de leur droit à la jouissance commune. Cette occupation exclusive engendre une dette à l’égard de la masse indivise, sous forme d’une indemnité d’occupation, destinée à rétablir l’équilibre entre les co-indivisaires.
- De la perception exclusive de fruits ou de revenus issus des biens indivis par un indivisaire, par exemple lorsqu’un indivisaire perçoit seul les loyers d’un immeuble indivis sans en reverser la part revenant aux autres. Cette situation doit être régularisée pour garantir une répartition équitable des fruits entre tous les co-indivisaires.
Ces situations, bien que fréquentes, ne sauraient demeurer sans régularisation au risque de compromettre l’égalité qui doit présider au partage des biens indivis. L’objectif des comptes entre indivisaires est précisément de restaurer cet équilibre en tenant compte des créances et des dettes de chacun vis-à-vis de la masse indivise. Ils permettent d’éviter que certains indivisaires ne se trouvent avantagés au détriment des autres, notamment lorsque des dépenses ont été avancées ou des bénéfices perçus de manière inégale.
Comme le rappelle la doctrine, le compte d’indivision « se situe au carrefour des contributions financières et des droits patrimoniaux des indivisaires, visant à solder les relations économiques nées au cours de la gestion commune, afin d’assurer une liquidation juste et équitable ». Il en résulte que les comptes entre indivisaires doivent être établis avec rigueur afin de garantir une répartition équitable des charges et des bénéfices.
Cette exigence de rigueur s’explique par le fait que l’établissement des comptes conditionne directement le partage. Un compte mal tenu ou incomplet pourrait fausser la liquidation de l’indivision, au risque d’engendrer de nouvelles contestations entre indivisaires. Dès lors, le rôle du notaire chargé de la liquidation apparaît primordial, ce dernier étant tenu de dresser un état précis des créances et des dettes de chacun, comme le prescrit l’article 1368 du Code de procédure civile.
Exemple pratique :
Un indivisaire finance seul des travaux de rénovation sur un immeuble indivis afin d’en préserver la valeur. Par ailleurs, un autre indivisaire perçoit les loyers générés par cet immeuble sans en reverser la part revenant aux autres. Ces situations doivent être régularisées lors de l’établissement des comptes, afin que le premier indivisaire puisse obtenir remboursement de sa créance et que le second soit redevable d’une indemnité correspondant aux loyers indûment perçus.
Ainsi, l’établissement des comptes d’indivision permet de dégager un solde global pour chaque indivisaire, qui sera imputé sur sa part dans la masse partageable. Si un indivisaire est créancier de la masse, il pourra prélever ce solde sur les biens indivis avant le partage. À l’inverse, si un indivisaire est débiteur, sa dette sera imputée sur sa part de l’actif net, garantissant ainsi une répartition équitable entre les co-indivisaires.
Aussi, les comptes d’indivision constituent l’ultime étape permettant de solder les relations entre indivisaires avant le partage. Leur rôle est de restaurer un équilibre entre les contributions financières de chacun et les bénéfices tirés de l’indivision, afin d’assurer une liquidation sereine.
III) La nature du compte d’indivision
==>Termes du débat
La nature juridique du compte d’indivision fait l’objet d’une controverse doctrinale importante. Deux courants principaux s’opposent sur cette question.
- Première thèse
- Un premier courant doctrinal voit dans le compte d’indivision un véritable compte juridique, comparable à celui des récompenses dans la liquidation d’une communauté.
- Selon cette conception, le compte d’indivision est bien plus qu’un simple état descriptif des flux financiers entre les indivisaires et l’indivision.
- Il constitue un mécanisme juridique ce qui entraîne des effets juridiques immédiats dès l’inscription des créances.
- En effet, dès que les créances et dettes sont inscrites au compte d’indivision, elles perdent leur individualité pour constituer un « bloc indivisible ».
- Ce bloc est constitué de la totalité des créances et des dettes inscrites, qui se fondent ensemble pour former un solde unique.
- Ainsi, les créances et les dettes disparaissent dans leur forme originelle et sont absorbées dans ce bloc indivisible, qui devient constitutif du solde du compte.
- Ce mécanisme présente l’avantage de simplifier considérablement les relations financières au sein de l’indivision.
- En effet, au lieu de procéder à des règlements individuels de créances ou de dettes pendant la durée de l’indivision, toutes les créances et dettes inscrites dans le compte s’annulent réciproquement, créant ainsi un solde net qui sera établi lors de la clôture du compte.
- Ce solde est alors soumis à un règlement unitaire, qui n’interviendra qu’au moment du partage définitif.
- Autrement dit, ce compte ne permet pas aux indivisaires de revendiquer individuellement l’exigibilité de leurs créances avant le partage.
- Ce n’est qu’à la clôture du compte, c’est-à-dire au moment du partage de l’indivision, que le solde final sera calculé et réglé entre les indivisaires.
- Cette conception s’inspire en partie de la théorie de la novation, selon laquelle l’inscription des créances dans le compte d’indivision entraîne leur transformation en simples articles de compte.
- Ces articles perdent leur individualité juridique et sont soumis aux règles propres au compte, incluant notamment des mécanismes de compensation automatique.
- Ainsi, ce solde unique résultant du compte d’indivision est opposable à tous les indivisaires au moment du partage, créant une liquidation simplifiée et homogène des créances et des dettes.
- Les créances ne peuvent plus être exigées individuellement avant cette clôture, et elles ne redeviennent exigibles qu’au moment où le solde global est calculé lors du partage.
- Ce fonctionnement unitaire garantit donc une gestion financière plus fluide, en évitant des contestations sur l’exigibilité des créances en cours d’indivision.
- Seconde thèse
- Les partisans du second courant doctrinal, parmi lesquels figure notamment Michel Grimaldi, adoptent une approche plus circonspecte quant à la qualification juridique du compte d’indivision.
- Selon cette vision, le compte d’indivision s’apparente à un simple instrument de nature arithmétique, ayant pour seul objet de répertorier les mouvements financiers entre les indivisaires et l’indivision elle-même.
- Il ne s’agit donc pas, selon cette conception, d’un compte juridiquement structuré, mais plutôt d’un registre destiné à faciliter le règlement comptable lors du partage final.
- Autrement dit, le compte n’a pas pour effet de modifier la nature des créances et dettes qui y sont inscrites.
- Chaque élément inscrit au compte conserve son individualité et demeure isolé.
- Contrairement à la thèse opposée, qui envisage la fusion des créances et des dettes dans un « bloc indivisible », les défenseurs de cette approche soutiennent que le compte d’indivision ne joue qu’un rôle descriptif et informatif.
- Il se contente de répertorier de manière précise et détaillée les créances et dettes de chaque indivisaire, sans entraîner de novation ou de transformation de la nature juridique de ces créances et dettes.
- Ainsi, la fonction première du compte d’indivision, selon cette thèse, est de fournir un état détaillé des flux financiers, dans le but d’en simplifier le calcul au moment du règlement final.
- Chaque créance ou dette est inscrite individuellement, avec son montant exact, et sans qu’il y ait fusion ou compensation entre elles avant le partage.
==>Thèse privilégiée
Entre les deux thèses en présence, la doctrine majoritaire tend à privilégier la première, en raison des particularités qui régissent le fonctionnement du compte d’indivision.
Tout d’abord, il convient de souligner que dès l’inscription des créances au sein du compte, celles-ci perdent leur individualité pour être fusionnées dans un « bloc indivisible ».
Ce solde global, regroupant créances et dettes, ne sera liquidé qu’au moment du partage définitif, instant précis où les droits et obligations des indivisaires seront également réglés. Cette fusion des créances démontre que le compte d’indivision dépasse le simple cadre d’un relevé comptable.
De plus, l’entrée des créances et des dettes dans le compte interrompt le cours de la prescription. Ce seul élément confère une portée juridique immédiate au compte, garantissant que les créances, loin de s’éteindre sous l’effet du temps, demeurent exigibles lors du partage.
Par conséquent, le compte ne se limite pas à fournir une information sur la situation financière de l’indivision, mais joue un rôle actif dans la préservation des droits des indivisaires.
Une autre différence majeure entre le compte d’indivision et un simple outil de gestion comptable réside dans l’absence de mécanisme de compensation.
Contrairement à la compensation, qui ne s’applique qu’à des dettes exigibles entre créanciers et débiteurs réciproques, le compte d’indivision prend en compte des créances et dettes qui ne sont pas forcément exigibles avant le partage.
De surcroît, il régit exclusivement les relations entre chaque indivisaire et la masse indivise, sans inclure les créances entre indivisaires eux-mêmes, ce qui souligne encore une fois sa vocation à gérer la relation globale au sein de l’indivision.
Par ailleurs, le but ultime du compte d’indivision est d’établir un solde unique à la clôture de l’indivision. Ce solde, qu’il soit positif ou négatif, est imputé sur les droits de l’indivisaire dans la masse indivise.
Ainsi, si un indivisaire se trouve créancier au moment du partage, il sera réglé par prélèvement sur la masse. À l’inverse, s’il est débiteur, sa dette sera imputée avant l’attribution de ses droits, protégeant ainsi les autres indivisaires contre les risques d’insolvabilité.
Au total, au regard de ces différentes règles et mécanismes, il apparaît que le compte d’indivision s’éloigne du simple outil de gestion comptable pour s’inscrire véritablement dans la catégorie des comptes juridiques.
Par la fusion des créances, la protection des droits, et l’imputation sur la masse indivise, il présente toutes les caractéristiques d’un compte juridique structuré, davantage que d’un simple registre descriptif.
IV) La méthodologie d’établissement des comptes
Comme vu précédemment, l’article 1368 du Code de procédure civile impose au notaire commis à la liquidation de dresser un état liquidatif des comptes entre les indivisaires. Cet état se matérialise par la constitution de comptes individuels au nom de chaque indivisaire, dans lesquels sont inscrites les créances et les dettes de chacun vis-à-vis de l’indivision. L’objectif est de clarifier les droits de chacun sur la masse partageable en prenant en compte les apports financiers, les bénéfices perçus et les dettes contractées pendant la période d’indivision.
A cet égard, chaque compte individuel retrace les flux financiers intervenus au profit ou à la charge de l’indivisaire, qu’il s’agisse :
- Des créances que l’indivisaire détient sur la masse indivise, par exemple pour des dépenses engagées dans l’intérêt commun ;
- Des dettes qu’il doit à la masse indivise, notamment en cas de jouissance privative d’un bien indivis ou de perception exclusive de revenus issus de l’indivision.
L’établissement du compte individuel permet de dégager un solde final, qui peut être :
- Positif : l’indivisaire est créancier de la masse indivise. Il pourra prélever le montant de sa créance sur les biens ou les liquidités disponibles avant le partage.
- Négatif : l’indivisaire est débiteur envers la masse indivise. Sa dette sera imputée sur la valeur des biens qui lui seront attribués lors du partage, selon le mécanisme du rapport en moins prenant prévu par l’article 864 du Code civil.
Ce solde final conditionne directement les droits de chaque indivisaire lors du partage. En effet, le compte d’indivision permet d’imputer les créances et les dettes sur la masse partageable, garantissant ainsi une répartition équitable des biens indivis entre les indivisaires.
Exemple pratique :
Un indivisaire finance à ses frais la réfection de la toiture d’un immeuble indivis pour éviter une dégradation majeure. Cette dépense, engagée dans l’intérêt commun, constitue une créance inscrite à l’actif de son compte individuel. À l’inverse, si un autre indivisaire occupe seul cet immeuble sans indemniser les autres indivisaires, il devra une indemnité d’occupation, inscrite au passif de son compte. Au moment du partage, ces créances et dettes seront prises en compte pour déterminer la part nette revenant à chaque indivisaire.
V) Les éléments composant les comptes d’indivision
Le compte d’indivision regroupe les créances et les dettes nées durant la période d’indivision, permettant ainsi de centraliser toutes les opérations financières effectuées au profit ou à la charge de la masse indivise.
Il peut être observé que l’inscription des créances et dettes dans le compte d’indivision présente un caractère essentiellement facultatif, laissant aux indivisaires une marge de manœuvre quant à la gestion de leurs créances et dettes vis-à-vis de la masse indivise.
En effet, chaque indivisaire, qu’il soit créancier ou débiteur, conserve une certaine liberté dans la décision d’inscrire ou non ses créances au compte d’indivision.
Par ailleurs, un indivisaire créancier, en vertu de l’article 815-17 du Code civil, peut, selon son intérêt, soit exiger immédiatement le règlement de sa créance, soit en reporter l’inscription jusqu’au moment du partage.
Cette faculté permet à l’indivisaire de moduler le moment où il souhaite récupérer les fonds investis dans la gestion de l’indivision, tout en évitant une exigibilité immédiate de créances qui pourraient mettre en péril la stabilité financière de l’ensemble indivis.
Cette flexibilité quant à l’inscription en compte n’est toutefois pas sans soulever des interrogations dans la doctrine.
Certains auteurs préconisent de distinguer la faculté d’inscription des créances selon la cause de la créance en question :
- D’un côté, pour les dépenses strictement nécessaires à la conservation du bien indivis ou celles validées par tous les indivisaires, l’indivisaire créancier aurait le choix entre un paiement immédiat ou l’inscription en compte avec règlement au partage, assurant ainsi une revalorisation de sa créance pour garantir une répartition équitable entre les coïndivisaires.
- D’un autre côté, pour les créances nées de dépenses non essentielles, la doctrine majoritaire estime que la créance devrait nécessairement être inscrite en compte et être régularisée lors du partage, afin d’éviter tout déséquilibre dans la jouissance et l’administration des biens indivis.
A) La détermination des créances et dettes pouvant être inscrites dans le compte d’indivision
1. Les créances et dettes pouvant être inscrites dans le compte d’indivision
a. Les créances
Le compte d’indivision regroupe diverses créances nées pendant la période d’indivision.
==>Dépenses de gestion et de conservation des biens indivis
Tout indivisaire qui engage des dépenses nécessaires à la gestion ou à la conservation des biens indivis peut inscrire cette créance dans le compte d’indivision.
Ces frais peuvent inclure des dépenses courantes telles que les réparations urgentes pour préserver la valeur du bien ou la mise en conformité avec les normes de sécurité,
Ces frais sont essentiels au maintien du bien en bon état, et l’indivisaire qui les prend en charge a droit à une créance équivalente sur l’indivision.
==>Amélioration du bien indivis
Les dépenses engagées pour améliorer le bien indivis, par exemple des travaux de rénovation, peuvent également être inscrites comme créances dans le compte d’indivision. Ces améliorations augmentent la valeur du bien et bénéficient à tous les indivisaires.
L’indivisaire qui finance ces améliorations peut demander une compensation au moment du partage en raison de l’augmentation de la valeur du bien (Cass. 1ère civ., 20 février 2001, n°98-13.006). Toutefois, ces créances ne seront liquidées qu’au moment du partage.
==>Prise en charge des impôts et taxes
Les indivisaires sont solidairement responsables du paiement des impôts et taxes relatifs aux biens indivis, tels que la taxe foncière ou les frais d’assurance.
Si un indivisaire avance ces frais pour le compte de l’indivision, il peut inscrire cette somme au compte d’indivision en tant que créance. Cette créance sera prise en compte lors du partage, garantissant à l’indivisaire le remboursement de sa contribution.
==>Rémunération du gérant
Si l’un des indivisaires est désigné gérant de l’indivision, il peut inscrire sa rémunération au compte d’indivision, même si cette créance peut parfois être payée immédiatement (Cass. 1ère civ., 10 mai 2006, n°04-12.473). Cette rémunération peut être déduite des produits de la gestion avant le partage final, garantissant au gérant une compensation pour son travail de gestion quotidienne.
b. Les dettes
Certaines dettes peuvent également être inscrites dans le compte d’indivision, représentant les obligations financières des indivisaires envers la masse indivise. Voici les principales dettes pouvant être inscrites au compte d’indivision :
==>Indemnité d’occupation privative
Lorsqu’un indivisaire occupe privativement un bien indivis, il doit indemniser l’indivision pour l’usage exclusif qu’il en fait.
Cette indemnité d’occupation est inscrite dans le compte d’indivision comme une dette à l’encontre de l’indivisaire occupant (C. civ., art. 815-9). Cette dette sera prise en compte lors du partage, l’indivisaire concerné devant compenser les autres indivisaires pour l’usage exclusif du bien.
==>Perception de fruits indivis
Si un indivisaire perçoit des fruits ou des revenus issus du bien indivis (par exemple, des loyers) sans les reverser à la masse indivise, il devient débiteur envers l’indivision (C. civ., art. 815-10).
Ces montants peuvent être inscrits au compte d’indivision en tant que dette et seront pris en compte lors du partage. Ce mécanisme garantit que les bénéfices du bien indivis soient répartis équitablement entre tous les indivisaires.
==>Détérioration ou négligence concernant un bien indivis
Si un indivisaire cause une détérioration au bien indivis par négligence ou non-respect de ses obligations de conservation, il peut être tenu de réparer cette détérioration.
Cette obligation peut être inscrite au compte d’indivision comme une dette à l’encontre de l’indivisaire fautif. Cette dette sera liquidée lors du partage.
2. Les créances et dettes exclues du compte d’indivision
Certaines créances ou dettes ne peuvent pas être inscrites au compte d’indivision, car elles ne sont pas directement liées à la gestion ou à la conservation du bien indivis, ou elles ne concernent que les relations entre les indivisaires eux-mêmes, et non avec l’indivision.
==>Créances entre indivisaires
Les créances personnelles entre indivisaires, telles que des prêts consentis entre eux, ne peuvent pas être inscrites dans le compte d’indivision.
Le compte d’indivision ne régit que les relations entre chaque indivisaire et la masse indivise, et non les relations personnelles entre indivisaires. Ces créances doivent être réglées séparément des opérations de l’indivision.
==>Avances en capital
Si un indivisaire a effectué une avance en capital dans l’indivision, cette avance n’est pas automatiquement inscrite au compte d’indivision.
Elle peut faire l’objet d’un accord distinct, et il appartient à l’indivisaire créancier de demander le paiement de cette avance avant le partage s’il le souhaite.
B) La preuve des créances et dettes pouvant être inscrites dans le compte d’indivision
La preuve des éléments inscrits dans le compte d’indivision repose sur les exigences énoncées à l’article 815-8 du Code civil, qui impose aux indivisaires une obligation de tenir un état dans deux situations bien distinctes :
- L’indivisaire perçoit des revenus pour le compte de l’indivision
- L’indivisaire expose des frais pour le compte de l’indivision
Dans le premier cas, l’indivisaire qui perçoit des fruits ou revenus provenant des biens indivis – qu’il soit détenteur d’un mandat explicite ou qu’il agisse en qualité de gérant de fait, voire dans le cadre d’une gestion d’affaires – est tenu de consigner ces recettes de manière rigoureuse.
Cette obligation n’est pas simplement une formalité administrative ; elle vise à garantir que chaque somme perçue pour le compte de l’indivision est comptabilisée de façon fidèle et rendue accessible aux autres indivisaires.
Ce relevé des revenus perçus permet ainsi de préserver l’équité entre les indivisaires, en évitant que l’un d’eux ne dispose, à titre individuel, de fonds qui devraient bénéficier à l’ensemble des co-indivisaires.
Dans un arrêt du 6 décembre 2005, la Cour de cassation a rappelé l’importance de cette obligation en censurant une décision qui n’avait pas vérifié que les revenus, en l’occurrence des loyers, avaient effectivement été perçus pour le compte de l’indivision (Cass. 1ère civ., 6 déc. 2005, n° 03-11.489).
Il ressort de cette décision que l’état des revenus perçus doit revêtir un caractère concret, appuyé par des preuves sérieuses, et ne saurait se fonder sur de simples évaluations ou conjectures.
Le second cas concerne les frais exposés pour le compte de l’indivision. Dans cette hypothèse, l’indivisaire qui avance des fonds pour des dépenses nécessaires, telles que des frais d’entretien, des mesures conservatoires ou des travaux d’amélioration, peut inscrire ces dépenses en tant que créance sur l’indivision.
Par exemple, un indivisaire qui finance des réparations urgentes sur un bien indivis ou qui règle des impôts fonciers dans l’intérêt de tous les indivisaires est en droit d’inscrire cette somme au compte d’indivision.
Cet enregistrement des dépenses, bien qu’il ne donne pas nécessairement lieu à un remboursement immédiat, assure que l’indivisaire concerné pourra faire valoir sa créance au moment du partage.
En ce sens, il ne s’agit pas uniquement d’une obligation de transparence, mais d’une garantie pour l’indivisaire contributeur d’être remboursé des frais exposés pour le compte de l’indivision.
L’obligation de tenir un « état » des opérations, qu’il s’agisse de revenus perçus ou de dépenses engagées, est volontairement imprécise dans son expression.
L’article 815-8 fait référence à la notion d’« état », sans définir la forme exacte que ce document doit revêtir.
En pratique, cet état prend la forme d’un relevé chronologique et détaillé, rendant compte des sommes perçues ou dépensées et accompagné des justificatifs nécessaires pour attester de la réalité de chaque transaction. Cette flexibilité permet une adaptation aux circonstances propres de chaque indivision, tout en respectant le principe de traçabilité.
A cet égard, dans son arrêt du 6 décembre 2005 cité précédemment, la Cour de cassation, a confirmé que ce document devait refléter des montants précis et effectivement perçus ou déboursés, plutôt que des valeurs hypothétiques ou non vérifiées.
L’état ainsi tenu doit être suffisamment détaillé pour permettre aux co-indivisaires de comprendre les flux financiers intervenus au sein de l’indivision et d’assurer ainsi une transparence totale sur les contributions respectives.
Dans certains cas spécifiques, tels que la gestion d’une activité commerciale ou agricole par un indivisaire pour le compte de l’indivision, les exigences en matière de preuve se renforcent.
La gestion de ces activités nécessite une comptabilité plus élaborée, intégrant des comptes précis et complets pour documenter les entrées et sorties de fonds liés à l’activité.
Ces circonstances imposent ainsi une adaptation du niveau de preuve, en raison des enjeux financiers souvent plus conséquents et de la nécessité d’assurer une équité entre les indivisaires.
VI) Le règlement des comptes d’indivision
==>L’inscription en compte des créances et des dettes
Le fonctionnement du compte d’indivision repose sur un système d’inscription des créances et des dettes, qui sont consignées au fur et à mesure qu’elles se créent.
Ce système vise non seulement à différer l’exigibilité des créances jusqu’au moment du partage, mais aussi à maintenir une transparence absolue sur les flux financiers relatifs aux biens indivis.
Chaque opération est inscrite en compte, ce qui permet tracer les relations financières intervenant entre les indivisaires et la masse indivise.
L’enregistrement des créances et des dettes emporte transformation juridique de ces dernières en articles de compte. Une fois inscrites, elles perdent, en effet, leur individualité pour se fondre dans un ensemble unique d’où il résulte ce que l’on appelle un solde.
Ainsi, les dettes à terme, bien qu’elles ne soient pas immédiatement exigibles, sont intégrées au débit du compte, garantissant qu’un indivisaire ne puisse percevoir l’intégralité de sa part sans avoir honoré ses obligations envers l’indivision.
==>Compte d’indivision et compensation
Le compte d’indivision se distingue fondamentalement du mécanisme de compensation, car l’indivisaire n’est pas obligé directement envers chacun de ses coïndivisaires, mais bien à l’égard de la masse indivise.
Aussi, le compte d’indivision ne peut-il pas donner lieu à une compensation automatique des créances et dettes, laquelle suppose une exigibilité immédiate des obligations entre parties qui se trouvent mutuellement créancières et débitrices.
Dans le cadre de l’indivision, en revanche, le solde est établi en prenant en compte l’ensemble des créances et dettes, qu’elles soient ou non échues.
Par ailleurs, la notion même de compensation est inapplicable dans le contexte de l’indivision, car elle repose sur un principe de réciprocité qui n’existe pas ici : l’indivision n’est pas une personne morale, et les indivisaires n’agissent pas en tant que créanciers et débiteurs directs entre eux dans ce cadre.
De plus, la balance du compte d’indivision peut être réalisée même en cas de redressement ou de liquidation judiciaire d’un indivisaire, préservant ainsi les droits de l’ensemble des coïndivisaires sans porter atteinte aux créanciers personnels de l’indivisaire concerné.
==>L’imputation des créances et des dettes
S’agissant de l’imputation des créances et dettes inscrites dans le compte d’indivision, elle s’opère uniquement lors de l’établissement du solde final au moment du partage.
Si un indivisaire présente un solde créditeur, il pourra prélever la somme correspondante sur la masse indivise.
À l’inverse, si le solde est débiteur, cet indivisaire devra effectuer un rapport de dette.
Cette règle d’imputation protège les autres indivisaires contre l’insolvabilité éventuelle d’un indivisaire débiteur en permettant d’amortir sa dette sur la part qui lui revient au sein de la masse indivise.
Cette méthode d’allocation réduit les risques financiers pour la communauté, notamment dans les cas où les dettes personnelles d’un indivisaire excéderaient sa part dans l’indivision (Cass. civ., 11 janv. 1937).
En tout état de cause, les créances et les dettes inscrites dans le compte d’indivision produisent des intérêts au taux légal dès leur entrée en compte et jusqu’à la date du partage.
Ce mécanisme de valorisation continue assure que les créanciers ne voient pas leurs droits dévalorisés sous l’effet du temps, garantissant ainsi une juste compensation pour les indivisaires ayant avancé des fonds ou supporté des frais pour la préservation des biens indivis.