Attribution préférentielle: conditions

L’attribution préférentielle constitue une exception à la règle du partage égalitaire des biens indivis. Codifiée aux articles 831 et suivants du Code civil, elle permet à un indivisaire d’obtenir, par priorité, la propriété exclusive de certains biens, en contrepartie d’une compensation financière éventuelle sous forme de soulte. Ce mécanisme, destiné à éviter les aléas du tirage au sort ou les conséquences d’un partage matériel inadapté, répond à un objectif de continuité patrimoniale et de préservation de certains intérêts essentiels.

Toutefois, cette faculté n’est ni automatique ni absolue : elle est soumise à des conditions strictes, tant en ce qui concerne la nature des biens susceptibles d’en faire l’objet que la qualité du demandeur. Ainsi, l’attribution préférentielle ne peut être sollicitée que pour des biens présentant un intérêt particulier, tels que la résidence principale du conjoint survivant, une exploitation agricole, un fonds de commerce ou encore un local professionnel indispensable à l’exercice d’une activité.

Outre ces critères objectifs, la loi impose une appréciation rigoureuse des circonstances entourant la demande, afin d’éviter tout détournement de ce mécanisme à des fins purement patrimoniales. Dès lors, l’octroi de l’attribution préférentielle suppose la réunion de conditions précises, dont la justification repose à la fois sur des considérations économiques, professionnelles et familiales.

A) Conditions relatives aux biens

L’attribution préférentielle, telle qu’organisée par les articles 831 et suivants du Code civil, vise à assurer la stabilité économique et patrimoniale en permettant à certains indivisaires d’obtenir la propriété exclusive de biens répondant à des besoins professionnels, familiaux ou agricoles. D’abord instaurée dans une perspective essentiellement agricole, afin de favoriser la transmission des petites et moyennes exploitations familiales, elle a progressivement été étendue à d’autres catégories de biens considérées comme essentielles à la pérennité économique et sociale du copartageant demandeur.

Aujourd’hui, le législateur a dressé une liste limitative des biens pouvant faire l’objet d’une attribution préférentielle. Ce dispositif permet ainsi d’assurer, au profit du demandeur, la propriété exclusive de certains biens répondant à des impératifs économiques, professionnels ou résidentiels, dès lors qu’ils sont jugés indispensables à l’exercice d’une activité ou au maintien d’un cadre de vie stable. Tous les biens qui ne figurent pas dans cette liste relèvent du droit commun du partage et ne peuvent être attribués par préférence à l’un des indivisaires, quelles que soient les circonstances de la cause.

L’analyse des textes applicables et de la jurisprudence permet de regrouper ces biens en fonction de deux critères : la nature du bien (immeubles, mobiliers, droits sociaux) et sa destination (résidentielle, professionnelle ou agricole). Ce classement met en lumière la logique sous-jacente à ce mécanisme : assurer la conservation des biens présentant une affectation particulière et éviter leur dispersion en cas de partage successoral ou d’indivision post-communautaire.

1. Les biens liés à l’habitat familial

Les règles encadrant l’attribution préférentielle confèrent une protection particulière au logement occupé par le conjoint survivant ou un héritier copropriétaire, garantissant ainsi la préservation du cadre de vie du demandeur et la continuité de ses conditions d’existence. Cette prérogative, prévue à l’article 831-2, 1° du Code civil, vise à éviter qu’un indivisaire ayant résidé durablement dans un bien indivis ne se retrouve contraint d’en quitter les lieux à la suite du partage.

Il ressort de la jurisprudence que cette protection ne s’étend qu’à la résidence principale du demandeur, à l’exclusion des résidences secondaires ou des locaux occupés de manière occasionnelle. Elle peut s’accompagner de l’attribution des meubles meublants garnissant le bien, ainsi que du véhicule du défunt, à condition que celui-ci soit nécessaire aux besoins de la vie courante.

a. La propriété ou le droit au bail du logement familial

L’attribution préférentielle du logement familial permet au conjoint survivant ou à l’héritier copropriétaire de se voir attribuer, par voie de partage, soit la pleine propriété du bien, soit le droit au bail y afférent, afin de garantir la continuité de ses conditions d’existence. Cette prérogative, consacrée par l’article 831-2, 1° du Code civil, repose sur l’idée que le maintien du bénéficiaire dans son cadre de vie habituel est un impératif supérieur, justifiant qu’il soit préféré aux autres indivisaires lors du partage.

La distinction entre propriété et droit au bail revêt une importance déterminante, l’attribution préférentielle ne pouvant porter que sur le titre juridique détenu par le défunt au jour du décès. Selon que l’immeuble était détenu en indivision ou loué par le défunt, les conséquences de l’attribution préférentielle seront radicalement différentes.

i. L’attribution préférentielle de la propriété du logement familial

==>Principe

L’attribution préférentielle permet à un indivisaire de devenir propriétaire exclusif du logement familial, sous réserve du paiement d’une éventuelle soulte si la valeur du bien excède ses droits dans l’indivision (art. 831-2, 1 C. civ.).

Lorsque le bien convoité appartient en pleine propriété à l’indivision successorale, l’attribution préférentielle permet au bénéficiaire d’échapper aux aléas du partage en obtenant un droit exclusif sur le logement familial. Il se substitue aux autres indivisaires et devient pleinement propriétaire du bien, ce qui lui confère :

  • Un droit d’usage et de disposition exclusif, lui permettant d’occuper, de louer ou de vendre le bien sans l’accord des autres indivisaires ;
  • L’obligation d’assumer toutes les charges afférentes à l’entretien et à la conservation du bien ;
  • Une obligation éventuelle de verser une soulte aux autres indivisaires si la valeur du bien attribué dépasse ses droits dans la succession.

L’attribution préférentielle poursuit un objectif de stabilité familiale et patrimoniale. Il s’agit d’éviter que le conjoint survivant ou un héritier copropriétaire ne soit contraint de quitter brutalement un logement qu’il occupait déjà de manière effective.

Si l’attribution préférentielle garantit une protection renforcée, elle n’est cependant pas automatique. Le législateur a posé une exigence stricte d’occupation effective du logement par le demandeur, condition sine qua non du bénéfice de ce mécanisme.

Ainsi, la loi ne vise pas un simple bien à usage d’habitation, mais exige que le demandeur y ait eu sa résidence à l’époque du décès et que le logement « lui serve effectivement d’habitation » (art. 831-2, 1° C. civ.).

La Cour de cassation a rappelé cette exigence dans un arrêt du 1er juillet 1997, écartant toute possibilité d’attribution préférentielle pour une résidence secondaire ou un bien dans lequel le demandeur ne faisait que des séjours occasionnels (Cass. 1ère civ., 1er juill. 1997, n°95-12.263). Cette solution est conforme à la finalité de l’institution : assurer la continuité du cadre de vie, et non conférer un avantage patrimonial qui serait déconnecté de toute nécessité d’usage.

Dès lors, seul le logement occupé à titre principal par le demandeur peut faire l’objet d’une attribution préférentielle, à l’exclusion des résidences secondaires, des biens vacants ou des locaux utilisés de manière intermittente. Cette exigence est d’autant plus stricte que l’attribution préférentielle constitue une modalité particulière de partage, impliquant un dessaisissement forcé des autres indivisaires. Il appartient dès lors au juge d’exercer une appréciation rigoureuse des conditions d’habitation du demandeur afin de ne pas dénaturer le mécanisme.

Toutefois, l’impératif de préservation du logement familial trouve son expression la plus aboutie lorsque le conjoint survivant est concerné. La protection qui lui est conférée s’exerce avec une particulière intensité, puisque l’article 831-3 du Code civil lui accorde un droit d’attribution préférentielle de plein droit : « l’attribution préférentielle visée au 1° de l’article 831-2 est de droit pour le conjoint survivant. »

Il en résulte que le juge ne peut refuser l’attribution préférentielle au conjoint survivant, sauf si celui-ci y renonce expressément. Ce droit automatique traduit la volonté du législateur de préserver l’équilibre familial et la sécurité du conjoint après le décès du de cujus.

À l’inverse, pour les héritiers autres que le conjoint survivant, l’attribution préférentielle demeure facultative. Elle ne peut être accordée que s’ils justifient d’un besoin légitime d’occupation et d’une continuité d’usage avérée du bien. Cette distinction reflète l’approche différenciée retenue par le législateur, qui réserve aux époux un régime protecteur renforcé, tout en maintenant une certaine souplesse pour les autres cohéritiers.

==>Limites

Si l’attribution préférentielle constitue une modalité protectrice du partage successoral, elle ne saurait pour autant être détournée à des fins d’éviction des autres indivisaires ou de captation abusive du patrimoine. Dès lors, la jurisprudence a institué trois principales limites à son exercice :

  • Première limite
    • L’attribution préférentielle ne peut porter que sur le logement familial et ne s’étend pas aux autres locaux situés dans le même immeuble, sauf s’ils sont indissociables du logement.
    • Ainsi, un immeuble comprenant plusieurs parties distinctes, notamment des locaux commerciaux, professionnels ou indépendants, ne peut être attribué en totalité, sauf si ces locaux forment un tout indivisible (Cass. 1ère civ. 1er mars 1988, n°86-13.110).
    • Pour exemple, un héritier occupant un appartement dans un immeuble comprenant également des bureaux et des commerces ne pourra obtenir l’attribution de l’ensemble du bien que s’il prouve l’impossibilité de dissocier les espaces sans compromettre l’intégrité de l’immeuble. À défaut, seul le logement occupé sera attribué, les autres locaux étant soumis aux règles classiques du partage successoral.
    • Cette limitation s’applique également aux annexes et dépendances (garage, cave, jardin), qui ne peuvent être comprises dans l’attribution que si elles sont strictement nécessaires à l’usage normal du bien principal. Une analyse au cas par cas est requise pour apprécier si ces éléments sont accessoires ou détachables du logement.
  • Deuxième limite
    • L’attribution préférentielle ne peut être sollicitée que sur un bien relevant intégralement de l’indivision successorale.
    • Dès lors, si le bien est détenu en indivision avec un tiers extérieur à la succession, l’attribution préférentielle devient impossible.
    • Dans une affaire où un immeuble appartenait pour partie aux héritiers et pour partie à une société tierce, la Cour de cassation a refusé l’attribution préférentielle, considérant que le bien ne faisait pas intégralement partie du patrimoine successoral (Cass. 1ère civ. 15 janv. 2014, n°12-25.322 et 12-26.460).
    • Cette restriction découle du principe selon lequel l’attribution préférentielle est une modalité du partage successoral, lequel suppose une répartition des biens entre cohéritiers. Il n’est pas possible d’imposer à un tiers une cession forcée de ses droits dans l’indivision.
    • Ainsi, lorsqu’un bien est détenu en indivision avec une personne étrangère à la succession, l’attribution préférentielle ne peut être exercée que si le demandeur parvient à acquérir la quote-part du tiers par voie amiable. À défaut, le bien demeure soumis au régime de l’indivision classique et doit être partagé conformément aux règles ordinaires.
  • Troisième limite
    • L’attribution préférentielle ne doit pas être confondue avec un simple droit d’occupation. 
    • Un indivisaire ne peut pas demander l’attribution préférentielle sous la forme d’un bail sur le bien indivis, en tentant d’en éviter les charges afférentes.
    • Ainsi, un héritier ne saurait réclamer une simple jouissance du logement en demandant à se voir attribuer un bail au lieu d’en devenir propriétaire.
    • La raison en est que l’attribution préférentielle constitue une modalité de partage successoral. Elle implique que l’attributaire devienne pleinement propriétaire du bien concerné et en assume les charges patrimoniales.
    • Or, si le logement familial fait partie de l’indivision successorale en pleine propriété, un indivisaire ne peut pas contourner ce mécanisme en sollicitant un simple bail sur le bien indivis au lieu d’en devenir propriétaire.

ii. L’attribution préférentielle du droit au bail du logement familial

Lorsqu’un logement familial ne relève pas de l’actif successoral en pleine propriété mais repose sur un contrat de bail, l’attribution préférentielle ne porte pas sur la propriété du bien, mais sur le droit locatif qui y est attaché.

Ce mécanisme a pour finalité d’assurer la continuité de l’occupation du logement familial, en évitant que le décès du preneur ne conduise à l’éviction du conjoint survivant ou de l’héritier occupant. Il s’inscrit ainsi dans la même logique de protection que l’attribution préférentielle de la propriété du logement, tout en répondant aux spécificités du régime locatif.

Toutefois, l’attribution préférentielle du droit au bail obéit à des règles distinctes et demeure encadrée par des principes stricts afin de garantir l’équilibre du partage successoral et d’éviter tout détournement du mécanisme à des fins de captation du patrimoine.

==>Principe

L’article 1742 du Code civil prévoit que « le contrat de louage n’est point résolu par la mort du bailleur ni par celle du preneur. »

Il ressort de cette disposition que le décès du preneur n’entraîne pas l’extinction automatique du bail, qui se poursuit de plein droit au bénéfice de ses héritiers. Toutefois, cette transmission successorale du bail ne signifie pas que l’ensemble des héritiers deviennent cotitulaires du bail de manière indifférenciée. Il appartient en effet à ceux qui souhaitent conserver le logement d’en solliciter l’attribution préférentielle, afin de bénéficier d’un droit exclusif sur le bien locatif.

Toutefois, les modalités de cette transmission varient selon la situation juridique du logement et la qualité des personnes concernées.

En effet, l’attribution préférentielle du droit au bail n’est pas automatique : elle doit être demandée par l’un des héritiers ou par le conjoint survivant, et son octroi est conditionné à la démonstration d’un intérêt légitime à se maintenir dans les lieux.

Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Le défunt était le seul preneur du bail
    • Dans cette configuration, le droit au bail entre dans l’actif successoral et peut faire l’objet d’une demande d’attribution préférentielle au profit d’un héritier ou du conjoint survivant.
    • Celui qui sollicite l’attribution doit démontrer :
      • Qu’il résidait effectivement dans le logement au moment du décès,
      • Que cette occupation présente un caractère stable et permanent,
      • Qu’il dispose d’un intérêt légitime à s’y maintenir, notamment en raison de l’absence d’autre solution d’hébergement ou de son attachement particulier au bien.
    • L’octroi de l’attribution préférentielle dans ce cadre ne constitue pas un droit absolu et reste soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond, qui examinent les circonstances de chaque espèce.
  • Le défunt et son conjoint étaient cotitulaires du bail
    • Lorsque le bail était consenti au nom des deux époux, la situation est radicalement différente : dans ce cas, le conjoint survivant bénéficie de plein droit du bail, sans qu’il ait besoin d’invoquer l’attribution préférentielle.
    • Ce principe découle de l’article 1751 du Code civil, qui dispose que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux. En cas de décès de l’un des époux, le conjoint survivant cotitulaire du bail dispose d’un droit exclusif sur celui-ci, sauf s’il y renonce expressément. »
    • Ainsi, dans cette hypothèse, le droit au bail n’entre pas dans l’actif successoral, mais est automatiquement transféré au conjoint survivant, qui en devient l’unique titulaire sans qu’aucune démarche supplémentaire ne soit requise.

==>Limites

Si l’attribution préférentielle du droit au bail constitue un mécanisme essentiel de protection du cadre de vie du conjoint survivant ou de l’héritier copropriétaire, elle ne saurait être exercée sans restriction. Plusieurs limites viennent encadrer son application, afin de préserver l’équilibre du partage successoral et d’éviter toute captation abusive du bien concerné.

  • Première limite
    • Contrairement au conjoint marié ou au partenaire pacsé, qui bénéficient d’un droit exclusif sur le bail en vertu de l’article 1751 du Code civil, le concubin survivant ne dispose d’aucun droit automatique à la poursuite du bail du défunt.
    • Ainsi, à défaut de cotitularité expresse du contrat de bail ou d’une clause spécifique de transmission au profit du survivant, le concubin doit impérativement formuler une demande d’attribution préférentielle, laquelle demeure soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond.
    • Toutefois, en pratique, la jurisprudence se montre particulièrement rigoureuse et rechigne à conférer au concubin un statut équivalent à celui du conjoint survivant. 
    • L’attribution préférentielle ne peut être accordée qu’en présence de circonstances exceptionnelles, et ne saurait pallier l’absence de protection légale spécifique des concubins en matière successorale.
  • Deuxième limite
    • L’attribution préférentielle repose sur l’idée que les biens successoraux doivent être répartis entre les seuls cohéritiers.
    • Dès lors, lorsque la propriété du logement familial est détenue en indivision avec un tiers extérieur à la succession, l’attribution préférentielle devient inopérante.
    • Dans une telle hypothèse, l’attribution du droit au bail reviendrait à imposer au tiers propriétaire une cession forcée de ses droits, ce qui est contraire aux principes fondamentaux du droit des biens et de l’indivision.
    • La Cour de cassation, dans un arrêt du 15 janvier 2014 a expressément écarté l’attribution préférentielle du droit au bail dans une affaire où un bien indivis était détenu à la fois par les héritiers et une société tierce (Cass. 1ère civ. 15 janv. 2014, n°12-25.322 et 12-26.460).
    • La Haute juridiction a rappelé que l’attribution préférentielle suppose que le bien convoité appartienne exclusivement aux cohéritiers, et qu’elle ne saurait être utilisée pour contourner les droits d’un tiers copropriétaire.

En définitive, l’attribution préférentielle ne peut être invoquée que pour répondre à un besoin légitime d’occupation, et non dans le but de conférer à un héritier un avantage patrimonial excessif au détriment des autres indivisaires.

Ainsi, un demandeur ne saurait détourner ce mécanisme pour se ménager une jouissance gratuite du bien, ou pour évincer ses cohéritiers en bénéficiant d’un droit exclusif d’occupation sans en assumer les charges correspondantes.

L’attribution préférentielle ne doit pas altérer l’équilibre du partage successoral, ni aboutir à une captation abusive du patrimoine successoral sous couvert de protection du logement familial. Elle constitue une prérogative d’exception, dont l’octroi est soumis à une appréciation rigoureuse des juges, soucieux de garantir une répartition équitable des droits successoraux.

b. L’extension aux meubles meublants et au véhicule du défunt

L’attribution préférentielle ne se limite pas au logement familial lui-même. Elle s’étend, sous certaines conditions, aux éléments matériels qui le composent, en particulier aux meubles meublants qui le garnissent et au véhicule du défunt. Ces extensions, désormais consacrées par la loi, visent à garantir la continuité des conditions d’existence du conjoint survivant ou de l’héritier attributaire. Toutefois, ce droit demeure encadré et ne saurait s’appliquer de manière indifférenciée à l’ensemble des biens mobiliers de la succession.

==>L’attribution préférentielle des meubles meublants

L’attribution préférentielle des meubles meublants repose sur une idée fondamentale : assurer au bénéficiaire du logement familial un cadre de vie cohérent et fonctionnel. En ce sens, l’article 831-2, 1° du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle du logement emporte également celle des meubles qui le garnissent.

Cette extension vise à prévenir le risque de démantèlement du cadre de vie de l’attributaire. Sans cette disposition, l’attribution préférentielle du logement pourrait se révéler inopérante si l’attributaire devait se voir privé des meubles nécessaires à son usage. La loi garantit ainsi une occupation du bien dans des conditions normales, en préservant l’harmonie matérielle du lieu de vie.

Toutefois, l’attribution préférentielle des meubles meublants demeure strictement encadrée. Ne peuvent en bénéficier que les biens qui sont effectivement destinés à garnir le logement familial. À ce titre, la jurisprudence a exclu certains objets qui, bien que présents dans le logement, ne sauraient être assimilés à des meubles meublants au sens de la loi.

Sont ainsi exclus du champ de l’attribution préférentielle :

  • Les instruments professionnels, qui ne relèvent pas d’un usage strictement domestique et ne participent pas au confort quotidien du logement ;
  • Les souvenirs de famille, souvent dotés d’une valeur sentimentale ou patrimoniale particulière, qui sont, en principe, destinés à être partagés entre les héritiers du sang.

Avant l’adoption de la loi du 3 décembre 2001, la jurisprudence refusait d’admettre l’attribution préférentielle des meubles meublants, faute de base légale expresse (CA Paris, 4 nov. 1969). Cette incertitude a été levée par l’intervention du législateur, qui a conféré une assise juridique incontestable à cette possibilité.

Désormais, l’attribution préférentielle des meubles meublants constitue une prérogative pleinement reconnue, permettant à l’attributaire du logement familial d’en conserver l’ameublement nécessaire à une occupation effective et immédiate.

==>L’attribution préférentielle du véhicule du défunt

Si l’attribution préférentielle des meubles meublants était devenue une évidence, celle du véhicule du défunt a longtemps été sujette à controverse. Pendant de nombreuses années, la jurisprudence adoptait une position stricte et refusait l’attribution préférentielle des véhicules, au motif qu’ils ne pouvaient être assimilés aux meubles meublants. Il en résultait des situations parfois inéquitables, privant un conjoint survivant ou un héritier d’un bien pourtant essentiel à sa vie quotidienne (CA Paris, 21 mai 2008, n° 07/11591).

Cette difficulté a été résolue par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, qui a explicitement étendu l’attribution préférentielle aux véhicules du défunt, à condition qu’ils soient nécessaires aux besoins de la vie courante.

Cette exigence de nécessité a pour objet d’éviter que l’attribution préférentielle du véhicule ne devienne un simple avantage patrimonial. Il ne s’agit pas de permettre au conjoint ou à l’héritier d’obtenir un bien de valeur sans justification particulière, mais bien de garantir son autonomie et son maintien dans des conditions de vie habituelles.

Dès lors, plusieurs restrictions s’imposent :

  • L’attribution préférentielle ne pourra être demandée pour un véhicule de collection ou un bien de luxe, dont l’usage ne correspond pas à un besoin quotidien ;
  • La nécessité de l’usage devra être démontrée par le demandeur, notamment en l’absence de solutions alternatives (modes de transport accessibles, proximité des services essentiels, situation de handicap, etc.).

Cette évolution législative consacre une approche pragmatique de l’attribution préférentielle. En reconnaissant que la protection du cadre de vie ne saurait se limiter aux seuls biens immobiliers, le législateur a voulu intégrer à ce dispositif les éléments matériels indispensables à la vie quotidienne.

L’attribution préférentielle du véhicule illustre ainsi l’évolution du droit successoral vers une prise en compte plus fine des besoins des copartageants. Elle garantit au conjoint survivant ou à l’héritier demandeur la possibilité de conserver un bien qui, dans de nombreuses situations, conditionne l’exercice d’une activité professionnelle ou la simple continuité des déplacements nécessaires à la vie courante.

2. Les biens liés à une activité professionnelle

2.1 L’attribution préférentielle des entreprises commerciales, industrielles, artisanales ou libérales

a. Énoncé du principe

L’attribution préférentielle, initialement conçue comme un instrument de préservation des exploitations agricoles face aux aléas du partage successoral, a connu une transformation majeure au fil du temps. Ce mécanisme, autrefois circonscrit à la transmission des patrimoines ruraux, a progressivement étendu son champ d’application aux entreprises de toute nature, répondant ainsi aux impératifs contemporains de pérennité économique et de stabilité entrepreneuriale.

Ce mouvement d’expansion a culminé avec la réforme opérée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, qui a consacré un régime simplifié et plus accessible à l’attribution préférentielle des entreprises, désormais régie par l’article 831 du Code civil.

L’attribution préférentielle trouve son origine dans la nécessité d’éviter le morcellement des exploitations agricoles au moment du partage successoral. Cette préoccupation, profondément ancrée dans la tradition juridique française, s’est traduite dans l’ancien article 832 du Code civil, qui encadrait strictement l’octroi de cette faveur successorale.

Lorsqu’en 1961, la faculté d’attribution préférentielle fut étendue aux entreprises commerciales, industrielles et artisanales, celles-ci furent assimilées aux exploitations agricoles et soumises aux mêmes critères restrictifs. Elles devaient ainsi répondre simultanément à trois conditions:

  • Une existence réelle, impliquant une activité économique tangible et identifiable ;
  • L’unité économique, c’est-à-dire une cohérence structurelle et une interdépendance entre les éléments composant l’entreprise ;
  • Le caractère familial, condition introduite en 1982 pour réserver l’attribution préférentielle aux héritiers ayant un lien direct avec l’activité, excluant ainsi les entreprises de grande envergure ou purement patrimoniales.

Cependant, ces critères restrictifs se sont révélés inadaptés aux réalités économiques contemporaines, marquées par:

  • L’éclatement des activités économiques, avec des entreprises fonctionnant en réseau ou réparties entre plusieurs entités juridiques ;
  • La diversité des structures entrepreneuriales, souvent constituées sous forme de sociétés à capital dispersé, parfois avec des actionnaires non familiaux.

En conséquence, ces conditions ont engendré un contentieux abondant, notamment sur la notion d’unité économique, que la Cour de cassation a longtemps considéré comme une question de fait laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1ère civ., 10 mai 2007, n°05-20.177). Toutefois, face aux divergences jurisprudentielles, elle a progressivement renforcé son contrôle de légalité, censurant certaines décisions pour violation de la loi ou manque de base légale (Cass. 1re civ., 18 mai 2005, n°02-13.502).

Conscient des difficultés d’application de l’ancien régime, le législateur a procédé, par la loi du 23 juin 2006, à une simplification et une généralisation du dispositif d’attribution préférentielle. L’article 831 du Code civil, dans sa rédaction actuelle, dispose que « toute entreprise, agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, peut faire l’objet d’une attribution préférentielle au profit d’un héritier. S’il y a lieu, la demande d’attribution préférentielle peut porter sur des droits sociaux, sans préjudice de l’application des dispositions légales ou des clauses statutaires sur la continuation d’une société avec le conjoint survivant ou un ou plusieurs héritiers. »

Ce texte marque une rupture avec les anciennes contraintes en supprimant deux critères qui avaient complexifié la mise en œuvre du dispositif :

  • L’exigence d’unité économique, qui était source de contentieux et dont l’interprétation variait selon les juges du fond ;
  • L’exigence du caractère familial, qui limitait l’accès à l’attribution préférentielle aux seules entreprises à dimension familiale, excluant de facto certaines structures plus complexes.

Désormais, seules deux conditions sont requises pour qu’une entreprise puisse faire l’objet d’une attribution préférentielle :

  • Une consistance matérielle et juridique suffisante, ce qui signifie que l’entreprise doit être constituée d’éléments permettant une exploitation effective et identifiable ;
  • Son inclusion dans l’indivision successorale, ce qui exclut les biens ou droits sociaux qui ne feraient pas partie du patrimoine du défunt.

Ainsi, peu importe la taille de l’entreprise, sa structure juridique ou son mode d’exploitation :

  • Un cabinet libéral (avocat, médecin, expert-comptable) est éligible à l’attribution préférentielle, au même titre qu’un fonds de commerce ou un atelier artisanal ;
  • Les parts sociales d’une société peuvent être attribuées préférentiellement, sous réserve du respect des statuts et des clauses du pacte social (article 831, alinéa 2 du Code civil).

En revanche, certaines limites demeurent :

  • Un bail commercial ou un bail professionnel pris par le défunt ne peut être attribué préférentiellement, sauf s’il constitue un élément accessoire d’un fonds de commerce transmis dans son ensemble ;
  • Les droits sociaux sont soumis aux clauses statutaires et aux règles légales sur la transmission des parts (agrément des associés, préemption…).

b. Conditions d’application

L’attribution préférentielle d’une entreprise dans le cadre d’une succession repose sur une conciliation délicate entre la nécessité d’assurer la pérennité de l’activité économique et le respect des droits successoraux des cohéritiers. Ce mécanisme, qui permet à un héritier de se voir attribuer une entreprise issue de l’indivision, moyennant le cas échéant le versement d’une soulte, demeure étroitement encadré par la loi.

Sa mise en œuvre répond ainsi à deux exigences principales:

  • Des conditions matérielles, tenant à l’existence même de l’entreprise et à sa consistance économique ;
  • Des conditions juridiques, qui encadrent la transmission du bien et garantissent l’équilibre des droits entre les héritiers.

Loin d’être un simple privilège, l’attribution préférentielle s’inscrit donc dans une logique de préservation du tissu économique, tout en veillant à éviter toute atteinte aux principes fondamentaux du partage successoral.

i. Les conditions matérielles

L’attribution préférentielle d’une entreprise dans le cadre d’un partage ne se réduit pas à la simple transmission d’un bien. Elle obéit à des exigences matérielles précises, destinées à garantir que l’activité concernée constitue une entité économique viable et exploitable. Loin d’être un droit automatique, cette faculté, consacrée par l’article 831 du Code civil, ne peut être mise en œuvre qu’à certaines conditions strictes, dont l’appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Ainsi, l’entreprise concernée ne saurait se résumer à un actif patrimonial isolé. Elle doit s’inscrire dans un cadre structuré, combinant des moyens matériels et humains autour d’une activité économique réelle. L’attribution préférentielle n’a pas pour objet de permettre l’appropriation d’éléments épars, mais bien d’assurer la continuité d’une exploitation cohérente, apte à être poursuivie sans discontinuité par l’héritier attributaire.

==>Une entreprise devant exister et être immédiatement exploitable

L’attribution préférentielle d’une entreprise suppose son existence effective au moment du partage. Il ne suffit pas qu’un bien présente une simple vocation professionnelle : encore faut-il qu’il soit actuellement exploité ou immédiatement exploitable.

Cette exigence découle directement de l’article 831 du Code civil, qui encadre l’attribution préférentielle dans une logique de pérennisation des outils de production et non de simple transfert patrimonial. L’objectif est ainsi de favoriser la continuité des entreprises existantes, en évitant leur démantèlement dans le cadre du partage successoral. La jurisprudence veille rigoureusement à cette exigence et rappelle que l’attribution préférentielle ne saurait être accordée si l’entreprise ne présente pas une réalité économique tangible (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-20.177).

Dès lors, plusieurs situations sont exclues du champ de l’attribution préférentielle :

  • Un stock de marchandises isolé, qui ne saurait à lui seul constituer une entreprise en l’absence d’une structure organisationnelle cohérente et d’une clientèle attachée. La jurisprudence rappelle que l’attribution ne peut porter sur des actifs économiques dissociés d’une activité en cours (Cass. 1re civ., 13 déc. 1994, n° 93-10.875).
  • Un local commercial vacant ou un atelier artisanal désaffecté, sauf à démontrer l’existence de démarches concrètes et sérieuses attestant d’une reprise d’activité imminente (Cass. 1re civ., 16 juin 1993, n° 91-19.812). L’héritier doit ainsi prouver que l’entreprise dispose des éléments nécessaires à son exploitation effective et que son activité peut être immédiatement relancée.
  • Un cabinet libéral dont l’activité aurait cessé, si aucune preuve ne vient établir que la patientèle ou la clientèle demeure rattachée à la structure et que la reprise est effective. La raison en est que l’exercice d’une profession libérale repose sur une relation de confiance qui ne saurait être maintenue en l’absence d’activité continue.

Ainsi, le juge apprécie souverainement si l’entreprise dispose encore d’une activité viable et exploitable. Il s’assure que l’attribution préférentielle ne devienne pas un simple levier patrimonial, permettant à un héritier de capter un actif professionnel sur la seule foi d’un projet incertain.

Cette rigueur se justifie par la finalité même de l’attribution préférentielle : elle ne doit pas être détournée de son objet pour devenir un instrument d’appropriation patrimoniale, mais bien un levier de continuité économique.

La doctrine souligne ainsi que « l’attribution préférentielle repose sur la nécessité d’assurer la transmission d’une activité et non d’un simple patrimoine ». Dans cette logique, l’article 831 du Code civil ne permet l’attribution que si l’exploitation de l’entreprise est assurée, excluant ainsi toute opération de spéculation sur un bien professionnel inactif.

En conséquence, si le demandeur ne peut justifier d’une exploitation en cours ou d’une capacité immédiate de reprise, l’attribution préférentielle ne saurait lui être accordée. La jurisprudence veille à ce que ce mécanisme demeure un outil de transmission d’une activité effective et non une simple opportunité patrimoniale.

Ainsi, l’entreprise doit non seulement exister, mais être immédiatement exploitable pour permettre une transmission effective et pérenne. Toute demande ne respectant pas cette exigence est rejetée par les tribunaux, qui veillent à préserver l’esprit du dispositif successoral, garant de la transmission des entreprises familiales et de la continuité des activités économiques.

==>Une entreprise formant un ensemble structuré et cohérent

L’attribution préférentielle d’une entreprise suppose qu’elle constitue une entité économique fonctionnelle, articulée autour de moyens matériels, humains et économiques interdépendants. Loin de se réduire à une simple juxtaposition d’actifs, l’entreprise doit former un ensemble homogène et viable, propre à assurer la continuité de l’activité.

Si la réforme de 2006 a supprimé l’exigence formelle d’unité économique, cette notion demeure un critère sous-jacent pour apprécier la consistance réelle de l’exploitation. La Cour de cassation l’a rappelé en affirmant que l’entreprise doit être dotée de la cohérence suffisante pour constituer une entité économique identifiable et exploitable, condition sine qua non de l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-20.177).

Aussi, pour faire l’objet d’une attribution préférentielle, l’entreprise doit-elle comprendre:

  • Un local d’exploitation, servant de siège à l’activité (boutique, atelier, cabinet, bureau professionnel…) ;
  • Des moyens matériels indispensables (équipements, stocks, outillage, mobilier, logiciels professionnels…) ;
  • Une clientèle ou une patientèle, élément essentiel pour les professions libérales, où la pérennité de l’activité repose sur une relation de confiance avec la clientèle.

L’attribution préférentielle peut donc s’étendre à l’ensemble des éléments constituant l’exploitation, dès lors qu’ils participent directement à son activité. Autrement dit, elle doit inclure tous les biens nécessaires au maintien de l’entreprise dans son intégrité et son exploitation normale.

À l’inverse, l’attribution préférentielle ne saurait être utilisée comme un simple levier patrimonial pour obtenir certains biens indépendamment de l’exploitation effective d’une entreprise. Ainsi, ne peuvent être qualifiés d’entreprises et exclus du champ de l’attribution :

  • Un immeuble commercial sans fonds de commerce attaché, dans la mesure où il ne participe pas directement à une activité économique (Cass. 1re civ., 28 mai 1991, n° 89-17.292) ;
  • Des éléments d’actif isolés, comme un stock de marchandises dépourvu d’une organisation commerciale effective ou un local d’exploitation sans clientèle, qui ne sauraient constituer à eux seuls une entité économique viable.

La doctrine s’accorde à reconnaître que l’attribution préférentielle suppose l’existence d’une entreprise véritablement en activité, regroupant l’ensemble des éléments nécessaires à son exploitation effective. Elle ne peut porter sur un simple ensemble d’actifs épars, dépourvu de toute cohérence économique et organisationnelle. L’entreprise doit ainsi constituer une entité fonctionnelle, capable d’assurer la poursuite immédiate de son activité sans nécessiter de reconstitution artificielle.

Ainsi, Jean Prieur souligne que « la finalité de l’attribution préférentielle est d’assurer la transmission des outils de production en évitant leur dispersion, mais sans conférer à un héritier un avantage économique indépendant d’une logique d’exploitation ».

Dans le même sens, Michel Grimaldi relève que « l’exclusion des actifs patrimoniaux isolés vise à préserver l’esprit du mécanisme successoral, en évitant que l’attribution préférentielle ne soit détournée de sa vocation économique au profit d’un simple effet de concentration patrimoniale ».

Ainsi, si l’unité économique n’est plus une condition formelle, son absence peut néanmoins constituer un motif de rejet de la demande d’attribution préférentielle par le juge, dès lors que l’ensemble revendiqué ne présente pas les caractéristiques d’une exploitation autonome et pérenne.

==>L’absence d’exigence de rentabilité ou de productivité

Si l’entreprise doit être immédiatement exploitable, sa rentabilité ou sa productivité ne constitue pas une condition de l’attribution préférentielle. Il serait en effet contraire à l’esprit de l’article 831 du Code civil d’exiger qu’une entreprise soit florissante au moment du partage, dès lors qu’elle demeure viable et que ses moyens d’exploitation sont préservés.

La Cour de cassation a consacré cette approche en affirmant que les difficultés économiques d’une entreprise ne sauraient, à elles seules, faire obstacle à son attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 28 janv. 1997, n° 95-15.003). Cette jurisprudence protège ainsi la continuité des outils de production, en permettant à un héritier de reprendre une exploitation même en période de transition ou de fragilité financière.

Dès lors, il est admis qu’une attribution préférentielle puisse être sollicitée pour une entreprise:

  • Confrontée à des difficultés passagères, dès lors que l’activité demeure réelle et que l’exploitation n’est pas abandonnée ;
  • Engagée dans une phase de restructuration, lorsque l’héritier attributaire projette une modernisation ou une adaptation du modèle économique ;
  • Temporairement déficitaire, à condition que les moyens matériels et humains nécessaires à son exploitation soient préservés et que la clientèle ne soit pas irrémédiablement éteinte.

La doctrine abonde en ce sens, soulignant que l’objectif du mécanisme n’est pas d’attribuer une entreprise en raison de sa performance immédiate, mais bien de garantir sa transmission et d’assurer la pérennité de son activité.

En définitive, ce qui importe n’est pas tant l’état financier de l’entreprise à l’instant du partage, mais sa capacité à être maintenue et développée par l’héritier attributaire. Cette vision dynamique du mécanisme d’attribution préférentielle renforce son rôle de levier économique, en permettant aux héritiers investis dans la gestion d’une activité de la préserver, même lorsqu’elle traverse une phase d’instabilité.

==>Une appréciation au jour du partage

L’existence de l’entreprise et son éligibilité à l’attribution préférentielle s’apprécient à la date du partage, et non à l’ouverture de la succession. Ce principe, désormais bien établi, résulte d’une évolution jurisprudentielle qui a progressivement privilégié une approche pragmatique. La Cour de cassation a ainsi affirmé que l’entreprise doit exister et être exploitable au moment où l’attribution est demandée, et non au seul jour du décès (Cass. 1re civ., 14 mai 1992, n° 90-20.498).

Ce choix répond à un impératif de pérennité de l’exploitation. Il ne s’agit pas de figer la situation successorale à l’instant du décès, mais bien d’évaluer si, au moment du partage, l’entreprise demeure viable et susceptible d’être reprise. Cette approche garantit que l’attribution préférentielle joue son rôle économique en évitant la dispersion des outils de production et en facilitant la transmission des entreprises familiales.

Toutefois, cette souplesse ne saurait être détournée pour permettre des manœuvres artificielles destinées à créer ex nihilo une exploitation dans le seul but d’obtenir l’attribution préférentielle. La jurisprudence a ainsi sanctionné les tentatives de certains héritiers qui, après le décès, avaient cherché à reconstituer artificiellement une entreprise pour satisfaire aux conditions d’éligibilité. La Cour de cassation a censuré ces pratiques dans plusieurs arrêts, considérant notamment que :

  • L’acquisition postérieure de nouveaux éléments d’exploitation ne pouvait être prise en compte pour justifier l’existence de l’entreprise au jour du partage (Cass. 1re civ., 16 juin 1993, n° 91-19.812) ;
  • Une reprise fictive de l’activité, sans éléments tangibles attestant d’une exploitation réelle et effective, ne pouvait suffire à établir le caractère exploitable de l’entreprise.

Ainsi, si la souplesse de l’appréciation au jour du partage permet d’éviter une rigidité excessive, elle ne doit pas ouvrir la porte à des stratégies patrimoniales opportunistes. L’attribution préférentielle demeure avant tout un mécanisme de transmission d’une exploitation existante, et non un outil permettant de capter un bien successoral en invoquant une vocation économique postérieure au décès.

La doctrine s’accorde sur cette exigence de rigueur, rappelant que la finalité du mécanisme est de maintenir l’activité d’une entreprise viable, et non d’en permettre la reconstitution artificielle par l’un des cohéritiers.

En définitive, l’héritier demandant l’attribution préférentielle doit démontrer que l’entreprise existait et pouvait être exploitée sans interruption au moment du partage, garantissant ainsi le respect du principe d’égalité entre cohéritiers et la continuité économique du bien attribué.

ii. Les conditions juridiques

L’attribution préférentielle ne peut s’exercer que sur une entreprise relevant de l’indivision au jour du partage, conformément à l’article 831 du Code civil. Cette exigence vise à garantir que le bien dont l’attribution est sollicitée fait partie de la masse partageable, qu’il s’agisse d’une indivision successorale, d’une indivision conventionnelle ou d’une indivision légale née d’un autre mécanisme.

==>L’exclusion des biens ne relevant pas de l’indivision

L’attribution préférentielle, en ce qu’elle constitue un mécanisme dérogatoire au principe de l’égalité entre co-indivisaires, ne saurait porter que sur des biens relevant effectivement de l’indivision au jour du partage. Cette exigence découle directement de l’article 831 du Code civil, qui cantonne ce droit aux éléments constitutifs du patrimoine indivis, à l’exclusion de ceux qui en sont matériellement ou juridiquement détachés.

Dès lors, ne peut être revendiquée une entreprise dont les actifs relèvent exclusivement d’une propriété individuelle ou d’une entité tierce.

Tel est le cas lorsque:

  • L’exploitation appartient en propre à un tiers (une personne extérieure à l’indivision, qu’il s’agisse d’un associé, d’un co-gérant ou d’un autre exploitant),
  • Les éléments constitutifs de l’activité sont logés au sein d’une entité juridique distincte, notamment lorsqu’ils sont détenus par une société dont les parts ne sont pas indivises.

Ainsi, lorsque l’entreprise est exploitée sous forme de société et que les parts sociales ne figurent pas dans la masse indivise, l’attribution préférentielle ne peut porter que sur la valeur des parts, et non sur les actifs sous-jacents à l’exploitation (Cass. 1re civ., 5 avr. 2005, n° 01-12.810).

A cet égard, l’attribution préférentielle suppose que l’entreprise ait, à un moment donné, fait l’objet d’une détention indivise. Dès lors, un bien qui n’a jamais appartenu à l’indivision ne saurait être attribué préférentiellement à un co-indivisaire.

Cette hypothèse se rencontre notamment lorsque:

  • L’entreprise était la propriété exclusive de l’un des indivisaires avant l’ouverture de la succession ou avant la formation d’une indivision conventionnelle,
  • L’activité a été constituée après le décès ou après la mise en indivision des biens, sur la base d’actifs qui n’étaient pas eux-mêmes indivis.

Dans de tels cas, l’indivisaire qui revendique l’attribution préférentielle ne pourra prétendre qu’à la valeur monétaire de ses droits sur la masse partageable, sans pouvoir revendiquer le bien en nature.

Certains dispositifs confèrent un droit temporaire d’exploitation, mais sans transférer la propriété de l’entreprise elle-même. Or, l’attribution préférentielle ne peut jouer qu’à l’égard des droits réels sur l’entreprise, et non sur de simples prérogatives d’usage ou de gestion.

C’est notamment le cas des contrats de location-gérance, qui permettent à un exploitant d’exercer une activité sous une enseigne préexistante, mais sans lui conférer la propriété du fonds de commerce ou du fonds artisanal. Un héritier ou un co-indivisaire qui exploite une entreprise sous ce régime ne saurait prétendre à son attribution préférentielle, sauf si les éléments matériels (fonds, locaux, équipements) figurent dans la masse indivise.

Ainsi, la seule qualité d’exploitant ne suffit pas à justifier une attribution préférentielle, dès lors que le demandeur ne peut revendiquer aucun droit réel sur les actifs économiques en cause.

S’agissant du droit au bail, il est un élément essentiel de l’exploitation d’une entreprise, en ce qu’il garantit la jouissance des locaux où s’exerce l’activité économique. Toutefois, il ne constitue pas en soi un élément d’entreprise indivise, dès lors qu’il relève d’un régime spécifique de transmission.

Le bail commercial ou le bail professionnel souscrit par le défunt ou par un indivisaire ne confère pas un droit de propriété sur les locaux, mais seulement un droit d’usage et d’exploitation temporaire, encadré par les dispositions protectrices du statut des baux commerciaux.

Par conséquent, l’attribution préférentielle ne saurait porter sur un simple droit au bail, sauf si celui-ci est indissociablement lié à un fonds de commerce ou à une entreprise elle-même indivise. Ainsi, un indivisaire ne pourra pas demander l’attribution d’un local loué, à moins qu’il ne soit partie au bail et que l’exploitation en dépende directement.

==>L’attribution préférentielle d’une entreprise exploitée sous forme sociale

Lorsque l’entreprise est exploitée sous la forme d’une société, l’application du mécanisme d’attribution préférentielle se heurte à la distinction entre la personnalité juridique de la société et celle de ses associés. Consciente de cette particularité, la loi a aménagé un cadre spécifique permettant à un indivisaire de solliciter l’attribution des parts sociales ou actions détenues en indivision, en vertu de l’article 831, alinéa 2 du Code civil.

Toutefois, l’exercice de ce droit demeure soumis à plusieurs restrictions, découlant à la fois de la nature du bien sollicité et des impératifs propres à la gouvernance des sociétés. Ces limites tiennent notamment aux règles statutaires, aux droits des autres associés et aux mécanismes de régulation interne de l’entité concernée.

  • Première restriction
    • Si l’entreprise est exploitée sous forme sociétaire, seuls les droits sociaux relevant de l’indivision peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle. L’attribution ne saurait porter sur l’entreprise elle-même, dès lors que celle-ci constitue une entité juridique autonome, distincte des associés qui la composent.
    • Ainsi, lorsque les parts sociales ou actions sont en pleine propriété d’un associé unique, et qu’elles ne figurent pas dans la masse indivise, aucun indivisaire ne saurait revendiquer leur attribution. De même, la simple qualité de dirigeant ou d’exploitant ne suffit pas à justifier une demande d’attribution préférentielle sur des titres dont l’indivision ne résulte pas du partage successoral ou d’une indivision conventionnelle.
    • En revanche, si les titres sont détenus en indivision entre plusieurs héritiers ou co-indivisaires, alors l’attribution préférentielle peut être sollicitée, sous réserve du respect des conditions statutaires et du pacte social.
  • Deuxième restriction
    • L’attribution préférentielle des parts sociales se heurte fréquemment aux limitations statutaires propres aux sociétés de personnes, dont le fonctionnement repose sur l’intuitu personae.
      • Cas de la clause d’agrément
        • Dans de nombreuses sociétés, notamment les sociétés en nom collectif (SNC) et les sociétés civiles, il est d’usage que les statuts prévoient une clause d’agrément, soumettant la transmission des parts à l’accord des associés.
        • Une telle clause peut faire obstacle à l’exercice du droit d’attribution préférentielle, dans la mesure où les associés disposent du pouvoir de refuser l’entrée d’un nouvel associé, fût-il héritier ou indivisaire.
        • Il est ainsi admis qu’une clause d’agrément interdisant la transmission de parts sans l’accord préalable des associés peut valablement empêcher l’attribution préférentielle au profit d’un co-indivisaire, dès lors que cette restriction résultait des statuts (V. par ex. CA Amiens, 8 mars 1999, n° 9702146 ).
        • Dès lors, l’héritier ou co-indivisaire demandant l’attribution préférentielle ne pourra obtenir les parts qu’après agrément des associés, à défaut de quoi il ne pourra prétendre qu’à la valeur monétaire des droits indivis.
      • Cas de la clause de continuation
        • Les statuts peuvent également comporter une clause de continuation prévoyant que, en cas de décès d’un associé, la société se poursuivra avec certains héritiers désignés, à l’exclusion des autres indivisaires.
        • Lorsque de telles clauses existent, elles priment sur le mécanisme d’attribution préférentielle, l’attributaire devant alors se conformer aux dispositions statutaires, sauf à proposer le rachat des parts des autres indivisaires.
        • Cette règle est énoncée à l’article 831, alinéa 2 du Code civil, qui précise que l’attribution préférentielle doit respecter les clauses statutaires relatives à la transmission des parts ou actions.
  • Troisième restriction
    • Dans les sociétés de capitaux, où l’intuitu personae est moins marqué, l’attribution préférentielle des actions demeure théoriquement plus aisée. 
    • Toutefois, elle soulève des difficultés pratiques tenant à l’exercice des droits sociaux.
    • En premier lieu, lorsque les actions sont indivises, un indivisaire peut demander leur attribution préférentielle, mais cela ne lui confère pas nécessairement un pouvoir de contrôle sur l’entreprise.
    • L’exercice d’une influence sur la société dépendra du pourcentage de participation acquis à l’issue du partage, et des droits qui y sont attachés.
    • Ainsi, si l’attributaire obtient une participation minoritaire, il devra composer avec les autres actionnaires et ne pourra, sauf détention de titres majoritaires, prétendre à la direction effective de la société.
    • En second lieu, dans certaines SAS ou SA, des pactes d’actionnaires peuvent restreindre la transmission des titres, en prévoyant notamment des clauses de préemption, obligeant l’attributaire préférentiel à offrir ses actions aux autres actionnaires avant de pouvoir en revendiquer la pleine propriété.
    • Dans ce cas, l’attributaire ne pourra entrer en possession des titres qu’après l’expiration des délais et procédures prévus par le pacte, ou à défaut, il pourra être contraint de céder ses actions à un tiers conformément aux stipulations en vigueur.

==>L’incidence d’une indivision préexistence sur l’attribution préférentielle d’une entreprise

Lorsque l’entreprise était déjà soumise à un régime d’indivision avant l’ouverture de la succession ou la survenance du partage, l’exercice du droit d’attribution préférentielle ne met pas nécessairement un terme à cette indivision. L’attributaire peut se voir attribuer la quote-part indivise appartenant à la masse partageable, mais il ne deviendra pas automatiquement seul propriétaire de l’entreprise si d’autres indivisaires conservent des droits sur celle-ci.

  • L’entreprise relevant d’une indivision conventionnelle
    • Lorsque l’entreprise faisait l’objet d’une indivision préexistante entre plusieurs coindivisaires, avant même le décès ou le partage, l’attribution préférentielle ne portera que sur la quote-part indivise entrant dans la masse partageable.
    • L’indivision ne disparaîtra donc pas nécessairement, et l’attributaire devra coexister avec les autres indivisaires.
    • Dans ce cas, deux hypothèses peuvent être envisagées:
      • L’indivision maintenue : l’attributaire ne pourra revendiquer que la part appartenant au défunt, ce qui signifie que l’entreprise restera soumise à l’indivision entre lui et les autres coindivisaires. Cette situation peut poser des difficultés en termes de gestion et de prise de décision, notamment lorsque les indivisaires ne partagent pas une vision commune quant à l’exploitation de l’entreprise.
      • Le rachat des parts indivises : pour éviter de demeurer dans une indivision contrainte, l’attributaire peut négocier l’acquisition des parts détenues par les autres indivisaires. Ce rachat peut intervenir dans le cadre d’un accord amiable ou d’un partage judiciaire, sous réserve d’un prix conforme à la valeur vénale de l’entreprise.
    • La doctrine souligne ainsi que l’attribution préférentielle ne saurait conférer un monopole sur l’entreprise lorsque celle-ci relevait déjà d’une indivision conventionnelle entre plusieurs titulaires.
  • L’entreprise relevant d’une communauté conjugale
    • Lorsque l’exploitation constituait un bien commun d’un couple marié sous le régime de la communauté légale, seule la moitié des droits appartient à la masse partageable en cas de décès de l’un des époux.
    • L’autre moitié demeure la propriété exclusive de l’époux survivant.
    • Dans ce cas, plusieurs configurations peuvent se présenter :
      • L’époux survivant sollicite l’attribution préférentielle : si le conjoint survivant souhaite poursuivre l’exploitation, il peut lui-même exercer son droit d’attribution préférentielle sur la part entrant dans la succession, devenant ainsi seul propriétaire de l’entreprise.
      • Un héritier revendique l’attribution préférentielle : si un héritier demande l’attribution de la part indivise entrant dans la succession, il ne pourra devenir propriétaire exclusif de l’entreprise que si l’époux survivant accepte de céder sa propre part. À défaut, l’attributaire ne pourra prétendre qu’à la portion indivise dépendant du partage, et restera dans une indivision avec le conjoint survivant.
    • En tout état de cause, il est admis que dans une telle hypothèse, l’attributaire se substitue simplement au défunt dans l’indivision existante, sans pour autant acquérir immédiatement la pleine propriété de l’entreprise.

Lorsque l’indivision subsiste après l’attribution préférentielle, la gestion de l’entreprise est soumise aux règles générales de l’indivision :

  • Toute décision concernant les actes d’administration courante peut être prise à la majorité des indivisaires représentant au moins deux tiers des droits indivis (article 815-3 du Code civil).
  • En revanche, les actes de disposition (vente du fonds, mise en société, changement d’objet) nécessitent l’unanimité des indivisaires, sauf à obtenir une autorisation judiciaire.
  • L’attributaire ne peut prétendre à une gestion exclusive de l’entreprise sans l’accord des autres indivisaires, sauf s’il obtient un mandat de gestion ou rachète leurs parts.

Ainsi, bien que l’attribution préférentielle constitue un mécanisme destiné à garantir la continuité de l’entreprise, elle ne saurait conduire à évincer les autres indivisaires lorsque ceux-ci conservent des droits sur l’exploitation. En cas de désaccord persistant, il appartiendra au juge de trancher les éventuelles contestations, en appréciant l’opportunité d’un partage en nature ou en valeur.

2.2 L’attribution préférentielle du local professionnel

L’article 831-2, 2° du Code civil ouvre la possibilité pour un héritier indivisaire, un conjoint survivant ou un partenaire pacsé de solliciter l’attribution préférentielle du local à usage professionnel et des biens mobiliers nécessaires à l’exercice de sa profession. Ce dispositif vise à garantir la continuité d’une activité économique en permettant à l’attributaire de conserver son outil de travail, qu’il s’agisse d’un cabinet libéral, d’un atelier artisanal ou d’un bureau professionnel.

Cependant, l’attribution préférentielle du local professionnel ne constitue pas un droit automatique et demeure soumise à un encadrement strict.

==>Les conditions d’éligibilité du local et des biens mobiliers professionnels

L’attribution préférentielle du local professionnel repose sur une double exigence : le local doit être effectivement affecté à l’activité professionnelle du demandeur et il doit être indispensable à l’exercice de cette activité.

  • L’exigence d’une affectation d’un locale à l’activité professionnelle
    • L’article 831-2, 2° du Code civil n’impose aucune restriction quant à la nature de la profession exercée par le demandeur. 
    • Dès lors, un cabinet d’avocat ou de médecin, un atelier d’artiste, une étude notariale ou même un bureau d’écrivain peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle dès lors qu’ils servent effectivement à l’exercice d’une activité.
    • Toutefois, les locaux commerciaux et industriels sont exclus du champ d’application de cette disposition. Leur transmission relève du régime spécifique de l’attribution préférentielle des entreprises prévu à l’article 831 du Code civil.
    • En cas d’usage mixte (habitation et profession), l’attribution du local peut être accordée à condition que l’activité professionnelle y soit prépondérante et que le bien puisse être détaché du reste de l’immeuble.
  • Un local et des biens mobiliers indispensables à la poursuite de l’activité
    • L’attribution préférentielle vise à garantir la continuité de l’exploitation professionnelle.
    • Par conséquent, elle ne peut être accordée que si le local constitue un élément essentiel et indispensable pour l’exercice de l’activité.
    • Le juge apprécie souverainement le caractère indispensable du local et des biens mobiliers professionnels.
    • Ainsi, si le demandeur dispose d’un autre local exploitable, il ne pourra prétendre à l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 13 févr. 1967).
    • Le même raisonnement s’applique aux biens mobiliers à usage professionnel.
    • Avant la réforme de 2015, seuls les meubles présents dans le local pouvaient être inclus dans l’attribution préférentielle
    • Désormais, tout bien mobilier nécessaire à l’exercice de la profession peut être intégré, même s’il est situé ailleurs, à condition qu’il remplisse un rôle indispensable.
    • Cette évolution législative permet notamment d’inclure des équipements techniques ou un véhicule professionnel.

==>Les restrictions à l’exercice du droit d’attribution préférentielle

Tout en visant à garantir la préservation de l’activité professionnelle du demandeur, l’attribution préférentielle du local professionnel reste assujettie à des restrictions destinées à prévenir les dérives et à assurer un juste équilibre entre les intérêts en présence.

En premier lieu, l’attribution préférentielle ne peut porter que sur un bien relevant exclusivement de l’indivision. Ainsi, si le local professionnel appartient à la fois aux héritiers et à un tiers, la demande devient inapplicable, car elle ne peut contraindre ce dernier à céder ses droits (Cass. 1re civ., 15 janv. 2014, n° 12-25.322 et n° 12-26.460).

Cependant, si seule une quote-part du local appartient à l’indivision, l’attribution peut porter sur cette quote-part indivise, l’attributaire restant alors en indivision avec le tiers.

En deuxième lieu, lorsque le local professionnel est détenu par une société, l’attribution préférentielle peut porter non pas sur le local lui-même, mais sur les parts sociales conférant la jouissance ou la propriété du local (L. n° 61-1378 du 19 décembre 1961, art. 14). Cependant, la jurisprudence a précisé que cette attribution ne peut être accordée que si ces droits sociaux confèrent exclusivement la propriété ou la jouissance du local (Cass. 1re civ., 24 oct. 2012, n° 11-20.075).

Dès lors, si les statuts de la société prévoient une clause d’agrément, l’attribution préférentielle sera soumise à l’accord préalable des associés.

En dernier lieu, comme pour toute attribution préférentielle, l’attributaire doit veiller à compenser les autres indivisaires lorsque la valeur du bien excède ses droits successoraux. L’indemnisation prend généralement la forme d’une soulte, dont le montant est déterminé en fonction de la valeur du local et des biens mobiliers concernés.

Toutefois, afin de faciliter la transmission des outils professionnels, l’article 832-4 du Code civil prévoit une possibilité d’échelonnement du versement de la soulte sur dix ans, avec un taux d’intérêt fixé au taux légal.

3. Les biens liés aux activités agricoles et rurales

L’attribution préférentielle des biens à destination agricole se distingue par la diversité des hypothèses qu’elle recouvre. Elle peut concerner aussi bien des biens immobiliers agricoles que des droits sociaux liés à l’exploitation. Le Code civil a prévu plusieurs régimes d’attribution préférentielle applicables aux exploitations agricoles, distinguant entre :

  • L’attribution en pleine propriété, qui peut être de droit ou soumise à l’appréciation du juge ;
  • L’attribution sous condition de mise en bail, destinée à garantir la continuité de l’exploitation ;
  • L’attribution en jouissance temporaire, notamment par la concession d’un bail rural.

Ces dispositifs ont été conçus afin d’assurer la transmission des exploitations dans des conditions économiquement viables et d’éviter leur morcellement, ce qui compromettrait leur rentabilité.

3.1. L’attribution préférentielle des biens nécessaires à l’exploitation agricole

La transmission des exploitations agricoles constitue une question éminemment stratégique pour la pérennité du tissu économique rural. Conscient des risques qu’un éclatement successoral pourrait faire peser sur ces structures, le législateur a prévu plusieurs dispositifs d’attribution préférentielle visant à garantir la continuité de l’activité agricole. Parmi eux, l’attribution des biens meubles nécessaires à l’exploitation (article 831-2, 3° du Code civil) et l’attribution des biens immobiliers agricoles (article 832-1 du Code civil) occupent une place prépondérante.

a. L’attribution préférentielle des biens meubles nécessaires à l’exploitation

==>Principe

L’article 831-2, 3° du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle peut porter sur les biens meubles nécessaires à l’exploitation agricole, notamment le matériel agricole, le cheptel vif et mort, ainsi que les autres éléments mobiliers affectés à l’activité.

Il ressort de cette disposition que le législateur a entendu favoriser la continuité des exploitations agricoles en garantissant au repreneur la pleine possession de l’outil de production. Plutôt que d’aborder l’exploitation sous un angle purement patrimonial, où chaque héritier recevrait une part proportionnelle des biens, ce mécanisme vise à assurer son maintien dans des conditions économiquement viables.

L’attribution préférentielle poursuit ainsi plusieurs objectifs:

  • Préserver la viabilité économique de l’exploitation
    • Sans attribution préférentielle, l’héritier repreneur pourrait se heurter à deux obstacles majeurs :
      • La nécessité de racheter les équipements aux cohéritiers, ce qui pourrait le contraindre à s’endetter lourdement dès la reprise de l’exploitation.
      • Le risque d’un morcellement des équipements, chaque héritier pouvant revendiquer une part des biens mobiliers, rendant impossible la poursuite de l’activité agricole dans des conditions optimales. Grâce à ce dispositif, l’intégrité des moyens de production est préservée, garantissant ainsi une exploitation efficiente.
  • Limiter les conflits successoraux
    • Les successions sont souvent sources de tensions entre héritiers, notamment lorsque certains souhaitent conserver l’exploitation agricole tandis que d’autres privilégient la liquidation des actifs.
    • L’attribution préférentielle permet de clarifier la répartition des biens, en garantissant à l’exploitant la pleine jouissance des équipements indispensables à son activité, tout en permettant aux autres héritiers de recevoir une compensation financière.
  • Faciliter la modernisation des exploitations
    • En garantissant une transmission cohérente des équipements agricoles, l’attribution préférentielle permet au repreneur de concentrer ses efforts sur le développement et l’amélioration de l’exploitation, plutôt que sur la reconstitution de son outil de travail.

==>Conditions

Si l’article 831-2, 3° du Code civil prévoit la possibilité d’une attribution préférentielle des biens mobiliers, celle-ci n’est ni automatique ni inconditionnelle. Le législateur a posé deux exigences cumulatives, garantissant que l’attribution repose sur un besoin économique réel et non sur une simple faveur successorale :

  • Le défunt devait exploiter le fonds en qualité de fermier ou de métayer
    • Cette condition restreint l’attribution préférentielle aux situations où le défunt était lui-même exploitant et utilisait activement les biens en cause.
    • L’objectif est d’éviter qu’un héritier sans lien direct avec l’exploitation ne revendique ces biens à des fins purement patrimoniales.
  • L’attributaire doit poursuivre le bail agricole
    • Il ne suffit pas que l’héritier exprime son intention de reprendre l’exploitation ; encore faut-il qu’il dispose des garanties nécessaires pour obtenir le maintien du bail existant ou la conclusion d’un nouveau bail.
    • Cette exigence vise à empêcher qu’un héritier se prévale de l’attribution préférentielle sans disposer des compétences et des moyens requis pour exploiter l’exploitation de manière effective.

==>L’étendue des biens susceptibles d’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle des biens meubles couvre une diversité d’éléments indispensables à l’exploitation agricole. Ces biens peuvent être classés en trois catégories principales :

  • Le matériel agricole : l’outil de travail indispensable
    • L’attributaire peut revendiquer l’ensemble des équipements nécessaires à l’exploitation des terres. Cela comprend notamment :
      • Les engins mécaniques : tracteurs, moissonneuses-batteuses, pulvérisateurs, faucheuses et autres machines agricoles.
      • Les outils de travail du sol : charrues, herses, semoirs, épandeurs à fumier, etc.
      • Les équipements de stockage et de transformation : silos à grains, citernes, pressoirs, broyeurs, équipements de tri et de conditionnement
    • L’objectif est d’assurer la continuité de l’activité agricole sans que le repreneur ne soit contraint d’investir immédiatement dans du matériel coûteux, ce qui pourrait fragiliser sa situation financière et compromettre la viabilité de l’exploitation.
  • Le cheptel vif et mort : garantir la pérennité de l’élevage
    • Pour les exploitations agricoles comprenant une activité d’élevage, l’attribution préférentielle peut porter sur :
      • Le cheptel vif, c’est-à-dire les animaux destinés à la production ou à la reproduction (bovins, ovins, caprins, volailles, porcins, etc.).
      • Le cheptel mort, qui comprend les stocks d’aliments pour bétail, les engrais, les semences et autres ressources nécessaires à l’élevage.
    • La transmission du cheptel est cruciale pour éviter une rupture d’exploitation. Sans ce mécanisme, le repreneur devrait racheter les animaux à ses cohéritiers ou sur le marché, ce qui pourrait s’avérer coûteux et ralentir la reprise de l’activité.
  • Les éléments mobiliers affectés à l’exploitation
    • L’attribution préférentielle peut également concerner des biens meubles nécessaires à la gestion et au bon fonctionnement de l’exploitation agricole, tels que :
      • Les infrastructures mobiles : serres démontables, abris pour animaux, clôtures électriques, etc.
      • Les réservoirs et systèmes de stockage : cuves à carburant, réservoirs d’eau, systèmes d’irrigation.
      • Les outils et petits équipements : tronçonneuses, scies, instruments de mesure et de contrôle.
    • Bien que ces éléments puissent sembler secondaires, ils constituent en réalité des ressources indispensables à la gestion quotidienne de l’exploitation, leur absence pouvant entraver le bon déroulement des activités agricoles.

b. L’attribution préférentielle des biens immobiliers agricoles

==>Principe

L’article 832-1 du Code civil instaure un dispositif d’attribution préférentielle spécifiquement destiné aux biens immobiliers agricoles. Il prévoit que, « si le maintien dans l’indivision n’a pas été ordonné et à défaut d’attribution préférentielle en propriété dans les conditions prévues à l’article 831 ou à l’article 832 », le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut demander l’attribution préférentielle de tout ou partie des biens et droits immobiliers à destination agricole dépendant de la succession en vue de constituer un groupement foncier agricole (GFA).

Ce dispositif, introduit par la loi du 4 juillet 1980, s’inscrit dans une logique économique visant à prévenir la fragmentation des exploitations et à structurer la transmission du foncier agricole. Contrairement aux autres formes d’attribution préférentielle qui reposent sur la nécessité de maintenir une exploitation agricole existante, celle-ci ouvre la possibilité de constituer un GFA, qu’il s’agisse de créer ou de conserver une exploitation.

L’attribution préférentielle ainsi définie ne suppose donc pas l’existence préalable d’une exploitation agricole autonome. L’objectif n’est pas seulement d’assurer la continuité d’une activité agricole, mais de permettre une gestion collective et stable du foncier dans le cadre du GFA.

==>Bénéficiaires et portée de l’attribution préférentielle

L’article 832-1 accorde le bénéfice de cette attribution à deux catégories de personnes :

  • Le conjoint survivant : ce dernier peut solliciter l’attribution préférentielle des biens agricoles afin de garantir la continuité de l’exploitation et de préserver ses intérêts patrimoniaux.
  • Les héritiers copropriétaires : la disposition permet aux cohéritiers de demander l’attribution, soit individuellement, soit collectivement dans la perspective de constituer un GFA.

À noter que le partenaire pacsé est exclu du bénéfice de cette disposition, en vertu de l’article 815-6 du Code civil. L’objet de cette attribution est également plus large que celui prévu par les articles 831 et 832 du Code civil. Elle ne se limite pas à la transmission d’une exploitation agricole existante, mais vise plus largement à structurer la gestion du foncier à long terme. 

==>Conditions de l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle des biens immobiliers agricoles, en vue de la constitution d’un groupement foncier agricole (GFA), obéit à des conditions strictement définies par le Code civil.

  • Première condition
    • L’article 832-1 du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle des biens agricoles ne peut être sollicitée que par le conjoint survivant ou par tout héritier copropriétaire.
    • L’attribution ne saurait bénéficier à un tiers étranger à la dévolution successorale, ni même à un légataire universel.
    • Il est à noter que le partenaire lié par un pacte civil de solidarité  est expressément exclu du dispositif (C. civ., art. 815-6, a contrario). 
  • Deuxième condition
    • Seuls les biens et droits réels immobiliers à destination agricole peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle en vue de la constitution d’un GFA.
    • Cette exigence s’apprécie au regard de la vocation économique des biens au moment du décès du défunt.
    • Il n’est toutefois pas nécessaire que les biens concernés constituent une unité économique autonome, ni même qu’ils soient exploités en l’état au jour de la succession.
    • L’attribution peut ainsi porter sur :
      • Des terres agricoles, qu’elles soient exploitées ou non ;
      • Des bâtiments agricoles affectés à l’exploitation ;
      • Des droits réels immobiliers tels que l’usufruit, la nue-propriété ou même un bail emphytéotique.
    • Dès lors que les biens possèdent une destination agricole et qu’ils sont compris dans la masse successorale, ils peuvent être attribués préférentiellement, sous réserve du respect des autres conditions.
  • Troisième condition
    • L’attribution préférentielle ne saurait être accordée à un héritier sans lien effectif avec l’exploitation agricole. 
    • Aussi, le demandeur doit justifier de sa capacité à poursuivre l’exploitation des terres et garantir que l’attribution contribue à la pérennité de l’activité.
    • Toutefois, contrairement à d’autres hypothèses d’attribution préférentielle, il n’est pas exigé que le demandeur exploite personnellement les terres.
    • Il peut ainsi remplir cette condition en s’engageant à donner les biens en location agricole au sein d’un GFA, ce qui permet d’assurer leur mise en valeur sans obliger l’attributaire à devenir lui-même exploitant. 

Il peut être observé que si l’attribution préférentielle en vue de la constitution d’un GFA est possible, elle n’est pas toujours de droit. Le régime applicable varie selon le statut du demandeur:

  • Attribution de droit : lorsque la demande émane du conjoint survivant ou d’un héritier remplissant les conditions de l’article 831 du Code civil, ou lorsque ses descendants participent activement à l’exploitation, l’attribution ne peut être refusée par le juge. Il s’agit alors d’un véritable droit, opposable aux autres héritiers.
  • Attribution facultative : à défaut de remplir ces conditions, l’attribution préférentielle demeure soumise à l’appréciation du juge, qui évaluera tant l’opportunité économique du maintien des biens sous une gestion collective que l’aptitude du demandeur à administrer le groupement foncier agricole avec rigueur et efficience.

==>Subsidiarité

L’attribution préférentielle des biens immobiliers à vocation agricole, telle que consacrée par l’article 832-1 du Code civil, ne s’impose qu’à défaut d’une attribution en pleine propriété en application des articles 831 et 832. Autrement dit, elle ne peut être sollicitée que si aucun héritier ne revendique une attribution préférentielle ordinaire permettant un transfert direct de propriété.

Toutefois, cette attribution bénéficie d’une primauté sur les autres attributions subsidiaires. Cette prééminence témoigne de la volonté du législateur de favoriser la conservation du foncier agricole dans un cadre structuré, évitant ainsi la dispersion des terres et les conséquences économiques désastreuses d’un démembrement successoral. L’idée directrice est claire : privilégier la transmission des exploitations sous une forme garantissant à la fois leur pérennité et la stabilité patrimoniale des héritiers.

En effet, en l’absence de ce mécanisme, la répartition successorale pourrait conduire à un éclatement du foncier entre plusieurs cohéritiers, rendant l’exploitation difficilement viable et entravant la cohérence des projets agricoles à long terme. L’attribution préférentielle au sein d’un GFA apparaît dès lors comme une solution équilibrée, conciliant les impératifs économiques liés à l’exploitation des terres avec les exigences du partage successoral.

3.2. L’attribution préférentielle de l’entreprise agricole

Le Code civil a prévu plusieurs modalités d’attribution préférentielle applicables aux exploitations agricoles, reflétant ainsi la diversité des situations:

  • L’attribution préférentielle facultative en pleine propriété (article 831 du Code civil): elle suppose une demande du conjoint survivant ou d’un héritier copropriétaire et est soumise à l’appréciation du juge, qui en évalue l’opportunité au regard des intérêts en présence.
  • L’attribution préférentielle de droit en pleine propriété (article 832 du Code civil): lorsqu’un héritier satisfait aux conditions légales, cette attribution s’impose sans qu’il soit besoin d’une autorisation judiciaire, garantissant ainsi une transmission sans entrave de l’exploitation.
  • L’attribution préférentielle avec obligation de mise en bail (article 831-1 du Code civil): Cette forme particulière d’attribution confère la propriété du fonds agricole tout en imposant au bénéficiaire de consentir un bail rural, assurant ainsi la continuité de l’exploitation sans en modifier la structure.
  • L’attribution préférentielle en jouissance par concession d’un bail rural (article 832-2 du Code civil) : Dans cette hypothèse, l’héritier attributaire ne devient pas propriétaire du bien mais bénéficie d’un droit d’usage exclusif lui permettant d’assurer l’exploitation des terres selon les règles du statut du fermage.

Si les deux premières formes d’attribution permettent au bénéficiaire d’accéder à la pleine propriété des biens concernés, les deux dernières instaurent un schéma où la propriété et la jouissance sont dissociées, afin de préserver l’exploitation tout en ménageant les droits des cohéritiers.

==>Conditions

L’attribution préférentielle d’une exploitation agricole repose sur plusieurs conditions:

  • L’existence d’une exploitation agricole en tant qu’unité économique
    • L’attribution préférentielle ne saurait porter sur une simple parcelle de terre isolée ou sur un ensemble de biens agricoles dépourvus d’une vocation économique effective. 
    • L’exploitation doit former une unité économique autonome et viable, permettant de justifier qu’elle constitue un outil de production à part entière.
    • La jurisprudence a d’ailleurs précisé que la simple détention de terres agricoles ne suffit pas à caractériser une exploitation : il faut démontrer l’existence d’une activité régulière et productive.
    • Il s’agit de vérifier que les biens concernés permettent une mise en valeur effective, générant des revenus et assurant un équilibre économique suffisant pour l’héritier repreneur.
    • En outre, l’appréciation de cette condition ne saurait être figée au jour de l’ouverture de la succession.
    • La viabilité économique de l’exploitation doit être analysée au moment de la demande d’attribution, et non uniquement au décès du défunt (Cass. 1ère civ., 14 mai 1992, n° 90-20.498). 
    • Cette exigence permet d’éviter qu’une exploitation tombée en déshérence ne fasse l’objet d’une transmission qui ne répondrait plus aux exigences de productivité et de rentabilité.
  • La superficie de l’exploitation agricole
    • La loi distingue selon que l’exploitation concernée se situe en deçà ou au-delà d’un seuil fixé par décret en Conseil d’État.
    • Ce seuil, défini par le décret n° 70-783 du 27 août 1970 et précisé par l’arrêté du 22 août 1975, varie selon les départements et les spécificités agricoles locales.
    • À titre d’exemple, dans le département de l’Ain, une exploitation en polyculture ne peut bénéficier d’une attribution préférentielle de droit que si sa superficie n’excède pas 32 hectares. 
    • Ces seuils, fixés en fonction des conditions agro-économiques de chaque région, visent à garantir une transmission cohérente et équitable du patrimoine agricole.
      • Lorsque la superficie de l’exploitation est inférieure au seuil réglementaire, l’attribution préférentielle s’impose de plein droit si les autres conditions légales sont remplies. Le législateur a ainsi entendu protéger les exploitations de taille modeste ou moyenne, souvent plus vulnérables aux aléas économiques, en favorisant leur transmission sans entraves. Ce mécanisme vise à éviter que ces unités agricoles, essentielles à l’équilibre du secteur rural, ne disparaissent sous l’effet d’un morcellement excessif ou d’une mise en indivision prolongée.
      • En revanche, lorsque la superficie excède ce seuil, l’attribution devient facultative et son octroi relève de l’appréciation souveraine du juge. Ce dernier doit alors concilier deux impératifs : d’une part, l’intérêt économique attaché au maintien de l’exploitation dans son ensemble ; d’autre part, le respect des droits patrimoniaux des autres cohéritiers. L’objectif poursuivi est d’éviter qu’un héritier ne revendique un domaine d’une ampleur telle que son attribution nuirait à l’équilibre du partage successoral ou priverait les autres ayants droit de leur juste part.
    • En pratique, cette distinction vise à éviter des situations où l’attribution d’exploitations de grande envergure pourrait aboutir à des déséquilibres économiques au détriment des cohéritiers non attributaires, tout en garantissant une protection adaptée aux exploitations de moindre superficie.
  • La qualité de l’attributaire
    • L’attribution préférentielle ne peut être demandée que par certaines catégories d’héritiers, définies par le Code civil, afin de s’assurer que le dispositif profite à ceux qui ont un véritable intérêt dans la poursuite de l’exploitation.
  • Le conjoint survivant
    • Le conjoint survivant bénéficie d’un droit prioritaire à l’attribution préférentielle, reconnu dans un souci de préservation du cadre de vie familial et de maintien des ressources du conjoint du défunt. 
    • Son statut lui permet d’assurer la continuité de l’exploitation sans rupture, garantissant ainsi la pérennité de l’activité et des revenus agricoles.
  • Les héritiers copropriétaires
    • Tout héritier copropriétaire peut solliciter l’attribution préférentielle, sous réserve de démontrer un intérêt légitime à conserver l’exploitation. 
    • Cette faculté permet d’éviter une dispersion du patrimoine agricole entre des héritiers aux intérêts divergents, tout en maintenant l’unité de l’exploitation entre des mains familiales.
  • L’héritier ayant participé à l’exploitation
    • Un héritier ayant contribué à l’exploitation agricole dispose d’un droit renforcé à l’attribution préférentielle.
    • Cette disposition vise à récompenser l’investissement personnel de celui qui, par son travail et son engagement, a contribué à la gestion et au développement de l’exploitation.
    • Toutefois, il ne suffit pas d’invoquer une présence ponctuelle au sein de l’exploitation pour prétendre à l’attribution. L’héritier candidat doit justifier d’une participation réelle et significative, impliquant :
    • Une contribution active aux travaux agricoles (gestion des cultures, élevage, logistique, commercialisation, etc.) ;
    • Une participation régulière et durable, excluant les interventions occasionnelles ou purement symboliques ;
    • Une implication avérée dans la gestion de l’exploitation, attestant d’un engagement dans l’organisation et le développement de l’activité agricole.
      • En cas de litige, il appartient au demandeur d’apporter la preuve de sa participation effective à l’exploitation, par tout moyen (témoignages, justificatifs comptables, documents fiscaux, etc.). 
      • Cette exigence garantit que l’attribution préférentielle bénéficie aux véritables acteurs de l’exploitation, et non à des héritiers qui en revendiqueraient l’héritage sans en avoir jamais assumé la charge.

==>L’attribution d’une partie de l’exploitation agricole

L’attribution préférentielle ne se limite pas à l’ensemble d’une exploitation agricole dans son intégralité. Le législateur, soucieux d’adapter ce mécanisme aux réalités économiques et successorales, a prévu la possibilité d’une attribution partielle, dès lors que celle-ci permet le maintien d’une activité agricole viable. Cette possibilité, consacrée par l’article 831 du Code civil, s’exprime sous deux formes distinctes :

  • L’attribution d’une fraction de l’exploitation agricole
    • Il n’est pas exigé que l’exploitation dans son entier fasse l’objet d’une attribution préférentielle.
    • L’héritier demandeur peut prétendre à une fraction de celle-ci, à condition que cette partie conserve son autonomie économique et permette la poursuite d’une activité agricole efficiente.
    • Il ne s’agit donc pas de morceler l’exploitation au détriment de sa viabilité, mais bien de garantir la transmission d’une entité fonctionnelle, capable de subsister indépendamment du reste du domaine.
    • Le juge, saisi d’une telle demande, devra apprécier si la fraction sollicitée constitue une unité de production cohérente, dotée des ressources nécessaires à son exploitation (terres, bâtiments, matériel, cheptel, etc.). 
    • En d’autres termes, il s’assurera que l’attribution préférentielle ne crée pas une exploitation artificielle, mais bien une entité économiquement viable, capable d’être mise en valeur sans dépendre d’autres biens agricoles indivis.
  • L’attribution d’une quote-part indivise
    • Le législateur a également envisagé l’hypothèse dans laquelle un héritier déjà exploitant souhaiterait renforcer son exploitation par l’adjonction de biens appartenant à l’indivision successorale.
    • Dans cette optique, l’article 831 du Code civil autorise l’attribution préférentielle d’une quote-part indivise, permettant ainsi à l’héritier attributaire de consolider ou d’étendre son exploitation agricole existante.
    • Ce dispositif revêt une importance particulière dans les situations où un agriculteur déjà installé exploite des terres appartenant en partie à la succession. 
    • Sans ce mécanisme, il pourrait se retrouver contraint de racheter ces biens à ses cohéritiers ou, à défaut, d’abandonner une partie de son outil de travail. 
    • L’attribution préférentielle lui offre donc la possibilité de sécuriser son exploitation en intégrant définitivement à son patrimoine les éléments dont il avait jusqu’alors l’usage précaire.

3.3. L’attribution préférentielle des parts sociales des sociétés agricoles

==>Reconnaissance

Si l’attribution préférentielle s’est historiquement attachée aux biens immobiliers et mobiliers nécessaires à l’exploitation agricole, le législateur a progressivement reconnu que la structure juridique de certaines exploitations ne repose plus uniquement sur la détention en pleine propriété de terres et de matériels, mais bien sur une organisation sociétaire. 

Ainsi, afin d’adapter le droit successoral aux réalités économiques et aux nouveaux modes de gestion des exploitations agricoles, l’article 831 du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle peut également porter sur des parts sociales de sociétés ayant pour objet l’exploitation agricole, sous réserve que cette attribution ne contrevienne pas aux stipulations statutaires de la société concernée.

L’attribution préférentielle peut ainsi concerner plusieurs types de sociétés agricoles, notamment :

  • Les parts d’un groupement foncier agricole (GFA) : le GFA étant une société civile ayant pour objet la détention et la gestion de terres agricoles, l’attribution préférentielle de ses parts permet à un héritier exploitant de conserver la maîtrise du foncier sans qu’il soit nécessaire de procéder à une répartition physique des terres. Cette solution favorise ainsi la pérennité du foncier agricole au sein du cercle familial et évite la fragmentation des propriétés.
  • Les parts d’une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) : cette structure juridique étant particulièrement prisée par les exploitants agricoles pour organiser leur activité, l’attribution préférentielle de parts d’EARL permet d’assurer la continuité de l’exploitation en confiant le contrôle de la société à un héritier exploitant.
  • Les parts d’un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) : dans le cadre d’un GAEC, où plusieurs associés exploitent une entreprise agricole en commun, l’attribution préférentielle des parts sociales à un héritier peut éviter l’entrée d’un tiers au sein de la société, préservant ainsi la cohésion de l’exploitation et la stabilité de son fonctionnement.
  • Les actions d’une société ayant pour objet l’exploitation agricole : certaines exploitations sont aujourd’hui organisées sous la forme de sociétés par actions (SAS ou SA), et l’attribution préférentielle peut également s’y appliquer dès lors que la société a pour finalité l’exploitation agricole et que ses statuts ne s’y opposent pas.

==>Conditions

Si l’attribution préférentielle des parts sociales constitue un mécanisme efficace pour assurer la continuité des exploitations agricoles sous forme sociétaire, elle est toutefois encadrée par certaines limites, visant à protéger à la fois les cohéritiers et les autres associés de la société.

  • Première condition
    • L’article 831 du Code civil précise expressément que l’attribution préférentielle des droits sociaux ne peut avoir lieu que si les statuts de la société ne s’y opposent pas.
    • En effet, certaines sociétés agricoles prévoient dans leurs statuts des clauses limitant la cession des parts sociales ou soumettant leur transmission à l’agrément des autres associés. 
    • En présence d’une telle clause, l’attributaire préférentiel devra obtenir l’accord des autres associés pour que l’attribution puisse être réalisée.
  • Deuxième condition
    • L’attribution préférentielle ne peut être accordée que si elle garantit la continuité de l’exploitation agricole.
    • Dès lors, il appartient à l’héritier demandeur de démontrer que la détention des parts sociales lui permettra d’assurer la pérennité de l’entreprise agricole et qu’il dispose des compétences et des moyens nécessaires pour en assurer la gestion.
  • Troisième condition
    • Comme pour toute attribution préférentielle, l’héritier qui en bénéficie doit indemniser ses cohéritiers pour compenser l’attribution exclusive des parts sociales.
    • Cette compensation peut s’opérer sous forme de soulte, sauf si les autres héritiers consentent à un partage inégal, ce qui reste une possibilité en cas d’accord familial.

B) Conditions relatives à l’attributaire

L’attribution préférentielle, en tant que modalité spécifique de partage, est soumise à des conditions rigoureuses quant à la qualité du demandeur. Trois exigences  se dégagent des textes et de la jurisprudence : l’attributaire doit avoir la qualité de copartageant, être titulaire de droits en propriété ou en nue-propriété, et justifier d’un intérêt légitime à l’attribution.

1. La qualité de copartageant

L’attribution préférentielle s’érige en une modalité singulière du partage, qu’il trouve sa source dans une dévolution successorale ou qu’il résulte de la dissolution d’une société. Dérogeant aux principes classiques du partage en nature ou par licitation, elle s’inscrit dans une perspective de pérennité patrimoniale et économique, veillant à préserver l’unité des biens et à en assurer la conservation ou l’exploitation dans des conditions optimales.

Toutefois, son octroi demeure subordonné à la réunion de deux exigences cumulatives :

  • L’exigence de qualité de copartageant, laquelle suppose d’être appelé à la répartition d’un patrimoine indivis, qu’il s’agisse d’une succession ou d’une masse sociale à liquider.
  • L’éligibilité à l’attribution préférentielle, réservée à certaines catégories de bénéficiaires déterminés en considération de leur lien avec le bien et de l’intérêt légitime qu’ils justifient à en obtenir l’attribution exclusive.

a. La nécessité d’endosser la qualité de copartageant

L’attribution préférentielle, en tant que modalité particulière du partage, ne peut être sollicitée que par un copartageant, c’est-à-dire un indivisaire appelé à bénéficier du partage d’un patrimoine, qu’il soit successoral, post-communautaire ou post-sociétaire. Cette exigence découle de la nature même de ce mécanisme, qui ne confère pas un droit propre à un individu, mais une faculté destinée à préserver l’unité et la continuité d’un bien en indivision, en fonction de son affectation économique, professionnelle ou familiale.

À l’origine, le bénéfice de l’attribution préférentielle était strictement limité aux héritiers ab intestat, excluant ainsi les autres indivisaires, notamment les légataires et les institués contractuels. Cette restriction répondait à une volonté de préserver le patrimoine au sein d’un cercle restreint, évitant qu’un tiers, choisi par voie de libéralité, ne puisse prétendre à l’appropriation d’un bien à titre préférentiel.

Toutefois, la réforme entreprise par la loi du 23 décembre 1970 a marqué une rupture en ouvrant cette faculté aux légataires universels et aux institués contractuels universels ou à titre universel (art. 833 C. civ.), consacrant ainsi une approche fondée non plus sur le lien familial, mais sur la vocation universelle du demandeur. Désormais, l’attribution préférentielle est accessible à toute personne ayant une indivision de principe sur le patrimoine à partager, sans que l’origine de ses droits (légale ou conventionnelle) constitue un critère d’exclusion.

En revanche, le titulaire de droits particuliers, tel que le légataire à titre particulier ou le bénéficiaire d’une indivision limitée à un bien spécifique, reste exclu du mécanisme. L’attribution préférentielle, qui suppose une indivision générale sur un ensemble de biens, ne peut être invoquée par celui qui ne détient qu’un droit déterminé sur un actif spécifique. Toutefois, si une réduction en nature d’une libéralité venait à placer un légataire en indivision avec d’autres indivisaires, ce dernier pourrait alors prétendre à l’attribution préférentielle pour sortir de l’indivision. La Cour de cassation a confirmé cette exclusion dans un arrêt du 21 juillet 1969, rappelant que seul un indivisaire ayant vocation à partager l’ensemble du patrimoine peut prétendre à cette faculté (Cass. 1re civ., 21 juill. 1969).

Enfin, la qualité de copartageant peut se transmettre: un successeur d’un indivisaire initial peut revendiquer l’attribution préférentielle, sous réserve d’en remplir personnellement les conditions, indépendamment de la situation de son auteur (Cass. 1re civ., 10 juin 1987, n°85-17.000). Cette solution consacre l’idée que l’attribution préférentielle ne repose pas sur la qualité personnelle du premier indivisaire, mais sur celle du demandeur final, garantissant ainsi une transmission patrimoniale fluide et une allocation optimale des biens indivis.

b. Les bénéficiaires éligibles à l’attribution préférentielle

Parmi les copartageants, seuls certains peuvent bénéficier de l’attribution préférentielle.

i. Le conjoint survivant

L’attribution préférentielle constitue un droit conféré au conjoint survivant, lui permettant de se voir attribuer certains biens du patrimoine successoral ou indivis afin d’assurer la continuité de ses conditions de vie. Ce mécanisme, qui vise à préserver le cadre de vie et les intérêts économiques du survivant, repose sur plusieurs dispositions du Code civil.

L’article 831-2 du Code civil prévoit ainsi que le conjoint survivant peut demander :

  • L’attribution en propriété ou en usufruit du logement conjugal, ainsi que du mobilier qui le garnit (C. civ., art. 831-2, 1°) ;
  • L’attribution des biens nécessaires à l’exercice de son activité professionnelle, à savoir la propriété ou le droit au bail du local à usage professionnel, ainsi que les objets mobiliers nécessaires à l’exercice de cette profession (C. civ., art. 831-2, 2°).

Par ailleurs, l’article 831-3 du Code civil accorde au conjoint survivant un droit automatique à l’attribution préférentielle du logement conjugal et de son mobilier, dès lors qu’il en fait la demande.

Ce droit, qui peut s’exercer dans le cadre d’un partage successoral ou d’un partage de communauté, se conjugue également avec le droit viager d’habitation et d’usage prévu à l’article 764 du Code civil, lequel permet au conjoint survivant de demeurer dans le logement principal du couple. Ces dispositifs combinés visent à éviter que le survivant ne se retrouve privé de son cadre de vie ou de ses moyens d’existence à la suite du décès de son époux.

==>L’attribution préférentielle dans le cadre d’un partage successoral

Le droit à l’attribution préférentielle du conjoint survivant s’exerce en priorité dans le cadre du partage successoral.

L’article 831-3 du Code civil prévoit que l’attribution en propriété ou en usufruit du logement conjugal et de son mobilier est de droit pour le conjoint survivant, dès lors qu’il en fait la demande.

Ainsi, sauf renonciation expresse du conjoint survivant ou circonstances particulières de la succession, le bénéfice de ce droit ne peut être écarté. En conséquence, dès lors que le survivant sollicite cette attribution, elle s’impose aux autres héritiers.

Toutefois, ce droit ne peut être invoqué en dehors d’un partage successoral. Dans un arrêt du 26 septembre 2012, la Cour de cassation a rejeté la demande d’attribution préférentielle d’une épouse séparée de biens, qui invoquait ce droit alors qu’aucune indivision successorale n’était en cause.

En l’espèce, les époux, mariés sous le régime de la séparation de biens, avaient acquis en indivision un immeuble à usage d’habitation. À la suite de la liquidation judiciaire du mari, le mandataire judiciaire, agissant dans l’intérêt des créanciers, a sollicité la cessation de l’indivision et la vente sur licitation du bien indivis. La conjointe, qui occupait ce logement, a alors demandé l’attribution préférentielle en se fondant sur les articles 831-3 et 832-4 du Code civil, offrant de verser une soulte dans les délais prévus par ce dernier texte.

La cour d’appel a rejeté sa demande, considérant que l’attribution préférentielle ne s’applique que dans le cadre d’un partage successoral ou d’un partage de communauté, et que la situation litigieuse relevait d’une indivision ordinaire née d’un acquisition conjointe, et non d’une succession ou d’un régime matrimonial dissous.

La Cour de cassation a confirmé cette analyse en relevant que la demanderesse n’avait pas la qualité de conjointe survivante, ce qui suffisait à exclure le bénéfice de l’attribution préférentielle de droit prévue à l’article 831-3 du Code civil. Elle a également précisé que cette faculté ne peut être exercée que dans le cadre d’un véritable partage successoral ou communautaire, à l’exclusion des situations où la fin de l’indivision résulte d’une procédure initiée par un créancier personnel d’un indivisaire (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-16.246).

Cet arrêt illustre ainsi les limites du mécanisme de l’attribution préférentielle, qui ne saurait être invoqué pour contrer la licitation d’un bien indivis lorsque l’indivision ne relève ni du droit des successions, ni de la liquidation d’un régime matrimonial. 

==>L’attribution préférentielle dans le partage de communauté

Lorsque l’attribution préférentielle est demandée dans le cadre du partage d’une communauté, elle obéit à des règles spécifiques qui, bien que proches de celles du partage successoral, présentent des spécificités.

L’article 1476 du Code civil instaure un parallélisme des règles entre le partage de communauté et le partage successoral, en soumettant l’un aux principes gouvernant l’autre. Cette disposition prévoit, en effet, que « le partage de la communauté, pour tout ce qui concerne ses formes, le maintien de l’indivision et l’attribution préférentielle, la licitation des biens, les effets du partage, la garantie et les soultes, est soumis à toutes les règles qui sont établies au titre “Des successions” pour les partages entre cohéritiers. »

Ainsi, quelle que soit la cause de la dissolution du régime matrimonial — décès, divorce, séparation de corps ou changement de régime — l’un des époux peut prétendre à l’attribution préférentielle de certains biens indivis, en particulier lorsqu’il s’agit du logement conjugal ou des outils nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle.

La jurisprudence, bien avant l’adoption des textes actuels, avait déjà reconnu la possibilité d’une attribution préférentielle dans les partages consécutifs à un divorce ou à une séparation de corps, alors même que les dispositions anciennes ne visaient explicitement que le conjoint survivant (Cass. civ., 9 nov. 1954). 

Toutefois, le second alinéa de l’article 1476 du Code civil opère une distinction en modulant le régime de l’attribution préférentielle selon la cause de dissolution de la communauté. Il énonce que « toutefois, pour les communautés dissoutes par divorce, séparation de corps ou séparation de biens, l’attribution préférentielle n’est jamais de droit, et il peut toujours être décidé que la totalité de la soulte éventuellement due sera payable comptant. »

Il s’infère de cette disposition la nécessité de distinguer deux situations:

  • Lorsque la communauté est dissoute par décès, l’attribution préférentielle du logement conjugal et de son mobilier est de droit pour le conjoint survivant (C. civ., art. 831-3). Il suffit qu’il en fasse la demande pour qu’elle s’impose aux autres copartageants, sauf circonstances particulières.
  • Lorsque la communauté est dissoute par divorce, séparation de corps ou séparation de biens, l’attribution préférentielle n’est jamais de droit, mais reste soumise à l’appréciation du juge, qui appréciera l’opportunité de l’accorder en fonction des intérêts en présence.

Cette distinction repose sur une approche distincte du partage selon qu’il résulte d’un décès ou de la dissolution du mariage. En matière successorale, l’attribution préférentielle vise à protéger le conjoint survivant en lui permettant de conserver certains biens essentiels à son cadre de vie ou à son activité. En revanche, en cas de divorce ou de séparation, le principe est celui d’une liquidation définitive des intérêts patrimoniaux des époux, ce qui exclut toute automaticité de l’attribution préférentielle et justifie l’exigence d’un paiement immédiat de la soulte.

==>Cas particulier du conjoint séparé de biens

Un époux soumis au régime de la séparation de biens peut également prétendre à l’attribution préférentielle, sous réserve qu’il soit copropriétaire du bien concerné. L’article 1542 du Code civil étend expressément aux époux séparés de biens les règles de l’attribution préférentielle, sous réserve du respect des principes de l’indivision.

Ainsi, dans l’hypothèse où un bien a été acquis en indivision entre époux séparés de biens, et que cette indivision persiste après dissolution du mariage, l’un des époux peut solliciter l’attribution préférentielle lors du partage. 

Toutefois, la jurisprudence précise que cette demande peut également être formulée lorsque le partage intervient au cours du mariage, dès lors que l’indivision présente un caractère familial. En effet, la Cour de cassation a jugé qu’un époux séparé de biens pouvait prétendre à l’attribution préférentielle du logement conjugal dont il est copropriétaire, même si le partage était provoqué par un créancier, dès lors que l’indivision concernait un bien à usage familial (Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 89-10.429). Cette solution, fondée sur l’idée que la nature de l’indivision prime sur la cause du partage, assure une protection accrue du conjoint, en lui permettant de revendiquer l’attribution préférentielle du logement conjugal, y compris en dehors d’un partage successoral ou d’un partage de communauté postérieur à la dissolution du mariage.

ii. Les héritiers

L’article 831 du Code civil reconnaît à « tout héritier copropriétaire » le droit de solliciter l’attribution préférentielle, sans distinction de degré ou de ligne successorale. Peuvent ainsi y prétendre les héritiers en ligne directe comme en ligne collatérale, qu’ils soient issus du lien biologique ou adoptifs, dès lors qu’ils sont appelés à la succession et qu’ils l’ont acceptée. Cette qualité de successible est essentielle, car elle conditionne l’existence même du droit à l’attribution préférentielle.

Il en résulte qu’un cessionnaire de droits successoraux ne saurait revendiquer cette faculté, faute d’avoir lui-même la qualité d’héritier. La Cour de cassation a rappelé ce principe en jugeant qu’un ayant droit ne peut revendiquer l’attribution préférentielle, dans la mesure où il ne bénéficie pas personnellement de la vocation successorale initiale et n’est pas indivisaire de la succession (Cass. 1re civ., 9 janv. 1980, n° 78-14.550).

L’attribution préférentielle peut être demandée à tout moment jusqu’à la clôture définitive du partage. Peu importe que la demande de partage émane du postulant lui-même ou d’un autre cohéritier, voire d’un créancier de la succession : la seule exigence est d’être copropriétaire indivis du bien revendiqué (Cass. 1re civ., 24 mars 1998, n° 96-11.005).

Il en résulte que l’attribution préférentielle reste possible même si le partage a été sollicité par un tiers agissant dans l’intérêt d’un indivisaire. Ainsi, la demande de partage formulée par un créancier n’empêche pas l’héritier débiteur de revendiquer l’attribution préférentielle d’un bien successoral (Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 89-10.429).

Un héritier peut-il revendiquer l’attribution préférentielle lorsqu’il succède lui-même à un autre héritier qui aurait pu en bénéficier mais qui est décédé avant d’avoir exercé cette faculté ? La question n’est pas expressément tranchée par les textes, mais la jurisprudence y répond favorablement sous conditions.

La Cour de cassation a admis que l’héritier du premier successible pouvait exercer le droit à l’attribution préférentielle si celui-ci remplissait personnellement les conditions requises par la loi (Cass. 1re civ., 7 juill. 1971, n°70-13.561). Ce raisonnement repose sur la distinction entre :

  • Les facultés : un droit que le défunt n’a pas exercé de son vivant ne se transmet pas automatiquement à ses héritiers, sauf si ces derniers remplissent eux-mêmes les conditions nécessaires à son exercice ;
  • Les droits acquis : si un héritier a obtenu l’attribution préférentielle par un jugement définitif avant son décès, ce droit entre dans son patrimoine et se transmet à ses propres successibles, indépendamment de leur situation personnelle.

Ainsi, lorsque l’héritier décédé n’a pas formulé de demande d’attribution préférentielle, ses propres héritiers peuvent en solliciter le bénéfice, mais uniquement s’ils justifient personnellement des conditions exigées (Cass. 1re civ., 27 juin 2000, n° 98-17.177).

En revanche, lorsque l’attribution préférentielle a été définitivement accordée au premier héritier avant son décès, ses propres héritiers n’ont plus à justifier qu’ils remplissent personnellement les conditions légales : ils recueillent ce droit dans le cadre de la transmission successorale (Cass. 1re civ., 10 mars 1969).

La Cour de cassation a progressivement élargi la portée du droit à l’attribution préférentielle en dissociant la condition de participation à la mise en valeur du bien de celle de la copropriété.

Dans un arrêt du 10 juin 1987, elle a jugé qu’un héritier en second pouvait obtenir l’attribution préférentielle alors même que son auteur n’avait pas exercé cette faculté, à condition qu’il ait lui-même participé à la gestion ou à l’exploitation du bien en question (Cass. 1re civ., 10 juin 1987, n° 85-17.000). Cette solution marque une évolution notable : l’attribution préférentielle devient un droit propre à l’héritier en second, dès lors qu’il satisfait aux critères légaux, sans que l’on exige que son auteur ait lui-même rempli ces conditions.

Cette dissociation, consacrée à l’article 831 du Code civil, permet ainsi à un héritier de revendiquer l’attribution préférentielle d’un bien, même si son auteur ne pouvait lui-même y prétendre, dès lors qu’il remplit les conditions légales exigées, notamment en matière de participation effective à la mise en valeur du bien.

iii. Les légataires et institués contractuels

Avant l’adoption de la loi du 23 décembre 1970, la question de l’accès des légataires au bénéfice de l’attribution préférentielle avait donné lieu à des hésitations jurisprudentielles. Certains juges du fond avaient admis cette possibilité, considérant que la vocation successorale du légataire universel justifiait son assimilation à un héritier (CA Angers, 31 mai 1950). D’autres juridictions, en revanche, avaient rejeté cette prétention, estimant que l’attribution préférentielle devait être réservée aux parents du de cujus et ne pouvait être étendue à un tiers gratifié par testament (CA Rennes, 21 mars 1956).

Ces divergences n’avaient pas été tranchées par la loi de 1961, ce qui avait conduit la Cour de cassation à se prononcer en défaveur des légataires. Dans un arrêt du 15 novembre 1966, elle affirmait que « le légataire universel, qui peut n’être pas membre de la famille, ne saurait prétendre à l’attribution préférentielle » (Cass. 1re civ., 15 nov. 1966). Cette position restrictive, fondée sur l’idée que ce mécanisme devait avant tout servir la conservation familiale du patrimoine, allait à contre-courant de l’évolution doctrinale qui tendait à rapprocher le légataire universel de l’héritier.

Face à cette rigidité, le législateur a finalement réformé le dispositif en adoptant la loi du 23 décembre 1970, laquelle a modifié l’article 832-3 du Code civil (désormais repris à l’article 833), afin d’étendre expressément l’attribution préférentielle aux gratifiés ayant vocation universelle ou à titre universel. Depuis cette réforme, les légataires universels et les institués contractuels peuvent ainsi solliciter l’attribution préférentielle sous réserve de satisfaire aux conditions de droit et de fait imposées à tout attributaire.

La loi ne distingue pas selon la forme du testament qui institue le légataire (authentique, olographe, mystique ou international) ni selon la manière dont le legs est consenti. La seule distinction pertinente repose sur l’étendue de la vocation successorale conférée par le testament :

  • Le légataire universel peut prétendre, sans restriction, au bénéfice de l’attribution préférentielle, dans la mesure où il est appelé à recueillir l’intégralité de la succession et qu’il revêt ainsi une qualité assimilable à celle d’un héritier.
  • Le légataire à titre universel, c’est-à-dire celui qui reçoit une quote-part de la succession, bénéficie du même droit, à condition que la part qui lui est dévolue comprenne le bien objet de la demande d’attribution préférentielle.
  • Le légataire particulier, en revanche, demeure exclu du dispositif. Son legs portant sur un bien déterminé, il est censé en recevoir la pleine propriété par l’effet du testament, sans qu’il ait besoin de l’intervention des règles du partage successoral.

Toutefois, une exception existe lorsque la libéralité consentie au légataire est réduite en nature. En pareille hypothèse, le légataire particulier se retrouve en indivision avec les héritiers réservataires et peut ainsi se prévaloir du mécanisme de l’attribution préférentielle pour obtenir la propriété du bien indivis (Cass. 1re civ., 21 juill. 1969).

La généralisation de la réduction en valeur opérée par la loi du 23 juin 2006 a considérablement restreint l’intérêt du légataire universel à recourir à l’attribution préférentielle. En effet, si une libéralité excède la quotité disponible, elle est désormais réduite en valeur et non en nature, sauf exception. Cette réduction en valeur a pour effet de maintenir l’intégrité du legs dans le patrimoine du légataire, en contrepartie du paiement d’une indemnité aux héritiers réservataires. Dans un tel contexte, l’indivision successorale devient rare et, avec elle, le besoin de recourir à l’attribution préférentielle.

Toutefois, dans l’hypothèse exceptionnelle où la réduction s’opère en nature, le légataire universel peut se retrouver en indivision avec les héritiers réservataires et être amené à revendiquer l’attribution préférentielle du bien litigieux (art. 924 et 924-1 C. civ.).

Les règles régissant l’attribution préférentielle des légataires trouvent à s’appliquer, mutatis mutandis, aux institués contractuels, en vertu de l’assimilation opérée par l’article 833 du Code civil. Cette disposition leur confère ainsi la possibilité de solliciter l’attribution préférentielle, sous réserve qu’ils disposent d’une vocation universelle ou à titre universel à la succession.

Si, dans son acception traditionnelle, l’institution contractuelle désigne principalement les donations de biens à venir consenties par contrat de mariage, il est désormais admis que cette notion couvre également les donations entre époux réalisées en cours d’union, pour autant qu’elles attribuent au survivant des droits successoraux de nature universelle. Cette extension doctrinale et jurisprudentielle renforce la protection patrimoniale du conjoint bénéficiaire, en lui ouvrant l’accès aux mécanismes de l’attribution préférentielle dans le cadre du partage successoral.

De même, l’assimilation entre héritiers, légataires et institués contractuels opérée par le législateur s’étend également à la transmissibilité du bénéfice de l’attribution préférentielle. Ainsi, lorsqu’un légataire universel ou un institué contractuel décède avant d’avoir exercé son droit à l’attribution préférentielle, ses héritiers peuvent en revendiquer le bénéfice, à condition qu’ils remplissent eux-mêmes les conditions personnelles requises pour en bénéficier.

Cette transmission se justifie par la volonté du législateur d’uniformiser le sort des gratifiés universels en leur conférant, sauf disposition contraire, un statut similaire à celui des héritiers ab intestat en matière de partage. Dès lors, un légataire de l’héritier ou un légataire du légataire peut également exercer cette faculté, dans la mesure où il hérite d’une vocation successorale universelle ou à titre universel et satisfait aux exigences légales.

Enfin, cette logique s’applique aux libéralités graduelles ou résiduelles, lorsque plusieurs gratifiés en second sont appelés à recueillir collectivement les biens grevés de la charge de conservation et de restitution. Dès lors qu’ils sont investis d’une vocation universelle et qu’ils remplissent les conditions d’attribution préférentielle, ils peuvent prétendre à ce mécanisme, consolidant ainsi la cohérence et l’unité du régime successoral des gratifiés universels.

iv. Les partenaires de PACS

Avant 1999, le partenaire survivant ne bénéficiait d’aucune protection en matière de partage successoral. La loi du 15 novembre 1999 a corrigé cette lacune en insérant l’article 515-6 dans le Code civil, lequel ouvrait aux partenaires la possibilité de demander l’attribution préférentielle. Toutefois, cette faculté était initialement limitée aux dispositions de l’article 832 du Code civil, ce qui excluait d’emblée :

  • Les exploitations agricoles ;
  • Les parts indivises de ces exploitations ;
  • Les parts sociales des sociétés exploitant un domaine agricole.

Cette exclusion traduisait la volonté du législateur de maintenir une distinction entre les biens patrimoniaux à vocation résidentielle ou professionnelle, accessibles aux partenaires de PACS, et les biens à caractère économique, tels que les exploitations agricoles, dont la transmission devait rester prioritairement réservée aux héritiers du défunt. Ce choix instaurait ainsi une différence de traitement entre les unions contractuelles principalement urbaines, où l’attribution préférentielle pouvait jouer un rôle protecteur, et celles ancrées dans un cadre rural, où cette faculté était délibérément écartée.

En outre, la seule référence à l’article 832 du Code civil dans l’ancienne version de l’article 515-6 soulevait une incertitude quant aux autres formes d’attribution préférentielle. Il n’était pas précisé si les partenaires pouvaient bénéficier des dispositions spécifiques permettant aux nus-propriétaires, légataires et institués contractuels de revendiquer une attribution préférentielle (art. 832-4 C. civ.).

La loi du 23 juin 2006 a profondément modifié le régime applicable aux partenaires. Elle a clarifié et élargi leur droit à l’attribution préférentielle en modifiant l’article 515-6 du Code civil, qui dispose désormais que les articles 831, 831-2, 832-3 et 832-4 sont applicables aux partenaires de PACS en cas de dissolution de celui-ci.

Cette réécriture a deux conséquences majeures :

  • Elle consacre l’accès du partenaire survivant à l’attribution préférentielle facultative pour certains biens, notamment :
    • La résidence principale et le mobilier qui la garnit (C. civ., art. 831-2, 1°);
    • Le local à usage professionnel et son mobilier (C. civ., art. 831-2, 2°) ;
    • Le véhicule nécessaire aux besoins de la vie courante (C. civ., art. 831-2, 1° in fine).
  • Elle écarte explicitement les règles concernant:
    • L’attribution préférentielle de plein droit du logement et du mobilier (C. civ., art. 831-3) ;
    • Les exploitations agricoles (C. civ., art. 832) ;
    • La constitution d’un groupement foncier agricole (C. civ., art. 832-1 et 832-2).

Cette réforme met fin à l’ambiguïté qui existait sous l’empire de la loi de 1999 et conforte l’alignement progressif des effets du PACS sur ceux du mariage.

Si les partenaires de PACS ne bénéficient pas du droit viager d’habitation et d’usage accordé aux conjoints survivants (art. 764 C. civ.), la loi leur offre néanmoins une protection renforcée en matière de logement.

En effet, l’article 515-6 du Code civil prévoit qu’un partenaire survivant peut bénéficier de l’attribution préférentielle de la résidence principale, mais seulement si le défunt l’a expressément prévu par testament. Cette disposition introduit ainsi une différence notable avec le conjoint survivant, qui dispose d’un droit à l’attribution préférentielle de plein droit (art. 831-3 C. civ.).

En parallèle, la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 a instauré un droit spécifique pour le partenaire survivant en matière de droit au bail, en introduisant l’article 1751-1 du Code civil. Ce texte prévoit que le partenaire survivant peut demander au juge l’attribution du droit au bail du logement commun, sous réserve des intérêts sociaux et familiaux en présence. Cette faculté permet ainsi au survivant de ne pas être contraint de quitter brutalement le domicile en cas de décès de son partenaire.

L’attribution préférentielle peut également être sollicitée en cas de rupture du PACS entre vifs, c’est-à-dire :

  • Par la volonté commune des partenaires ;
  • Par la volonté unilatérale de l’un d’eux (art. 515-7 C. civ.).

Dans ce cas, l’attribution préférentielle fonctionne comme dans une indivision classique : le partenaire qui souhaite conserver le bien peut demander son attribution moyennant le versement d’une soulte à l’autre. Si un litige survient entre les partenaires ou avec les héritiers du défunt, le tribunal appréciera la demande en considération des intérêts en présence.

L’article 515-6 renvoyant expressément à l’article 832-3 du Code civil, qui régit les conflits en matière d’attribution préférentielle, les principes généraux du droit des successions trouvent ici à s’appliquer.

Malgré cette avancée législative, certaines différences subsistent entre les partenaires de PACS et les conjoints mariés :

  • L’attribution préférentielle est de droit pour le conjoint survivant en matière de logement principal (art. 831-3 C. civ.), alors qu’elle nécessite un testament exprès pour le partenaire de PACS (art. 515-6 C. civ.).
  • Le droit viager d’usage et d’habitation dont bénéficie le conjoint survivant (art. 764 C. civ.) ne s’applique pas aux partenaires de PACS.
  • Les partenaires de PACS sont exclus des dispositifs relatifs aux exploitations agricoles et aux entreprises familiales, ce qui peut être préjudiciable lorsque le couple partageait une activité économique.

Toutefois, cette assimilation partielle témoigne d’une tendance du législateur à rapprocher, dans une certaine mesure, les effets du PACS de ceux du mariage, notamment en matière successorale et patrimoniale.

v. L’exclusion des concubins

==>Principe

Contrairement aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, les concubins ne bénéficient d’aucun droit à l’attribution préférentielle, cette faculté étant strictement réservée au conjoint survivant, aux héritiers et aux partenaires de PACS. La Cour de cassation a réaffirmé avec constance cette exclusion, fondée sur l’absence de cadre juridique régissant le concubinage, qui ne crée aucun droit successoral automatique entre les concubins.

Cette position jurisprudentielle s’impose avec fermeté, y compris dans les cas où l’un des concubins occupait exclusivement le bien indivis après la rupture. Ainsi, la haute juridiction a censuré une décision qui avait accordé à un concubin l’attribution préférentielle d’un bien indivis au motif qu’il en était l’occupant depuis la séparation du couple. 

Elle a rappelé que l’attribution préférentielle, prévue par l’article 832 du Code civil, ne peut être demandée que par le conjoint ou par un héritier, et ne s’applique donc pas aux concubins, quelles que soient les circonstances de la rupture et l’occupation du bien indivis. 

En l’espèce, les juges du fond avaient retenu que l’attribution préférentielle devait être accordée au concubin au motif qu’il résidait dans le bien et qu’il n’était pas démontré qu’il serait dans l’impossibilité de s’acquitter d’une éventuelle soulte. La Cour de cassation a censuré cette décision en considérant que, les parties n’étant pas mariées, l’intéressé ne pouvait en aucun cas prétendre au bénéfice de ce mécanisme successoral (Cass. 1re civ., 9 déc. 2003, n° 02-12.884).

==>Exceptions

  • L’indivision conventionnelle
    • Si le concubinage en lui-même n’ouvre aucun droit à l’attribution préférentielle, une exception peut toutefois être admise lorsque les concubins ont acquis un bien en indivision et ont encadré leur relation patrimoniale par une convention spécifique. 
    • En effet, si un pacte stipule expressément un droit de préférence au profit de l’un des concubins, celui-ci pourra l’invoquer lors du partage de l’indivision.
    • La Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt du 26 septembre 2012, que l’attribution préférentielle ne pouvait être sollicitée que par un conjoint, un partenaire de PACS ou un héritier, excluant ainsi les concubins du bénéfice des articles 831 et suivants du Code civil.
    • Toutefois, dans cette même décision, elle a précisé que l’indivision conventionnelle liant les concubins ne comportait aucune stipulation prévoyant un tel mécanisme, laissant ainsi entendre qu’une clause contractuelle explicite aurait pu être prise en compte (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-12.838).
    • Ainsi, bien que le concubin ne puisse pas revendiquer l’attribution préférentielle en vertu du droit successoral ou matrimonial, il peut néanmoins organiser contractuellement un droit similaire dans le cadre des règles de l’indivision ordinaire, sous réserve d’un accord préalable entre les parties.
  • La théorie de l’accession
    • Dans un cas où une concubine était propriétaire d’un terrain sur lequel elle et son concubin avaient édifié ensemble une maison à frais communs, la Cour de cassation a jugé que la construction était devenue la propriété de la concubine par accession et que celle-ci pouvait en obtenir l’attribution dans le cadre de la liquidation du concubinage (Cass. 1re civ., 2 oct. 2002, n° 01-00.002).
    • Cette solution repose sur la théorie de l’accession et non sur l’attribution préférentielle au sens strict.
  • Le mariage des concubins suivi d’un divorce
    • Un concubin ayant acquis avec sa concubine un bien en indivision avant leur mariage peut, s’ils divorcent ultérieurement, solliciter l’attribution préférentielle du bien en tant que conjoint divorcé.
    • En effet, le changement de statut du couple entraîne un basculement dans le régime de l’attribution préférentielle des époux, le demandeur pouvant alors fonder sa prétention sur sa qualité de conjoint et de copropriétaire (Cass. 1re civ., 7 juin 1988, n°86-15.090).
  • L’existence d’une société de fait
    • Dans certaines circonstances, la reconnaissance d’une société de fait entre concubins peut leur permettre d’accéder à un mécanisme proche de l’attribution préférentielle. 
    • La Cour de cassation a ainsi censuré une décision qui avait refusé d’examiner l’existence d’une telle société entre concubins ayant acquis ensemble un immeuble et ayant organisé entre eux les modalités de remboursement.
    • Elle a estimé que les juges du fond auraient dû vérifier si la situation ne relevait pas du régime des sociétés de fait, auquel cas le partage aurait obéi aux règles des sociétés, notamment celles relatives à la répartition des actifs en cas de dissolution (Cass. 1re civ., 20 mars 1989, n° 87-15.818).
    • Toutefois, la jurisprudence se montre extrêmement rigoureuse dans l’admission de telles sociétés, exigeant que soit démontrée l’existence d’un réel affectio societatis, c’est-à-dire une volonté commune de collaborer dans une entreprise à but lucratif. 
    • À défaut, la société de fait ne sera pas reconnue et le concubin restera soumis au régime de l’indivision ordinaire, sans possibilité de revendiquer une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 20 janv. 2010, n° 08-13.200).

vi. Les associés dans le cadre du partage d’une société

L’attribution préférentielle ne se limite pas aux partages successoraux ou matrimoniaux ; elle trouve également à s’appliquer dans le cadre du partage de l’actif social d’une société en liquidation. L’article 1844-9 du Code civil consacre cette possibilité en prévoyant que « les règles concernant le partage des successions, y compris l’attribution préférentielle, s’appliquent aux partages entre associés. »

Toutefois, ce droit demeure encadré par des principes spécifiques au droit des sociétés. En premier lieu, le partage ne peut intervenir qu’après le paiement des dettes et le remboursement du capital social. Ce n’est qu’une fois ces obligations satisfaites que les associés peuvent prétendre au partage du solde de l’actif, en principe proportionnellement à leur participation aux bénéfices, sauf disposition contraire des statuts ou accord spécifique des associés.

En second lieu, l’attribution préférentielle est subordonnée à l’exercice des prérogatives prioritaires expressément prévues par l’alinéa 3 de l’article 1844-9 du Code civil. Ce texte confère en effet une priorité absolue à l’associé ayant effectué un apport en nature : si le bien apporté figure toujours dans l’actif social au moment du partage, il peut, sur simple demande, en obtenir l’attribution à charge de soulte si nécessaire. Ce droit prime toute autre demande d’attribution préférentielle et s’exerce avant toute autre répartition de l’actif.

En l’absence d’apport en nature identifiable, l’attribution préférentielle peut néanmoins être sollicitée par un associé sur tout bien répondant aux conditions définies aux articles 831 et 831-2 du Code civil. Autrement dit, un associé peut prétendre à l’attribution d’un actif social qui lui est nécessaire pour poursuivre une activité professionnelle, ou encore d’un bien immobilier servant d’habitation, à condition qu’il remplisse les exigences requises par le droit commun de l’attribution préférentielle.

La Cour de cassation a eu l’occasion d’appliquer ces principes dans une affaire impliquant le partage de l’actif social d’une société créée de fait entre concubins. Ceux-ci exploitaient ensemble un centre d’hébergement touristique et de loisirs, au sein duquel l’un des associés avait réalisé plusieurs tapisseries dans le cadre des activités artisanales développées par la société. La Cour d’appel avait jugé que ces œuvres, représentant l’apport en industrie de leur créateur, faisaient partie de l’actif social et devaient être intégrées à la masse à partager après liquidation du passif.

Confirmant cette analyse, la Cour de cassation a retenu que ces biens, relevant de l’activité de la société et se retrouvant en nature dans l’actif social, ouvraient droit à une attribution préférentielle au profit de leur auteur, sous réserve du versement d’une soulte aux autres associés, en application de l’article 1844-9 du Code civil (Cass. 1re civ., 30 mai 2006, n° 04-14.749). Ainsi, la haute juridiction a rappelé que lorsqu’un bien, résultant d’un apport en industrie, demeure en nature au sein du patrimoine social au moment de la liquidation, l’associé à l’origine de cet apport peut en solliciter l’attribution préférentielle dans le cadre du partage de l’actif.

2. La titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété

L’attribution préférentielle, en tant que modalité du partage successoral, suppose la détention d’un droit réel sur le bien indivis. Toutefois, si les héritiers titulaires d’un droit en pleine propriété ou en nue-propriété peuvent prétendre à cette faculté, les usufruitiers en sont expressément exclus. Cette distinction, qui repose sur la nature même des droits en cause, mérite d’être examinée à travers deux axes complémentaires : d’une part, l’exigence de titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété, et, d’autre part, l’exclusion des titulaires d’un droit d’usufruit.

a. L’exigence de titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété

L’attribution préférentielle, en tant que modalité du partage successoral, suppose que le demandeur détienne un droit en indivision sur le bien concerné. À ce titre, seuls les titulaires de droits en pleine propriété ou en nue-propriété peuvent valablement en solliciter le bénéfice. Cette exigence, consacrée par l’article 831 du Code civil, trouve sa justification dans le principe selon lequel le partage ne peut porter que sur les biens relevant de l’indivision, à l’exclusion de ceux qui appartiennent à des tiers.

Originellement, la jurisprudence interprétait de manière rigoureuse cette exigence de copropriété, réservant l’attribution préférentielle aux seuls titulaires d’un droit en pleine propriété. Dans un arrêt du 8 novembre 1965, la Cour de cassation avait ainsi retenu l’exclusion des nus-propriétaires, considérant que la nue-propriété, en ce qu’elle constitue un droit de propriété démembré, ne conférait pas une maîtrise suffisante du bien pour justifier une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 8 nov. 1965).

Cette position s’est révélée particulièrement sévère dans les hypothèses où le conjoint survivant recueillait l’usufruit universel des biens successoraux, reléguant les héritiers à la seule nue-propriété, sans possibilité d’obtenir l’attribution préférentielle des biens nécessaires à la poursuite d’une activité professionnelle ou à la conservation du patrimoine familial. Une telle rigueur a suscité d’importantes critiques doctrinales, dénonçant une application excessivement formaliste du droit successoral, au détriment de l’objectif poursuivi par le mécanisme de l’attribution préférentielle.

Face aux incohérences pratiques générées par cette exclusion, le législateur a entendu remédier à cette situation en adoptant la loi du 23 décembre 1970, introduisant l’article 832-4 du Code civil, devenu l’article 833 depuis la réforme du 23 juin 2006. Cette réforme a marqué une avancée décisive en reconnaissant aux nus-propriétaires la faculté de solliciter l’attribution préférentielle d’un bien indivis, y compris lorsque celui-ci restait grevé d’un usufruit.

Désormais, le nu-propriétaire, au même titre que le titulaire d’un droit en pleine propriété, peut revendiquer l’attribution préférentielle, ce qui revêt une portée pratique considérable dans le cadre de la transmission d’entreprises ou de biens immobiliers à usage professionnel. Un enfant nu-propriétaire exploitant un fonds de commerce ou une exploitation agricole peut ainsi prétendre à l’attribution préférentielle du bien, sous réserve de justifier d’une participation effective à son exploitation (Cass. 1ere civ., 2 déc. 2015, n°14-25.622). Cette évolution contribue à assurer la pérennité des entreprises familiales et à éviter que l’usufruit détenu par un conjoint survivant ne constitue un frein à la continuité de l’exploitation.

Toutefois, cette ouverture ne s’étend pas aux légataires à titre particulier. En effet, ces derniers ne disposent pas de la qualité d’héritier et, partant, ne peuvent se prévaloir du mécanisme de l’attribution préférentielle, sauf dans l’hypothèse où la libéralité consentie a été réduite en nature, les plaçant alors en indivision avec les autres cohéritiers. Cette exclusion s’explique par la volonté du législateur de réserver ce dispositif aux successions ab intestat ou aux situations où un bien demeure en indivision entre les successibles.

b. L’exclusion des titulaires d’un droit d’usufruit

Si la reconnaissance du droit des nus-propriétaires à solliciter une attribution préférentielle constitue une avancée significative du droit successoral, il n’en demeure pas moins que les usufruitiers en sont, quant à eux, formellement exclus. Cette exclusion procède de la nature même de l’usufruit, qui ne confère qu’un droit de jouissance temporaire, tandis que l’attribution préférentielle implique un transfert de propriété, incompatible avec les prérogatives limitées de l’usufruitier.

Ainsi, la Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises que l’usufruitier ne peut, en aucun cas, prétendre à une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 27 juin 2000, n° 98-17.177). Une telle demande reviendrait, en effet, à transformer un droit temporaire de jouissance en un droit de propriété définitif, ce que la loi prohibe expressément. L’attribution préférentielle étant une simple modalité du partage, elle ne peut en aucun cas constituer un moyen détourné d’accroître les droits de l’usufruitier au détriment des autres héritiers.

Cette exclusion trouve une justification dans la distinction fondamentale entre l’usufruit et la pleine propriété. L’usufruitier n’a, par définition, ni la maîtrise intégrale du bien, ni la faculté de le disposer librement. Or, le mécanisme de l’attribution préférentielle suppose, au contraire, une appropriation totale et définitive du bien, assortie, le cas échéant, du versement d’une soulte aux coindivisaires. Dans ces conditions, l’usufruitier ne saurait revendiquer une attribution préférentielle, pas même sous la forme d’un usufruit viager sur le bien litigieux.

Avant la réforme du 3 décembre 2001, cette exclusion de l’usufruitier s’est révélée particulièrement préjudiciable au conjoint survivant. En présence de descendants, ce dernier ne recueillait bien souvent que l’usufruit légal du quart de la succession et ne pouvait, en conséquence, obtenir l’attribution préférentielle du logement conjugal indivis (Cass. 1re civ., 10 mai 1966). En raison de l’absence de copropriété en pleine propriété, condition alors strictement exigée, le conjoint survivant usufruitier était privé de toute possibilité de sécuriser son maintien dans le logement.

Face aux difficultés pratiques engendrées par cette rigueur juridique, le législateur est intervenu par la loi du 3 décembre 2001, instaurant un droit viager au logement au profit du conjoint survivant (art. 764 C. civ.). Ce dispositif vise à assurer la protection du logement conjugal en permettant au conjoint survivant d’y demeurer jusqu’à son décès, à condition que ce bien ait constitué sa résidence principale au jour du décès du défunt.

Toutefois, ce droit viager ne saurait être assimilé à une attribution préférentielle. Contrairement à cette dernière, qui conduit à l’acquisition définitive du bien en propriété, le droit viager au logement se borne à conférer au conjoint survivant un droit d’usage et d’habitation, insusceptible de mutation ou de cession. Il s’agit d’une mesure de protection d’ordre public, s’imposant aux héritiers sans qu’aucune contrepartie financière ne leur soit due. De ce fait, si le conjoint survivant peut bénéficier d’une jouissance prolongée du logement conjugal, il demeure exclu du champ de l’attribution préférentielle, dont la vocation est résolument patrimoniale.

Cette distinction est d’autant plus importante que le droit viager au logement s’exerce indépendamment des règles successorales classiques. Il ne suppose pas l’indivision du bien et peut s’appliquer même si les héritiers entendent procéder à un partage immédiat de la succession. En revanche, l’attribution préférentielle reste subordonnée à l’existence d’une indivision successorale, ce qui en limite la portée au cadre du partage.

c. La situation particulière du titulaire d’un droit au bail

Si l’usufruitier demeure exclu du bénéfice de l’attribution préférentielle, le législateur a néanmoins aménagé une protection spécifique en matière de droit au bail, reconnaissant au conjoint survivant un droit préférentiel lui permettant de solliciter l’attribution du droit au bail du logement commun.

Cette avancée a été introduite par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, laquelle a inséré l’article 1751-1 du Code civil. Ce texte autorise désormais le conjoint survivant à demander l’attribution du droit au bail du logement conjugal, sous réserve de l’appréciation des intérêts en présence par le juge. Ce dernier devra notamment tenir compte des besoins du conjoint survivant et de ceux des autres héritiers pour statuer sur la demande.

Cette protection constitue une réponse aux difficultés que rencontrait le conjoint survivant en cas de logement pris à bail. Avant cette réforme, la question du devenir du contrat de location en cas de décès du locataire était source d’incertitudes. Si la jurisprudence avait admis que le conjoint survivant pouvait se voir reconnaître un droit exclusif sur le bail en cas de nécessité manifeste, cette solution demeurait incertaine et soumise aux appréciations des juges du fond. L’introduction de l’article 1751-1 du Code civil a donc eu pour effet de sécuriser la situation du conjoint survivant, en lui conférant un véritable droit préférentiel, opposable aux autres héritiers.

Toutefois, il est essentiel de souligner que ce droit préférentiel en matière de bail ne remet pas en cause l’exclusion du conjoint survivant du bénéfice de l’attribution préférentielle en pleine propriété. En effet, ce dispositif ne lui permet pas d’acquérir la propriété du logement, mais simplement d’en préserver la jouissance en cas de décès de son conjoint. Il constitue ainsi une mesure de protection renforcée du logement, sans pour autant emporter les effets patrimoniaux attachés à l’attribution préférentielle.

3. L’existence d’un intérêt légitime à l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle ne saurait être accordée sans la démonstration d’un intérêt légitime du postulant. Cette exigence, qui découle de l’article 831 du Code civil, se justifie par le fait que l’attribution constitue une modalité particulière du partage successoral, dérogeant au principe d’égalité entre coindivisaires. L’intérêt légitime s’apprécie au regard de la nature du bien sollicité et des circonstances propres à chaque demande.

a. L’attribution d’une entreprise agricole, commerciale, artisanale, industrielle ou libérale

L’attribution préférentielle d’une entreprise implique que le demandeur justifie d’une participation effective à son exploitation, conformément aux dispositions de l’article 831, alinéa 1 du Code civil. Cette participation peut être directe (gestion, exploitation active) ou indirecte (collaboration étroite, implication dans la valorisation de l’activité).

Ainsi, la jurisprudence reconnaît qu’un héritier peut prétendre à l’attribution préférentielle s’il a exercé une activité en lien avec l’exploitation concernée, même si cette activité n’était pas continue. Il n’est pas exigé que la participation ait perduré jusqu’à l’ouverture de la succession, il suffit qu’elle ait existé à un moment pertinent et qu’elle soit démontrée de manière tangible.

Par exemple, la Cour de cassation a jugé qu’un enfant ayant participé à l’exploitation d’un fonds de commerce familial, fût-ce de manière ponctuelle, pouvait se voir attribuer préférentiellement le bien, dès lors qu’il démontrait une intention de poursuivre l’activité (Cass. 1ere civ., 2 déc. 2015, n° 14-25.622). Cette souplesse vise à éviter une déstabilisation excessive des entreprises familiales lors du règlement successoral.

En matière agricole, l’attribution préférentielle peut être facilitée lorsque l’héritier exploite déjà le bien en qualité de fermier ou de métayer. Cette situation permet au juge de constater une continuité de l’exploitation et d’accorder l’attribution au regard de l’intérêt économique généralre.

Cependant, une stricte appréciation des critères demeure de mise : une simple intention déclarative de reprendre l’exploitation ne suffit pas, la preuve d’un engagement antérieur ou d’une compétence spécifique est requise.

b. L’attribution du local d’habitation ou professionnel

Lorsqu’elle porte sur un bien immobilier, l’attribution préférentielle repose sur des critères d’occupation effective et de nécessité.

S’agissant des locaux à usage d’habitation, l’article 831-2 du Code civil impose que le demandeur y ait résidé de manière stable avant l’ouverture de la succession et qu’il justifie d’un besoin réel de s’y maintenir. La Cour de cassation a ainsi rappelé que l’attribution ne saurait être accordée à un indivisaire qui ne justifie pas d’une occupation antérieure ou d’un projet de maintien dans le logement familial (Cass. 1re civ., 15 janv. 2014, n° 12-25.322).

Concernant les locaux professionnels, l’exigence porte non sur une occupation antérieure, mais sur l’exercice effectif d’une activité à la date de la demande (art. 831-2, 2° C. civ.). Cette condition vise à éviter qu’un indivisaire ne sollicite l’attribution à des fins spéculatives sans réel projet d’exploitation. Dès lors, un héritier qui exerce déjà une profession libérale dans un immeuble appartenant à l’indivision aura un intérêt légitime à en solliciter l’attribution.

c. L’attribution des éléments mobiliers affectés à l’exploitation

L’attribution préférentielle peut également s’étendre aux biens mobiliers nécessaires à l’exploitation d’un fonds professionnel ou agricole (art. 831-2, 3° C. civ.). Cette extension permet au bénéficiaire de poursuivre l’activité économique dans des conditions optimales.

Là encore, la notion d’intérêt légitime suppose la démonstration d’un usage effectif du matériel concerné. Ainsi, un médecin succédant à une clinique familiale pourra solliciter l’attribution préférentielle du matériel médical s’il entend poursuivre l’exercice de la profession dans les lieux. De même, un exploitant agricole héritant du cheptel de son prédécesseur pourra prétendre à son attribution dès lors qu’il démontre son utilité pour la continuité de l’exploitation.

La jurisprudence a admis que la continuité d’exploitation pouvait être assurée par l’attributaire lui-même ou par un membre de sa famille exerçant l’activité sous sa responsabilité (Cass. 1ere civ., 10 juin 1987, n°85-17.000). En revanche, une attribution préférentielle visant un matériel d’exploitation sans lien avéré avec l’activité du demandeur serait rejetée.

C) Conditions tenant aux volontés exprimées par le défunt et aux choix des copartageants

L’attribution préférentielle, en tant que simple modalité du partage successoral, se trouve naturellement soumise à la volonté du défunt et des copartageants. Loin d’être un droit absolu, elle demeure tributaire des dispositions prises de son vivant par le de cujus et des choix exprimés par les indivisaires lors du partage. Son application obéit ainsi à un double contrôle : d’une part, celui du testateur, dont les dispositions peuvent entraver ou exclure l’attribution préférentielle ; d’autre part, celui des copartageants, qui peuvent en contester la mise en œuvre sous certaines conditions.

1. L’influence de la volonté du défunt

==>La faculté d’exclure l’attribution préférentielle

Le défunt conserve une large latitude pour organiser la transmission de ses biens et, partant, restreindre ou empêcher l’attribution préférentielle. Ce pouvoir découle du principe selon lequel les dispositions testamentaires priment sur les règles supplétives du Code civil. Ainsi, plusieurs mécanismes peuvent être mis en œuvre pour priver les héritiers de la possibilité d’obtenir une attribution préférentielle :

  • L’exclusion par legs ou donation : un bien légué à titre particulier sort du patrimoine successoral et échappe de ce fait à l’attribution préférentielle. La jurisprudence l’a affirmé de manière constante, admettant que l’institution d’un légataire emporte de plein droit l’exclusion de la répartition successorale classique et donc de l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 8 juill. 1958).
  • Le recours aux libéralités-partages : de même, lorsqu’un bien est attribué dans le cadre d’une donation-partage, il échappe définitivement aux opérations de partage et à toute revendication au titre de l’attribution préférentielle.
  • Les clauses testamentaires excluant le partage en nature : un testateur peut stipuler une disposition imposant un partage en nature ou interdisant une attribution préférentielle sur certains biens spécifiques (Cass. 1re civ., 3 févr. 1959). Une telle clause prime sur la demande d’attribution, sauf fraude manifeste ou contradiction avec des dispositions impératives.

==>Les limites de la volonté du défunt

Si le de cujus dispose d’un pouvoir d’organisation de sa succession, encore faut-il que sa volonté soit formelle et non équivoque. En effet, une simple disposition ambiguë ne saurait suffire à écarter le droit d’attribution préférentielle. La jurisprudence a ainsi précisé que l’exclusion de ce mécanisme ne peut résulter que d’une stipulation expresse, par exemple une clause testamentaire affirmant clairement la volonté d’un partage en nature ou d’une répartition spécifique du patrimoine (Cass. 1re civ., 30 oct. 1962).

Par ailleurs, la réduction des libéralités pour atteinte à la réserve ne réintroduit pas l’attribution préférentielle. En effet, lorsque le legs est réductible en valeur mais non en nature, le bien concerné ne revient pas dans la masse successorale et ne peut donc faire l’objet d’une attribution préférentielle.

2. L’influence de la volonté des copartageants

==>La nécessité d’une demande expresse

L’attribution préférentielle ne joue qu’à la condition d’être demandée. Elle ne peut être présumée ni imposée d’office par le juge. Cette demande peut être introduite dès l’ouverture de la succession et jusqu’à la clôture des opérations de partage, sauf prescription ou chose jugée (Cass. 1re civ., 19 déc. 1977).

L’absence de demande ou une renonciation, même tacite mais certaine, empêche son octroi (Cass. civ., 14 janv. 1947).

Un héritier peut donc renoncer volontairement à l’attribution préférentielle, que ce soit dans le cadre d’un accord amiable ou par un comportement implicite mais sans équivoque.

==>Les demandes concurrentes et leur règlement

Lorsque plusieurs copartageants remplissent les conditions pour obtenir l’attribution préférentielle d’un même bien, deux issues sont envisageables :

  • Une demande conjointe : les héritiers peuvent solliciter une attribution indivise, ce qui permet de répartir entre eux la charge éventuelle d’une soulte et d’assurer la conservation du bien dans le cadre familial?
  • Des demandes exclusives concurrentes : en cas de conflit entre plusieurs prétendants, il appartient au juge d’arbitrer en tenant compte des intérêts en présence et de l’aptitude de chaque postulant à assumer la charge de l’attribution. La jurisprudence impose notamment au juge d’apprécier la durée et l’intensité de l’implication du demandeur dans l’exploitation du bien convoité?

==>L’opposition des autres copartageants

Les autres copartageants peuvent-ils s’opposer à une demande d’attribution préférentielle qu’ils jugeraient préjudiciable à leurs intérêts ? La réponse dépend du caractère facultatif ou impératif de l’attribution :

  • Attribution préférentielle facultative : les autres copartageants peuvent faire valoir leurs propres intérêts pour s’y opposer. Toutefois, leur opposition ne constitue pas un veto absolu : le juge statue en fonction des circonstances et des éléments de fond, comme l’utilité du bien pour le demandeur et sa capacité à honorer une éventuelle soulte.
  • Attribution préférentielle de droit : lorsque la loi confère un droit automatique à l’attribution (comme dans le cas d’une petite exploitation agricole ou d’un local d’habitation principal), les coindivisaires ne peuvent s’y opposer que dans des circonstances très exceptionnelles, notamment en cas d’insolvabilité manifeste du demandeur (Cass. 1re civ., 17 mars 1987).

Opérations de partage: la composition des lots

La constitution des lots constitue la première étape du partage effectif de la masse partageable. Elle consiste à regrouper les biens indivis en ensembles cohérents, appelés « lots », qui seront ensuite attribués à chaque indivisaire en fonction de ses droits. Cette opération est essentielle, car elle conditionne la répartition finale des biens et vise à garantir un partage équitable et équilibré.

Loin d’être une simple division matérielle des biens, la constitution des lots doit répondre à des principes fondamentaux, parmi lesquels le respect de l’égalité en valeur et le maintien des unités économiques. Le législateur et la jurisprudence imposent ainsi des règles précises encadrant cette opération, tout en laissant une certaine marge de manœuvre afin d’adapter le partage aux réalités économiques et humaines de chaque indivision.

Le processus de constitution des lots présente plusieurs enjeux essentiels :

  • La détermination du nombre de lots, qui dépend directement du mode de partage retenu. Selon les cas, le partage peut être réalisé par tête, lorsque chaque indivisaire reçoit une part égale, ou par souche, lorsque la répartition tient compte de branches familiales distinctes. Par ailleurs, il convient d’envisager le cas où les indivisaires ne disposent pas de droits égaux, ce qui impose une répartition spécifique.
  • La composition des lots, qui suppose de regrouper les biens de manière cohérente et équitable. Cette opération doit respecter les intérêts économiques des indivisaires tout en prenant en compte la nature des biens composant la masse partageable. 

Le partage en nature demeure, en principe, privilégié par le législateur, conformément à l’article 826 du Code civil, qui impose de rechercher autant que possible une attribution de biens en nature correspondant à la valeur des droits de chaque indivisaire. Toutefois, lorsque cette répartition s’avère impossible ou déséquilibrée, des alternatives au partage en nature doivent être envisagées (soultes, division de biens ou licitation en dernier recours).

Nous nous focaliserons ici sur la seconde étape du processus de constitution des lots: la composition des lots.

La composition des lots constitue une étape déterminante des opérations de partage. Elle vise à traduire, en unités cohérentes et équilibrées, les droits que chaque indivisaire détient sur la masse partageable. Cette opération, loin d’être purement arithmétique, exige une réflexion approfondie sur la valeur des biens, leur nature et leur vocation économique, afin de garantir un partage équitable et conforme aux intérêts de chacun.

§1: Modalités de composition des lots

La constitution des lots constitue une étape essentielle des opérations de partage, visant à assurer une répartition équitable des biens indivis, dans le strict respect des droits de chaque héritier. Selon la complexité de la masse à partager et les éventuels différends opposant les indivisaires, le Code de procédure civile prévoit, pour chaque procédure applicable, des modalités spécifiques encadrant la composition des lots.

La mise en œuvre de ces procédures mobilise tantôt l’intervention directe du tribunal judiciaire, tantôt celle d’un notaire commis par le juge, voire celle d’un expert désigné en cours d’instance. Si le rôle des différents acteurs varie selon la voie procédurale retenue, la finalité demeure la même : garantir la sécurité juridique des opérations tout en veillant à préserver les droits individuels de chaque indivisaire dans le cadre du partage.

==>Dans le cadre de la procédure simplifiée

Régie par les articles 1359 à 1363 du Code de procédure civile, la procédure simplifiée s’applique lorsque le partage ne soulève aucune difficulté majeure. Elle se prête particulièrement aux situations où la masse successorale est clairement définie et ne comporte ni biens complexes ni ne fait l’objet de différends entre les indivisaires.

Dans ce cadre, le tribunal judiciaire se voit confier un rôle central dans la constitution des lots, sans qu’il soit nécessaire de faire intervenir un notaire pour superviser les opérations. Conformément au premier alinéa de l’article 1361, le juge peut ordonner le partage des biens indivis ou, si le partage est impraticable, décider la vente par licitation lorsque les conditions prévues à l’article 1378 sont réunies.

Lorsque le tribunal opte pour le partage, il lui appartient d’évaluer la masse partageable et de déterminer la composition des lots en fonction des droits de chaque indivisaire. Le jugement rendu par le tribunal tient alors lieu d’acte de partage, formalisant ainsi la répartition des biens entre les héritiers. Ce mécanisme présente l’avantage d’offrir une solution rapide, alliant simplicité procédurale et sécurité juridique.

Dans les cas où la nature des biens exige une expertise spécifique, le juge peut s’adjoindre un expert, conformément à l’article 1362. Cette mesure facultative vise à garantir une évaluation précise des actifs à répartir, qu’il s’agisse de biens immobiliers, de meubles ou de droits incorporels. L’expert peut également proposer une répartition des lots en tenant compte de la valeur des biens et des droits des indivisaires. Cependant, dans les situations simples, le tribunal peut directement procéder à la composition des lots et au tirage au sort, sans recourir à une expertise particulière.

Le tirage au sort des lots, lorsqu’il est nécessaire, est réalisé devant le président du tribunal judiciaire ou son délégué. Cette opération permet de garantir une attribution impartiale des biens, tout en évitant tout soupçon de favoritisme ou de partialité dans la répartition.

Bien que prévue par le Code de procédure civile, cette procédure semble toutefois peu usitée dans la pratique, probablement en raison de la préférence des parties pour des solutions amiables ou des partages supervisés par un notaire. Comme le souligne Michel Grimaldi, la procédure simplifiée présente toutefois l’avantage d’être « rapide et peu formaliste », ce qui permet d’écarter des coûts et des délais supplémentaires liés à la désignation d’un notaire ou d’un expert.

En cas d’absence ou de défaillance d’un héritier, la continuité des opérations est garantie par la désignation d’un représentant à l’indivisaire défaillant. Cette désignation, effectuée par le président du tribunal judiciaire, peut intervenir d’office (art. 1363, al. 2 CPC). 

==>La composition des lots par tirage au sort sous la supervision d’un notaire

Lorsque les indivisaires s’entendent sur la composition des lots mais demeurent en désaccord quant à leur attribution, le Code de procédure civile instaure un mécanisme de tirage au sort, régi par l’article 1363, destiné à prévenir les blocages et à garantir une répartition impartiale. Ce mécanisme, qui repose sur le hasard, vise à écarter toute suspicion de favoritisme et à renforcer la sécurité juridique des opérations de partage.

Dans cette configuration, deux acteurs interviennent successivement : le tribunal judiciaire et le notaire désigné. En premier lieu, le tribunal forme la masse partageable, évalue les biens et compose les lots, le cas échéant avec l’assistance d’un expert, conformément aux articles 1361 et 1362. Ce n’est qu’après cette étape que le notaire entre en scène pour présider au tirage au sort des lots et dresser l’acte authentique constatant le partage.

Le rôle du notaire dans cette procédure est essentiellement formel et limité. Il ne participe ni à la liquidation des comptes ni à la constitution des lots, mais se borne à garantir la régularité du tirage au sort et à authentifier l’acte de partage. Comme le souligne Michel Grimaldi, « le notaire se trouve ici dans une posture d’instrumentation, n’intervenant qu’en bout de chaîne, une fois les lots constitués par le tribunal ». Ainsi, sa mission se distingue nettement de celle du notaire liquidateur dans les procédures complexes, où il est directement impliqué dans l’ensemble des opérations de partage.

Le tirage au sort peut avoir lieu devant le notaire commis par le tribunal ou, à défaut, devant le président du tribunal judiciaire ou son délégué. Cette faculté, prévue par l’article 1363, alinéa 1er, permet d’assurer la neutralité des opérations tout en évitant de mobiliser des ressources lorsque cela n’est pas indispensable.

En cas d’absence ou de défaillance d’un héritier, la continuité des opérations est garantie par la désignation d’un représentant à l’indivisaire défaillant. Cette désignation, effectuée par le président du tribunal judiciaire, peut intervenir d’office ou sur transmission du procès-verbal de carence établi par le notaire (art. 1363, al. 2 CPC). 

==>La composition des lots dans le cadre de la procédure longue sous la supervision d’un juge commis

Lorsque les opérations de partage présentent une complexité particulière ou que des désaccords profonds persistent entre les indivisaires, la procédure longue, encadrée par les articles 1364 à 1376 du Code de procédure civile, devient nécessaire. À la différence des procédures simplifiées, la procédure longue repose sur une organisation plus élaborée des rôles, où le tribunal judiciaire, le notaire liquidateur et le juge commis interviennent de manière coordonnée, chacun apportant sa contribution spécifique afin d’assurer une répartition équitable et sécurisée des biens indivis.

Le notaire liquidateur, désigné par le tribunal en l’absence d’accord entre les parties (art. 1364, al. 2 CPC), joue un rôle primordial dans la constitution des lots. Contrairement aux procédures simplifiées, où le tribunal est directement impliqué dans la composition des lots, ici, cette mission incombe au notaire. Celui-ci doit procéder à l’évaluation des biens, à la liquidation des comptes entre les indivisaires, et à l’établissement d’un projet d’état liquidatif, lequel fixe la composition des lots à attribuer.

Pour mener à bien cette mission, le notaire dispose de pouvoirs étendus. Il peut, en vertu de l’article 1365, convoquer les parties, demander la communication de toutes pièces utiles à la liquidation et, si nécessaire, solliciter l’intervention d’un expert pour évaluer les biens ou proposer une répartition équitable des lots. Cette expertise s’avère particulièrement utile lorsqu’il s’agit de biens complexes ou difficiles à estimer, tels que des immeubles, des parts sociales, ou encore des œuvres d’art.

Si des difficultés surgissent lors de la préparation du projet d’état liquidatif, le notaire peut s’en remettre au juge commis. Ce dernier, en tant que garant du bon déroulement de la procédure, a la faculté de prononcer des injonctions, de fixer des astreintes, voire de remplacer le notaire si celui-ci manque à ses obligations (art. 1371, al. 2 CPC).

La procédure longue comporte plusieurs étapes encadrées par le Code de procédure civile :

  • Convocation des parties et collecte des informations
    • Le notaire commence par convoquer les parties et recueillir les documents nécessaires à l’évaluation de la masse partageable.
    • Si des désaccords apparaissent quant à la valeur des biens ou à leur répartition, il peut recourir à un expert pour estimer les biens et proposer une composition des lots (art. 1365, al. 3 CPC).
  • Tentative de conciliation sous la supervision du juge commis
    • Avant de finaliser le projet d’état liquidatif, le notaire peut demander au juge commis d’organiser une tentative de conciliation en présence des parties.
    • Cette étape vise à réduire les points de litige et à favoriser un accord amiable sur la répartition des biens (art. 1366 CPC).
  • Élaboration du projet d’état liquidatif
    • Une fois les biens évalués et les comptes liquidés, le notaire établit un projet d’état liquidatif détaillant la composition des lots.
    • Ce document, clé de voûte de la procédure, précise la valeur des biens attribués à chaque indivisaire, en tenant compte de leurs droits respectifs dans la masse partageable (art. 1368 CPC). 
    • Si un expert a été désigné, c’est lui qui procède à l’évaluation des biens et à la composition des lots.
  • Transmission au juge commis et traitement des contestations
    • Le projet d’état liquidatif est ensuite transmis au juge commis, accompagné d’un procès-verbal de difficultés si les parties ont formulé des contestations.
    • Le juge commis peut alors tenter une nouvelle conciliation ou, en cas d’échec, soumettre les points litigieux au tribunal judiciaire (art. 1373 CPC).

Le tirage au sort des lots, lorsqu’il est nécessaire, peut avoir lieu soit devant le notaire, soit devant le juge commis ou son délégué. Si un héritier fait défaut, un représentant peut être désigné pour y assister, conformément aux dispositions de l’article 1376 du Code de procédure civile. Cette mesure vise à éviter que l’absence d’un indivisaire ne paralyse les opérations de partage.

Le tribunal judiciaire, après avoir examiné le projet d’état liquidatif et les éventuelles contestations des parties, peut soit homologuer l’état liquidatif et ordonner le tirage au sort des lots, soit renvoyer le notaire à ses travaux pour apporter les corrections nécessaires (art. 1375 CPC).

Le notaire dispose en principe d’un délai d’un an pour établir le projet d’état liquidatif (art. 1368 CPC). Ce délai peut toutefois être suspendu pour diverses raisons — expertises, tentatives de conciliation, désignation d’un représentant pour un héritier défaillant — ou prorogé d’une année supplémentaire en cas de complexité des opérations (art. 1370 CPC).

§2: Contenu des lots

Le partage des biens indivis doit répondre à une double exigence d’équité et de préservation économique. Si la priorité est donnée au partage en nature, il arrive que les circonstances rendent cette solution difficilement praticable. Le Code civil prévoit alors des mécanismes alternatifs permettant d’assurer une répartition juste entre les copartageants, tout en tenant compte des contraintes matérielles et économiques.

La démarche à suivre pour constituer les lots repose ainsi sur une logique progressive : il convient d’abord de rechercher si l’égalité entre les copartageants peut être atteinte par un partage en nature. En cas de difficulté, plusieurs alternatives s’offrent au juge ou aux parties, allant de l’ajustement par le biais de soultes jusqu’à la licitation des biens.

I) La recherche d’un partage en nature

Le partage en nature constitue historiquement la règle de principe en matière de répartition des biens indivis. Bien que la réforme opérée par la loi du 23 juin 2006 ait consacré le principe d’égalité en valeur à l’article 826 du Code civil, le partage en nature demeure la voie prioritaire qu’il y a lieu d’emprunter lorsqu’il peut être réalisé sans compromettre l’intégrité économique des biens. L’attribution à chaque copartageant d’une part en nature des biens indivis permet de garantir le respect des droits patrimoniaux de chacun et d’assurer une répartition concrète des actifs à partager.

La finalité du partage en nature est d’attribuer à chaque héritier un lot composé de biens matériels équivalant à ses droits dans l’indivision. Concrètement, cette répartition implique que chaque lot soit constitué d’une proportion comparable de biens meubles, immeubles, créances ou autres actifs de même nature. Par exemple, il ne saurait être question d’attribuer exclusivement des liquidités à un héritier et des biens immobiliers à un autre, sauf à porter atteinte à l’équilibre du partage. L’objectif est d’éviter une rupture d’égalité entre les copartageants.

Ainsi, un partage en nature rigoureusement équilibré pourrait se traduire par une répartition homogène des biens selon leur nature : chaque lot comprenant, par exemple, une part de terrains agricoles, une part de biens mobiliers et une part de liquidités. Cette approche permet d’assurer que chaque copartageant soit alloté de manière équitable, tant en valeur qu’en substance, préservant ainsi ses droits patrimoniaux de manière tangible.

A l’analyse, le partage en nature présente deux atouts majeurs :

  • D’une part, il favorise la sécurité juridique des opérations de partage en réduisant les aléas liés à l’évaluation des biens. En effet, les biens immobiliers, les titres financiers ou les objets d’art peuvent être soumis à des fluctuations de valeur parfois difficiles à anticiper. En attribuant directement une part matérielle à chaque héritier, le risque de contestations ultérieures est considérablement atténué.
  • D’autre part, le partage en nature favorise l’équilibre économique des opérations. Il évite que certains copartageants soient exclusivement alloties en liquidités, tandis que d’autres se voient attribuer des biens difficiles à liquider ou susceptibles de perdre de la valeur. Cette méthode de répartition assure une forme d’équité durable, car elle préserve les droits de chacun de manière concrète et immédiate.

Prenons un exemple pratique pour illustrer cette logique. Imaginons une succession comprenant deux appartements identiques situés dans un même immeuble. Il apparaît naturel et équitable d’attribuer un appartement à chacun des deux copartageants, évitant ainsi de recourir à une soulte ou à une vente. Une telle répartition permet d’assurer une égalité instantanée entre les parties, tout en évitant les frais et les délais qu’implique une procédure de licitation.

Dans une situation similaire, lorsque la masse partageable comprend des terrains agricoles de même qualité ou des actions d’une même société, il est tout aussi pertinent d’allouer à chaque héritier une fraction équivalente de ces biens. Cette approche garantit que chaque copartageant bénéficie d’une part concrète du patrimoine transmis, sans dépendre d’une évaluation incertaine ou d’une compensation monétaire qui pourrait, à terme, s’avérer inadaptée.

Toutefois, le partage en nature, bien qu’idéal dans certaines configurations, trouve sa limite dès lors que la division matérielle des biens risque d’en compromettre la valeur ou l’utilité économique. Il en est ainsi des biens indivis dont le fractionnement entraînerait une dépréciation significative ou rendrait leur exploitation impossible.

L’article 830 du Code civil invite précisément à éviter la division des unités économiques et autres ensembles patrimoniaux dont le morcellement pourrait porter préjudice à leur viabilité. Ce texte traduit la volonté du législateur de préserver la cohérence économique des patrimoines partagés, notamment lorsqu’il s’agit de biens tels que des exploitations agricoles, des fonds de commerce ou des immeubles à usage locatif.

La jurisprudence, fidèle à cette exigence, rappelle que le juge du partage dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation pour déterminer si un morcellement est approprié ou s’il constitue une atteinte à l’intégrité économique du bien concerné. Ainsi, dans un arrêt du 11 mai 2016, la Cour de cassation a validé la décision d’une cour d’appel ayant refusé la division matérielle d’un immeuble composé de deux appartements (Cass. 1ère civ., 11 mai 2016, n°15-18.993). Les juges avaient relevé que les installations communes des deux logements (chauffage, canalisations d’eau, installations électriques) rendaient leur séparation techniquement complexe et économiquement inopportune, en raison des coûts élevés de mise aux normes nécessaires pour assurer leur indépendance.

Dans cette affaire, le partage en nature aurait nécessité des travaux coûteux qui auraient compromis la rentabilité des biens. La solution retenue a donc été d’attribuer l’ensemble de l’immeuble à un seul héritier, moyennant le versement d’une soulte aux autres copartageants, afin de rétablir l’équilibre en valeur.

Cette jurisprudence illustre parfaitement la nécessité de préserver l’intégrité des biens lorsque leur division entraînerait une dévalorisation. Le partage en nature, bien qu’idéal dans certaines hypothèses, ne saurait être réalisé au mépris des réalités économiques. Le juge doit donc, dans chaque situation, rechercher l’option la plus adaptée pour garantir l’équilibre entre les parties tout en préservant la valeur des actifs.

La question du morcellement se pose avec une acuité particulière lorsqu’il s’agit de biens à vocation économique, tels que les exploitations agricoles. Le législateur a d’ailleurs prévu un mécanisme spécifique d’attribution préférentielle pour ces biens, permettant à un héritier exploitant de se voir attribuer l’ensemble de l’exploitation, afin d’en assurer la pérennité.

Prenons l’exemple d’une exploitation agricole composée de plusieurs parcelles de terres cultivables et de bâtiments d’exploitation. La division matérielle de cet ensemble pourrait compromettre sa viabilité, en raison de la nécessité de maintenir une cohérence fonctionnelle entre les différentes parcelles et infrastructures. Dans une telle situation, le partage en nature serait inopportun, car il nuirait à la rentabilité économique de l’exploitation. Il serait donc préférable d’attribuer l’ensemble à un seul héritier, moyennant une compensation financière versée aux autres copartageants.

Cette solution permet non seulement de préserver l’intégrité de l’exploitation, mais également d’éviter les pertes économiques qui découleraient d’un morcellement. Elle illustre la nécessité d’adopter une approche pragmatique dans les opérations de partage, en tenant compte des spécificités des biens indivis et des intérêts économiques en jeu.

II) Les alternatives au partage en nature

Lorsque le partage en nature s’avère impossible ou préjudiciable, trois solutions alternatives peuvent être envisagées : le recours à la soulte, la division des biens comme moindre mal, ou la licitation.

A) Première alternative : le recours à la soulte pour rétablir l’égalité en valeur

Lorsque les biens à partager présentent des disparités de valeur, l’égalité parfaite en nature devient une entreprise délicate, parfois même impossible à réaliser sans porter atteinte à l’intégrité des biens attribués. Afin de remédier à cette difficulté, le législateur a prévu un mécanisme correctif indispensable : la soulte.

Consacrée au quatrième alinéa de l’article 826 du Code civil, la soulte permet de compenser les écarts de valeur entre les lots attribués aux copartageants, tout en préservant la substance des biens indivis. Loin d’être une mesure accessoire, elle s’impose comme un véritable « levier d’équité » dans la recherche d’un partage équilibré, évitant ainsi de recourir à des solutions plus radicales, telles que la division matérielle des biens ou leur licitation.

Le principe d’égalité en valeur, énoncé par le Code civil, impose que chaque héritier reçoive un lot correspondant à ses droits dans l’indivision. Cependant, la nature des biens — immeubles, fonds de commerce, titres financiers ou encore objets d’art — ne permet pas toujours d’assurer une répartition parfaitement proportionnée. C’est précisément pour combler ces écarts que la soulte intervient, en permettant d’ajuster la valeur des lots par le versement d’une compensation financière.

La soulte offre ainsi une solution pragmatique et souple, conciliant les exigences d’égalité avec la préservation des unités économiques. Toutefois, son recours est strictement encadré par le législateur, afin de garantir qu’elle demeure proportionnée à l’écart réel entre les lots et qu’elle ne porte atteinte ni aux droits ni aux intérêts des copartageants.

==>Définition et nature de la soulte

La soulte est une somme d’argent destinée à compenser une inégalité de valeur entre les lots attribués aux copartageants dans le cadre d’un partage. Cette inégalité peut résulter de la nature des biens indivis, qui ne se prêtent pas toujours à une division en parts de valeur identique. Dès lors, la soulte permet de rétablir l’équilibre en valeur entre les lots, conformément au principe énoncé à l’article 826 du Code civil, selon lequel « l’égalité dans le partage est une égalité en valeur ».

  • Une créance indissociable du partage
    • La soulte ne peut voir le jour qu’au moment du partage.
    • Contrairement aux dettes qui précèdent le partage, la soulte naît exclusivement lors de l’opération de répartition des biens indivis. 
    • Michel Grimaldi insiste sur ce point en précisant que « la soulte ne peut naître que du partage lui-même, puisque c’est à cette date seulement que les biens sont évalués et que peut être alors constatée et mesurée l’inégalité qu’elle a pour objet de compenser ».
    • Cette nature spécifique de la soulte emporte plusieurs conséquences :
      • Première conséquence
        • La soulte ne peut être prévue à titre provisionnel avant le partage. 
        • Il est impossible d’anticiper son montant ou d’en exiger le paiement avant la réalisation effective du partage. 
        • Cette impossibilité découle du fait que l’inégalité qu’elle vise à compenser ne peut être constatée qu’une fois les biens indivis évalués et les lots constitués.
      • Seconde conséquence
        • La soulte est une créance liquidée au moment du partage.
        • Elle devient exigible dès que le partage est devenu définitif, sauf si les parties conviennent d’un délai de paiement. 
        • En cas d’accord, le paiement peut être différé, notamment pour tenir compte des contraintes financières du débiteur de la soulte.
  • Une créance distincte des dettes antérieures au partage
    • La soulte doit être clairement distinguée des dettes préexistantes à l’opération de partage.
    • Alors que les dettes antérieures concernent les rapports juridiques établis avant la dissolution de l’indivision, la soulte est exclusivement liée à la répartition des biens.
    • Comme le précise Philippe Malaurie, « la soulte constitue une dette nouvelle, née du partage, et non la prolongation d’une obligation antérieure. Sa finalité est d’assurer une stricte égalité en valeur entre les copartageants ».
    • À titre d’exemple, imaginons une masse successorale composée d’un bien immobilier unique d’une valeur de 500 000 euros, attribué à un seul héritier en raison de son caractère indivisible. 
    • Si cet héritier possède des droits successoraux limités à 300 000 euros, il devra verser une soulte de 200 000 euros aux autres copartageants afin de rétablir l’égalité en valeur.

==>Conditions de la soulte

La constitution d’une soulte répond à une finalité précise : rétablir l’égalité en valeur entre les copartageants lorsque la répartition en nature des biens indivis ne permet pas de respecter les droits de chacun. Ce mécanisme, loin d’être automatique, n’intervient que sous certaines conditions encadrées par le Code civil, notamment par l’article 826, alinéa 4, qui dispose que « si la consistance de la masse ne permet pas de former des lots d’égale valeur, leur inégalité se compense par une soulte ».

Cette règle traduit une volonté du législateur d’assurer une répartition juste et équitable entre les héritiers, tout en tenant compte des contraintes pratiques liées à la nature des biens indivis. Toutefois, la constitution d’une soulte ne doit pas être envisagée comme une solution systématique, mais plutôt comme un correctif exceptionnel destiné à garantir l’équilibre des opérations de partage.

En pratique, la soulte est principalement justifiée lorsque les biens indivis sont des actifs indivisibles ou difficiles à fractionner en lots de valeur équivalente. Cette situation se rencontre fréquemment dans les successions comprenant des biens immobiliers, des œuvres d’art, des entreprises familiales ou des terrains agricoles.

Prenons l’exemple d’un bien immobilier unique, tel qu’une maison d’une valeur de 400 000 euros. Si les héritiers sont trois, avec des droits successoraux différents — le père ayant droit à 1/4 de la masse et les deux frères à 3/8 chacun —, la répartition en nature se révélera complexe, voire impossible. La maison ne pouvant être divisée matériellement en plusieurs lots, le bien sera attribué à un seul copartageant, et une soulte sera versée aux autres pour compenser l’inégalité de valeur entre les lots.

Cet exemple illustre le caractère correctif de la soulte. Il est essentiel de rappeler que celle-ci n’intervient qu’en dernier recours, lorsqu’il est impossible de constituer des lots d’égale valeur en nature. Comme le souligne le professeur Philippe Malaurie, « le principe fondamental reste le partage en nature des biens indivis, la soulte n’étant qu’un mécanisme subsidiaire destiné à corriger les déséquilibres qui peuvent apparaître lors de la composition des lots ».

La soulte ne saurait être perçue comme une solution légale systématique. Son adoption suppose la démonstration d’une inégalité de valeur entre les lots attribués, laquelle ne peut être corrigée autrement que par le versement d’une compensation monétaire.

Le professeur Alain Sériaux insiste sur le caractère exceptionnel de ce mécanisme : « le partage en nature des biens entre tous les copartageants reste de principe. Les cas où une soulte est nécessaire doivent demeurer exceptionnels, afin de préserver l’intégrité des biens partagés et d’éviter leur morcellement excessif ».

Cette observation trouve une résonance particulière dans le contexte des successions comportant des biens patrimoniaux spécifiques. Par exemple, l’attribution préférentielle d’une entreprise familiale ou d’un fonds de commerce à l’un des héritiers peut nécessiter le versement d’une soulte aux autres copartageants. Toutefois, cette solution doit être encadrée pour éviter les effets pervers d’une « pulvérisation » du patrimoine, qui pourrait nuire à sa valeur économique globale.

L’article 826 du Code civil précise à cet égard que la soulte n’intervient que lorsque « la consistance de la masse ne permet pas de former des lots d’égale valeur ». Le législateur n’a donc pas entendu encourager une approche systématique du mécanisme, mais a plutôt cherché à en limiter l’usage aux situations où le partage en nature se révèle matériellement impossible ou économiquement inefficace.

L’objectif ultime de la constitution de soultes est d’assurer une stricte égalité en valeur entre les copartageants. Cependant, il convient de rappeler que cette égalité ne signifie pas nécessairement une répartition en nature parfaite. Comme le rappelle régulièrement la Cour de cassation, l’égalité dans le partage est une égalité en valeur et non en nature » (Cass. 1ère civ., 15 sept. 2021, n°19-24.014).

Le législateur a introduit ce principe pour concilier les exigences du droit de l’indivision avec les contraintes économiques et pratiques inhérentes au partage des biens indivis. L’objectif est de garantir une équité entre les copartageants, tout en évitant des situations de blocage ou des morcellements excessifs des biens partagés.

À titre d’exemple, une succession comprenant plusieurs biens de nature différente — un appartement, une collection d’œuvres d’art, et un portefeuille d’actions — pourrait conduire à une répartition inégale en valeur si l’un des héritiers reçoit le bien immobilier, tandis que les autres se voient attribuer des biens moins facilement monétisables. Dans ce cas, la soulte viendra compenser cet écart de valeur, afin que chaque copartageant reçoive un lot correspondant à ses droits dans l’indivision.

Bien que la soulte soit un outil précieux pour rétablir l’égalité en valeur, le principe prépondérant demeure le partage en nature. Le législateur et la jurisprudence veillent à préserver autant que possible l’intégrité des biens partagés, afin d’éviter leur dispersion ou leur liquidation forcée.

Comme le rappelle le professeur Catala, « le partage en nature des biens est la règle, car il permet de préserver la substance des patrimoines familiaux, tout en respectant les volontés des défunts et les intérêts des héritiers ».

Cependant, dans certaines situations, l’attribution préférentielle de certains biens à un héritier peut justifier le recours à une soulte. Par exemple, un héritier qui exploite déjà une exploitation agricole ou dirige une entreprise familiale peut se voir attribuer ce bien en priorité, afin d’assurer la continuité de son activité. Dans ce cas, le paiement d’une soulte aux autres héritiers permettra de compenser l’écart de valeur entre les lots, tout en respectant l’intérêt général de la famille.

==>Paiement de la soulte

Le paiement de la soulte constitue une étape essentielle des opérations de partage. Il intervient généralement au moment même de la répartition des biens indivis afin de rétablir l’égalité en valeur entre les lots attribués aux copartageants. 

Toutefois, la rigueur de ce principe connaît plusieurs aménagements, permettant d’adapter les modalités de paiement aux spécificités de la situation patrimoniale ou aux capacités financières du débiteur de la soulte. 

Ces aménagements visent à concilier les impératifs d’équité successorale avec les réalités économiques des héritiers.

  • Le paiement immédiat de la soulte
    • En principe, la soulte doit être payée au moment de la réalisation du partage, sous la supervision du notaire chargé d’instrumenter l’acte de partage. 
    • Ce paiement immédiat garantit une exécution complète et définitive des opérations de répartition, évitant ainsi toute contestation ultérieure.
    • Le paiement peut être effectué en numéraire, par le versement d’une somme d’argent équivalente à la différence de valeur entre les lots, ou sous la forme d’une compensation entre les lots. 
    • Cette dernière modalité de paiement peut être envisagée lorsque le débiteur de la soulte dispose d’un actif liquide ou d’un droit à percevoir une somme d’argent dans le cadre du partage. 
    • Par exemple, si un copartageant reçoit un bien immobilier excédant la valeur de ses droits dans l’indivision, il peut compenser cet excédent en renonçant à une créance incluse dans la masse partageable.
    • Cependant, il convient d’attirer l’attention sur les risques juridiques liés à un paiement effectué hors comptabilité notariale. 
    • Si le créancier de la soulte délivre une quittance indiquant que la somme a été réglée sans que le notaire en ait la preuve formelle, les règles strictes de la preuve par écrit s’imposeront en cas de litige. 
    • La Cour de cassation a ainsi rappelé que « l’allégation d’un aveu extrajudiciaire purement verbal est inutile toutes les fois qu’il s’agit d’une demande dont la preuve testimoniale ne serait point admissible » (Cass. 1ère civ., 9 mai 2019, n°18-10.885). Par cette décision, la Haute juridiction réaffirme le caractère probant de la quittance délivrée hors comptabilité notariale, tout en soulignant que seule une preuve écrite peut en contredire le contenu.
    • L’affaire soumise aux juges portait sur une donation-partage aux termes de laquelle l’une des héritières avait reçu un lot assorti d’une soulte à verser à ses cohéritiers. 
    • Ces derniers avaient initialement délivré une quittance reconnaissant avoir perçu les sommes dues hors comptabilité notariale, avant de se rétracter en alléguant que le paiement n’avait jamais été effectué.
    • Ils invoquaient à l’appui de leur demande un aveu extrajudiciaire verbal de leur sœur, reconnaissant le non-paiement des soultes. 
    • La Cour de cassation a censuré cette argumentation, jugeant qu’un tel aveu ne pouvait suffire à remettre en cause la quittance initiale, faute d’être corroboré par une preuve écrite conforme aux exigences légales.
    • Cette solution met en lumière l’importance d’une traçabilité rigoureuse des paiements dans le cadre des opérations de partage, en particulier lorsqu’une soulte est due.
    • Le paiement d’une soulte, bien qu’effectué hors comptabilité notariale, doit être constaté par des documents écrits. 
    • En pratique, il est fortement recommandé de formaliser le paiement dans l’acte de partage lui-même ou, à tout le moins, de conserver des preuves écrites telles qu’un reçu signé par le créancier ou une attestation de paiement délivrée par le notaire. Cette précaution permet d’éviter toute difficulté probatoire ultérieure et de prévenir les contestations portant sur la réalité du paiement.
    • En l’absence de preuve écrite, les créanciers d’une soulte s’exposent à des difficultés probatoires considérables, rendant toute revendication ultérieure particulièrement hasardeuse. 
    • La quittance initiale conserve alors toute sa valeur libératoire et protège efficacement le débiteur de la soulte contre les risques de remise en cause du partage.
    • L’arrêt du 9 mai 2019 incite ainsi les praticiens à une vigilance accrue lors de la formalisation des paiements intervenant dans le cadre d’un partage. 
    • À défaut d’une traçabilité suffisante, les créanciers pourraient se retrouver dans une situation irréversible, privés de tout recours en l’absence de preuve écrite admissible.
  • Le paiement différé de la soulte
    • Le législateur a prévu la possibilité d’aménager les modalités de paiement de la soulte, notamment en autorisant son paiement différé, afin de répondre aux réalités économiques des copartageants. 
    • Cette possibilité permet d’éviter une situation où le débiteur de la soulte, bien que propriétaire d’un lot de valeur, ne dispose pas immédiatement des liquidités nécessaires pour régler la somme due.
    • Cette faculté est particulièrement utile dans le cadre des donations-partages avec réserve d’usufruit, où un copartageant se voit attribuer un bien en nue-propriété, tandis que l’usufruit est conservé par le donateur jusqu’à son décès. 
    • Dans une telle configuration, il apparaît équitable que le paiement de la soulte soit différé jusqu’à la consolidation des droits de propriété complète, c’est-à-dire au décès de l’usufruitier.
    • L’article 828 du Code civil encadre cette faculté en permettant de prévoir un délai de paiement de la soulte, lequel peut être stipulé dans l’acte de partage avec l’accord de toutes les parties concernées.
    • À cet égard, un auteur souligne que « lorsque le débiteur de la soulte se trouve privé de la jouissance de son lot, parce qu’alloti en nue-propriété, il apparaît équitable de stipuler la soulte payable à terme, soit, en pratique, au décès du donateur ».
    • Imaginons une donation-partage effectuée par un parent au profit de ses trois enfants. L’actif indivis comprend une maison d’une valeur de 600 000 euros, attribuée à l’aîné en nue-propriété, tandis que le parent conserve l’usufruit jusqu’à son décès. Les deux autres enfants reçoivent des biens mobiliers d’une valeur totale de 400 000 euros. Afin de rétablir l’égalité en valeur entre les lots, l’aîné doit verser une soulte de 100 000 euros à ses frères et sœurs.
    • Toutefois, comme l’aîné ne dispose pas immédiatement des liquidités nécessaires, il est convenu que le paiement de la soulte interviendra au décès du parent usufruitier. 
    • Cette solution permet d’éviter une vente forcée du bien immobilier pour régler la soulte et garantit que le débiteur de la soulte pourra en disposer pleinement une fois son droit de propriété consolidé.
    • Cette possibilité d’aménagement du paiement de la soulte de façon différée a été rappelé à plusieurs reprise par la jurisprudence.
    • Par exemple, la Cour de cassation a jugé que la stipulation d’un délai de paiement n’affecte pas la nature juridique de la soulte, qui reste une créance née du partage, mais en adapte simplement l’exigibilité (Cass. 1ère civ., 30 nov. 1982, n°81-15.519).
      • Ella a ainsi cassé une décision d’appel qui avait annulé une donation-partage au motif qu’un des copartageants avait été alloté sous forme d’une soulte payable six mois après le décès du donateur.
      • Dans cette affaire, la Cour d’appel de Grenoble avait considéré qu’une soulte différée, non immédiatement exigible et non productive d’intérêts, ne pouvait être qualifiée de « bien présent », condition requise par l’article 1076 du Code civil pour les donations-partages. 
      • Cette analyse avait conduit les juges du fond à conclure que l’allotissement sous forme de soulte différée ne répondait pas aux exigences légales.
      • La Cour de cassation a censuré cette interprétation, rappelant que la soulte, même différée dans son paiement, constitue une créance certaine au bénéfice du copartageant auquel elle est attribuée. 
      • Elle a précisé que le fait de reporter l’exigibilité de la soulte à une date postérieure au partage – en l’espèce, six mois après le décès du donateur – n’affecte pas sa nature juridique de créance née du partage, mais constitue une simple adaptation des modalités de paiement. 
      • La Première chambre civile a également rappelé que la soulte pouvait, le cas échéant, être révisée en fonction des variations économiques, en application des dispositions des articles 833-1 et 1075-2 du Code civil.
      • Cette solution met en lumière la distinction qu’il y a lieu de faire entre la naissance de la créance, qui intervient au moment du partage, et son exigibilité, qui peut être différée par accord entre les parties ou en raison de circonstances particulières, notamment dans le cadre des donations-partages avec réserve d’usufruit. 
      • Comme l’a souligné le professeur Michel Grimaldi, « la soulte ne peut naître que du partage lui-même, mais son paiement peut être adapté aux circonstances, afin de garantir à chaque copartageant une répartition équilibrée des biens, tout en tenant compte des contraintes financières de chacun ».
      • Dans cette perspective, il est recommandé que les délais de paiement des soultes soient formalisés dans l’acte de partage afin de prévenir tout risque de contentieux ultérieur. 
      • La stipulation d’une attestation de paiement délivrée par le notaire ou la conservation d’une quittance signée par le créancier constitue une garantie supplémentaire pour le débiteur de la soulte. 
      • Cette formalisation est d’autant plus nécessaire que les paiements différés peuvent faire l’objet d’une révision en cas de variation significative de la valeur des biens indivis, comme le prévoit l’article 828 du Code civil.
      • L’arrêt du 30 novembre 1982 illustre ainsi la souplesse offerte par le législateur en matière de paiement des soultes, permettant de concilier les exigences d’une répartition équitable et les réalités économiques des copartageants.

==>Révision de la soulte

Le paiement différé d’une soulte n’est pas sans risque. Entre le moment du partage et celui du règlement effectif, des fluctuations économiques peuvent significativement affecter la valeur des biens attribués. Pour garantir une répartition équitable malgré ces variations, le législateur a prévu, à l’article 828 du Code civil, la possibilité de réviser le montant des soultes lorsque celles-ci sont payables à terme.

Cette révision vise à ajuster le montant de la soulte en fonction des évolutions du marché, qu’il s’agisse d’une hausse ou d’une baisse de la valeur des biens composant le lot du débiteur de la soulte. Ce mécanisme assure ainsi une forme de pérennité de l’équilibre économique du partage, en évitant que l’un des copartageants ne bénéficie, à terme, d’un avantage ou ne subisse un préjudice injustifié en raison des circonstances économiques.

La révision d’une soulte payable à terme n’est toutefois pas automatique. Elle n’est envisageable que si deux conditions cumulatives sont réunies :

  • Une variation de valeur de plus du quart
    • L’article 828 du Code civil exige que la valeur des biens attribués au débiteur de la soulte augmente ou diminue de plus de 25 % entre le jour du partage et celui du paiement effectif. 
    • Une variation moindre ne justifierait pas un réajustement, le législateur ayant institué ce seuil afin d’éviter des révisions systématiques.
  • Une variation imputable aux circonstances économiques
    • Seules les fluctuations de valeur résultant de facteurs économiques extérieurs sont prises en compte pour la révision de la soulte.
    • Les variations dues à l’activité personnelle du débiteur, telles que des travaux d’amélioration réalisés sur le bien ou une gestion particulièrement fructueuse d’un actif, ne peuvent être retenues.
    • Comme le souligne Pierre Catala, « seules les variations de valeur dues aux circonstances économiques peuvent justifier une révision de la soulte. Les variations résultant de l’activité personnelle du débiteur ne doivent pas être prises en compte ».
    • Cette exigence permet de préserver la logique du partage : les copartageants doivent bénéficier des évolutions économiques générales, mais ne peuvent réclamer une révision fondée sur des choix ou des actions individuelles du débiteur.

Lorsque les conditions de révision sont réunies, le montant de la soulte doit être ajusté proportionnellement à la variation de valeur du bien. Ce mécanisme s’applique aussi bien en cas d’augmentation que de diminution de la valeur des biens attribués.

Prenons un exemple concret pour illustrer ce mécanisme. Imaginons qu’un bien immobilier soit attribué à un copartageant pour une valeur de 400 000 euros, avec une soulte de 50 000 euros à verser dans les cinq ans. Si, à l’échéance, la valeur de ce bien a augmenté à 550 000 euros en raison de l’évolution du marché immobilier, le montant de la soulte devra être ajusté à la hausse afin de rétablir l’équilibre entre les copartageants. 

À l’inverse, si la valeur du bien diminue de manière significative pendant cette période, la soulte devra être révisée à la baisse, sauf clause contraire insérée dans l’acte de partage. Ce mécanisme vise à préserver l’équité successorale en tenant compte des évolutions économiques postérieures au partage.

Cette faculté de révision, introduite par la réforme de 2006, trouve son fondement dans des dispositions antérieures, notamment les anciens articles 833-1 et 1075-2 du Code civil. La très grande proximité des régimes anciens et actuels a conduit la jurisprudence à conserver la pertinence de ses décisions rendues sous l’empire du droit ancien. Ainsi, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 19 février 1980, que les dispositions prévoyant la révision de la soulte s’appliquent lorsque celle-ci est stipulée payable à terme. Dans cette affaire, une soulte devait être versée six mois après le décès des ascendants donateurs. La Cour a souligné que la révision permet de protéger le créancier de la soulte contre les risques économiques liés au report de son paiement (Cass. 1ère civ., 19 févr. 1980, n°78-14.927).

La jurisprudence a également précisé le domaine de la soulte révisable. Dans un arrêt du 30 novembre 1982, la Cour de cassation a validé une soulte attribuée à un donataire copartagé, sous la forme d’une créance certaine dont l’exigibilité était reportée à la date du décès du disposant. La Haute juridiction a rappelé que la nature juridique de la soulte reste inchangée, même si son paiement est différé. L’arrêt précise que la révision est possible dans ce cas, afin d’ajuster le montant de la soulte aux fluctuations économiques intervenues avant le paiement effectif (Cass. 1ère civ., 30 nov. 1982, n°81-15.519).

Plus récemment, dans un arrêt du 14 mai 2014, la Haute juridiction a étendu le domaine de la révision aux prix de licitation. Lorsqu’un bien indivis est attribué à un copartageant à l’issue d’une vente par licitation, le prix convenu est assimilé à une soulte. Si la valeur du bien évolue de plus du quart entre le moment de la licitation et le paiement du prix, celui-ci doit être ajusté en application des dispositions de l’article 828 du Code civil (Cass. 1ère civ., 14 mai 2014, n°13-10.830).

Cette jurisprudence démontre que le mécanisme de révision des soultes dépasse le cadre des simples partages successoraux pour s’étendre à d’autres situations patrimoniales, comme les donations-partages avec réserve d’usufruit ou les licitations. 

Toutefois, le champ d’application de la révision reste strictement encadré. Seules les fluctuations économiques intervenues avant l’échéance contractuelle peuvent justifier une révision. À cet égard, la Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt du 30 mars 2004, que la révision de la soulte payable à terme ne peut être envisagée que si la variation de la valeur des biens attribués au débiteur dépasse le quart entre la date du partage et celle de l’échéance prévue pour le paiement de la soulte (Cass. 1re civ., 30 mars 2004, n°01-14.542).

Dans cette affaire, un copartageant avait reçu plusieurs lots de copropriété moyennant le versement d’une soulte payable entre février et août 1988. N’ayant procédé qu’à un paiement partiel en 1990, le créancier a sollicité une revalorisation de la soulte sur le fondement de l’ancien article 833-1 du Code civil. La cour d’appel a accueilli cette demande, en considérant que la variation de la valeur devait être appréciée sur toute la période écoulée jusqu’à l’introduction de la demande judiciaire. Cette analyse a été censurée par la Cour de cassation, qui a précisé que la révision ne pouvait prendre en compte que les fluctuations survenues avant l’échéance contractuelle.

Cette solution illustre la nécessité de respecter les termes de l’accord initial conclu entre les copartageants, tout en tenant compte des évolutions économiques survenues avant le paiement de la soulte. La distinction entre la naissance de la créance, qui intervient au moment du partage, et son exigibilité différée permet d’assurer une sécurité juridique accrue aux opérations de partage.

Enfin, la révision des soultes s’applique également aux libéralités-partages. L’article 1075-4 du Code civil prévoit que les dispositions de l’article 828 sont applicables aux soultes mises à la charge des donataires, « nonobstant toute convention contraire ». Cette règle prohibe toute clause excluant la révision de la soulte dans les donations-partages. Toutefois, la Cour de cassation a précisé que cette interdiction s’applique uniquement aux clauses stipulées dans les actes de donation-partage. Une convention conclue entre les donataires après la mort des ascendants donateurs reste valable, même si elle déroge au principe de révision (Cass. 1re civ., 19 janv. 1982, n°81-10.608).

Ce mécanisme de révision n’est pas sans rappeler les dispositions encadrant le paiement différé des soultes. Lorsque le paiement d’une soulte est reporté à une date ultérieure, il est essentiel que les parties prévoient dans l’acte de partage les conditions de ce paiement et, le cas échéant, les modalités d’ajustement du montant de la soulte. Par exemple, dans le cadre d’une donation-partage avec réserve d’usufruit, un copartageant peut recevoir un bien en nue-propriété tandis que le donateur conserve l’usufruit jusqu’à son décès. Dans une telle situation, il est fréquent de reporter le paiement de la soulte au décès de l’usufruitier. Cette solution permet de préserver les intérêts du débiteur de la soulte en évitant une vente forcée du bien pour régler immédiatement la somme due.

B) Deuxième alternative : la division des biens comme moindre mal

Lorsque le recours à la soulte ne permet pas de rétablir l’équilibre entre les lots ou qu’il s’avère matériellement impossible d’attribuer certains biens indivis à un copartageant sans porter atteinte à l’égalité en valeur, la division matérielle des biens peut constituer une solution envisageable. Bien qu’elle soit loin d’être idéale, cette alternative peut apparaître comme le « moindre mal » dans des situations où le maintien de l’intégrité des biens indivis n’est ni économiquement justifiable ni juridiquement tenable.

Le morcellement des biens, tout en restant une opération délicate, peut alors se justifier dès lors qu’il permet d’éviter des solutions plus radicales, telles que la vente aux enchères. Toutefois, cette division doit être conduite avec prudence et discernement, afin de ne pas compromettre la valeur des actifs partagés ni les intérêts des copartageants.

==>La division acceptable des biens

La division matérielle des biens peut s’envisager dès lors que le morcellement n’entraîne pas une dépréciation excessive de leur valeur ou une perte d’utilité économique. Cette solution, bien que moins élégante que le partage en nature ou le recours à la soulte, peut se révéler appropriée dans certaines hypothèses concrètes.

Prenons l’exemple d’un terrain agricole de grande superficie, exploitable sous forme de plusieurs parcelles distinctes. Si chacune de ces parcelles présente une viabilité économique propre — c’est-à-dire qu’elle peut être exploitée de manière autonome sans perte significative de rendement — il est alors envisageable de les attribuer à différents copartageants. Une telle division permet d’éviter la vente forcée du terrain tout en respectant les droits de chacun.

De même, la répartition d’un portefeuille d’actions peut être envisagée lorsque chaque lot conserve une diversification adéquate. Dans cette hypothèse, la fragmentation du portefeuille ne porte pas atteinte à sa valeur intrinsèque ni à la capacité de chaque héritier de profiter d’un rendement équilibré. Il s’agit d’une solution pragmatique qui permet d’éviter le recours à des soultes trop importantes ou à une vente du portefeuille, qui pourrait être défavorable aux copartageants dans un contexte de marché défavorable.

En revanche, certains biens ne se prêtent pas à une division matérielle sans entraîner une perte significative de leur valeur ou de leur fonctionnalité. Il en va ainsi, par exemple, d’un immeuble d’habitation dont la division en plusieurs lots entraînerait des coûts de mise aux normes disproportionnés ou une dévalorisation globale du bien. Dans une telle situation, la division des biens ne saurait être retenue comme solution adéquate, et d’autres alternatives devront être envisagées.

==>Le rôle du juge dans l’appréciation du morcellement des biens

La division matérielle des biens indivis ne peut être réalisée sans un contrôle rigoureux du juge du partage, lequel joue un rôle central dans l’évaluation de l’opportunité d’un tel morcellement. Ce dernier doit s’assurer que la fragmentation des biens ne porte pas atteinte aux droits des copartageants ni à la valeur économique des actifs partagés.

Le pouvoir d’appréciation du juge en la matière est d’autant plus important que l’article 830 du Code civil invite à éviter la division des unités économiques ou des ensembles de biens dont le fractionnement entraînerait une dépréciation. Il revient donc au juge d’évaluer, au cas par cas, si la division matérielle envisagée est pertinente ou si elle risque de compromettre la viabilité économique des biens.

La Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt du 22 janvier 1985, que la division des biens devait être préférée à la licitation dès lors qu’elle permettait de préserver une partie de leur valeur économique (Cass. 1ère civ., 22 janvier 1985, n°83-12.994). Cet arrêt illustre parfaitement le rôle du juge dans la recherche d’un équilibre entre le respect des droits des copartageants et la préservation des actifs partagés.

En l’espèce, la Première chambre civile a censuré une décision de licitation prononcée par une cour d’appel, au motif que la division matérielle des biens, bien qu’imparfaite, aurait permis de constituer des lots équilibrés tout en évitant une vente aux enchères préjudiciable. La Haute juridiction a ainsi réaffirmé que la licitation devait être envisagée en dernier recours, lorsqu’aucune autre solution ne permet de garantir un partage équitable.

Le contrôle exercé par le juge sur le morcellement des biens répond à une logique de pragmatisme. Il s’agit d’éviter des solutions excessives ou disproportionnées, tout en veillant à ce que les droits des copartageants soient respectés. Le juge doit également s’assurer que la division des biens ne crée pas de nouvelles sources de contentieux, en prenant soin d’apprécier l’impact économique du morcellement sur les lots constitués.

Prenons l’exemple d’une exploitation viticole composée de plusieurs parcelles. Si la division de ces parcelles permet de constituer des lots cohérents, chacun conservant une capacité de production autonome, le juge pourra valider la répartition proposée. En revanche, si la division implique la fragmentation de l’unité de production — par exemple, en séparant les parcelles des installations de vinification — le juge pourrait refuser le morcellement au motif qu’il compromet la viabilité économique de l’exploitation.

==>L’appréciation du caractère inopportun du morcellement

Le caractère inopportun d’une division matérielle des biens s’apprécie au regard de plusieurs critères : la dépréciation potentielle du bien, les coûts engendrés par la division, et l’impact sur l’utilité économique du bien attribué. À cet égard, le juge dispose d’une grande liberté d’appréciation, mais doit motiver sa décision par des éléments concrets et pertinents.

L’article 830 du Code civil invite à éviter la division des ensembles de biens lorsque celle-ci entraîne une dépréciation notable. Il en résulte que la division doit être écartée si elle engendre une perte de valeur significative ou des frais disproportionnés. Le juge doit ainsi rechercher un juste équilibre entre les droits des copartageants et la préservation des actifs partagés.

En somme, la division matérielle des biens constitue une solution de compromis, qui ne peut être retenue que si elle permet de préserver une part significative de la valeur économique des actifs partagés. Elle doit être envisagée avec précaution, sous le contrôle vigilant du juge, afin de garantir que le partage demeure équitable et respecte les droits de chacun des copartageants.

C) Troisième alternative : la vente ou la licitation des biens comme dernier recours

Lorsque les opérations de partage achoppent sur des difficultés insurmontables — qu’il s’agisse de l’impossibilité de constituer des lots équilibrés en nature ou de l’incapacité d’un indivisaire à verser une soulte suffisante —, le législateur ouvre la voie au mécanisme de la licitation. Ce procédé, prévu à l’article 827 du Code civil, permet de mettre un terme à l’indivision par la vente d’un bien indivis et la répartition du produit de cette vente entre les copartageants, selon leurs droits respectifs.

La licitation, qui se définit comme l’opération mettant fin à la coexistence de plusieurs droits sur un même bien, peut être amiable ou judiciaire, suivant généralement la nature du partage. Elle constitue un mécanisme visant à désamorcer les situations de blocage en permettant de convertir les droits indivis en numéraire. Toutefois, elle n’est pas nécessairement synonyme de vente publique aux enchères. Le processus peut varier selon qu’un accord entre les indivisaires est trouvé ou qu’une intervention judiciaire s’avère nécessaire.

La licitation amiable s’opère lorsque les indivisaires parviennent à un accord sur les modalités de la vente. Elle peut se faire soit de gré à gré, c’est-à-dire par une cession directe à un tiers acquéreur sans appel au public ni adjudication, soit par adjudication amiable, si les indivisaires décident de soumettre le bien aux enchères dans un cadre qu’ils définissent eux-mêmes. Cette voie, moins contraignante, offre une plus grande souplesse en permettant aux indivisaires de maîtriser les conditions de la cession.

La licitation judiciaire, quant à elle, intervient lorsqu’aucun consensus n’est possible entre les indivisaires. Elle est alors ordonnée par le juge, et la vente s’effectue par adjudication publique, suivant les formes prévues pour la saisie immobilière lorsqu’il s’agit de biens immobiliers, ou pour la saisie-vente lorsqu’il s’agit de biens mobiliers (CPC, art. 1377, al. 2). Ce cadre rigoureux garantit la transparence et la protection des droits de tous les indivisaires.

Le recours à la licitation répond à une double finalité : mettre fin aux situations de blocage en dissolvant une indivision conflictuelle, tout en assurant une répartition équitable du produit de la vente entre les indivisaires. Toutefois, ce mécanisme présente des risques économiques non négligeables, notamment celui d’une adjudication à un prix inférieur à la valeur réelle du bien, ce qui pourrait entraîner une perte patrimoniale pour les copartageants. Par ailleurs, la licitation conduit souvent à la dissolution d’unités économiques (par exemple, un domaine agricole ou un fonds de commerce), compromettant ainsi la pérennité d’un patrimoine indivis.

C’est pourquoi la jurisprudence insiste sur le caractère subsidiaire de la licitation. Elle doit être envisagée en dernier recours, uniquement lorsque toutes les autres alternatives ont échoué — qu’il s’agisse du partage en nature, du recours à une soulte ou d’une division matérielle des biens. Le juge, dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation, doit s’assurer que la licitation n’entraîne pas une dévalorisation excessive du patrimoine ni une atteinte disproportionnée aux intérêts des indivisaires.

==>Notion

La licitation, issue du verbe latin liceri signifiant « mettre à prix », désigne une procédure par laquelle un bien indivis est vendu aux enchères afin de répartir équitablement le produit de cette vente entre les indivisaires. Bien qu’elle apparaisse comme une solution exceptionnelle, elle constitue un outil précieux pour remédier aux situations de blocage, lorsque le partage en nature s’avère impossible ou inopportun.

La doctrine a progressivement affiné les contours de la notion de licitation, en identifiant plusieurs acceptions qui correspondent à des situations spécifiques dans lesquelles ce mécanisme peut être mobilisé. Gérard Cornu, dans son dictionnaire juridique, distingue trois formes principales de licitation. Bien que répondant à des hypothèses distinctes — qu’il s’agisse de démêler une situation de propriété complexe ou d’organiser le partage entre cohéritiers —, elles partagent une même finalité : prévenir la pérennisation d’une indivision conflictuelle ou économiquement stérile, tout en assurant la meilleure valorisation du bien cédé et une répartition équitable du produit entre les indivisaires.

Quoi qu’il en soit, la notion de licitation revêt ainsi une double dimension :

  • D’une part, elle permet aux indivisaires d’échapper au maintien forcé dans une indivision susceptible de compromettre leurs intérêts. 
  • D’autre part, elle organise l’aliénation du bien indivis de manière à garantir une valorisation optimale, tout en assurant le respect des droits de chaque indivisaire.

Comme le soulignait Pothier en son temps « la licitation n’est pas une simple vente ; elle est un acte de partage, destiné à mettre fin aux contestations entre indivisaires par une adjudication qui, en faisant émerger un acquéreur, offre à chacun sa part en valeur ».

Ainsi, la licitation ne se réduit pas à une opération de cession forcée, mais s’inscrit dans une logique d’apaisement des conflits successoraux et de préservation des intérêts patrimoniaux, en conjuguant efficacité économique et sécurité juridique.

==>La licitation comme alternative au partage en nature

Le principe du partage en nature irrigue l’ensemble du droit des successions et de l’indivision. Il repose sur l’idée que chaque indivisaire a vocation à recevoir un lot composé de biens physiques, pour une valeur correspondant à ses droits dans l’indivision. Ce postulat, issu d’une tradition civiliste séculaire, trouve son ancrage dans l’article 815 du Code civil, qui consacre la liberté de demander le partage comme un droit imprescriptible. Ce principe est toutefois tempéré par une réalité économique et pratique : certains biens, en raison de leur nature ou de leur consistance, ne peuvent être commodément divisés. C’est dans ces circonstances que le mécanisme de la licitation intervient, en tant qu’alternative au partage en nature.

Ce mécanisme, qui consiste en la mise aux enchères d’un bien indivis afin d’en répartir le produit entre les indivisaires, répond à une logique pratique visant à éviter la pérennisation d’une indivision stérile ou conflictuelle. Il ne saurait toutefois être admis que de manière restrictive. Le partage en nature demeure la règle. Cette prééminence a été réaffirmée par la réforme des successions opérée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, qui a modifié les articles 825 à 832 du Code civil. L’article 826, alinéa 2, dispose désormais que « chaque copartageant reçoit des biens pour une valeur égale à celle de ses droits dans l’indivision ». Cette disposition vise à éviter le recours systématique à la licitation, en privilégiant une répartition des biens existants selon leur valeur, plutôt qu’une mise en vente systématique des biens indivis.

A cet égard, la doctrine reconnaît que cette réforme a renforcé la primauté du partage en nature en instaurant une égalité en valeur, plutôt qu’en nature. Comme l’a souligné Claude Brenner « en substituant une exigence d’équité en valeur à l’égalité parfaite en nature, le législateur a voulu limiter le recours à la licitation, souvent source de conflits et de dévalorisation des biens ». Cette nouvelle approche permet d’éviter que des biens indivis, pourtant partageables en théorie, ne soient vendus aux enchères faute de pouvoir être répartis de manière parfaitement égale.

Cette volonté de limiter le recours à la licitation témoigne d’une approche pragmatique du législateur, soucieux de concilier les impératifs économiques et patrimoniaux inhérents aux opérations de partage. La priorité donnée au partage en nature traduit une exigence de préservation du droit de propriété individuel, tout en évitant que la pérennisation d’une indivision ne devienne un obstacle à la gestion efficace des biens communs. Cependant, malgré les efforts déployés pour favoriser une répartition des biens selon leur valeur, certaines situations rendent inévitable la mise en œuvre d’une licitation.

En effet, lorsque le partage en nature se heurte à des impossibilités matérielles ou juridiques, ou lorsqu’il compromet l’équité due à chaque copartageant, la licitation s’impose comme une solution nécessaire, bien que strictement encadré. Ce mécanisme, envisagé à titre subsidiaire, permet de convertir la valeur des biens en numéraire, garantissant ainsi une répartition juste et équilibrée du produit de leur cession. Toutefois, son caractère exceptionnel appelle une application prudente et raisonnée, afin d’éviter toute atteinte disproportionnée au droit de propriété des indivisaires.

La licitation trouve son fondement dans l’article 1377 du Code de procédure civile, qui prévoit que le tribunal peut ordonner la vente par adjudication des biens qui ne peuvent être aisément partagés ou attribués. Cette disposition traduit l’exigence d’un contrôle juridictionnel rigoureux : le juge ne saurait autoriser une telle mesure qu’après avoir constaté que toutes les alternatives de partage en nature ont été envisagées et se sont révélées impraticables. Il lui incombe de vérifier que l’attribution en pleine propriété à l’un des indivisaires n’est pas envisageable ou que le partage matériel du bien compromettrait l’équité patrimoniale. Ce n’est qu’à défaut de solutions raisonnables que la mise aux enchères peut être ordonnée.

Cependant, le caractère dérogatoire de cette mesure ne saurait être éludé. En effet, la licitation implique une conversion forcée de droits réels en une valeur monétaire, altérant ainsi la nature même du droit de propriété. Cette transformation, qui peut être perçue comme une dénaturation du patrimoine indivis, soulève des interrogations quant au respect des prérogatives fondamentales des indivisaires. La doctrine souligne, à cet égard, que la licitation « doit demeurer une exception à la règle du partage en nature, interprétée de manière restrictive ».

Cette approche restrictive s’explique également par les effets particulièrement lourds de la licitation, laquelle emporte, de facto, une forme d’expropriation privée. Les indivisaires opposés à la vente se trouvent contraints de céder leurs droits sur le bien commun, en contrepartie du produit de la vente. Une telle aliénation, imposée par voie judiciaire, nécessite donc un encadrement strict pour éviter toute atteinte arbitraire aux droits des copartageants. Comme le rappelle Gérard Cornu, « le partage en nature est le mode naturel de répartition des biens indivis ; la vente par licitation, bien qu’utilitaire dans certaines circonstances, doit être envisagée avec la plus grande prudence ».

En définitive, la licitation apparaît comme une réponse pragmatique aux situations de blocage, permettant de sortir d’une indivision stérile tout en assurant une répartition équitable du produit de la vente. Toutefois, elle ne saurait être admise comme une solution de facilité. Son caractère exceptionnel impose que le juge veille à ce que toutes les tentatives de partage en nature aient été épuisées avant d’envisager une telle mesure. Il lui incombe ainsi de préserver un équilibre délicat entre, d’une part, le respect du droit de propriété individuel et, d’autre part, l’impératif d’une gestion économique optimale des biens indivis. 

==>Nature juridique de la licitation

La licitation se distingue des autres formes de vente en ce qu’elle est intrinsèquement liée au régime de l’indivision et aux opérations de partage. Si elle emprunte certaines caractéristiques formelles à la vente judiciaire aux enchères, elle ne saurait être confondue avec une cession ordinaire, car son objet principal reste la dissolution d’une indivision devenue inextricable. Sa nature juridique oscille donc entre vente et partage, une qualification qui dépend principalement de l’identité de l’adjudicataire.

Lorsque le bien indivis est adjugé à un tiers, la licitation produit les effets d’une vente classique. Le bien sort définitivement du patrimoine indivis pour rejoindre celui du nouvel acquéreur, mettant ainsi fin aux relations juridiques des indivisaires avec le bien cédé. Dans ce cas, les indivisaires perçoivent le produit de la vente en proportion de leurs droits respectifs, mais perdent toute prétention sur le bien lui-même. Cette situation, bien que juridiquement fondée, s’apparente parfois à une forme d’expropriation privée. En effet, les indivisaires opposés à la vente se voient contraints de céder leurs droits en contrepartie du prix obtenu lors de l’adjudication, une mesure qui ne peut être justifiée que par l’impossibilité matérielle ou juridique de procéder à un partage en nature.

À l’inverse, lorsque l’adjudicataire est un indivisaire, la licitation est assimilée à une opération de partage, produisant un effet déclaratif. Conformément à l’article 883 du Code civil, chaque indivisaire est réputé avoir été propriétaire exclusif du bien qui lui est attribué depuis l’ouverture de l’indivision. Cette fiction juridique vise à garantir une continuité dans la titularité du bien, tout en évitant les effets d’une vente purement translatrice de propriété. En d’autres termes, la licitation-partage ne modifie pas substantiellement les droits des indivisaires, mais les réorganise autour d’une attribution individuelle.

Cette dualité entre vente et partage illustre le caractère hybride de la licitation, qui oscille entre ces deux régimes en fonction des circonstances de l’adjudication. Cette ambivalence a d’ailleurs suscité des interrogations en jurisprudence quant à sa nature exacte. Toutefois, la Cour de cassation est venue apporter des éclaircissements précieux dans un arrêt du 25 novembre 1971. La Haute juridiction a jugé que le droit de demander la licitation découle directement du droit de provoquer le partage, consacré par l’article 815 du Code civil. En censurant une cour d’appel qui avait refusé de prononcer la licitation d’un bien indivis sous prétexte qu’une indivision existait déjà entre les parties, la Première chambre civile a rappelé que nul ne peut être contraint de demeurer dans une indivision, affirmant ainsi que la licitation constitue une modalité particulière de sortie de cette situation (Cass. 1ère civ., 25 nov. 1971, n° 70-13.278).

Cette position a été confortée par un second arrêt rendu le 5 janvier 1977, aux termes duquel la Cour de cassation a précisé que la licitation, lorsqu’elle bénéficie à un indivisaire, doit être assimilée à un partage avec effet déclaratif. En revanche, si l’adjudication profite à un tiers, elle conserve les caractéristiques d’une vente, entraînant un transfert définitif de propriété. En l’espèce, la Haute juridiction avait été saisie d’une demande de licitation portant sur un domaine agricole, que la cour d’appel avait refusé d’ordonner en se fondant sur des dispositions testamentaires supposées contraires. La Cour de cassation a censuré cette décision, rappelant que l’article 815 du Code civil consacre le droit absolu de provoquer le partage, nonobstant toute clause prohibitive. Elle a ainsi réaffirmé que la licitation constitue un outil juridique permettant de surmonter les blocages patrimoniaux, à condition de respecter les exigences légales encadrant son recours (Cass. 1re civ., 5 janv. 1977, n° 75-15.199).

Cette approche jurisprudentielle témoigne de la reconnaissance d’un équilibre délicat entre le droit de propriété individuel et la nécessité de mettre fin à une indivision économiquement stérile. La doctrine abonde dans ce sens : Gérard Cornu a souligné que « la licitation, bien qu’utilitaire dans certaines circonstances, demeure une mesure d’exception, assimilée au partage lorsqu’elle intervient entre indivisaires ». De même, Baudry-Lacantinerie et Saignat insistent sur le fait que « la licitation doit être interprétée comme une modalité de sortie de l’indivision, et non comme une simple vente judiciaire ».

En définitive, la licitation se présente comme un mécanisme pragmatique visant à dénouer les situations d’indivision conflictuelle ou inextricable. Toutefois, son recours doit être strictement encadré pour éviter qu’elle ne se transforme en un outil de dépossession injustifiée. Le juge, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, doit veiller à ce que la licitation ne devienne pas une solution de facilité, mais reste fidèle à sa finalité première : faciliter le partage des biens indivis lorsque le partage en nature se révèle impossible ou inéquitable.

==>Textes applicables

Le recours à la licitation obéit à un cadre juridique rigoureux, à la croisée des règles de fond posées par le Code civil et des exigences procédurales prévues par le Code de procédure civile. Cette double source normative traduit la volonté du législateur de circonscrire ce mécanisme à des hypothèses strictement encadrées, afin de préserver les droits des indivisaires tout en favorisant une gestion économique efficace des biens indivis.

Dans le Code civil, les dispositions relatives à la licitation se trouvent au sein du chapitre VII intitulé « De la licitation », intégré au titre VI relatif à la vente. Les articles 1686 à 1688 définissent les principales hypothèses dans lesquelles ce mécanisme peut être mobilisé.

L’article 1686 consacre ainsi le principe selon lequel la licitation ne peut être envisagée que lorsqu’un bien indivis « ne peut être commodément partagé en nature ». Ce texte reflète une philosophie jurisprudentielle constante : la vente par licitation doit demeurer une solution d’exception, réservée aux cas où le partage matériel des biens se heurte à des obstacles insurmontables. Cette impossibilité peut être d’ordre matériel — lorsque la division physique du bien porterait atteinte à sa valeur ou à son utilité — ou juridique, en raison de la configuration des droits concurrents des indivisaires.

L’article 1687 ajoute que, « sauf accord entre les indivisaires », la vente doit être effectuée aux enchères publiques. Cette exigence vise à garantir la transparence et l’objectivité du processus, en assurant que le bien sera cédé au plus offrant. La publicité des enchères permet d’éviter toute suspicion de dévalorisation artificielle du patrimoine indivis, tout en protégeant les intérêts de chacun des copartageants.

Quant à l’article 1688, il renvoie aux dispositions du Code de procédure civile, qui précise les formalités applicables à la licitation. Ce renvoi témoigne de la volonté du législateur d’assurer une articulation cohérente entre les règles de fond régissant la licitation et les exigences procédurales encadrant son exécution devant les juridictions.

Au titre des opérations de partage, la licitation est régie par le chapitre VIII « Du partage » du titre Ier relatif aux successions, dans le livre III du Code civil, consacré aux différentes manières d’acquérir la propriété. Cette réglementation s’inscrit dans la logique d’une alternative au partage en nature, lorsqu’une répartition matérielle des biens hérités s’avère impossible ou inopportune.

L’article 817 dispose ainsi que la licitation peut porter sur l’usufruit, la nue-propriété, ou la pleine propriété d’un bien indivis. Cette précision témoigne de la volonté du législateur de permettre une adaptation des modalités de partage à la nature particulière des droits en jeu. L’article 818 vient compléter cette disposition en précisant que, dans le cadre des successions, les héritiers peuvent demander la licitation lorsque les biens indivis ne peuvent être commodément répartis en nature.

Par ailleurs, l’article 883 prévoit que la licitation opérée au bénéfice d’un indivisaire produit un effet déclaratif, propre aux opérations de partage. Cette fiction juridique permet de considérer que chaque indivisaire est réputé propriétaire exclusif du bien qui lui est attribué depuis l’ouverture de l’indivision, assurant ainsi une continuité dans la titularité des droits, tout en évitant les effets d’une simple vente translatrice de propriété.

Sur le plan procédural, les articles 1377 et 1378 du Code de procédure civile viennent renforcer cette approche restrictive. L’article 1377 dispose que « le tribunal ordonne, dans les conditions qu’il détermine, la vente par adjudication des biens qui ne peuvent être facilement partagés ou attribués ». Cette disposition confère au juge un rôle central dans l’appréciation des conditions de la licitation. Il lui incombe de vérifier que toutes les solutions alternatives ont été explorées avant d’autoriser une telle vente. En particulier, le juge doit s’assurer que le bien indivis ne peut être attribué préférentiellement à l’un des indivisaires ou partagé sous une autre forme, notamment par voie de compensation financière.

L’article 1378 précise les modalités pratiques de la vente par adjudication, en imposant le respect des règles applicables aux ventes judiciaires. Ces exigences procédurales visent à garantir que la licitation s’opère dans un cadre rigoureux et impartial, en évitant tout risque d’arbitraire ou de favoritisme.

Ces textes traduisent une préoccupation constante du législateur : faire de la licitation un mécanisme strictement subsidiaire, destiné à surmonter les blocages patrimoniaux Car en effet, la licitation ne saurait être perçue comme une solution de facilité ; elle doit demeurer une exception au principe fondamental du partage en nature.

1. Domaine de la licitation

La licitation est une modalité spécifique du partage permettant de vendre aux enchères un bien indivis lorsque celui-ci ne peut être commodément partagé ou attribué à l’un des indivisaires. Si cette procédure permet de surmonter les difficultés liées à l’indivision, elle ne peut être systématiquement envisagée. Elle répond à un cadre juridique précis, alternant situations dans lesquelles elle peut être ordonnée et cas où elle est expressément exclue. Nous développerons cette analyse selon deux axes : les situations d’intervention de la licitation, puis les hypothèses dans lesquelles elle est prohibée.

1.1 Les situations dans lesquelles la licitation est admise

La licitation trouve principalement à s’appliquer dans les cas d’indivision, qu’il s’agisse d’une indivision en pleine propriété, d’une indivision en usufruit ou d’une indivision en nue-propriété. Cette modalité de partage peut être sollicitée tant dans le cadre d’une indivision successorale que d’une indivision résultant d’un régime matrimonial ou d’un démembrement de propriété.

a. L’indivision en pleine propriété

La situation la plus classique donnant lieu à une licitation est celle d’une indivision en pleine propriété. Ce mécanisme s’applique aux biens indivis, indépendamment de leur origine, qu’elle soit légale, conventionnelle ou successorale. Il s’agit d’une démarche subsidiaire destinée à pallier l’impossibilité de procéder à un partage en nature, tout en préservant l’égalité entre les indivisaires.

L’ancien article 827 du Code civil prévoyait que la licitation pouvait être ordonnée pour des immeubles qui ne pouvaient être commodément partagés ou attribués. Bien que ce texte ait été abrogé par la loi du 23 juin 2006, la licitation de la pleine propriété indivise est unanimement admise. A cet égard, le champ d’application de la licitation ne se limite pas aux immeubles. L’article 1686 du Code civil, en évoquant les “choses communes à plusieurs”, englobe également les biens meubles. Cette interprétation est confirmée par la jurisprudence, qui admet que certains contrats indivis (par exemple les baux) puissent également être licités. Ainsi, la licitation répond à une logique d’unité en ce qu’elle permet de mettre fin à une situation d’indivision, même lorsqu’elle porte sur des objets divers.

L’article 815-5-1 du Code civil, issu de la réforme de 2006, envisage la licitation comme ne pouvant porter, en première intention, que sur les biens indivis pris isolément ; d’où l’emploi du singulier dans la formulation, le texte visant explicitement « le bien indivis » et non « les biens indivis ». Cette précision commande de limiter chaque demande de licitation à un seul bien, en respectant ainsi l’esprit du partage en nature, principe cardinal du régime de l’indivision. Toutefois, cette limitation n’exclut pas la possibilité d’engager plusieurs procédures, pourvu que chaque requête s’appuie sur des motifs légitimes et dûment justifiés, tels que la dégradation progressive du bien ou le risque avéré d’une diminution substantielle de sa valeur. Une telle exigence illustre l’équilibre recherché entre la préservation des droits des indivisaires et la nécessité de sauvegarder la valeur patrimoniale des biens en indivision.

Enfin, la licitation dans le cadre de l’indivision en pleine propriété ne saurait être confondue avec d’autres situations juridiques. Lorsqu’un bien est grevé d’usufruit, il n’y a pas lieu de liciter la pleine propriété, faute d’indivision entre l’usufruitier et le nu-propriétaire. En effet, comme le rappellent l’indivision suppose la coexistence de droits de même nature sur un bien commun. Cette analyse est corroborée par une jurisprudence ancienne mais constante, qui insiste sur l’impossibilité d’un partage entre deux titulaires de droits de nature différentes (Cass. 1re civ., 29 mars 1989, n°87-12.187).

b. L’indivision en usufruit

Il est admis que l’usufruit d’un bien puisse faire l’objet d’une indivision. Est-ce à dire que ce droit particulier, par nature temporaire et portant sur l’usage et les fruits d’un bien, se prête aisément au partage ? En réalité, le droit civil impose des solutions adaptées pour répondre aux spécificités de cette indivision.

En principe, le partage porte directement sur l’usufruit, qui peut être cantonné sur un ou plusieurs biens déterminés. Cette modalité permet à chaque usufruitier de disposer d’un droit exclusif sur des biens spécifiques, évitant ainsi la complexité d’une gestion collective. Toutefois, lorsque le cantonnement s’avère impossible, soit en raison de la nature du bien soit en raison de l’impossibilité de parvenir à un accord entre les usufruitiers, le recours à la licitation devient une alternative envisageable.

La Cour de cassation a expressément consacré cette possibilité dans un arrêt du 25 juin 1974, où elle a reconnu que la licitation de l’usufruit pouvait être ordonnée lorsque ce dernier ne pouvait faire l’objet d’un partage en nature (Cass. 1ère civ. 25 juin 1974, n°72-12.451). 

Dans cette affaire, les héritiers des époux décédés avaient procédé au partage de leurs successions, attribuant à trois copartageants un quart en usufruit sur une propriété, tandis qu’un quatrième bénéficiait des trois quarts en nue-propriété et d’un quart en pleine propriété. La propriété en question, exploitée en carrière, faisait l’objet d’un différend persistant entre les usufruitiers et les héritiers du nu-propriétaire, empêchant toute mise en valeur effective de l’usufruit.

Les juges du fond avaient relevé que cette mésentente prolongée avait conduit à la cessation de l’exploitation de la carrière pendant plusieurs années. La Cour d’appel, constatant que la jouissance ne pouvait être répartie de manière équitable entre les copartageants et qu’aucun accord amiable ne semblait envisageable, avait ordonné la licitation de l’usufruit. Cette mesure, selon l’arrêt attaqué, constituait « le seul moyen d’obtenir, sans nuire à la valeur foncière du bien, la reprise de l’exploitation ou le désintéressement des cohéritiers ».

La Haute juridiction a confirmé cette décision en jugeant qu’il existe une indivision entre l’usufruitier et le nu-propriétaire quant à la jouissance d’un bien lorsque le droit d’usufruit porte sur une quote-part indivise. Elle a rappelé qu’en cas d’impossibilité de partage en nature de cette jouissance, il peut être procédé à une vente par licitation, non pas du bien lui-même, mais de la jouissance de l’usufruit. Ce mécanisme permet de préserver les intérêts patrimoniaux des parties tout en évitant l’inaction susceptible de dégrader la valeur économique du bien.

Cependant, il convient de rappeler que la licitation de l’usufruit demeure une solution d’exception. Elle ne saurait être ordonnée qu’en dernier recours, lorsque toutes les autres voies de partage ont échoué. Cette exception s’inscrit dans une logique de préservation des droits de chaque usufruitier, tout en assurant une équité dans la répartition patrimoniale. Ainsi, l’approche adoptée par le législateur et par la jurisprudence garantit un équilibre subtil entre les impératifs de gestion collective et les intérêts individuels des parties.

c. L’indivision en nue-propriété

De manière similaire à l’usufruit, l’indivision peut porter sur la nue-propriété d’un bien. Le principe consacré par l’article 818 du Code civil, qui renvoie à l’article 817, privilégie le partage de la nue-propriété par cantonnement. Cette solution consiste à attribuer la nue-propriété sur un ou plusieurs biens spécifiques, et elle est historiquement reconnue comme la méthode de référence pour éviter une liquidation globale de l’indivision.

La licitation de la nue-propriété ne peut être envisagée que dans l’hypothèse où le cantonnement s’avère impossible. Ce principe est expressément consacré par la jurisprudence, qui insiste sur la subsidiarité de cette mesure (Cass. 1re civ., 14 mai 1996, n° 94-15.028). En l’espèce, la Cour de cassation a précisé qu’en cas de désaccord persistant entre les nus-propriétaires sur le partage en nature, et lorsque ce dernier est impossible, le juge peut ordonner la licitation limitée à la nue-propriété, tout en veillant à ne pas porter atteinte aux droits des autres indivisaires, notamment les usufruitiers.

A cet égard, lorsque la licitation de la nue-propriété seule est impossible pour mettre fin à une indivision, l’article 818 du Code civil prévoit que la licitation de la pleine propriété peut être ordonnée, mais cette mesure exceptionnelle est soumise à des conditions strictes, notamment le consentement de l’usufruitier, comme l’exige l’article 815-5, alinéa 2, du Code civil.

Historiquement, la jurisprudence faisait une distinction selon que l’usufruit portait sur un bien déterminé ou sur une quote-part successorale. Dans le premier cas, la licitation demandée par un nu-propriétaire ne pouvait porter que sur la nue-propriété du bien. Dans le second, la licitation pouvait s’étendre à la pleine propriété des biens successoraux pour fixer l’assiette de l’usufruit (Cass. req., 9 avr. 1877). Cette distinction, bien que logique à l’époque, soulevait des incertitudes pratiques, notamment en matière d’opposabilité des droits de l’usufruitier.

La loi n° 76-1286 du 31 décembre 1976 a constitué une avancée majeure dans la préservation des droits de l’usufruitier. Elle a inséré, à l’article 815-5 du Code civil, une disposition qui énonçait que « le juge ne peut toutefois, sinon aux fins de partage, autoriser la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit, contre la volonté de l’usufruitier ». Par cette règle, le législateur a entendu limiter de manière explicite les atteintes potentielles aux droits d’usage et de jouissance de l’usufruitier, en faisant de son consentement une condition impérative pour toute licitation de la pleine propriété.

L’apport de cette loi réside dans l’équilibre qu’elle établit entre les prérogatives des indivisaires et la nécessaire protection des intérêts de l’usufruitier. Désormais, l’usufruitier bénéficie d’un droit d’opposition effectif, sauf dans le cadre spécifique d’un partage, rendant ainsi impossible toute décision judiciaire imposant la vente globale du bien sans son accord.

Ce principe a été strictement appliqué par la jurisprudence. Dans un arrêt remarqué du 11 mai 1982, la Cour de cassation a annulé une décision ayant ordonné la licitation de la pleine propriété en méconnaissance de cette exigence légale (Cass. 1re civ., 11 mai 1982, n°81-13.055). La Haute juridiction a alors rappelé que, même face à des difficultés d’indivision, le juge ne peut passer outre le consentement de l’usufruitier, envisagé comme un véritable garde-fou juridique.

Par suite la loi n° 87-498 du 6 juillet 1987 a opéré une réforme décisive en supprimant, dans l’article 815-5 du Code civil, la précision textuelle « sinon aux fins de partage ». Par cette modification, le législateur a étendu la protection accordée à l’usufruitier en rendant son consentement impératif dans tous les cas de licitation de la pleine propriété, sans exception. Cette réforme a marqué une avancée significative en consolidant la protection de l’usufruitier. Elle a ainsi fermé la porte à toute tentative des nus-propriétaires ou des indivisaires de contourner l’exigence de consentement sous le prétexte d’un partage judiciaire. Désormais, le droit d’usage et de jouissance de l’usufruitier ne peut être compromis sans son accord,

Dans le sillon de la loi di 6 juillet 1987, la Cour de cassation a, dans son arrêt du 13 octobre 1993, confirmé que la licitation de la pleine propriété ne peut être imposée sans le consentement de l’usufruitier (Cass. 1re civ., 13 oct. 1993, n° 91-20.707). En l’espèce, la Haute juridiction a censuré une décision ayant ordonné une licitation de la pleine propriété d’un bien indivis, au motif que l’ex-épouse usufruitière n’avait pas donné son accord. Un autre arrêt marquant, rendu le 14 mai 1996 a précisé qu’en cas d’impossibilité de partage en nature, le juge doit privilégier la licitation de la nue-propriété avant d’envisager la pleine propriété (Cass. 1ère civ., 14 mai 1996, n°94-15.028). 

1.2. Les situations dans lesquelles la licitation n’est pas admise

La licitation, bien qu’elle constitue l’un des moyens pour sortir de l’indivision, ne saurait être admise dans toutes les situations. Le législateur, soucieux de préserver certains équilibres juridiques et économiques, a posé des limites à son recours. Ces restrictions trouvent leur fondement dans des considérations variées, telles que la nécessité de maintenir l’affectation collective de certains biens, de protéger des intérêts spécifiques ou encore de respecter les conventions liant les indivisaires.

Qu’il s’agisse des copropriétés forcées, des hypothèses de maintien imposé dans l’indivision, des conventions d’indivision ou encore des cas d’attribution préférentielle, chacune de ces situations traduit une volonté d’encadrer le droit au partage afin de concilier les droits des indivisaires avec des impératifs supérieurs. 

a. Les copropriétés forcées

Les copropriétés forcées se distinguent par leur caractère inaliénable et insusceptible de partage ou de licitation, une interdiction clairement posée par l’article 6 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 régissant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. Ce texte interdit toute demande de partage concernant les parties communes indispensables à l’usage collectif, telles que les chemins nécessaires à la desserte de plusieurs propriétés. Cette disposition vise à préserver la fonctionnalité et l’utilité commune de ces biens.

La règle exprimée par cette disposition dépasse cependant le cadre strict des immeubles bâtis pour s’étendre à toutes les copropriétés forcées et perpétuelles. La Cour d’appel de Paris a ainsi affirmé, dans un arrêt du 5 octobre 1964, que le partage ou la licitation d’un chemin nécessaire à la desserte de plusieurs propriétés était exclu, en raison de son caractère indispensable à l’usage collectif (CA Paris, 5 oct. 1964).

b. Les cas de maintien forcé dans l’indivision

Par ailleurs, la licitation est exclue dans plusieurs cas où la loi impose le maintien forcé dans l’indivision. Ces hypothèses, prévues aux articles 820 à 824 du Code civil, concernent notamment les biens dont l’indivision est ordonnée pour protéger les intérêts de certaines personnes, comme les mineurs ou les incapables. De manière similaire, l’article 1377 du Code de procédure civile dispose que la vente par adjudication ne peut être prononcée que si le bien ne peut être commodément partagé ou attribué. Avant de prononcer une telle vente, le juge est tenu de vérifier que le bien ne répond pas aux conditions d’un partage en nature et que ni l’attribution préférentielle ni d’autres solutions ne sont envisageables.

c. Les conventions d’indivision

L’article 815-1 du Code civil permet aux indivisaires de conclure une convention d’indivision. Lorsqu’une telle convention est à durée déterminée, la licitation ne peut être demandée pendant la durée de la convention, sauf en cas de justes motifs.

En revanche, si la convention est à durée indéterminée, le partage, y compris par licitation, peut être provoqué à tout moment, mais il ne doit pas l’être de mauvaise foi ou à contretemps (art. 1873-3 C. civ.).

d. L’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle constitue un obstacle majeur à la licitation. Ce mécanisme, consacré par les articles 832 et suivants du Code civil, offre à un indivisaire la possibilité de se voir attribuer un bien indivis en priorité, moyennant le versement d’une compensation équitable à ses coindivisaires. Par essence, lorsque cette demande est valablement formulée, la licitation devient inenvisageable, sauf à ce que l’attribution soit rejetée ou manifestement injustifiée.

Historiquement, la place centrale occupée par l’attribution préférentielle dans le cadre des opérations de partage a été explicitée dès l’adoption du décret-loi du 17 juin 1938, introduisant dans le Code civil une disposition spécifique à cet effet. L’ancien article 827 du Code civil, aujourd’hui remplacé par l’article 1377, réservait la licitation aux biens « qui ne peuvent être facilement partagés ou attribués ». En vertu de ce principe, le juge, avant de prononcer une licitation, doit s’assurer que le bien concerné ne peut être intégré dans un partage en nature et qu’aucun indivisaire ne sollicite ou ne pourrait valablement solliciter son attribution préférentielle. Cette double vérification, autrefois essentielle pour garantir une stricte égalité dans la composition des lots, conserve son importance à l’heure où prévaut le principe de l’égalité en valeur des lots.

La jurisprudence a, à maintes reprises, rappelé la prééminence de l’attribution préférentielle sur la licitation. Dès 1947, la Cour de cassation a précisé que l’attribution préférentielle pouvait être sollicitée jusqu’à l’achèvement du partage (Cass. civ., 14 janv. 1947). Toutefois, lorsque la licitation a été ordonnée par une décision ayant acquis l’autorité de la chose jugée, l’attribution préférentielle ne saurait plus prospérer, la licitation devenant alors irrévocable. Dans un arrêt du 9 mars 1971, la Première chambre civile a jugé en ce sens que « la licitation constitue une modalité de partage incompatible avec l’attribution préférentielle. des lors que la licitation d’un immeuble a été ordonnée par une précédente décision devenue irrévocable, un tribunal ne peut sans méconnaitre l’autorité de la chose jugée, prononcer l’attribution préférentielle du même bien indivis » (Cass. 1ère civ. 9 mars 1971, 70-10.072)

Dans sa mise en œuvre, l’attribution préférentielle impose au juge une analyse minutieuse des prétentions en concurrence. Lorsqu’un indivisaire sollicite l’attribution préférentielle d’un bien pendant que d’autres réclament sa licitation, la juridiction saisie doit prioritairement examiner la demande d’attribution, sauf à constater qu’elle contredit les intérêts légitimes des coindivisaires ou qu’elle est matériellement irréalisable. À cet égard, la jurisprudence a notamment rejeté des demandes d’attribution lorsque l’indivisaire demandeur était dans l’incapacité de s’acquitter des soultes nécessaires (Cass. 1re civ., 17 mars 1987, n°85-17.241). 

En outre, l’attribution préférentielle revêt une importance particulière lorsque le maintien de l’usage d’un bien indivis répond à des besoins essentiels. Ainsi, la jurisprudence a privilégié l’attribution du logement familial à l’époux ayant la garde des enfants, au détriment d’une demande concurrente de licitation émanant de l’autre conjoint (TGI Chaumont, 10 juin 1963). Toutefois, cette priorité n’est pas absolue. Des juridictions ont pu refuser une attribution préférentielle lorsque les motifs invoqués ne justifiaient pas un tel choix, comme dans le cas d’un château réclamé pour des raisons purement sentimentales, conduisant à la licitation du bien (TGI Paris, 13 nov. 1970).

Cependant, l’attribution préférentielle n’est pas une prérogative absolue. Elle peut être écartée si l’équilibre des intérêts commande une licitation, notamment lorsque le maintien de l’indivision est matériellement ou économiquement insoutenable. Cette approche pragmatique permet de concilier les droits individuels des indivisaires avec les impératifs collectifs, assurant ainsi le respect des principes d’équité et de justice. 

2. Les conditions de la licitation

2.1. L’impossibilité d’un partage en nature

a. Le contenu de l’exigence

Dans le cadre d’un partage, la licitation n’intervient qu’à titre subsidiaire, lorsqu’un partage en nature des biens indivis s’avère impossible. À cet égard, l’article 1377 du Code de procédure civile précise que : « le tribunal ordonne, dans les conditions qu’il détermine, la vente par adjudication des biens qui ne peuvent être facilement partagés ou attribués ». 

Cette règle fait directement écho au principe posé à l’article 1686 du Code civil, relevant du droit commun de la vente, qui dispose que la licitation peut être ordonnée « si une chose commune à plusieurs ne peut être partagée commodément et sans perte ».

Il s’infère de ces deux dispositions que l’impossibilité de partage en nature peut résulter, soit de l’incommodité de la division du biens indivis, soit du risque de perte en cas de division. 

==>L’incommodité de la division du bien indivis

L’incommodité matérielle de la division d’un bien indivis s’entend de l’impossibilité pratique de le fractionner tout en préservant son intégrité physique, son utilité et les conditions normales de jouissance. Ce critère repose sur les attributs essentiels du bien, qu’il s’agisse de sa configuration, de son usage envisagé ou de sa destination économique. L’analyse de cette incommodité exige une attention particulière aux caractéristiques propres au bien, telles que son état, sa structure ou sa finalité, afin de déterminer si une division pourrait être réalisée sans altérer sa nature ni compromettre sa vocation première.

En premier lieu, certains biens, en raison de leur structure physique ou de leur fonction, ne peuvent être aisément divisés sans altérer leur valeur ou leur utilité. Par exemple, la division d’un terrain peut exiger des aménagements onéreux, tels que l’installation de clôtures ou la modification des réseaux hydrauliques pour garantir une autonomie d’usage des parcelles nouvellement constituées. Une jurisprudence ancienne mais éclairante illustre ce point : la fragmentation d’un bien foncier a été jugée inappropriée en raison des frais disproportionnés qu’elle impliquait et de son impact négatif sur l’exploitation rationnelle des parcelles (CA Dijon, 15 avril 1907). Cet exemple met en lumière l’importance d’une analyse circonstanciée de la faisabilité matérielle du partage.

De même, la division d’une exploitation agricole ou d’un immeuble à vocation spécifique peut entraîner une désorganisation structurelle qui compromettrait sa finalité première. Ainsi, le morcellement d’une ferme en plusieurs unités indépendantes peut nécessiter des investissements supplémentaires pour réorganiser les infrastructures communes, telles que les systèmes d’irrigation ou les espaces de stockage, réduisant ainsi l’efficacité globale de l’exploitation. Cette incommodité matérielle s’observe également dans le cas d’immeubles complexes ou de bâtiments historiques, dont le fractionnement risquerait de porter atteinte à leur vocation patrimoniale ou culturelle, voire de rendre leur entretien structurellement irréalisable.

En second lieu, l’incommodité matérielle ne se limite pas à l’existence d’obstacles purement physiques, mais couvre également les effets sur les conditions normales de jouissance. Un partage matériellement possible peut néanmoins être jugé incommode si la division altère de manière significative les modalités d’exploitation ou d’utilisation des lots. Par exemple, la création de nouvelles parcelles ou d’espaces indépendants peut, dans certains cas, générer une répartition déséquilibrée des ressources essentielles à leur exploitation, ou nécessiter des servitudes complexes, telles que des droits de passage ou des aménagements communs. Ces contraintes, susceptibles de compliquer la jouissance individuelle des lots, justifient le recours à une licitation plutôt qu’à un partage en nature.

Enfin, l’incommodité matérielle doit également être évaluée en tenant compte de la préservation de l’intégrité des unités économiques ou des ensembles de biens indivis. L’article 830 du Code civil, qui énonce l’objectif de limiter le fractionnement des exploitations agricoles ou des ensembles économiques, reflète cette préoccupation. Lorsqu’une division compromet l’exploitation optimale d’un bien indivis ou engendre une dépréciation du bien, la licitation peut s’imposer comme la solution la plus rationnelle. La jurisprudence a ainsi affirmé que la division en plusieurs lots, même matériellement envisageable, peut être écartée si elle entraîne des effets excessivement complexes ou onéreux pour les indivisaires (CA Montpellier, 8 juin 1954).

==>Le risque de perte en cas de division du bien indivis

Au-delà des obstacles matériels, l’incommodité d’un partage peut également résider dans ses répercussions économiques, lesquelles peuvent compromettre de manière significative les intérêts des indivisaires. L’article 1686 du Code civil institue ainsi le principe selon lequel le partage en nature doit être écarté lorsque la division entraîne une perte de valeur du bien, préjudiciable à l’ensemble des indivisaires.

Dans un arrêt rendu le 13 octobre 1998, la Cour de cassation a, par exemple, estimé que l’incommodité d’un partage pouvait justifier une licitation lorsqu’un morcellement, bien que matériellement possible, engendrait une dépréciation économique significative et préjudiciable pour les indivisaires Dans cette affaire, le litige portait sur une demeure historique dépendant d’une succession. L’un des indivisaires demandait un partage en nature accompagné d’une attribution préférentielle d’une partie de l’immeuble, tandis que les autres plaidaient en faveur de la licitation. La Cour d’appel, dont l’analyse a été validée par la Cour de cassation, a constaté que la valeur totale de l’immeuble pris dans son ensemble, estimée à 7 950 000 francs, dépassait significativement la somme des valeurs des lots envisagés dans le cadre d’un partage en nature, laquelle n’atteignait que 6 200 000 francs. Une telle dépréciation économique, jugée inacceptable pour l’ensemble des indivisaires, rendait économiquement inopportune une division pourtant réalisable matériellement.

Cet arrêt met en lumière l’une des caractéristiques de l’incommodité économique : la préservation de la valeur globale du bien indivis. Une division matérielle, bien que techniquement envisageable, peut entraîner une perte de valeur si les lots ainsi constitués s’avèrent individuellement moins valorisables que le bien pris dans sa globalité. Cette approche vise à protéger les intérêts collectifs des indivisaires, en évitant qu’un partage en nature ne devienne source d’injustice économique.

Par ailleurs, l’incommodité économique ne se limite pas à la perte de valeur globale. Elle inclut également les effets sur l’équité entre les indivisaires, notamment lorsque la fragmentation d’un bien rend nécessaire la constitution de soultes disproportionnées ou difficilement applicables. Ces situations, susceptibles de générer des déséquilibres majeurs, justifient souvent le recours à la licitation pour assurer une répartition équitable des bénéfices issus de la vente.

Conscient de ces enjeux, le législateur a introduit des mécanismes visant à atténuer les effets économiques défavorables d’un partage, notamment à travers le principe de l’égalité en valeur consacré par l’article 826 du Code civil. Ce principe permet d’ajuster les écarts entre les lots au moyen de soultes, favorisant ainsi une répartition équilibrée. Toutefois, lorsque la division d’un bien indivis conduit à une dépréciation significative ou compromet les intérêts économiques des indivisaires, ces outils ne suffisent pas toujours à garantir une solution satisfaisante. Dans ces circonstances, la licitation s’impose comme une alternative incontournable, préservant à la fois la valeur intrinsèque du bien et l’équité entre les indivisaires.

b. Appréciation de l’exigence

==>Une appréciation d’ensemble

L’impossibilité de procéder à un partage en nature d’un bien indivis repose sur des considérations tant matérielles qu’économiques, lesquelles doivent être appréciées au regard de critères précis. Cette impossibilité n’est cependant pas absolue et s’évalue à l’aune de la nature, de la configuration et de la finalité du bien, mais également en tenant compte de l’ensemble des biens composant l’indivision. Une analyse globale de la situation patrimoniale s’impose, permettant de déterminer si un partage en nature peut être envisagé sans compromettre l’équité entre les indivisaires ou l’intégrité économique des lots.

A cet égard, l’un des principes devant guider l’appréciation du juge réside dans l’exigence de considérer l’ensemble des biens indivis comme un tout cohérent, plutôt que de les examiner isolément. Une telle approche, déjà consacrée par la jurisprudence avant la réforme de 2006, reflète l’exigence de maintenir le partage en nature comme principe directeur, même face à des difficultés apparentes. Ainsi, l’indivisibilité d’un bien spécifique, tel qu’un immeuble unique, ne saurait en elle-même constituer un obstacle insurmontable au partage si d’autres éléments de la masse permettent de constituer des lots équivalents en valeur (Cass. 1ère civ.12 janv. 1972, n°71-11.435). 

À titre d’exemple, un immeuble matériellement indivisible peut être attribué en totalité à un indivisaire, à condition que des biens meubles ou des compensations monétaires viennent rétablir l’équilibre des droits entre les copartageants (Cass. 1ère civ., 21 janv. 1958). Cette flexibilité, inhérente au principe d’équité, permet de concilier l’impossibilité matérielle d’un découpage physique avec les exigences d’une répartition équitable.

En outre, lorsque l’ensemble des biens ne peut être aisément réparti, la licitation ne doit intervenir que dans les limites strictement nécessaires. Les juges sont alors appelés à circonscrire la licitation aux seuls biens dont le partage en nature est impraticable ou manifestement préjudiciable. Cette approche reflète le souci de préserver autant que possible le principe du partage en nature, tout en évitant des solutions qui porteraient atteinte à l’équilibre des intérêts en présence (Cass. 1ère civ., 11 juill. 1983, n°82-11.815). Ainsi, si un immeuble indivis ne peut être partagé matériellement, mais que la masse comprend des biens meubles ou d’autres actifs, ces derniers doivent être mobilisés pour constituer des lots équilibrés, réduisant ainsi la nécessité de recourir à la licitation.

Pour éclairer leur décision, les juges peuvent recourir à une expertise destinée à examiner les conditions matérielles et économiques propres au partage. Bien que les conclusions de l’expert ne s’imposent pas aux juges, elles constituent un élément déterminant dans leur appréciation de la faisabilité d’un partage en nature (Cass. 1ère civ., 9 oct. 1967). Ce recours à l’expertise vise à identifier les contraintes objectives qui pourraient rendre une division matériellement irréalisable ou économiquement désavantageuse.

Ainsi, l’expert est-il souvent chargé d’évaluer les implications concrètes d’un partage en nature, en tenant compte de la configuration des biens indivis, de leur usage actuel et des adaptations nécessaires pour les rendre autonomes après la division. Par exemple, dans le cas d’un terrain agricole, il pourrait être démontré que sa division entraînerait des aménagements disproportionnés, tels que la construction de nouvelles clôtures, la mise en place de systèmes d’irrigation distincts ou la création de voies d’accès séparées. De tels travaux, s’ils engendrent des coûts excessifs ou compromettent l’utilisation optimale des biens, constituent des éléments justifiant l’incommodité matérielle et, par conséquent, l’impossibilité d’un partage équitable en nature.

Les juges, sur la base du rapport d’expertise, peuvent ainsi conclure que la licitation est nécessaire pour préserver les intérêts des parties, en évitant des solutions qui seraient coûteuses, complexes et potentiellement sources de litiges ultérieurs. L’expertise, en ce sens, dépasse une simple évaluation technique et s’inscrit dans une démarche visant à garantir une répartition équilibrée et réaliste des biens indivis.

==>Contrôle de la motivation

L’appréciation de l’impossibilité de procéder à un partage en nature relève du pouvoir souverain des juges du fond, lesquels doivent s’attacher à motiver leur décision avec précision. Cette exigence trouve sa justification dans la nature exceptionnelle de la licitation, qui ne peut être ordonnée qu’en dernier recours, dès lors que l’impossibilité de la répartition physique des biens est établie de manière circonstanciée et irréfutable. À ce titre, la seule affirmation d’une incertitude quant à la faisabilité du partage en nature, ou encore la mention de dissensions entre indivisaires, ne saurait suffire à légitimer une telle mesure. De même, un simple constat de la multiplicité des biens et de la diversité des droits des parties, sans qu’il ne soit démontré en quoi ces éléments empêchent concrètement un partage en nature, expose la décision à la censure (Cass. 1re civ., 31 janv. 1989, n°87-16.718). À l’inverse, une motivation s’appuyant sur des éléments factuels et techniques solides, tels qu’un rapport d’expertise concluant à la faisabilité du partage en nature et à sa conformité aux intérêts des parties, satisfait pleinement aux exigences jurisprudentielles (Cass. req. 31 oct. 1893).

Le rôle de la Cour de cassation se limite traditionnellement à un contrôle de la motivation, sans remise en cause de l’appréciation des faits réalisée par les juges du fond. Il incombe à ces derniers de démontrer précisément en quoi les biens indivis ne peuvent être commodément répartis. Dès lors, une décision ordonnant la licitation, qui se contenterait de relever l’incertitude d’un partage ou de mentionner sa faisabilité technique sans expliciter les obstacles concrets qui s’y opposent, ne saurait prospérer (Cass. 1ère civ., 12 mai 1987, n°85-18.160).

Si, par le passé, une certaine souplesse pouvait être observée, permettant aux juges du fond de motiver leurs décisions de manière parfois implicite, cette pratique tend à être remise en question dans le cadre d’une jurisprudence contemporaine plus exigeante. La réforme de 2006, consacrant le principe d’égalité en valeur des lots (art. 826 du Code civil), renforce cette exigence de motivation, dans un souci de transparence et de respect du caractère subsidiaire de la licitation. Ainsi, il ne suffit plus, comme autrefois, de faire allusion à l’indivisibilité supposée d’un bien pour justifier une vente forcée (Cass. 3e civ., 4 mai 2016, n°14-28.243).

La Cour de cassation, sans excéder son rôle, veille désormais à ce que les juges du fond ne cèdent pas à la facilité, en exigeant une démonstration complète et convaincante de l’impossibilité matérielle ou juridique du partage en nature. Cette évolution, bien qu’elle ne rompe pas totalement avec certaines tolérances antérieures, reflète une volonté affirmée de garantir la primauté du partage en nature tout en respectant l’équilibre des intérêts des indivisaires.

2.2. Mise en œuvre

L’impossibilité de partager un bien indivis peut avoir pour cause des contraintes juridiques, matérielles, économiques ou pratiques, chacune reflétant la complexité inhérente à la diversité des biens concernés et des situations d’indivision.

==>Les difficultés matérielles de partage

L’une des causes de l’impossibilité de procéder à un partage en nature réside dans les contraintes matérielles, intrinsèquement liées aux caractéristiques des biens indivis. La difficulté réside, le plus souvent, dans l’impossibilité technique ou pratique de diviser un bien sans compromettre son intégrité ou son utilité économique.

Certains biens, par leur nature même, se prêtent mal au fractionnement. Ainsi, un domaine agricole, comprenant des bâtiments, des dépendances et des terres formant un tout économique cohérent, ne saurait être morcelé sans que son exploitation n’en pâtisse gravement (Cass. 1ère civ., 29 mars 1960). De même, Une clinique médicale, dont le fonctionnement repose sur une organisation spatiale spécifique, constitue un exemple caractéristique de bien dont la division matérielle compromettrait irrémédiablement l’usage et l’exploitation (Cass. 1ère civ., 2 oct. 1979, n°78-11.385). 

Par ailleurs, même lorsque les biens paraissent à première vue partageables, certaines configurations rendent le partage matériellement inéquitable. Un exemple peut être trouvé dans la difficulté de répartir équitablement des parcelles de terrain de dimensions ou de valeurs très disparates. 

Outre la nature spécifique des biens, l’hétérogénéité de l’ensemble composant l’indivision peut elle-même constituer un frein au partage en nature. Lorsque les biens diffèrent significativement par leur localisation, leur état ou leur destination, il devient difficile, sinon impossible de constituer des lots de valeur équivalente. Cette disparité, combinée à l’impossibilité de parvenir à une évaluation consensuelle, peut légitimer une licitation comme ultime recours pour garantir l’équité entre les parties (Cass. 1ère civ., 14 févr. 1962).

Enfin, le nombre d’indivisaires et l’inégalité de leurs droits accentuent les difficultés matérielles du partage. Lorsque la division des biens suppose de composer un grand nombre de lots pour satisfaire des droits successoraux complexes et souvent très inégaux, le partage en nature devient un exercice presque insurmontable, tant sur le plan pratique que logistique (Cass. 1ère civ., 28 juin 1977, n°75-12.487). 

==>Les difficultés juridiques de partage

La loi peut imposer des restrictions au partage en nature lorsque la division physique d’un bien compromet son utilité, son exploitation, ou son intégrité économique. Ces barrières légales, parfois explicites, trouvent leur justification dans des impératifs d’intérêt général ou de préservation de l’efficacité économique des biens concernés.

A cet égard, certaines catégories de biens, en raison de leur nature intrinsèque, sont insusceptible de faire l’objet d’un partage en nature. Les mines, par exemple, furent historiquement considérées comme indivisibles, car leur exploitation exige une unité structurelle pour être rentable et conforme aux normes techniques en vigueur (Cass. req., 21 avr. 1857). Cette indivisibilité découle moins d’une contrainte matérielle que de l’exigence de préserver la finalité économique du bien, en évitant une division qui rendrait son exploitation inefficace ou impossible.

De manière similaire, un terrain constructible peut devenir juridiquement insusceptible de partage lorsque son morcellement compromet l’obtention d’un permis de construire ou sa viabilité. Cette impossibilité résulte de normes d’urbanisme qui conditionnent l’utilisation d’un terrain à une superficie minimale ou à des exigences d’aménagement spécifiques (CA Nancy, 18 janv. 1989).

Les biens soumis au régime de la copropriété illustrent également cette tension entre indivisibilité et partage. Dans un immeuble d’habitation indivis, les parties communes, par définition, ne peuvent être fractionnées sans remettre en cause la structure juridique et pratique de la copropriété. La jurisprudence a affirmé que l’unité des parties communes prime sur toute tentative de division en étages ou appartements, rendant le partage en nature juridiquement incompatible avec ce régime (Cass. 1ère civ., 19 janv. 1960). Ces principes visent à garantir l’usage collectif des parties communes et à préserver la cohérence fonctionnelle du bien immobilier.

Au-delà des dispositions légales, les indivisaires peuvent eux-mêmes convenir de règles encadrant les modalités de partage. En vertu de l’article 1103 du Code civil, un accord unanime entre les indivisaires, qu’il prévoie une licitation ou un partage en nature, s’impose avec la même force qu’un contrat. Une fois signé, cet engagement lie non seulement les parties, mais aussi le juge chargé de superviser l’exécution du partage.

Ainsi, un accord visant à exclure le partage en nature doit être respecté, sauf en cas de dispositions contraires à l’ordre public ou manifestement inéquitables (Cass. 1ère civ., 20 janv. 1982, n°80-16.909). Cette contractualisation des modalités de partage permet aux indivisaires de surmonter des situations conflictuelles ou de prévenir des litiges futurs en définissant des règles précises.

La volonté exprimée par le de cujus dans un testament peut également influer sur les modalités de partage. Par exemple, lorsqu’un legs particulier attribue un bien spécifique à un héritier, ce bien échappe au partage dès lors que la disposition respecte la limite de la quotité disponible. Ce type de disposition testamentaire peut être perçu comme une restriction à la divisibilité du bien, car il confère à un héritier un droit exclusif sur celui-ci.

Cependant, une clause testamentaire ne peut, à elle seule, empêcher une licitation si celle-ci est indispensable pour respecter les droits des autres héritiers. En cas d’impossibilité de partager équitablement un bien en nature, le juge peut être conduit à écarter une disposition testamentaire pour ordonner une vente et préserver l’équilibre patrimonial entre les cohéritiers (Cass. 1ère civ., 5 janv. 1977, n°75-15.199). 

==>Les difficultés économiques de partage

Au-delà des obstacles matériels et juridiques, des considérations économiques peuvent justifier l’impossibilité d’un partage en nature. Ainsi, certaines divisions matérielles peuvent entraîner une dépréciation substantielle des biens indivis. Un exemple classique est celui d’une exploitation agricole : son morcellement compromettrait la viabilité économique du domaine, rendant l’ensemble des parcelles moins attractif sur le marché (Cass. 1re civ., 16 oct. 1967). De manière similaire, la division d’un terrain de faible superficie peut aboutir à des lots inadaptés à une utilisation efficace, diminuant ainsi leur valeur intrinsèque (Cass. 1ère civ., 11 juin 1985, n°84-12.325). 

Une autre contrainte économique peut découler de l’incapacité à constituer des lots de valeur équivalente. Lorsque les biens indivis diffèrent considérablement par leur nature, leur localisation ou leur état, il devient impossible de composer des lots respectant l’équité entre les indivisaires sans recourir à des soultes disproportionnées. Par exemple, dans une affaire relative à un ensemble de biens immobiliers, la nécessité de prévoir des soultes trop élevées pour équilibrer les lots a conduit le juge à privilégier la licitation, considérée comme une solution plus adaptée pour garantir l’équité patrimoniale (Cass. 1re civ., 15 mai 1962).

La question des actions et parts sociales illustre parfaitement les enjeux économiques liés à la division en nature. Bien que ces biens soient techniquement divisibles, leur répartition peut entraîner une perte de contrôle ou de minorité de blocage au sein d’une société. Cela compromet non seulement la gestion de l’entreprise, mais réduit également la valeur des parts en raison de l’incertitude juridique et économique générée par une telle division. Dans une affaire emblématique, la répartition d’actions aurait menacé la stabilité de l’entreprise en remettant en cause les droits de contrôle. Le juge a alors ordonné une licitation pour préserver l’intégrité économique et les intérêts des parties (CA Paris, 2 juill. 2002).

Outre la dépréciation des biens, les coûts associés à la division peuvent également justifier une licitation. Par exemple, la division d’un immeuble en plusieurs appartements ou l’aménagement nécessaire pour rendre un bien partageable peut impliquer des dépenses considérables, rendant économiquement irrationnelle toute tentative de partage en nature (TGI Nice, 6 juill. 1962). Ces coûts peuvent inclure la création de nouvelles infrastructures, la gestion des servitudes ou encore les frais de mise aux normes, autant de facteurs susceptibles de miner la rentabilité des biens divisés.

==>Les difficultés personnelles

Enfin, les relations entre indivisaires peuvent elles-mêmes constituer un frein au partage en nature, en particulier lorsque des tensions ou des dissensions profondes altèrent toute perspective de gestion harmonieuse des biens communs. Ces conflits, qu’ils trouvent leur origine dans des différends familiaux, des ruptures conjugales ou des désaccords patrimoniaux, rendent souvent impraticable une répartition équitable des biens, tant sur le plan matériel qu’émotionnel.

Lorsqu’une indivision découle d’une séparation conjugale, par exemple, les relations tendues entre anciens partenaires peuvent transformer la cohabitation dans un bien indivis en un exercice insupportable. La gestion commune d’espaces partagés, comme une maison ou un appartement, devient rapidement source de conflits incessants, compromettant toute possibilité de coexistence pacifique. Ces situations, souvent aggravées par l’absence de dialogue ou par des griefs passés, justifient fréquemment une licitation, seule mesure apte à mettre un terme aux conflits prolongés (CA Metz, 11 mars 2010).

Les tensions ne se limitent pas aux relations conjugales. Au sein d’une famille élargie ou entre héritiers, les divergences d’intérêts ou de vision sur l’avenir des biens indivis peuvent provoquer un blocage total. L’un des indivisaires peut, par exemple, contester systématiquement les décisions relatives à l’exploitation ou à la répartition des biens, refusant de collaborer à leur entretien ou à leur valorisation. De tels comportements conflictuels paralysent l’indivision, rendant tout accord amiable illusoire et nécessitant une intervention judiciaire pour sortir de l’impasse.

Dans ces contextes, le juge joue un rôle déterminant. Chargé de garantir l’équité et de préserver la paix sociale, il est amené à ordonner une licitation lorsque les tensions rendent impossible le maintien de l’indivision ou la mise en œuvre d’un partage en nature. Une telle décision, bien que pragmatique, n’est pas dénuée de conséquences psychologiques pour les indivisaires. La vente forcée d’un bien, souvent chargé d’une forte valeur symbolique ou sentimentale, peut engendrer des sentiments de perte ou d’injustice. Il appartient donc au juge d’accompagner sa décision d’une motivation claire, exposant en quoi la licitation constitue la solution la plus adaptée pour protéger les intérêts de chacun.

3. Le régime de la licitation

3.1 Principes directeurs

==>Saisine

En vertu de l’article 840 du Code civil, la licitation judiciaire ne peut être envisagée qu’à l’occasion d’une instance en partage. À cet égard, dans le cadre de cette instance, la demande en partage est formulée à titre principal, tandis que la demande de licitation est nécessairement formulée à titre incident. 

En effet, la licitation, par sa nature subsidiaire, ne saurait être sollicitée qu’à titre incident, lorsqu’un partage en nature s’avère matériellement impraticable ou compromet l’équité entre les indivisaires. Ce dispositif met en lumière la primauté du partage en nature, qui demeure le fondement même du régime de l’indivision, tandis que la licitation, exception par essence, est rigoureusement encadrée pour éviter tout détournement de sa finalité.

Le Code de procédure civile organise ainsi une interdépendance entre les demandes en partage et en licitation, la seconde ne pouvant être introduite indépendamment de la première. Dans un arrêt du 15 juin 2017, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la demande en licitation d’un bien indivis […] ne peut être formée qu’à l’occasion d’une instance en partage judiciaire » (Cass. 1ère civ., 15 juin 2017, n°16-16.031). Fondant sa décision sur les articles 840 et 1686 du Code civil, la Haute juridiction a rappelé que la licitation, en raison de son caractère subsidiaire, ne peut exister indépendamment d’une demande principale en partage.

En l’espèce, des héritiers avaient sollicité la licitation d’un immeuble dépendant d’une succession en raison de désaccords portant sur l’attribution et l’estimation des lots. Sans qu’aucune instance en partage judiciaire n’ait été introduite, la cour d’appel avait fait droit à cette demande. La Cour de cassation a censuré cette décision, estimant que la procédure de licitation ne peut être envisagée qu’à titre incident, dans le cadre plus large d’un partage judiciaire. Elle a ainsi annulé l’arrêt de la cour d’appel au motif que celle-ci avait ordonné la licitation en violation des exigences procédurales établies par les textes. Cet arrêt illustre avec clarté que la licitation ne constitue pas une voie autonome mais bien une exception procédurale, subordonnée à la démonstration préalable de l’impossibilité ou de l’inopportunité d’un partage en nature. 

À l’analyse, ce cadre procédural poursuit une double ambition. D’une part, il consacre la primauté du partage en nature, expression de l’idéal d’égalité patrimoniale entre les indivisaires, en veillant à ce que chaque solution retenue préserve, autant que faire se peut, l’intégrité des droits de chacun. D’autre part, il encadre strictement le recours à la licitation, n’autorisant cette mesure, par essence exceptionnelle, qu’en dernier ressort, lorsqu’un partage amiable se heurte à des obstacles matériels ou juridiques insurmontables.

Toutefois, cette subordination stricte n’est pas exempte de critiques. Certains auteurs ont estimé que l’impossibilité manifeste d’un partage en nature dès l’introduction de l’instance pourrait justifier une demande en licitation à titre principal, sans compromettre pour autant l’équilibre procédural. Cette position, bien que séduisante, entre en contradiction avec la volonté du législateur de privilégier une approche prudente et graduée, afin de prévenir tout usage abusif de la licitation.

==>Compétence juridictionnelle

En premier lieu, la licitation relève de la compétence exclusive du tribunal judiciaire. Cette règle s’applique de manière uniforme, quelles que soient les circonstances spécifiques entourant l’indivision. Ainsi, même lorsque l’un des indivisaires est soumis à une procédure collective, le tribunal judiciaire demeure compétent pour connaître des demandes de licitation et de partage (Cass. com., 28 nov. 2000, n° 98-10.145). Dans ce contexte particulier, le liquidateur, agissant non dans l’intérêt personnel du débiteur mais en qualité de représentant des créanciers, peut solliciter la licitation des biens indivis. Dans un arrêt du 28 novembre 2000, la Cour de cassation a confirmé que le liquidateur, habilité à défendre les droits des créanciers, est en mesure de provoquer une licitation dans le cadre des opérations de partage (Cass. com., 28 nov. 2000, n° 98-10.145).

En second lieu, la compétence territoriale de la juridiction qui a vocation à connaitre d’une procédure de licitation judiciaire obéit à des règles qui visent garantir à la fois proximité et efficacité dans le traitement des litiges. L’article 841 du Code civil confère ainsi compétence au tribunal judiciaire du lieu d’ouverture de la succession pour connaître des actions en partage, ainsi que des contestations qui peuvent en découler, notamment celles relatives à la licitation ou à la garantie des lots. Lorsque la licitation ne procédure pas du partage d’une indivision successorale, l’article 45 du Code de procédure civile désigne le tribunal du lieu de situation des biens indivis comme juridiction compétente.

Ce cadre territorial vise à concentrer les litiges devant une juridiction proche des biens concernés. En opérant ce choix, le législateur entend non seulement simplifier les démarches pour les parties, mais également tenir compte des spécificités matérielles et économiques propres aux biens indivis, contribuant ainsi à une gestion plus fluide et plus rapide des procédures.

Enfin, il convient de souligner que cette compétence juridictionnelle, tant d’attribution que territoriale, est d’ordre public. Dès lors, elle ne saurait être modifiée par la volonté des parties.

==>La fixation des conditions de la vente

En application de l’article 1377 du Code de procédure civile, le juge se voit confier la responsabilité de fixer les conditions particulières de la vente par adjudication dans le cadre d’une licitation, qu’il s’agisse de biens meubles ou immeubles. Ce pouvoir embrasse notamment la détermination de la mise à prix, paramètre essentiel pour garantir le bon déroulement de la procédure et prévenir toute sous-évaluation susceptible de léser les intérêts des indivisaires. Cette intervention du juge, gage d’une équité procédurale, est toutefois tempérée par la possibilité, offerte aux indivisaires capables et présents, de convenir unanimement des modalités de la licitation. Cet accord, lorsqu’il est atteint, lie le tribunal, reflétant ainsi l’importance accordée au consentement des parties dans le processus de partage.

Cette souplesse procédurale est néanmoins contrebalancée par la rigueur imposée au déroulement de la licitation. Ainsi, bien que la possibilité d’un sursis temporaire à la vente pour tenter une cession de gré à gré ait été évoquée lors des travaux préparatoires des réformes législatives, cette faculté n’a pas été retenue. Le législateur a manifestement craint qu’une telle mesure ne ralentisse inutilement les procédures, préférant privilégier une approche plus directe pour éviter des délais incompatibles avec les impératifs de gestion des indivisions.

Le cahier des charges, document structurant de la licitation, peut par ailleurs comporter des dispositions spécifiques destinées à encadrer l’attribution des biens adjugés. Parmi celles-ci figure la clause d’attribution, qui stipule que si la dernière enchère est portée par un indivisaire, celui-ci ne sera pas déclaré adjudicataire, mais se verra attribuer le bien au prix fixé par l’adjudication dans le cadre du partage à intervenir. Ce mécanisme, validé par la jurisprudence (Cass. 1ère, 7 oct. 1997, n°95-17.071), favorise une organisation rationnelle et équitable des opérations, tout en préservant les intérêts patrimoniaux des copartageants. En complément, des clauses de substitution peuvent permettre à un adjudicataire de céder son droit à un tiers désigné, offrant ainsi une flexibilité supplémentaire sans compromettre la transparence de la procédure.

==>La recherche de l’intérêt collectif

Il est de principe que toutes les décisions prises par le juge dans le cadre de la procédure de licitation doivent être guidées par la recherche de l’intérêt collectif des copartageants. Cette exigence se traduit par une double obligation pour la juridiction saisie : d’une part, le juge doit s’attacher à optimiser la valeur d’adjudication des biens indivis, gage d’une protection économique des droits des parties. D’autre part, il lui incombe de garantir une répartition équitable des fruits de la vente, en tenant compte des spécificités des biens et des situations individuelles des indivisaires.

L’optimisation de la valeur d’adjudication implique que le tribunal organise la procédure de manière à maximiser la concurrence entre les enchérisseurs. À cet égard, la rédaction du cahier des charges revêt une importance cruciale. Ce document doit non seulement préciser les caractéristiques du bien mis en vente, mais également faire état de toute information susceptible d’influencer les enchères, comme l’existence de droits locatifs ou de servitudes. Ainsi, a été consacré par la jurisprudence l’obligation de mentionner dans le cahier des charges les droits locatifs grevant un bien indivis. Dans un arrêt du 18 juin 1973, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que l’adjudicataire devait être informé des droits d’occupation existants, ces derniers influant directement sur la valeur vénale du bien et, par conséquent, sur les intérêts des indivisaires. 

Par ailleurs, la répartition équitable des fruits de la vente doit également guider les décisions prises par le juge. Celui-ci doit veiller à ce que les modalités de la licitation ne créent pas de déséquilibre injustifié entre les indivisaires. Par exemple, si un indivisaire est lui-même locataire d’un bien indivis, comme ce fut le cas dans l’affaire précitée, il ne saurait être tenu de payer la différence entre la valeur libre et la valeur occupée du bien dont il est adjudicataire. Une telle solution, validée par la Cour de cassation, reflète un souci d’équité : elle empêche qu’un indivisaire se retrouve pénalisé dans l’attribution d’un bien au détriment des autres parties.

Le rôle du tribunal ne se limite donc pas à la définition des conditions formelles de la vente. Il s’étend à une analyse fine et précise des circonstances particulières de chaque indivision, afin d’adopter les mesures les mieux adaptées à l’intérêt collectif des indivisaires. Ainsi, lorsque les biens indivis présentent des caractéristiques spécifiques – qu’il s’agisse d’un immeuble à usage mixte ou d’un terrain à forte valeur économique – le juge peut prévoir des dispositions particulières pour préserver leur rentabilité ou leur attractivité. Par exemple, en cas de licitation d’un fonds de commerce dépendant d’un immeuble indivis, il est d’usage que le cahier des charges impose à l’adjudicataire de l’immeuble de consentir un bail à l’adjudicataire du fonds, si ces deux lots ne sont pas attribués à une même personne. 

==>Les personnes admises à participer à la licitation

L’article 1378 du Code de procédure civile prévoit que « si tous les indivisaires sont capables et présents ou représentés, ils peuvent décider à l’unanimité que l’adjudication se déroulera entre eux. À défaut, les tiers à l’indivision y sont toujours admis. » Il ressort de cette disposition que les enchères, dans le cadre d’une licitation, peuvent être restreintes aux seuls indivisaires.

Plus précisément, la limitation des enchères aux copartageants est envisageable lorsque tous les indivisaires remplissent simultanément plusieurs conditions : ils doivent être juridiquement capables, présents ou représentés par des mandataires disposant d’un pouvoir exprès. De surcroît, cette restriction requiert leur consentement unanime, traduisant une volonté commune d’éviter l’intervention de tiers dans la procédure. Cette faculté permet de maintenir la licitation dans une sphère strictement interne à l’indivision, tout en favorisant une résolution rapide et consensuelle du partage.

Toutefois, dès lors que l’une de ces conditions fait défaut, la procédure impose l’ouverture des enchères à des tiers. Ce mécanisme vise à prévenir tout risque de collusion ou de manœuvres entre indivisaires pouvant entraîner une adjudication à un prix injustement bas. En admettant des tiers, le législateur entend préserver l’intégrité des enchères, s’assurant que celles-ci reflètent la valeur réelle du bien mis en vente.

Cette ouverture des enchères devient obligatoire lorsque l’un des indivisaires est mineur ou incapable. Conformément à l’article 1687 du Code civil, dans une telle hypothèse, les tiers doivent impérativement être admis à participer à la licitation. Ce principe a trouvé une application dans une affaire où un indivisaire incapable s’opposait à une adjudication exclusive entre indivisaires. Le tribunal, rappelant les termes de l’article 1687, avait exigé l’ouverture des enchères aux tiers pour garantir une adjudication équitable, reflétant la valeur véritable des biens mis en vente (TGI Nantes, 27 juin 1967).

A cet égard, il peut être souligné que l’admission des tiers contribue également à maximiser la valeur d’adjudication, au bénéfice de l’ensemble des indivisaires. En augmentant le nombre de participants potentiels, cette ouverture crée une véritable dynamique compétitive lors des enchères, limitant ainsi le risque d’un prix d’adjudication trop bas. 

3.2. Règles particulières

a. La licitation des meubles

Conformément à l’article 1377 du Code de procédure civile, la licitation des meubles s’effectue dans les formes définies par les articles R. 221-33 à R. 221-39 du Code des procédures civiles d’exécution. Ces dispositions empruntent, en matière mobilière, au régime de la vente forcée sur saisie-vente, lequel assure une publicité, une organisation et une transparence optimales des opérations. Toutefois, il convient de distinguer entre les meubles corporels, directement visés par ces textes, et les meubles incorporels, soumis à un régime spécifique.

i. La licitation des meubles corporels

==>Le lieu de la vente

En vertu de l’article R. 221-33 du Code des procédures civiles d’exécution, la détermination du lieu de la vente des meubles dans le cadre d’une licitation obéit à des critères mêlant pragmatisme et efficacité économique. La vente peut être organisée soit au lieu où se trouvent les biens, soit dans une salle des ventes ou tout autre espace public, en fonction de la situation géographique la plus adaptée à solliciter la concurrence tout en minimisant les coûts. 

La localisation des meubles constitue le premier critère à considérer. Organiser la vente sur place permet de limiter les frais de déplacement et de transport des biens, ce qui est particulièrement pertinent lorsque ceux-ci se situent dans une région densément peuplée ou facilement accessible aux enchérisseurs. Toutefois, lorsque le lieu de situation des meubles ne favorise pas une concurrence suffisante, le tribunal peut opter pour un lieu plus stratégique, tel qu’une salle des ventes située dans une zone urbaine ou à proximité d’un marché plus dynamique. Cette approche vise à maximiser le produit de la vente en attirant un nombre accru d’enchérisseurs potentiels.

Le tribunal, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, doit également tenir compte des règles encadrant la compétence territoriale des officiers ministériels chargés de la vente, conformément à l’article 3 de l’ordonnance du 26 juin 1816. Dans les communes où les commissaires-priseurs judiciaires exercent un monopole, leur intervention doit être respectée, sous peine d’irrégularité de la procédure. Ce cadre juridictionnel, bien que contraignant, garantit une cohérence dans l’organisation des ventes tout en respectant les prérogatives des professionnels habilités.

L’organisation de la vente, qu’elle soit réalisée sur place ou dans un lieu public, doit également répondre à une exigence de transparence. En choisissant des espaces accessibles et ouverts à tous les enchérisseurs, la procédure prévient tout risque de collusion ou de manipulation des enchères. Cette publicité garantit ainsi une valorisation optimale des biens tout en renforçant la confiance des parties dans le déroulement de la licitation. Le choix du lieu devient alors un élément central de la procédure, combinant efficacité économique et respect des intérêts des indivisaires.

==>L’information de la vente

  • L’information des copartageants
    • L’article R. 221-35 du CPC prévoit que les indivisaires soient informés par l’officier ministériel des lieu, jour et heure de la vente, au moins huit jours avant celle-ci. 
    • Cette notification, effectuée par lettre simple ou tout autre moyen approprié, garantit que les parties intéressées puissent assister à la vente et défendre leurs droits.
    • Il doit en être fait mention dans le certificat prévu à l’article R. 221-34 du CPCR
  • La publicité de la vente
    • L’article R. 221-34 exige que la vente soit précédée d’une publicité appropriée, réalisée au moins huit jours avant la date fixée pour l’adjudication. 
    • Cette publicité est effectuée par affiches indiquant les lieu, jour et heure de celle-ci et la nature des biens saisis.
    • Les affiches sont apposées à la mairie de la commune où demeure le débiteur saisi et au lieu de la vente. 
    • La publicité obligatoire est faite à l’expiration du délai prévu au dernier alinéa de l’article R. 221-31 et huit jours au moins avant la date fixée pour la vente.
    • La vente peut également être annoncée par voie de presse.
    • L’huissier de justice doit certifier l’accomplissement des formalités de publicité.

==>Les modalités d’adjudication

  • La vérification des biens avant adjudication
    • Avant l’adjudication, l’officier ministériel chargé de la vente procède à une vérification scrupuleuse de la consistance et de la nature des biens à réaliser, conformément aux exigences de l’article R. 221-36 du Code des procédures civiles d’exécution. 
    • Cette formalité consiste à examiner les biens afin de relever tout objet manquant ou dégradé, garantissant ainsi une transparence totale sur les biens soumis aux enchères. 
    • Ce contrôle donne lieu à l’établissement d’un acte, qui constitue une pièce essentielle de la procédure et permet d’assurer la régularité de la vente.
    • Par ailleurs, l’article R. 221-12 du même code confère à l’huissier de justice la faculté de photographier les objets, si cela s’avère nécessaire. 
    • Ces photographies, conservées par l’huissier, servent de preuve objective et fiable dans l’hypothèse où une contestation surviendrait ultérieurement. 
    • Bien que leur communication soit strictement encadrée et ne puisse avoir lieu qu’en cas de litige porté devant le juge, elles renforcent la crédibilité de l’inventaire des biens, en fournissant une documentation visuelle précise.
    • Cette procédure de vérification, bien qu’historiquement liée aux risques spécifiques des saisies, trouve également sa place dans le cadre de la licitation. 
    • Elle vise à prémunir les indivisaires contre tout doute ou litige relatif à l’état des biens mis en vente. 
    • En outre, elle participe de la protection des droits des copartageants en offrant une garantie supplémentaire sur la consistance des biens à liciter.
  • Les conditions de la vente
    • En application de l’article R. 221-37, la vente est faite par un officier ministériel habilité par son statut à procéder à des ventes aux enchères publiques de meubles corporels et, dans les cas prévus par la loi, par des courtiers de marchandises assermentés.
    • L’article R. 221-38 précise que l’adjudication est réalisée au plus offrant, après trois criées.
    • Le prix est payable comptant, et en cas de défaut de paiement par l’adjudicataire, l’objet est revendu sur réitération des enchères, dite “à la folle enchère”.
    • Cette règle vise à garantir la rapidité et l’efficacité des opérations tout en limitant les risques d’impayés.
  • L’établissement de l’acte de vente
    • L’article R. 221-39 prévoit qu’il doit être dressé acte de la vente. 
    • Cet acte contient la désignation des biens vendus, le montant de l’adjudication et l’énonciation déclarée des nom et prénoms des adjudicataires. 
    • Il y est annexé un extrait des inscriptions au registre mentionné à l’article R. 521-1 du code de commerce levé en application de l’article R.221-14-1.
    • Il est procédé, sur justification du paiement du prix, à la radiation des inscriptions de sûretés prises sur les biens vendus du chef du débiteur saisi.

ii. La licitation des meubles incorporels

Les biens incorporels, tels que les droits d’associé ou les valeurs mobilières, échappent au régime classique applicable aux meubles corporels, régi par les articles R. 221-33 à R. 221-39 du Code des procédures civiles d’exécution. En raison de leur nature immatérielle, la licitation de ces biens requiert un encadrement procédural spécifique, énoncé aux articles R. 233-3 à R. 233-9 du même code. Contrairement aux meubles corporels, dont la valeur repose sur leur consistance matérielle, les biens incorporels tirent leur valorisation de droits abstraits, impliquant des règles distinctes adaptées à leurs spécificités juridiques et économiques.

Cette différence de traitement se justifie par la complexité inhérente à ces actifs, qui nécessitent une évaluation préalable approfondie, des formalités de publicité appropriées et la prise en compte de mécanismes contractuels ou statutaires, tels que les droits d’agrément ou de préemption. Ces exigences garantissent la transparence des opérations, la protection des intérêts des parties et la préservation de la sécurité juridique.

Toutefois, le cadre procédural applicable à ces biens incorporels diffère selon que les valeurs mobilières concernées sont ou non admises à la négociation sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation.

==>Les valeurs mobilières admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation

La licitation des valeurs mobilières admises à la négociation sur des marchés réglementés ou des systèmes multilatéraux de négociation est régie par les articles R. 233-3 et R. 233-4 du Code des procédures civiles d’exécution. Ces dispositions établissent un cadre procédural visant à assurer à la fois la simplicité, la rapidité et la transparence des opérations, tout en respectant les droits des débiteurs et des créanciers.

En premier lieu, l’article R. 233-3 confère au débiteur la faculté, dans un délai d’un mois à compter de la signification de la saisie, de donner l’ordre de vendre les valeurs mobilières saisies. Ce délai offre une marge de manœuvre permettant au débiteur de conserver une certaine maîtrise sur la gestion de ses actifs, tout en répondant aux impératifs de la procédure. Il est précisé que « le produit de la vente est indisponible entre les mains de l’intermédiaire habilité pour être affecté spécialement au paiement du créancier ». Cette indisponibilité garantit que les créanciers bénéficient en priorité du produit de la vente, protégeant ainsi leurs droits. En cas de vente excédant les sommes nécessaires pour désintéresser les créanciers, « l’indisponibilité cesse pour le surplus des valeurs mobilières saisies », restituant ainsi le solde au débiteur.

En second lieu, l’article R. 233-4 précise que, jusqu’à la réalisation de la vente forcée, le débiteur conserve la possibilité d’indiquer au tiers saisi l’ordre dans lequel les valeurs mobilières doivent être vendues. Ce pouvoir de priorisation permet d’optimiser la cession des actifs en fonction des préférences ou des contraintes économiques du débiteur. À défaut d’instruction expresse, « aucune contestation n’est recevable sur leur choix », ce qui confère à l’intermédiaire habilité une liberté d’exécution nécessaire à l’efficacité de la procédure.

Le déroulement de la procédure s’articule autour des étapes suivantes :

  • Signification de la saisie au débiteur : cette étape marque le point de départ du délai d’un mois imparti au débiteur pour donner l’ordre de vente des valeurs mobilières saisies, conformément à l’article R. 233-3.
  • Instruction de la vente par le débiteur : le débiteur peut ordonner la vente des valeurs mobilières, en précisant si nécessaire l’ordre dans lequel elles doivent être cédées, en application des articles R. 233-3 et R. 233-4.
  • Vente des valeurs mobilières : l’intermédiaire habilité procède à la vente selon les instructions du débiteur ou, à défaut, selon sa propre appréciation. Les produits de la vente sont indisponibles jusqu’à ce que les créanciers soient désintéressés.
  • Affectation des fonds : le produit de la vente est affecté prioritairement au paiement des créanciers. En cas d’excédent, le surplus est restitué au débiteur, mettant fin à l’indisponibilité.

==>Les valeurs mobilières non admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation

La licitation des valeurs mobilières non admises aux négociations sur des marchés réglementés ou des systèmes multilatéraux de négociation est régie par les articles R. 233-5 à R. 233-9 du Code des procédures civiles d’exécution. 

  • Tentative de vente amiable préalable
    • Conformément à l’article R. 233-5, la procédure débute par une tentative de vente amiable des valeurs mobilières. 
    • Si cette vente ne peut être réalisée dans les conditions prévues aux articles R. 221-30 à R. 221-32, une adjudication judiciaire est alors ordonnée. 
    • Cette étape préalable reflète une volonté de privilégier les solutions consensuelles et de réduire les coûts et les délais associés à une vente judiciaire.
  • Élaboration d’un cahier des charges
    • Avant la mise en vente, un cahier des charges doit être établi en application de l’article R. 233-6. Ce document joue un rôle central dans la procédure, car il contient :
      • Les statuts de la société concernée, afin de permettre une évaluation précise des droits mis en vente.
      • Tout document nécessaire à l’appréciation de la consistance et de la valeur des droits, garantissant ainsi la transparence des informations fournies aux enchérisseurs potentiels. 
    • Il peut être observé que les conventions instituant un agrément ou créant un droit de préférence au profit des associés ne s’imposent à l’adjudicataire que si elles figurent expressément dans le cahier des charges. 
  • Notification du cahier des charges
    • L’article R. 233-7 impose la notification du cahier des charges à la société concernée, qui doit à son tour en informer les associés.
    • Simultanément, une sommation est notifiée aux créanciers opposants, leur permettant de consulter le cahier des charges et, le cas échéant, de formuler des observations sur son contenu. 
    • Ces observations doivent être faites dans un délai de deux mois suivant la notification initiale, après quoi elles ne sont plus recevables. 
    • Ce mécanisme garantit que tous les intéressés disposent d’une opportunité équitable de participer au processus.
  • Publicité de la vente
    • Une fois le cahier des charges validé, une publicité de la vente est organisée conformément à l’article R. 233-8. 
    • Cette publicité doit indiquer les jour, heure et lieu de l’adjudication et est réalisée par voie de presse, voire par affichage si nécessaire. 
    • Elle doit être effectuée dans un délai compris entre quinze jours et un mois avant la date fixée pour la vente. 
    • Par ailleurs, le débiteur, la société et les créanciers opposants doivent être informés de cette date par notification individuelle.
  • Mise en œuvre des mécanismes conventionnels spécifiques
    • Avant l’adjudication, les mécanismes légaux ou conventionnels d’agrément, de préemption ou de substitution sont mis en œuvre conformément à l’article R. 233-9. 
    • Ces mécanismes permettent aux associés ou aux créanciers d’exercer leurs droits conformément aux statuts de la société ou aux conventions en vigueur.
  • Adjudication
    • L’adjudication elle-même suit les principes généraux des ventes judiciaires. 
    • L’adjudicataire, une fois déclaré, devient titulaire des droits incorporels cédés, sous réserve des restrictions éventuelles mentionnées dans le cahier des charges. 
    • Cette étape clôt la procédure et permet d’affecter le produit de la vente au paiement des créanciers, dans le respect des priorités établies.

b. La licitation des immeubles

L’article 1377, alinéa 2 du Code de procédure civile prévoit que « la vente est faite, pour les immeubles, selon les règles prévues aux articles 1271 à 1281 ». Ainsi, la licitation des immeubles dans le cadre d’un partage judiciaire est encadrée par des règles qui établissent un régime spécifique hérité de la tradition juridique antérieure, notamment de l’article 972 de l’ancien Code de procédure civile. Ce dernier renvoyait aux articles 953 et suivants lesquels régissaient la vente des biens immobiliers appartenant à des mineurs, reflétant déjà une volonté de protéger les intérêts des parties les plus vulnérables.

Ces dispositions, désormais modernisées, s’appliquent à la vente judiciaire des immeubles indivis, qu’ils appartiennent à des mineurs, à des majeurs en tutelle ou à plusieurs indivisaires dans le cadre d’un partage. Elles traduisent une continuité dans la recherche d’un équilibre entre la nécessité de mettre fin à l’indivision et la garantie d’une procédure équitable et sécurisée pour toutes les parties. 

i. Détermination des modalités de la vente

Conformément à l’article 1272 du Code de procédure civile, la licitation des biens immobiliers peut être réalisée soit à l’audience des criées, sous la supervision d’un juge désigné, soit devant un notaire commis à cet effet par le tribunal. Ce choix de modalité incombe au tribunal, qui dispose d’un pouvoir discrétionnaire, lui permettant d’opter pour l’une ou l’autre de ces solutions en fonction des circonstances et des intérêts en présence. Ce pouvoir, largement reconnu par la jurisprudence (Cass. civ., 20 janv. 1880, DP 1880, 1, p. 161), dispense le juge de motiver sa décision quant à la désignation d’un notaire ou à la tenue des enchères au tribunal.

Toutefois, une limite s’impose à ce pouvoir discrétionnaire. Lorsque tous les indivisaires, capables et présents, s’accordent unanimement pour demander une vente devant notaire, le tribunal est tenu de respecter cette demande, y compris en ce qui concerne le choix du notaire. Cette prérogative des indivisaires s’inscrit dans une logique de respect de la volonté collective des parties et s’applique indépendamment de la complexité de la situation ou de la nature des biens concernés.

En l’absence d’accord entre les indivisaires, le tribunal conserve l’entière maîtrise des modalités de la vente. Il peut notamment désigner un ou plusieurs notaires pour superviser la licitation. Lorsqu’il commet deux notaires, sans leur attribuer de mission particulière, ces derniers doivent agir de manière concertée. Ils ne peuvent agir indépendamment l’un de l’autre, notamment pour des actes aussi fondamentaux que l’établissement du cahier des charges. Cette exigence vise à garantir une parfaite régularité des opérations.

L’absence d’un notaire dans un tel cadre ne saurait être régularisée par la seule présence de témoins. Toutefois, il a été jugé que le cahier des charges établi par un notaire unique, bien que deux notaires aient été initialement désignés, reste valable dès lors que l’autre partie et son notaire s’étaient volontairement abstenus de comparaître (CA Rennes, 10 juill. 1957).

Le tribunal conserve par ailleurs un pouvoir discrétionnaire concernant le remplacement des notaires désignés. Ainsi, en cas de décès ou d’empêchement d’un notaire, il peut nommer un autre notaire ou, s’il en a désigné plusieurs avec une hiérarchie entre eux, intervertir les rôles initialement définis (Cass. 1ère civ., 9 janv. 1979, n°76-10.880).

Le choix entre la licitation à la barre du tribunal et celle devant notaire repose souvent sur des considérations pratiques. La licitation judiciaire, en raison des garanties procédurales qu’elle offre, est généralement privilégiée lorsqu’il existe des indivisaires mineurs ou incapables. À l’inverse, la licitation devant notaire tend à être plus attractive pour les tiers enchérisseurs, notamment lorsque l’étude notariale est située à proximité du bien immobilier concerné. Ce cadre flexible permet ainsi d’adapter les modalités de la procédure à l’intérêt des indivisaires et aux spécificités de chaque dossier.

ii. Fixation des conditions de vente

Une fois la licitation des biens immobiliers ordonnée, le tribunal est chargé de fixer les conditions essentielles de la vente. Conformément à l’article 1273 du Code de procédure civile, cette prérogative intéresse principalement la détermination de la mise à prix de chaque bien concerné. Le tribunal peut également prévoir que, si aucune enchère n’atteint cette mise à prix initiale, la vente puisse s’effectuer sur une mise à prix inférieure, qu’il fixe lui-même. Ce mécanisme, souvent étagé, vise à garantir la réalisation effective de la vente tout en préservant au mieux les intérêts des indivisaires.

La mise à prix constitue un élément central de la procédure de licitation. Elle correspond au montant minimum à partir duquel les enchères peuvent débuter. Si les indivisaires, tous capables et présents, s’accordent à l’unanimité sur les conditions de la vente, ils peuvent convenir eux-mêmes de cette mise à prix et des modalités y afférentes. Cependant, en l’absence d’un tel accord, il revient au tribunal de trancher et de fixer les conditions de manière souveraine (art. 1377, al. 1er CPC).

Dans l’exercice de cette prérogative, le tribunal dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Il peut, par exemple, décider que la mise à prix initiale pourra être abaissée en cas d’absence d’enchères atteignant ce montant. Ce mécanisme progressif, par paliers successifs (par exemple, un quart ou une moitié en moins), est conçu pour assurer l’attractivité de la vente tout en veillant à ne pas sacrifier la valeur des biens (Cass. 1re civ., 23 juill. 1979, n°78-10.067).

Pour fixer une mise à prix réaliste et adaptée, le tribunal peut ordonner une estimation totale ou partielle des biens si leur consistance ou leur valeur le justifie (art. 1273, al. 2 CPC). Cette mesure est néanmoins facultative et relève de la seule appréciation du juge. Ainsi, le tribunal n’est pas tenu d’ordonner une expertise, même si elle est sollicitée, ni de se conformer aux conclusions du rapport d’un expert lorsqu’il en a désigné un (Cass. 1ère civ., 2 mars 1966). 

En tout état de cause, la fixation des conditions de vente par le tribunal doit reposer sur une analyse, au cas par cas, des circonstances. L’objectif est d’assurer une juste valorisation des biens indivis tout en facilitant leur réalisation lors de la vente. Cette démarche équilibrée tient compte des intérêts des indivisaires et de l’attractivité nécessaire pour susciter l’intérêt des enchérisseurs.

iii. L’établissement du cahier des charges

Le cahier des charges, pièce essentielle de la procédure de licitation, constitue le cadre juridique définissant les modalités de la vente et les engagements des parties. Prévu par l’article 1275 du Code de procédure civile, il doit être établi avec rigueur, car il devient la « loi des parties » une fois déposé. Ce document, obligatoire selon la jurisprudence (Cass. 3e civ., 27 févr. 2002, n°00-15.317), joue un rôle central en structurant les étapes de la vente, garantissant ainsi la transparence et l’équité de la procédure.

==>La rédaction du cahier des charges

Le rédacteur du cahier des charges est désigné en fonction de la modalité choisie pour la licitation :

  • Licitation à l’audience des criées : dans ce cas, l’avocat représentant le copartageant à l’origine de la procédure est chargé de la rédaction. Il lui revient de déposer le cahier des charges au greffe du tribunal, conformément aux règles procédurales applicables. Ce dépôt garantit l’accessibilité du document à toutes les parties intéressées, notamment les autres indivisaires.
  • Licitation devant notaire : lorsque la vente est confiée à un notaire commis par le tribunal, c’est à ce dernier que revient la responsabilité de rédiger le cahier des charges. Cette attribution est cohérente avec les missions du notaire en tant qu’officier public, garantissant la régularité et la sécurité juridique des opérations.

S’agissant du contenu du cahier des charges, il est déterminé par les parties lorsqu’elles parviennent à un accord unanime. À défaut d’un tel accord, il appartient au tribunal de fixer les conditions essentielles de la vente dans son jugement. Ce document doit obligatoirement comporter les éléments suivants :

  • Le jugement ayant ordonné la vente : cette mention permet d’identifier précisément la base légale et la décision judiciaire ayant autorisé la licitation.
  • La description détaillée des biens à vendre : le cahier des charges doit fournir une description précise et exhaustive des biens concernés, y compris leur nature, leur situation géographique et, le cas échéant, leur état locatif. Cette exigence vise à garantir que les enchérisseurs potentiels disposent de toutes les informations nécessaires pour évaluer les biens et formuler des offres éclairées.
  • La mise à prix et les conditions essentielles de la vente : le document doit préciser le montant de la mise à prix fixé par le tribunal ou convenu par les parties, ainsi que les modalités de l’adjudication. Ces conditions incluent notamment les délais de paiement et les éventuelles garanties exigées des enchérisseurs.
  • Vente d’un fonds de commerce : lorsque la vente porte sur un fonds de commerce, le cahier des charges spécifie la nature et la situation tant du fonds que des divers éléments qui le composent, ainsi que les obligations qui seront imposées à l’acquéreur, notamment quant aux marchandises qui garnissent le fonds.

==>La mie à disposition du cahier des charges

Une fois rédigé, le cahier des charges devient un élément essentiel de la procédure de licitation, car il formalise les conditions de vente et sert de référence pour toutes les parties impliquées. Sa mise à disposition est encadrée de manière à garantir une transparence totale et à permettre aux indivisaires, ainsi qu’à tout tiers intéressé, de participer efficacement à la procédure.

Le mode de dépôt ou de mise à disposition du cahier des charges dépend de la modalité de licitation choisie :

  • Dans le cadre d’une licitation à la barre : lorsque la vente a lieu à l’audience des criées, le cahier des charges est déposé au greffe du tribunal. Ce dépôt revêt une importance particulière, car il permet à toutes les parties concernées de prendre connaissance des termes de la vente avant que les enchères ne soient réalisées. Il garantit ainsi l’équité procédurale en offrant à chaque indivisaire une possibilité d’examen des conditions fixées.
  • Dans le cadre d’une licitation devant notaire : lorsque la vente est organisée par un notaire, le cahier des charges est tenu à disposition dans l’étude notariale. Cette modalité, plus flexible, permet une consultation directe par les indivisaires ou par les tiers intéressés, qui peuvent se rendre chez le notaire pour en prendre connaissance. Cela est particulièrement avantageux lorsque le notaire est situé à proximité des biens à vendre, facilitant ainsi l’accès à l’information pour les personnes concernées.

Dans les deux cas, l’objectif de cette mise à disposition est de garantir une information complète et accessible, tout en permettant aux parties de préparer leur éventuelle participation aux enchères ou d’émettre des observations sur le contenu du cahier des charges.

Historiquement, l’ancien article 973 du Code de procédure civile imposait une sommation formelle aux copartageants de prendre connaissance du cahier des charges dans un délai de huit jours suivant son dépôt. Cette disposition visait à instituer une procédure rigoureuse, offrant un cadre temporel précis pour s’assurer que chaque partie avait été informée des conditions de la vente et pouvait, en cas de désaccord, soulever des observations ou contestations.

En cas de difficulté ou de litige concernant le cahier des charges, les contestations étaient réglées à l’audience, permettant au tribunal d’intervenir pour trancher les désaccords. Cette procédure renforçait la sécurité juridique et offrait une voie directe de résolution des différends avant la tenue des enchères.

Cependant, cette exigence de sommation formelle n’a pas été reprise dans les textes actuels. Son absence a été critiquée, car elle laisse une zone d’incertitude quant à la manière dont les parties doivent être informées. En pratique, cette lacune impose désormais aux tribunaux une responsabilité accrue pour s’assurer que les indivisaires et les autres parties intéressées soient dûment informés et disposent d’une possibilité effective de consultation.

Bien que les textes actuels ne prévoient plus de sommation formelle, la nécessité d’informer les parties reste une exigence implicite. Les juridictions, en particulier dans le cadre des licitations à la barre, veillent à ce que les copartageants soient informés de la mise à disposition du cahier des charges et disposent d’un délai raisonnable pour en prendre connaissance.

Il est souvent palier à ce silence textuel par les pratiques notariales ou judiciaires. Les notaires, par exemple, adoptent des mesures pratiques pour garantir l’accessibilité du cahier des charges, notamment en informant directement les indivisaires ou en utilisant des moyens de communication modernes comme les courriers électroniques. De même, les greffes des tribunaux facilitent la consultation des documents déposés.

Le cahier des charges, en plus de constituer un cadre pour la vente, permet aux indivisaires et aux tiers intéressés d’exercer pleinement leurs droits. Sa consultation préalable est cruciale pour que les parties puissent :

  • Vérifier les conditions de la vente et la mise à prix fixée ;
  • Identifier les éventuelles erreurs ou omissions dans la description des biens ;
  • Proposer des rectifications ou formuler des observations avant l’enchère.

Les éventuels désaccords ou observations des parties peuvent être soumis au tribunal ou au notaire, selon la modalité de licitation choisie, avant la finalisation de la vente. Ainsi, le cahier des charges joue un rôle non seulement informatif, mais également participatif, en permettant aux parties de contribuer au bon déroulement de la procédure.

==>La force obligatoire du cahier des charges

Il est admis que le cahier des charges s’analyse comme une véritable offre de vente formulée aux conditions qu’il définit, son acceptation par l’adjudicataire entraînant la formation du contrat (art. 1103 C. civ.). Ce document, qui fixe les règles et conditions essentielles de la vente, tient ainsi lieu de « loi aux parties » et ne peut être modifié unilatéralement après son dépôt.

En effet, une fois déposé au greffe ou tenu à disposition dans l’étude notariale, le cahier des charges acquiert une force obligatoire. En conséquence, aucun copartageant ne peut le modifier de manière unilatérale. Cette règle a été consacrée par la jurisprudence, qui a affirmé que toute tentative de modification sans l’accord des autres parties est nulle et non avenue (Cass. 1re civ., 27 janv. 1998, n°95-15.296). 

Toutefois, avant qu’il ne devienne définitif, le cahier des charges n’est qu’un projet, soumis à l’approbation des indivisaires. Cette étape préliminaire permet aux parties de proposer des rectifications légitimes, lesquelles doivent être intégrées, sous réserve d’un consensus. En cas de désaccord persistant entre les indivisaires, ces rectifications peuvent être soumises à l’appréciation du tribunal, qui tranchera la question.

Le notaire ou l’avocat chargé de la rédaction du cahier des charges agit comme mandataire des parties. À ce titre, il doit prendre en considération la volonté collective des indivisaires et veiller à exprimer fidèlement leurs intérêts communs. Bien qu’il dispose d’une certaine autonomie dans la rédaction du document, il a l’obligation d’accueillir favorablement toute demande de modification justifiée par l’un des indivisaires et de consulter les autres parties sur ces propositions.

Ce rôle de mandataire implique également une responsabilité en cas d’omission ou d’erreur dans le cahier des charges. Si le rédacteur néglige de prendre en compte des observations légitimes ou ne respecte pas les exigences légales, les parties concernées peuvent solliciter une révision du document ou engager sa responsabilité.

La jurisprudence, notamment par un arrêt de la Cour de cassation du 25 octobre 1972, a rappelé qu’il est possible, même après qu’une décision irrévocable a ordonné une licitation, de demander la stipulation d’une clause dans le cahier des charges, sous réserve que cette demande ne porte pas sur un point ayant acquis l’autorité de la chose jugée (Cass. 1ère civ., 25 oct. 1972, n°71-11.018).

Dans cette affaire, la Cour d’appel avait rejeté une demande d’ajout d’une clause d’attribution préférentielle d’une villa au motif qu’un arrêt antérieur, devenu irrévocable, avait ordonné une licitation « pure et simple ». Toutefois, la Cour de cassation a censuré cette position en considérant que l’arrêt antérieur n’avait pas statué sur la question de l’attribution préférentielle et ne pouvait donc avoir autorité de chose jugée sur ce point. Elle a précisé que l’autorité de la chose jugée ne s’applique qu’aux éléments expressément tranchés par la décision initiale, laissant ainsi la possibilité d’adapter le cahier des charges à des éléments non réglés dans le jugement de licitation.

Cette souplesse dans l’élaboration ou la modification du cahier des charges est toutefois encadrée par des limites strictes. Une fois la licitation réalisée, les possibilités de modification deviennent considérablement réduites. Par exemple, une clause stipulée au profit d’un indivisaire mais non approuvée par les autres copartageants ne peut leur être imposée. Cette position a été clairement établie par la jurisprudence (Cass. Com., 4 févr. 1970, n° 68-11.811).

En outre, une « déclaration d’adjudicataire » déposée après l’adjudication, sans être reprise dans le cahier des charges, est considérée comme nulle. La Cour de cassation, dans un arrêt du 27 janvier 1998 a fermement rappelé que le cahier des charges fait la loi des parties (Cass. 1ère civ. 1re, 27 janv. 1998, n°95-15.296). En l’espèce, une déclaration déposée postérieurement à l’adjudication, par laquelle certains indivisaires tentaient de modifier les modalités de la vente pour prévoir une attribution à titre de partage et non de licitation, n’a pas été reconnue comme valable.

La Haute juridiction a souligné que le cahier des charges, qui fixe les conditions essentielles de la vente, est un document juridiquement contraignant. Une fois adopté, il constitue un cadre immuable qui ne peut être modifié que dans les formes prévues par la procédure. La « déclaration d’adjudicataire » en question, déposée après l’adjudication, n’ayant pas été reprise dans le cahier des charges avant cette dernière, n’avait donc aucune valeur juridique et ne pouvait être opposée ni aux autres indivisaires ni au nouvel adjudicataire.

En refusant de donner effet à cette déclaration tardive, la Cour de cassation a réaffirmé non seulement la force obligatoire du cahier des charges, mais également l’exigence de rigueur et de sécurité juridique qui préside à la procédure de licitation. En effet, permettre de telles modifications après coup compromettrait l’équité entre les parties et ouvrirait la voie à des contestations pouvant déstabiliser le processus de vente.

Ainsi, cette solution, protectrice des droits des parties, garantit que les termes de la vente restent inchangés après leur adoption, conformément au principe de force obligatoire des conventions (art. 1103 C. civ.). En l’absence de toute stipulation préalable dans le cahier des charges, une déclaration postérieure ne saurait avoir d’effet juridique, quel que soit son contenu ou les intentions des parties concernées.

==>Les clauses spécifiques du cahier des charges

Le cahier des charges peut comporter des clauses spécifiques destinées à encadrer la procédure et à clarifier les droits des parties. Parmi celles-ci, deux clauses méritent une attention particulière : la clause de substitution et la mention relative à l’état locatif des biens.

  • La clause de substitution
    • La clause de substitution permet à un indivisaire de se substituer à l’adjudicataire tiers dans un délai déterminé, sous réserve des conditions précisées dans le cahier des charges. 
    • Cette clause, parfaitement licite au regard de l’article 1102 du Code civil, s’analyse en un prolongement des droits de substitution déjà prévus par l’article 815-15 du Code civil. 
    • Tandis que ce dernier s’applique uniquement lorsque l’adjudication porte sur les droits indivis d’un indivisaire, la clause stipulée dans le cahier des charges peut élargir ce droit à l’ensemble des biens indivis.
    • La jurisprudence a confirmé la validité de cette clause, en précisant qu’elle doit figurer dans le cahier des charges pour produire ses effets. 
    • Ainsi, dans un arrêt du 17 mars 2010, il a été jugé par la Cour de cassation que « le cahier des charges faisant la loi des parties à l’adjudication », une clause de substitution figurant dans celui-ci est parfaitement valable (Cass. 1ère civ., 17 mars 2010, n°08-21.554). 
    • A cet égard, lorsque plusieurs indivisaires invoquent la clause, la substitution est accordée à celui qui en fait la demande en premier, conformément au principe prior tempore potior jure (Cass. 1ère civ., 7 oct. 1997, n°95-17.071).
    • Enfin, le cahier des charges peut exiger le dépôt préalable du prix d’adjudication par l’indivisaire souhaitant exercer la substitution (Cass. 2e civ., 6 oct. 1993, n°90-18.590). 
    • Cette condition vise à prévenir toute contestation ultérieure et à garantir la sécurité de la transaction.
  • La mention relative à l’état locatif des biens
    • Le cahier des charges doit également comporter une mention sur l’état locatif des biens, en application de l’article 1112-1 du Code civil. 
    • Cette obligation d’information permet à l’adjudicataire de connaître l’existence éventuelle de baux en cours, ceux-ci étant opposables, même s’ils ont été conclus par un seul des indivisaires (Cass. 1ère civ., 19 mars 1991, n°89-20.352).
    • La jurisprudence a fermement établi qu’un bail régulièrement consenti par un indivisaire engage l’adjudicataire, lequel devra le respecter (Cass. 1ère civ., 18 juin 1973, n° 72-11.239).
    • En revanche, si un doute persiste quant aux droits du locataire, notamment en cas de contentieux en cours, une mention explicative doit figurer dans le cahier des charges (Cass. 2e civ., 13 nov. 1959).
    • Par ailleurs, l’absence d’une telle mention dans le cahier des charges pourrait engager la responsabilité du rédacteur si elle entraîne un préjudice pour l’adjudicataire. 
    • Toutefois, cette responsabilité ne saurait être retenue si l’adjudicataire avait connaissance de l’existence du bail (Cass. 1ère civ., 26 nov. 1996, n°94-20.334).

iv. La publicité de la vente

La publicité de la vente est une étape importante de la procédure de licitation, car elle vise à garantir à la fois la transparence et une concurrence loyale entre les enchérisseurs potentiels. Elle est encadrée par l’article 1274 du Code de procédure civile, qui confère au tribunal la mission de déterminer les modalités de cette publicité en tenant compte de trois critères : la valeur, la nature et la situation des biens concernés.

==>Les critères d’appréciation du juge

Le tribunal exerce un pouvoir discrétionnaire pour adapter les modalités de publicité aux spécificités du bien à vendre. Ainsi, il doit tenir compte : 

  • De la valeur du bien : un bien immobilier de grande valeur peut nécessiter une publicité plus large, par exemple au niveau national, afin d’attirer des acquéreurs disposant des ressources nécessaires. À l’inverse, pour un bien de moindre valeur, une publicité locale peut suffire.
  • De la nature du bien : un immeuble résidentiel, un local commercial ou un terrain nu n’attireront pas le même type d’enchérisseurs. Le choix des supports publicitaires doit donc être adapté au public cible.
  • De la situation géographique des biens : les biens situés dans des zones rurales, moins fréquentées, peuvent nécessiter une publicité étendue pour compenser leur faible visibilité locale, tandis que les biens situés en centre-ville peuvent bénéficier d’une couverture plus ciblée.

==>Les formes de publicité

En pratique, la publicité prend des formes variées, définies en fonction des critères précités et des usages locaux. 

Elle inclut généralement :

  • Des annonces dans des journaux : les annonces légales publiées dans des journaux spécialisés ou locaux constituent une méthode classique de publicité. Ces annonces doivent préciser les informations essentielles, telles que la description du bien, la mise à prix, la date et le lieu de l’adjudication.
  • Des affiches : l’apposition d’affiches sur les lieux du bien est également une méthode fréquente, permettant d’informer les riverains et les passants.
  • D’autres moyens adaptés : le tribunal peut également prescrire l’utilisation de supports numériques, comme des annonces sur des sites spécialisés dans les ventes immobilières, ou encore des campagnes de diffusion via des agences immobilières.

==>Finalité de la publicité

La principale finalité de la publicité est de garantir une information large et accessible, afin d’attirer un maximum d’enchérisseurs potentiels. Cette mise en concurrence permet de maximiser le prix obtenu lors de la vente, ce qui est dans l’intérêt des indivisaires. En outre, la publicité renforce la transparence de la procédure, en minimisant les risques de contestation liés à un manque d’information.

==>Contrôle des mesures de publicité

Le tribunal joue un rôle central dans le contrôle de la publicité. Il peut, si nécessaire, exiger des preuves de la réalisation des mesures publicitaires prescrites, comme des attestations de publication ou des photographies des affiches apposées. 

En cas de manquement aux modalités fixées, la procédure de vente pourrait être annulée, mettant en jeu la responsabilité du rédacteur du cahier des charges ou des officiers publics impliqués.

v. L’information des indivisaires

L’article 1276 du Code de procédure civile institue une obligation d’informer les indivisaires de la vente d’un bien indivis au moins un mois avant la réalisation de cette dernière. 

Cette notification de la vente aux indivisaires conditionne la régularité de la procédure. Elle vise à garantir que chaque indivisaire, qu’il soit présent ou absent, puisse prendre connaissance de l’opération envisagée et exercer ses droits, notamment celui de contester ou d’intervenir dans la procédure. En effet, la vente d’un bien indivis affecte directement les droits patrimoniaux des indivisaires, qui détiennent chacun une quote-part dans l’indivision.

Le délai d’un mois prévu par l’article 1276 constitue un minimum légal, permettant à chaque indivisaire de disposer du temps nécessaire pour évaluer l’opération, solliciter des conseils juridiques ou formuler d’éventuelles observations. Ce délai doit être strictement respecté, sous peine de nullité de la procédure.

Le soin de notifier la vente aux indivisaires incombe au rédacteur du cahier des charges, généralement un notaire ou un avocat désigné dans le cadre de la procédure. Ce professionnel a une mission essentielle : veiller à ce que tous les indivisaires, sans exception, soient informés de manière claire et précise. Cette notification doit mentionner les éléments suivants :

  • La date et le lieu de la vente ;
  • Les modalités de cette dernière (vente amiable ou vente judiciaire) ;
  • Les informations relatives au bien vendu (descriptif, mise à prix, etc.) ;
  • Les droits dont disposent les indivisaires, notamment la possibilité d’en contester les conditions.

Le rédacteur du cahier des charges doit s’assurer que la notification soit effectuée par un moyen permettant d’en garantir la réception, par exemple par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte d’huissier. En cas de difficulté, notamment en cas d’indivisaires introuvables ou absents, le professionnel peut solliciter l’autorisation du juge afin de procéder à une notification par voie de publication ou par tout autre moyen adapté.

L’absence ou l’insuffisance de la notification peut entraîner de lourdes conséquences juridiques. En cas de non-respect de cette obligation, l’indivisaire lésé dispose d’un recours en annulation de la vente. La jurisprudence est constante sur ce point, estimant que toute atteinte aux droits procéduraux des indivisaires constitue une irrégularité substantielle.

En outre, l’absence de notification peut également engager la responsabilité civile du rédacteur du cahier des charges, si ce manquement cause un préjudice aux indivisaires. Par exemple, si la vente est annulée en raison de cette irrégularité, les frais supplémentaires engagés pourront être réclamés au professionnel défaillant.

Dans les situations où les indivisaires sont en conflit ou en cas de difficulté particulière dans la gestion de l’indivision, cette obligation d’information revêt une importance particulière. Elle permet d’éviter que certains indivisaires ne soient écartés des décisions importantes et garantit que la vente s’effectue dans des conditions transparentes et conformes aux règles légales.

vi. La procédure d’adjudication

L’adjudication d’un bien indivis, qu’elle soit réalisée à la barre du tribunal ou devant un notaire, constitue une étape cruciale du processus de vente. Régie par les articles 1277 et 1278 du Code de procédure civile ainsi que par les dispositions spécifiques du Code des procédures civiles d’exécution, cette phase requiert un respect rigoureux des règles de publicité et des formalités prescrites. Ces règles, empruntées à la saisie immobilière, visent à garantir la transparence et l’équité de la procédure tout en protégeant les intérêts des parties concernées.

==>Les règles générales d’adjudication

  • Les modalités d’adjudication
    • L’adjudication se tient selon les modalités fixées par le tribunal dans le cadre de la vente en indivision. Elle peut se dérouler dans deux contextes distincts :
      • À l’audience des criées : les enchères doivent être portées par le ministère d’un avocat, conformément à l’article R. 322-40 du Code des procédures civiles d’exécution. L’avocat, en sa qualité de mandataire de l’acheteur, ne peut être porteur que d’un seul mandat, ce qui garantit l’intégrité et l’indépendance de la procédure.
      • Devant un notaire : dans ce cas, les enchères peuvent être reçues directement par ce dernier, sans que le recours au ministère d’un avocat soit requis (CPC, art. 1278, al. 2). Ce mécanisme vise à simplifier la procédure tout en assurant la sécurité juridique grâce à l’intervention d’un officier public.
  • La capacité des enchérisseurs
    • L’article R. 322-39 du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE) établit des restrictions quant aux personnes pouvant participer aux enchères publiques lors d’une procédure d’adjudication. 
    • Ces restrictions visent à prévenir les conflits d’intérêts, à protéger l’intégrité de la procédure et à maintenir la confiance des parties impliquées et du public dans la transparence des opérations.
    • Au nombre des personnes frappées d’une encapacité de participer aux enchères figurent :
      • Le débiteur saisi
        • Le débiteur saisi est interdit de participer aux enchères, que ce soit directement ou par personne interposée. 
        • Cette interdiction s’applique essentiellement dans le cadre des ventes sur saisie immobilière mais peut être étendue par analogie aux ventes en licitation judiciaire lorsqu’un indivisaire demande la vente.
        • Cette incapacité vise à éviter que le débiteur, tenu de vendre ses biens pour apurer ses dettes ou régler une situation d’indivision, ne puisse racheter son propre bien pour échapper à l’obligation de paiement.
        • Une telle participation compromettrait la finalité de la procédure, qui est d’organiser une redistribution équitable du produit de la vente entre créanciers ou indivisaires.
      • Les auxiliaires de justice ayant participé à la procédure
        • Les auxiliaires de justice étant intervenu dans la procédure à un quelconque titre (avocats, notaires, huissiers, ou même mandataires judiciaires) sont également frappés d’une incapacité de participer aux enchères.
        • Cette interdiction s’explique par leur rôle central dans le bon déroulement de la procédure : ces professionnels doivent garantir l’impartialité et l’équilibre entre les parties.
        • Une participation de leur part serait perçue comme contraire à leur obligation de neutralité et pourrait engendrer des soupçons de conflit d’intérêts ou de favoritisme.
        • Exemple : un avocat qui a rédigé le cahier des charges ou représenté une des parties dans la procédure pourrait être accusé d’avoir utilisé ses connaissances privilégiées pour influencer ou manipuler le processus.
      • Les magistrats de la juridiction ayant ordonné la vente
        • Les magistrats ayant pris part à la juridiction où la vente a été ordonnée ou supervisée sont également exclus des enchères.
        • Cette incapacité découle directement des principes de séparation des pouvoirs et d’impartialité de la justice.
        • Permettre à un magistrat de participer aux enchères soulèverait des doutes sur la légitimité des décisions rendues, notamment en cas de fixation d’une mise à prix jugée favorable ou d’autres conditions de vente.
    • La participation d’une personne frappée d’incapacité peut entraîner des conséquences importantes :
        • Nullité de l’enchère et de l’adjudication : toute enchère portée par une personne incapable est frappée de nullité (articles R. 322-48 et R. 322-49 du CPCE).
        • Responsabilité disciplinaire ou pénale : Pour les auxiliaires de justice ou magistrats, une telle participation pourrait donner lieu à des poursuites disciplinaires pour manquement à leurs obligations professionnelles, voire à des sanctions pénales en cas de collusion ou d’abus de fonction.
  • La représentation des enchérisseurs
    • La représentation des enchérisseurs lors d’une adjudication diffère selon que la procédure se déroule devant le tribunal ou devant un notaire. 
      • Ministère obligatoire d’un avocat devant le tribunal
        • Lorsqu’une adjudication se déroule à la barre du tribunal, les enchères doivent obligatoirement être portées par le ministère d’un avocat inscrit au barreau du tribunal judiciaire compétent. Cette obligation poursuit plusieurs objectifs essentiels :
          • Garantir la sécurité juridique : l’avocat, en tant que professionnel du droit, maîtrise les règles de la procédure et peut éviter à son mandant des erreurs susceptibles d’entraîner la nullité des enchères ou des contestations.
          • Assurer la transparence et l’équité de la procédure : en n’autorisant qu’un avocat par enchérisseur, le législateur prévient tout conflit d’intérêts ou stratégie dilatoire. En effet, l’article R. 322-40 du CPCE stipule que l’avocat ne peut représenter qu’un seul client, ce qui garantit l’impartialité des enchères.
          • Encadrer les garanties financières : avant de porter une enchère, l’avocat doit se faire remettre par son client une caution bancaire ou un chèque de banque couvrant au moins 10 % de la mise à prix, conformément à l’article R. 322-41 du CPCE.
        • Cette garantie vise à éviter que des enchères soient portées par des personnes insolvables.
        • L’avocat agit en qualité de mandataire exclusif de l’enchérisseur.
        • A cet égard, il est responsable de vérifier que son mandant respecte les exigences de capacité (articles R. 322-39 et R. 322-41-1 du CPCE) et qu’il dispose des moyens financiers nécessaires.
        • À l’issue de l’audience, il déclare au greffier l’identité de son mandant et fournit les documents requis, notamment les attestations de capacité ou de garanties financières (article R. 322-46 du CPCE).
      • Dispense de représentation par avocat devant le notaire
        • En application de l’article 1278, alinéa 2, du Code de procédure civile, les enchères portées devant un notaire ne nécessitent pas le ministère d’un avocat. 
        • La raison en est que les enchères devant un notaire sont souvent moins formelles que celles organisées par un tribunal.
        • Par ailleurs, en tant qu’officier public, le notaire est lui-même garant de la sécurité juridique et peut remplir certaines fonctions qu’un avocat aurait assumées devant le tribunal.
        • En outre, lorsqu’une licitation judiciaire est organisée devant un notaire, les participants sont souvent limités aux indivisaires ou à des tiers connus, ce qui réduit le risque de contentieux.
        • Bien que le ministère d’avocat ne soit pas obligatoire, le notaire doit veiller à l’application des règles essentielles, notamment :
          • Le respect des dispositions prévues dans le cahier des charges.
          • Le respect des garanties financières prévues à l’article R. 322-41 du CPCE ;
          • L’application des règles d’incapacité posées par l’article R. 322-39 du CPCE, excluant notamment les magistrats et auxiliaires de justice impliqués dans la procédure.
        • Enfin, c’est au notaire, qu’il incombe de rédiger le procès-verbal d’adjudication, qui constitue la base du titre de propriété.

==>Déroulement de l’audience d’adjudication

L’audience d’adjudication est le moment décisif de la procédure, où les enchères sont portées publiquement afin de déterminer l’adjudicataire final du bien indivis. Elle est encadrée par des règles strictes prévues par le Code des procédures civiles d’exécution (CPCE), afin de garantir la transparence, l’équité et la sécurité juridique des opérations. L’audience se déroule en plusieurs phases :

  • Ouverture des enchères
    • Annonce des frais
      • conformément à l’article R. 322-42 du CPCE, le juge ouvre les enchères en commençant par annoncer publiquement les frais liés à la procédure, notamment :
        • Les frais de poursuite, engagés par le créancier poursuivant pour mener à bien la procédure.
        • Les frais de surenchère, si applicable, justifiés par le surenchérisseur éventuel.
      • Cette étape garantit que l’ensemble des participants soit informé des coûts qui s’ajouteront au prix d’adjudication.
      • Toute somme exigée au-delà des frais annoncés est réputée non écrite.
    • Rappel du montant de la mise à prix
      • Ensuite, le juge rappelle que les enchères partiront du montant de la mise à prix, tel que fixé dans le cahier des charges ou par une décision judiciaire (article R. 322-43 du CPCE).
      • La mise à prix est le montant minimal en dessous duquel aucune enchère ne peut être validée, sauf en cas de remise en vente à prix réduit (prévue par l’article R. 322-47 du CPCE).
      • Ce rappel par le juge vise à garantir que les enchères débutent sur une base claire et connue de tous les participants.
      • Cette étape marque l’ouverture officielle des enchères et donne le cadre dans lequel elles se dérouleront.
  • Port des enchères
    • Le port des enchères suit des règles strictes, destinées à garantir l’équité entre les participants et à permettre une progression ordonnée des offres.
      • Des enchères pures et simples (article R. 322-44 du CPCE)
        • Les enchères doivent être pures et simples, c’est-à-dire :
          • Sans condition ni réserve : Chaque enchère est définitive et engage immédiatement celui qui la porte.
          • Progression obligatoire : Chaque enchère doit couvrir l’enchère précédente, ce qui exclut les offres inférieures ou égales à la dernière enchère.
        • Ce principe assure une montée progressive des offres et empêche tout blocage ou stratégie dilatoire de la part des participants.
      • Temps limite pour les enchères (article R. 322-45 du CPCE)
        • Les enchères sont arrêtées dès lors qu’un délai de 90 secondes s’écoule sans qu’aucune nouvelle enchère ne soit portée.
        • Ce délai est mesuré par un système visuel ou sonore, qui signale au public chaque seconde écoulée.
        • Ce mécanisme évite les hésitations prolongées et favorise un déroulement fluide de l’audience.
        • Ce temps limite est particulièrement utile pour clôturer les enchères dans un cadre clair, en laissant une opportunité raisonnable aux participants de se manifester sans prolonger inutilement la procédure.
  • Constatation de l’adjudication
    • Une fois les enchères arrêtées, le juge constate immédiatement le montant de la dernière enchère et en tire les conséquences juridiques :
      • Si la dernière enchère atteint ou dépasse la mise à prix, l’adjudication est définitive. 
      • Dans le cas contraire, une adjudication provisoire peut être prononcée en attendant une éventuelle nouvelle audience, conformément à l’article 1277 du Code de procédure civile.
      • Le juge établit un procès-verbal d’adjudication, qui formalise le transfert du bien à l’enchérisseur déclaré adjudicataire.
      • Ce procès-verbal servira de base pour la délivrance du titre de propriété (article R. 322-59 du CPCE).

==>Conséquences de l’adjudication

L’adjudication, point culminant de la vente aux enchères, peut être qualifiée de définitive ou provisoire selon que l’enchère atteint ou non le montant de la mise à prix fixée. Chaque qualification, encadrée par les dispositions du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE) et du Code de procédure civile, emporte des conséquences juridiques et pratiques distinctes.

  • L’enchère atteint le montant de la mise à prix : l’adjudication définitive
    • L’adjudication est qualifiée de définitive dès lors que l’enchère couvre ou dépasse le montant fixé comme mise à prix dans le cahier des charges ou par décision judiciaire. 
    • Conformément à l’article R. 322-45 du CPCE, le juge constate immédiatement cette adjudication, ce qui engage irrévocablement l’enchérisseur déclaré adjudicataire.
    • L’adjudication définitive emporte des effets juridiques majeurs. 
    • Elle entraîne d’abord le transfert de propriété au bénéfice de l’adjudicataire, sous réserve du paiement intégral du prix d’adjudication et des frais taxés. 
    • Ce transfert de propriété est juridiquement certain et opposable aux tiers dès la prononciation du jugement d’adjudication. 
    • Ainsi, l’adjudication garantit aux créanciers ou indivisaires que le bien a été vendu à un prix conforme aux attentes, qu’il s’agisse de la mise à prix initiale ou des conditions du marché.
    • L’adjudicataire a également l’obligation de s’acquitter du prix et des frais dans les délais prescrits par la loi. 
    • En cas de défaillance, il s’expose à une réitération des enchères, assortie de sanctions financières, conformément à l’article R. 322-66 du CPCE. 
    • Ce mécanisme vise à protéger les intérêts des créanciers ou indivisaires en assurant que l’adjudication atteigne son objectif final.
  • L’enchère n’atteint pas le montant de la mise à prix : l’adjudication provisoire ou la remise en vente
    • Lorsque les enchères ne permettent pas de couvrir la mise à prix fixée dans le cahier des charges ou par décision judiciaire, la procédure prévoit deux issues distinctes : la remise en vente immédiate ou l’adjudication provisoire.
      • La remise en vente immédiate bien (article R. 322-47 du CPCE)
        • Si aucune enchère ne parvient à couvrir le montant de la mise à prix initiale, le juge peut prévoir, dès l’établissement du cahier des charges, une remise en vente immédiate du bien.
        • La remise en vente immédiate repose sur un mécanisme de réduction successive de la mise à prix. 
        • Le montant de la mise à prix peut être progressivement diminué par paliers, afin d’accroître les chances de susciter l’intérêt des enchérisseurs. 
        • Ce processus se poursuit jusqu’à ce qu’une enchère soit portée ou, à défaut, jusqu’au montant minimal prévu dans le cahier des charges.
        • Cette nouvelle mise en vente est organisée dans les mêmes conditions de publicité et de transparence que l’adjudication initiale. 
        • Les formalités légales de publicité doivent être respectées pour garantir que les nouvelles conditions de la vente soient portées à la connaissance de tous les participants potentiels, assurant ainsi l’équité de la procédure.
        • L’objectif principal de la remise en vente est d’éviter une situation de blocage qui pourrait compromettre la vente.
        • En procédant ainsi, le juge maximise les opportunités de trouver un acquéreur tout en préservant les intérêts économiques des indivisaires ou des créanciers concernés.
      • Adjudication provisoire (article 1277 du Code de procédure civile)
        • Si le cahier des charges ou la décision du juge n’autorise pas une remise en vente immédiate, une adjudication provisoire peut être prononcée au profit de l’enchérisseur ayant formulé l’offre la plus élevée, même si cette dernière reste inférieure au montant de la mise à prix.
        • Contrairement à l’adjudication définitive, l’adjudication provisoire n’emporte pas de transfert immédiat de propriété. 
        • Elle confère à l’adjudicataire un droit conditionnel, subordonné à une validation ultérieure par le tribunal. Cette situation permet de temporiser, tout en maintenant la procédure ouverte.
        • Le rôle du tribunal, tel que prévu à l’article 1277, alinéa 2, du Code de procédure civile, est central dans cette configuration.
        • Une fois saisi à la requête d’une partie intéressée, qu’il s’agisse d’un indivisaire ou d’un créancier, le tribunal dispose de deux options :
          • Valider l’adjudication provisoire : si les conditions sont jugées acceptables, l’adjudication provisoire devient définitive. La propriété est alors transférée à l’adjudicataire sous réserve du paiement du prix et des frais.
          • Ordonner une nouvelle vente : si le tribunal estime que l’adjudication provisoire ne permet pas de satisfaire les intérêts des parties, notamment en raison d’un prix insuffisant, il peut décider de procéder à une nouvelle adjudication. Cette nouvelle vente doit être organisée dans un délai minimum de 15 jours. Elle implique une nouvelle mise à prix, adaptée à la situation, ainsi que des formalités de publicité conformes aux exigences légales pour assurer une transparence optimale.

==>Jugement d’adjudication et titre de vente

  • La fonction du jugement d’adjudication
    • Le jugement d’adjudication constitue l’acte juridique par excellence constatant le transfert de propriété du bien vendu aux enchères. 
    • Cet acte, établi par le juge ayant supervisé la procédure, remplit une double fonction : il constate l’attribution du bien à l’adjudicataire et rend ce transfert de propriété opposable aux tiers.
    • En premier lieu, le jugement d’adjudication matérialise juridiquement l’attribution du bien à l’enchérisseur ayant remporté l’adjudication. Il ne s’agit pas seulement d’un constat formel, mais bien d’un acte fondateur conférant à l’adjudicataire la possibilité d’exercer pleinement ses droits sur le bien, sous réserve du paiement intégral du prix et des frais.
    • En second lieu, et conformément à l’article R. 322-59 du Code des procédures civiles d’exécution, le jugement d’adjudication ne se limite pas à constater l’achèvement de la procédure d’adjudication. Son établissement est également une condition préalable à l’inscription des droits de propriété de l’adjudicataire au registre foncier. En effet, l’inscription au registre foncier, qui garantit la publicité et l’opposabilité des droits de propriété, ne peut être réalisée sans ce jugement, lequel sert de fondement à l’ensemble des démarches postérieures.
  • Les mentions obligatoires du jugement
    • Le jugement d’adjudication doit comporter plusieurs mentions obligatoires, prévues à l’article R. 322-59 du Code des procédures civiles d’exécution.
      • Référence au cahier des charges
        • Le jugement doit mentionner le cahier des charges qui régit les conditions de la vente. 
        • Pour mémoire, ce document encadre les modalités de l’adjudication et les obligations de l’adjudicataire. 
        • En faisant référence à ce cahier, le jugement garantit que l’adjudication a respecté les conditions fixées.
      • Formalités de publicité accomplies
        • Le jugement doit préciser les actes de publicité réalisés ainsi que leurs dates. 
        • Ces formalités assurent que la procédure a été menée de manière transparente, permettant à tous les participants potentiels d’être informés de la vente. 
        • Une omission ou une irrégularité dans l’accomplissement de ces formalités pourrait affecter la validité de l’adjudication.
        • La mention des publicités dans le jugement offre ainsi une preuve que tous les participants potentiels ont pu être informés de manière adéquate, évitant ainsi toute contestation ultérieure sur ce fondement
  • Désignation du bien vendu
    • Une description précise de l’immeuble objet de l’adjudication est nécessaire. 
    • Cette désignation doit comporter les informations essentielles permettant d’identifier sans ambiguïté le bien concerné, telles que l’adresse, les références cadastrales, et, le cas échéant, ses caractéristiques spécifiques (surface, nature du bien, etc.). 
    • Cette exigence vise à écarter tout risque de confusion ou de litige concernant le bien transféré, garantissant ainsi que les droits de l’adjudicataire portent sur un objet clairement défini.
  • Identité de l’adjudicataire et montant de l’adjudication
    • Le jugement doit mentionner avec précision l’identité de l’adjudicataire, en indiquant ses nom et prénom, ou, dans le cas d’une personne morale, sa dénomination sociale et son numéro SIREN. 
    • Par ailleurs, le montant exact de l’enchère retenue ainsi que les frais taxés liés à la procédure doivent être expressément indiqués. 
    • Ces informations permettent non seulement d’identifier l’acquéreur de manière claire, mais aussi de calculer les montants à répartir entre les créanciers ou les indivisaires, garantissant ainsi la transparence financière de l’opération.
  • La délivrance du titre de vente
    • Une fois le jugement d’adjudication établi, celui-ci est revêtu de la formule exécutoire et remis à l’adjudicataire. 
    • Cette formalité, prévue à l’article R. 322-62 du Code des procédures civiles d’exécution, constitue l’aboutissement de la procédure d’adjudication. 
    • Elle confère à l’adjudicataire un titre de propriété officiel, permettant de faire valoir ses droits auprès des tiers.
    • En ce qui concerne la procédure de délivrance, le greffier ou le notaire ayant supervisé la vente remet à l’adjudicataire une expédition du jugement d’adjudication. 
    • Ce document constitue le titre de propriété du bien. 
    • Si la vente porte sur plusieurs lots adjugés à des acquéreurs différents, chaque adjudicataire reçoit une expédition distincte, accompagnée des quittances attestant du paiement des frais taxés. 
    • Le titre de vente ainsi délivré permet à l’adjudicataire de procéder à l’inscription de ses droits au registre foncier, officialisant ainsi son statut de propriétaire. 
    • Cette inscription est une étape essentielle, car elle assure la publicité et l’opposabilité des droits de propriété à l’égard des tiers. 
    • Elle confère également à l’adjudicataire une protection juridique renforcée en cas de litige ou de revendications ultérieures concernant le bien. 
  • Les effets du jugement
    • Le jugement d’adjudication emporte des effets juridiques immédiats tant pour l’adjudicataire que pour les tiers.
      • Le transfert de propriété
        • Le jugement d’adjudication formalise le transfert de propriété du bien adjugé au profit de l’adjudicataire dès sa prononciation. 
        • Toutefois, ce transfert reste conditionné au paiement intégral du prix d’adjudication ainsi que des frais taxés.
        • Tant que cette obligation n’a pas été exécutée, l’adjudicataire ne peut jouir pleinement de ses droits.
        • Une fois le paiement effectué, l’adjudicataire devient propriétaire du bien adjugé.
        • Il acquiert ainsi tous les droits attachés à la propriété, notamment ceux d’usage, de jouissance et d’aliénation. 
        • Il peut utiliser le bien comme bon lui semble, percevoir les fruits qu’il génère, ou encore le vendre, le donner ou le grever de droits réels.
        • Par ailleurs, ce transfert de propriété est opposable aux tiers. 
        • Cela signifie que les droits de l’adjudicataire ne peuvent être contestés par des tiers, sauf en cas de vices graves affectant la régularité de la procédure elle-même. 
      • L’effet déclaratif
        • Le jugement d’adjudication, dans le cadre d’une licitation, ne se limite pas à transférer la propriété du bien.
        • Il produit également un effet déclaratif, conférant à l’adjudicataire un titre qui purge les éventuels vices affectant les transmissions antérieures et stabilise la situation juridique du bien.
        • La raison en est que, en vertu de l’article 883 du Code civil, l’effet déclaratif attribue à l’adjudicataire une position rétroactive, le plaçant comme s’il avait toujours été seul propriétaire du bien depuis l’origine de l’indivision. 
        • Cet effet s’applique tant à l’égard des co-indivisaires qu’à l’égard du défunt dans les indivisions successorales.
        • L’effet déclaratif du jugement d’adjudication a une portée corrective et purgative. Il purge la chaîne de propriété en éteignant rétroactivement les droits ou actes des co-indivisaires sur le bien adjugé. 
        • Par exemple, un acte de disposition (vente, hypothèque ou bail) établi par un indivisaire non adjudicataire est anéanti rétroactivement, tandis que ceux établis par l’adjudicataire sont validés, consolidant ainsi ses droits.
        • Dans cette logique, la licitation-partage n’est pas considérée comme une mutation à titre onéreux mais comme un acte de partage. 
        • Elle échappe donc aux règles applicables aux ventes ordinaires, y compris aux actions en rescision pour lésion, sauf en cas de dispositions contraires inscrites dans le cahier des charges.
        • Cet effet déclaratif est particulièrement précieux lorsque le bien adjugé a été l’objet de litiges ou d’irrégularités dans les transmissions antérieures. 
        • Le jugement d’adjudication stabilise la situation juridique en consolidant les droits de l’adjudicataire, garantissant ainsi une propriété purgée de tous vices. 

==>La défaillance de l’adjudicataire et la réitération des enchères

Lorsqu’un adjudicataire ne s’acquitte pas du prix d’adjudication et des frais dans les délais impartis, le bien peut être remis en vente dans les conditions prévues par l’article R. 322-66 du CPCE.

  • Certificat de défaillance et organisation d’une nouvelle audience
    • La première étape en cas de défaillance de l’adjudicataire consiste en l’établissement d’un certificat de défaillance.
    • Ce document, dressé par le notaire ou le greffier, constate officiellement que l’adjudicataire n’a pas satisfait à ses obligations de paiement.
    • Conformément à l’article R. 322-67 du CPCE, le certificat est signifié à l’adjudicataire défaillant. Cette signification marque le point de départ d’un délai pendant lequel ce dernier peut, le cas échéant, régulariser sa situation.
    • Si aucune régularisation n’intervient, une nouvelle audience est fixée par le tribunal. 
    • Cette audience doit se tenir dans un délai compris entre deux et quatre mois suivant la signification du certificat de défaillance (article R. 322-69 du CPCE). 
    • Ce délai permet d’organiser les formalités de publicité nécessaires et de garantir une reprise transparente de la procédure.
  • Formalités de publicité et déroulement des nouvelles enchères
    • Pour garantir la transparence et l’égalité entre les participants, les formalités de publicité initiales doivent être intégralement renouvelées. Ces formalités sont effectuées selon les prescriptions de l’article R. 322-70 du CPCE.
    • La publicité doit inclure l’ensemble des informations prévues pour la vente initiale, auxquelles s’ajoute le montant de l’adjudication défaillante. Cette précision permet aux nouveaux enchérisseurs d’avoir une connaissance complète des conditions entourant la vente.
    • Le jour de l’audience, les enchères sont reprises dans les mêmes conditions que celles de la première vente, conformément à l’article R. 322-71 du CPCE.
    • Les règles relatives au déroulement des enchères, notamment la durée limite de 90 secondes entre deux enchères (article R. 322-45 du CPCE), s’appliquent également à cette nouvelle vente.
  • Conséquences pour l’adjudicataire défaillant
    • La défaillance de l’adjudicataire n’est pas sans conséquences pour ce dernier.
    • L’adjudicataire défaillant demeure redevable des frais liés à la première vente, même si le bien est remis en vente. 
    • En outre, il doit payer des intérêts au taux légal sur le montant de son enchère, calculés jusqu’à la date de la nouvelle vente (article R. 322-72 du CPCE). 
    • Si la nouvelle vente se conclut à un prix inférieur à celui de l’enchère initiale, l’adjudicataire défaillant peut être tenu de compenser la différence, afin de préserver les droits des créanciers ou des indivisaires.

==>La faculté de surenchère

La licitation, par essence, vise à obtenir le meilleur prix pour le bien mis en vente, afin de garantir une juste valorisation au bénéfice des parties concernées. Toutefois, il peut arriver que l’adjudication initiale ne reflète pas pleinement la valeur réelle du bien, soit en raison d’une concurrence insuffisante, soit du fait de circonstances particulières ayant limité les enchères. C’est pour répondre à de telles situations que la faculté de surenchère a été instituée.

Prévue par l’article 1279, alinéa 1er, du Code de procédure civile, ainsi que par les articles R. 322-50 et suivants du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE), la surenchère offre la possibilité, dans un délai strictement encadré de 10 jours, de rouvrir la procédure en proposant une offre supérieure d’au moins 10 % au prix principal de l’adjudication initiale. Ce mécanisme garantit à la fois la transparence et l’équité, tout en assurant que le bien puisse être vendu à sa juste valeur.

  • Initiation de la procédure de surenchère
    • Délai de 10 jours
      • La surenchère ne peut être exercée que dans un délai de 10 jours suivant l’adjudication définitive, conformément à l’article 1279 du Code de procédure civile. 
      • Ce délai impératif commence à courir à compter du jour où l’adjudication a été prononcée.
    • Déclaration de la surenchère
      • La première étape de la procédure consiste en la déclaration de surenchère. 
      • Cette déclaration, réservée à toute personne souhaitant contester l’adjudication initiale, doit respecter des exigences formelles rigoureuses.
      • Conformément à l’article R. 322-51 du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE), la surenchère doit être formée par acte d’avocat, déposé au greffe du tribunal compétent. 
      • Cette formalité, essentielle pour garantir la solennité et la validité de la procédure, témoigne de l’engagement sérieux de la personne souhaitant exercer ce droit.
      • L’avocat, dans le cadre de la déclaration de surenchère, doit attester avoir reçu de son client une garantie financière. 
      • Celle-ci prend la forme d’une caution bancaire irrévocable ou d’un chèque de banque équivalant à 10 % du montant principal de l’adjudication initiale. 
      • L’obligation de fourniture d’une garantie financière vise à prévenir les surenchères abusives en exigeant du surenchérisseur la preuve de sa capacité à honorer son engagement.
  • Dénonciation de la surenchère
    • Une fois déposée, la surenchère doit être dénoncée aux parties intéressées dans un délai de trois jours ouvrables. 
    • Cette dénonciation s’effectue par acte d’huissier, conformément à l’article R. 322-52 du CPCE. 
    • Elle garantit que les parties concernées (notamment l’adjudicataire initial, le créancier poursuivant et, le cas échéant, les indivisaires) sont informées de la reprise des enchères.
    • Cette notification comprend une copie de l’attestation bancaire mentionnée ci-dessus, ce qui conforte la crédibilité de la démarche du surenchérisseur.
    • Le non-respect des délais et formalités entraîne l’irrecevabilité de la surenchère.
  • Organisation de la nouvelle audience
    • Une fois la surenchère valablement formée et dénoncée, le tribunal organise une nouvelle audience d’enchères. 
    • Cette étape, strictement réglementée par les articles R. 322-53 à R. 322-55 du CPCE, marque la reprise de la procédure d’adjudication dans un cadre renouvelé.
      • Fixation de la date
        • Le tribunal fixe une nouvelle audience dans un délai compris entre deux et quatre mois à compter de la déclaration de surenchère. 
        • Ce délai, prévu par l’article R. 322-53 du CPCE, permet de renouveler les formalités de publicité et de garantir une préparation adéquate des enchérisseurs potentiels.
      • Renouvellement des formalités de publicité
        • Les formalités de publicité initiales doivent être réitérées avant la nouvelle audience.
        • Selon l’article R. 322-54 du CPCE, ces formalités sont réalisées à la diligence du surenchérisseur ou, à défaut, du créancier poursuivant. 
        • Elles incluent la mention de la nouvelle mise à prix, correspondant au montant de l’adjudication initiale majoré d’au moins 10 %. 
        • Ce renouvellement vise à informer le public des nouvelles conditions et à attirer de potentiels enchérisseurs.
  • Déroulement de la nouvelle audience
    • La nouvelle audience d’enchères suit les mêmes règles que l’audience initiale, en respectant toutefois les spécificités liées à la surenchère.
      • Reprise des enchères
        • Conformément à l’article R. 322-55 du CPCE, les enchères reprennent sur la base de la nouvelle mise à prix fixée par la surenchère.
        • Les règles habituelles des enchères publiques, notamment celles relatives au temps imparti pour porter les enchères (article R. 322-45 du CPCE), s’appliquent.
      • Résultat de l’audience
        • Si aucune enchère ne dépasse la mise à prix actualisé, le surenchérisseur est déclaré adjudicataire. 
        • Ce mécanisme récompense son initiative tout en garantissant que le bien ne soit pas vendu à un prix inférieur à la surenchère initiale.
  • Limites de la surenchère
    • Afin de préserver la sécurité juridique et d’éviter des prolongations abusives, une seconde surenchère est expressément exclue.
    • L’article R. 322-55 du CPCE prévoit que l’adjudication issue de la nouvelle audience est définitive et ne peut plus être remise en cause par une nouvelle surenchère.
    • Cette limitation garantit la stabilité des droits acquis et marque la fin de la procédure, assurant ainsi que la vente atteigne son objectif ultime : obtenir une juste valorisation du bien dans des conditions de transparence et d’équité.

Opérations de partage: la détermination du nombre de lots

La constitution des lots constitue la première étape du partage effectif de la masse partageable. Elle consiste à regrouper les biens indivis en ensembles cohérents, appelés « lots », qui seront ensuite attribués à chaque indivisaire en fonction de ses droits. Cette opération est essentielle, car elle conditionne la répartition finale des biens et vise à garantir un partage équitable et équilibré.

Loin d’être une simple division matérielle des biens, la constitution des lots doit répondre à des principes fondamentaux, parmi lesquels le respect de l’égalité en valeur et le maintien des unités économiques. Le législateur et la jurisprudence imposent ainsi des règles précises encadrant cette opération, tout en laissant une certaine marge de manœuvre afin d’adapter le partage aux réalités économiques et humaines de chaque indivision.

Le processus de constitution des lots présente plusieurs enjeux essentiels :

  • La détermination du nombre de lots, qui dépend directement du mode de partage retenu. Selon les cas, le partage peut être réalisé par tête, lorsque chaque indivisaire reçoit une part égale, ou par souche, lorsque la répartition tient compte de branches familiales distinctes. Par ailleurs, il convient d’envisager le cas où les indivisaires ne disposent pas de droits égaux, ce qui impose une répartition spécifique.
  • La composition des lots, qui suppose de regrouper les biens de manière cohérente et équitable. Cette opération doit respecter les intérêts économiques des indivisaires tout en prenant en compte la nature des biens composant la masse partageable. 

Le partage en nature demeure, en principe, privilégié par le législateur, conformément à l’article 826 du Code civil, qui impose de rechercher autant que possible une attribution de biens en nature correspondant à la valeur des droits de chaque indivisaire. Toutefois, lorsque cette répartition s’avère impossible ou déséquilibrée, des alternatives au partage en nature doivent être envisagées (soultes, division de biens ou licitation en dernier recours).

Nous nous focaliserons ici sur la première étape du processus de constitution des lots: la détermination de leur nombre.

La détermination du nombre de lots à composer se pose avec la même acuité, qu’il s’agisse d’un partage successoral ou d’un partage issu d’une autre situation d’indivision, telle que la dissolution d’une indivision post-communautaire, la répartition d’un bien acquis conjointement par des tiers, ou encore la liquidation d’une indivision conventionnelle.

Si les règles applicables trouvent leur socle dans les principes généraux du droit des successions, elles s’adaptent aux spécificités de chaque situation afin de garantir une répartition équilibrée des droits indivis. 

La détermination du nombre de lots obéit à deux principes importants : d’une part, le partage par tête ou par souche, visant à garantir une stricte égalité arithmétique entre les copartageants, et, d’autre part, le partage en présence de parts inégales, qui exige une réduction des droits au plus petit dénominateur commun afin de garantir l’équité dans l’attribution des lots.

§1: Le partage par tête ou par souche

==>Le partage par tête : une division à parts égales entre les indivisaires

Le partage par tête intervient lorsque chaque indivisaire est titulaire de droits égaux sur les biens indivis et accède à l’indivision de son propre chef, sans qu’il y ait lieu de recourir à la représentation. Ce mode de répartition, qui a pour fondement l’article 827 du Code civil, impose que le partage de la masse indivise s’effectue à parts égales entre les copartageants, chacun recevant un lot correspondant à sa part de droits indivis. La règle énoncée par l’article 827 signifie qu’il doit être constitué autant de lots que d’indivisaires, chaque lot devant refléter de manière identique la valeur d’une fraction de la masse partageable.

L’exigence d’égalité qui sous-tend le partage par tête trouve à s’appliquer dans toutes les formes d’indivision, qu’elle soit d’origine successorale, communautaire ou conventionnelle. Prenons l’exemple d’une indivision issue de l’acquisition commune d’un bien immobilier par trois coacquéreurs ayant financé à parts égales l’achat. Si ces indivisaires souhaitent procéder au partage du bien, trois lots de valeur équivalente devront être constitués afin que chacun reçoive une portion correspondant à sa quote-part initiale. Ce mécanisme, qui est d’une grande simplicité, garantit une répartition équitable, prévenant ainsi tout litige sur la répartition des biens.

Dans le cadre d’une succession, le même principe s’applique. Si un défunt laisse trois enfants comme héritiers, la masse successorale sera divisée en trois parts égales, chacun des enfants recevant un lot d’égale valeur. Cette approche assure une répartition équilibrée des biens entre les héritiers, conformément à l’idée selon laquelle chaque copartageant doit pouvoir jouir d’une part identique du patrimoine à partager. Comme l’affirment Aubry et Rau, « le partage par tête tend à maintenir l’équilibre initial entre les indivisaires, sans distinction autre que celle de leurs droits respectifs ».

Le partage par tête trouve également à s’appliquer dans des indivisions post-communautaires. Lorsqu’un couple marié sous le régime de la communauté se sépare et que le partage doit intervenir entre les deux ex-époux, la division en deux lots de valeur équivalente s’impose si les contributions aux biens communs ont été égales. Ce principe assure une continuité logique avec l’égalité patrimoniale ayant prévalu durant le mariage.

Toutefois, certaines particularités doivent être prises en compte dans des situations spécifiques. Si un indivisaire décède avant que le partage ne soit réalisé, ses droits indivis sont transmis à ses héritiers, mais un seul lot devra être constitué pour l’ensemble des successeurs venant à la même part. Cette unité du lot, qui vise à préserver l’homogénéité du partage, permet d’éviter une multiplication des lots inutiles et une complexité excessive des opérations. Planiol et Ripert rappellent à cet égard que « le lot doit être conçu comme une unité indivisible destinée à satisfaire les droits d’un même indivisaire, qu’il s’agisse d’une personne ou d’un groupe venant en représentation ».

Enfin, la question du partage par tête peut soulever des difficultés lorsque le partage est retardé en raison de circonstances particulières. Tel est le cas lorsqu’un enfant est seulement conçu au jour de l’ouverture de la succession. Conformément à l’article 725 du Code civil, cet enfant a vocation à recueillir la succession s’il naît viable. Dans une telle hypothèse, si le partage doit être organisé avant la naissance, il est raisonnable de constituer les lots en tenant compte de cette naissance probable. Un ajustement pourra alors intervenir ultérieurement pour corriger la répartition initiale en fonction du nombre d’enfants effectivement nés. Cette solution pragmatique permet d’anticiper les éventualités tout en garantissant une répartition conforme aux droits successoraux effectifs.

==>Le partage par souche : préserver l’unité des droits transmis par représentation

Le partage par souche intervient dans les situations où certains indivisaires accèdent à la masse indivise par le mécanisme de la représentation, c’est-à-dire en qualité de continuateurs des droits d’un auteur décédé avant le partage. Cette règle, consacrée par l’article 827 du Code civil, vise à préserver l’unité des droits transmis au sein d’une même branche familiale. En effet, le texte précise que « le partage de la masse s’opère par tête. Toutefois, il se fait par souche quand il y a lieu à représentation », ajoutant que, dans un tel cas, une répartition distincte doit être opérée entre les héritiers de chaque souche. Ce principe trouve son application naturelle dans le cadre des successions, mais il peut également s’étendre à d’autres formes d’indivision, telles que les indivisions conventionnelles ou post-communautaires.

Le mécanisme du partage par souche repose sur une division initiale de la masse partageable entre les différentes souches représentées, chaque souche formant une unité indivisible dans la répartition des lots. À titre d’illustration, prenons l’exemple d’une indivision successorale dans laquelle le défunt laisse deux enfants, l’un des deux étant décédé avant le partage, laissant à son tour deux descendants. Conformément à la règle du partage par souche, deux lots seront d’abord constitués pour les enfants du défunt, puis un second partage sera opéré au sein de la souche représentée, afin que les petits-enfants se partagent équitablement le lot attribué à leur parent décédé. Ce mécanisme garantit que chaque branche familiale conserve une part intacte des droits hérités, tout en assurant une répartition juste au sein de chaque souche.

La doctrine s’accorde sur l’importance de ce principe pour éviter une multiplication excessive des lots, laquelle pourrait conduire à des complications lors du tirage au sort ou à la nécessité de recourir à une licitation. Comme le rappellent Aubry et Rau, « la règle du partage par souche tend à maintenir l’équilibre entre les branches familiales, en limitant les risques de fragmentation excessive de la masse partageable ».

Dans la pratique, le partage par souche permet également de prendre en compte les situations où les droits transmis ne sont pas directement issus de la dévolution successorale. Par exemple, dans une société civile immobilière (SCI), si un associé décédé avait deux enfants, mais que l’un d’eux est également décédé avant le partage, ses propres descendants recueilleront ensemble le lot attribué à leur auteur. Cette méthode garantit que la transmission des droits reste cohérente avec la structure familiale initiale et permet d’éviter un morcellement disproportionné du capital social de la SCI.

Toutefois, le partage par souche ne s’applique pas uniquement aux successions. Il peut également trouver à s’appliquer dans les indivisions conventionnelles, notamment lorsque plusieurs indivisaires représentent les ayants droit d’un titulaire initial de droits indivis. 

Prenons un exemple concret. Imaginons une indivision conventionnelle issue de l’acquisition d’un bien immobilier par deux frères. L’un d’eux cède ses droits indivis à ses trois enfants, tandis que l’autre conserve l’intégralité de ses parts. Dans une telle situation, au moment du partage, les trois enfants du premier frère ne recevront pas chacun un lot distinct. Conformément au principe du partage par souche, ils seront considérés comme une souche unique, représentant les droits transmis par leur père. Il conviendra alors de constituer deux lots : l’un pour le frère ayant conservé ses parts, l’autre pour les trois enfants, pris collectivement. Ce mécanisme garantit que les droits transmis par le frère cédant ne soient pas artificiellement fragmentés, assurant ainsi une cohérence dans la répartition des biens indivis.

Ce principe trouve un écho important dans la jurisprudence. Dans un arrêt du 29 juin 2011, la Cour de cassation a rappelé que le partage par souche vise à préserver l’unité des droits transmis par représentation et ne doit pas être confondu avec le partage par tête (Cass. 1ère civ., 29 juin 2011, n°10-17.925). Dans cette affaire, la succession concernait l’épouse d’un copartageant survivant, lequel partageait les droits successoraux avec ses trois petites-filles, venues par représentation de leur père prédécédé.

L’époux survivant, usufruitier de la moitié des biens successoraux et donataire de la plus large quotité disponible, avait sollicité le partage de la succession et la licitation préalable de deux biens immobiliers. La cour d’appel avait ordonné cette licitation, estimant que les biens étaient de valeur inégale et que les copartageantes n’étaient pas en mesure de proposer une répartition en nature. Toutefois, la Cour de cassation a censuré cette décision, en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché si le partage pouvait être commodément réalisé en deux lots distincts : l’un devant être attribué à l’époux survivant et l’autre aux trois petites-filles, prises collectivement en tant que souche unique.

Par cette décision, la Haute juridiction réaffirme que le partage par souche permet d’éviter que les héritiers venant par représentation soient désavantagés en raison de leur nombre. En effet, si le partage s’était opéré par tête, chacune des petites-filles aurait reçu un lot distinct, risquant de fragmenter les droits issus de leur auteur commun. Or, en retenant le mécanisme du partage par souche, un lot unique est attribué à la souche représentée, ce qui permet d’assurer une cohérence dans la transmission des droits et une simplification du partage.

Cette distinction entre partage par tête et partage par souche est cruciale pour garantir une répartition équitable, notamment dans les successions complexes où les héritiers ne se trouvent pas tous au même degré de parenté. Prenons un autre exemple : un défunt laisse un enfant survivant et trois petits-enfants venant par représentation d’un autre enfant prédécédé. Si le partage s’opère par tête, chaque petit-enfant recevra une part distincte, ce qui aura pour effet de réduire la quote-part globale de leur souche par rapport à celle de l’enfant survivant. En revanche, si le partage est réalisé par souche, les trois petits-enfants recevront un lot unique correspondant à la part qui aurait été dévolue à leur parent prédécédé, assurant ainsi une stricte égalité entre les différentes branches familiales.

La distinction entre ces deux mécanismes est particulièrement importante lorsque les biens indivis sont difficiles à partager en nature, comme des immeubles ou des biens indivisibles. La Cour de cassation veille ainsi à ce que le recours au partage par souche permette d’éviter une multiplication excessive des lots, susceptible de conduire à une licitation, souvent source de conflits. Comme le souligne Michel Grimaldi, « le partage par souche permet d’assurer une répartition juste tout en limitant le risque de licitations, qui sont souvent sources de tensions et de pertes financières pour les indivisaires ».

§2: Le partage en présence de parts inégales

Dans certaines situations d’indivision, les indivisaires ne détiennent pas des droits égaux sur les biens indivis. Cela peut être le cas dans une succession lorsque les héritiers ont des droits de quotités différentes, mais également dans une indivision conventionnelle résultant d’un apport initial inégal. Il devient alors nécessaire de composer un nombre de lots correspondant aux droits proportionnels de chaque indivisaire.

==>La réduction au plus petit dénominateur commun : une méthode de répartition proportionnelle

Lorsque le partage doit être réalisé entre des indivisaires détenant des droits inégaux sur les biens indivis, la méthode de réduction au plus petit dénominateur commun s’impose pour garantir une répartition proportionnelle des biens et éviter les déséquilibres susceptibles de naître d’une division inadaptée. Ce mécanisme permet d’ajuster le nombre de lots de manière à ce que chaque indivisaire reçoive une part conforme à ses droits, quelle que soit leur quotité. Il s’agit là d’une exigence essentielle dans les partages complexes, où une stricte division arithmétique prévient les litiges et assure une répartition juste.

Prenons l’exemple d’une indivision post-communautaire entre un conjoint survivant et les enfants du couple. Supposons que le conjoint survivant dispose d’un quart des droits sur la masse commune et que les deux enfants partagent les trois quarts restants. Dans cette hypothèse, la réduction au plus petit dénominateur commun conduit à diviser la masse en huit lots. Deux de ces lots seront attribués au conjoint survivant, correspondant à son quart des droits, tandis que les six lots restants seront répartis à parts égales entre les deux enfants, chacun recevant trois lots. Cette répartition garantit que chaque indivisaire soit rempli de ses droits de manière proportionnelle à sa quote-part dans la masse partageable.

Ce principe trouve également une application pertinente dans le cadre des successions comportant des biens indivis difficiles à répartir en nature. Imaginons une situation où trois héritiers doivent se partager une masse composée d’une propriété agricole indivisible, évaluée à 250 000 euros, et de 50 000 euros en liquidités. Les droits des héritiers s’élèvent respectivement à 50 %, 30 % et 20 %. La réduction au plus petit dénominateur commun conduit alors à diviser la masse en dix lots : cinq pour le premier héritier, trois pour le second et deux pour le troisième. Cette division garantit que les parts attribuées reflètent précisément les droits de chacun, tout en minimisant le risque d’inégalités dans le partage.

Dans les indivisions conventionnelles, la réduction au plus petit dénominateur commun se révèle tout aussi utile, notamment lorsque les apports des indivisaires à l’acquisition d’un bien sont inégaux. Imaginons trois coacquéreurs ayant acheté ensemble un immeuble, chacun ayant contribué à hauteur de 50 %, 30 % et 20 % du prix d’achat. Plutôt que de composer trois lots arbitraires, la réduction au plus petit dénominateur commun impose de créer dix lots : cinq pour le premier coacquéreur, trois pour le second et deux pour le troisième. Cette méthode permet d’assurer une répartition fidèle des biens, conforme aux contributions initiales des indivisaires, et d’éviter une multiplication désordonnée des lots, qui pourrait rendre le partage impraticable.

En pratique, ce mécanisme se révèle particulièrement efficace pour prévenir les conflits entre indivisaires. En ajustant le nombre de lots à la proportion exacte des droits détenus, la réduction au plus petit dénominateur commun garantit une stricte correspondance entre les lots attribués et les parts réelles de chacun. Cette exigence de précision arithmétique est indispensable pour préserver l’équilibre patrimonial entre les indivisaires, notamment lorsque les biens indivis sont difficiles à partager équitablement en nature.

Comme le rappelle la doctrine, notamment sous la plume de Michel Grimaldi, « le partage proportionnel, fondé sur la réduction au plus petit dénominateur commun, assure une répartition juste et prévient les risques de litiges liés à une division déséquilibrée ». En adaptant le nombre de lots à la réalité des droits indivis, cette méthode constitue un rempart efficace contre les éventuelles contestations des indivisaires, tout en garantissant la sécurité juridique du partage.

Cependant, lorsque les biens indivis ne peuvent être divisés sans altérer leur valeur — par exemple, un immeuble d’habitation ou un fonds agricole —, la réduction au plus petit dénominateur commun peut atteindre ses limites. Il devient alors nécessaire d’envisager des ajustements complémentaires pour rétablir l’équilibre entre les lots. 

==>Le recours aux soultes : un correctif à l’inégalité en nature

Lorsque la répartition des biens indivis ne permet pas d’établir des lots de valeur strictement équivalente en nature, le recours aux soultes apparaît comme une solution indispensable pour préserver l’équilibre patrimonial entre les indivisaires. Ce mécanisme consiste à attribuer des lots inégaux en nature, compensés par une somme d’argent destiné à rétablir la proportionnalité des droits de chacun. Cette technique, bien que nécessitant une certaine souplesse dans l’appréhension de l’égalité, s’inscrit pleinement dans les exigences de justice distributive qui président aux opérations de partage.

Imaginons une succession comportant une propriété agricole indivisible d’une valeur estimée à 250 000 euros, ainsi que 50 000 euros en liquidités. Trois héritiers doivent se partager cette masse, leurs droits étant respectivement de 50 %, 30 % et 20 %. La méthode de réduction au plus petit dénominateur commun impose ici de diviser la masse en dix lots : cinq pour le premier héritier, trois pour le second et deux pour le troisième. Cependant, la propriété agricole ne pouvant être fractionnée sans altérer sa valeur, il conviendra de l’attribuer en totalité au premier héritier, lequel devra verser une soulte de 50 000 euros aux deux autres indivisaires. Cette soulte permettra de compenser l’écart entre la valeur des lots en nature et les droits respectifs des deux autres héritiers sur la masse partageable.

La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 28 juin 1972, a validé le recours aux soultes pour garantir une répartition équitable lorsque le partage en nature s’avère impraticable en raison de la nature indivisible des biens (Cass. 1re civ., 28 juin 1972, n°71-12.571). Il ressort de cette décision que, dans certaines situations, il est préférable de compenser les disparités entre les lots par des versements financiers plutôt que d’imposer un morcellement excessif des biens, qui pourrait nuire à leur valeur ou à leur exploitation.

L’affaire concernait une indivision issue du décès d’un copropriétaire, laissant pour lui succéder son conjoint survivant et leurs enfants. Après plusieurs cessions de droits au sein de la famille, l’indivision se composait de trois coïndivisaires, détenant respectivement 19/48, 16/48 et 13/48 des droits indivis sur une vaste exploitation agricole située à la Martinique, comprenant des terres agricoles, des bâtiments et une distillerie. Deux coïndivisaires avaient sollicité la licitation du domaine en un seul lot, tandis que le troisième avait demandé que le partage fût réalisé en nature.

La cour d’appel, se fondant sur un rapport d’expertise, avait décidé que le partage pouvait s’opérer en trois lots de valeur inégale, à condition que les déséquilibres soient corrigés par des soultes en argent. Elle avait relevé que l’exploitation agricole ne pouvait être divisée en parts égales sans perdre une part importante de sa valeur. En procédant à une attribution par tirage au sort des trois lots, avec versement de soultes pour compenser les écarts, la cour d’appel avait estimé préserver les droits de chaque indivisaire tout en assurant la continuité de l’exploitation.

La Cour de cassation a validé cette solution, en rejetant le pourvoi formé par l’un des coïndivisaires. La Haute juridiction a rappelé que, selon l’article 832 du Code civil, « la règle de l’égalité en nature dans la formation et la composition des lots ne doit être strictement observée que dans la mesure où le morcellement des héritages et la division des exploitations peuvent être évités ». En l’espèce, les juges d’appel avaient souverainement apprécié que la création de trois lots inégaux, avec correction par soultes, permettait de maintenir la propriété dans la famille et de garantir à chaque indivisaire une part proportionnelle à ses droits.

La Cour de cassation a également souligné que le partage en nature est toujours préférable à la licitation, surtout lorsqu’il permet de préserver l’intégrité d’un bien familial. En attribuant l’exploitation agricole à l’un des coïndivisaires et en compensant les autres par des soultes, la cour d’appel a évité une division excessive du domaine, qui aurait pu nuire à sa gestion et à sa rentabilité.

Prenons un exemple illustratif similaire. Imaginons une succession comprenant une propriété viticole estimée à 500 000 euros et des liquidités de 50 000 euros. Deux héritiers détiennent respectivement 60 % et 40 % des droits. Si la propriété ne peut être divisée en nature sans perdre sa valeur, il serait logique d’attribuer le domaine au premier héritier, à charge pour lui de verser une soulte de 50 000 euros au second, correspondant à l’écart entre la valeur de la propriété et les droits du coïndivisaire. Ce mécanisme permettrait de maintenir l’exploitation viticole intacte tout en assurant une répartition équitable.

Cette solution trouve également une application pratique dans les indivisions conventionnelles. Prenons l’exemple de trois coacquéreurs ayant acquis ensemble un immeuble d’une valeur de 300 000 euros, chacun ayant contribué à hauteur de 50 %, 30 % et 20 % du prix d’achat. Supposons que cet immeuble constitue le seul bien indivis. Plutôt que de procéder à une licitation, qui pourrait engendrer des pertes financières et des conflits, il serait préférable d’attribuer l’immeuble au coacquéreur ayant la plus grande participation, à condition qu’il verse une soulte aux deux autres, correspondant à la différence entre la valeur de l’immeuble et leurs droits respectifs. Ainsi, le premier coacquéreur pourrait recevoir le bien en totalité et compenser les deux autres par des versements financiers proportionnels à leurs parts.

Cette technique présente l’avantage d’éviter une division physique des biens qui, dans certains cas, pourrait réduire considérablement leur valeur. Elle permet également d’éviter les licitations forcées, qui peuvent engendrer des tensions entre les indivisaires et porter atteinte à l’intégrité du patrimoine à partager. En attribuant les biens les plus difficiles à fractionner à un seul indivisaire et en ajustant la répartition par des soultes, le partage peut s’opérer de manière plus harmonieuse et conforme aux intérêts de chacun.

Prenons un autre exemple dans le cadre d’une indivision postcommunautaire. Supposons qu’un couple, lors de la dissolution de la communauté, détienne un immeuble indivisible et peu de liquidités. Le conjoint survivant, ayant droit à un quart de la masse, pourrait se voir attribuer la totalité de l’immeuble, tandis qu’il verserait une soulte aux enfants pour compenser leur part dans la masse partageable. Ce mécanisme permettrait d’éviter la vente forcée du bien, tout en garantissant aux enfants une compensation monétaire équivalente à leurs droits.

Le recours aux soultes s’avère ainsi une méthode pragmatique et efficace pour préserver l’intégrité des biens indivis, tout en assurant une répartition conforme aux droits de chacun. Aussi, l’égalité dans le partage ne s’entend pas nécessairement d’une division en nature, mais d’une recherche d’équilibre patrimonial, garantissant à chaque copartageant la juste valeur de ses droits. Cette approche permet d’adapter les modalités de partage aux spécificités des biens à répartir, tout en respectant les principes fondamentaux du droit des successions et des indivisions.

==>La fente successorale : un mécanisme particulier de division par branches

Dans le cadre d’un partage successoral, l’application du mécanisme de la fente se présente comme une technique particulière de répartition, distincte des modalités classiques de partage par tête ou par souche, visant à préserver un équilibre patrimonial entre les deux branches familiales du défunt. Instituée par les articles 744 et suivants du Code civil, la fente trouve à s’appliquer lorsqu’une personne décède sans laisser ni descendants, ni conjoint survivant. Dans cette situation, la succession se divise par moitié entre la branche maternelle et la branche paternelle, indépendamment du nombre d’héritiers dans chacune d’elles. Ce mécanisme correcteur vise à prévenir les déséquilibres pouvant résulter d’une stricte application des règles de dévolution légale, qui, en l’absence de fente, pourraient aboutir à concentrer l’ensemble des biens dans une seule branche familiale.

La fente successorale ne repose pas sur les mêmes principes que le partage par souche. Tandis que le partage par souche repose sur le mécanisme de représentation, permettant à des héritiers de venir à la succession en lieu et place de leur auteur prédécédé, la fente obéit à une logique purement arithmétique de division de la masse successorale entre deux branches parentales, indépendamment du nombre d’héritiers au sein de chacune d’elles. Selon que la dévolution successorale mobilise l’un ou l’autre de ces mécanismes, les modalités de répartition des biens diffèrent substantiellement, influant directement sur la composition des lots attribués aux héritiers. En effet, contrairement au partage par souche, la fente successorale ne permet pas de constituer un lot unique regroupant tous les héritiers d’une même branche. Chaque héritier conserve un droit individuel à sa part, qu’il peut exiger en nature ou, à défaut, par la licitation des biens indivis.

La jurisprudence a eu l’occasion d’affirmer avec fermeté ce principe. Dans un arrêt du 26 novembre 1883, la Cour de cassation a rappelé que le mécanisme de la fente ne saurait altérer les droits patrimoniaux individuels des héritiers (Cass. civ., 26 nov. 1883). Dans cette affaire, la succession d’un défunt devait être partagée à parité entre les héritiers des branches paternelle et maternelle. La cour d’appel avait envisagé de constituer deux lots distincts — un pour chaque branche —, qui auraient ensuite été répartis entre les héritiers de chaque lignée. La Haute juridiction a censuré cette approche, considérant qu’elle méconnaissait la portée de la fente successorale. La division entre branches n’a pas pour effet de priver les héritiers de leur faculté de réclamer un lot en nature ou, à défaut, de provoquer la vente des biens indivis. La Haute juridiction a ainsi souligné que l’on ne peut assimiler la branche familiale à une souche, car le mécanisme de la fente ne repose pas sur le principe de représentation.

Cette solution jurisprudentielle met en lumière la finalité première de la fente : assurer une stricte égalité patrimoniale entre les deux branches du défunt, sans affecter les droits individuels des héritiers au sein de chaque branche. Chaque cohéritier, qu’il appartienne à la branche paternelle ou maternelle, doit pouvoir faire valoir son droit à une part distincte, sans se voir imposer un lot indivis partagé avec d’autres membres de sa lignée. Ainsi, la fente successorale garantit une équité entre les branches, mais laisse intacts les droits de chacun à l’intérieur de ces divisions.

Pour mieux illustrer le fonctionnement de ce mécanisme, prenons un exemple concret. Supposons un défunt qui ne laisse ni descendants, ni conjoint survivant, mais qui a pour héritiers un cousin du côté paternel et deux cousins du côté maternel. En application de la fente successorale, la masse successorale sera divisée en deux parts égales : 50 % pour la branche paternelle, attribuée au cousin paternel, et 50 % pour la branche maternelle, à partager entre les deux cousins maternels. Contrairement à ce que l’on pourrait observer dans un partage par souche, il ne sera pas possible d’imposer un lot unique aux cousins maternels. Chacun d’eux conserve le droit d’exiger un lot distinct correspondant à sa part ou de demander la licitation des biens indivis, afin de percevoir sa part en valeur.

Un second exemple permet d’éclairer davantage la distinction entre fente et partage par souche. Imaginons un défunt laissant deux oncles du côté paternel et un cousin germain du côté maternel. La fente successorale implique que la moitié de la masse successorale sera attribuée à la branche paternelle, partagée entre les deux oncles, et l’autre moitié à la branche maternelle, revenant au cousin germain. Cette répartition ne saurait toutefois conduire à la constitution d’un lot indivis regroupant les deux oncles. Chacun d’eux conserve le droit d’exiger sa part individuelle, que ce soit en nature ou par une compensation monétaire.

Cette jurisprudence constante met en exergue une règle fondamentale du droit des successions : la fente ne modifie pas la nature et l’étendue des droits des héritiers. Comme le souligne Michel Grimaldi, la division en branches n’a pas pour vocation de créer des entités indivises assimilables à des souches. Chaque héritier, au sein de sa branche, conserve un droit autonome à sa part de succession, qu’il peut faire valoir selon les règles habituelles du partage.

La fente successorale, bien qu’elle soit un mécanisme correcteur des inégalités entre branches, ne saurait non plus conduire à imposer une division arbitraire des lots. La Cour de cassation l’a rappelé à maintes reprises : le partage doit respecter les droits individuels des héritiers, et chaque cohéritier doit pouvoir réclamer sa part en nature ou, à défaut, provoquer la vente des biens indivis pour obtenir sa part en valeur.

Prenons un dernier exemple pour bien comprendre les subtilités de la fente successorale dans le cadre d’un partage. Un défunt laisse un frère du côté paternel et cinq cousins germains du côté maternel. Si la succession était partagée par tête, chaque héritier recevrait 1/6e de la masse successorale. Toutefois, la fente successorale divise d’abord la masse en deux parts égales : la moitié pour la branche paternelle, revenant au frère, et la moitié pour la branche maternelle, à partager entre les cinq cousins germains. En conséquence, chaque cousin maternel recevra 1/10e de la succession, tandis que le frère recevra 50 %. Il reste cependant possible pour chaque héritier de demander un lot distinct correspondant à sa part ou, si le partage en nature s’avère impraticable, de solliciter la licitation des biens.

Ainsi, la fente successorale garantit une stricte égalité entre les branches parentales, mais elle n’altère en rien les droits des héritiers au sein de chaque branche. Ce mécanisme constitue un garde-fou contre les inégalités susceptibles de naître d’une stricte application des règles de dévolution légale, en veillant à ce que chaque lignée soit traitée de manière équitable. Cependant, il ne saurait être interprété comme une obligation de constituer des lots indivis pour chaque branche, car cela reviendrait à méconnaître les principes fondamentaux du droit des successions, qui assurent à chaque héritier le droit d’exiger sa part individuelle.

Le droit de provoquer le partage à tout moment

L’un des principes cardinaux du droit de l’indivision réside dans le droit, pour tout indivisaire, de provoquer la fin de cette situation à tout moment, autrement dit, de solliciter le partage. Cette règle s’infère de l’article 815 du Code civil, lequel dispose, pour rappel, que « nul ne peut être contraint de demeurer dans l’indivision ». Ce droit, marqué par son caractère discrétionnaire et inconditionnel, incarne la nature transitoire et précaire de l’indivision, qui n’a jamais vocation à se maintenir indéfiniment.

Historiquement, les codificateurs de 1804 ont établi ce principe pour répondre à leur défiance envers l’indivision. Ils considéraient celle-ci comme un état économiquement néfaste, entravant la gestion dynamique des biens et créant des tensions entre indivisaires. L’exercice de droits concurrents sur un même bien, selon eux, ne pouvait qu’entraver son exploitation optimale. Ce postulat a conduit à l’inscription du droit au partage dans le Code civil comme un moyen de faciliter la transition vers une gestion individuelle et efficiente des patrimoines.

En effet, l’idée fondamentale sous-jacente au droit au partage est que l’indivision constitue une situation provisoire, destinée à évoluer vers une appropriation individuelle. Comme a pu le souligner Jean Carbonnier, « l’indivision n’est jamais une situation de stabilité, mais un passage temporaire vers la division et la propriété individuelle ».

L’indivision, bien qu’elle permette temporairement de partager la propriété d’un bien, reste donc un état transitoire. Les biens indivis sont appelés, tôt ou tard, à être divisés, attribués ou vendus pour permettre à chaque indivisaire d’exercer pleinement son droit de propriété. Comme l’a exprimé Christophe Albiges, cette précarité intrinsèque « confère à l’indivision un caractère fragile et sans pérennité ».

Ce caractère éphémère s’enracine dans la philosophie du droit de propriété, conçu comme un état pleinement exclusif. À ce titre, chaque indivisaire dispose d’un droit discrétionnaire au partage, qu’il peut exercer sans justification ni préavis, quel que soit le contexte.

Ce droit est une prérogative d’ordre public, étroitement liée au caractère imprescriptible du droit de propriété. Selon la doctrine le droit au partage procède du pouvoir d’exclusivité inhérent à la propriété, conférant ainsi à chaque indivisaire une liberté totale d’agir pour mettre fin à l’indivision. Ce principe universel s’applique indépendamment de l’origine ou de la durée de l’indivision.

C’est la raison pour laquelle l’article 815 du Code civil pose une règle claire et sans ambiguïté : le partage peut être demandé à tout moment. Cette disposition reflète l’idée que l’indivision ne doit pas entraver la pleine jouissance des droits de propriété de chaque indivisaire. Peu importe la nature des biens indivis ou les circonstances, le droit au partage s’exerce dans toutes les configurations.

Dans un arrêt de principe, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que les époux séparés de biens, tout comme d’autres indivisaires, peuvent solliciter le partage des biens indivis sans attendre une circonstance particulière, telle que la dissolution du mariage (Cass. 1ère civ., 14 nov. 2000, n°98-22.936).

Cette décision réaffirme ainsi que, même dans le cadre matrimonial, la précarité de l’indivision prime, en ce sens que la sortie de cette situation est toujours possible, indépendamment de la nature des biens indivis ou du contexte familial.

La vocation du régime de l’indivision est donc de conduire, tôt ou tard, à une appropriation individuelle des biens indivis.

Le droit au partage

Le droit au partage constitue une pierre angulaire du régime juridique de l’indivision, illustrant la volonté du législateur français de privilégier la propriété individuelle sur toute forme de possession collective prolongée. Héritage des principes du Code civil de 1804, ce droit revêt une portée fondamentale en ce qu’il consacre la faculté inaliénable de tout indivisaire de sortir à tout moment d’une situation d’indivision, préservant ainsi son autonomie patrimoniale. Ce droit, qui trouve son origine dans une méfiance historique vis-à-vis de l’indivision, demeure aujourd’hui un outil incontournable de régulation des conflits au sein des patrimoines indivis.

Dans le développement qui suit, nous explorerons les fondements historiques et juridiques du droit au partage, en mettant en lumière ses caractères essentiels, ses évolutions législatives, ainsi que les garanties apportées tant aux indivisaires qu’aux créanciers. Nous verrons comment ce droit, loin d’être une simple règle technique, incarne un véritable principe d’ordre public au service de la sécurité patrimoniale et de la liberté individuelle.

I) La reconnaissance d’un droit au partage

Dès la codification napoléonienne, le droit au partage a été érigé en rempart contre les dangers perçus de l’indivision, laquelle était regardée avec une profonde méfiance en raison de ses effets jugés économiquement délétères et socialement déstabilisants.

L’indivision, en tant que forme de propriété collective, était perçue non seulement comme un frein à l’efficience patrimoniale, mais également comme un facteur de conflits et de dispersion des richesses.

L’article 815 du Code civil, dans sa rédaction originelle de 1804, traduit de manière saisissante cette défiance.

En affirmant avec une clarté absolue que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut être toujours provoqué, nonobstant prohibitions et conventions contraires », le législateur posait un principe fort, à la fois expression d’une liberté individuelle et outil de préservation de l’harmonie patrimoniale. Ce texte consacre le partage comme une issue naturelle et presque inéluctable, destinée à mettre un terme à une situation collective perçue comme transitoire et intrinsèquement précaire.

Cette disposition s’inscrit pleinement dans la philosophie individualiste qui imprègne le Code Napoléon, où la propriété individuelle, conçue comme un droit absolu, devait primer sur toute forme de possession collective.

Loin d’être une simple mesure technique, le droit au partage incarnait une ambition profonde : celle de restaurer l’autonomie patrimoniale de chaque indivisaire en garantissant à chacun un lot distinct, correspondant à ses droits sur le patrimoine commun. Il s’agissait ainsi de rétablir, par l’allotissement, l’ordre naturel de la propriété individuelle, tout en dissipant les tensions inhérentes à la gestion collective.

Cependant, avec le passage du temps, les mutations économiques et sociales ont rendu nécessaire une réévaluation de cette position de principe.

L’indivision, bien qu’imparfaite, s’est révélée parfois utile pour répondre à des besoins de gestion temporaire ou pour préserver l’unité de certains patrimoines complexes.

Les réformes législatives du XX? siècle, tout en modernisant les règles applicables à l’indivision, n’ont jamais renoncé à cette idée fondamentale que le partage constitue l’aboutissement normal de cette forme de propriété collective. Ce droit, profondément enraciné dans le droit patrimonial, a donc été maintenu comme une prérogative inaliénable des indivisaires, tout en s’adaptant aux exigences d’une société en constante évolution.

La loi du 31 décembre 1976, tout en introduisant des mécanismes visant à permettre un sursis temporaire au partage par convention ou par décision judiciaire, n’a nullement altéré l’essence même de ce droit. Bien au contraire, elle a réaffirmé son caractère fondamental, établissant que toute restriction imposée à l’exercice de ce droit devait demeurer strictement provisoire et encadrée par des garanties précises. Cette réforme témoigne d’une volonté constante d’équilibrer la liberté individuelle de sortir de l’indivision avec les nécessités pratiques de gestion collective.

Dans le droit fil de cette loi, la réforme opérée par la loi du 23 juin 2006 a poursuivi l’effort de modernisation des règles applicables à l’indivision, renforçant les instruments permettant d’assurer une administration équilibrée des biens tout en consacrant le droit au partage comme un principe immuable. L’article 815 du Code civil, dans sa rédaction actuelle, continue d’affirmer cette prérogative essentielle, tout en tenant compte des ajustements nécessaires pour préserver les équilibres patrimoniaux, protéger les intérêts des indivisaires les plus vulnérables, ainsi que ceux des créanciers. Par ces évolutions, le législateur démontre un souci constant de concilier la liberté individuelle et la nécessité de prévenir les désordres inhérents à une gestion collective prolongée.

Cette continuité historique et normative a reçu une consécration dans la décision du Conseil constitutionnel du 9 novembre 1999 (Décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999). Les juges de la rue Montpensier, tout en rappelant que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision », ont reconnu au droit au partage une valeur constitutionnelle.

Le Conseil constitutionnel a souligné que, bien que des restrictions puissent être envisagées, celles-ci doivent revêtir un caractère strictement exceptionnel et être rigoureusement encadrées. Ces limitations, lorsqu’elles sont admises, doivent s’inscrire dans une logique de protection légitime, qu’il s’agisse de préserver les droits des créanciers ou de garantir les intérêts des indivisaires les plus vulnérables.

En affirmant ces principes, le Conseil a non seulement réitéré la nature intrinsèquement précaire de l’indivision, mais il a également élevé le partage au rang d’une manifestation essentielle de la liberté patrimoniale, consacrant ainsi ce droit comme une expression fondamentale de l’autonomie conférée à chaque indivisaire.

II) Les caractères du droit au partage

Le principe de précarité de l’indivision s’exprime principalement par le droit au partage, un droit qui présente trois caractéristiques fondamentales : il est impératif, discrétionnaire et imprescriptible. Ces trois éléments se rejoignent et se complètent pour faire du droit au partage un droit absolu, garantissant à chaque indivisaire la possibilité de mettre fin à l’indivision à tout moment.

Premièrement, le caractère impératif du droit au partage découle directement de l’article 815 du Code civil, qui énonce que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision ». Ce droit est d’ordre public, ce qui signifie que même des conventions conclues entre les indivisaires ne peuvent priver l’un d’entre eux de cette faculté. L’indivision étant perçue en droit français comme un état transitoire et précaire, chaque indivisaire doit pouvoir retrouver, quand il le souhaite, la situation normale de la propriété individuelle.

Deuxièmement, le droit au partage est discrétionnaire, ce qui signifie que l’indivisaire peut l’exercer sans avoir à justifier de motifs particuliers. La méfiance traditionnelle à l’égard de l’indivision en droit français a conduit à consacrer ce droit comme un levier permettant à chacun de sortir de l’indivision sans contrainte. Le juge ne peut contrôler les raisons d’une demande de partage, renforçant ainsi la liberté des indivisaires de ne pas rester dans une situation collective indéfinie.

Troisièmement, le droit au partage est imprescriptible : il ne s’éteint jamais, quel que soit le temps qui s’est écoulé depuis la formation de l’indivision. Chaque indivisaire conserve en permanence la faculté de demander le partage, même après une longue période. Cela reflète l’idée que l’indivision n’est qu’une parenthèse dans la jouissance des droits de propriété, et que le partage tend toujours à restaurer la propriété privative.

Ces trois caractères s’articulent pour faire du partage un droit fondamental et absolu, garantissant la possibilité de sortir de l’indivision à tout moment, ce qui illustre la précarité inhérente à cette situation juridique.

A) Un droit impératif

Le caractère impératif du droit au partage signifie qu’il s’impose à tous les indivisaires et qu’aucun d’eux ne peut renoncer de manière permanente à la possibilité de sortir de l’indivision.

Le droit au partage ne peut donc pas être écarté, ni par une convention, ni par une clause contractuelle, sauf dans les limites strictes prévues par la loi.

Cette protection absolue garantit à chaque indivisaire la possibilité de provoquer à tout moment la dissolution de l’indivision, assurant ainsi la préservation du droit de propriété individuel.

Le législateur a prévu quelques exceptions au droit immédiat au partage, notamment à travers les conventions d’indivision temporaires (articles 1873-1 et suivants du Code civil), mais celles-ci ne peuvent excéder une durée déterminée.

Toute clause qui priverait un indivisaire de ce droit de manière permanente est réputée non écrite (art. 1873-5 C. civ.).

La jurisprudence est constante à cet égard. Par exemple, la Cour de cassation a rappelé dans un arrêt du 29 juin 2011 (Cass. 1re civ., 29 juin 2011, n° 10-25.098) que ce droit est absolu et que l’opposition des autres indivisaires ne peut empêcher un indivisaire, même en liquidation judiciaire, de demander le partage.

==>Le caractère impératif du partage à l’égard des indivisaires

L’une des principales conséquences du caractère impératif du droit au partage est que les indivisaires ne peuvent pas, de manière définitive, renoncer à leur droit de demander le partage.

La raison en est que l’indivision est une situation transitoire, vouée à prendre fin par le partage, car la propriété tend naturellement à se diriger vers une appropriation individuelle.

Ce droit de demander le partage est imprescriptible et peut être exercé à tout moment, dès lors que l’indivision existe, en dépit de la volonté des autres co-indivisaires.

Toute convention ou clause qui, dès lors, tenterait de priver un indivisaire de cette faculté serait réputée non écrite en vertu de l’article 1873-5 du Code civil.

La jurisprudence est constante sur ce point et a réaffirmé à plusieurs reprises l’impossibilité pour un indivisaire de renoncer définitivement à son droit au partage.

Par exemple, dans un arrêt du 29 juin 2011, la Cour de cassation a rappelé que le droit au partage s’impose de manière absolue à tous les indivisaires, et que toute clause empêchant un indivisaire de provoquer le partage est nulle (Cass. 1ère civ., 29 juin 2011, n°10-25.098).

Cependant, une renonciation temporaire au droit au partage est possible, mais seulement dans le respect des conditions strictes encadrées par la loi.

La loi du 31 décembre 1976, à travers les articles 1873-1 et suivants du Code civil, permet aux indivisaires de conclure une convention d’indivision par laquelle ils acceptent de maintenir temporairement l’indivision. Cette convention doit être conclue à l’unanimité entre les indivisaires, et elle est limitée dans le temps : elle ne peut excéder cinq ans, bien qu’elle soit renouvelable.

Toutefois, ces conventions de maintien dans l’indivision ne privent pas les indivisaires de leur droit fondamental de sortir de l’indivision une fois le délai écoulé.

Une renonciation temporaire au partage, bien que possible dans les limites légales, ne doit jamais constituer une atteinte à l’exercice du droit au partage une fois les conditions convenues ou le délai expiré.

En vertu de la théorie de l’autonomie de la volonté, les indivisaires sont libres de convenir des modalités d’exercice de leur droit au partage, tant que ces aménagements n’affectent pas le principe même de ce droit.

Cela signifie que les indivisaires peuvent, par exemple, s’interdire temporairement de demander une licitation (c’est-à-dire la vente des biens indivis aux enchères publiques), ou encore convenir de reporter le partage sous condition suspensive ou résolutoire.

Ces aménagements sont valables tant qu’ils ne compromettent pas de manière définitive le droit au partage et respectent les conditions de durée et de consentement imposées par la loi.

Par exemple, il a été jugé que les indivisaires peuvent conclure un accord par lequel ils s’engagent à ne pas demander la licitation d’un bien indivis pendant une durée déterminée, ce qui constitue un aménagement des modalités du partage sans porter atteinte au principe même du droit au partage.

De même, les indivisaires peuvent convenir d’un partage différé sous condition, dès lors que cette condition est licite et ne contredit pas le caractère imprescriptible du droit au partage.

Ces aménagements contractuels reflètent l’idée que, bien que le droit au partage soit impératif, les indivisaires disposent d’une certaine marge de manœuvre pour organiser la gestion de l’indivision et adapter l’exercice de leurs droits aux besoins spécifiques de la situation. L’autonomie des volontés des indivisaires est donc respectée, tant qu’elle n’entrave pas le droit fondamental de demander le partage.

==>Le caractère impératif du partage à l’égard de l’auteur des indivisaires

Le caractère impératif du droit au partage s’étend également à l’auteur des indivisaires, c’est-à-dire au donateur ou au testateur qui a constitué l’indivision par une libéralité ou un testament.

En effet, la loi garantit que même dans le cadre d’une disposition à titre gratuit, le droit de demander le partage reste un droit fondamental auquel l’auteur de l’indivision ne peut déroger de manière permanente.

Il est essentiel de préserver cette faculté pour éviter qu’une indivision ne devienne perpétuelle, ce qui serait contraire à l’esprit de la propriété individuelle.

Aussi, la liberté de l’auteur de l’indivision, que ce soit un donateur ou un testateur, est strictement encadrée.

Selon l’article 815 du Code civil, il n’est pas possible d’imposer une indivision au-delà d’une certaine durée, même par disposition testamentaire ou donation.

En effet, la loi ne permet que des exceptions temporaires au droit au partage, sous certaines conditions.

Par exemple, la loi du 31 décembre 1976, à travers les articles 1873-1 et suivants du Code civil, permet aux indivisaires de conclure une convention de maintien dans l’indivision pour une durée déterminée ou même indéterminée sous certaines conditions.

Toutefois, ces conventions ne peuvent jamais empêcher un indivisaire de demander le partage à un moment donné.

Il est important de noter que, dans le cadre d’une disposition testamentaire, un testateur ne peut imposer à ses héritiers de rester dans l’indivision au-delà de cinq ans, sauf si les conditions légales strictes permettant un maintien prolongé sont remplies, notamment dans le cadre d’une gestion commune ou d’une indivision conventionnelle. Toute tentative d’imposer une indivision perpétuelle ou de priver définitivement les indivisaires de leur droit au partage serait réputée non écrite.

La jurisprudence a confirmé à plusieurs reprises la nullité des clauses qui imposeraient une indivision perpétuelle ou indéfinie.

Le caractère d’ordre public du droit au partage implique que toute clause qui priverait un indivisaire de la faculté de demander le partage, au-delà des limites légales, est réputée non écrite.

Par exemple, dans un arrêt du 13 avril 2016 (Cass. 1ère civ., 13 avr. 2016, n°15-13.312), la Cour de cassation a jugé qu’une clause testamentaire visant à maintenir les indivisaires dans une indivision perpétuelle était nulle, car elle portait atteinte au droit absolu de demander le partage.

Cependant, la question de la validité des clauses testamentaires imposant un maintien temporaire dans l’indivision reste sujette à débat.

Bien que la jurisprudence soit claire sur l’impossibilité d’imposer une indivision perpétuelle, certaines dispositions peuvent être considérées comme valides lorsqu’elles visent à protéger un intérêt commun aux indivisaires.

Dans ce cas, le testateur peut limiter temporairement le droit au partage, mais sans priver définitivement les héritiers de cette faculté.

L’objectif de telles clauses pourrait être de préserver le patrimoine indivis ou de permettre une gestion collective dans l’intérêt de tous les indivisaires.

Toutefois, ces clauses doivent respecter certaines conditions, notamment qu’elles n’empêchent pas les indivisaires de sortir de l’indivision en cas de difficultés majeures ou de mauvaise foi de l’un des co-indivisaires.

Ainsi, le maintien dans l’indivision doit être justifié par un intérêt légitime et ne peut être imposé de manière arbitraire.

La loi du 23 juin 2006 a apporté des précisions sur la possibilité pour le de cujus d’imposer certaines restrictions au droit de partage.

En particulier, cette loi permet la nomination d’un mandataire à effet posthume, chargé de gérer tout ou partie de la succession pour le compte des héritiers.

Ce mandat, qui peut durer jusqu’à cinq ans, prorogeable sous certaines conditions, peut temporairement priver les héritiers de leur droit au partage, mais uniquement dans l’intérêt légitime de la gestion du patrimoine ou des besoins des héritiers.

Le mandat à effet posthume, bien que limitant temporairement le droit au partage, est lui aussi strictement encadré. Il ne peut pas aboutir à une situation où les héritiers seraient définitivement privés de leur droit de sortir de l’indivision.

Le juge peut intervenir pour mettre fin à ce mandat si les conditions légales ne sont plus remplies, assurant ainsi que le caractère fondamental du droit au partage est toujours préservé.

==>Le caractère impératif du partage à l’égard du juge

Le caractère impératif du droit au partage s’impose non seulement aux indivisaires, mais également au juge, qui doit respecter et garantir ce droit fondamental dans ses décisions.

En effet, lorsqu’il est saisi d’une demande tendant à la fin de l’indivision, le juge ne peut pas, de sa propre initiative, empêcher le partage.

Le droit au partage étant un droit d’ordre public, toute décision judiciaire qui priverait un indivisaire de ce droit serait contraire à la loi.

Le juge ne peut donc ni refuser de prononcer le partage, ni en limiter l’exercice, sauf dans les cas expressément prévus par la loi.

Cette limitation du pouvoir judiciaire est une conséquence directe du caractère d’ordre public du droit au partage, qui protège les indivisaires contre toute mesure judiciaire pouvant prolonger indûment une situation d’indivision subie.

Cette règle découle du principe selon lequel « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision ». Elle confère aux indivisaires une faculté de sortie de l’indivision qui ne peut être entravée que temporairement et sous certaines conditions strictes, prévues par le Code civil.

L’article 815-5 du Code civil prévoit une exception à ce principe en permettant au juge de surseoir temporairement au partage dans des situations bien précises. Cette disposition a été envisagée aux fins de répondre aux cas où un partage immédiat risquerait de causer un préjudice grave à un ou plusieurs indivisaires.

Par exemple, le juge peut accorder un sursis lorsqu’il estime que le partage serait prématuré ou que certaines circonstances économiques ou personnelles justifient un délai avant de procéder au partage. Cela peut concerner des situations où la vente d’un bien indivis entraînerait une dépréciation significative de sa valeur, ou encore des situations où un indivisaire est dans une situation de vulnérabilité ou de précarité.

Cependant, ce sursis est temporaire et ne peut pas avoir pour effet de remettre en cause le caractère impératif du droit au partage. En effet, la suspension du partage ne peut être accordée que pour une durée limitée et justifiée par les circonstances. Le juge doit motiver sa décision et préciser les conditions et la durée du sursis, car l’objectif reste de préserver le droit de chacun de sortir de l’indivision, tout en évitant un préjudice disproportionné.

Même dans les cas où le juge accorde un sursis au partage, son rôle est de trouver un équilibre entre les intérêts des indivisaires. Il doit veiller à ce que le sursis n’entraîne pas une situation d’indivision prolongée qui pourrait être ressentie comme une injustice par les indivisaires désirant mettre fin à cette situation. Ainsi, tout sursis doit rester proportionné et ne peut s’appliquer que dans les conditions définies par la loi.

La jurisprudence a confirmé cette approche, rappelant que le sursis au partage ne peut être accordé que pour éviter un préjudice grave à l’un des indivisaires, mais qu’il ne peut jamais avoir pour effet de priver un indivisaire de son droit au partage de manière définitive ou prolongée au-delà de ce qui est nécessaire.

Par exemple, la Cour de cassation, dans un arrêt du 10 février 2015, a rappelé que même si un indivisaire fait l’objet d’une procédure collective, cette situation ne saurait empêcher un autre indivisaire de demander le partage (Cass. 1re civ., 10 févr. 2015, n°13-24.659).

Outre l’article 815-5, le juge dispose également du pouvoir de surseoir à statuer lorsqu’une difficulté préalable doit être résolue avant de pouvoir procéder au partage.

Par exemple, si une contestation sur la validité d’un testament doit être résolue avant que le partage puisse être ordonné, le juge peut surseoir à statuer jusqu’à ce que cette question soit tranchée.

B) Un droit discrétionnaire

Le caractère discrétionnaire du droit au partage permet à tout co-indivisaire de demander le partage sans avoir à fournir de justification ou de motif légitime.

Autrement dit, l’indivisaire n’a aucune obligation de démontrer que la poursuite de l’indivision lui est préjudiciable, ni d’attendre une circonstance particulière pour demander à en sortir.

L’absence d’exigence de justification permet de garantir que l’indivision ne soit jamais subie par un co-indivisaire.

François Zenati-Castaing explique en ce sens que « la liberté d’exercer ce droit, sans condition ni justification, est une manifestation directe du droit de propriété et de la volonté du législateur d’éviter la perpétuation d’une indivision subie »[1].

Ce caractère discrétionnaire assure ainsi que l’indivisaire, qu’il s’agisse d’une indivision successorale ou de tout autre forme d’indivision, conserve à tout moment la faculté de récupérer sa part de propriété exclusive. Il s’agit d’un droit absolu, qui s’impose aux co-indivisaires sans restriction.

La jurisprudence réaffirme régulièrement cette règle en insistant sur la liberté absolue de chaque indivisaire de provoquer le partage, et ce, sans motif particulier.

Un arrêt fondateur de la Cour de cassation du 26 décembre 1866 a précisé que la demande en partage n’a pas à être fondée sur des motifs légitimes et ne peut être considérée comme un abus de droit, même si elle est désavantageuse pour les autres indivisaires.

Cela signifie qu’un indivisaire peut provoquer le partage même lorsque cette décision s’avère préjudiciable pour les autres co-indivisaires.

Ce caractère discrétionnaire est essentiel pour préserver la précarité intrinsèque du régime de l’indivision, permettant à chaque indivisaire de mettre un terme à cette situation selon sa propre volonté, et ce, sans subir d’opposition.

De manière corrélative, les autres indivisaires ne peuvent empêcher l’un d’eux de sortir de l’indivision, peu importe les circonstances.

Le caractère absolu du droit au partage s’impose également aux juridictions saisies.

En effet, à l’exception des cas prévus par la loi permettant de maintenir temporairement la situation d’indivision, comme le sursis judiciaire (article 815-5 du Code civil), toute juridiction doit accéder à une demande de partage formulée par un indivisaire. La Cour de cassation a confirmé, dès le 19e siècle, que le juge ne dispose pas de la faculté de refuser le partage, quelles que soient les circonstances.

Dans l’arrêt du 26 décembre 1866, elle affirma en ce sens que le partage peut être provoqué à tout moment, peu importe l’absence de motif sérieux ou légitime lors de la demande.

De même, la faible valeur des biens indivis ne constitue pas un obstacle à l’exercice de ce droit, comme rappelé dans un arrêt du 30 mai 1877 (Cass. civ. 30 mai 1877).

Cette liberté s’étend même aux indivisaires en situation particulière, comme ceux placés en liquidation judiciaire.

Dans un arrêt du 29 juin 2011, la Cour de cassation a, par exemple, affirmé qu’un indivisaire faisant l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire pouvait demander le partage sans que les autres indivisaires ne puissent s’y opposer (Cass. 1ère civ. 29 juin 2011, n°10-25.098).

Par ailleurs, le droit de tout indivisaire à demander le partage, absolu et discrétionnaire, prime sur toute disposition testamentaire qui tenterait d’y porter atteinte.

Ainsi, un testateur ne saurait contraindre ses héritiers à rester en indivision, qu’il s’agisse d’une durée illimitée ou même temporaire, sans enfreindre ce droit fondamental.

La jurisprudence est constante à ce sujet : toute clause testamentaire qui restreindrait l’exercice le droit au partage, en imposant par exemple une indivision perpétuelle ou en dissuadant un héritier de demander le partage, est réputée non écrite.

C’est ce que la Cour de cassation a réaffirmé dans un arrêt du 13 avril 2016 (Cass. 1re civ., 13 avr. 2016, n° 15-13.312), en invalidant une stipulation testamentaire visant à maintenir indéfiniment l’indivision.

Dans cette affaire, la Cour de cassation a été saisie d’un litige concernant une stipulation testamentaire imposant une indivision aux héritiers. Le disposant avait inséré une clause pénale dans son testament, stipulant qu’un héritier qui exercerait son droit de demander le partage se verrait infliger une réduction de sa part dans la succession.

Cette disposition avait pour objectif d’empêcher, à tout le moins de dissuader, les héritiers de rompre l’indivision établie par le défunt, même si elle n’était pas à durée déterminée.

La question soulevée devant la Cour de cassation était donc de savoir si une telle clause était valide et si elle pouvait être opposée aux héritiers indivisaires.

Le testateur, en insérant cette clause, tentait manifestement de restreindre l’exercice du droit absolu et discrétionnaire de chaque indivisaire de demander le partage.

Cependant, la Cour de cassation a rappelé que ce droit est protégé par la loi, et qu’il ne peut être entravé, même par des volontés testamentaires explicites.

Plus précisément, elle a jugé que la stipulation testamentaire en question devait être réputée non écrite, car elle portait une atteinte excessive au droit des héritiers de demander le partage.

La Haute juridiction a souligné que ce droit est absolu et ne peut souffrir aucune limitation, qu’elle soit directe ou indirecte, notamment par le biais d’une clause pénale dissuasive.

Cette décision s’inscrit dans le droit fil d’une jurisprudence constante visant à protéger l’autonomie des héritiers indivisaires et à préserver leur faculté de sortir de l’indivision à tout moment.

En statuant ainsi, la Cour de cassation a non seulement invalidé la clause pénale insérée dans le testament, mais elle a également réaffirmé le caractère absolu et discrétionnaire du droit au partage : le testateur ne peut imposer à ses héritiers des contraintes qui porteraient atteinte à l’essence même de leur droit au partage. Ce droit prime sur toute volonté testamentaire visant à prolonger l’indivision, et toute clause contraire doit être écartée.

De même, même lorsque le testateur impose une indivision pour une durée limitée, comparable à ce qui est prévu pour l’indivision conventionnelle (limitée à cinq ans), cette contrainte ne saurait s’imposer aux héritiers.

La jurisprudence l’a confirmé à plusieurs reprises (V. notamment Cass. 1ère civ. 5 janv. 1977, n°75-15.199), et cette position n’a pas été remise en cause par la réforme de 1976.

Ainsi, qu’il s’agisse d’une indivision perpétuelle ou temporaire, toute tentative du testateur d’imposer sa durée, même assortie de sanctions, contrevient au droit inaliénable de tout indivisaire de demander le partage. Toute clause allant dans ce sens se voit automatiquement privée d’effet, étant réputée non écrite.

C) Un droit imprescriptible

==>L’exclusion de la prescription extinctive

Le droit au partage se distingue par son caractère imprescriptible, c’est-à-dire qu’il ne s’éteint jamais, quel que soit le temps écoulé depuis la constitution de l’indivision.

La Cour de cassation a rappelé ce principe notamment dans un arrêt du 12 décembre 2007 aux termes duquel elle a jugé que « le droit de demander le partage étant imprescriptible, celui-ci peut toujours être provoqué, à moins qu’il n’y ait été sursis par jugement ou convention » (Cass. 1ère civ., 12 déc. 2007, n°06-20.830).

Dans cette affaire, la demande de partage concernait une succession vieille de plus de 70 ans, et la Cour a confirmé que le délai écoulé ne faisait pas obstacle à cette action. Cet arrêt illustre de manière claire l’absence de toute prescription extinctive pour l’action en partage, même en présence d’une indivision très ancienne.

Cette règle vise à protéger le droit de propriété de chaque indivisaire, en lui offrant la possibilité de retrouver à tout moment une pleine maîtrise de sa part de bien.

Des auteurs soulignent à cet égard que « le droit au partage est intrinsèquement lié à la protection de la propriété individuelle et ne saurait être anéanti par l’écoulement du temps »[2]. Dans le même sens Planiol et Ripert ont écrit que « le droit de sortir d’indivision ne se perd pas par non-usage »[3].

Cette position doctrinale met en évidence la nature temporaire de l’indivision, conçue pour cesser dès lors qu’un indivisaire le souhaite. L’imprescriptibilité du droit au partage en est la manifestation la plus claire.

En tout état de cause, bien que la prescription extinctive puisse entraîner l’extinction de certains droits par l’écoulement du temps, elle ne s’applique pas à l’action en partage.

Ce principe, fermement établi par la jurisprudence, est illustré notamment par un ancien arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 décembre 1937 (Cass. req., 13 déc. 1937).

Elle y a confirmé que le droit au partage échappe à toute forme de prescription extinctive. Cette décision réaffirme le caractère fondamentalement imprescriptible de ce droit, garantissant à tout indivisaire la faculté de provoquer la fin de l’indivision, quel que soit le temps écoulé depuis sa constitution.

Ainsi, même en cas d’indivision prolongée, chaque indivisaire conserve la possibilité de demander le partage à tout moment. Ce droit est protégé contre toute forme d’inertie, qu’elle soit intentionnelle ou non, de la part des autres indivisaires. Cela évite que l’indivision ne se perpétue simplement par défaut d’action ou par négligence de certains indivisaires.

En ce sens, l’imprescriptibilité du droit au partage agit comme une garantie contre l’inaction, préservant le droit de chaque co-indivisaire à mettre fin à cette situation à tout moment, sans qu’un quelconque délai puisse jouer en défaveur de cette prérogative.

==>Le jeu de la prescription acquisitive

Reste que si le droit au partage est imprescriptible, la prescription acquisitive constitue une exception à ce principe.

En effet, bien que la prescription extinctive ne puisse éteindre le droit de demander le partage, il est possible, sous certaines conditions, qu’un indivisaire ou un tiers acquière la propriété d’un bien indivis par possession prolongée.

L’article 816 du Code civil dispose en ce sens que « le partage ne peut être demandé s’il y a eu possession suffisante pour acquérir la prescription ».

Cela signifie que si un bien indivis a été possédé de manière continue, paisible, publique et non équivoque pendant un délai de trente ans, l’usucapion permet à l’indivisaire ou au tiers possesseur de faire sortir ce bien de l’indivision, le privant ainsi de son caractère indivis.

L’usucapion, qui repose sur des conditions rigoureuses de possession, s’applique donc uniquement à des biens spécifiques au sein de l’indivision, et non à l’ensemble d’une succession ou d’un patrimoine indivis dans son intégralité.

Cela se justifie par la nature même de l’indivision, qui repose sur une co-titularité de droits de propriété, chacun des indivisaires jouissant de l’ensemble des biens indivis sans en détenir la propriété exclusive.

Certains auteurs soutiennent qu’une succession, en tant qu’universalité juridique, ne peut faire l’objet d’une possession prolongée dans son ensemble, car il serait difficile, voire impossible, de posséder une telle universalité de manière non équivoque et exclusive.

En raison de la diversité des biens qui la composent et de la nature collective des droits indivisaires, ils estiment que la possession, pour être effective et produire des effets juridiques, doit porter sur des biens déterminés, spécifiquement identifiés, plutôt que sur l’ensemble des biens formant l’indivision.

Les tenants de cette thèse considèrent que « l’usucapion ne peut jouer que relativement à des biens envisagés ut singuli », c’est-à-dire individuellement, et non sur l’intégralité d’une succession ou d’une indivision, laquelle est perçue comme une universalité juridique insusceptible de possession exclusive[4].

Cependant, d’autres auteurs adoptent une approche plus large et nuancée de l’usucapion.

Ils soutiennent qu’il serait possible, sous certaines conditions, d’acquérir par prescription acquisitive non seulement des biens spécifiques, mais également un ensemble de biens constituant l’actif successoral, dès lors que ces biens sont suffisamment identifiés au sein de l’universalité juridique de la succession.

Selon cette approche, l’usucapion ne porterait pas sur l’universalité en tant que telle, mais sur les éléments patrimoniaux qui la composent, ce qui permettrait à un indivisaire de prescrire l’intégralité de l’actif successoral ou de l’indivision.

Cette position a trouvé un certain écho dans la jurisprudence. En effet, la Cour de cassation a admis, dans un arrêt du 4 juillet 1853, que la prescription acquisitive pouvait, dans certaines circonstances, s’appliquer à l’ensemble des biens dépendant d’une succession.

Cet arrêt confirme l’interprétation selon laquelle l’usucapion, bien qu’habituellement limitée à des biens déterminés, peut dans des cas particuliers s’étendre à un ensemble de biens indivis, lorsque les conditions de la possession sont réunies.

L’article 816 du Code civil, qui dispose que « le partage ne peut être demandé s’il y a eu possession suffisante pour acquérir la prescription », consacre ce mécanisme, en permettant qu’un bien indivis puisse être usucapé et sortir ainsi de l’indivision, rendant le partage inapplicable à ce bien.

Quoi qu’il en doit, l’application de l’usucapion, même sur des biens indivis, repose sur le respect strict des conditions de la prescription acquisitive, telles qu’énoncées dans l’article 2261 du Code civil.

Pour que la possession puisse conduire à l’acquisition d’un bien par usucapion, elle doit être paisible, continue, publique et non équivoque, et ce, pendant un délai de trente ans, si aucun titre translatif de propriété n’est invoqué.

La jurisprudence et la doctrine insistent sur le caractère exclusif de la possession, particulièrement en matière d’indivision, où les actes accomplis par un indivisaire tendent souvent à être interprétés comme des actes de gestion collective plutôt que comme des manifestations d’une volonté d’exclusivité.

A cet égard, la possession en situation d’indivision présente une difficulté particulière : les actes de gestion ou d’usage par un coïndivisaire sont généralement équivoques, car ils peuvent être perçus comme l’exercice normal des droits indivis, et non comme une appropriation exclusive.

Selon Planiol et Ripert, la possession d’un bien indivis par un coïndivisaire est souvent indéterminée, car elle reflète une jouissance commune plutôt qu’une propriété individuelle. Les actes de possession ne peuvent donc permettre l’usucapion que s’ils traduisent une intention manifeste de se comporter en propriétaire exclusif, incompatible avec la qualité d’indivisaire.

La jurisprudence est venue confirmer cette exigence. Ainsi, dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation a rappelé que les juges du fond doivent rechercher si le possesseur indivis s’est comporté en propriétaire exclusif, c’est-à-dire s’il a accompli des actes montrant son intention de s’approprier le bien pour lui seul (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 27 oct. 1993, n° 91-13.286). En l’absence d’actes exclusifs et non équivoques, la prescription acquisitive ne peut prospérer, et le bien demeure dans l’indivision.

Il peut être observé que le vice d’équivoque est l’un des principaux obstacles à la mise en œuvre de l’usucapion dans le cadre de l’indivision.

Ce vice se manifeste lorsque la possession invoquée par l’indivisaire n’est pas clairement distincte de celle que pourrait exercer un autre indivisaire.

Par exemple, un indivisaire qui se contente d’occuper un bien indivis ou d’en tirer des revenus comme le ferait tout autre coïndivisaire ne pourra prétendre à l’usucapion, car ces actes ne montrent pas une volonté d’exclusivité (Cass. 3e civ., 27 nov. 1985, n°84-15.259). À l’inverse, des actes significatifs, tels que l’accomplissement de travaux importants sans en informer les autres indivisaires ou la perception exclusive des fruits du bien, peuvent constituer des indices d’une volonté d’exclusivité, susceptibles de permettre l’usucapion (Cass. 3e civ., 25 févr. 1998, n° 96-15.045).

Pour que la prescription acquisitive puisse être opposée avec succès aux autres indivisaires, il est nécessaire que l’indivisaire prétendant à l’usucapion se soit comporté en véritable propriétaire exclusif. Cette exclusivité doit être démontrée par des actes incompatibles avec la qualité d’indivisaire, c’est-à-dire des actes qui ne relèvent pas simplement de la gestion ordinaire de l’indivision, mais qui traduisent une appropriation personnelle du bien.

Le délai de prescription requis pour l’usucapion en matière d’indivision est de trente ans. La prescription abrégée de dix ans, applicable dans certains cas lorsque le possesseur dispose d’un juste titre, ne trouve pas à s’appliquer dans ce contexte, en raison de l’absence de titre translatif au profit de l’indivisaire.

Ce principe a été établi par la jurisprudence, qui exclut la possibilité pour un indivisaire de prescrire en moins de trente ans en invoquant un partage irrégulier ou un acte de gestion comme titre translatif (V. en ce sens Cass. req., 4 août 1870).

Cependant, dans le cadre de la copropriété, il est possible pour l’ensemble des copropriétaires d’acquérir des parties communes par prescription abrégée, comme rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 30 avril 2003 .

Aux termes de cet arrêt, elle a, en effet, jugé que « les actes de vente de biens immobiliers, constitués par des lots de copropriété qui sont nécessairement composés de parties privatives et de quotes-parts de parties communes, peuvent être le juste titre qui permet à l’ensemble des copropriétaires de prescrire, selon les modalités de l’article 2265 du Code civil, sur les parties communes de la copropriété, les droits indivis de propriété qu’ils ont acquis accessoirement aux droits exclusifs qu’ils détiennent sur les parties privatives de leurs lots » (Cass. 3e civ., 30 avr. 2003, n° 01-15.078).

Au total, l’usucapion, bien que potentiellement applicable à des biens indivis, reste un mécanisme d’exception nécessitant des conditions strictes. La possession doit être exclusive, continue, paisible, publique et non équivoque, et ce, pendant une période de trente ans.

Si ces conditions ne sont pas réunies, le bien demeurera dans l’indivision et restera éligible au partage, étant précisé que la jurisprudence exclut toute possibilité d’usucapion lorsque la possession invoquée par l’indivisaire se confond avec l’usage ordinaire d’un bien indivis, ce qui nécessité alors une véritable appropriation exclusive pour que la prescription acquisitive puisse produire ses effets.

III) Les titulaires du droit au partage

A) Les indivisaires

1. Principe

Le droit de provoquer le partage est conféré à tout indivisaire, sans distinction. Cette prérogative essentielle s’applique à tous, quelle que soit l’origine des droits : qu’ils résultent d’une succession ab intestat, d’un legs universel ou d’une institution contractuelle.

En conférant ce droit à chacun des membres de l’indivision, le législateur n’a fait que traduire un principe fondamental qui préside au droit patrimonial : l’autonomie individuelle dans la gestion des droits sur un patrimoine commun.

Cette faculté s’exerce également sans égard pour la quotité des droits détenus par l’indivisaire. Même celui qui ne possède qu’une part minime dans la masse indivise peut, à son initiative, demander le partage, sans être tenue par une règle de majorité. Cette égalité juridique entre les coindivisaires garantit que la voix de chacun, quelle que soit l’importance de sa participation, soit respectée et protégée.

En affirmant que nul ne peut être contraint de demeurer dans une communauté indivise contre son gré, l’article 815 du Code civil positionne le partage comme l’issue naturelle et légitime de l’indivision.

Ce principe, qui traverse l’ensemble du régime de l’indivision, confère à chaque indivisaire un droit personnel et indépendant, lui permettant de recouvrer, à tout moment, une pleine maîtrise de son patrimoine.

Ainsi, le droit de demander le partage incarne l’idée que l’indivision, par nature transitoire, ne peut être imposée durablement à aucun indivisaire.

2. Tempérament

Si le droit au partage constitue l’un des principes cardinaux du régime de l’indivision, le législateur a néanmoins prévu, dans des conditions strictement encadrées, des mécanismes permettant d’en différer temporairement l’exercice. Ces dispositifs, conçus pour répondre à des impératifs patrimoniaux ou familiaux, visent à préserver l’équilibre des intérêts en jeu, sans jamais porter atteinte à la nature fondamentale de ce droit.

Parmi ces mécanismes, le mandat à effet posthume, introduit par la loi du 23 juin 2006 et codifié aux articles 812 et suivants du Code civil, illustre cette volonté de concilier la préservation de l’unité patrimoniale avec la garantie de la liberté des indivisaires. Ce mandat confère au de cujus la faculté de désigner un mandataire chargé de gérer tout ou partie de la succession pour le compte des héritiers. Sa finalité est de permettre une gestion cohérente et centralisée des biens indivis dans des circonstances exigeant une coordination temporaire.

Le mandat à effet posthume repose sur une condition essentielle : l’existence d’un intérêt sérieux et légitime. Celui-ci peut se manifester dans des situations telles que la nécessité de préserver l’unité d’une exploitation agricole, d’assurer la pérennité d’une entreprise familiale, ou encore de protéger les intérêts d’héritiers particulièrement vulnérables. La durée de ce mandat, limitée à cinq ans prorogeables sous certaines conditions, garantit le caractère transitoire de cette mesure.

Bien que ce dispositif puisse temporairement différer l’exercice du droit au partage, il ne saurait en altérer l’essence. Le législateur a strictement encadré cette faculté, en veillant à ce qu’elle demeure une mesure de sauvegarde, et non une atteinte définitive au droit des indivisaires de sortir de l’indivision. Ainsi, en cas de disparition des motifs ayant justifié sa mise en place, le juge peut, à la demande des indivisaires, révoquer le mandat, rétablissant ainsi leur liberté patrimoniale.

3. Exclusions

Le droit de provoquer le partage, intrinsèquement lié à la qualité d’indivisaire, est une prérogative qui s’éteint dès lors que cette qualité disparaît ou fait défaut. Cette connexion organique avec l’indivision explique que les personnes étrangères à celle-ci, ainsi que celles qui ont cessé d’y appartenir, soient logiquement exclues de l’exercice de ce droit.

Les non-indivisaires, tout d’abord, se trouvent naturellement exclus des opérations de partage. C’est le cas des légataires particuliers ou des successeurs gratifiés de biens spécifiquement individualisés, tels qu’un immeuble ou un ensemble de meubles désignés. Dépourvus de droits indivis, ces personnes n’ont aucun titre pour intervenir dans la répartition des biens communs, leur patrimoine étant constitué indépendamment de la masse indivise.

Par ailleurs, la perte de la qualité d’indivisaire entraîne également la disparition du droit au partage. Plusieurs circonstances peuvent conduire à cette extinction corrélative.

Ainsi, la cession de la totalité des parts indivises à un tiers, ou encore l’acquisition de l’ensemble des droits par un seul indivisaire, mettent fin à l’indivision et, par conséquent, à la possibilité d’en demander la dissolution. De même, la prescription acquisitive, par laquelle un indivisaire ou un tiers devient propriétaire exclusif d’un bien indivis, aboutit à la perte de tout droit indivis sur le bien en question, privant les anciens indivisaires de la faculté de provoquer le partage.

Enfin, la réalisation d’un partage définitif marque l’extinction ultime de ce droit. Lorsque les indivisaires s’accordent sur la répartition des biens et formalisent cette entente par un acte de partage, qu’il soit verbalement consenti et prouvé ou constaté par écrit, le droit de provoquer le partage disparaît. Cet acte met un terme à la situation d’indivision en conférant à chaque indivisaire un droit exclusif et privatif sur les biens qui lui sont attribués.

Toutefois, il convient de souligner que seules les conventions de partage définitif, et non les accords provisoires ou les conventions organisant la jouissance temporaire des biens indivis, ont cet effet extinctif. Ainsi, une simple organisation transitoire de l’indivision, comme une convention d’attribution de jouissance, ne prive pas les indivisaires de leur droit de demander ultérieurement un partage formel et définitif.

4. Cas particuliers

Le droit de provoquer le partage, pilier du régime de l’indivision, s’étend naturellement aux ayants cause des indivisaires, selon des règles qui varient selon la nature des droits transmis et la qualité du bénéficiaire. Si les ayants cause universels ou à titre universel succèdent pleinement aux prérogatives de leur auteur, les ayants cause à titre particulier sont soumis à des restrictions importantes.

a. Les ayants cause universels et à titre universel

Les ayants cause universels ou à titre universel, qu’ils soient héritiers légaux, légataires ou institués contractuels, acquièrent simultanément la qualité d’indivisaire et le droit de provoquer le partage.

Ce droit, intrinsèquement lié à leur qualité d’indivisaire, leur permet de poursuivre les opérations de partage au même titre que leur auteur. La jurisprudence et la doctrine reconnaissent unanimement cette faculté, qui reflète la continuité patrimoniale inhérente aux transmissions universelles.

Cependant, le droit de partage des ayants cause universels ou à titre universel peut être affecté par une condition suspensive attachée à leurs droits. Ainsi, un légataire universel soumis à une telle condition ne pourra exercer ce droit qu’après la réalisation de la condition, conformément aux principes du droit successoral.

b. Les ayants cause à titre particulier

Les ayants cause à titre particulier se distinguent dans le régime de l’indivision par leur situation spécifique : l’acquisition de la qualité d’indivisaire, et donc du droit de provoquer le partage, est conditionnée par la nature des droits qui leur sont transmis.

Contrairement aux transmissions universelles ou à titre universel, les transmissions particulières ne confèrent pas systématiquement la qualité d’indivisaire à leurs bénéficiaires, limitant ainsi leur capacité à intervenir dans les opérations de partage.

==>Les personnes gratifiées

Les légataires particuliers ou les bénéficiaires de donations portant sur des biens spécifiquement individualisés se trouvent exclus de l’indivision.

En effet, la nature des droits transmis, déconnectés de l’ensemble indivis, leur interdit toute participation aux opérations de partage.

Par exemple, un légataire bénéficiant d’un bien précis, tel qu’un tableau ou un immeuble non indivis, n’a aucun titre pour réclamer un partage, ses droits étant pleinement isolés de la communauté indivise.

==>Les cessionnaires de parts indivises

En revanche, les cessionnaires d’une part indivise, qu’elle soit totale ou partielle, accèdent directement à la qualité d’indivisaire par le biais de la transmission des droits de leur auteur.

En acquérant ces droits, ils s’intègrent pleinement à l’indivision et se voient conférer le droit de provoquer le partage en leur propre nom. Cette intégration s’opère sans restriction, leur permettant d’agir dans les mêmes conditions que leur prédécesseur.

Cette situation reflète le principe d’autonomie patrimoniale inhérent au régime de l’indivision, selon lequel tout indivisaire, y compris un cessionnaire, peut décider librement de mettre fin à l’indivision, dans le respect des règles légales.

==>Les cessionnaires de biens indivis

Lorsque la cession porte sur un bien indivis ou sur les droits afférents à ce bien, la situation devient plus nuancée.

Le cessionnaire, bien qu’exclu de la qualité d’indivisaire, peut néanmoins avoir un intérêt légitime à demander le partage.

Cet intérêt s’explique par l’éventualité que le bien cédé soit attribué dans le lot de son auteur lors du partage. Toutefois, cette faculté est encadrée de manière stricte : le cessionnaire ne peut agir qu’au nom et pour le compte de l’indivisaire initial.

Ainsi, lui est-il impossible d’imposer un partage limité à ce seul bien, car une telle demande dépasserait les droits conférés à son auteur.

Cette règle garantit une gestion cohérente et collective de l’indivision, évitant que des intérêts particuliers ne viennent fragmenter le processus de partage au détriment des autres indivisaires.

B) Les créanciers

L’article 815-17, alinéa 3, du Code civil confère aux créanciers personnels d’un indivisaire une faculté d’une portée exceptionnelle : celle de provoquer le partage au nom de leur débiteur ou d’intervenir dans le partage initié par ce dernier.

Ce mécanisme, qui participe de l’application de l’action oblique, repose sur la nécessité de préserver les droits des créanciers face à l’inertie de leur débiteur ou aux risques de fraude liés aux opérations de partage.

D’une part, les créanciers peuvent exercer une action en partage, par laquelle ils agissent directement pour mettre fin à l’indivision et obtenir ainsi le paiement de leur créance. Cette action permet de mobiliser les droits indivis pour transformer les actifs en valeurs liquidatives, souvent nécessaires pour désintéresser les créanciers. Ce droit, soumis à des conditions de fond et de forme, exige notamment une créance certaine, liquide et exigible, ainsi qu’une carence avérée du débiteur à agir.

D’autre part, de manière complémentaire, l’article 815-17, alinéa 3, prévoit que les coïndivisaires du débiteur disposent d’un moyen d’opposition : ils peuvent arrêter le cours de l’action en partage en acquittant eux-mêmes l’obligation au nom et en l’acquit du débiteur.

Cette faculté, qui relève d’une logique de solidarité entre indivisaires, leur permet de préserver l’indivision en désintéressant directement le créancier.

Toutefois, cette opposition suppose que les coïndivisaires acquittent intégralement la dette, faute de quoi le créancier conserve son droit à agir.

Les coïndivisaires qui exercent cette faculté se remboursent ensuite par prélèvement sur les biens indivis, conformément au texte. Ce mécanisme garantit un équilibre entre les droits des créanciers et la volonté des coïndivisaires de maintenir l’unité de l’indivision.

Ces deux prérogatives – l’action en partage et la faculté d’arrêt du cours de l’action – traduisent un subtil équilibre entre les droits des créanciers, la sauvegarde de l’indivision et la protection des coïndivisaires. Ce dispositif assure ainsi une conciliation efficace entre les impératifs de recouvrement et les principes fondamentaux de l’indivision.

1. L’action en partage

L’article 815-17, alinéa 3, du Code civil confère aux créanciers personnels d’un indivisaire une prérogative singulière : celle de provoquer le partage au nom de leur débiteur.

Ce droit, en dérogation à la prohibition générale de saisie édictée par l’alinéa précédent, s’inscrit dans un équilibre entre la sauvegarde des droits des créanciers et la préservation de l’intégrité de l’indivision.

a. Principe

L’article 815-17, alinéa 3, du Code civil dispose que « les créanciers personnels d’un indivisaire ont […] la faculté de provoquer le partage au nom de leur débiteur ou d’intervenir dans le partage provoqué par lui ».

Cette disposition repose sur une logique de protection des créanciers, en leur offrant un moyen d’action face à la carence du débiteur à exercer ses droits dans l’indivision.

Lorsqu’un indivisaire néglige de demander le partage, les créanciers sont exposés au risque de voir leur créance compromise par la stagnation de l’indivision, notamment si les biens indivis perdent de leur valeur ou si des litiges surviennent entre les coïndivisaires.

Ce droit, introduit par la loi du 31 décembre 1976, marque une évolution importante par rapport au régime antérieur.

En effet, il dépasse la simple opposition prévue à l’article 882 du Code civil, qui permettait seulement aux créanciers de veiller à ce qu’un partage ne se fasse pas en fraude de leurs droits. Ici, l’article 815-17, alinéa 3, leur confère une véritable faculté d’agir au nom du débiteur, par le biais de l’action oblique régie par l’article 1341-1 du Code civil, lorsque l’inertie de ce dernier compromet leur recouvrement.

En outre, cette faculté ne se limite pas à la demande de partage stricto sensu. Elle s’étend également à la licitation des biens indivis, laquelle se révèle souvent indispensable lorsque les biens en question sont indivisibles ou difficilement partageables en nature.

Dans de tels cas, la licitation, consistant en la vente aux enchères des biens indivis, permet de transformer les actifs indivis en une masse de liquidités répartissable entre les indivisaires, facilitant ainsi le règlement des créances.

La jurisprudence a confirmé cette extension du droit d’agir des créanciers, considérant que la demande de licitation découle nécessairement de leur faculté de provoquer le partage (CA Paris, 20 nov. 1984).

Ce droit de substitution illustre une conciliation entre la sauvegarde des intérêts des créanciers et le respect des règles fondamentales de l’indivision. Il n’en reste pas moins encadré par des conditions strictes, à la fois procédurales et matérielles, afin d’éviter tout abus de droit ou atteinte disproportionnée aux droits des coïndivisaires.

Par exemple, le créancier doit justifier d’une créance certaine, liquide et exigible, et il lui appartient de démontrer que la carence de son débiteur compromet directement ses droits (Cass. 1re civ., 17 mai 1982, n°81-12.312).

Ainsi, l’article 815-17, alinéa 3, confère aux créanciers un outil efficace pour préserver leurs intérêts, tout en maintenant l’équilibre entre les droits des indivisaires et ceux des tiers, notamment lorsque l’inertie ou l’obstruction d’un débiteur met en péril la pérennité de l’indivision.

b. Conditions de l’action en partage

i. Conditions de fond

Pour que l’action en partage, exercée par un créancier personnel d’un indivisaire, soit jugée recevable, plusieurs conditions de fond doivent impérativement être réunies.

Ces conditions, qui mêlent à la fois les exigences spécifiques à l’action en partage et celles découlant du régime général de l’action oblique, traduisent la nature hybride de cette prérogative.

En effet, l’action en partage, bien qu’encadrée par des règles propres, s’inscrit dans la logique de l’article 1341-1 du Code civil, faisant de l’action oblique un fondement sous-jacent.

Ces exigences témoignent de la rigueur juridique entourant cette faculté, visant à garantir l’équilibre entre les droits des créanciers à recouvrer leurs créances et la protection des indivisaires contre des actions abusives ou non justifiées.

Elles conditionnent non seulement la recevabilité de l’action, mais aussi son bien-fondé au regard des principes qui gouvernent l’indivision.

==>Existence d’une indivision

L’indivision doit être constituée au moment où l’action en partage est engagée. L’article 815-17, alinéa 3, du Code civil ne saurait être invoqué pour obtenir le partage d’un bien n’étant pas encore dans une situation d’indivision juridiquement établie.

Cela exclut, par exemple, les biens relevant d’une communauté conjugale avant sa dissolution, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 9 novembre 1993 aux termes duquel elle a jugé qu’un créancier personnel d’un conjoint commun en biens ne peut provoquer le partage d’un bien commun avant la dissolution de la communauté (Cass. 1re civ., 9 nov. 1993, n°91-20.290).

Il s’infère de cette condition que l’action en partage repose sur une situation juridique préexistante, et non sur un simple espoir de constitution future d’un patrimoine indivis.

==>Qualité de créancier personnel

L’action en partage reconnue par l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil est strictement réservée aux créanciers personnels d’un indivisaire.

A cet égard, la qualité de créancier personnel désigne une personne ayant une créance directe envers un indivisaire en raison d’un lien contractuel, délictuel ou quasi-délictuel, ou d’une autre source d’obligation.

En vertu de cette relation juridique, le créancier agit dans son propre intérêt et non dans celui de l’indivision.

Ainsi, cette action ne s’étend pas aux créanciers de l’indivision elle-même, ces derniers étant appelés à faire valoir leurs droits selon des mécanismes spécifiques, tels que le prélèvement sur l’actif indivis prévu par l’article 815-17, alinéa 1.

Cette distinction garantit que seuls les créanciers directement concernés par la dette d’un indivisaire débiteur puissent exercer un droit d’action sur l’indivision. Une telle restriction vise à prévenir les abus et à préserver les intérêts des autres coïndivisaires, qui pourraient être compromis si les créanciers de l’indivision, plus nombreux, pouvaient également intervenir dans ce cadre.

La limitation de l’action aux créanciers personnels découle de la nature intrinsèque de l’indivision, qui est fondée sur la coexistence de droits concurrents entre indivisaires.

Le partage, qui vise à mettre fin à l’indivision, constitue une opération complexe pouvant avoir des conséquences importantes pour chaque indivisaire. Il serait donc inéquitable que des créanciers extérieurs à un indivisaire spécifique puissent intervenir pour contraindre l’indivision dans son ensemble.

Cette règle répond également à une logique de sécurité juridique. En autorisant uniquement les créanciers personnels d’un indivisaire à provoquer ou intervenir dans le partage, la loi limite les situations de conflits et d’enchevêtrement des droits de créance, tout en maintenant l’équilibre nécessaire entre les droits des créanciers et la préservation des intérêts des coïndivisaires.

La jurisprudence a précisé et confirmé cette distinction qu’il y a lieu de faire encre les créanciers.

Par exemple, il a été jugé que les créanciers de l’indivision ne peuvent provoquer le partage des biens indivis, car ils ne détiennent pas de créance personnelle contre un indivisaire en particulier.

À l’inverse, les créanciers personnels, du fait de leur lien direct avec un indivisaire débiteur, sont habilités à exercer l’action, dans la limite des droits détenus par leur débiteur dans l’indivision.

La qualité de créancier personnel constitue donc une condition essentielle à la recevabilité de l’action en partage.

Avant d’engager une telle procédure, le créancier doit prouver l’existence de ce lien direct, sous peine d’irrecevabilité. Cette exigence met également en lumière la nécessité pour les créanciers de vérifier la nature juridique de leur créance avant toute action.

==>Carence du débiteur

L’article 815-17, alinéa 3, du Code civil confère aux créanciers personnels d’un indivisaire le droit de provoquer le partage, mais uniquement si leur débiteur se révèle défaillant dans l’exercice de cette faculté.

La carence du débiteur constitue dès lors une condition préalable et indispensable à la recevabilité de l’action.

Ce principe repose sur une double logique :

  • Préserver l’autonomie des indivisaires : le partage relève en principe d’une décision des indivisaires eux-mêmes. L’intervention du créancier n’est permise que si cette autonomie est défaillante, justifiant une substitution par le créancier.
  • Protéger les intérêts des créanciers : lorsque le débiteur reste inactif malgré la nécessité manifeste de mettre fin à l’indivision, le créancier est légitimé à intervenir pour éviter que ses droits ne soient irrémédiablement compromis.

La carence du débiteur peut prendre différentes formes, toutes caractérisées par une inertie préjudiciable aux droits du créancier :

  • Le débiteur s’abstient totalement de demander le partage des biens indivis, bien que cette démarche soit nécessaire pour permettre le paiement de la créance.
  • Une action en partage a été engagée, mais le débiteur néglige de la poursuivre ou d’accomplir les actes nécessaires à son aboutissement.
  • Le débiteur manifeste une inertie persistante, malgré l’existence d’un contexte évident justifiant le partage, tel qu’un conflit entre coïndivisaires ou une impossibilité matérielle de maintenir l’indivision (Cass. 1re civ., 21 nov. 2018, n° 17-26.245).

La jurisprudence veille à un contrôle rigoureux de cette condition. La charge de la preuve incombe au créancier, qui doit démontrer que l’attitude du débiteur met en péril le recouvrement de sa créance.

La Cour de cassation a précisé que cette carence ne peut être présumée. Elle doit être constatée sur la base de faits objectifs établissant :

  • L’inaction prolongée du débiteur
  • L’absence d’intention manifeste de procéder au partage, malgré une situation d’indivision durable ou économiquement nuisible.

À titre d’exemple, une carence a été retenue dans une affaire où le débiteur, endetté depuis plusieurs années, n’avait entrepris aucune démarche pour sortir d’une indivision bloquée, compromettant ainsi les droits de ses créanciers (Cass. 1re civ., 11 mars 2003, n° 01-12.170).

Toutefois, l’inertie du débiteur n’est pas établie si celui-ci justifie son refus d’agir par des motifs légitimes, tels que :

  • La conclusion d’une convention d’indivision entre coïndivisaires, interdisant toute demande de partage avant un certain délai.
  • L’existence d’un désaccord entre indivisaires ne relevant pas de sa responsabilité.
  • Une procédure en cours, telle qu’une liquidation judiciaire, encadrant les biens indivis.

Dans ces cas, le créancier ne pourra valablement prétendre à la carence du débiteur.

Lorsqu’elle est avérée, la carence du débiteur ouvre au créancier la possibilité d’exercer une action oblique pour provoquer le partage.

==>Existence d’une créance certaine, liquide et exigible

Pour que l’action en partage intentée par un créancier personnel d’un indivisaire soit recevable, la créance invoquée doit remplir trois critères cumulatifs : elle doit être certaine, liquide, et exigible.

Ces exigences, issues des principes généraux du droit des obligations, garantissent que l’action ne repose pas sur des droits hypothétiques ou incertains.

  • Une créance certaine
    • Une créance est dite certaine lorsqu’elle repose sur une obligation clairement établie, et non sur une simple éventualité ou probabilité.
    • Cela signifie que le droit du créancier à réclamer le paiement doit être juridiquement reconnu et non contesté par le débiteur ou soumis à des conditions suspensives.
    • Aussi, une créance subordonnée à la réalisation d’une condition suspensive (exemple : le versement d’une somme après la survenance d’un événement futur et incertain) ne peut justifier une action en partage.
    • La jurisprudence est stricte à cet égard : une créance incertaine, parce que conditionnelle, prive le créancier du droit d’agir dans l’indivision (Cass. req., 25 mars 1924).
    • Pour exemple, une banque réclamant le remboursement d’un prêt hypothécaire dont l’échéance n’est pas encore arrivée ne pourrait prétendre exercer une action en partage au titre d’une créance non encore certaine.
  • Une créance liquide
    • La liquidité d’une créance implique qu’elle soit susceptible d’être chiffrée avec exactitude.
    • Autrement dit, le montant dû doit être déterminé ou, à tout le moins, facilement déterminable sans nécessiter de procédures longues et complexes.
    • Une créance dont le montant reste incertain ou non évaluable ne peut permettre au créancier d’exercer l’action.
    • Par exemple, une créance portant sur des dommages et intérêts à évaluer ultérieurement par le juge serait considérée comme non liquide.
    • Certains auteurs estiment toutefois qu’une créance évaluée par le biais d’une clause pénale ou stipulée par contrat peut être considérée comme liquide, même si son montant exact n’a pas encore été fixé par un juge.
  • Une créance exigible
    • Une créance exigible est une créance dont le terme est échu, ce qui signifie que le débiteur est tenu d’en effectuer le paiement.
    • Une créance assortie d’un terme suspensif, c’est-à-dire dont l’échéance est fixée à une date future, ne peut servir de fondement à une action en partage.
    • L’exigence d’exigibilité garantit que le créancier agit pour faire valoir un droit actuel et non anticipé.
    • Par exemple, une créance résultant d’un prêt dont les échéances ne sont pas encore dues ne permettrait pas au créancier d’intervenir dans l’indivision.
    • En cas de défaillance manifeste du débiteur ou de risque d’insolvabilité, certaines créances dont le terme est en cours peuvent toutefois, dans des cas spécifiques, être prises en compte, sous réserve d’une autorisation judiciaire.

La charge de la preuve de ces trois caractères que doit présenter la créance incombe au créancier.

Ce dernier doit démontrer, par tout moyen, que la créance est certaine, liquide et exigible. À défaut, son action sera jugée irrecevable.

La nécessité d’une créance certaine, liquide et exigible trouve sa justification dans le caractère intrusif de l’action en partage pour les coïndivisaires.

L’objectif est de limiter cette faculté aux situations où le créancier dispose d’un droit incontestable et actuel, évitant ainsi des conflits inutiles ou prématurés.

Cette exigence préserve les droits des autres coïndivisaires, en évitant qu’un créancier sans titre solide ne vienne perturber l’indivision.

En s’assurant de ces conditions, le créancier maximise ses chances de succès dans l’obtention d’une quote-part ou d’une somme permettant le recouvrement de sa créance.

ii. Conditions procédurales

L’action en partage exercée par un créancier personnel d’un indivisaire est soumise à des exigences procédurales spécifiques, dont certaines découlent des règles générales applicables à l’action oblique, tandis que d’autres répondent aux particularités du partage.

Ces conditions visent à garantir la régularité des opérations tout en assurant l’équilibre entre l’efficacité de la créance et les droits des indivisaires.

==>Compétence juridictionnelle

Le tribunal compétent varie selon la nature de l’indivision et le contexte dans lequel s’inscrit la demande en partage :

  • Compétence du Tribunal judiciaire
    • En principe, le tribunal judiciaire est compétent pour statuer sur les actions en partage, y compris celles intentées par un créancier personnel d’un indivisaire dans le cadre d’une action oblique.
    • Cette compétence découle des dispositions générales du Code de l’organisation judiciaire, en particulier l’article L. 211-3, qui attribue au tribunal judiciaire compétence en matière de partage, quelle qu’en soit la cause.
    • Lorsque l’indivisaire débiteur fait l’objet d’une procédure collective, le tribunal judiciaire demeure compétent pour connaître de l’action en partage.
    • Ce principe a été confirmé par la Cour de cassation qui a jugé que le partage des biens indivis ne relève pas des matières spécialement attribuées aux juridictions commerciales, même lorsque l’un des indivisaires est soumis à une procédure collective (Cass. com., 28 nov. 2000, n° 98-10.145).
    • Cette décision repose sur le fait que le partage ne constitue pas une mesure de réalisation des actifs de la procédure collective, mais vise à mettre fin à l’indivision.
  • Compétence du Juge aux affaires familiales (JAF)
    • Lorsque l’action concerne une indivision entre époux, partenaires de PACS ou concubins (même non séparés), le juge aux affaires familiales est compétent en vertu de l’article L. 213-3 du Code de l’organisation judiciaire.
    • Cela inclut notamment les demandes en partage liées à des indivisions créées par la liquidation des régimes matrimoniaux ou les relations patrimoniales des concubins (Cass. 1re civ., 1er juin 2017, n°15-28.344).

==>Assignation de tous les indivisaires

L’action en partage intentée par un créancier doit respecter le principe du contradictoire.

À ce titre, tous les indivisaires doivent être assignés. Cette exigence garantit que chaque coïndivisaire puisse faire valoir ses droits et participer aux discussions sur le partage ou la licitation des biens indivis.

L’absence d’un indivisaire dans la procédure pourrait entraîner l’irrecevabilité de l’action ou la nullité des actes de partage.

==>Dérogation aux formalités prévues par l’article 1360 du Code de procédure civile

Le créancier personnel d’un indivisaire, agissant par voie oblique, bénéficie d’une dérogation importante aux prescriptions formelles de l’article 1360 du Code de procédure civile.

Pour mémoire, cet article impose aux indivisaires, sous peine d’irrecevabilité, de fournir un descriptif sommaire du patrimoine à partager ainsi que de préciser leurs intentions quant à la répartition des biens. Ces exigences, bien qu’elles garantissent une certaine transparence, peuvent constituer un frein à l’efficacité des procédures lorsqu’il s’agit de préserver les droits des créanciers.

Toutefois, la Cour de cassation a clairement exclu l’application de ces dispositions au créancier exerçant une action oblique pour provoquer le partage, estimant que ces formalités ne sauraient entraver le recouvrement des créances (Cass. 1re civ., 25 sept. 2013, n° 12-21.272). Cette position vise à assurer la rapidité et l’efficacité de la procédure, en tenant compte de la nécessité d’intervenir dans l’indivision pour protéger les droits du créancier.

De manière similaire, la Cour de cassation a jugé qu’un liquidateur judiciaire représentant un débiteur peut provoquer le partage dans l’intérêt des créanciers, sans être tenu de respecter les formalités strictes prévues par l’article 1360 (Cass. 1re civ., 13 janv. 2016, n° 14-29.534).

En l’occurrence, le liquidateur judiciaire, agissant au nom et pour le compte du débiteur en procédure collective, avait sollicité la licitation-partage d’un immeuble indivis afin de permettre le règlement des créanciers. Cette décision confirme que les impératifs liés à la protection des créanciers priment sur les contraintes procédurales classiques dans ce contexte.

Ainsi, l’exclusion des exigences formelles prévues par l’article 1360 illustre la volonté de la jurisprudence de privilégier l’efficacité dans la sauvegarde des droits des créanciers, tout en adaptant les règles procédurales aux particularités de l’action oblique.

==>Absence de mise en demeure

Enfin, aucune formalité préalable spécifique, telle qu’une mise en demeure, n’est requise pour initier l’action en partage.

Cependant, il est recommandé de notifier ou d’informer le débiteur avant d’intenter l’action, afin de limiter les contestations ultérieures et d’assurer une certaine transparence dans la procédure.

c. Effets de l’action en partage

i. Effets principaux

==>Bénéfice collectif pour les créanciers

L’action en partage, initiée par un créancier personnel d’un indivisaire, produit des effets au-delà des intérêts du seul demandeur.

En effet, cette action bénéficie à l’ensemble des créanciers du débiteur, conformément au principe de l’unicité du patrimoine du débiteur consacré par l’article 2284 du Code civil, selon lequel ses biens présents et à venir constituent le gage commun de ses créanciers.

Lorsque le partage permet de mettre fin à l’indivision et de convertir les droits indivis du débiteur en sommes d’argent, ces dernières sont disponibles pour être réparties entre tous les créanciers, conformément aux règles de la procédure d’exécution ou de la procédure collective applicable.

Cela établit une forme de solidarité passive indirecte entre les créanciers, où les efforts d’un seul profitent à tous, tout en évitant des actions concurrentes susceptibles de compromettre l’efficacité du recouvrement.

Cette mutualisation des bénéfices est particulièrement pertinente lorsque les biens indivis sont indivisibles en nature ou difficiles à répartir autrement que par leur vente.

La licitation, ordonnée dans ce cadre, assure une distribution équitable de la valeur liquidée entre tous les créanciers.

==>Préservation des droits des créanciers

Le créancier agissant en partage ne se contente pas d’initier le processus de dissolution de l’indivision?; il intervient également pour protéger ses propres droits et, par ricochet, ceux des autres créanciers.

  • Contrôle des opérations de partage
    • En participant activement au partage, le créancier peut vérifier que les modalités de répartition respectent les principes légaux et qu’aucune tentative de fraude ne vient compromettre ses droits.
    • Par exemple, il peut s’opposer à des évaluations manifestement biaisées des biens indivis ou contester l’attribution de certains biens au débiteur, notamment lorsque ceux-ci sont insaisissables (par exemple, un bien affecté à l’usage d’une activité professionnelle et bénéficiant de la protection de l’article L. 526-1 du Code de commerce).
  • Sanction des fraudes
    • En cas de fraude manifeste, telle qu’une sous-évaluation intentionnelle des biens indivis ou l’attribution de biens au débiteur dans le seul but d’échapper à l’action des créanciers, l’article 1167 du Code civil permet au créancier d’exercer l’action paulienne pour faire déclarer inopposables les actes portant atteinte à son droit de gage général.
  • Recours en cas d’abus de droit
    • Si un indivisaire, notamment le débiteur, utilise sa position pour retarder le partage ou obtenir une répartition déséquilibrée, le créancier peut également invoquer les dispositions relatives à l’abus de droit, afin de faire respecter les principes d’équité et de bonne foi (article 1104 du Code civil).

ii. Limites

L’action du créancier est susceptible d’être empêchée par plusieurs obstacles :

  • L’existence d’une convention d’indivision
  • L’existence d’un démembrement de propriété

==>L’existence d’une convention d’indivision

La convention d’indivision, prévue par les articles 1873-1 et suivants du Code civil, constitue un cadre juridique permettant aux indivisaires d’organiser la gestion de leur indivision et d’en limiter la dissolution.

Bien qu’elle confère une stabilité à l’indivision, elle peut également limiter l’exercice du droit des créanciers personnels d’un indivisaire, y compris lorsqu’ils agissent par voie oblique sur le fondement de l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil.

En effet, l’article 1873-15, alinéa 2, dispose que les créanciers personnels d’un indivisaire « ne peuvent provoquer le partage que dans les cas où leur débiteur pourrait lui-même le provoquer ».

En conséquence, les créanciers sont directement soumis aux restrictions imposées par la convention d’indivision, laquelle peut être conclue pour une durée déterminée ou indéterminée :

Selon l’article 1873-3, alinéa 1er, lorsque la convention fixe une durée déterminée (ne pouvant excéder cinq ans), le partage ne peut être provoqué avant le terme convenu, sauf en cas de justes motifs.

Ces justes motifs, appréciés souverainement par le juge, peuvent inclure une situation de péril pour les droits des créanciers ou la preuve d’une fraude manifeste des indivisaires visant à empêcher le recouvrement des créances.

En vertu de l’article 1873-3, alinéa 2, lorsqu’une convention est conclue pour une durée indéterminée, le partage peut être provoqué à tout moment, à condition que l’action ne soit pas exercée de mauvaise foi ou à contretemps. Ces notions, bien que peu définies, visent à prévenir les abus de droit, qu’ils émanent des indivisaires ou des créanciers.

Pour que la convention d’indivision soit opposable au créancier personnel d’un indivisaire, elle doit répondre à plusieurs critères de validité :

  • Conformité aux exigences légales
    • La convention doit respecter les dispositions de l’article 1873-2, alinéa 2, du Code civil. À défaut, elle pourrait être contestée par le créancier, qui demanderait sa nullité ou son inopposabilité.
  • Antériorité de la convention
    • La convention d’indivision doit être conclue avant la demande en partage.
    • La Cour de cassation a en effet jugé en ce sens qu’une convention conclue après l’introduction de l’action en partage ne peut être opposée au créancier pour empêcher le déroulement de cette action (Cass. 1re civ., 8 mars 1983, n°82-10.721).
    • Cette règle vise à éviter que les indivisaires n’utilisent abusivement la convention pour bloquer les initiatives des créanciers sans autre contrepartie.

Si la convention d’indivision constitue un moyen juridique efficace de limiter les actions des créanciers, elle n’est pas exempte d’incertitudes :

D’une part, les « justes motifs » permettant de contourner une convention d’indivision temporaire restent sujets à interprétation. La doctrine a notamment souligné le caractère imprécis de ces notions et leur appréciation au cas par cas par le juge.

D’autre part, les créanciers peuvent contester la convention s’ils démontrent qu’elle a été utilisée de manière abusive ou qu’elle a pour unique objet de retarder indûment le recouvrement de leur créance.

==>L’existence d’un démembrement de propriété

Lorsque le bien indivis est grevé d’un usufruit, la situation se complexifie davantage, notamment en cas de demande de licitation judiciaire. L’usufruitier dispose de droits spécifiques sur le bien, qui doivent être respectés et pris en compte dans toute opération de partage ou de licitation.

  • Principe de protection de l’usufruitier
    • Selon l’article 578 du Code civil, l’usufruitier a le droit d’utiliser le bien indivis et d’en percevoir les fruits.
    • Toute vente ou licitation du bien indivis affecterait ces droits, ce qui impose l’accord préalable de l’usufruitier pour procéder à la licitation.
    • Cette règle a été confirmée par la Cour de cassation, qui a rappelé que, sans cet accord, la licitation ne peut être ordonnée (Cass. 1re civ., 13 juin 2019, n° 18-17.347).
  • Effet sur l’action des créanciers
    • En pratique, si un créancier souhaite provoquer le partage ou demander la licitation d’un bien grevé d’usufruit, il doit soit obtenir l’accord de l’usufruitier, soit démontrer que ce dernier agit de manière abusive ou qu’il ne subira pas de préjudice significatif.
    • À défaut, le juge peut rejeter la demande.
  • Incidence sur la répartition
    • En cas de licitation validée avec l’accord de l’usufruitier, le produit de la vente doit être réparti en tenant compte de la valeur respective de l’usufruit et de la nue-propriété.
    • Cette répartition est réalisée conformément aux règles fixées par la table de mortalité de l’article 669 du Code général des impôts, qui évalue la valeur de l’usufruit en fonction de l’âge de l’usufruitier.

d. Les concours entre créanciers

L’indivision, en tant que régime juridique transitoire, peut donner lieu à des situations complexes de concours entre créanciers.

Ces conflits surviennent lorsque plusieurs créanciers revendiquent des droits concurrents sur les biens ou l’actif de l’indivision.

Le régime applicable varie selon les catégories de créanciers en présence : créanciers de l’indivision, créanciers personnels des indivisaires, ou encore indivisaires eux-mêmes créanciers.

==>Concours entre créanciers de l’indivision

Le concours entre créanciers de l’indivision se pose dans deux hypothèses principales :

  • Tous les créanciers sont chirographaires
    • En l’absence de créanciers bénéficiant de sûretés réelles, la distribution des fonds disponibles se fait au prorata des créances, selon la règle classique du marc l’euro. Cette répartition proportionnelle garantit une égalité entre créanciers.
  • Insuffisance de l’actif de l’indivision
    • Lorsque l’actif est insuffisant pour désintéresser l’ensemble des créanciers, chacun voit sa créance réduite à hauteur de la fraction disponible.
    • Par exemple, si l’actif s’élève à 500 000 € pour un passif de 600 000 €, chaque créancier recevra 5/6 de sa créance.

Dans ces situations, une négociation amiable est souvent privilégiée pour éviter les coûts supplémentaires liés aux saisies ou aux procédures judiciaires.

Par ailleurs, les créanciers peuvent convenir d’une attribution en nature des biens indivis en règlement de leur créance, sous réserve de l’accord de toutes les parties.

==>Concours entre créanciers de l’indivision et créanciers personnels des indivisaires

Le Code civil opère une distinction nette entre ces deux catégories de créanciers, fondée sur la séparation des gages.

  • Priorité des créanciers de l’indivision
    • L’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil confère aux créanciers de l’indivision un droit de prélèvement prioritaire sur l’actif indivis, avant toute répartition entre les indivisaires.
    • Ce droit s’exerce indépendamment des créances personnelles des indivisaires.
  • Exclusion des créanciers personnels des indivisaires
    • Ces derniers ne peuvent saisir la part de leur débiteur dans les biens indivis tant que le partage n’est pas intervenu, conformément à l’article 815-17, alinéa 2, du Code civil.
    • Leur droit s’exerce uniquement sur le lot attribué à leur débiteur après partage.
    • Cette règle protège l’intégrité de l’indivision en tant que patrimoine distinct.

Certains auteurs critiquent la primauté des créanciers chirographaires de l’indivision sur les créanciers personnels hypothécaires des indivisaires, estimant qu’elle crée un « privilège » implicite pour les premiers.

Cependant, cette situation découle de la distinction entre deux masses de gage distinctes, et non d’un véritable privilège. La jurisprudence s’accorde sur la priorité des créanciers de l’indivision dans le cadre de leur droit de prélèvement.

==>Concours entre indivisaires créanciers et droit de prélèvement

Le droit de prélèvement reconnu aux créanciers de l’indivision, en application de l’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil, est un mécanisme central dans le règlement des dettes liées à la conservation ou à la gestion des biens indivis.

Toutefois, lorsque ce droit est invoqué par un indivisaire lui-même créancier de l’indivision, il peut entrer en concurrence avec d’autres droits ou créances, posant des problématiques complexes.

Selon l’article 815-17, alinéa 1er, les créanciers dont les créances résultent de dépenses de conservation ou de gestion des biens indivis bénéficient d’un droit prioritaire de prélèvement sur l’actif avant tout partage. Ce droit s’applique indépendamment du statut des autres créanciers, qu’il s’agisse de créanciers personnels des indivisaires ou d’indivisaires eux-mêmes.

La jurisprudence a confirmé ce principe en établissant que les créances liées aux dépenses nécessaires pour maintenir les biens indivis (ex. : remboursement d’un emprunt ayant financé l’acquisition ou la conservation du bien) peuvent être imputées sur la valeur des biens avant leur répartition.

Dans un arrêt du 26 juin 2013, la Cour de cassation a clarifié les conditions d’exercice du droit de prélèvement par un indivisaire créancier Cass. 1re civ., 26 juin 2013, n° 12-11.818).

Dans cette affaire, deux ex-époux étaient propriétaires indivis d’un immeuble acquis pendant leur mariage grâce à des emprunts.

À la suite de leur divorce, le notaire chargé de la liquidation des intérêts pécuniaires a proposé une attribution préférentielle de l’immeuble à l’un des ex-époux, qui avait remboursé personnellement une partie des échéances des prêts contractés pour financer le bien.

Le liquidateur judiciaire de l’autre ex-époux a contesté cette attribution et a demandé la licitation de l’immeuble afin de régler le passif de la liquidation judiciaire.

La cour d’appel avait accédé à cette demande, ordonnant la vente aux enchères publiques de l’immeuble, au motif que l’ex-époux demandant l’attribution préférentielle ne justifiait pas disposer des fonds nécessaires pour désintéresser le liquidateur judiciaire.

Elle avait également considéré que les paiements effectués par cet ex-époux ne suffisaient pas à justifier un droit de prélèvement prioritaire sur l’actif indivis.

Cependant, la Cour de cassation a censuré cette décision. Elle a rappelé que les créances résultant des dépenses de conservation ou de gestion des biens indivis, telles que le remboursement d’emprunts nécessaires à l’acquisition ou au maintien du bien, donnent droit à un prélèvement prioritaire sur l’actif indivis, avant tout partage.

En l’espèce, l’ex-époux ayant effectué ces paiements était créancier de l’indivision et pouvait légitimement faire valoir ce droit de prélèvement pour être indemnisé avant que les créances personnelles de l’autre ex-époux ne soient prises en compte.

Cette décision met en lumière plusieurs principes qui régissent l’exercice du droit de prélèvement par un indivisaire créancier :

  • Tout d’abord, les créances résultant de dépenses de conservation ou de gestion des biens indivis priment sur les créances personnelles des indivisaires. Cela permet de garantir que les efforts consentis pour préserver les biens indivis soient compensés équitablement.
  • Ensuite, les créanciers personnels des indivisaires ne peuvent prétendre au règlement intégral de leurs créances sans tenir compte des droits prioritaires des créanciers de l’indivision, même lorsque ces derniers sont des indivisaires.
  • Enfin, le droit de prélèvement vise à ajuster la répartition des parts indivises en fonction des contributions financières réelles de chacun des indivisaires à la conservation des biens.

En consacrant la priorité des créances liées à la conservation des biens, cet arrêt illustre l’importance du droit de prélèvement pour assurer l’équité entre les indivisaires et leurs créanciers dans le cadre d’une indivision.

2. La faculté des coïndivisaires de mettre un terme à l’action en partage

L’article 815-17, alinéa 3, du Code civil confère aux coïndivisaires la faculté de mettre fin à une action en partage introduite par un créancier personnel d’un indivisaire.

Ce mécanisme repose sur un équilibre entre la préservation de l’indivision et la satisfaction des créanciers, en permettant aux coïndivisaires de désintéresser le créancier au nom et pour le compte du débiteur.

a. Principe

L’article 815-17, alinéa 3 du Code civil confère une faculté aux coïndivisaires : celle de mettre fin à l’action en partage introduite par un créancier personnel d’un indivisaire.

Ce texte prévoit en ce sens que les coïndivisaires du débiteur « peuvent arrêter le cours de l’action en partage en acquittant l’obligation au nom et en l’acquit du débiteur ».

Cette disposition vise à préserver l’intégrité de l’indivision, considérée comme un outil de gestion collective des biens indivis.

La faculté d’arrêter le cours de l’action en partage protège les indivisaires contre la dislocation forcée des biens indivis, qui pourrait compromettre des intérêts communs, tels que la conservation d’un patrimoine indivisible ou l’exploitation d’une entreprise familiale.

Cette faculté n’entrave pas les droits du créancier poursuivant, mais impose que sa créance soit intégralement réglée. Ainsi, l’équilibre est maintenu entre la protection de l’indivision et le droit au recouvrement du créancier.

b. Conditions

L’exercice de la faculté, prévue par l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil, permettant aux coïndivisaires d’arrêter le cours de l’action en partage intentée par un créancier, est soumis à plusieurs conditions strictes, destinées à garantir à la fois la protection des droits du créancier et la préservation des intérêts des indivisaires.

i. Paiement intégral de la dette

Pour que les coïndivisaires puissent valablement exercer leur faculté d’arrêter le cours de l’action en partage, il leur est impératif de s’acquitter de l’intégralité de la créance due au créancier poursuivant.

Cette exigence repose sur une logique juridique implacable : tant que la créance n’est pas totalement éteinte, le créancier conserve son droit d’action sur le fondement de l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil. Un paiement partiel, en ne supprimant qu’une fraction de la dette, laisse intact le statut de créancier, lequel demeure en droit de poursuivre l’action en partage pour le solde.

La nécessité d’un paiement intégral s’impose également pour prévenir toute forme de litige ultérieur. Si les coïndivisaires n’éteignent pas complètement la créance, des contestations pourraient surgir sur la part encore due, compliquant inutilement la procédure et menaçant l’équilibre de l’indivision.

Par ailleurs, un règlement partiel introduirait une instabilité en maintenant une créance résiduelle, laquelle continuerait de peser sur les droits des indivisaires et, in fine, sur l’ensemble de la masse indivise. En revanche, en réglant intégralement la dette, les coïndivisaires garantissent l’extinction totale de l’obligation et éteignent corrélativement le droit d’action du créancier en partage.

Toutefois, une controverse doctrinale est née sur la question de l’étendue exacte de cette obligation de paiement. Certains auteurs soutiennent que les coïndivisaires devraient pouvoir se limiter à verser une somme correspondant aux seuls droits de l’indivisaire débiteur dans l’indivision. Une telle approche, disent-ils, reflèterait mieux le lien entre la créance du créancier et la part indivise du débiteur.

D’autres, à l’inverse, considèrent que le paiement doit porter sur l’intégralité de la dette, quelle que soit sa proportion par rapport aux droits indivis de l’indivisaire débiteur. Cette position s’appuie sur le caractère indivisible de la créance, qui ne saurait être fragmentée selon les parts respectives des indivisaires.

La jurisprudence a tranché en faveur de la seconde thèse, imposant un paiement intégral (V. en ce sens CA Versailles 21 mars 1983). Cette solution se justifie par plusieurs considérations qui traduisent l’équilibre délicat entre les droits des créanciers et la préservation de l’indivision.

D’abord, en raison du principe d’unité de la créance, celle-ci ne saurait être morcelée au gré des parts indivises.

Ensuite, un règlement de l’intégralité de la créance fait obstacle à toute résurgence du droit d’action du créancier et préserve ainsi la stabilité de l’indivision.

Enfin, il s’agit là de renforcer la solidarité entre les coïndivisaires. En unissant leurs efforts pour désintéresser le créancier, les indivisaires contribuent à maintenir l’intégrité de l’indivision et à éviter sa rupture forcée.

ii. Connaissance précise du montant de la dette

L’exercice de la faculté d’arrêter le cours d’une action en partage par le paiement de la créance est subordonné à la satisfaction d’une condition essentielle : la connaissance précise du montant de la dette.

Ce principe découle directement de l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil, qui impose que le paiement effectué par les coïndivisaires soit suffisant pour éteindre totalement la créance. À défaut, leur droit d’arrêter l’action en partage ne peut être valablement exercé, et le partage lui-même ne peut être ordonné.

Dans un arrêt fondateur du 20 décembre 1993, la Cour de cassation a affirmé que les coïndivisaires ne peuvent mettre en œuvre leur faculté sans disposer d’une connaissance exacte du montant de la dette à acquitter (Cass. 1ère civ., 20 déc. 1993, n° 92-11.189).

En l’espèce, l’indivisaire débiteur était en liquidation judiciaire, et le créancier avait initié une action en partage. Les coïndivisaires, invoquant leur droit de maintenir l’indivision, avaient manifesté leur intention de s’acquitter de la dette au nom du débiteur.

Toutefois, en l’absence d’une décision définitive d’admission de la créance au passif de la liquidation, ils n’étaient pas en mesure de déterminer avec précision le montant de la dette à payer.

La Haute juridiction a censuré la décision de la cour d’appel, qui avait ordonné le partage malgré cette incertitude, en rappelant que le partage ne peut être prononcé tant que le montant de la créance demeure incertain. Cette position a été réaffirmée dans des décisions ultérieures (V. notamment Cass. 1re civ., 22 juin 1999, n°96-22.454)).

Bien que la connaissance du montant exact de la créance soit une condition sine qua non pour arrêter l’action en partage, les coïndivisaires ne peuvent, en revanche, contester la validité ou le montant de la créance pour laquelle le créancier agit.

Cette règle a été énoncée dans un arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 mai 1987, selon lequel les dispositions de l’article 815-17, alinéa 3, ne permettent pas aux coïndivisaires d’exercer un contrôle sur la créance invoquée par le créancier poursuivant, mais uniquement de l’acquitter telle qu’elle résulte des titres produits (CA Paris, 27 mai 1987).

L’absence de possibilité de contestation de la créance invoquée signifie que le paiement effectué par les coïndivisaires s’inscrit dans une logique purement libératoire : ils ne se substituent pas au débiteur en qualité de créanciers du créancier initial, mais mettent fin à l’obligation par un règlement effectif.

iii. Exercice de la faculté avant la fin du partage

L’exercice de la faculté permettant aux coïndivisaires de mettre un terme à l’action en partage intentée par un créancier personnel, bien qu’importante pour préserver l’unité de l’indivision, doit être exercée avant que le partage ne soit définitivement consommé.

Une fois celui-ci arrêté ou validé, les coïndivisaires perdent irrévocablement leur droit d’intervenir pour suspendre le cours de l’action engagée.

Cette exigence découle de la nature même du partage, qui, une fois définitivement acté, produit des effets irrévocables, notamment l’individualisation des droits des anciens indivisaires.

c. Effets

Le paiement réalisé par l’indivisaire solvens aux fins d’arrêter le cours de l’action en partage produit plusieurs effets.

i. Extinction de l’action en partage

Le premier effet notable de l’exercice de cette faculté est l’extinction immédiate du droit du créancier de poursuivre l’action en partage.

Une fois désintéressé par le paiement intégral de sa créance, le créancier perd toute possibilité de demander le partage de l’indivision.

Ce mécanisme offre aux coïndivisaires une voie efficace pour préserver l’unité de l’indivision face aux revendications d’un créancier personnel.

ii. Exclusion de la subrogation

Une autre conséquence importante de l’exercice de la faculté d’empêcher le partage réside dans l’absence de subrogation du solvens dans les droits du créancier désintéressé.

Contrairement à ce qui pourrait être attendu du paiement de la dette d’autrui, le règlement effectué par le solvens ne le place pas dans la position du créancier initial.

Il est, en effet, de principe que lorsqu’une personne paie la dette d’un tiers, elle est subrogée dans les droits du créancier initial, lui permettant de bénéficier des garanties et privilèges attachés à la créance originelle.

Toutefois, dans le cadre particulier de l’indivision, ce mécanisme de subrogation est exclu. Le paiement effectué par le solvens éteint la créance du créancier initial et donne naissance à une créance nouvelle, dirigée non contre l’indivisaire débiteur, mais contre l’indivision elle-même.

Ainsi, le solvens, bien qu’ayant désintéressé le créancier, ne peut revendiquer ni les privilèges attachés à la créance originelle ni les garanties qui l’accompagnaient. Par exemple, s’il s’agissait d’une créance assortie d’une hypothèque ou d’un nantissement, ces sûretés ne sont pas transférées au solvens. Ce dernier est uniquement habilité à exercer un droit de prélèvement sur les biens indivis lors du partage, conformément aux dispositions légales.

Cette exclusion de la subrogation s’inscrit dans une logique de préservation de l’équilibre au sein de l’indivision. En empêchant le solvens de revendiquer des droits supérieurs à ceux conférés par le prélèvement, le législateur garantit que l’intervention du solvens ne bouleverse pas la répartition des droits entre coïndivisaires.

Enfin, cette règle protège également les autres indivisaires contre d’éventuels abus. Si le solvens était subrogé dans les droits du créancier initial, il pourrait exercer une pression disproportionnée sur l’indivisaire débiteur ou revendiquer des garanties exorbitantes au détriment de l’équilibre général de l’indivision. L’exclusion de la subrogation empêche de telles dérives, tout en assurant que le droit de prélèvement reste ancré dans les principes de solidarité et de justice collective propres au régime de l’indivision.

iii. Octroi d’un droit de prélèvement

==>Principe du droit de prélèvement

Le droit de prélèvement est une conséquence essentielle de l’exercice, par les coïndivisaires, de leur faculté de désintéresser un créancier personnel d’un indivisaire.

Prévu à l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil, ce droit reflète l’esprit solidaire du régime de l’indivision, en affirmant que le remboursement du solvens s’effectue non pas contre le débiteur qu’il a désintéressé, mais contre l’indivision elle-même.

==>Objet du droit de prélèvement

Le droit de prélèvement confère au solvens, c’est-à-dire l’indivisaire ayant désintéressé un créancier personnel, la faculté de recouvrer les sommes qu’il a avancées en prélevant sur les biens indivis.

Ce mécanisme, expressément prévu à l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil, illustre la spécificité du régime de l’indivision, où les droits et obligations des indivisaires s’ancrent dans une solidarité patrimoniale collective, transcendant les relations individuelles.

Contrairement à la logique sous-tendant un droit de créance qui serait dirigé contre la quote-part de l’indivisaire débiteur, le prélèvement opéré par le solvens s’étend à l’ensemble des biens indivis. Cette caractéristique garantit au solvens une assise patrimoniale large, lui permettant de recouvrer sa créance sans être limité à la part théorique du débiteur dans l’indivision.

Aussi, en théorie, le droit de prélèvement peut s’exercer sur tout bien indivis, qu’il s’agisse de fonds ou de biens en nature. Cependant, en pratique, cette faculté peut soulever des difficultés. Si le solvens choisit un bien dont la valeur excède celle de sa créance, cela pourrait déséquilibrer l’indivision au détriment des autres indivisaires. Une telle situation nécessiterait alors le versement d’une soulte par le solvens afin de compenser l’écart et rétablir l’équilibre patrimonial entre les coïndivisaires.

Cette exigence de compensation trouve sa justification dans la volonté de prévenir tout abus de droit. Autoriser un solvens à prélever un bien indivis d’une valeur disproportionnée reviendrait à lui accorder un privilège excessif, notamment en matière de choix des biens. Cela pourrait également engendrer des conflits si plusieurs indivisaires ayant désintéressé des créanciers prétendaient exercer leur droit sur le même bien.

Afin d’éviter de tels déséquilibres, il est généralement admis que le prélèvement doit être limité aux biens indivis dont la valeur correspond précisément à la somme avancée par le solvens. Cette restriction, bien qu’évidente en droit, impose une rigueur dans l’exécution du prélèvement pour garantir une répartition équitable des biens lors de la liquidation de l’indivision.

==>Moment de l’exercice du droit de prélèvement

Le droit de prélèvement s’exerce exclusivement lors du partage, c’est-à-dire au moment de la liquidation définitive de l’indivision.

Contrairement aux créanciers de l’indivision mentionnés à l’article 815-17, alinéa 1, qui bénéficient d’un privilège d’antériorité pour être désintéressés sur l’actif avant le partage, le solvens ne peut réclamer un remboursement anticipé.

Cette règle garantit que les créanciers prioritaires soient désintéressés avant que le solvens ne puisse exercer son droit de prélèvement.

En cantonnant le prélèvement au moment du partage, la loi évite tout déséquilibre entre les droits des créanciers et ceux des coïndivisaires.

Elle protège également la stabilité de la masse indivise en préservant l’intégrité des biens indivis jusqu’à leur liquidation.

IV) Conditions d’exercice du droit au partage

A) Préexistence d’une indivision

1. Les éléments constitutifs de l’indivision

Bien que la notion d’indivision constitue une pierre angulaire du droit des biens, elle n’est définie par aucun texte.

Aussi, s’est-elle principalement construite à travers la doctrine et la jurisprudence, lesquelles se sont appuyés sur les articles 815 et suivants du Code civil.

De nombreuses approches de la notion d’indivision ont été proposées par les auteurs. Nous nous limiterons à en proposer trois :

  • L’approche classique
    • Selon cette approche, l’indivision désigne la situation juridique dans laquelle se trouvent plusieurs personnes (les coïndivisaires) qui sont propriétaires ensemble d’un même bien, chacune ayant des droits égaux sur la totalité du bien, sans qu’il y ait division matérielle de celui-ci.
    • Chaque coïndivisaire est réputé propriétaire de l’ensemble du bien, mais uniquement pour sa part et portion, soit sans pouvoir revendiquer un droit exclusif sur une partie déterminée du bien.
    • Cette approche repose sur une dissociation entre la chose, qui reste matériellement indivise, et le droit de propriété, qui a pour objet une quote-part abstraite attribuée à chaque propriétaire.
    • Ce droit n’est pas lié à une portion physique du bien, mais à une fraction arithmétique de la propriété totale, chaque indivisaire ayant un droit qui s’exerce sur chaque élément de la chose, sans qu’il soit possible d’identifier matériellement cette part.
  • L’approche fonctionnelle
    • Certains auteurs envisagent l’indivision en contemplation de sa fonction.
    • Pour eux, l’indivision est intrinsèquement provisoire, en ce sens qu’elle n’est pas une fin en soi mais un moyen temporaire de gérer un bien en attendant une résolution plus définitive de la situation à laquelle il est mis fin par l’opération de partage.
    • Cette conception s’appuie sur l’idée que les situations d’indivision naissent souvent de circonstances qui requièrent un dénouement futur.
    • Tel est notamment le cas lorsque l’indivision résulte d’une succession, d’un divorce ou de la dissolution d’une personne morale.
    • Dans le cadre d’une succession, par exemple, l’indivision survient lorsque les héritiers héritent d’un patrimoine commun sans qu’une répartition immédiate des biens soit possible ou souhaitée.
    • Le temps nécessaire à l’évaluation des actifs, au paiement des dettes du défunt, et à l’accord entre les parties sur la répartition des biens rend l’indivision inévitable.
    • De la même façon, lors d’un divorce, les ex-conjoints peuvent se retrouver en situation d’indivision pour la résidence familiale ou d’autres biens, jusqu’à ce que des arrangements financiers et personnels plus permanents puissent être mis en place.
    • Ces situations constituent, par nature, des terrains fertiles aux conflits entre coïndivisaires, car chaque partie peut avoir des attentes, des besoins financiers et des projets de vie divergents.
    • Les tensions peuvent surgir autour de la gestion des biens, leur utilisation, leur éventuelle valorisation ou leur vente.
    • L’indivision apparaît alors comme une solution permettant :
      • D’une part, d’assurer une transition vers la liquidation définitive des droits dont sont investies les parties sur un ou plusieurs biens
      • D’autre part, de prévenir les risques de mésententes, la loi offrant des mécanismes permettant aux coïndivisaires de demander à tout moment le partage, mais également des possibilités de gestion du bien par un ou plusieurs indivisaires voire, en cas de conflits, par un administrateur provisoire
  • L’approche économique
    • Il est des auteurs qui appréhendent l’indivision au regard de sa fonction économique.
    • Plus précisément, selon les tenants de cette approche, l’indivision offre une structure permettant une gestion collective des biens qui peut être plus efficace que la gestion individuelle, surtout dans des contextes où les ressources et compétences sont partagées.
    • Tel est notamment le cas s’agissant de la gestion d’un patrimoine ou d’une entreprise familiale.
    • Par ailleurs, l’indivision peut se révéler être un formidable outil permettant de réaliser des économies d’échelle en mutualisant les coûts liés à la gestion, l’entretien, et la valorisation des biens.
    • Par exemple, dans le cas d’une grande propriété agricole ou d’un immeuble, la gestion collective peut réduire les coûts unitaires et améliorer la rentabilité globale du patrimoine.
    • De plus, elle évite la fragmentation des biens qui pourrait en réduire la valeur économique et compliquer leur gestion.
    • Des auteurs voient également l’indivision comme une étape préparatoire au partage définitif des biens.
    • La période d’indivision peut servir à évaluer la meilleure manière de diviser les biens sans compromettre leur valeur économique ou leur utilité.
    • Cette phase peut être cruciale pour les entreprises familiales où un partage prématuré ou mal planifié pourrait nuire à l’entreprise elle-même.
    • Enfin, l’indivision peut être une forme d’organisation économique et sociale bénéfique, surtout lorsque les biens sont destinés à rester dans un cadre familial ou communautaire.
    • Elle permet non seulement une gestion efficace mais aussi un moyen de préserver le patrimoine pour les générations futures.

Malgré les différences qui distinguent ces approches, elles ont pour point commun d’admettre que l’existence d’une situation d’indivision est toujours subordonnée à la réunion de trois éléments constitutifs :

  • Une pluralité de personnes exerçant des droits concurrents
  • Les droits dont sont titulaires ces personnes doivent être de même nature
  • Ces droits doivent porter sur un même bien

a. Pluralité de personnes

Parce que l’indivision constitue une forme de propriété collective, elle ne se conçoit qu’en présence d’une pluralité de personnes qui exercent des droits concurrents sur un ou plusieurs biens.

Cette exigence conduit à exclure du domaine de l’indivision deux situations juridiques résultant des opérations que sont :

  • D’une part, la clause d’accroissement
  • D’autre part, le compte joint

==>La clause d’accroissement

La clause d’accroissement, qualifiée également de tontine ou de pacte tontinier, désigne le dispositif contractuel aux termes duquel plusieurs personnes stipulent dans l’acte d’acquisition d’un bien que, à la mort de l’un des acquéreurs, ses droits sur le bien accroissent ceux des survivants, jusqu’à ce que le dernier vivant devienne l’unique propriétaire.

Ce contrat vise ainsi, à chaque décès successif, à concentrer la propriété du bien sur la tête des survivants, le dernier survivant étant réputé avoir été le seul propriétaire dès l’origine de l’acquisition du bien.

Dans un premier temps, la Cour de cassation avait prohibé les clauses d’accroissement, considérant qu’elles s’analysaient en des pactes sur succession future (Cass. req. 24 janv. 1928).

Puis, dans un second temps, elle a opéré un revirement de jurisprudence en admettant la stipulation de telles clauses.

Pour échapper à la qualification de pacte sur succession future, la clause d’accroissement doit toutefois présenter un caractère aléatoire et être stipulée à titre onéreux (Cass. 3e civ. 3 févr. 1959).

Une fois le principe de validité des clauses d’accroissement acquis, la question se pose de savoir si la conclusion d’un pacte de tontine ne créerait pas une situation d’indivision entre les tontiniers.

À cette question, la Haute juridiction répond par la négative. Elle a effet jugé dans un arrêt du 27 mai 1986 que la clause d’accroissement rend « jusqu’au décès du prémourant incompatibles entre eux les droits des parties à la propriété de l’immeuble litigieux puisque seul le survivant en était titulaire depuis la date d’acquisition de ce bien » (Cass. 1ère civ. 27 mai 1986, n°85-10.031).

Il ressort de cette décision que la clause d’accroissement n’a nullement pour effet de conférer la qualité de propriétaire aux parties de telle sorte qu’ils se retrouveraient dans une situation d’indivision.

En application de cette clause, ce n’est que celui qui survit à tous les autres qui est réputé avoir été le seul propriétaire du bien. Quant à ceux prédécédés, ils sont réputés n’avoir jamais rien acquis.

À l’analyse, le pacte de tontine repose sur une technique juridique qui combine :

  • D’une part, une condition suspensive de la survie : elle confère au dernier survivant la propriété du bien acquis en tontine
  • D’autre part, une condition résolutoire du décès : elle dénie aux prémourants la qualité de propriétaire du bien acquis en tontine

Parce que la réalisation de ces deux conditions opère rétroactivement, les tontiniers ne peuvent jamais être titulaires, en même temps, d’un droit de propriété sur le bien.

D’où la position de la Cour de cassation qui n’admet pas la création d’une situation d’indivision par l’effet d’une clause d’accroissement.

Dans un arrêt du 17 décembre 2013, la Troisième chambre civile a ainsi expressément affirmé que « l’achat en commun d’un bien immobilier avec clause d’accroissement est exclusif de l’indivision » (Cass. 3e civ. 17 déc. 2013, n°12-15.453).

La conséquence en est l’impossibilité pour les tontiniers de solliciter le partage du bien à l’instar de la faculté reconnue aux coïndivisaires.

Compte tenu de l’absence d’indivision, est-ce à dire que les parties au pacte de tontine ne seraient investies d’aucuns droits concurrents sur le bien ? Il n’en est rien.

Dans un arrêt du 9 février 1994, la Cour de cassation a jugé que si la clause d’accroissement est exclusive de toute indivision « puisqu’il n’y aura jamais eu qu’un seul titulaire du droit de propriété », en revanche, tant que la condition suspensive – de survie – ne s’est pas réalisée, « les parties ont des droits concurrents qui emportent le droit pour chacune d’entre elles de jouir indivisément du bien » (Cass. 1ère civ. 9 févr. 1994, n°92-11.111).

Autrement dit, la clause d’accroissement a pour effet de créer une situation d’indivision, non pas en propriété, mais en jouissance à tout le moins tant qu’au moins deux tontiniers sont encore en vie

Dans un arrêt du 9 novembre 2011, la Cour de cassation en a déduit la faculté pour une partie de réclamer à l’autre une indemnité de jouissance au titre de l’occupation exclusive du bien acquis en tontine (Cass. 1ère civ. 9 nov. 2011, n°10-21.710).

==>Le compte joint

L’ouverture d’un compte joint est le fait, le plus souvent, des personnes mariées, pacsées ou vivant en concubinage qui l’utilisent aux fins d’accomplir les opérations relatives à l’entretien du ménage.

Il se caractérise par la situation de ses cotitulaires qui exercent les mêmes droits sur l’intégralité des fonds inscrits en compte.

Compte tenu de l’existence d’une situation de concours entre les droits des cotitulaires d’un compte joint, la question se pose de savoir si l’ouverture d’un tel compte ne créerait pas une situation d’indivision.

Une brève analyse du régime juridique applicable au compte joint conduit à répondre par la négative.

En effet, le compte joint est régi par les principes de solidarité active et passive. Or il s’agit là de deux principes qui sont incompatibles avec le mécanisme de l’indivision.

  • S’agissant de la solidarité active
    • Elle confère une grande autonomie de gestion aux cotitulaires d’un compte joint.
    • Chacun peut accomplir seul des opérations susceptibles d’affecter la totalité du compte sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’approbation des autres titulaires.
    • Cette autonomie contraste fortement avec le régime de l’indivision où chaque acte de gestion nécessite, par principe, l’accord de tous les coïndivisaires, à tout le moins de la majorité d’entre eux pour l’accomplissement de certains actes.
  • S’agissant de la solidarité passive
    • Elle implique que chaque titulaire du compte est tenu solidairement par les engagements souscrits par tous les autres.
    • Ainsi, en cas de solde débiteur, le banquier peut se retourner contre n’importe quel titulaire du compte et lui réclamer le paiement de l’intégralité des sommes dues.
    • Cette solidarité passive qui lie les cotitulaires d’un compte joint ne se retrouve pas dans une indivision.
  • En effet, les coïndivisaires ne sont tenus qu’à une obligation conjointe envers les créanciers de l’indivision, ce qui signifie qu’ils ne peuvent être actionnés en paiement qu’à concurrence de la quote-part qu’ils détiennent.

b. Identité des droits

==>Principe

Pour que plusieurs propriétaires soient regardés comme se trouvant en situation d’indivision, ils doivent être titulaires de droits concurrents qui sont de même nature.

Par même nature, il faut comprendre que les droits réels qui sont en concours portent sur un ou plusieurs démembrements du droit de propriété qui correspondent.

Ainsi, par exemple, il ne saurait y avoir d’indivision entre un usufruitier et un nu-propriétaire.

La raison en est que les droits de nue-propriété et d’usufruit ne confèrent pas à leurs titulaires les mêmes prérogatives de sorte qu’ils peuvent être exercés séparément.

Or cette séparation quant à l’exercice de droits réels est incompatible avec le fonctionnement unitaire d’une indivision dont la gestion est gouvernée par le principe de codécision.

Au fond, tandis que les coïndivisaires se tiennent côte à côte, l’usufruitier et le nu-propriétaire sont placés dans des situations qui se superposent.

À cet égard, la jurisprudence est constante sur cette question. Dans un arrêt du 31 octobre 2000 la Cour de cassation a expressément affirmé qu’« il est de principe qu’il n’y a pas indivision entre usufruitier et nu-propriétaire » (Cass. 3e civ. 31 oct. 2000, n°97-20.732).

Dans un arrêt du 12 février 2020, elle a encore jugé « qu’il n’existe pas d’indivision entre l’usufruitier et le nu-propriétaire dont les droits sont de nature différente » (Cass. 1ère civ. 12 févr. 2020, n°18-22.537).

L’enjeu ici réside dans la faculté des titulaires de droits réels de solliciter le partage du bien et plus précisément pour un usufruitier et un nu-propriétaire de mettre fin prématurément au démembrement du droit de propriété.

La fin de ce démembrement ne peut toutefois intervenir qu’à la mort de l’usufruitier. Aussi, ne saurait-on contourner cette règle en convoquant des droits – au cas particulier le droit au partage – qui ne sont reconnus qu’aux seuls titulaires de droits indivis.

Il peut être observé que le même raisonnement peut être tenu s’agissant du tréfonds (la propriété du sous-sol) et de la superficie (la propriété de la surface).

En effet, l’un et l’autre font l’objet de droits de propriétés distincts, de sorte que le tréfoncier et le superficiaire ne sauraient être regardés comme se trouvant en situation d’indivision.

À l’instar de l’usufruitier et du nu-propriétaire, ils sont titulaires de droits, non pas qui se tiennent côte à côte, mais qui se superposent.

==>Mise en œuvre

Si l’exigence d’identité des droits conduit à dénier au nu-propriétaire et à l’usufruitier la qualité de coïndivisaire, il est en revanche admis que puisse exister une situation d’indivision entre titulaires de démembrements du droit de propriété, pourvu que ces démembrements soient de même nature.

Dans un arrêt du 7 juillet 2016, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « l’indivision s’entend de la coexistence de droits de même nature sur un même bien [de sorte] qu’elle peut ne porter que sur une partie des droits des intéressés » (Cass. 3e civ. 7 juill. 2016, n°15-10.278).

Aussi, l’indivision est-elle susceptible d’intervenir dans plusieurs configurations :

  • Concours entre droits de nue-propriété
    • Il est des cas où la nue-propriété d’un bien appartient à plusieurs personnes.
    • Dans cette configuration, elles se trouveront alors en situation d’indivision.
    • Il en résulte que chaque nue-propriétaire pourra se prévaloir de son droit au partage de la nue-propriété.
  • Concours entre droits d’usufruit
    • Lorsque l’usufruit appartient à plusieurs usufruitiers il est également admis qu’existe entre eux une situation d’indivision.
    • Là encore, chaque usufruitier pourra faire valoir son droit à provoquer un partage de l’usufruit.
  • Concours entre droits d’usage et d’habitation
    • Pour mémoire, les droits d’usage et d’usufruit ne sont autres que des diminutifs de l’usufruit en ce sens qu’ils confèrent à leur titulaire un droit de jouissance restreint sur la chose :
      • S’agissant du droit d’usage, il autorise à se servir de la chose et à en percevoir les fruits « qu’autant qu’il lui en faut pour ses besoins et ceux de sa famille » (art. 630, al. 1er C. civ.).
      • S’agissant du droit d’habitation, il permet seulement d’utiliser la chose aux fins seulement d’habitation. Tout au plus, dit l’article 632 du Code civil, « celui qui a un droit d’habitation dans une maison peut y demeurer avec sa famille ». Ce droit doit toutefois rester restreint « à ce qui est nécessaire pour l’habitation de celui à qui ce droit est concédé et de sa famille. »
    • Parce qu’ils s’établissent et se perdent de la même manière que l’usufruit, les droits d’usage et d’habitation s’analysent en des droits réels.
    • La question qui alors se pose est de savoir s’il se crée, lorsqu’ils sont en concours, une situation d’indivision.
    • À cette question, la Cour de cassation a répondu par l’affirmative dans son arrêt rendu le 7 juillet 2016.
    • Aux termes de cette décision, elle a jugé, en effet, que « le propriétaire d’un bien, qui a le droit de jouir de son bien de la façon la plus absolue, dispose de droits concurrents avec le titulaire d’un droit d’usage et d’habitation s’exerçant conjointement sur le bien et qu’il existe par conséquent une indivision entre eux quant à ce droit d’usage et d’habitation » (Cass. 3e civ. 7 juill. 2016, n°15-10.278).
  • Concours entre l’usufruit et la pleine propriété
    • Il peut arriver qu’un droit d’usufruit soit en concours avec un droit de pleine propriété.
    • Ce cas correspond à l’hypothèse où l’usufruit n’est que partiel, et que le surplus appartienne à une ou plusieurs personnes qui sont également nus-propriétaires.
    • La question qui alors se pose est de savoir s’il existe une situation d’indivision entre l’usufruitier et le plein propriétaire.
    • Une première approche consisterait à répondre négativement, compte tenu de ce que l’usufruit et la nue-propriété sont des droits réels de nature différente.
    • Or l’existence d’une indivision est subordonnée à l’existence d’un concours entre droits réels de même nature.
    • Une deuxième approche pourrait consister à envisager qu’une indivision se crée en usufruit.
    • Reste que l’article 578 prévoit que « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété », de sorte que l’on ne peut pas jamais être regardé comme usufruitier de sa propre chose.
    • Selon une dernière approche, le concours entre un droit d’usufruit et un droit de pleine propriété ferait naître une indivision, non pas en usufruit, mais en jouissance.
    • C’est dans ce sens que la jurisprudence s’est positionnée.
    • Dans un arrêt du 25 juin 1974, la Cour de cassation a ainsi expressément affirmé que « lorsque le droit de l’usufruitier porte sur une quote-part d’un bien, il y a une indivision entre lui et le plein-propriétaire du surplus quant à la jouissance » (Cass. 1ère civ. 25 juin 1974, n°72-12.451).

c. Identité d’objet

Pour que plusieurs personnes se trouvent en situation d’indivision, les droits réels concurrents dont elles sont titulaires doivent avoir le même objet.

À cet égard, l’indivision peut porter, tant sur un bien unique, que sur plusieurs biens.

Il est également admis qu’une indivision puisse porter sur une universalité, tel que, par exemple, un fonds de commerce.

S’agissant de la nature des biens objets de l’indivision, il est indifférent qu’il s’agisse d’un meuble ou d’un immeuble. Il importe peu également que l’on soit en présence d’une chose corporelle ou incorporelle.

2. Les sources de l’indivision

Il est plusieurs circonstances susceptibles de conduire à une situation d’indivision. Ces circonstances peuvent être voulues ou subies.

Nous nous limiterons, dans les développements qui suivent, à aborder les principales sources de l’indivision.

2.1. L’indivision résultant de l’ouverture d’une succession

Lorsqu’une personne décède et laisse derrière elle plusieurs héritiers, ces derniers sont immédiatement investis de droits concurrents, de même nature, sur un ou plusieurs bien ayant appartenu au défunt.

C’est alors que se crée entre eux, dès l’ouverture de la succession, une situation d’indivision.

Il peut être observé que l’indivision successorale peut résulter :

  • D’une part, de la loi qui, en l’absence de disposition testamentaire, désigne les personnes ayant vocation à hériter du de cujus et détermine leurs droits dans la succession
  • D’autre part, d’une disposition testamentaire qui peut instituer plusieurs personnes comme légataires d’un même bien ou d’un même ensemble de biens
  • Enfin, d’une donation qui serait consentie à plusieurs personnes et qui porterait là encore sur un même bien ou sur un même ensemble de biens

Dans ces trois cas, il est nécessaire de régir les rapports entre successeurs lesquels sont titulaires de droits concurrents ayant un objet identique, alors même qu’ils sont susceptibles d’avoir des intérêts divergents, voire opposés.

C’est là tout l’enjeu, sinon la raison d’être de l’indivision : assurer la coexistence des droits et intérêts de chacun.

2.2. L’indivision résultant de la dissolution d’une communauté matrimoniale

Lorsque deux personnes se marient et optent pour un régime dit communautaire (par exemple le régime légal), les biens qu’elles acquièrent – ensemble ou séparément – et certains biens qu’elles apportent, viennent abonder ce que l’on appelle une communauté.

Cette communauté présente la particularité de consister en une masse de biens distincte de celles composées de biens appartenant en propre aux époux.

D’aucuns se sont demandé si, compte tenu de cette particularité, la communauté ne s’analyserait pas, au fond, en une forme d’indivision. Bien que séduisante, cette thèse n’est toutefois pas sans faille.

Tout d’abord, l’indivision se caractérise par sa nature temporaire ; elle n’a pas vocation à durer dans le temps. Tel n’est pas le cas de la communauté qui ne prend fin que dans les cas limitativement énumérés par la loi.

Ensuite, l’indivision constitue un ensemble de biens inorganisé, en ce sens qu’il n’est ni de répartition, ni d’aménagement des pouvoirs entre les indivisaires, puisque, pour la très grande majorité des actes de gestion du bien indivis, c’est la règle de l’unanimité qui préside à la prise de décision.

S’agissant, tout au contraire, des biens composant la communauté conjugale, les pouvoirs d’administration et de gestion des époux sont définis avec précision par la loi.

Selon la nature du bien concerné et la gravité de l’opération en cause, les pouvoirs dont sont investis les époux sur les biens communs diffèrent. Tantôt la loi admet une gestion concurrente, tantôt elle exige une gestion conjointe. Il est encore des cas où elle instaure un principe de gestion exclusive.

S’il est indéniable que la communauté conjugale et l’indivision sont deux institutions qui, en raison de leurs caractéristiques, sont proches, elles ne se confondent pas.

C’est ainsi que la Cour de cassation a refusé d’appliquer les règles relatives aux récompenses pour un bien acquis en indivision avant le mariage des époux, puisque n’ayant pas le caractère de bien commun (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1985, n°84-14.173).

Par cette décision, la Première chambre civile refuse d’assimiler un bien indivis à un bien commun. C’est là la preuve qu’ils obéissent à des régimes juridiques distincts, à tout le moins aussi longtemps que la communauté perdure. Car lorsque celle-ci prend fin, les biens communs tombent en indivision.

Pour mémoire, il est plusieurs événements susceptibles de mettre fin à l’existence de la communauté. L’article 1441 du Code civil prévoit en ce sens que La communauté se dissout :

  • par la mort de l’un des époux ;
  • par l’absence déclarée ;
  • par le divorce ;
  • par la séparation de corps ;
  • par la séparation de biens ;
  • par le changement du régime matrimonial.

Aussi, lorsque la communauté prend fin, indépendamment de la répartition des biens qui la composent, se pose la question des règles organisant la gestion de ces biens dans l’attente du dénouement des opérations de partage.

Spontanément, il apparaît que l’institution qui serait la plus à même de fournir des règles de gestion temporaire des biens issus d’une communauté conjugale dissoute n’est autre que l’indivision.

Ce mécanisme juridique a, en effet, été précisément pensé pour encadrer la situation de biens se trouvant dans un état transitoire. Sans grande surprise, c’est cette solution qui a été retenue par le législateur.

Ainsi, résulte-t-il de la dissolution d’une communauté conjugale, pour quelle que cause que ce soit, la constitution d’une indivision post-communautaire.

Les biens qui, dès lors, composaient la masse commune se transforment, sous l’effet de la dissolution de la communauté, en biens indivis. La conséquence en est un changement des règles applicables.

Tandis que les biens communs sont soumis au droit des régimes matrimoniaux, et plus précisément aux règles qui régissent la communauté conjugale, les biens indivis obéissent quant à eux au droit commun de l’indivision.

À compter du jour de la dissolution de la communauté, ce sont donc les articles 815 et suivants du Code civil qui s’appliquent aux biens relevant de l’indivision post-communautaire.

2.3. L’indivision résultant de l’adoption d’un régime matrimonial séparatiste

Lorsque deux personnes se marient, elles peuvent choisir d’opter pour un régime matrimonial séparatiste plutôt que pour le régime de la communauté réduite aux acquêts.

Les régimes séparatistes se caractérisent par l’absence de création d’une masse commune de biens qui serait alimentée par les biens présents et futurs acquis par les époux.

Aussi, ces derniers conservent-ils, en principe, la propriété en propre de tous les biens qu’ils ont apportés ou qu’ils acquièrent au cours du mariage.

La vie conjugale implique toutefois que les époux mettent en commun les biens qu’ils acquièrent séparément.

Sous l’effet du temps, les biens, en particulier les meubles, qui leur appartiennent en propre sont alors susceptibles de se confondre avec ceux qui appartiennent au conjoint et réciproquement.

Cette situation est, par hypothèse, de nature à rendre pour le moins difficile l’attribution à l’un et l’autre époux de la propriété des biens qui ont été confondus.

Aussi, afin de faciliter la preuve de la propriété de ces biens, le législateur a institué une règle qui, lorsqu’existe une incertitude sur la propriété d’un bien, fait présumer ce bien appartenir aux époux en indivision.

a. Présomption d’indivision

Issu de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965, l’article 1538 du Code civil prévoit que « les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié ».

Par le jeu de cette présomption est ainsi instituée une masse indivise de biens qui, à certains égards, se rapproche de la masse commune instituée sous les régimes communautaires.

Elle s’en distingue néanmoins en ce que les biens qui la composent sont soumis au seul droit de l’indivision.

Il en résulte que le sort de cette masse indivise n’est pas lié à la durée du mariage. Plus précisément, cette masse peut cesser d’exister avant la dissolution du mariage, ce qui n’est pas le cas de la communauté qui est instituée pour toute la durée de l’union matrimoniale.

À l’analyse, la présomption d’indivision est un dispositif qui permet d’atténuer le principe de séparation des patrimoines qui préside au régime de la séparation de biens.

Comme observé par Gulsen Yildirimn elle « permet d’introduire un facteur d’équité dans l’établissement de la composition des patrimoines des époux. »

D’autres auteurs soulignent qu’« il est significatif de voir ainsi s’établir une union des intérêts pécuniaires, subrepticement en quelque sorte, et à la faveur d’une absence de preuve. Cela autorise à penser qu’une certaine communauté de meubles est peut-être, elle aussi, dans la nature des choses »[5].

S’agissant des effets de cette présomption, elle conduira les époux à se partager le bien lors de la dissolution du mariage.

Le partage donnera lieu à réparation du bien en deux parts égales, celui-ci étant présumé appartenir conjointement aux époux pour moitié.

Il peut être observé que la présomption d’indivision instituée à l’article 1538 du Code civil n’est pas sans limite. Elle peut être combattue par la preuve contraire.

b. Preuve de la propriété

==>La charge de la preuve

En l’absence de présomption conventionnelle de propriété, la charge de la preuve pèse sur l’époux qui revendique la propriété d’un bien.

L’article 1538, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que « tant à l’égard de son conjoint que des tiers, un époux peut prouver par tous les moyens qu’il a la propriété exclusive d’un bien. »

Il peut être observé que si la règle énoncée par cette disposition ne vise que le cas où celui qui se prévaut de la propriété d’un bien est un époux, elle s’applique également à l’hypothèse où c’est un tiers qui cherchera à attribuer la propriété d’un bien à l’un ou l’autre époux.

Il y aura notamment intérêt lorsqu’il voudra exercer des poursuites sur ce bien, au titre d’une créance qu’il détient contre son débiteur.

==>Objet de la preuve

La preuve de la propriété n’est pas des plus aisée à rapporter. Pour y parvenir, il convient, en effet, d’établir irréfutablement la légitimité du rapport d’appropriation d’un bien. Or cela suppose d’être en mesure de remonter la chaîne des transferts successifs de propriété jusqu’au premier propriétaire, ce qui, a priori, est impossible.

D’où la présentation de la preuve de la propriété comme la « probatio diabolica », car seul le diable serait en capacité de la rapporter.

Quoi qu’il en soit, cette preuve doit être rapportée par l’époux qui revendique la propriété d’un bien, faute de quoi, conformément au troisième alinéa de l’article 1538 du Code civil, le bien revendiqué sera réputé appartenir indivisément à chacun des époux pour moitié.

Cette preuve de la propriété est-elle insurmontable ? Il n’en est rien. Comme observé par le Professeur Revêt « la propriété se prouve par sa cause : l’acquisition ».

Aussi, la propriété d’un bien se prouvera différemment selon le mode d’acquisition de ce bien. Il convient, en particulier, de distinguer les modes d’acquisition originaires, des modes d’acquisition dérivés.

  • L’acquisition originaire
    • Il s’agit du mode d’acquisition qui confère à l’acquéreur un droit de propriété qu’il ne tient pas d’autrui
    • Le droit dont il est titulaire n’a été exercé par personne et résulte d’un fait juridique.
    • Tel est le cas de l’occupation, de la prescription, de la présomption de propriété ou encore de l’accession
    • Dans cette configuration, l’acquisition de la propriété n’exige pas que l’acquéreur noue un rapport juridique avec une autre personne.
    • L’acquisition n’intéresse que lui et la chose
    • La preuve de la propriété consistera donc ici à établir les circonstances de création de ce lien entre le propriétaire et la chose
      • En cas d’acquisition d’un bien par occupation, il s’agira de démontrer l’entrée en possession de la chose et la volonté d’en être le propriétaire
      • En cas d’acquisition par prescription, il s’agira de démontrer que la possession est caractérisée, tant dans ses éléments constitutifs, que dans ses caractères.
      • En cas d’acquisition par accession, il conviendra de rapporter la preuve du fait d’accroissement ou de production.
  • L’acquisition dérivée
    • Il s’agit du mode d’acquisition qui confère à l’acquéreur un droit de propriété par voie de transfert du droit
    • Autrement dit, le bien appartenait, avant le transfert de sa propriété, à une autre personne, de sorte que l’acquéreur détient son droit d’autrui.
    • Ce mode d’acquisition de la propriété procède toujours de l’accomplissement d’un acte juridique, tels qu’un contrat, un échange, un testament, une donation etc.
    • Dans cette configuration, un rapport juridique doit nécessairement se créer pour que l’acquisition emporte transfert de la propriété
    • La preuve de la propriété consistera ici à établir l’existence d’un transfert de propriété et plus précisément à remonter le fil des transmissions, ce qui ne sera pas sans soulever des difficultés en matière mobilière.

==>Les modes de preuve

S’agissant des modes de preuves admis quant à établir la propriété d’un bien, l’article 1538 du Code civil prévoit que la preuve peut être rapportée « par tous moyens ».

Cela signifie que tous les modes de preuves sont admis. Est-ce à dire qu’ils se valent tous ? Il n’en est rien.

Le titre de propriété est, sans aucun doute, le mode de preuve qui est pourvu de la plus grande force probante.

Reste qu’il ne sera établi, en général, que pour les immeubles étant précisé que la jurisprudence considère que « sous le régime de la séparation de biens, le bien appartient à celui dont le titre établit la propriété sans égard à son financement » (Cass. 1ère civ. 31 mai 2005, n°02-20.553).

Autrement dit, il est indifférent que le bien ait été financé par un époux en particulier : le titre prime en tout état de cause sur la finance. C’est donc l’époux titulaire du titre qui endosse la qualité de propriétaire du bien.

S’agissant des meubles, cette question ne se posera pas, à tout le moins qu’à titre exceptionnel, dans la mesure il est rare qu’un titre de propriété soit établi lors de l’acquisition de cette catégorie de biens.

Parfois, les meubles acquis avant le mariage feront l’objet d’une énumération dans le contrat de mariage, ce qui permettra d’éviter que les époux se disputent la propriété de ces biens lors de la liquidation de leur régime matrimoniale.

Pour les meubles acquis au cours du mariage, sauf à ce qu’ils aient été expressément visés dans une donation ou un testament, la possession devrait constituer le mode normal de preuve de la propriété.

Reste que pour produire ses effets, elle doit présenter les caractères requis par l’article 2261 du Code civil qui prévoit que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

Il ressort de cette disposition que pour être efficace, la possession ne doit être affectée d’aucun vice. Elle doit, autrement dit, être utile.

Par utile, il faut entendre susceptible de fonder une prescription acquisitive. On dit alors que la possession est utile ad usucapionem, soit par l’usucapion.

Si la situation des époux séparés de biens ne fait pas obstacle à la réunion des trois premiers caractères de la possession utile (continue, paisible et publique), il en va différemment de l’exigence tenant à l’absence d’équivoque.

Par hypothèse, les époux, quel que soit le régime matrimonial auquel ils sont soumis, partagent une communauté de vie, ce qui implique qu’ils mettent en commun leurs biens meubles.

Aussi, s’avérera-t-il délicat de déterminer si le possesseur détient la chose à titre exclusif ou si la possession est partagée.

Cette situation conduit, en pratique, à une confusion des biens meubles, ce qui est de nature à rendre la possession équivoque.

Compte tenu de la difficulté à établir l’absence d’équivoque de la possession pour les biens meules, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 7 novembre 1995, que « les règles de preuve de la propriété entre époux séparés de biens, édictées par l’article 1538 du Code civil, excluent l’application de l’article 2279 [nouvellement 2276] du même Code » (Cass. 1ère civ. 7 nov. 1995, n°92-10.051).

Ainsi, pour la Première chambre civile, la règle énoncée à l’article 2276 du Code civil qui confère un titre de propriété à celui qui possède – de bonne foi – un meuble, est paralysée sous l’effet du régime de la séparation de biens.

Bien que vivement critiquée par les auteurs, cette position a été confirmée dans un arrêt du 27 novembre 2001 (Cass. 1ère civ. 27 nov. 2001, n°99-10.633).

Dans ces conditions, la preuve de la propriété devra se faire selon d’autres moyens, ce qui pourra consister à produire des témoignages et plus généralement toutes sortes d’indices.

Ces indices pourront notamment résulter de factures, bien qu’il ne s’agisse pas d’un écrit au sens du droit de la preuve.

Dans un arrêt du 10 mars 1993, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’article 1538 du Code civil, « qu’une facture, même non acquittée, est de nature à établir, sauf preuve contraire, l’acquisition d’un bien par celui au nom duquel elle est établie » (Cass. 1ère civ. 10 mars 1993, n°91-13.923).

Elle ajoute, dans cette même décision, « que la propriété d’un bien appartient à celui qui l’a acquis sans qu’il y ait lieu d’avoir égard à la façon dont l’acquisition a été financée ».

Les factures ne sont pas les seuls indices susceptibles de prouver la propriété d’un bien acquis par un époux séparé de biens. La jurisprudence a également admis que la preuve puisse être rapportée au moyen de certificats de garantie ou d’origine (CA Versailles 12 déc. 1988).

Pour les véhicules immatriculés, la preuve de leur propriété pourra résulter de la carte grise qui a été établie au nom d’un époux (CA Paris, 4 févr. 1982).

Si, en droit commun de la preuve, on n’accorde aux documents qui ne remplissent pas les conditions d’un écrit qu’une faible valeur probante, car ne prouvant, tout au plus, que le paiement par celui au nom duquel ils sont établis, à l’analyse, il en va différemment lorsque la preuve est rapportée dans le cadre matrimonial.

La jurisprudence reconnaît, en effet, aux indices que sont les factures, les certificats et autres documents contractuels, la valeur d’une présomption simple, en ce sens qu’ils permettent d’établir la propriété du bien jusqu’à la preuve contraire.

C’est là une certaine faveur qui est consentie aux époux séparés de bien pour lesquels le fardeau de la preuve se trouve ainsi allégé.

2.4. L’indivision résultant de la dissolution d’une société

Tout comme les personnes physiques dont la vie prend fin par la mort, les sociétés ont également vocation à disparaître. Ce qui met fin à l’existence de ces dernières, c’est la dissolution.

Classiquement, on définit la dissolution comme l’acte juridique qui anéantit l’existence de la personne morale. Autrement dit, c’est le processus qui marque la cessation de l’activité de la société et la disparition de sa personnalité juridique. La dissolution peut en quelque sorte être regardée comme la « mort » juridique de la société.

À la différence toutefois de la mort qui frappe une personne physique, la dissolution ne produit pas d’effet instantané, en ce sens qu’elle n’emporte pas extinction immédiate de tous les droits et obligations de la personne morale.

Avant que le pacte social conclu par les associés ne cesse définitivement de produire des effets, il doit être procédé à la conduite de deux catégories d’opérations qui se succèdent :

  • Les opérations de liquidation
  • Les opérations de partage

==>Les opérations de liquidation

La dissolution d’une société donne lieu à ce que l’on appelle la phase de liquidation.

Classiquement on définit la liquidation comme l’ensemble des opérations qui, consécutivement à la dissolution de la société, visent à :

  • D’une part, exécuter les engagements souscrits, désintéresser les créanciers, et recouvrer les créances sociales.
  • D’autre part, procéder à la répartition de l’actif net entre tous les associés, soit l’actif subsistant après le règlement du passif social

Il peut être observé que pendant cette phase transitoire qu’est la liquidation, conformément à l’article 1844-8, al. 3e du Code civil, la personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu’à la publication de la clôture de celle-ci.

Il en résulte que, aussi longtemps que perdurent les opérations de liquidation, la société conserve la propriété de son patrimoine, les associés n’étant titulaires que de droits sociaux.

Aussi, ce n’est qu’à compter de la clôture de la liquidation de la société que ces derniers se voient reconnaître des droits sur l’actif social, à tout le moins si le règlement du passif laisse subsister des éléments d’actif.

S’ouvre alors une seconde phase : le partage.

==>Les opérations de partage

La clôture de la liquidation de la société, qui emporte disparition définitive de la personne morale, donne lieu à ce que l’on appelle la phase de partage.

Cette phase recouvre l’ensemble des opérations qui vise à répartir entre les ex-associés les biens issus des opérations de liquidation.

La personne morale ayant disparu, se pose alors la question du statut de ces biens dans l’attente du dénouement des opérations de partage.

Pour le déterminer, il convient de se tourner vers l’article 1844-9 du Code civil d’où il s’évince que, consécutivement à la clôture de la liquidation, l’actif social tombe en indivision.

Ce sont donc les règles de l’indivision qui ont vocation à régir les rapports entre ex-associés quant à la gestion des biens qu’ils ont vocation à se répartir.

À cet égard, si le partage de l’actif social entre ex-associés est présenté comme la suite naturelle de la liquidation de la société, il n’y a là rien d’obligatoire.

L’article 1844-9 du Code civil prévoit, en effet, que « tous les associés, ou certains d’entre eux seulement, peuvent aussi demeurer dans l’indivision pour tout ou partie des biens sociaux. »

3. L’indivision résultant de l’acquisition d’un bien en commun

Si la plupart du temps l’indivision est une situation qui est subie par les coïndivisaires, il est des cas où elle peut être choisie.

Il en va notamment ainsi lorsque plusieurs personnes décident d’acquérir un bien en commun.

L’acquisition en commun d’un bien ne donne toutefois pas systématiquement lieu à une situation d’indivision. Le statut du bien dépend de la nature des relations entretenues par les acquéreurs.

Le régime applicable diffère notamment selon que l’achat est ou non réalisé par des personnes qui vivent en couple.

3.1. L’acquisition d’un bien en commun dans le cadre d’un couple

a. Les couples mariés

a.1. L’acquisition d’un bien en commun dans le cadre d’un régime communautaire

Lorsque deux personnes se marient, elles sont libres d’opter pour un régime dit communautaire (par exemple le régime légal).

La conséquence en est que, par principe, tous les biens qu’elles acquièrent – ensemble ou séparément – pendant le mariage viennent abonder une masse commune de biens que l’on appelle communauté.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quel statut reconnaître à ces biens – qualifiés également d’acquêts – qui forment la communauté conjugale ?

Pour certains auteurs, les acquêts endossent la qualification de biens indivis. D’autres soutiennent qu’ils répondent à un statut qui leur est propre et que, par voie de conséquence, ils ne sont pas soumis aux règles de l’indivision.

À l’analyse, c’est la seconde thèse qui emporte l’adhésion de la doctrine majoritaire, laquelle est corroborée par la jurisprudence qui systématiquement refuse d’appliquer aux biens communs les règles de l’indivision et inversement d’appliquer des règles issues du régime matrimonial à des biens acquis par un époux en indivision (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1985, n°84-14.173, n°84-14.173).

Aussi, faut-il considérer que, par principe, les biens acquis par des époux mariés sous un régime de communauté échappent à la qualification de biens indivis. Ils appartiennent à une masse de biens – la communauté – qui, si elle comporte des similitudes avec une indivision, ne se confond pas avec cette institution.

a.2. L’acquisition d’un bien en commun dans le cadre d’un régime séparatiste

i. Principe général

Lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens, le principe de séparation des patrimoines implique que chacun conserve la propriété de ses biens présents et futurs.

Faute d’instauration d’une communauté, les éléments d’actif que les époux acquièrent séparément, à commencer par leurs revenus, n’ont donc pas vocation à alimenter une troisième masse de biens.

C’est la raison pour laquelle, sous le régime de la séparation de biens, les époux en conservent nécessairement la propriété à titre individuel, sans que l’enrichissement que leur procure l’acquisition faite ne puisse, par un transfert de valeur, profiter au patrimoine du conjoint.

ii. Tempéraments

Le Code civil prévoit une exception au principe de séparation des patrimoines lorsque le bien appartient aux époux en indivision.

Cette indivision peut résulter :

  • Soit de l’acquisition conjointe d’un bien
  • Soit de présomptions d’indivision

?: L’acquisition conjointe d’un bien par les époux

Il n’est pas rare que les époux séparés de biens réalisent des acquisitions conjointement, en particulier lorsqu’il s’agit d’acquérir un bien pourvu d’une valeur patrimoniale importante, tel que le logement de famille ou une résidence secondaire.

Lorsqu’ils acquièrent un bien ensemble, il leur appartient en indivision, étant précisé que les quotes-parts attribuées à l’un et l’autre peuvent être déterminées dans l’acte constatant l’acquisition. À défaut, les époux sont réputés être propriétaires du bien indivis à parts égales.

Quoi qu’il en soit, les biens acquis conjointement par les époux séparés de biens ne composent, en aucune façon, une troisième masse de biens à l’instar de la communauté instaurée sous le régime légal.

Il s’agit de biens soumis au seul droit de l’indivision qui se compose de deux corps de règles :

  • Les règles générales énoncées aux articles 815 et suivants du Code civil qui s’appliquent en l’absence de convention contraire
  • Les règles spéciales énoncées aux articles 1873-1 et suivants du Code civil lorsqu’une convention relative à l’exercice des droits indivis a été conclue entre les époux.

Il peut être observé que, dès lors que l’acte d’acquisition constate que le bien a été acquis conjointement par les époux, il est réputé leur appartenir en copropriété, peu importe qu’il ait été financé par un seul des époux.

Dans un arrêt du 14 novembre 2007, la Cour de cassation validé en ce sens une décision de Cour d’appel qui, après avoir relevé qu’aux termes de l’acte de vente, le terrain avait été acquis indivisément chacun pour moitié par les époux séparés de biens, avait décidé que l’épouse, propriétaire pour moitié du terrain, « devait être présumée propriétaire pour moitié de l’immeuble qui y avait été édifié, les modalités de financement de la construction de cet immeuble n’étant pas, à elles seules, de nature à établir la preuve contraire » (Cass. 1ère civ. 14 nov. 2007, n°06-18.395).

?: Les présomptions d’indivision

Les présomptions d’indivision peuvent avoir deux sources différentes :

  • La loi
  • La volonté des époux

==>La présomption d’indivision légale

La vie conjugale implique que les époux mettent en commun les biens qu’ils acquièrent séparément.

Sous l’effet du temps, les biens, en particulier les meubles, qui leur appartiennent en propre sont alors susceptibles de se confondre avec ceux qui appartiennent au conjoint et réciproquement.

Cette situation est, par hypothèse, de nature à rendre pour le moins difficile l’attribution à l’un et l’autre époux de la propriété des biens qui ont été confondus.

Aussi, afin de faciliter la preuve de la propriété de ces biens, le législateur a institué une règle qui, lorsqu’existe une incertitude sur la propriété d’un bien, fait présumer ce bien appartenir aux époux en indivision.

Cette règle, qui est issue de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965, est énoncée à l’article 1538 du Code civil qui prévoit que « les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié ».

Par le jeu de cette présomption est ainsi instituée une masse indivise de biens qui, à certains égards, se rapproche de la masse commune instituée sous les régimes communautaires.

Elle s’en distingue néanmoins en ce que les biens qui la composent sont soumis au seul droit de l’indivision.

Il en résulte que le sort de cette masse indivise n’est pas lié à la durée du mariage. Plus précisément, cette masse peut cesser d’exister avant la dissolution du mariage, ce qui n’est pas le cas de la communauté qui est instituée pour toute la durée de l’union matrimoniale.

En effet, l’article 815 du Code civil prévoit que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu’il n’y ait été sursis par jugement ou convention. ». La situation d’indivision peut donc cesser à tout instant du mariage.

À l’analyse, la présomption d’indivision est un dispositif qui permet d’atténuer le principe de séparation des patrimoines qui préside au régime de la séparation de biens.

Comme observé par Gulsen Yildirimn elle « permet d’introduire un facteur d’équité dans l’établissement de la composition des patrimoines des époux. »

D’autres auteurs soulignent qu’« il est significatif de voir ainsi s’établir une union des intérêts pécuniaires, subrepticement en quelque sorte, et à la faveur d’une absence de preuve. Cela autorise à penser qu’une certaine communauté de meubles est peut-être, elle aussi, dans la nature des choses »[6].

S’agissant des effets de cette présomption, elle opère, tant dans les rapports entre époux, que dans les rapports avec les tiers.

  • Dans les rapports entre époux
    • La présomption d’indivision conduira les époux à se partager le bien lors de la dissolution du mariage.
    • Le partage donnera lieu à réparation du bien en deux parts égales, celui-ci étant présumé appartenir conjointement aux époux pour moitié.
  • Dans les rapports avec les tiers
    • La présomption d’indivision leur est opposable, de sorte que s’applique l’article 817 du Code civil aux termes duquel il leur est fait interdiction de saisir la quote-part indivise de l’époux débiteur.
    • Ils n’ont d’autre choix que de provoquer le partage de l’indivision.

==>Les présomptions d’indivision conventionnelles

En application du principe de liberté des conventions matrimoniales, les époux peuvent insérer dans leur contrat de mariage une clause qui institue une présomption d’indivision qui aura vocation s’appliquer à une ou plusieurs catégories de biens.

Depuis que la loi a institué une présomption d’indivision pourvue d’une portée générale, la stipulation d’une telle clause a grandement perdu de son intérêt.

Reste qu’il pourra être recouru à ce dispositif contractuel pour les meubles meublants qui garnissent le logement familial et plus généralement tous les lieux où les époux résident.

Sous l’empire du droit antérieur à la loi du 13 juillet 1965, on s’était demandé si les présomptions d’indivision conventionnelles étaient opposables aux tiers.

L’article 1538, al. 2e du Code civil tranche désormais cette question en prévoyant que « les présomptions de propriété énoncées au contrat de mariage ont effet à l’égard des tiers aussi bien que dans les rapports entre époux, s’il n’en a été autrement convenu. »

La conséquence de l’opposabilité des présomptions d’indivision conventionnelles aux tiers est le renversement de la charge de la preuve.

Autrement dit, c’est au créancier saisissant d’établir que le bien sur lequel il exerce ses poursuites appartient exclusivement à l’époux débiteur.

Dans un arrêt du 29 janvier 1974, la Cour de cassation a jugé en ce sens que la clause de présomption d’indivision figurant dans le contrat de mariage des époux séparés de biens est opposable au créancier, de sorte qu’il appartient à ce dernier d’administrer la preuve du droit de propriété exclusif de son débiteur sur les biens litigieux (Cass. 1ère civ. 29 janv. 1974, n°72-12.670).

iii. Cas particuliers : l’acquisition d’un bien par un époux financé par le conjoint

La plupart du temps, lorsqu’un époux se porte acquéreur d’un bien, il le fera au moyen de ses deniers personnels, de sorte que ce bien lui appartiendra en propre, sans qu’il lui soit besoin d’accomplir les formalités d’emploi ou de remploi requises sous le régime légal.

Sous le régime de la séparation de biens, chaque époux reste propriétaire, par principe, des biens qu’ils acquièrent au moyen de leurs deniers personnels.

Il est des cas néanmoins où l’époux qui réalisera l’acquisition ne sera pas nécessairement celui qui l’aura financée. Il peut, en effet, arriver que cette acquisition soit financée par le conjoint.

Lorsque cette situation se présente, la question alors se pose de la propriété du bien. Revient-elle à l’époux qui s’est porté acquéreur ou à celui qui a financé l’acquisition ?

Il ressort de la jurisprudence qu’une distinction se dessine quant aux règles applicables selon que le bien acquis est affecté à l’usage personnel de l’époux acquéreur ou selon qu’il est affecté à un usage familial.

?: Acquisition d’un bien affecté à un usage personnel

==>L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint en dehors de tout contrat

Le principe est que lorsqu’un bien est acquis par l’un ou l’autre époux, il appartient, non pas à l’époux qui a financé l’acquisition, mais, à celui au nom duquel cette acquisition a été faite.

Aussi, c’est le titre qui confère la qualité de propriétaire et non le financement qui ne confère aucun droit de propriété sur le bien.

Dans un arrêt du 9 octobre 1991, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « sous le régime de la séparation de biens, l’époux qui acquiert un bien pour son compte à l’aide de deniers provenant de son conjoint, devient seul propriétaire de ce bien » (Cass. 1ère civ. 9 oct. 1991, n°90-15.073).

Dans un arrêt du 31 mai 2005, la première chambre civile a encore jugé que « sous le régime de la séparation de biens, le bien appartient à celui dont le titre établit la propriété sans égard à son financement » (Cass. 1ère civ. 31 mai 2005, n°02-20.553).

Tout au plus, l’époux qui a financé le bien pourra « obtenir le règlement d’une créance lors de la liquidation du régime matrimonial, s’il prouve avoir financé en tout ou partie l’acquisition » (Cass. 1ère civ. 23 janv. 2007, n°05-14.311).

==>L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’un contrat de mandat

Dans cette hypothèse, l’époux qui se porte acquéreur endosse la qualité de mandataire ou, le cas échéant, de gérant d’affaires.

Pour déterminer à qui revient la propriété du bien objet de l’acquisition il y a lieu de faire application des règles du mandat.

Or ces règles désignent le mandant comme étant seul propriétaire du bien acquis.

L’époux qui a réalisé l’opération est, en effet, réputé avoir agi en représentation de son conjoint.

==>L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’un contrat de prêt

Dans cette hypothèse, quand bien même les deniers ont été fournis par le conjoint, le bien acquis demeure la propriété exclusive de l’époux qui s’est porté acquéreur.

La raison en est que la remise de fonds en exécution d’un contrat de prêt opère un transfert de propriété.

Aussi, parce que les fonds prêtés appartiennent en propre à l’époux emprunteur, le bien qu’il acquiert avec ces fonds subit le même sort, charge à lui de rembourser son conjoint selon les règles qui régissent les créances entre époux.

==>L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’une donation

  • Droit antérieur
    • Lorsqu’un époux reçoit de son conjoint des fonds à titre gratuit et qu’il remploie ces fonds à l’acquisition d’un bien, ce bien devrait, par le jeu de la subrogation réelle, lui appartenir en propre.
    • Telle n’est pourtant pas la solution qui avait été retenue par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur.
    • Les juridictions regardaient plutôt cette opération comme une donation déguisée, le déguisement se caractérisant par le fait que la libéralité se dissimule sous les apparences d’un autre acte, notamment d’un acte à titre onéreux.
    • Il en était tiré conséquence que la donation portait non pas sur les fonds donnés, mais sur le bien acquis au moyen de ces fonds.
    • Il en résultait que, en cas d’annulation de la libéralité, ce qui, en application de l’ancien article 1099, al. 2e du Code civil, était le sort de toute donation déguisée, la propriété du bien retournait dans le patrimoine du conjoint qui en avait financé l’acquisition (le donateur) et non à l’époux acquéreur (le donataire).
    • Là n’était pas la seule conséquence de l’anéantissement de la donation.
    • Il en était une autre qui était particulièrement fâcheuse lorsque le donataire avait réalisé avec les fonds provenant de la donation irrégulière une opération immobilière à laquelle intervenaient des tiers.
    • Exemple[7] :
      • Un époux achète, avec les deniers donnés par l’autre, un immeuble, puis le revend à un tiers ou lui consent des droits sur cet immeuble.
      • Dans cette hypothèse, comme vu précédemment, la jurisprudence considérait que l’époux donateur était réputé « avoir toujours été le seul propriétaire de l’immeuble acquis de ses deniers » au motif qu’il s’agirait là d’une donation déguisée.
      • L’annulation de cette donation entraînait alors l’anéantissement de toutes les mutations intervenues subséquemment à l’acquisition de l’immeuble par le donataire, ce qui, par voie de conséquence, était de nature à léser gravement les droits des tiers de bonne foi qui donc voyaient l’opération qu’ils avaient conclue remise en cause.
    • Afin d’assurer la sécurité juridique des tiers, en prévenant notamment la survenance de nullités en cascade, le législateur est intervenu pour briser la jurisprudence de la Cour de cassation en introduisant, par la loi du 28 décembre 1967, un article 1099-1 dans le Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « quand un époux acquiert un bien avec des deniers qui lui ont été donnés par l’autre à cette fin, la donation n’est que des deniers et non du bien auquel ils sont employés. »
    • Ainsi, désormais, la donation est réputée avoir pour objet les fonds donnés par l’époux donateur et non le bien acquis au moyen de ces deniers.
    • En cas d’annulation d’une donation déguisée ou de simple révocation d’une donation ostensible, obligation était donc faite au donataire de restituer les fonds donnés.
    • En application du second alinéa de l’article 1099-1 du Code civil, la somme restituée devait toutefois correspondre, non pas à la valeur nominale des deniers remis, mais à la valeur actuelle du bien acquis avec ces deniers.
    • Quoi qu’il en soit, par l’instauration de ce système, le droit de propriété constitué par le donataire sur le bien s’en trouvait préservé, sauf à ce qu’il ne dispose pas des liquidités suffisantes pour régler la somme d’argent due à son conjoint au titre de l’obligation de restitution.
    • Dans cette hypothèse, il serait alors contraint, soit de céder le bien à un tiers et de remettre au donateur le produit de la vente, soit de s’’acquitter de sa dette en cédant directement à ce dernier la propriété de son bien.
    • Afin d’éviter que l’une ou l’autre situation ne se produise et ainsi préserver le droit de propriété du donateur sur son bien conformément à l’objectif recherché par le législateur lors de l’introduction de l’article 1099-1 dans le Code civil, la jurisprudence a cherché à cantonner le domaine des libéralités entre époux.
    • Plus précisément, les juridictions ont progressivement considéré que, en cas de collaboration d’un époux à l’activité professionnelle de son conjoint au-delà de ce qui était exigé au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage, la remise d’une somme d’argent par le second au premier devait s’analyser, non pas en une libéralité, mais en une rémunération due au titre du travail fourni (Cass. 1ère civ. 19 mai 1976, n°75-10.558).
    • La conséquence en était la requalification de l’opération en acte à titre onéreux ce qui dès lors faisait obstacle à tout anéantissement sur le fondement, soit du principe de révocabilité des libéralités, soit du principe de nullité des donations déguisées.
    • À cet égard, la Cour de cassation est allée plus loin en jugeant que la qualification de libéralité devait également être écartée lorsqu’il était établi que l’activité de l’époux bénéficiaire de la remise de fonds dans la gestion du ménage et la direction du foyer avait, de par son importance, été source d’économies pour le conjoint.
    • Cela lui permettait ainsi de refuser l’annulation ou la révocation de l’acte de remise de fonds, puisque s’analysant en une rétribution due en contrepartie de la fourniture d’un travail au foyer (Cass. 1ère civ. 20 mai 1981, n°79-17.171).
    • Seule solution pour le demandeur à l’action en nullité ou en révocation de l’acte litigieux : rapporter la preuve de l’origine des deniers et de l’intention libérale du donateur.
    • À défaut, ni l’acquisition du bien, ni la fourniture des deniers ayant servi à son financement ne pouvaient être remises en cause.
  • Droit positif
    • Depuis l’adoption de la loi n°2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, les solutions dégagées par la jurisprudence s’agissant de l’anéantissement des donations entre époux n’opèrent plus.
    • En effet, cette loi a aboli :
      • D’une part, le principe de révocabilité des donations entre époux
      • D’autre part, le principe de nullité des donations déguisées
    • Ainsi, aujourd’hui, dans la mesure où les donations entre époux de biens présents ne peuvent plus être anéanties, sauf motifs graves[8], il est indifférent que l’époux qui a remis une somme d’argent à son conjoint ait été ou non animé d’une intention libérale.
    • Il importe peu également que le bénéficiaire de cette remise de fonds ait collaboré à l’activité professionnelle du conjoint ou qu’il ait assuré la gestion du ménage au-delà de ce qui était exigé au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage.
    • Dans les deux cas, la donation, qu’elle soit ostensible, indirecte ou déguisée, ne peut plus être remise en cause, de sorte que non seulement le donataire est consolidé dans ses droits de propriété du bien acquis au moyen des fonds remis en application de l’article 1099-1 du Code civil, mais encore le risque de devoir restituer ces fonds au donateur est écarté.
    • Ainsi que le relèvent les auteurs « cette modification revêt une importance considérable pour le régime de la séparation de biens »[9].
    • Le contentieux des donations indirectes et déguisées ne s’en trouve pas totalement épuisé pour autant : l’administration demeure en effet toujours intéressée au premier chef des libéralités qui n’ont fait l’objet d’aucune formalité de déclaration.

?: Acquisition d’un bien affecté à l’usage de la famille

Lorsqu’un époux séparé de biens finance un bien indivis au-delà de la quote-part dont il est titulaire et que le bien financé est affecté à un usage familial la question s’est posée de la nature du financement réalisé.

Plus précisément, on s’est demandé si le financement supporté par l’époux solvens ne relevait pas de la contribution aux charges du mariage.

Pour mémoire, l’article 214 du Code civil prévoit que les époux doivent contribuer à ce que l’on appelle les charges du mariage, contribution qui, sauf convention contraire, est proportionnelle à leurs facultés respectives.

Il s’agit là d’une obligation légale qui vise à assurer le bon fonctionnement du ménage et qui a pour seul fait générateur le mariage.

Aussi, dès lors que deux personnes sont mariées elles sont assujetties à l’obligation de contribution aux charges du mariage, peu importe le régime matrimonial auquel elles ont choisi de se soumettre.

Cette obligation a ainsi vocation à s’appliquer à tous les couples mariés, y compris à ceux séparés de biens, ce qui, dans le cas de ces derniers, n’est pas sans apporter un sérieux tempérament au principe de séparation des patrimoines.

Une application stricte de ce principe devrait, en effet, conduire à écarter toute mise en commun forcée des ressources perçues par les époux séparés de biens. En instituant une obligation de contribuer aux charges du mariage, le législateur a entendu déroger à ce principe.

Pour les dépenses en lien avec le train de vie du ménage et ayant pour objet l’entretien de la famille et l’éducation des enfants l’époux solvens ne saurait attendre en retour aucune contrepartie de la part de son conjoint, sinon que celui-ci exécute pareillement son obligation de contribution aux charges du mariage.

La qualification de charges du mariage n’est ainsi pas sans enjeu :

  • Lorsqu’une dépense s’analyse en une charge du mariage, elle ne peut jamais donner naissance à une créance entre époux, sauf à ce que cette dépense excède la part de l’époux solvens au titre de son obligation contributive
  • Lorsqu’une dépense ne s’analyse pas en une charge du mariage, elle donnera naissance à une créance entre époux toutes les fois qu’elle se rapporte à une dette supportée par l’époux solvens alors qu’elle relève du passif définitif du conjoint

S’il ne fait aucun doute que la qualification de charges du mariage est exclue lorsque le paiement réalisé par l’époux solvens se rapporte à une dette contractée aux fins d’acquisition d’un bien affecté à l’usage exclusif du conjoint, cette qualification est bien moins évidente en présence d’une dépense ayant financé un bien affecté à l’usage familial.

Il ressort de la jurisprudence que deux situations doivent être distinguées :

  • Première situation : le bien affecté à l’usage familial a été financé au moyen d’un prêt remboursé par l’époux solvens
    • Dans un arrêt du 15 mai 2013 la Cour de cassation a jugé que le remboursement par un époux d’un emprunt ayant servi à l’acquisition en indivision du domicile conjugal « participait de l’exécution [par ce dernier] de son obligation de contribuer aux charges du mariage » (Cass. 1ère civ. 15 mai 2013, n°11-26.933).
    • Il ressort de cette décision que lorsqu’un époux finance un bien indivis affecté à l’usage familial au-delà de la quote-part qui lui revient, il ne peut se prévaloir d’aucun droit de créance à l’encontre de son conjoint, sauf à ce que le contrat de mariage stipule le contraire.
    • Tel serait notamment le cas si celui-ci comporte la clause de style énonçant, par exemple, que « chacun des époux est réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive aux charges du mariage, en sorte qu’aucun compte ne sera fait entre eux à ce sujet et qu’ils n’auront pas de recours l’un contre l’autre pour les dépenses de cette nature »
    • Il peut être observé que la première chambre civile a retenu la même solution pour l’acquisition d’une résidence secondaire, après avoir relevé que ce bien était « destiné à l’usage de la famille » (Cass. 1ère civ. 3 oct. 2018, n°17-25.858).
    • Dans un arrêt du 5 octobre 2016, elle a jugé, en revanche, que « le financement, par un époux, d’un investissement locatif destiné à constituer une épargne, ne relève pas de la contribution aux charges du mariage ».
    • Il en résulte que la dépense supportée par l’époux solvens lui confère un droit de créance contre son conjoint pour la partie du bien indivis financé qui excède sa quote-part (Cass. 1ère civ. 5 oct. 2016, n°15-25.944).
  • Seconde situation : le bien affecté à l’usage familial a été financé au moyen de l’apport en capital provenant de la vente de biens personnels
    • Dans un arrêt du 3 octobre 2019, la Cour de cassation a jugé, au visa de l’article 214 du Code civil, que « sauf convention matrimoniale contraire, l’apport en capital provenant de la vente de biens personnels, effectué par un époux séparé de biens pour financer la part de son conjoint lors de l’acquisition d’un bien indivis affecté à l’usage familial, ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage » (Cass. 1ère civ. 3 oct. 2019, n°18-20.828).
    • Dans cette hypothèse, le financement du bien par l’époux solvens ouvre droit à créance à l’encontre de son conjoint.
    • La Première chambre civile a confirmé par la suite sa position à plusieurs reprises ; notamment dans un arrêt du 9 juin 2022 (Cass. 1ère civ. 9 juin 2022, n°20-21.277).

b. Les couples non mariés

b.1. L’acquisition d’un bien en commun dans le cadre d’un pacs

Issu de la loi n°99-944 du 15 novembre 1999, le pacte civil de solidarité (pacs) est défini à l’article 515-1 du Code civil comme « contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune ».

Le pacs vise à proposer aux concubins un statut légal, un « quasi-mariage » diront certains[10], qui règle les rapports tant personnels, que patrimoniaux entre les partenaires.

En 1999, le régime patrimonial du PACS reposait sur deux présomptions d’indivision différentes selon le type de biens :

  • les meubles meublants dont les partenaires feraient l’acquisition à titre onéreux postérieurement à la conclusion du PACS sont présumés indivis par moitié, sauf déclaration contraire dans la convention initiale. Il en est de même lorsque la date d’acquisition de ces biens ne peut être établie ;
  • les autres biens dont les partenaires deviennent propriétaires à titre onéreux postérieurement à la conclusion du pacte sont présumés indivis par moitié si l’acte d’acquisition ou de souscription n’en dispose autrement.

Par ailleurs, le champ de l’indivision était pour le moins incertain puisque la formulation du texte ne permettait pas de savoir avec certitude s’il comprenait les revenus, les deniers, et les biens créés après la signature du pacs.

Afin de remédier à ces difficultés, le législateur a décidé, à l’occasion de l’adoption de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, d’abandonner le principe d’indivision des biens acquis par les partenaires au cours du pacs, à la faveur d’un régime de séparation de biens.

Si, aujourd’hui, les partenaires sont soumis à un régime de séparation de biens, ils disposent toujours du choix d’opter pour un régime d’indivision organisé.

i. Principe

Aux termes de l’article 515-5 du Code civil « Sauf dispositions contraires de la convention visée au troisième alinéa de l’article 515-3, chacun des partenaires conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels ».

Il ressort de ce principe que le législateur a souhaité instituer un régime de séparation de biens entre les partenaires.

Cette volonté a été exprimée, lors de l’adoption de la loi du 23 juin 2006, dans un souci de protection des partenaires qui ignorent souvent que les biens acquis au cours du pacs sont soumis à l’indivision et a jugé préférable de prévoir la séparation des biens, sauf quand les partenaires optent pour l’indivision.

Sous l’empire du droit antérieur à cette réforme, le législateur avait instauré le régime inverse, soit une indivision entre les partenaires.

La loi du 15 novembre 1999 posait, en ce sens, l’existence d’une sorte de communauté de biens réduite aux acquêts.

En simplifiant à l’extrême, il convenait d’opérer une distinction entre les biens acquis avant et après l’enregistrement du pacs.

  • S’agissant des biens acquis avant l’enregistrement du pacs
    • Ils avaient vocation à rester dans le patrimoine personnel des partenaires, à charge pour eux de rapporter la preuve que le bien revendiqué leur appartenait en propre.
  • S’agissant des biens acquis après l’enregistrement du pacs
    • Ils étaient réputés indivis, de sorte qu’à la dissolution du pacs, une répartition égalitaire était effectuée entre les concubins

La loi du 23 juin 2006 a abandonné ce régime patrimonial applicable aux partenaires. Désormais, c’est un régime de séparation de biens qui régit leurs rapports patrimoniaux.

Cela signifie que tous les biens acquis par les partenaires avant et après l’enregistrement du pacs leur appartiennent un propre.

Une lecture affinée de l’article 515-4 révèle toutefois qu’il convient de distinguer les meubles dont la propriété est établie de ceux pour lesquels aucun des partenaires ne peut prouver sa qualité de propriétaire

  • S’agissant des biens dont la propriété est établie
    • C’est l’alinéa 1er de l’article 515-4 qui s’applique en pareille hypothèse
    • Ils restent dans le patrimoine personnel du partenaire qui les a acquis
    • Il est indifférent que l’acquisition soit intervenue avant ou après l’enregistrement du pacs.
  • S’agissant des biens dont la propriété n’est pas établie
    • L’article 515-5 du Code civil pris en son deuxième alinéa prévoit que :
      • D’une part, chacun des partenaires peut prouver par tous les moyens, tant à l’égard de son partenaire que des tiers, qu’il a la propriété exclusive d’un bien.
      • D’autre part, les biens sur lesquels aucun des partenaires ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié.
    • Il s’évince de cette disposition que, lorsque les biens sont acquis à titre onéreux postérieurement à la conclusion du PACS, ils sont présumés indivis par moitié, sauf déclaration contraire dans la convention initiale.
    • Il en est de même lorsque la date d’acquisition de ces biens ne peut être établie

ii. Exception

Si le législateur a institué le régime de la séparation de biens en principe, il a offert la possibilité aux partenaires d’y déroger en concluant une convention d’indivision.

L’article 515-5-1 du Code civil prévoit en ce sens que :

  • D’une part, les partenaires peuvent, dans la convention initiale ou dans une convention modificative, choisir de soumettre au régime de l’indivision les biens qu’ils acquièrent, ensemble ou séparément, à compter de l’enregistrement de ces conventions.
  • D’autre part, ces biens sont alors réputés indivis par moitié, sans recours de l’un des partenaires contre l’autre au titre d’une contribution inégale.

Ce régime d’indivision auquel les partenaires ont la faculté d’adhérer par convention s’articule autour de deux principes :

  • Premier principe
    • L’indivision s’applique aux seuls acquêts, c’est-à-dire aux biens acquis par les partenaires, ensemble ou séparément, après l’enregistrement de leur convention.
    • S’agissant des biens acquis l’enregistrement de la convention d’indivision qui n’est pas nécessairement concomitant à l’enregistrement du pacs, ils demeurent appartenir en propre aux partenaires
  • Second principe
    • Les biens visés par la convention conclue par les partenaires sont réputés indivis pour moitié.
    • Cela signifie qu’en cas de liquidation du pacs la répartition s’opérera à parts égales, sauf à ce qu’une fraction du bien ait été financée par des fonds propres d’un partenaire.
    • Dans cette hypothèse, seule la portion du bien qui constitue un acquêt fera d’un partage par moitié.
    • Exemple :
      • un immeuble est acquis pour 50 % avec les fonds propres d’un partenaire, pour l’autre moitié avec des fonds indivis.
      • Dans cette hypothèse, en cas de partage, le partenaire qui aura financé le bien avec ses fonds propres sera fondé à revendiquer 75% du bien, tandis que l’autre ne percevra que 25% de sa valeur.

L’article 515-5-3 du Code civil précise que la convention d’indivision est réputée conclue pour la durée du pacte civil de solidarité.

Toutefois, lors de la dissolution du pacte, les partenaires peuvent décider qu’elle continue de produire ses effets. Cette décision est soumise aux dispositions des articles 1873-1 à 1873-15 du Code civil.

iii. Exception à l’exception

En cas de conclusion par les partenaires d’une convention d’indivision, le législateur a prévu qu’un certain nombre de biens échappaient à son champ d’application.

L’article 515-5-2 prévoit que demeurent la propriété exclusive de chaque partenaire :

  1. Les deniers perçus par chacun des partenaires, à quelque titre que ce soit, postérieurement à la conclusion du pacte et non employés à l’acquisition d’un bien ;
  2. Les biens créés et leurs accessoires ;
  3. Les biens à caractère personnel ;
  4. Les biens ou portions de biens acquis au moyen de deniers appartenant à un partenaire antérieurement à l’enregistrement de la convention initiale ou modificative aux termes de laquelle ce régime a été choisi ;
  5. Les biens ou portions de biens acquis au moyen de deniers reçus par donation ou succession ;
  6. Les portions de biens acquises à titre de licitation de tout ou partie d’un bien dont l’un des partenaires était propriétaire au sein d’une indivision successorale ou par suite d’une donation.

Le dernier alinéa de cette disposition précise que l’emploi de deniers tels que définis aux 4° et 5° fait l’objet d’une mention dans l’acte d’acquisition.

L’emploi est un acte qui stipule la provenance des deniers et la volonté de leur propriétaire de les employer pour l’acquisition d’un bien propre.

À défaut d’accomplissement des formalités d’emploi, le bien est réputé indivis par moitié et ne donne lieu qu’à une créance entre partenaires.

b.2. L’acquisition d’un bien en commun dans le cadre d’un concubinage

En théorie, la cessation du concubinage ne devrait emportait aucune conséquence juridique.

Spécialement, comme rappelé régulièrement par la jurisprudence, le statut juridique dont jouissent les époux n’est pas applicable aux concubins.

La conséquence en est que ces derniers ne sauraient se prévaloir des règles qui gouvernent la liquidation du régime matrimonial.

En pratique, toutefois, la rupture du concubinage soulève de nombreuses difficultés, d’ordre juridique, face auxquelles les juridictions ne peuvent pas rester indifférentes.

Par hypothèse, l’existence d’une vie commune va conduire les concubins à acquérir des biens, tantôt séparément, tantôt en commun.

Au moment de cessation du concubinage, il conviendra donc de démêler leurs intérêts et leurs biens qui, parce que s’est instituée entre eux une communauté de vie, se sont entrelacés, voire parfois confondus.

Aussi, la question se posera de la liquidation de leurs intérêts pécuniaires. En l’absence de régime matrimonial, cette liquidation ne pourra s’opérer que selon les règles du droit commun.

Concrètement, la liquidation du concubinage suppose de surmonter une importante difficulté et non des moindres : la preuve de la propriété des biens.

À titre de remarque liminaire, il convient d’observer que, lors de la cessation du concubinage, la preuve de la propriété d’un bien ne soulèvera de difficulté qu’en cas de dispute, par les concubins, de la qualité de propriétaire.

Dans cette perspective, il est parfaitement envisageable que les concubins se répartissent les biens sans tenir compte des règles qui gouvernent la propriété et notamment faire fi de la question de savoir qui a financé l’acquisition de tel ou tel bien.

C’est donc seulement en cas de désaccord sur la propriété d’un bien que la preuve de la qualité de propriétaire devra être rapportée.

Deux hypothèses doivent être distinguées :

==>Le bien revendiqué est assorti d’un titre de propriété

Deux situations doivent alors être distinguées :

  • Le bien a été financé par le titulaire du titre de propriété
    • Le titre de propriété est un acte qui constate un droit de propriété
    • Il permet à celui désigné dans l’acte de justifier de sa qualité de propriétaire
    • Le titre de propriété est dressé en cas de vente immobilière, de cession de fonds de commerce et plus généralement en cas d’acquisition d’un droit de propriété ou de créance qui fait l’objet de formalités de publicité
    • Aussi la propriété du bien reviendra à celui qui est désigné dans l’acte
    • Dans l’hypothèse où les deux concubins sont désignés dans l’acte, le bien sera soumis au régime de l’indivision.
  • Le bien n’a pas été financé ou seulement partiellement par le titulaire du titre de propriété
    • Dans cette hypothèse, la jurisprudence considère que le titre prime sur la finance.
    • Dans un arrêt du 19 mars 2004, la Cour de cassation a estimé que « les personnes qui ont acheté un bien en indivision en ont acquis la propriété, sans qu’il y ait lieu d’avoir égard à la façon dont cette acquisition a été financée » (Cass. 1ère civ. 19 mars 2014, n°13-14.989).
    • Ainsi, peu importe que le bien ait été entièrement financé par le concubin qui en revendique la propriété.
    • La qualité de propriétaire est, en toutes circonstances, endossée par le titulaire du titre de propriété.
    • Dans un arrêt du 2 avril 2014, la Cour de cassation a précisé que le concubin qui avait financé en intégralité l’acquisition d’un bien en indivision n’était pas fondé à se prévaloir d’une créance de remboursement à l’encontre de sa concubine dès lors qu’il avait été établi que celui-ci était animé d’une intention libérale.
    • Toute la difficulté sera alors de prouver l’intention libérale qui, selon la première chambre civile, peut se déduire « des circonstances de la cause » (Cass. 1ère civ., 2 avr. 2014, n°13-11.025).
    • Dans un arrêt du 13 janvier 2016, la Première chambre civile a encore rejeté la demande de remboursement formulé par le concubin qui avait supporté l’intégralité de l’acquisition d’un bien indivis au motif que ce financement s’analysait en une dépense de la vie courant (Cass. 1ère civ. 13 janv. 2016, n°14-29.746).
    • La solution retenue par la Cour de cassation ici est éminemment contestable dans la mesure où les concubins ne sont assujettis à aucune obligation de contribuer aux dépenses de la vie courante à l’instar des époux sur lesquels pèse une obligation de contribution aux charges du mariage en application de l’article 214 du Code civil.
    • Bien que critiquable, cette solution a été reconduite par la Cour de cassation dans un arrêt du 7 février 2018 (Cass. 1ère civ. 7 févr. 2018, n°17-13.979).

==>Le bien revendiqué n’est assorti d’aucun titre de propriété

En l’absence de titre, rien n’est perdu pour le concubin revendiquant qui pourra toujours rapporter la preuve de la propriété du bien.

Toutefois, il ne pourra, ni compter sur la présomption de possession s’il souhaite établir la propriété exclusive d’un bien, ni ne pourra se prévaloir d’une présomption d’indivision s’il souhaite prouver la propriété indivise du bien.

  • L’inopérance de la présomption de possession
    • Aux termes de l’article 2276 du Code civil « en fait de meubles, la possession vaut titre »
    • Cela signifie que celui qui exerce la possession sur un bien est réputé en être le propriétaire.
    • Cette présomption est, de toute évidence, très pratique pour établir la propriété d’un bien lorsque l’on est muni d’aucun titre ce qui sera presque toujours le cas pour les biens meubles
    • La mise en œuvre de cette présomption est toutefois subordonnée à l’établissement d’une possession non équivoque sur le bien.
    • En cas de concubinage, il sera, par hypothèse, extrêmement difficile de satisfaire cette condition, dans la mesure où l’existence d’une communauté de vie entre les concubins confère précisément à la possession du bien revendiqué un caractère équivoque.
    • D’où la position de la Cour de cassation qui, systématique, refuse de faire jouer la présomption de l’article 2276 à la faveur du concubin revendiquant.
    • Aussi, lui appartiendra-t-il de rapporter la preuve de la propriété du bien par tous moyens.
    • Pour établir sa qualité de propriétaire, il pourra, notamment, se rapporter aux circonstances qui ont entouré l’acquisition du bien
    • Le plus souvent, le juge déterminera la titularité de la propriété du bien disputé en recourant à la méthode du faisceau d’indices.
    • Il tiendra notamment compte de l’auteur du financement du bien ou encore de l’existence d’une intention libérale
    • Il pourra encore se référer au nom du signataire de l’acte d’acquisition du bien.
  • L’absence de présomption d’indivision
    • Principe
      • Il est de jurisprudence constante qu’il n’existe pas de présomption d’indivision entre concubins.
      • Dans un arrêt du 25 juin 2014, la Cour de cassation a considéré, par exemple, s’agissant de la propriété de fonds déposés sur un compte bancaire que « le titulaire d’un compte bancaire est présumé seul propriétaire des fonds déposés sur ce compte et qu’il appartient à son adversaire d’établir l’origine indivise des fonds employés pour financer l’acquisition de l’immeuble indivis » (Cass. 1ère civ. 25 juin 2014, n°13-18.891).
      • Dans le même sens la Cour d’appel d’Amiens a jugé dans un arrêt du 8 janvier 2009 qu’il s’infère de l’article 515-8 du Code civil qu’il « n’existe ni indivision, ni présomption d’indivision entre deux personnes vivant en concubinage » (CA Amiens, 8 janv. 2009, n° 08/03128).
      • Il en résulte qu’il appartient à celui qui revendique la propriété indivise d’un bien de le prouver.
      • La Cour d’appel de Riom a de la sorte considérer « qu’en l’absence de présomption d’indivision entre concubins, le concubin qui est en possession d’un meuble corporel est présumé en être propriétaire et il est admis une preuve par tous moyens concernant la propriété des biens litigieux. » (CA Riom 16 mai 2017, n° 15/01253)
    • Exception
      • L’absence de présomption d’indivision entre concubins est assortie d’une exception.
      • Dans l’hypothèse où aucun des concubins ne parvient à établir qu’il est le propriétaire exclusif du bien revendiqué, celui-ci sera réputé indivis pour moitié (V. en cens CA Lyon, ch. 6, 17 octobre 2013, n°12/04463).
      • La présomption d’indivision n’intervient ainsi, qu’à titre subsidiaire.

3.2. L’acquisition d’un bien en commun en dehors du couple

Pour qu’un bien puisse être reconnu comme appartenant à plusieurs personnes, il doit être mentionné dans le titre de propriété que ce bien a été acquis en indivision.

Dans un arrêt du 5 octobre 1994, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les personnes qui ont acheté un bien en indivision en ont acquis la propriété, sans qu’il y ait lieu d’avoir égard à la façon dont cette acquisition a été financée » (Cass. 1ère civ. 5 oct. 1994, n°92-19.169).

Il ressort de cette disposition que le titre prime toujours sur la finance. Autrement dit, il est indifférent que l’acquisition du bien n’ait pas été financée par la personne désignée dans le titre de propriété ; seule cette dernière est considérée comme la seule et unique propriétaire du bien. En somme, le propriétaire est toujours celui qui achète le bien et non celui finance.

Il peut être observé que si le titre constate que le bien a été acquis en indivision, mais qu’il ne précise pas le montant de la quote-part détenue par chaque indivisaire, le bien est réputé appartenir pour moitié à chacun (V en ce sens Cass. 1ère civ. 4 mars 2015, n°14-11.278).

Lorsque plusieurs personnes acquièrent ainsi un bien en indivision, il est préconisé de préciser dans l’acte d’acquisition les proportions des droits détenus par chacune d’elles.

B) Existence de biens partageables

L’exercice du droit de tout indivisaire de solliciter le partage, consacré par l’article 815 du Code civil, suppose nécessairement que les biens composant l’indivision soient susceptibles de partage. Cependant, cette faculté trouve des limites importantes, posées par la loi ou la nature même de certains biens. Ainsi, tous les biens indivis ne peuvent être soumis à une demande en partage, en raison soit de leur inclusion dans des régimes d’indivision forcée ou perpétuelle, soit de leur affectation à des finalités spécifiques.

Cette réflexion appelle une double approche : d’une part, il convient de définir les biens qui composent l’indivision et, d’autre part, d’examiner ceux qui, bien que potentiellement indivis, échappent à toute procédure de partage.

Dans cette perspective, nous aborderons d’abord les catégories de biens qui constituent le patrimoine indivis, avant d’explorer les exclusions qui s’imposent, qu’il s’agisse des biens soumis à un régime d’indivision forcée ou perpétuelle, ou des biens spécifiques comme ceux affectés au culte, ceux à caractère familial, ou encore ceux attachés à l’exercice d’une fonction. Ces restrictions, loin d’être anecdotiques, traduisent des considérations juridiques et sociales majeures qui encadrent le droit au partage.

1. Les biens faisant l’objet du partage

1.1. Principe général

Le partage constitue l’aboutissement naturel de l’indivision, un état temporaire où les biens, matériels ou immatériels, sont détenus collectivement par les indivisaires. Ce processus repose sur un principe fondamental : tous les biens appartenant à l’indivision au moment du partage, qu’il s’agisse de biens existants, de biens subrogés ou des fruits et revenus générés pendant l’indivision, doivent être inclus dans la répartition patrimoniale.

Les biens existants, qu’ils soient immobiliers, mobiliers ou incorporels, forment le socle initial du partage. À ces biens s’ajoutent ceux issus du mécanisme de subrogation réelle, comme le prix de vente, les indemnités d’assurance ou d’expropriation, qui remplacent les biens aliénés ou détruits. Ces éléments préservent l’intégrité de la masse à partager et garantissent que les droits des indivisaires ne soient ni altérés ni amoindris par les évolutions survenues durant l’indivision.

Le partage ne se limite pas à une répartition statique des biens. Il tient également compte des variations de leur valeur, qu’il s’agisse de plus-values réalisées ou de pertes subies en cours d’indivision, souvent liées à des fluctuations économiques ou à une gestion active des biens. Ces évolutions influent directement sur l’équilibre des droits entre indivisaires, et leur prise en compte lors du partage est essentielle pour assurer une répartition équitable.

Ainsi, le partage ne représente pas seulement la sortie de l’indivision, mais aussi l’aboutissement d’un processus visant à rétablir les droits individuels de chacun, dans le respect des apports et de l’évolution des biens indivis. Il consacre une répartition équilibrée, tenant compte à la fois de la nature, de la valeur et de la dynamique des éléments composant la masse indivise.

1.2. Mise en œuvre

a. Les biens existants

Les biens existants forment la base essentielle de toute masse partageable, qu’elle résulte d’une indivision successorale, conventionnelle ou légale.

Dans le cadre d’une indivision successorale, ces biens comprennent l’intégralité des éléments patrimoniaux ayant appartenu au de cujus et demeurant dans la succession au jour du partage.

i. Notion et délimitation des biens existants

==>Les biens ordinaires

Les biens existants sont ceux qui appartiennent à l’indivision au moment de l’ouverture de celle-ci et qui n’ont pas été cédés, consommés ou aliénés avant la clôture des opérations de partage.

Ces biens peuvent revêtir différentes formes, au nombre desquels figurent :

  • Les biens immobiliers : terrains, maisons, appartements, immeubles de rapport, qui constituent souvent une partie substantielle de la masse indivise.
  • Les biens mobiliers : meubles corporels tels que les objets d’art, les véhicules, les meubles d’ameublement, ainsi que les biens mobiliers incorporels comme les valeurs mobilières, les comptes bancaires ou les titres de créances.
  • Les parts sociales et actions : dans les sociétés civiles ou commerciales, les parts détenues par le défunt, tant qu’elles n’ont pas été transmises par cession, restent dans la masse indivise.
  • Les droits patrimoniaux : droits de créance, droits d’exploitation d’une entreprise individuelle ou droits attachés à des propriétés intellectuelles.

Le partage de ces biens dépend de leur existence au jour du partage. Dans un arrêt du 9 mai 9178, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « le partage ne peut porter que sur les biens qui existent encore à la date du partage » (Cass. 1ère civ., 9 mai 1978, n°76-12.646), soulignant ainsi la nécessité d’exclure les biens qui ont disparu de la masse successorale avant cette date, que ce soit par aliénation, consommation ou destruction.

==>Les libéralités rapportées ou réduites

En sus des biens existants au sens strict, les libéralités consenties à certains héritiers peuvent également entrer dans la masse à partager sous réserve de certaines conditions.

En effet, ces libéralités sont susceptibles d’être rapportées à la masse indivise ou réduites si elles excèdent la quotité disponible et portent atteinte à la réserve héréditaire.

L’article 843 du Code civil prévoit en ce sens que les héritiers réservataires sont tenus de rapporter à la masse successorale les biens dont ils ont pu bénéficier à titre de donation ou d’avantage indirect.

Deux situations sont à envisager :

  • Le rapport des libéralités
    • Il s’agit de remettre fictivement dans la masse successorale les biens reçus par un héritier en avance sur sa part d’héritage.
    • Ces biens peuvent être rapportés en nature (si le bien est resté dans le patrimoine de l’héritier) ou en valeur.
    • Le but est ici de préserver l’égalité entre les héritiers.
  • La réduction des libéralités
    • Si les donations ou legs consentis par le défunt dépassent la quotité disponible, ils peuvent être réduits pour protéger les droits des héritiers réservataires.
    • La réduction s’effectue en valeur ou en nature selon les modalités prévues par les articles 924 et suivants du Code civil.

Dans ces cas, même si les biens en question ont été donnés avant l’ouverture de la succession, leur valeur est réintégrée dans la masse à partager pour préserver l’égalité entre les cohéritiers.

ii. L’évolution de la masse indivise jusqu’au partage

Il convient de souligner que la masse indivise n’est pas figée. Elle peut évoluer entre l’ouverture de l’indivision et le partage définitif.

Pendant cette période, les biens peuvent être vendus, dégradés ou augmenter de valeur.

Par exemple, les immeubles indivis peuvent prendre de la valeur sur le marché immobilier ou au contraire subir une dépréciation en fonction des conditions économiques.

L’article 822 du Code civil précise que l’évaluation des biens indivis se fait à la date la plus proche du partage afin de tenir compte de ces fluctuations.

En cas d’augmentation de la valeur des biens, celle-ci bénéficie à l’ensemble des indivisaires.

De la même manière, toute dépréciation impacte collectivement les indivisaires. Les plus-values réalisées, par exemple en cas de gestion ou d’améliorations apportées aux biens indivis par un des cohéritiers, sont elles aussi réparties au prorata des droits indivisaires, sauf demande de remboursement pour les investissements réalisés (Cass. 1ère civ., 29 mai 1996, n°94-14.632).

iii. L’importance d’une évaluation exhaustive des biens existants

Il est essentiel de procéder à une évaluation complète et précise de l’ensemble des biens existants au jour du partage.

L’omission d’un bien dans la masse indivise peut entraîner un partage complémentaire, quand bien même la valeur du bien omis est minime.

Dans d’une décision du 15 mai 2008, la Cour de cassation a rappelé en ce sens que « lorsqu’un bien est omis lors du partage, cela impose la réalisation d’un partage complémentaire, quelle que soit la valeur du bien omis » (Cass. 1ère civ., 15 mai 2008, n°06-19.416).

Cette règle vise à garantir que tous les biens constituant la masse successorale soient effectivement répartis entre les cohéritiers, protégeant ainsi les droits de chacun.

Aussi, sauf renonciation expresse d’un indivisaire à ses droits, l’omission d’un bien ne saurait priver un indivisaire de sa part dans ce bien. Le fait de ne pas avoir mentionné un bien dans le partage initial n’éteint donc pas les droits des indivisaires sur ce bien.

b. Les créances

Les créances indivises peuvent constituer une composante importante de l’actif de l’indivision, car elles représentent des droits que l’indivision détient envers des tiers.

Elles peuvent prendre différentes formes : créances de nature contractuelle, créances liées à des droits de propriété, ou encore créances issues de la gestion des biens indivis.

Leur gestion au sein de l’indivision est encadrée par des principes stricts de répartition entre les indivisaires.

i. Le principe de division des créances

==>Énoncé du principe

En application de l’article 1309, al. 1er du Code civil, dès l’ouverture de l’indivision, les créances se divisent de plein droit entre les indivisaires, au prorata de leurs parts dans la succession.

Ce principe est applicable aussi bien en cas d’indivision successorale qu’en cas d’indivision conventionnelle. Cela signifie que chaque indivisaire devient titulaire de la fraction de la créance correspondant à sa quote-part dans l’indivision.

En pratique, cela permet à chaque indivisaire de réclamer directement sa part de la créance à un tiers débiteur. Cette règle vise à simplifier le recouvrement des créances tout en respectant les droits proportionnels de chacun des indivisaires.

==>Mise en œuvre du principe

Lorsqu’une créance indivise est recouvrée par un indivisaire, ce dernier doit s’assurer de ne percevoir que sa part proportionnelle.

Si un indivisaire reçoit un montant supérieur à sa quote-part dans la créance, il est tenu de rembourser l’excédent à ses coindivisaires. Cette obligation découle du principe d’équité qui régit l’indivision.

L’effet déclaratif du partage, prévu par l’article 883 du Code civil, joue un rôle important ici.

Lors du partage de l’indivision, chaque indivisaire est considéré comme ayant toujours été propriétaire exclusif des biens qui lui sont attribués depuis l’origine de l’indivision.

Cela signifie qu’une créance qui est partagée ne fait l’objet d’un transfert qu’au moment du partage, ce qui peut avoir des conséquences sur les paiements effectués avant le partage.

Si, par exemple, une créance successorale est cédée par un indivisaire avant le partage, cette cession pourrait être annulée si, au moment du partage, la créance est attribuée à un autre indivisaire.

Cela a été confirmé par la jurisprudence dans un arrêt ancien, mais encore souvent cité : Cass. req., 13 janv. 1909, qui rappelle que la cession d’une créance par un indivisaire avant partage est nulle si celui-ci n’en est pas attributaire lors du partage.

Dans cette affaire, un indivisaire avait cédé une créance successorale avant le partage de la succession.

Toutefois, au moment du partage, cette créance n’avait pas été attribuée au cédant, mais à un autre héritier. La Cour de cassation a jugé que cette cession était nulle, car l’indivisaire cédant n’avait pas été attributaire de la créance au moment du partage.

Il ressort de cette jurisprudence que, jusqu’au partage, l’indivisaire ne saurait valablement céder une créance indivise, car l’effet déclaratif du partage signifie qu’il n’est considéré comme ayant eu un droit exclusif sur cette créance qu’à partir du moment où elle lui est attribuée définitivement lors du partage.

En effet, l’effet déclaratif du partage, consacré par l’article 883 du Code civil, signifie que le partage ne fait que constater et déclarer des droits qui existaient depuis l’ouverture de la succession, mais que chaque héritier est censé avoir eu de manière exclusive sur les biens qui lui sont attribués.

Avant le partage, les biens de la succession sont indivis, et chaque indivisaire est copropriétaire de la totalité des biens à hauteur de sa quote-part. Un indivisaire ne peut donc céder un bien ou une créance tant que celui-ci n’a pas été précisément attribué à lui lors du partage.

Cette règle vise à préserver l’intégrité de la masse successorale jusqu’au partage et d’éviter des complications liées à des cessions de biens indivis avant leur attribution définitive.

ii. Exception : les créances indivisibles

Toutes les créances ne sont pas divisibles entre les indivisaires. Certaines créances, en raison de leur nature, sont considérées comme indivisibles et doivent être recouvrées et partagées dans leur totalité par l’ensemble des indivisaires.

Un exemple typique est celui des indemnités d’expropriation, que la jurisprudence a qualifiées de créances indivisibles.

Dans une décision importante, la Cour de cassation a jugé que ces indemnités ne pouvaient pas être divisées entre les indivisaires, et devaient donc être partagées dans leur ensemble (Cass. 3e civ., 13 déc. 1995, n°94-86.191).

Dans cette affaire, une indemnité d’expropriation avait été accordée pour un bien appartenant à une indivision.

Le problème portait sur la manière dont cette indemnité devait être traitée et répartie entre les indivisaires, certains d’entre eux contestant les modalités de la répartition.

Plus précisément, la question soulevée était de savoir si une indemnité d’expropriation, touchant un bien indivis, pouvait être divisée entre les indivisaires ou si elle devait être considérée comme indivisible.

La Cour de cassation a jugé que l’indemnité d’expropriation d’un bien indivis est indivisible, confirmant ainsi que cette indemnité devait être partagée entre tous les indivisaires de manière globale.

Elle ne pouvait donc pas, en d’autres termes, être divisée et recouvrée séparément par chaque indivisaire en fonction de sa quote-part dans l’indivision.

Il s’en déduit qu’une créance liée à l’indemnité d’expropriation d’un bien indivis est insusceptible de faire l’objet d’une division proportionnelle comme les autres créances ordinaires de l’indivision.

La raison en est que l’indivisibilité de l’indemnité d’expropriation repose sur la nature même de cette indemnité, qui est censée compenser la perte d’un bien indivis dans son ensemble.

Le bien étant indivis, l’indemnité qui le remplace doit également être considérée comme indivise et répartie globalement entre les co-indivisaires au moment du partage.

La jurisprudence justifie cette position par la nécessité de maintenir la cohérence de l’indemnisation en cas d’expropriation d’un bien indivis.

Puisque le bien appartient en commun à tous les indivisaires, l’indemnité accordée par les autorités expropriantes est considérée comme une créance unique et indivisible, à répartir seulement après avoir été reçue globalement par l’indivision.

Il peut être observé que le caractère indivisible d’une créance peut également se retrouver dans d’autres situations, notamment lorsque la nature même de l’obligation le rend impossible. Cela peut notamment concerner des créances liées à des préjudices moraux, ou des obligations contractuelles spécifiques.

c. Les biens subrogés

La subrogation réelle consiste à substituer dans un patrimoine une chose par une autre.

Il en va ainsi lorsqu’un bien mobilier ou immobilier dont est propriétaire une personne est remplacé par une somme d’argent correspondant à la valeur du bien remplacé.

Cette somme d’argent peut consister en un prix de vente, à une indemnité d’assurance ou encore à une indemnité d’expropriation.

La particularité de la subrogation réelle est donc qu’elle opère le remplacement dans un bien par un autre, sans pour autant modifier le rapport de propriété préexistant liant le propriétaire à la chose.

C’est là le sens de l’adage subrogatum capit naturam subrogi, soit ce qui est subrogé prend la nature de ce à quoi il est subrogé.

La conséquence en est que la subrogation n’affecte pas le droit réel exercé par le propriétaire ; elle substitue seulement son objet.

A cet égard, le mécanisme de la subrogation réelle trouve une application dans le régime des indivisions, particulièrement lorsque des biens sont vendus, détruits ou remplacés.

La subrogation permet ainsi d’assurer la continuité de la masse indivise, en substituant à un bien disparu un équivalent en nature ou en valeur (prix de vente, indemnité, créance, etc.). L’objectif est de préserver les droits des indivisaires et de maintenir la cohérence de l’actif indivis jusqu’au partage.

En pratique, cela signifie que le bien subrogé, bien qu’il diffère dans sa forme ou sa valeur, continue à appartenir à la masse indivise et reste soumis aux règles qui gouvernent le partage.

Le principe de la subrogation réelle est issu de l’arrêt Chollet-Dumoulin rendu par les chambres réunies de la Cour de cassation le 5 décembre 1907 (Cass. ch. Réunies, 5 déc. 1907).

Dans cette affaire, les indivisaires avaient vendu un bien immobilier indivis et une contestation était née quant à la répartition du prix de vente.

La question portait sur le fait de savoir si le prix de vente devait être considéré comme faisant partie de la succession et partagé entre les indivisaires, ou s’il pouvait être exclu de la masse indivise.

La Cour de cassation a tranché en faveur de l’intégration du prix de vente à la masse indivise, affirmant que le produit de la vente d’un bien indivis devait être considéré comme un « effet de succession ».

Le prix de vente remplace donc le bien vendu et devient un bien subrogé à répartir entre les indivisaires de la même manière que le bien lui-même aurait été partagé. Cet arrêt a posé le fondement de la subrogation réelle, garantissant ainsi que la vente d’un bien indivis n’entraîne pas la perte de valeur pour les indivisaires mais simplement son transfert sur une somme d’argent.

Dès lors, la subrogation réelle peut intervenir selon deux modalités principales :

  • La subrogation automatique
    • Lorsqu’elle est automatique, la subrogation réelle joue de plein droit.
    • Ce mécanisme est mise en oeuvre dès lors qu’un bien indivis est aliéné ou détruit, sans nécessiter l’accord des indivisaires.
    • Par exemple, le prix de vente d’un bien indivis ou une indemnité d’assurance en cas de destruction entre automatiquement dans la masse indivise.
    • Ce principe de subrogation automatique assure que les droits des indivisaires sur les biens aliénés sont préservés et reportés sur la somme obtenue en contrepartie.
  • La subrogation volontaire
    • Il est des cas où pour produire ses effets, la subrogation requiert le consentement des indivisaires, notamment en matière d’emploi ou de remploi de biens indivis.
    • Ici, le produit de la vente d’un bien indivis peut être réinvesti dans l’acquisition d’un nouveau bien, à condition que tous les indivisaires y consentent.
    • Ce nouveau bien deviendra alors lui-même indivis, mais seulement si les cohéritiers acceptent explicitement cette opération.

i. La subrogation automatique : un principe général

La subrogation réelle est, en principe, automatique et s’applique de plein droit dès lors qu’un bien indivis est aliéné ou détruit.

Ce principe est consacré par l’article 815-10 du Code civil, qui prévoit que les créances et indemnités venant remplacer des biens indivis entrent automatiquement dans la masse indivise.

Ainsi, les indivisaires conservent-ils leurs droits, non plus sur le bien initial, mais sur la somme ou l’indemnité qui le remplace.

La subrogation automatique est susceptible de jouer dans plusieurs situations :

  • Vente d’un bien indivis : le prix de vente comme bien subrogé
    • Lorsqu’un bien indivis est vendu, le prix de vente se substitue automatiquement au bien vendu et intègre la masse indivise.
    • Cette subrogation a pour effet de remplacer le bien physique par une créance pécuniaire, qui est alors partagée entre les indivisaires selon leurs droits dans l’indivision.
    • Ainsi, les indivisaires conservent une quote-part dans le produit de la vente.
    • C’est ce principe que l’arrêt Chollet-Dumoulin est venu consacrer (Cass. ch. Réunies, 5 déc. 1907).
    • Ce principe garantit que la vente d’un bien indivis ne prive pas les indivisaires de leurs droits, mais simplement les reporte sur une somme d’argent.
  • Indemnité d’assurance : subrogation en cas de destruction d’un bien
    • En cas de destruction d’un bien indivis, par exemple à la suite d’un sinistre, l’indemnité d’assurance versée en réparation du dommage se substitue automatiquement au bien détruit.
    • Cette indemnité est intégrée dans la masse indivise et se partage entre les indivisaires selon leurs parts respectives.
    • Ce principe a été confirmé par l’arrêt Cass. 1re civ., 19 mars 2014, dans lequel la Cour de cassation a jugé que l’indemnité d’assurance subrogée à un bien indivis détruit doit être intégrée à l’indivision, même si son montant dépasse la valeur initiale du bien détruit.
    • Le juge du partage n’a aucun pouvoir pour discuter le montant de l’indemnité ; il doit l’intégrer intégralement à l’actif indivis (Cass. 1ère civ. 19 mars 2014, n° 13-12.578).
  • Créances successorales : annulation des cessions avant partage
    • Un autre exemple de subrogation réelle se retrouve dans le cas des créances successorales.
    • Si un indivisaire cède une créance avant le partage et que cette créance n’est finalement pas attribuée à cet indivisaire au moment du partage, la cession est annulée.
    • C’est le principe de l’effet déclaratif du partage qui est à l’œuvre ici, comme l’a affirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 13 janvier 1909 (Cass. req., 13 janvier 1909).
    • Dans cette affaire, un indivisaire avait cédé une créance successorale avant le partage.
    • Toutefois, au moment du partage, cette créance n’avait pas été attribuée au cédant, mais à un autre héritier.
    • La Cour de cassation a jugé que la cession de cette créance était nulle, car l’indivisaire cédant n’était pas devenu propriétaire exclusif de la créance avant le partage.
    • Cet arrêt confirme que, tant que le partage n’a pas eu lieu, les droits des indivisaires sur les biens de la succession sont indivis et ne peuvent pas faire l’objet d’une cession indépendante par un seul co-indivisaire.
    • Ce principe s’infère de l’article 883 du Code civil, selon lequel le partage a un effet déclaratif : il ne crée pas de nouveaux droits mais attribue à chaque indivisaire la portion de biens à laquelle il avait déjà droit depuis l’ouverture de la succession.
    • Ainsi, la cession d’un bien indivis avant le partage n’est valable que si le bien est effectivement attribué à l’indivisaire cédant au moment du partage.

ii. La subrogation volontaire : emploi et remploi des biens indivis

Par exception, certaines situations de subrogation réelle ne sont pas automatiques et requièrent le consentement des indivisaires.

Cela concerne principalement les cas d’emploi et de remploi, où le prix de vente d’un bien indivis ou une indemnité est réinvesti dans un nouveau bien. Cette forme de subrogation est dite volontaire, car elle requiert l’accord unanime des indivisaires.

En effet, l’emploi et le remploi sont des mécanismes qui permettent de réinvestir les sommes issues de la vente d’un bien indivis dans l’acquisition d’un nouveau bien.

Ce nouveau bien devient alors indivis, à condition que tous les indivisaires aient donné leur consentement.

L’article 815-10 du Code civil précise en ce sens que les biens acquis en emploi ou en remploi de biens indivis ne peuvent être eux-mêmes indivis que si tous les indivisaires ont consenti à cette opération.

Ce consentement est indispensable pour éviter que l’un des indivisaires ne soit contraint d’accepter l’acquisition d’un nouveau bien en indivision contre son gré. En l’absence d’accord unanime, seul le prix de vente ou l’indemnité d’assurance reste dans la masse indivise, mais aucun nouveau bien ne peut être intégré à l’indivision.

La jurisprudence a confirmé à plusieurs reprises le caractère volontaire de l’emploi et du remploi, notamment à travers d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 février 1996 (Cass. 1ère civ., 20 févr. 1996, 93-21.141)

Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si les opérations de gestion effectuées par le gérant d’une indivision, en utilisant des fonds indivis pour acquérir de nouveaux biens, pouvaient être considérées comme ayant été réalisées au profit de l’indivision.

L’époux, qui était le gérant de l’indivision post-communautaire, avait effectué des achats avec les deniers indivis. Le litige portait sur la question de savoir si ces biens nouvellement acquis devaient être considérés comme des biens indivis, au titre de la subrogation réelle.

La Cour de cassation a confirmé que les opérations de remploi effectuées par le gérant d’une indivision post-communautaire étaient valables, sous réserve que ces opérations aient été réalisées avec le consentement des indivisaires ou, à défaut, dans l’intérêt de l’indivision.

En l’espèce, la Cour a jugé que toutes les acquisitions réalisées par le gérant avec des deniers indivis l’avaient été volontairement pour le compte de l’indivision, car il avait agi dans l’intérêt de celle-ci et avec l’accord implicite des autres indivisaires.

Ainsi, la simple utilisation de deniers indivis ne suffit donc pas à opérer une subrogation ; il faut également une intention manifeste d’acquérir pour le compte de l’indivision.

En revanche, si l’emploi ou le remploi a lieu sans le consentement de tous les indivisaires, la subrogation ne pourra pas être imposée. Dans ce cas, seule la somme d’argent, comme le prix de vente ou l’indemnité, restera dans la masse indivise.

En cas de désaccord entre les indivisaires sur la question du remploi, il est possible de demander l’intervention du juge.

L’article 815-6 du Code civil permet au tribunal judiciaire de prendre des mesures urgentes pour protéger les intérêts de l’indivision, notamment en autorisant une opération de remploi en l’absence d’accord unanime.

De même, l’article 815-5 du Code civil permet à un indivisaire d’agir seul en cas de gestion d’affaires, à condition que cela soit dans l’intérêt commun et justifié par l’urgence ou la conservation du bien.

d. Les biens à caractère personnel

Certains biens, bien qu’ayant un caractère personnel, peuvent être inclus dans la masse partageable de l’indivision, mais sous certaines conditions particulières.

La jurisprudence a établi une distinction essentielle entre la titularité (ou le titre) de ces biens, qui reste personnelle et intransmissible, et leur valeur économique, qui, elle, peut être intégrée à la masse indivise et partagée entre les coindivisaires.

Ce principe de distinction entre le titre et la valeur permet de concilier le caractère personnel de certains biens avec la nécessité de partager leur valeur économique dans une indivision. Il trouve son origine dans la gestion des offices ministériels et a ensuite été transposé à d’autres types de biens présentant des caractéristiques similaires, comme les parts sociales ou les clientèles professionnelles.

i. Origine de la distinction entre le titre et la finance

Les offices ministériels (notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs, etc.) illustrent bien la distinction entre le titre et la finance car ils se caractérisent par deux aspects distincts :

  • Le titre, qui confère à son titulaire l’autorisation d’exercer une mission de service public. Ce titre, octroyé par l’État, est strictement personnel, car il repose sur des qualifications spécifiques et des agréments particuliers liés à la personne du titulaire. En raison de ce caractère personnel, la titularité d’un office ne peut être cédée ou partagée dans le cadre d’une indivision.
  • La finance, ou la valeur économique de l’office, est en revanche patrimoniale. Cette valeur correspond au prix de marché de l’office et peut être partagée, notamment lors d’une succession ou d’un partage. Ainsi, même si le titre reste propre au titulaire, la valeur patrimoniale de l’office (appelée finance) peut être incluse dans la masse indivise et partagée entre les indivisaires.

Cette distinction a été consacré par la jurisprudence, notamment pour éviter que les coindivisaires ou le conjoint d’un titulaire d’office ne puissent revendiquer la titularité de l’office, tout en leur permettant de bénéficier de la valeur économique qu’il représente.

ii. Extension de la distinction à d’autres biens à caractère personnel

Au fil du temps, cette distinction entre le titre et la valeur a été transposée à d’autres biens à caractère personnel, tels que les parts sociales dans des sociétés de personnes, les clientèles professionnelles, ou encore certaines concessions administratives.

==>Les parts dans des sociétés de personnes

Dans les sociétés de personnes, comme les sociétés civiles ou les SNC (Société en Nom Collectif), la qualité d’associé repose sur une relation de confiance (intuitu personae) entre les associés.

La titularité des parts sociales est donc strictement personnelle et intransmissible sans l’accord des autres associés.

Cependant, la valeur patrimoniale de ces parts peut entrer dans la masse indivise et être partagée entre les indivisaires au moment du partage.

==>Les clientèles professionnelles

La clientèle d’un professionnel (médecin, avocat, notaire) repose sur une relation de confiance personnelle avec les clients, ce qui la rend intransmissible.

Toutefois, la valeur économique de cette clientèle peut être incluse dans l’actif indivis.

Par exemple, lors de la liquidation d’une indivision post-communautaire, la valeur patrimoniale de la clientèle peut être évaluée et partagée entre les indivisaires, bien que la titularité de la clientèle reste propre au professionnel.

==>Les concessions administratives

Un autre exemple de cette distinction peut être trouvé dans les concessions administratives, telles que les concessions de parcs à huîtres.

Dans un arrêt du 8 décembre 1987, la Cour de cassation a jugé que la concession, en tant que droit personnel, était intransmissible. Toutefois, la valeur patrimoniale de cette concession pouvait entrer dans la masse commune ou indivise, permettant ainsi de protéger l’intérêt économique des indivisaires ou du conjoint (Cass. 1ère civ. 8 déc. 1987, n°86-12426).

iii. Application de la distinction dans le cadre de l’indivision

La distinction entre le titre et la finance s’applique donc dans plusieurs cas où le bien est personnel, mais présente une valeur patrimoniale importante. Elle permet de protéger l’aspect personnel du bien, tout en offrant aux indivisaires la possibilité de partager la valeur économique de ce bien.

La jurisprudence est claire : la titularité de certains biens à caractère personnel (parts sociales, offices ministériels, clientèles professionnelles) reste strictement attachée à la personne du titulaire.

Cette intransmissibilité s’explique par les qualités spécifiques requises pour exercer certains droits ou fonctions, ou encore par la relation de confiance personnelle qui caractérise certains types de biens.

En revanche, même si la titularité ne peut être partagée, la valeur économique du bien peut entrer dans la masse indivise. Cela permet d’assurer une équité entre les indivisaires, notamment lorsque le bien représente une part significative du patrimoine indivis. Lors du partage, la valeur de marché du bien est évaluée et incluse dans la masse à partager.

L’évaluation des biens à caractère personnel pour leur intégration dans la masse indivise se fait généralement au moment du partage. Leur valeur marchande est déterminée lors des opérations de liquidation et de partage de l’indivision, et cette valeur est répartie entre les indivisaires proportionnellement à leurs parts.

e. Les fruits et revenus

Les fruits et revenus générés par les biens indivis, tels que les loyers, les dividendes, les intérêts ou d’autres produits, sont des éléments essentiels susceptibles de faire l’objet d’un partage entre les indivisaires. Ces derniers, en s’ajoutant à la masse indivise, augmentent l’actif partageable et garantissent une répartition équitable entre les coindivisaires.

Ce principe est énoncé par l’article 815-10 du Code civil qui prévoit que « les fruits et les revenus des biens indivis accroissent à l’indivision ». Selon cette règle, les fruits et revenus bénéficient donc à l’ensemble des indivisaires, évitant qu’un seul ne tire un avantage exclusif des fruits générés par les biens communs.

i. Le principe d’accroissement de la masse indivise

L’objectif de cette règle est d’éviter qu’un indivisaire ne tire un bénéfice personnel des fruits produits par un bien indivis avant le partage, au détriment des autres indivisaires.

Ainsi, les fruits et revenus produits par les biens indivis ne reviennent pas directement à celui qui en a la gestion ou la jouissance temporaire, mais sont intégrés dans la masse indivise pour être partagés lors de la liquidation ou du partage de l’indivision.

Cet équilibre est particulièrement important dans le cadre des successions, où certains héritiers pourraient autrement profiter d’un bien frugifère (comme un immeuble locatif) avant le partage, alors que d’autres ne recevraient qu’un bien non frugifère.

Le fait que les fruits soient inclus dans la masse indivise permet de garantir une égalité entre les héritiers et de compenser les écarts liés à la nature des biens attribués lors du partage.

Ce principe a été consacré depuis longtemps par la jurisprudence, notamment par un arrêt de la Cour de cassation du 20 juillet 1858, qui reprend l’adage latin « fructus augent hereditatem », soit les fruits augmentent l’héritage (Cass. civ. 20 juill. 1858).

Ce principe veut que tous les fruits et revenus générés par les biens indivis bénéficient à l’ensemble des indivisaires et non à un seul.

ii. Typologie des fruits et revenus

Les fruits et revenus des biens indivis peuvent prendre plusieurs formes :

  • Les fruits naturels
    • Les fruits naturels sont les produits qui proviennent des biens immobiliers sans intervention humaine excessive.
    • On compte dans cette catégorie notamment :
      • Les récoltes agricoles issues de terrains indivis utilisés pour l’agriculture.
      • Les produits forestiers comme le bois provenant de forêts indivises, ou encore la résine et autres produits naturels exploitables.
    • Les fruits naturels se distinguent par le fait qu’ils sont directement générés par la nature et peuvent être récoltés régulièrement sans affecter la substance du bien d’origine (par exemple, couper du bois dans une forêt sans détruire le terrain). Ces revenus doivent être répartis entre les coindivisaires au moment du partage, sauf si une convention ou un accord a prévu une répartition antérieure.
  • Les fruits civils
    • Les fruits civils représentent les produits réguliers résultant de l’exploitation de biens indivis, souvent en vertu de contrats conclus avec des tiers. Contrairement aux fruits naturels, les fruits civils nécessitent une gestion active du bien pour en percevoir les revenus.
    • Ils incluent notamment :
      • Les loyers perçus d’un bien immobilier indivis mis en location. Les revenus locatifs sont considérés comme des fruits civils qui s’ajoutent à la masse indivise.
      • Les dividendes provenant de parts sociales ou d’actions détenues en indivision. Si les indivisaires détiennent des titres financiers indivis, les dividendes versés par la société émettrice sont également intégrés à l’actif indivis.
      • Les redevances issues de contrats de concession ou d’exploitation, comme la gestion d’un fonds de commerce indivis ou la mise en valeur de propriétés intellectuelles détenues en indivision.
    • Les fruits civils sont souvent générés sur une base contractuelle et impliquent une perception périodique (mensuelle, trimestrielle, annuelle, etc.).
    • Ces revenus, comme les loyers ou dividendes, doivent être partagés entre les indivisaires en fonction de leurs parts dans l’indivision.
    • Si un indivisaire a géré seul un bien et perçu des loyers ou des dividendes, il est tenu de les partager avec les autres, sous peine de devoir indemniser l’indivision.
  • Les intérêts
    • Les intérêts perçus dans le cadre d’une indivision résultent de placements financiers ou de créances indivises.
    • Ces revenus peuvent provenir de différentes sources, telles que :
      • Les créances indivises qui génèrent des intérêts, comme un prêt consenti par l’indivision à un tiers. Dans ce cas, les intérêts perçus doivent être répartis entre les indivisaires.
      • Les placements financiers, comme des comptes bancaires, des livrets d’épargne ou des obligations détenues par l’indivision. Les intérêts générés par ces placements viennent également augmenter la masse indivise.
    • Les intérêts, qu’ils soient issus de créances ou de placements financiers, sont des revenus passifs, ne nécessitant pas une gestion active mais dépendant du temps et des conditions contractuelles.
    • Ils sont perçus à échéances régulières et augmentent la masse à partager au moment de la liquidation de l’indivision.

Tous ces revenus, qu’ils proviennent de fruits naturels, de fruits civils ou encore d’intérêts, augmentent donc systématiquement la masse indivise et doivent être partagés entre les indivisaires lors de la liquidation de l’indivision.

Leur répartition se fait en fonction des parts respectives de chaque indivisaire dans l’indivision.

Ce mécanisme permet d’éviter qu’un indivisaire ne bénéficie exclusivement des produits générés par le bien indivis avant le partage, ce qui pourrait entraîner des situations inéquitables.

En pratique, les revenus sont généralement conservés ou placés sur un compte commun au nom de l’indivision jusqu’au partage.

Si un indivisaire a perçu des fruits ou revenus sans les partager, il est tenu de restituer l’excédent aux autres indivisaires. Ce mécanisme vise à garantir l’équité entre les coindivisaires et à préserver les intérêts de chacun.

f. Les plus-values et moins-values

Dans le cadre d’une indivision, les plus-values et les moins-values réalisées sur les biens indivis constituent des éléments susceptibles d’être intégrés au partage. Ces variations de valeur, qu’elles résultent d’évolutions économiques, d’investissements ou encore de la gestion active des biens par l’un des indivisaires, influencent directement l’équilibre patrimonial au sein de l’indivision.

Le partage de ces fluctuations vise à garantir que chaque indivisaire bénéficie ou supporte les effets des changements affectant la valeur des biens indivis, conformément à ses droits dans l’indivision. Ce mécanisme assure une répartition équitable, tenant compte des enrichissements ou des diminutions de valeur intervenus pendant la période indivise.

Lors de la liquidation de l’indivision, les plus-values et moins-values sont évaluées au moment du partage, permettant une prise en compte actualisée des biens indivis. Ainsi, ces variations s’intègrent dans la répartition, traduisant une juste répartition des bénéfices ou pertes accumulés au cours de la gestion collective.

i. Les plus-values dans l’indivision

Les plus-values réalisées sur les biens indivis constituent des éléments importants pouvant faire l’objet d’un partage. Ces plus-values peuvent résulter de plusieurs facteurs :

  • L’évolution naturelle des prix du marché immobilier ou financier. Par exemple, une augmentation du prix de l’immobilier peut générer une plus-value sur un immeuble détenu en indivision.
  • Les investissements réalisés sur les biens indivis, tels que des travaux d’amélioration ou de rénovation, qui augmentent la valeur des biens. Ces investissements peuvent être réalisés soit par l’ensemble des indivisaires, soit par un seul indivisaire.

Lorsqu’une plus-value est constatée, elle bénéficie à l’ensemble des indivisaires, indépendamment de celui qui aurait initié les travaux ou géré le bien. Conformément au principe d’équité, toute augmentation de la valeur des biens indivis est répartie proportionnellement entre les indivisaires, chacun percevant une part en fonction de ses droits dans l’indivision.

Cependant, lorsqu’une plus-value est le résultat direct de la gestion active d’un bien indivis par un indivisaire (par exemple, dans le cadre de la gestion d’un fonds de commerce indivis), cet indivisaire a la possibilité de réclamer une rémunération pour sa gestion.

Cette règle a été consacrée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 29 mai 1996 aux termes duquel elle a reconnu que la plus-value résultant de la gestion par un indivisaire accroît l’actif indivis, mais que cet indivisaire peut être indemnisé pour son activité de gestion (Cass. 1re civ., 29 mai 1996, n°94-14.632).

Dans cette affaire, un époux avait continué à gérer un fonds de commerce après la dissolution de la communauté post-communautaire, mais alors que les biens étaient encore en indivision.

Sa gestion avait permis une augmentation de la valeur du fonds de commerce, générant ainsi une plus-value.

Le litige portait sur la question de savoir si cette plus-value devait revenir uniquement à l’époux ayant géré le fonds, ou si elle devait être partagée entre les autres indivisaires.

La Cour de cassation a jugé que la plus-value résultant de la gestion d’un indivisaire sur un bien indivis accrue à l’indivision, c’est-à-dire qu’elle devait bénéficier à tous les indivisaires.

Cependant, la Cour a également précisé que l’indivisaire ayant géré le fonds pouvait demander une rémunération pour sa gestion, sous réserve que cette gestion ait été dans l’intérêt commun de l’indivision.

L’octroi de cette rémunération permet de compenser l’effort de gestion tout en préservant le principe que les fruits de l’indivision doivent être partagés.

La rémunération accordée à l’indivisaire peut prendre plusieurs formes, comme une indemnité de gestion ou une participation aux bénéfices générés par le bien. Cette indemnisation est soumise à l’approbation des autres indivisaires ou, à défaut, à une décision judiciaire en cas de désaccord.

ii. Les pertes dans l’indivision

Les pertes subies par les biens indivis peuvent également faire l’objet d’un partage entre les indivisaires, conformément au principe de proportionnalité des droits dans l’indivision.

Ces pertes, qu’elles soient liées à des circonstances économiques, des incidents ou une gestion déficiente, impactent collectivement la masse partageable au moment de la liquidation de l’indivision.

Ces pertes peuvent être dues à plusieurs facteurs, tels que :

  • Des dépréciations économiques : une baisse du marché immobilier, par exemple, peut entraîner une diminution de la valeur des biens indivis, affectant ainsi la masse partageable lors de la liquidation.
  • Des incidents ou sinistres : un bien indivis endommagé par un sinistre (incendie, inondation, etc.) peut entraîner des pertes financières, à moins qu’une indemnité d’assurance ne compense cette perte.
  • La mauvaise gestion des biens indivis : si les biens indivis sont mal entretenus ou sous-exploités, leur valeur peut diminuer, entraînant une perte pour l’ensemble des indivisaires.

Cependant, la jurisprudence prévoit une exception importante : si les pertes sont imputables à la faute ou à la négligence d’un indivisaire, celui-ci peut être tenu pour responsable personnellement de ces pertes.

Par exemple, si un indivisaire, en tant que gérant des biens indivis, a pris des décisions qui ont causé une dégradation importante de la valeur des biens ou des pertes financières injustifiées, il pourrait être tenu de compenser ces pertes au bénéfice des autres indivisaires.

Cette responsabilité est souvent invoquée dans les cas où un indivisaire gère un bien indivis de manière négligente ou en ne tenant pas compte de l’intérêt commun de tous les coindivisaires.

2. Les biens exclus du partage

Le partage constitue le mécanisme naturel de dissolution de l’indivision. Toutefois, certains biens, en raison de leur nature ou de leur affectation particulière, échappent à cette issue. Leur exclusion du partage repose sur des considérations spécifiques, qu’elles soient d’ordre juridique, familial ou liées à l’intérêt collectif.

Cette exclusion s’appuie principalement sur deux logiques :

  • La perpétuation de leur affectation : certains biens, tels que les biens cultuels ou familiaux, ne peuvent être soumis au partage sans compromettre leur usage ou leur valeur symbolique. Ils incarnent des fonctions ou des attaches particulières qui justifient leur maintien dans une indivision protégée.
  • L’indisponibilité juridique : d’autres biens, comme les copropriétés forcées ou les titres communs à l’hérédité, sont soustraits au partage pour des raisons de nécessité ou d’intérêt collectif. Leur affectation spéciale ou leur caractère essentiel à un ensemble plus vaste impose une organisation juridique dérogatoire.

Ainsi, bien que le droit de provoquer le partage constitue une règle cardinale en matière d’indivision, il cède dans ces hypothèses au profit d’impératifs supérieurs. Ces exclusions, loin d’être arbitraires, traduisent une volonté de préserver des intérêts spécifiques qui transcendent la seule logique patrimoniale.

a. Les biens affectés à un usage cultuel

Les biens cultuels, qu’ils soient mobiliers ou immobiliers, ainsi que les sépultures familiales, bénéficient d’un régime dérogatoire qui les soustrait au partage, en raison de leur affectation particulière. Cette exclusion repose sur le respect de leur vocation symbolique, religieuse ou familiale, et sur la préservation de leur usage.

Ainsi, les objets liturgiques, tels que les vases sacrés, les ornements religieux ou encore les livres destinés au culte, ne peuvent faire l’objet d’une licitation lorsqu’ils appartiennent à une indivision.

Cette interdiction vise à éviter que leur destination ne soit compromise par un transfert de propriété qui pourrait ignorer leur caractère sacré.

La jurisprudence a reconnu à ces biens une nature particulière les rendant indisponibles s’agissant d’un partage. Par exemple, un acheteur d’un tel bien lors d’une vente judiciaire pourrait être contraint de respecter son usage religieux, notamment via des stipulations figurant dans le cahier des charges.

De manière similaire, les chapelles privées affectées au culte public, bien qu’appartenant à plusieurs indivisaires, ne peuvent être aliénées sans conditions.

Si la jurisprudence récente tend à adopter une approche protectrice, en refusant d’exclure ces biens de principe du partage, elle impose toutefois à l’acquéreur de respecter leur destination initiale. L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 25 septembre 2002 illustre cette volonté d’équilibre en réaffirmant que le droit au partage, consacré par l’article 815 du Code civil, demeure applicable, même pour des biens d’utilité religieuse, dès lors qu’aucun texte spécifique n’y déroge (Cass. 3e civ. 25 sept. 2002, n°99-20.765).

Dans cette affaire, des biens immobiliers avaient été acquis par des paroissiens pour être consacrés au culte protestant et étaient inscrits aux noms des paroisses correspondantes. La cour d’appel de Papeete avait jugé que ces biens relevaient d’une indivision forcée et perpétuelle, excluant tout partage tant qu’ils demeuraient affectés à leur usage religieux. En censurant cette analyse, la Cour de cassation a rappelé que, par leur nature ou leur destination, les biens d’utilité religieuse ne sont pas automatiquement soustraits à la règle selon laquelle nul ne peut être contraint de rester en indivision.

Cependant, la Haute juridiction ne méconnaît pas la particularité des biens cultuels. Elle souligne que leur affectation initiale constitue une stipulation tacite, opposable à tout nouvel acquéreur. En l’espèce, elle a reconnu que l’usage cultuel des biens, tel qu’établi par les paroissiens à l’origine des acquisitions, devait être respecté, même en cas de partage ou de transfert de propriété. Ainsi, l’Église évangélique, en sa qualité de bénéficiaire de cette stipulation, était en droit de solliciter la cessation des troubles causés par les associations cultuelles en place.

Cette décision marque une étape importante dans la conciliation entre le droit des indivisaires au partage et la protection des affectations spécifiques. Elle consacre un principe de responsabilité pour les acquéreurs, qui ne peuvent s’écarter de l’usage cultuel des biens sans méconnaître la volonté initiale des parties. Cette approche témoigne d’un effort pour préserver l’équilibre entre le droit individuel à l’indivision et les impératifs collectifs, notamment religieux, attachés à ces biens.

b. Les sépultures familiales

Les sépultures et tombeaux de famille, qu’ils soient établis sous forme de concessions dans les cimetières ou de caveaux sur des terrains privés, bénéficient d’un statut juridique particulier qui reflète leur nature symbolique et leur vocation à rassembler les générations d’une même lignée.

Ces biens, assimilés à des biens hors commerce, sont soumis à des règles dérogatoires qui en interdisent le partage ou la licitation, en raison de leur affectation familiale exclusive (Cass. 1re civ., 25 mars 1958).

Ces sépultures relèvent d’un régime d’indivision perpétuelle, dans lequel chaque héritier en ligne directe, conjoint ou collatéral, dispose d’un droit d’usage et de jouissance indivis. Ce droit, reconnu comme non susceptible de prescription, permet à chaque indivisaire de s’y faire inhumer et d’y faire inhumer ses proches, sous réserve de respecter les droits équivalents des autres membres de la famille (CA Amiens, 28 oct. 1992).

Toute tentative d’appropriation exclusive ou de transfert à un tiers étranger à la famille, même par voie testamentaire, est strictement prohibée (CA Paris, 28 janv. 1954). Cette interdiction garantit que les sépultures demeurent un lieu collectif et inviolable, consacré à la mémoire familiale. En conséquence, ces biens ne peuvent être inclus dans la masse successorale et restent en dehors de tout acte de partage ou de licitation (CA Toulouse, 25 avr. 1904).

L’attribution et l’utilisation des sépultures familiales reposent, avant tout, sur la volonté du fondateur de la concession. En l’absence de dispositions explicites, les juridictions s’attachent à interpréter cette volonté à travers des indices contextuels, notamment l’usage qui a été fait du tombeau ou les intentions présumées du fondateur.

Lorsqu’un différend survient entre les indivisaires, le juge intervient pour préserver l’équilibre familial et empêcher toute atteinte à la destination collective des sépultures. À ce titre, l’affectation familiale interdit qu’un étranger à la famille y soit inhumé, sauf accord unanime des ayants droit (Cass. 1ère civ., 15 mai 2001, n°99-12.363).

Lorsque le défunt a choisi la crémation, la question de l’attribution des cendres peut susciter des différends au sein de sa famille ou avec ses proches. La jurisprudence s’attache alors à privilégier une solution qui reflète fidèlement la volonté du défunt, considérée comme le critère essentiel pour résoudre les conflits.

Ainsi, lorsqu’une opposition survient, le juge se prononce en fonction de la position traduisant le mieux les intentions exprimées ou présumées du défunt (CA Paris, 6 déc. 1997).

L’urne funéraire, en raison de sa charge mémorielle et symbolique, échappe au régime de l’indivision classique. Les cendres ne peuvent faire l’objet d’un partage matériel, mais une décision judiciaire peut exceptionnellement conduire à une répartition équitable entre les parties, si cela reflète la volonté du défunt.

Par exemple, lorsque le défunt avait exprimé le souhait d’être inhumé dans plusieurs lieux distincts, le juge peut ordonner une division symbolique des cendres (CA Paris, 27 mars 1998).

La jurisprudence met également en lumière des cas où les relations personnelles et affectives influent sur l’attribution de l’urne. Ainsi, une concubine ayant entretenu une relation stable et solide avec le défunt peut se voir accorder le droit de conserver l’urne à son domicile, malgré les oppositions familiales (CA Agen, 20 janv. 1999).

La demande de partage des cendres est généralement déclarée irrecevable, car une telle démarche contredirait la vocation mémorielle de l’urne. La jurisprudence considère que, bien qu’un partage en nature soit envisageable dans des cas spécifiques, les cendres doivent rester inséparables pour préserver leur symbolique collective et individuelle (CA Bordeaux, 14 janv. 2003).

Le décret n° 2007-328 du 12 mars 2007, relatif à la protection des cendres funéraires, consacre ce principe en disposant que l’urne est remise à une personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles (CGCT, art. R. 2213-39). Cette disposition vient renforcer la jurisprudence en excluant toute forme d’appropriation exclusive et en affirmant la nécessité de respecter les volontés du défunt.

c. Les titres communs à toute l’hérédité

Les titres communs à toute l’hérédité, tels que les documents d’état civil, les titres de noblesse ou encore les rapports d’expertise relatifs à la succession, occupent une place singulière au sein du patrimoine successoral. Leur nature spécifique et leur affectation justifient leur exclusion du partage, en dépit de l’absence de dispositions explicites dans le Code civil. Cette singularité découle de leur rôle dans la préservation de la mémoire familiale et de leur vocation à bénéficier à l’ensemble des héritiers.

Historiquement, l’article 842, alinéa 3, du Code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, disposait que ces titres devaient être « remis à celui que tous les héritiers ont choisi pour en être le dépositaire, à la charge d’en aider les copartageants, à toute réquisition ». À défaut d’accord unanime, le juge intervenait pour désigner le dépositaire, dans un souci d’équité et de respect de l’intérêt commun (CA Paris, 11 juin 1956). Bien que cette disposition ait été abrogée, les principes qu’elle consacrait continuent d’être appliqués par les juridictions.

Les documents visés par ce dispositif sont :

  • Les titres de noblesse, qui attestent de la qualité nobiliaire d’une lignée et sont souvent perçus comme des symboles identitaires.
  • Les documents d’état civil, tels que les passeports ou actes relatifs aux ancêtres du défunt, qui contribuent à la transmission de l’histoire familiale.
  • Les rapports d’expertise relatifs à la succession, établissant la consistance des biens et leur répartition éventuelle en lots.

Ces biens, par leur nature ou leur destination, sont assimilés à des éléments hors commerce, ne pouvant être appropriés de manière exclusive par l’un des héritiers (CA Paris, 11 juin 1956).

La désignation d’un dépositaire vise à préserver l’intégrité et la disponibilité des titres communs pour l’ensemble des cohéritiers. Ce dépositaire peut être un héritier ou un tiers, choisi par accord entre les parties ou, à défaut, désigné par le juge. Une fois confiés, les titres doivent rester accessibles à tous les héritiers, qui conservent le droit d’en obtenir des reproductions par tout procédé (CA Bourges, 12 mai 1942).

Bien que le législateur ait omis de réintroduire explicitement ce régime dans la réforme de 2006, la doctrine et la jurisprudence s’accordent sur le maintien de cette exclusion. La nature particulière de ces titres, au même titre que celle des souvenirs de famille, justifie leur imperméabilité au droit commun du partage. Ils incarnent des valeurs familiales et patrimoniales qui transcendent la simple indivision matérielle.

d. Les souvenirs de famille

Les souvenirs de famille regroupent des objets variés tels que des décorations, armes d’honneur, brevets, portraits de famille, archives ou correspondances, qui témoignent de l’histoire et des traditions familiales (Cass. 2e civ., 29 mars 1995, n°95-18.769). Ces objets, bien qu’ils puissent parfois avoir une valeur marchande notable, se distinguent par leur affectation morale, considérée comme prépondérante.

La qualification de « souvenir de famille » relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, qui évaluent leur caractère affectif et mémoriel au regard des circonstances et des usages familiaux (Cass. 1re civ., 12 nov. 1998, n°96-20.236).

Par nature, les souvenirs de famille échappent aux règles ordinaires de dévolution successorale et de partage prévues par le Code civil (Cass. 1re civ., 21 févr. 1978, n°76-10.561). Ils ne sont pas intégrés à la masse successorale et ne peuvent faire l’objet d’une licitation ou d’une division matérielle sans risquer de compromettre leur vocation mémorielle.

Ces biens sont attribués à un héritier ou à un membre de la famille jugé le plus apte à en assurer la garde et la préservation. Cette désignation, qui relève de l’appréciation des juges, repose sur des critères tels que la capacité de l’attributaire à maintenir la mémoire familiale ou son lien particulier avec les objets concernés (Cass. 1re civ., 29 nov. 1994, n°92-21.993). En pratique, il peut s’agir de l’aîné des descendants, d’un membre renonçant à la succession ou même d’un tiers séquestre en cas de contestation (CA Paris, 11 juin 1956).

L’attributaire ne reçoit pas ces biens en pleine propriété mais à titre de dépôt, avec l’obligation morale de les conserver et de les tenir à disposition des autres membres de la famille (CA Paris, 25 nov. 1975). Ce régime protège leur affectation tout en limitant leur aliénabilité, notamment envers des tiers étrangers à la famille (Cass. 2e civ., 29 mars 1995).

Les souvenirs de famille sont marqués par une indisponibilité particulière, qui leur confère une forme de propriété collective propre à la famille, parfois assimilée à une variété de copropriété de mainmorte. Cette indisponibilité, qui exclut tout transfert hors du cercle familial, garantit leur transmission aux générations futures et leur pérennité en tant que symboles identitaires.

Ainsi, au décès de l’attributaire, les souvenirs doivent rester au sein de la famille et ne peuvent être transmis par libéralité ou succession à des tiers non apparentés (Cass. 1re civ., 29 nov. 1994, n°92-21.993). Toute tentative de sortie du patrimoine familial est susceptible d’être contestée par les autres membres de la famille.

Le caractère exceptionnel des souvenirs de famille implique une interprétation stricte de leur définition. Les juges excluent de cette qualification les objets de nature purement utilitaire ou les œuvres d’art de grande valeur (exception faites des portraits de famille), qui restent soumis au droit commun du partage. De même, des manuscrits ou meubles portant des armoiries familiales ne sont pas systématiquement considérés comme des souvenirs de famille s’ils ne remplissent pas les critères de symbolisme et de mémoire collective.

e. Les copropriétés forcées

Certaines copropriétés dites “forcées” sont exclues du partage en raison de leur fonction particulière et de leur nécessité pour l’usage ou la jouissance des propriétés qu’elles desservent. Ces situations, qui relèvent d’une indivision perpétuelle, se rencontrent notamment dans les contextes suivants :

==>La mitoyenneté

Les murs, fossés, haies et autres clôtures mitoyennes, bien que juridiquement classés parmi les servitudes, constituent des exemples typiques de copropriétés forcées. Ces biens appartiennent en commun aux propriétaires des fonds contigus qu’ils séparent et ne peuvent faire l’objet d’un partage que dans deux hypothèses : la cession intégrale de la propriété ou l’abandon des droits de mitoyenneté par l’un des copropriétaires (art. 653 s. C. civ.).

La jurisprudence confirme que le caractère attaché à la mitoyenneté empêche toute tentative de partage sans porter atteinte à sa fonction essentielle : la séparation et la protection des propriétés voisines.

==>Les indivisions forcées d’usage commun

En l’absence de texte spécifique, il a été admis que certains biens, affectés à l’usage commun de plusieurs fonds, peuvent faire l’objet d’une indivision forcée.

Cela s’applique par exemple à des cours, dépendances ou installations techniques nécessaires à l’exploitation de propriétés voisines (Cass. 1ère civ. 1er 3 juill. 1973). Tant que ces biens restent indispensables à l’usage commun, ils demeurent indivis, et le partage n’est pas envisageable.

Cette indivision, bien que perpétuelle par nature, peut être remise en cause si le caractère nécessaire du bien disparaît avec le temps. Toutefois, une telle décision requiert l’accord unanime des copropriétaires ou des indivisaires concernés (Cass. 3e civ., 12 mars 1969).

==>Les copropriétés immobilières bâties

Les parties communes des immeubles soumis à la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 relèvent également d’une indivision forcée. Ces parties comprennent notamment les escaliers, couloirs, toitures, et parkings affectés à l’usage collectif des copropriétaires ou de certains d’entre eux. Conformément à l’article 3 de ce texte, ces biens ne peuvent être partagés séparément des parties privatives auxquelles ils sont attachés, formant ainsi une copropriété perpétuelle liée à la structure de l’immeuble.

Dans tous ces cas, le partage est exclu tant que les biens en question remplissent leur fonction d’utilité commune ou sont indispensables à la jouissance des fonds qu’ils desservent. Ce régime, bien qu’il déroge au principe posé par l’article 815 du Code civil, vise à garantir la pérennité de l’usage collectif tout en évitant les litiges qui pourraient découler d’une division matérielle inappropriée.

f. Autres catégories de biens exclus

==>Œuvres littéraires et artistiques

Les œuvres littéraires et artistiques créés conjointement par plusieurs auteurs relèvent d’une copropriété particulière, assimilée à une indivision forcée. Cette spécificité découle de l’exigence de préserver l’intégrité artistique et économique de l’œuvre.

Ainsi, le partage de ces biens est exclu, toute division matérielle ou juridique risquant de compromettre l’unité de l’œuvre et les droits des copropriétaires (art. L. 113-3 CPI).

Chaque copropriétaire conserve toutefois un droit moral inaliénable sur l’œuvre, un principe destiné à garantir son respect et sa valorisation. En pratique, cette indivision artistique vise à protéger les intérêts de l’ensemble des auteurs, favorisant une gestion collective cohérente.

==>Fonds communs de placement

Les fonds communs de placement (FCP), en tant que copropriétés de valeurs mobilières, sont régis par le Code monétaire et financier, qui exclut explicitement leur partage (art. L. 214-8 CMF). Cette exclusion repose sur une logique économique : assurer la liquidité et la stabilité de l’investissement collectif en permettant aux porteurs de parts de racheter ou céder leurs parts à tout moment, sans nécessiter de partage global des actifs du fonds.

Ce mécanisme préserve la finalité d’épargne collective des FCP, tout en garantissant la flexibilité et la simplicité de gestion. Cette solution, fondée sur la liquidité plutôt que sur la divisibilité, évite tout blocage ou conflit entre copropriétaires, en assurant une continuité économique fluide.

==>Biens affectés à un usage religieux

Historiquement, les juridictions ont parfois exclu du partage certains biens indivis affectés à une destination religieuse par convention.

Cette tendance a toutefois été remise en question par la Cour de cassation. Dans un arrêt du 25 septembre 2002, la Troisième chambre civile a rappelé qu’aucun texte ne soustrayait les biens religieux à la règle selon laquelle nul ne peut être contraint de rester en indivision (Cass. 3e civ. 25 sept. 2002, n° 99-20.765).

Dans cette affaire, des associations cultuelles avaient revendiqué la propriété d’immeubles inscrits aux noms de paroisses locales. Ces biens, acquis à l’origine par des pasteurs pour le compte des paroissiens, avaient été utilisés exclusivement à des fins cultuelles depuis leur acquisition. Le Conseil d’administration des biens de l’Église évangélique de Polynésie française (CABEEPF) a alors formé une demande reconventionnelle visant à immatriculer ces biens en son nom.

Les juges du fond ont estimé que ces biens relevaient d’une indivision forcée et perpétuelle, incompatible avec un partage, tant qu’ils restaient affectés à leur destination cultuelle.

La Cour de cassation a censuré cette analyse en rappelant un principe fondamental : nul ne peut être contraint de demeurer en indivision, sauf disposition législative expresse ou accord des parties.

Plus précisément, elle a jugé que :

  • D’une part, aucune disposition législative spécifique ne soustrait les biens d’utilité religieuse au droit commun de l’indivision ;
  • D’autre part, les juges du fond ne pouvaient, par une interprétation prétorienne, créer une exception au principe de droit au partage des biens indivis, même si ces derniers étaient affectés à une destination particulière.

La Cour de cassation a reconnu que les biens en question avaient été acquis pour des fins cultuelles et utilisés comme tels de manière continue. Elle a même admis l’existence d’une stipulation tacite des paroissiens permettant l’exercice continu du culte protestant dans ces lieux. Cependant, elle a jugé que cette affectation ne pouvait justifier une indivision perpétuelle.

La raison en est que :

  • La destination religieuse des biens ne confère pas une autonomie juridique à ceux-ci ;
  • Leur affectation particulière peut être prise en compte dans le cadre du partage, mais ne saurait empêcher ce dernier.

Cet arrêt met un terme à une certaine tendance des juridictions du fond à reconnaître des indivisions perpétuelles sur des biens à vocation spécifique, tels que les biens religieux. Il réaffirme que toute dérogation au principe de droit au partage doit être expressément prévue par le législateur.

Par ailleurs, il invite les parties concernées par des biens à affectation spéciale à envisager des solutions contractuelles, telles que des conventions d’indivision ou la constitution de structures juridiques adaptées (associations ou fondations), afin de sécuriser leur usage à long terme.

==>Logement familial

Le droit au bail du logement familial, réputé indivis entre époux en application de l’article 1751 du Code civil, constitue une forme d’indivision légale.

Cette indivision, conçue pour préserver l’affectation conjugale du logement, empêche tout partage tant que la communauté de vie perdure. Ce régime s’étend également aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, sous réserve qu’ils en aient conjointement formulé la demande.

==>Copropriété des navires

La copropriété des navires, régie par le Code des transports, constitue une typologie d’indivision spécifiquement conçu pour répondre à des finalités économiques (art. L. 5114-30 s. C. transp.).

Cette indivision peut être dissoute par une licitation volontaire, sous condition d’approbation par une majorité en valeur des copropriétaires (art. L. 5114-48 et L. 5114-49 C. transp.).

En revanche, lorsque la copropriété résulte d’une circonstance imposée, telle qu’une succession, le droit commun de l’indivision redevient applicable, autorisant le partage en l’absence de consensus collectif.

C) Absence de prescription acquisitive

si le droit au partage est imprescriptible, la prescription acquisitive constitue une exception à ce principe.

En effet, bien que la prescription extinctive ne puisse éteindre le droit de demander le partage, il est possible, sous certaines conditions, qu’un indivisaire ou un tiers acquière la propriété d’un bien indivis par possession prolongée.

L’article 816 du Code civil dispose en ce sens que « le partage ne peut être demandé s’il y a eu possession suffisante pour acquérir la prescription ».

Cela signifie que si un bien indivis a été possédé de manière continue, paisible, publique et non équivoque pendant un délai de trente ans, l’usucapion permet à l’indivisaire ou au tiers possesseur de faire sortir ce bien de l’indivision, le privant ainsi de son caractère indivis.

L’usucapion, qui repose sur des conditions rigoureuses de possession, s’applique donc uniquement à des biens spécifiques au sein de l’indivision, et non à l’ensemble d’une succession ou d’un patrimoine indivis dans son intégralité.

Cela se justifie par la nature même de l’indivision, qui repose sur une co-titularité de droits de propriété, chacun des indivisaires jouissant de l’ensemble des biens indivis sans en détenir la propriété exclusive.

Certains auteurs soutiennent qu’une succession, en tant qu’universalité juridique, ne peut faire l’objet d’une possession prolongée dans son ensemble, car il serait difficile, voire impossible, de posséder une telle universalité de manière non équivoque et exclusive.

En raison de la diversité des biens qui la composent et de la nature collective des droits indivisaires, ils estiment que la possession, pour être effective et produire des effets juridiques, doit porter sur des biens déterminés, spécifiquement identifiés, plutôt que sur l’ensemble des biens formant l’indivision.

Les tenants de cette thèse considèrent que « l’usucapion ne peut jouer que relativement à des biens envisagés ut singuli », c’est-à-dire individuellement, et non sur l’intégralité d’une succession ou d’une indivision, laquelle est perçue comme une universalité juridique insusceptible de possession exclusive[11].

Cependant, d’autres auteurs adoptent une approche plus large et nuancée de l’usucapion.

Ils soutiennent qu’il serait possible, sous certaines conditions, d’acquérir par prescription acquisitive non seulement des biens spécifiques, mais également un ensemble de biens constituant l’actif successoral, dès lors que ces biens sont suffisamment identifiés au sein de l’universalité juridique de la succession.

Selon cette approche, l’usucapion ne porterait pas sur l’universalité en tant que telle, mais sur les éléments patrimoniaux qui la composent, ce qui permettrait à un indivisaire de prescrire l’intégralité de l’actif successoral ou de l’indivision.

Cette position a trouvé un certain écho dans la jurisprudence. En effet, la Cour de cassation a admis, dans un arrêt du 4 juillet 1853, que la prescription acquisitive pouvait, dans certaines circonstances, s’appliquer à l’ensemble des biens dépendant d’une succession.

Cet arrêt confirme l’interprétation selon laquelle l’usucapion, bien qu’habituellement limitée à des biens déterminés, peut dans des cas particuliers s’étendre à un ensemble de biens indivis, lorsque les conditions de la possession sont réunies.

L’article 816 du Code civil, qui dispose que « le partage ne peut être demandé s’il y a eu possession suffisante pour acquérir la prescription », consacre ce mécanisme, en permettant qu’un bien indivis puisse être usucapé et sortir ainsi de l’indivision, rendant le partage inapplicable à ce bien.

Quoi qu’il en doit, l’application de l’usucapion, même sur des biens indivis, repose sur le respect strict des conditions de la prescription acquisitive, telles qu’énoncées dans l’article 2261 du Code civil.

Pour que la possession puisse conduire à l’acquisition d’un bien par usucapion, elle doit être paisible, continue, publique et non équivoque, et ce, pendant un délai de trente ans, si aucun titre translatif de propriété n’est invoqué.

La jurisprudence et la doctrine insistent sur le caractère exclusif de la possession, particulièrement en matière d’indivision, où les actes accomplis par un indivisaire tendent souvent à être interprétés comme des actes de gestion collective plutôt que comme des manifestations d’une volonté d’exclusivité.

A cet égard, la possession en situation d’indivision présente une difficulté particulière : les actes de gestion ou d’usage par un coïndivisaire sont généralement équivoques, car ils peuvent être perçus comme l’exercice normal des droits indivis, et non comme une appropriation exclusive.

Selon Planiol et Ripert, la possession d’un bien indivis par un coïndivisaire est souvent indéterminée, car elle reflète une jouissance commune plutôt qu’une propriété individuelle. Les actes de possession ne peuvent donc permettre l’usucapion que s’ils traduisent une intention manifeste de se comporter en propriétaire exclusif, incompatible avec la qualité d’indivisaire.

La jurisprudence est venue confirmer cette exigence. Ainsi, dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation a rappelé que les juges du fond doivent rechercher si le possesseur indivis s’est comporté en propriétaire exclusif, c’est-à-dire s’il a accompli des actes montrant son intention de s’approprier le bien pour lui seul (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 27 oct. 1993, n° 91-13.286). En l’absence d’actes exclusifs et non équivoques, la prescription acquisitive ne peut prospérer, et le bien demeure dans l’indivision.

Il peut être observé que le vice d’équivoque est l’un des principaux obstacles à la mise en œuvre de l’usucapion dans le cadre de l’indivision.

Ce vice se manifeste lorsque la possession invoquée par l’indivisaire n’est pas clairement distincte de celle que pourrait exercer un autre indivisaire.

Par exemple, un indivisaire qui se contente d’occuper un bien indivis ou d’en tirer des revenus comme le ferait tout autre coïndivisaire ne pourra prétendre à l’usucapion, car ces actes ne montrent pas une volonté d’exclusivité (Cass. 3e civ., 27 nov. 1985, n°84-15.259). À l’inverse, des actes significatifs, tels que l’accomplissement de travaux importants sans en informer les autres indivisaires ou la perception exclusive des fruits du bien, peuvent constituer des indices d’une volonté d’exclusivité, susceptibles de permettre l’usucapion (Cass. 3e civ., 25 févr. 1998, n° 96-15.045).

Pour que la prescription acquisitive puisse être opposée avec succès aux autres indivisaires, il est nécessaire que l’indivisaire prétendant à l’usucapion se soit comporté en véritable propriétaire exclusif. Cette exclusivité doit être démontrée par des actes incompatibles avec la qualité d’indivisaire, c’est-à-dire des actes qui ne relèvent pas simplement de la gestion ordinaire de l’indivision, mais qui traduisent une appropriation personnelle du bien.

Le délai de prescription requis pour l’usucapion en matière d’indivision est de trente ans. La prescription abrégée de dix ans, applicable dans certains cas lorsque le possesseur dispose d’un juste titre, ne trouve pas à s’appliquer dans ce contexte, en raison de l’absence de titre translatif au profit de l’indivisaire.

Ce principe a été établi par la jurisprudence, qui exclut la possibilité pour un indivisaire de prescrire en moins de trente ans en invoquant un partage irrégulier ou un acte de gestion comme titre translatif (V. en ce sens Cass. req., 4 août 1870).

Cependant, dans le cadre de la copropriété, il est possible pour l’ensemble des copropriétaires d’acquérir des parties communes par prescription abrégée, comme rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 30 avril 2003 .

Aux termes de cet arrêt, elle a, en effet, jugé que « les actes de vente de biens immobiliers, constitués par des lots de copropriété qui sont nécessairement composés de parties privatives et de quotes-parts de parties communes, peuvent être le juste titre qui permet à l’ensemble des copropriétaires de prescrire, selon les modalités de l’article 2265 du Code civil, sur les parties communes de la copropriété, les droits indivis de propriété qu’ils ont acquis accessoirement aux droits exclusifs qu’ils détiennent sur les parties privatives de leurs lots » (Cass. 3e civ., 30 avr. 2003, n° 01-15.078).

Au total, l’usucapion, bien que potentiellement applicable à des biens indivis, reste un mécanisme d’exception nécessitant des conditions strictes. La possession doit être exclusive, continue, paisible, publique et non équivoque, et ce, pendant une période de trente ans.

Si ces conditions ne sont pas réunies, le bien demeurera dans l’indivision et restera éligible au partage, étant précisé que la jurisprudence exclut toute possibilité d’usucapion lorsque la possession invoquée par l’indivisaire se confond avec l’usage ordinaire d’un bien indivis, ce qui nécessité alors une véritable appropriation exclusive pour que la prescription acquisitive puisse produire ses effets.

D) Conditions spécifiques tenant à un bien indivis démembré

Le démembrement de propriété, qui consiste en la division du droit de propriété entre l’usufruit et la nue-propriété, soulève des questions spécifiques quant à la possibilité de partage des biens concernés.

1. Principe général

Le principe posé par l’article 815 du Code civil est clair : nul ne peut être contraint de demeurer en indivision. Cette règle, qui traduit la volonté de limiter les situations de blocage, s’applique de manière générale à tous les indivisaires, y compris lorsque les biens concernés font l’objet d’un démembrement de propriété.

En effet, le démembrement, qui scinde le droit de propriété en usufruit et nue-propriété, ne supprime pas le droit au partage mais impose certaines adaptations. Contrairement à une indivision ordinaire où les droits des coindivisaires sont identiques, le démembrement instaure des droits distincts. L’usufruitier jouit du bien et perçoit les fruits, tandis que le nu-propriétaire conserve le droit de disposer du bien. Cette dualité de droits, bien que spécifique, ne remet pas en cause le droit fondamental au partage, sauf lorsqu’il s’agit de droits de nature différente qui, par leur configuration, ne permettent pas une fusion immédiate en pleine propriété.

Ainsi, si le démembrement de propriété peut parfois compliquer les modalités du partage, il n’en constitue pas un obstacle absolu. Les règles spécifiques prévues par les articles 817 à 819 du Code civil traduisent cette souplesse en adaptant les mécanismes de sortie de l’indivision aux particularités des biens démembrés. Ces règles permettent de garantir que chaque titulaire de droit puisse, dans des conditions adaptées, provoquer le partage de l’indivision sans que la nature démembrée du bien ne serve de prétexte à perpétuer une situation de blocage.

Cependant, le respect de cette garantie trouve sa limite dans des situations où le droit exercé par les indivisaires n’est pas de même nature. Dans ces hypothèses, la coexistence d’un usufruit et d’une nue-propriété rend parfois impossible un partage immédiat, nécessitant une distinction plus approfondie entre les configurations où un partage est réalisable et celles où il est exclu en raison de l’absence d’indivision juridique entre les droits exercés.

2. Mise en œuvre

Le droit au partage, pierre angulaire du régime de l’indivision, trouve également à s’appliquer dans le cadre des biens démembrés. Toutefois, la coexistence de droits distincts, tels que l’usufruit et la nue-propriété, impose une adaptation des mécanismes classiques de partage pour tenir compte de la nature particulière de ces droits. Les articles 817 à 819 du Code civil offrent ainsi un cadre juridique spécifique, permettant de concilier la liberté des indivisaires de sortir de l’indivision avec les contraintes inhérentes au démembrement.

Dans ce contexte, il convient de distinguer deux catégories de configurations : celles où la mise en œuvre d’un partage est juridiquement et matériellement possible, et celles où, au contraire, les spécificités du démembrement excluent tout partage.

a. Les configurations admettant un partage

Certaines situations impliquant des biens démembrés permettent la mise en œuvre d’un partage, conformément aux articles 817 à 819 du Code civil.

i. Indivision en jouissance

Lorsqu’un droit de jouissance est partagé entre plusieurs personnes, une situation d’indivision en jouissance peut se former, notamment en présence d’un usufruit détenu indivisément.

Chaque usufruitier dispose alors, en vertu de l’article 815 du Code civil, d’un droit absolu de demander le partage à tout moment. Ce principe, reconnu de manière constante par la jurisprudence (Cass. 1re civ., 25 juin 1974, 72-12.451), trouve un ancrage dans les dispositions de l’article 817 du Code civil, introduit par la réforme des successions de 2006.

L’article 817 du Code civil prévoit alors deux modalités principales permettant aux usufruitiers de sortir de l’indivision en jouissance :

  • Le cantonnement sur un bien déterminé
    • Cette option consiste à attribuer à chaque usufruitier un droit exclusif sur un bien particulier, évitant ainsi le maintien de l’indivision.
    • Cette méthode, lorsqu’elle est praticable, offre une solution simple et respectueuse des prérogatives de chaque usufruitier.
  • La licitation de l’usufruit
    • En cas d’impossibilité de cantonnement, la licitation constitue une alternative permettant la vente du droit indivis et la répartition du produit entre les usufruitiers.
    • Ce mécanisme peut toutefois s’avérer complexe, car l’acquéreur de l’usufruit doit composer avec la coexistence du droit du nu-propriétaire.
    • Cette difficulté explique le faible recours à cette option dans la pratique.

Dans des circonstances exceptionnelles, lorsque l’intérêt commun des parties le justifie, la licitation peut porter sur la pleine propriété du bien grevé d’usufruit.

Ce mécanisme, expressément prévu par l’article 817 du Code civil, vise à faciliter la sortie de l’indivision en cas de blocage insurmontable. La vente de la pleine propriété, plus attractive pour un acquéreur potentiel, permet ainsi de surmonter les obstacles pratiques liés au démembrement.

Bien que codifiée par la loi du 23 juin 2006, cette faculté demeure sous-exploitée, en partie en raison de la méconnaissance de ces dispositifs par les praticiens et de la complexité des situations qu’ils impliquent.

La jurisprudence continue néanmoins de rappeler l’importance et l’intérêt des mécanismes de partage, notamment dans des situations où les relations conflictuelles entre usufruitiers rendent toute autre solution impraticable. Un arrêt de la Cour de cassation en date du 11 mai 2016 illustre particulièrement cette problématique en posant des principes destinés à préserver l’unité et la stabilité des droits démembrés, tout en limitant les contentieux potentiels (Cass. 1re civ., 11 mai 2016, n°14-28.321).

Dans cette affaire, des époux avaient procédé à une donation-partage au profit de leurs enfants, assortie d’une réserve d’usufruit sur des parts sociales. Ce droit d’usufruit était prévu pour s’éteindre progressivement : à concurrence d’une moitié au décès du premier des époux, puis pour l’autre moitié au décès du conjoint survivant. Cependant, à la suite du décès de l’un des donateurs, des tensions sont nées entre les usufruitiers et les nus-propriétaires, aggravées par une interprétation divergente des stipulations de la donation.

La Cour de cassation, dans une décision particulièrement rigoureuse, a confirmé que l’usufruit ainsi constitué restait un droit indivisible entre les deux époux tant qu’ils en étaient tous deux titulaires. Elle a jugé que le décès de l’un des usufruitiers n’avait pas pour effet de diviser l’usufruit, mais seulement de l’éteindre pour la part attachée au défunt, laissant subsister le droit du survivant sur l’intégralité des biens grevés. La Haute juridiction a également précisé que cette indivision devait être maintenue afin de préserver l’harmonie des relations juridiques entre les parties, notamment en évitant de multiplier les conflits liés à des droits démembrés.

Cette solution, bien que rigoureuse dans son application, vise à garantir une certaine sécurité juridique dans la gestion des biens en usufruit indivis. Elle rappelle également que, lorsque les relations entre usufruitiers ou entre usufruitiers et nus-propriétaires deviennent source de blocages, le recours à des mécanismes tels que le cantonnement ou la licitation de l’usufruit peut constituer une issue pragmatique, mais doit s’inscrire dans le strict respect des règles applicables aux démembrements de propriété. Cet arrêt illustre ainsi l’équilibre recherché par la jurisprudence entre le droit au partage et la préservation des intérêts économiques et patrimoniaux des parties, dans un cadre légal marqué par la complexité des droits démembrés.

ii. Indivision en nue-propriété

De manière similaire, les nus-propriétaires d’un bien indivis peuvent provoquer le partage en application de l’article 818 du Code civil. Ce texte consacre le droit pour les indivisaires en nue-propriété de sortir de l’indivision, tout en renvoyant aux modalités prévues par l’article 817 pour en organiser la mise en œuvre. Ainsi, lorsque le partage en nature est possible, il demeure la solution privilégiée, permettant une répartition des biens entre les nus-propriétaires en fonction de leurs droits respectifs.

Cependant, le partage en nature se révèle souvent impraticable en raison des caractéristiques des biens concernés, notamment lorsqu’ils ne peuvent être divisés matériellement sans porter atteinte à leur valeur ou à leur utilité. Dans ces situations, le recours à la licitation s’impose. Par ce mécanisme, le bien est vendu, et le produit de la vente est réparti entre les nus-propriétaires au prorata de leurs droits. Ce dispositif offre une solution pragmatique pour mettre fin à l’indivision tout en préservant les intérêts économiques des indivisaires.

L’article 818 ouvre également la possibilité de procéder à une licitation portant sur la pleine propriété du bien, et non seulement sur la nue-propriété, lorsque cela apparaît comme la seule solution protectrice des intérêts des parties. Cette option se justifie particulièrement lorsque la vente exclusive de la nue-propriété risque de réduire considérablement la valeur du bien ou de ne pas trouver preneur sur le marché.

Néanmoins, cette licitation en pleine propriété est soumise à des limites strictes. Conformément à l’article 815-5 du Code civil, le juge ne peut ordonner une telle vente contre la volonté de l’usufruitier lorsque celui-ci détient un usufruit universel, comme cela peut être le cas pour un conjoint survivant. Cette protection vise à garantir la jouissance patrimoniale et économique de l’usufruitier, à moins qu’il ne consente expressément à la vente.

La jurisprudence n’a cessé de souligner la pertinence et la nécessité de ces mécanismes dans la gestion des situations d’indivision en nue-propriété, en mettant en lumière leur rôle fondamental dans la résolution des conflits et la préservation des intérêts des parties concernées.

Dans un arrêt du 12 janvier 2011, la Cour de cassation a rappelé que l’indivision en nue-propriété pouvait donner lieu à un partage, y compris par la voie d’une licitation en pleine propriété, lorsque cela s’avère nécessaire dans l’intérêt des parties.

En l’espèce, après avoir constaté que les droits des héritiers sur les biens de la succession étaient répartis entre une pleine propriété et une nue-propriété grevée d’usufruit, la Première chambre civile a jugé qu’une indivision existait bien sur certains biens, en dépit de la différence de nature juridique des droits exercés.

Aussi, elle a cassé la décision d’appel qui avait refusé d’ordonner l’ouverture des opérations de partage, soulignant que le nu-propriétaire était en droit de provoquer le partage afin de faire déterminer les biens composant la part de la pleine propriété, conformément aux articles 815 et 815-17 du Code civil (Cass. 1ère civ. 12 janv. 2011, n° 09-17.298).

iii. Indivision entre pleins propriétaires, usufruitiers et nus-propriétaires

L’article 819 du Code civil aborde les configurations complexes dans lesquelles coexistent des pleins propriétaires, des usufruitiers et des nus-propriétaires, situation où la pluralité de droits exercés sur un même bien génère une indivision particulière. Cette disposition reconnaît le droit pour l’un des titulaires de provoquer le partage, qu’il soit réalisé par voie de cantonnement ou, si cette option s’avère impossible, par une licitation.

Le cantonnement permet de circonscrire les droits de l’usufruitier ou du nu-propriétaire sur un bien déterminé, évitant ainsi le maintien d’une indivision générale. Cependant, lorsque le cantonnement ne peut être mis en œuvre ou qu’il s’avère inadapté aux circonstances, le législateur autorise le recours à une licitation, c’est-à-dire la vente aux enchères du bien concerné. Cette licitation peut, dans certaines situations, porter sur la pleine propriété du bien si cela constitue la seule solution viable pour préserver les intérêts de toutes les parties impliquées. Dans un tel cas, le prix de vente est réparti entre les différents indivisaires, conformément aux dispositions de l’article 621 du Code civil, qui impose une ventilation des montants en fonction de la valeur respective de l’usufruit, de la nue-propriété et de la pleine propriété.

La doctrine souligne le caractère subtil de cette indivision. Comme l’a exprimé Josserand, la pleine propriété d’un bien contient en latence un usufruit et une nue-propriété. Ces éléments, bien que souvent inaperçus, émergent et deviennent juridiquement opérants lorsqu’ils se trouvent en interaction avec un usufruit effectif ou une nue-propriété active, justifiant ainsi le recours à un partage.

Il est important de préciser que, lorsque la licitation porte sur la pleine propriété, le consentement de l’usufruitier n’est pas toujours requis. Contrairement aux situations relevant du deuxième alinéa de l’article 815-5 du Code civil, qui protège spécifiquement l’usufruitier universel, l’article 819 offre une souplesse supplémentaire, notamment dans les cas où l’usufruit n’a pas une portée universelle. Cela permet de surmonter les éventuelles oppositions et d’éviter les blocages dans l’administration ou l’exploitation des biens.

En revanche, la logique inverse n’est pas vraie. Un plein propriétaire ne peut être contraint de subir un cantonnement ou une licitation de ses droits en usufruit ou en nue-propriété, car cela reviendrait à démembrer de force sa pleine propriété. Cette limite préserve l’intégrité du droit de propriété tel qu’il est garanti par le Code civil.

Ainsi, l’article 819 établit un équilibre subtil entre la nécessaire protection des droits de chaque indivisaire et la recherche d’une solution pragmatique pour sortir des situations d’indivision complexes.

b. Les configurations excluant tout partage

L’impossibilité de demander un partage entre l’usufruitier et le nu-propriétaire découle directement de la nature fondamentalement différente de leurs droits. L’usufruit confère à son titulaire un droit de jouissance et de perception des fruits, tandis que la nue-propriété préserve la substance du bien. Ces droits, bien que complémentaires, ne sont ni identiques ni concurrents et s’exercent de manière autonome. Cette séparation des prérogatives exclut toute indivision juridique entre eux, rendant impossible l’application du droit au partage tel qu’il est prévu pour des indivisaires classiques.

La jurisprudence a affirmé cette analyse de manière constante, notamment dans un arrêt de principe du 27 juillet 1869, selon lequel « il n’y a indivision qu’autant que les intéressés ont sur la chose des droits de même nature » (Cass. req., 27 juill. 1869, DP 1971, 1, p. 170). De même, dans un arrêt du 25 novembre 1986, la Cour de cassation a réitéré qu’aucune indivision ne pouvait exister entre usufruitier et nu-propriétaire, ces derniers étant titulaires de droits incompatibles avec le fonctionnement unitaire d’une indivision (Cass. 1re civ., 25 nov. 1986, n°85-10.548). Plus récemment, cette position a été confirmée dans un arrêt du 12 février 2020, qui rappelle que « qu’il n’existe pas d’indivision entre l’usufruitier et le nu-propriétaire dont les droits sont de nature différente » (Cass. 1re civ., 12 févr. 2020, n° 18-22.537).

Cette incompatibilité a pour conséquence directe l’impossibilité pour l’usufruitier et le nu-propriétaire de solliciter un partage visant à réunir leurs droits en une pleine propriété. La fin du démembrement ne peut intervenir que par l’extinction naturelle de l’usufruit, généralement au décès de l’usufruitier. Toute tentative de contourner cette règle en invoquant le droit au partage, réservé aux situations d’indivision, est donc juridiquement vouée à l’échec.

Cependant, avant l’entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 1976, la jurisprudence avait introduit un tempérament à cette règle dans des cas spécifiques où le partage en nature se révélait matériellement impossible. Lorsque des immeubles incommodément partageables en nature étaient compris dans l’assiette de la nue-propriété ou de l’usufruit, la vente séparée de ces droits était jugée difficile et désavantageuse. Dans de telles situations, les juridictions ont admis que la licitation de la pleine propriété pouvait être imposée par l’une des parties, à condition qu’elle soit nécessaire pour protéger les intérêts des titulaires. Cette solution, qualifiée de « vente par autorité de justice », a ainsi permis de surmonter les blocages pratiques liés à l’absence d’indivision (Cass. Req. 9 avr. 1877).

Dans ces situations, la vente séparée des droits de nue-propriété et d’usufruit était jugée économiquement désavantageuse et peu réaliste. Ainsi, les juges considéraient que la licitation de la pleine propriété devenait nécessaire pour garantir l’assiette des droits en présence et préserver l’équilibre patrimonial des titulaires. Par exemple, un nu-propriétaire pouvait imposer une telle licitation dès lors qu’elle apparaissait comme la seule solution pour valoriser ses droits, tout comme un usufruitier pouvait également solliciter une licitation dans des circonstances similaires (Cass. req. 20 juill. 1932).

Ce mécanisme était particulièrement utile lorsque les biens concernés, tels que des immeubles, étaient incommodément partageables en nature. Ces situations de blocage trouvaient ainsi une issue grâce à une vente ordonnée par le juge, permettant de répartir équitablement le produit de la vente entre les titulaires des droits démembrés. Ces solutions jurisprudentielles, bien qu’exceptionnelles, illustraient une approche pragmatique pour résoudre les litiges complexes liés au démembrement.

La loi du 31 décembre 1976 est toutefois venue remettre en cause la souplesse antérieure de la jurisprudence en encadrant plus strictement les possibilités de licitation dans le cadre de biens grevés d’usufruit. L’article 815-5 du Code civil, tel qu’introduit par cette réforme, dispose que « le juge ne peut, sinon aux fins de partage, autoriser la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit, contre la volonté de l’usufruitier ». En établissant ce principe, le législateur entendait consolider la protection de l’usufruitier, considéré comme la partie économiquement et juridiquement la plus vulnérable dans le cadre du démembrement de propriété. L’objectif était de garantir une stabilité accrue des relations patrimoniales et de prévenir les abus susceptibles de découler des demandes de licitation.

Toutefois, ce texte, bien qu’introduit aux fins de clarification, a suscité des interprétations divergentes en doctrine et en jurisprudence. Certains commentateurs ont estimé qu’il affranchissait le juge des conditions posées auparavant par la jurisprudence pour ordonner la licitation de la pleine propriété. D’autres ont vu dans cette disposition une simple continuité des solutions antérieures, avec un renforcement des garanties procédurales pour l’usufruitier. Cette ambivalence a conduit à des décisions contrastées, dont l’arrêt de la Cour de cassation du 11 mai 1982 constitue une illustration majeure. Dans cette affaire, la Haute juridiction a jugé que « le partage peut toujours être ordonné et qu’à cette fin, selon l’article 815-5 du Code civil, la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit peut être judiciairement ordonnée contre la volonté de l’usufruitier » (Cass. 1ère civ., 11 mai 1982, n° 81-13.055).

Cette décision a néanmoins suscité de vives critiques, notamment en raison de ses répercussions sur la situation des usufruitiers universels, et en particulier des conjoints survivants gratifiés de l’usufruit de toute la succession. Ces critiques, alimentées par des considérations doctrinales, ont conduit le législateur à intervenir à nouveau avec la loi du 6 juillet 1987. Ce texte a modifié l’article 815-5 du Code civil, en précisant explicitement que « le juge ne peut, à la demande d’un nu-propriétaire, ordonner la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit contre la volonté de l’usufruitier ». Désormais, le consentement explicite de l’usufruitier est requis, renforçant ainsi la protection de ce dernier dans les situations de licitation.

Cette évolution législative a marqué un tournant dans la régulation des conflits entre nus-propriétaires et usufruitiers, en restreignant davantage les possibilités d’imposer une licitation judiciaire. Si l’objectif de sortir de l’indivision demeure légitime, il ne peut plus se faire au détriment des droits fondamentaux de l’usufruitier. La réforme a également confirmé que l’usufruitier pouvait imposer aux nus-propriétaires une licitation dans des hypothèses spécifiques, notamment lorsque cette solution apparaissait comme la seule protectrice des intérêts des parties.

Avant l’entrée en vigueur de la loi du 6 juillet 1987, la jurisprudence avait déjà admis de telles possibilités dans des situations où l’assiette de l’usufruit ne pouvait être déterminée autrement. L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 19 novembre 1996 illustre parfaitement ce principe (Cass. 1ère civ. 19 nov. 1996, n° 94-22.052).

Dans cette affaire, il était question d’un immeuble hypothéqué dont un indivisaire détenait les deux tiers en pleine propriété et un tiers en nue-propriété, tandis qu’un autre indivisaire en possédait l’usufruit. La société créancière avait sollicité la liquidation-partage de l’indivision et la licitation de la pleine propriété de l’immeuble, invoquant l’insolvabilité du débiteur principal et l’insuffisance de la garantie hypothécaire en raison des fluctuations du marché immobilier. La Cour d’appel avait accueilli cette demande, considérant que la licitation était nécessaire à la protection des intérêts de toutes les parties.

La Cour de cassation a confirmé cette décision, en soulignant que la licitation préalable de l’immeuble était justifiée par l’impossibilité matérielle de mettre en œuvre le tiers en usufruit détenu par l’un des indivisaires sur cet immeuble. Elle a également précisé que cette solution était indispensable pour permettre la détermination de l’assiette de l’usufruit et pour préserver les intérêts patrimoniaux des parties. En statuant ainsi, la Haute juridiction a consolidé le principe selon lequel la licitation de la pleine propriété peut être imposée dans des situations où le partage en nature est matériellement impossible et où la licitation constitue la seule solution viable pour garantir les droits de chacun.

Cette solution s’inscrit dans la continuité des principes établis par la jurisprudence antérieure, qui admettait la possibilité d’une vente par autorité de justice dans des configurations exceptionnelles. Elle illustre également l’équilibre délicat que la loi et la jurisprudence cherchent à maintenir entre les droits des usufruitiers et ceux des nus-propriétaires, en prenant en compte les réalités économiques et patrimoniales tout en respectant les principes fondamentaux du démembrement de propriété.

 

 

  1. F. Zenati-Castaing, Les biens, éd. PUF, 2008, p. 347. ?
  2. Ph. Malaurie, L. Aynès et M. Julienne, Les biens, éd. Lextenso, p. 819. ?
  3. M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. IV, par J. Maury et H. Vialleton, éd. LGDJ, 1956, n° 495, p. 693. ?
  4. F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Droit civil, Les successions, les libéralités,éd. Dalloz, 2014, n° 1013, p. 893. ?
  5. J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°743, p. 696 ?
  6. J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°743, p. 696 ?
  7. Cet exemple nous est donné par Michel Hoguet, rapporteur de la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale, dans le cadre des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi du 28 décembre 1967 ?
  8. V. en ce sens l’article 953 du Code civil ?
  9. F. terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°800, p. 647. ?
  10. P. Simler et P. Hilt, « Le nouveau visage du Pacs : un quasi -mariage », JCP G, 2006, 1, p. 161. ?
  11. F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Droit civil, Les successions, les libéralités,éd. Dalloz, 2014, n° 1013, p. 893. ?

Cession de droits indivis: le droit de substitution

Le droit de substitution, consacré par l’article 815-15 du Code civil, offre aux coïndivisaires une faculté précieuse en cas de vente aux enchères de droits indivis.

Ce mécanisme vise à protéger l’indivision en permettant à l’un des indivisaires de se substituer à l’acquéreur après l’adjudication, moyennant le respect des conditions de la vente.

Distinct du droit de préemption, le droit de substitution s’exerce a posteriori et répond à une finalité similaire : éviter l’intrusion d’un tiers non souhaité dans l’indivision.

Ce dispositif, pensé pour préserver l’équilibre et la cohérence de cette situation juridique, incarne un subtil équilibre entre la protection des indivisaires et la liberté de disposer de sa quote-part.

1. Principe

Le droit de substitution, institué par l’article 815-15 du Code civil, répond à une limite inhérente au droit de préemption prévu à l’article 815-14 du même code. Ce dernier, en effet, ne s’applique qu’en cas de cession amiable des droits indivis d’un coïndivisaire.

Dans le cadre d’une vente aux enchères publiques, les conditions mêmes de l’adjudication – absence de connaissance préalable du prix et de l’identité de l’acquéreur – rendent impossible l’exercice d’un droit de préemption avant la réalisation de la vente.

C’est précisément pour pallier cette lacune et préserver l’objectif fondamental du droit de préemption que le législateur a institué le droit de substitution.

Celui-ci permet aux coïndivisaires de se substituer, a posteriori, à l’adjudicataire, moyennant le paiement du prix d’adjudication. Ce mécanisme, bien qu’intervenant après l’acte de cession, poursuit la même finalité que le droit de préemption : empêcher l’intrusion d’un tiers dans l’indivision.

A cet égard, le mécanisme du droit de substitution est particulièrement pertinent dans le contexte des ventes aux enchères, où les aléas inhérents à l’adjudication – notamment l’incertitude sur le prix et l’identité de l’acquéreur – renforcent le risque de fragmentation de l’indivision.

En instituant ce droit, le législateur a permis de prolonger les garanties offertes par le droit de préemption, tout en adaptant les règles au cadre spécifique des adjudications. Le droit de substitution répond ainsi à une exigence d’équité, en alignant les protections offertes aux coïndivisaires, quel que soit le mode de cession, amiable ou judiciaire.

Enfin, en empêchant l’entrée non désirée d’un tiers dans l’indivision, ce droit contribue également à maintenir la cohésion économique et juridique de la communauté indivisaire, préservant ainsi l’intérêt collectif de ses membres.

2. Domaine

Le droit de substitution, prévu par l’article 815-15 du Code civil, a un champ d’application limité mais essentiel pour préserver la stabilité de l’indivision face au risque d’intrusion d’un tiers.

Ce mécanisme vise spécifiquement les adjudications portant sur les droits indivis d’un coïndivisaire, et non sur les biens indivis eux-mêmes.

a. Adjudication de droits indivis

Le droit de substitution s’applique exclusivement lorsque l’adjudication porte sur tout ou partie des droits indivis d’un coïndivisaire.

Cette restriction découle de la finalité même du dispositif : empêcher l’arrivée d’un tiers dans l’indivision.

Dans un arrêt du 14 février 1989, la Cour de cassation a fermement rappelé cette exigence, en affirmant que « l’article 815-15 du Code civil ne pouvait être appliqué qu’en cas d’adjudication portant sur les droits d’un indivisaire dans les biens indivis et non sur les biens indivis eux-mêmes » (Cass. 1ère civ., 14 févr. 1989, n°87-14.392).

En pratique, cette situation est rare, notamment parce que les créanciers personnels d’un indivisaire ne peuvent saisir ses droits indivis (art. 815-17 C. civ.).

Cependant, elle peut survenir dans certains cas exceptionnels, comme une licitation préalable de la quote-part indivise d’un indivisaire décédé, laissant plusieurs héritiers.

Dans ce cadre, le droit de substitution permet aux coïndivisaires de racheter ces droits et d’éviter l’entrée d’un étranger dans l’indivision.

b. Adjudication d’un bien indivis

Lorsque l’adjudication concerne un bien indivis dans son ensemble, le droit de substitution ne s’applique pas.

Cette limitation se comprend aisément : la vente d’un bien indivis met fin à l’indivision sur ce bien, supprimant ainsi tout risque d’intrusion d’un tiers dans la communauté indivisaire.

La Cour de cassation a confirmé cette règle, en soulignant dans un arrêt du 30 juin 1992 que « si les articles 815-14 et 815-15 du Code civil confèrent à un indivisaire un droit de préemption ou de substitution suivant qu’il y a cession amiable ou licitation de droits indivis par un coïndivisaire, ces textes ne sont applicables, l’un et l’autre, que dans la mesure où l’opération porte sur des droits dans un ou plusieurs biens indivis, et non sur les biens indivis eux-mêmes » (Cass. 1ère civ., 30 juin 1992, n°90-19.052).

Il en résulte que, dans ce cas, les indivisaires ne peuvent pas exercer droit de substitution. L’indivision prenant fin sur le bien vendu, aucune justification ne permettrait de leur reconnaître une telle faculté.

Si la loi n’accorde aucun droit de substitution en cas d’adjudication d’un bien indivis, les parties peuvent toutefois prévoir une telle faculté par voie conventionnelle.

Une clause stipulée dans le cahier des charges de la vente peut ainsi accorder aux coïndivisaires un droit de substitution, à condition que cette stipulation soit clairement formulée et respecte les exigences légales.

La Cour de cassation a validé cette possibilité dans un arrêt du 3 ami 1989 en affirmant qu’aucune règle d’ordre public ne s’y oppose (Cass. 3e civ., 3 mai 1989, n°87-17.094).

Dans cette affaire, un indivisaire avait exercé son droit de substitution après une adjudication sur licitation. L’adjudicataire contestait la validité de la clause en avançant que l’article 815-15 du Code civil n’était pas applicable à la vente du bien indivis en totalité. Toutefois, la Haute juridiction a jugé que la clause, bien que reposant sur une base conventionnelle et non légale, n’avait ni un objet, ni une cause illicite, et qu’aucune disposition impérative ne l’interdisait.

Ce droit de substitution, de nature conventionnelle, se distingue du droit légal prévu par l’article 815-15 du Code civil. Il est soumis aux modalités définies par le l’acte qui l’institue. Ainsi, cet acte peut, par exemple, imposer une consignation préalable des fonds nécessaires à l’exercice de la substitution. La Cour de cassation a rappelé dans un autre arrêt que le non-respect d’une telle condition entraîne la nullité de la déclaration de substitution (Cass. 1re civ., 13 janv. 1993, n°91-13.851).

La rédaction de ces clauses requiert une vigilance particulière. Elles doivent éviter toute ambiguïté, notamment lorsque l’adjudicataire est lui-même un indivisaire. La Troisième chambre civile a précisé que la clause ne saurait empêcher un indivisaire adjudicataire d’acquérir le bien à titre exclusif, en l’absence d’une stipulation explicite dans ce sens (Cass. 3e civ., 17 nov. 2010, n°09-68.013).

3. Mise en œuvre

a. Notification préalable

L’article 815-15 du Code civil prévoit que, dans le cadre d’une adjudication portant sur des droits indivis, « l’avocat ou le notaire doit en informer les indivisaires par notification un mois avant la vente ».

Cette exigence légale, essentielle à la mise en œuvre du droit de substitution, impose aux professionnels en charge de l’adjudication de transmettre aux coïndivisaires les informations nécessaires leur permettant d’évaluer les conditions de la vente et, le cas échéant, d’organiser l’exercice de leur droit.

==>Contenu de la notification

La notification, qui doit intervenir au moins un mois avant la date prévue pour l’adjudication, constitue une étape indispensable pour garantir le respect des droits des indivisaires.

Elle doit comporter des éléments précis, parmi lesquels :

  • La désignation des droits mis en vente, afin de clarifier l’objet de l’adjudication.
  • La date, l’heure et le lieu de la vente, permettant aux indivisaires d’en anticiper le déroulement.
  • Les modalités de consultation du cahier des charges, document clé qui précise les conditions de l’adjudication et les éventuelles clauses spécifiques, telles que les garanties financières ou les obligations de consignation.

L’objectif principal de cette notification est de permettre aux indivisaires de prendre une décision éclairée sur l’opportunité d’exercer leur droit de substitution.

Ce mécanisme, qui s’apparente à un droit de retrait, offre aux coïndivisaires la possibilité de préserver la cohérence de l’indivision en se substituant à l’adjudicataire.

==>Formes de la notification

L’article 815-15 reste relativement souple quant à la forme que doit revêtir la notification.

Deux modes principaux sont admis :

  • La lettre recommandée avec accusé de réception, qui constitue une solution courante mais susceptible de présenter des lacunes, notamment en cas de non-réclamation de la lettre par le destinataire.
  • L’acte extrajudiciaire, solution plus coûteuse mais fortement recommandée pour garantir une sécurité accrue. En effet, ce mode permet de s’assurer que la notification est bien délivrée et que les délais imposés par la loi sont respectés, réduisant ainsi les risques de contentieux.

Lorsque l’adresse des indivisaires n’est pas connue ou qu’un doute subsiste quant à la réception de la notification, le recours à un Commissaire de justice est vivement conseillé. Ce choix limite les risques d’annulation de la vente pour irrégularité de la procédure et renforce la sécurité juridique de l’opération.

==>Sanction

Le non-respect des formalités de notification peut avoir des répercussions importantes. Une notification tardive, incomplète ou omise expose le notaire ou l’avocat à une responsabilité professionnelle si un préjudice en découle.

Ce préjudice peut consister, par exemple, en une privation pour les indivisaires d’exercer leur droit de substitution ou en une perte d’opportunité de maintenir les droits indivis au sein de l’indivision.

En outre, une notification irrégulière ou inexistante pourrait entraîner la nullité de l’adjudication, en application de l’article 815-16 du Code civil, qui sanctionne par la nullité les ventes réalisées en violation des règles prévues par l’article 815-15.

Cette nullité, bien que relative, peut être invoquée par tout indivisaire ou ses héritiers dans un délai de cinq ans à compter de la publication de l’adjudication.

b. Exercice du droit de substitution

L’exercice du droit de substitution, prévu à l’article 815-15 du Code civil, offre aux indivisaires une opportunité unique de se substituer à l’adjudicataire après la réalisation de la vente aux enchères.

Ce mécanisme, qui repose sur un droit de retrait, s’accompagne de formalités strictes et d’un encadrement juridique précis.

==>Formalités de la déclaration de substitution

Une fois l’adjudication réalisée, chaque indivisaire dispose d’un délai d’un mois pour déclarer sa volonté de se substituer à l’adjudicataire.

Cette déclaration, qui peut être effectuée auprès du greffe (en cas d’adjudication judiciaire) ou auprès du notaire (pour une adjudication amiable), doit impérativement être consignée de manière à garantir sa sécurité juridique.

Deux moyens permettent de donner date certaine à cette déclaration :

  • L’acte authentique, dressé par le notaire ou le greffe, qui constitue une preuve irréfutable de la déclaration.
  • L’acte d’un commissaire de justice, solution recommandée pour prévenir tout litige concernant la date de l’exercice du droit.

Le texte ne fixe pas de formalisme particulier, mais il est essentiel que la déclaration soit datée de manière incontestable afin de respecter les exigences légales.

==>Calcul du délai de substitution

Le délai d’un mois imparti pour exercer le droit de substitution court de quantième à quantième, à compter du jour de l’adjudication, conformément aux dispositions de l’article 640 du Code de procédure civile.

Par exemple, si l’adjudication a lieu le 15 mars, le délai expire le 15 avril. Toute déclaration effectuée après ce délai est considérée comme tardive et n’a aucun effet juridique, l’adjudicataire initial conservant alors la qualité d’acquéreur.

==>Cas particulier des déclarations multiples

Lorsque plusieurs indivisaires exercent leur droit de substitution dans le délai légal prévu par l’article 815-15 du Code civil, des conflits peuvent surgir quant à l’attribution du bien mis en adjudication. La jurisprudence a opté pour une application stricte du principe « prior tempore, potior jure », selon lequel le premier indivisaire à déclarer sa substitution est privilégié.

Dans un arrêt du 7 octobre 1997, la Cour de cassation a confirmé que la priorité devait être accordée à l’indivisaire ayant exercé son droit de substitution en premier, même si d’autres indivisaires manifestaient leur intention dans le délai légal (Cass. 1re civ., 7 oct. 1997, n° 95-17.071). Dans cette affaire, plusieurs indivisaires avaient successivement déclaré leur substitution. La Haute juridiction a considéré que seuls les premiers déclarants pouvaient être substitués à l’adjudicataire initial, rejetant ainsi la demande des indivisaires ayant déclaré leur substitution ultérieurement.

Cette solution repose sur l’idée que la substitution agit comme un retrait qui anéantit rétroactivement l’acquisition de l’adjudicataire initial. Elle implique nécessairement qu’un seul indivisaire ou un groupe d’indivisaires coordonnés puisse être substitué pour une même adjudication.

Il est important de souligner que l’arrêt précité portait sur une clause stipulée dans un cahier des charges et non sur l’application directe de l’article 815-15 du Code civil. La Cour de cassation n’a pas explicitement étendu ce principe à toutes les hypothèses relevant de cet article. Par conséquent, un doute subsiste quant à l’applicabilité générale de la règle de priorité temporelle en l’absence de stipulations spécifiques dans le cahier des charges.

Pour éviter les litiges, il est fortement recommandé d’anticiper ces éventualités dans le cahier des charges de l’adjudication. Plusieurs solutions pratiques peuvent être envisagées :

  • Une clause peut stipuler que les indivisaires souhaitant exercer leur droit de substitution doivent se coordonner avant toute déclaration. Cette démarche permet d’éviter des déclarations concurrentes et d’assurer une répartition consensuelle des droits.
  • Une clause peut encore prévoir que, si plusieurs indivisaires exercent leur droit, ils acquièrent ensemble les droits mis en adjudication, en proportion de leur part dans l’indivision. Cette solution, inspirée du droit de préemption, garantit une continuité de l’indivision tout en respectant l’égalité entre coïndivisaires.
  • Enfin, il est possible de préciser dans le cahier des charges que la priorité sera accordée à l’indivisaire ayant respecté certaines conditions objectives (par exemple, consignation préalable des fonds ou dépôt d’une déclaration plus détaillée).

Une fois la substitution validée en faveur du premier déclarant ou d’un groupe d’indivisaires, le transfert de propriété est effectif, et les autres indivisaires ne peuvent plus revendiquer un droit sur les parts adjugées. Toutefois, si des contestations persistent, le juge pourrait être saisi pour statuer sur la validité des clauses du cahier des charges ou des déclarations de substitution.

c. Effets de la substitution

L’exercice du droit de substitution, tel que prévu par l’article 815-15 du Code civil, emporte plusieurs effets.

La substitution opère un remplacement rétroactif de l’adjudicataire par l’indivisaire déclarant. Ce dernier se voit investi de tous les droits attachés à l’acquisition des parts indivises, comme s’il avait lui-même participé à l’adjudication et remporté l’enchère. La rétroactivité de cet effet garantit qu’aucune mutation intermédiaire n’intervient, simplifiant ainsi les implications juridiques et fiscales de l’opération.

L’indivisaire substitué devient immédiatement propriétaire des droits indivis aux mêmes conditions que celles de l’adjudication.

Ce transfert de droits inclut :

  • Le respect du prix d’adjudication.
  • L’acceptation des clauses définies dans le cahier des charges, qui fixent les modalités financières et contractuelles de l’acquisition.

Ce transfert s’effectue sans modification des termes de la vente, assurant ainsi une parfaite transparence et sécurité juridique pour l’ensemble des parties concernées.

Par ailleurs, les clauses financières prévues dans le cahier des charges de la vente trouvent également à s’appliquer à l’indivisaire substitué.

Parmi ces clauses figurent fréquemment :

  • La consignation préalable des fonds : l’indivisaire doit justifier qu’il dispose des montants nécessaires à l’acquisition avant que la substitution ne prenne effet. Cette condition garantit que la substitution ne met pas en péril la finalisation de l’opération.
  • Les garanties éventuelles : si le cahier des charges exige des garanties (par exemple, une caution bancaire ou un dépôt de garantie), celles-ci doivent être fournies par l’indivisaire substitué dans les délais impartis.

En cas de non-respect de ces exigences, la substitution peut être contestée, voire annulée, laissant l’adjudicataire initial dans sa position d’acquéreur.

La substitution opérée dans le cadre du droit de retrait se traduit par une mutation unique.

Cela emporte plusieurs conséquences :

  • Fiscalité simplifiée : l’indivisaire substitué est considéré comme l’acquéreur unique, ce qui évite une double taxation ou des calculs complexes liés à des mutations intermédiaires.
  • Opposabilité immédiate : les tiers, y compris les créanciers et les administrations, peuvent immédiatement considérer l’indivisaire substitué comme propriétaire, une fois la substitution formalisée.

Enfin, la substitution protège l’intégrité de l’indivision en écartant l’intrusion d’un tiers non souhaité.

L’indivisaire substitué reprend sa place dans l’indivision sans altérer la répartition des droits ou les relations entre coïndivisaires. Ce mécanisme renforce ainsi la cohésion et la stabilité de l’indivision, tout en évitant des conflits potentiels avec un adjudicataire extérieur.

d. Sanctions

==>Nullité

L’article 815-16 du Code civil prévoit que toute violation des règles encadrant le droit de substitution fixé à l’article 815-15 est sanctionnée par la nullité de l’adjudication.

Plusieurs situations peuvent donner lieu à une nullité de l’adjudication, en raison de la violation des droits des indivisaires bénéficiaires :

  • Absence de notification préalable
    • L’article 815-15 impose une notification formelle aux indivisaires, un mois avant l’adjudication, effectuée par un avocat (adjudication judiciaire) ou un notaire (adjudication amiable).
    • Si cette notification est omise ou irrégulière (par exemple, absence de preuve de la réception), les indivisaires sont privés de l’information nécessaire pour organiser leur éventuelle substitution, ce qui justifie l’annulation de l’adjudication.
  • Violation des délais de substitution
    • Le délai légal d’un mois pour exercer le droit de substitution est impératif.
    • Toute déclaration faite en dehors de ce délai est sans effet.
    • Si, malgré cette irrégularité, un indivisaire tardif est substitué à l’adjudicataire, l’adjudication peut être frappée de nullité.
  • Omission des droits de substitution dans le cahier des charges
    • L’article 815-15 exige que le cahier des conditions de vente mentionne expressément les droits de substitution.
    • Si cette mention est absente, les indivisaires ne disposent pas des informations nécessaires pour évaluer leur position, compromettant leur droit de substitution.
    • Cette omission peut entraîner non seulement la nullité de l’adjudication, mais aussi la responsabilité professionnelle du notaire ou de l’avocat rédacteur.

==>Nature de la nullité

La nullité prévue par l’article 815-16 est relative, ce qui signifie qu’elle ne peut être invoquée que par les indivisaires lésés ou leurs héritiers.

Cette particularité reflète la volonté du législateur de protéger les intérêts spécifiques des indivisaires tout en évitant de compromettre la stabilité des adjudications au détriment des tiers.

Contrairement à une nullité absolue, qui pourrait être soulevée par tout intéressé, la nullité relative est limitée à ceux dont les droits sont directement affectés.

Elle constitue ainsi un moyen de préserver l’équilibre entre la protection des indivisaires et la sécurité juridique des transactions.

==>Prescription de l’action en nullité

L’action en nullité est soumise à un délai de prescription de cinq ans, qui commence à courir à compter de la publication de l’adjudication aux services de publicité foncière.

==>Responsabilité

Outre la nullité, les professionnels en charge de l’adjudication (avocats ou notaires) peuvent voir leur responsabilité professionnelle engagée si leur manquement a causé un préjudice.

Cela peut inclure :

  • L’absence ou l’irrégularité de la notification préalable.
  • La rédaction défaillante du cahier des charges, omettant les mentions obligatoires.
  • Une négligence dans le contrôle des délais ou des formalités.

Si ces fautes privent les indivisaires de leur droit de substitution ou entraînent une nullité, les professionnels concernés peuvent être tenus de réparer les dommages subis.

==>Conséquences de la nullité

En cas d’annulation de l’adjudication, les droits adjugés retrouvent leur situation antérieure à la vente.

Cette rétroactivité peut engendrer des complications pratiques, notamment si l’adjudicataire a entrepris des démarches sur le bien acquis ou s’il a cédé ses droits à un tiers.

Ces situations peuvent donner lieu à des contentieux supplémentaires, accentuant la nécessité de respecter scrupuleusement les règles encadrant le droit de substitution.

Cession de droits indivis: le droit de préemption

Le droit de préemption constitue une prérogative essentielle pour les coïndivisaires, leur permettant de préserver l’intégrité de l’indivision en cas de cession de droits indivis par l’un d’eux.

Ce mécanisme, ancré dans l’article 815-14 du Code civil, illustre une volonté de concilier la liberté de disposer de sa quote-part avec la nécessité de prévenir l’intrusion d’un tiers non souhaité, susceptible de perturber le fonctionnement harmonieux de l’indivision.

En offrant aux indivisaires un droit prioritaire d’acquérir les droits cédés par leur coïndivisaire, cette institution garantit la continuité d’un lien souvent marqué par des considérations familiales ou personnelles.

Elle permet ainsi de maintenir l’intuitu personae propre à de nombreuses indivisions, tout en encadrant strictement les modalités de son exercice pour éviter tout abus.

1. Origines et mécanisme

Le droit de préemption, consacré par l’article 815-14 du Code civil, a pour ancêtre l’ancien dispositif du retrait successoral.

Ce dernier, régi par l’article 841 ancien du Code civil, visait à permettre à un héritier de se porter acquéreur prioritaire des parts d’un cohéritier cédant, préservant ainsi l’unité familiale au sein de l’indivision successorale.

Cependant, en dépit de sa vocation louable, le retrait successoral se heurtait à des pesanteurs procédurales et à des limites pratiques, notamment l’absence d’un dispositif d’information des coindivisaires et l’incertitude juridique pesant sur les transactions. Ces imperfections ont conduit à sa suppression par la loi du 31 décembre 1976, laquelle a permis l’émergence d’un mécanisme plus abouti : le droit de préemption.

Le droit de préemption se distingue par sa simplicité et son efficacité, apportant une solution aux insuffisances du retrait successoral. Désormais applicable à toute cession à titre onéreux de droits indivis, dès lors qu’elle implique une personne étrangère à l’indivision, ce mécanisme impose au cédant de notifier son intention aux autres indivisaires. Ces derniers se voient alors offrir la faculté de se substituer au cessionnaire envisagé, en acquérant les droits aux mêmes prix et conditions.

Ce cadre procédural, à la fois clair et protecteur, garantit aux indivisaires une protection contre l’intrusion d’un tiers étranger, susceptible de bouleverser l’harmonie de la gestion commune. Ainsi, le droit de préemption parvient-il à concilier deux impératifs essentiels : la liberté contractuelle de l’indivisaire cédant et la préservation de l’affectio communionis, cette solidarité essentielle à l’administration partagée des biens indivis.

L’abrogation du retrait successoral a marqué une étape importante dans l’évolution du droit des successions, illustrant une adaptation du législateur aux contraintes modernes. Ce mécanisme, malgré son ambition louable de préserver l’intégrité familiale, se heurtait à des lourdeurs procédurales, au premier rang desquelles figurait l’exigence d’une double mutation pour aboutir à la transmission effective des droits.

En effet, la mise en œuvre du retrait successoral impliquait, dans un premier temps, une cession initiale des droits indivis du cédant à un tiers cessionnaire, suivie d’une seconde mutation lorsque l’héritier exerçait son droit de retrait pour récupérer ces mêmes droits. Ce processus, outre sa complexité, engendrait des coûts, des délais, et une insécurité juridique pesant sur les transactions.

Le droit de préemption, en remédiant à ces carences, instaure une procédure plus fluide et sécurisante, permettant aux indivisaires d’exercer leur droit directement, sans étape intermédiaire, et d’acquérir les droits cédés aux mêmes prix et conditions que le cessionnaire pressenti. Cette simplification bénéficie tant aux indivisaires qu’aux tiers, en garantissant une meilleure prévisibilité des opérations.

Ainsi, le droit de préemption, véritable héritier rationnalisé de l’ancien droit de retrait, poursuit l’objectif essentiel de stabilité des indivisions tout en favorisant la fluidité des transactions. Il s’impose comme un outil équilibré et moderne, conciliant les impératifs de continuité familiale et de pragmatisme économique.

2. Le domaine du droit de préemption

a. Les indivisions concernées

==>Principe

Contrairement à l’ancien retrait successoral, qui se limitait strictement aux indivisions successorales (ancien article 841 du Code civil), le droit de préemption s’étend désormais à toutes les indivisions relevant du régime général.

Cette extension a été confirmée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt de la Cour de cassation du 23 avril 1985 aux termes duquel elle a jugé que « les dispositions de l’article 815-14 […] sont applicables à toutes les indivisions qu’elles soient ou non d’origine successorale » (Cass. 1re civ., 23 avr. 1985, n° 83-16.703).

Dans cette affaire, il s’agissait d’un fonds de commerce exploité en indivision à la suite de successions familiales. Une première cession des droits indivis avait été réalisée en faveur d’un tiers, sans que les coindivisaires aient été consultés. Par la suite, ces droits indivis furent cédés à d’autres acquéreurs sans notification préalable aux indivisaires. Ces derniers, invoquant une violation de leur droit de préemption, saisirent les juridictions compétentes pour obtenir l’annulation de la vente.

La Cour de cassation rejeta le pourvoi du cessionnaire en affirmant avec clarté que les dispositions de l’article 815-14 du Code civil « sont applicables à toutes les indivisions qu’elles soient ou non d’origine successorale ».

Il s’en déduit que le droit de préemption s’applique à toutes les indivisions ordinaires relevant du régime des articles 815 et suivants du Code civil.

Par son universalité, il renforce la cohésion de l’indivision en permettant aux indivisaires de préserver leur affectio communionis face à l’introduction de tiers étrangers. Cela concerne les indivisions successorales, post-communautaires ou conventionnelles, pour toute cession réalisée à titre onéreux.

==>Exclusions

Le domaine du droit de préemption n’est pas sans limites. En effet, bien que le droit de préemption des indivisaires, institué à l’article 815-14 du Code civil, s’applique de manière générale à toutes les indivisions ordinaires, son champ d’application connaît des exclusions.

Ces exclusions, dictées par des considérations juridiques et pratiques, concernent principalement les indivisions qualifiées de forcées et perpétuelles.

Pour mémoire, une indivision est dite forcée et perpétuelle lorsque les biens indivis, par leur nature même, remplissent une fonction indispensable pour d’autres propriétés et ne peuvent, en conséquence, faire l’objet ni d’un partage ni d’une cession ordinaire.

Ces indivisions se rencontrent dans des cas spécifiques où la conservation collective du bien est essentielle à son usage.

Les exemples les plus représentatifs sont :

  • Les servitudes de passage : un chemin d’accès servant plusieurs propriétés indivises, par exemple, constitue souvent une indivision forcée, car son partage ou sa cession porterait atteinte à l’usage des fonds qu’il dessert.
  • Les parties communes nécessaires : il peut s’agir d’une cour commune ou d’un mur mitoyen indispensables à plusieurs parcelles ou bâtiments.
  • Les biens affectés à un service collectif : par exemple, une piscine ou un jardin commun dans le cadre d’un immeuble en copropriété.

Dans ces cas, l’objectif de préserver la fonctionnalité collective et l’intérêt général des propriétaires prime sur le droit individuel à préempter.

A plusieurs reprises, la Cour de cassation a exclu l’application du droit de préemption en présence d’indivisions perpétuelles ou forcées.

Dans un arrêt du 12 février 1985, elle a, par exemple, jugé que le droit de préemption ne pouvait s’appliquer à une parcelle indivise servant de chemin d’accès à plusieurs propriétés, dès lors que cette parcelle constituait un accessoire indispensable à l’usage des fonds qu’elle desservait (Cass. 1re civ., 12 févr. 1985, n°84-10.301). La Première chambre civile reprochait à la juridiction du fond de ne pas avoir recherché si cette parcelle, en sa qualité de desserte essentielle, relevait d’une indivision forcée et perpétuelle, laquelle échappe aux dispositions des articles 815-14 et 815-16 du Code civil.

Dans une logique similaire, la Cour de cassation, dans un arrêt du 8 juin 1999, a rappelé que le caractère forcé et perpétuel d’une indivision devait être apprécié de manière objective et ne pouvait dépendre de la volonté subjective des parties. Elle a ainsi censuré une décision qui, pour retenir l’existence d’une indivision perpétuelle, s’était fondée uniquement sur l’intention des parties sans vérifier si l’usage des parcelles concernées était matériellement impossible sans recourir au bien litigieux (Cass. 1re civ., 8 juin 1999, n°97-13.987).

L’exclusion des indivisions forcées et perpétuelles du champ d’application de l’article 815-14 du Code civil repose sur une logique de préservation de l’équilibre collectif.

Dans ces situations, permettre à un indivisaire d’exercer son droit de préemption contreviendrait à l’affectation essentielle du bien, au détriment des autres propriétaires ou utilisateurs.

Par conséquent, le domaine du droit de préemption, bien qu’étendu, est circonscrit par la nécessité de garantir la continuité et la fonctionnalité des biens indivis indispensables. Ces limites, loin de constituer une entrave, traduisent un équilibre entre les droits des indivisaires et les impératifs collectifs attachés à certains biens.

b. Les cessions concernées

b.1. Une cession portant sur des droits indivis

L’article 815-14 du Code civil prévoit que le droit de préemption s’exerce sur la cession « de tout ou partie des droits dans les biens indivis ou dans un ou plusieurs de ces biens ».

Cette rédaction marque une extension du domaine du droit de préemption rapport à l’ancien retrait successoral, limité aux aliénations portant sur la quote-part globale d’un héritier dans une succession.

Désormais, toute cession à titre onéreux de droits indivis à une personne étrangère à l’indivision est susceptible d’ouvrir ce droit.

Ainsi, il importe peu que la cession porte sur la totalité des droits indivis de l’indivisaire cédant, sur une partie seulement de ces droits, ou sur les droits indivis attachés à un bien déterminé.

Par exemple, un indivisaire peut céder tout ou partie de ses droits indivis dans un immeuble sans que l’étendue de la cession empêche l’exercice du droit de préemption par les coïndivisaires. Cette latitude vise à prévenir toute intrusion d’un tiers dans l’indivision, laquelle pourrait compromettre l’affectio communionis nécessaire à la bonne gestion des biens indivis.

En revanche, dans un arrêt du 30 juin 1992, la Cour de cassation a jugé que le droit de préemption prévu par l’article 815-14 du Code civil ne s’applique que lorsque la cession porte sur des droits indivis et non sur les biens indivis eux-mêmes (Cass. 1re civ., 30 juin 1992, n° 90-19.052).

En l’espèce, à la suite du décès d’un indivisaire, son conjoint survivant et une autre coïndivisaire se trouvaient en indivision sur l’intégralité des parts d’une société à responsabilité limitée ayant pour objet une activité économique spécifique.

Face à l’impossibilité pour l’entreprise de financer les mises aux normes réglementaires exigées par l’administration sous peine de fermeture, le conjoint survivant, gérant de la société, avait obtenu l’autorisation judiciaire de céder l’intégralité des parts sociales de la société en application de l’article 815-5 du Code civil, malgré l’opposition de l’autre coïndivisaire.

Cette dernière a tenté d’exercer un droit de préemption sur les parts sociales ainsi cédées, en invoquant les dispositions de l’article 815-14 du Code civil.

Cependant, la Haute juridiction a confirmé que le mécanisme préemptif est inopérant lorsque la cession porte sur la totalité d’un bien indivis et non sur les droits indivis de l’un des indivisaires.

Elle a estimé que, dans ce cas, la cession, autorisée par le juge, visait à retirer le bien de l’indivision, et non à introduire un tiers dans celle-ci. La substitution du prix de vente au bien dans l’indivision ne justifiait donc pas l’application du droit de préemption, dont la finalité est de protéger l’intégrité de l’indivision face à l’arrivée d’un étranger.

b.2. Une cession conclue à titre onéreux

i. Application aux cessions à titre onéreux

==>Principe

Le droit de préemption s’exerce exclusivement lorsqu’un indivisaire souhaite céder tout ou partie de ses droits indivis à un tiers en contrepartie d’un prix.

L’article 815-14, alinéa 1er, du Code civil pose ainsi comme condition sine qua non la stipulation d’un prix dans la transaction. Cette exigence découle de la finalité même du droit de préemption : permettre aux autres indivisaires de se substituer au cessionnaire en acquérant les droits aux mêmes conditions.

Dès lors, toutes les cessions à titre onéreux, qu’elles portent sur une quote-part de l’ensemble indivis ou sur des droits indivis d’un bien déterminé, sont soumises à ce mécanisme.

Peu importent les modalités de paiement du prix, que ce soit en argent, en rente viagère ou sous une autre forme monétaire, tant que la prestation est quantifiable et fongible, les indivisaires peuvent intervenir pour préserver l’unité de l’indivision.

==>Exceptions

S’il est de principe que le droit de préemption des indivisaires puisse jouer dans le cadre des cessions à titre onéreux, il connaît néanmoins des limites. Certaines opérations, en raison de leur nature ou des caractéristiques spécifiques des prestations convenues, échappent au mécanisme préemptif prévu par l’article 815-14 du Code civil. Ces exclusions sont fondées sur l’impossibilité technique ou juridique pour les coïndivisaires de reproduire la contrepartie stipulée dans le contrat.

  • L’échange
    • Bien que l’échange soit régi par les règles de la vente (article 1707 du Code civil), il est exclu du champ d’application du droit de préemption.
    • En effet, l’échange implique une contrepartie non monétaire, souvent constituée d’un bien précis, non fongible, que les coïndivisaires ne peuvent pas nécessairement fournir.
    • La Cour de cassation a confirmé cette exclusion dans un arrêt du 21 mai 1997 (Cass. 1re civ., 21 mai 1997, n° 95-12.460), soulignant que le mécanisme préemptif repose sur une stricte substitution.
    • Dans cette affaire, des droits mobiliers et immobiliers détenus par deux mineures dans une indivision successorale avaient été cédés à une société.
    • Bien que cette opération ait initialement été qualifiée de vente, elle avait ultérieurement été requalifiée en contrat d’échange.
    • La contrepartie de cet échange consistait en des appartements appartenant à un tiers, promis en échange des droits indivis.
    • Un coïndivisaire avait exprimé son intention d’exercer son droit de préemption afin de se substituer à la société et de préserver l’unité de l’indivision.
    • Cependant, il n’était pas propriétaire des appartements promis en contrepartie, soulevant ainsi la question de l’applicabilité du droit de préemption dans ce contexte.
    • La Cour de cassation a censuré la décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui avait admis l’exercice du droit de préemption au motif que le coïndivisaire aurait pu se procurer les appartements auprès du coéchangiste pour satisfaire aux termes de l’échange.
    • La Haute juridiction a estimé que cette analyse méconnaissait les exigences de l’article 815-14 du Code civil.
    • Elle a jugé que le droit de préemption exige une stricte identité entre la prestation que le coïndivisaire préempteur doit fournir et celle stipulée dans le contrat initial.
    • En l’espèce, le coïndivisaire était dans l’impossibilité absolue de fournir aux cédants les appartements convenus comme contrepartie, faute d’en être propriétaire.
    • Cette impossibilité matérielle et juridique rendait inapplicable le droit de préemption dans ces circonstances.
  • L’apport en société
    • Lorsque des droits indivis sont apportés à une société, le cédant reçoit en contrepartie des parts sociales, lesquelles s’inscrivent dans une relation d’affectio societatis, fondée sur la confiance et la collaboration entre les associés.
    • Cette prestation, qui n’est pas strictement monétaire, rend le droit de préemption inapplicable, car les coïndivisaires ne peuvent fournir une contrepartie équivalente à celle convenue avec la société.
    • Le mécanisme préemptif repose, en effet, sur la possibilité pour les coïndivisaires de se substituer au cessionnaire en acquérant les mêmes droits et obligations attachées à l’opération.
    • Or, dans le cas d’un apport en société, l’avantage obtenu par le cédant, à savoir des parts sociales, est indissociable de l’intuitus personae propre à l’affectio societatis.
    • Cette spécificité exclut toute possibilité de substitution par les coïndivisaires.
    • La jurisprudence a clairement consacré cette exclusion. Si elle a d’abord été reconnue dans le cadre du droit de préemption des preneurs ruraux (Cass. 3e civ. 4 mars 1971, n°69-10.540), elle a été étendue explicitement au droit de préemption des coïndivisaires régi par l’article 815-14 du Code civil.
    • Ainsi, bien que le droit de préemption s’applique généralement aux cessions à titre onéreux, les apports en société, par leur nature intrinsèque, échappent à ce mécanisme, illustrant une des limites importantes du champ d’application de l’article 815-14 du Code civil (V. en ce sens CA Paris, 11 sept. 1997).
  • La dation en paiement
    • Dans le cadre d’une dation en paiement, la contrepartie attendue par le cédant est l’extinction d’une dette, et non la réception d’un prix monétaire ou d’une prestation fongible.
    • Les coïndivisaires, n’étant pas les créanciers de cette dette, ne peuvent matériellement ni juridiquement se substituer au bénéficiaire pour éteindre l’obligation.
    • Cette impossibilité de fournir une prestation équivalente justifie en principe l’exclusion de la dation en paiement du champ d’application du droit de préemption.
    • À ce jour, il n’a jamais été statué en jurisprudence sur l’applicabilité du droit de préemption dans le cas spécifique de la dation en paiement.
    • Cependant, les principes dégagés dans des situations analogues, notamment concernant des prestations intuitu personae ou des contreparties non monétaires, tendent à exclure cette hypothèse.
    • Certains auteurs ont néanmoins envisagé une solution théorique où les coïndivisaires pourraient exercer leur droit de préemption en payant la dette du cédant au moyen d’une somme d’argent.
    • Cela permettrait d’assurer l’extinction de l’obligation tout en respectant l’exigence de substitution.
    • Toutefois, une telle démarche, bien qu’imaginable, ne correspond pas à l’objet même de la dation en paiement et semble difficilement conciliable avec les attentes légitimes des parties initialement impliquées dans l’opération.
    • En définitive, bien que la dation en paiement ne puisse être considérée comme un obstacle insurmontable à l’exercice du droit de préemption, les caractéristiques intrinsèques de ce mécanisme, qui reposent sur une logique non monétaire, rendent son inclusion hautement improbable dans le périmètre de l’article 815-14 du Code civil.
  • Les ventes intuitu personae
    • Il est admis de longue date que les opérations conclues en considération de la personne du cessionnaire échappent également au droit de préemption.
    • Cette exclusion repose sur le caractère intuitus personae de ces opérations, où la personne de l’acquéreur constitue un élément déterminant du consentement du cédant.
    • Dans de telles situations, il est impossible pour les coïndivisaires de se substituer à l’acquéreur sans altérer la nature même de l’accord initial.
    • Un exemple typique de cette exclusion réside dans le bail à nourriture.
    • Ce type de contrat prévoit que le cédant transfère ses droits indivis en échange d’une obligation de soins ou d’assistance personnelle.
    • La prestation convenue dépasse alors la simple contrepartie monétaire et repose sur des engagements spécifiques directement liés à la personnalité du cessionnaire.
    • Dans un arrêt du 3 octobre 1985, la Cour de cassation a jugé que l’intuitus personae inhérent à ce type d’accord rendait le droit de préemption inapplicable (Cass. 3e civ., 3 oct. 1985).
    • En effet, un coïndivisaire ne saurait fournir une prestation équivalente à celle attendue par le cédant, laquelle est indissociablement liée à la personne choisie.
    • La jurisprudence a, par suite, étendu cette exclusion à d’autres cas toujours en se fondant sur l’existence d’un intuitus personae.
    • Ainsi, elle a admis que le droit de préemption ne pouvait être exercé lorsqu’une cession de droits indivis était consentie à une usufruitière afin de lui permettre de demander l’attribution préférentielle des terres ayant appartenu à son époux.
    • Ici encore, les qualités personnelles du cessionnaire, en tant qu’usufruitière et ayant droit, constituaient le fondement du consentement du cédant, excluant toute possibilité de substitution par les coïndivisaires.

ii. Exclusion des cessions à titre gratuit

Le droit de préemption, prévu par l’article 815-14 du Code civil, est strictement limité aux cessions à titre onéreux, excluant ainsi les transmissions de droits indivis réalisées à titre gratuit.

Cette exclusion trouve son fondement dans l’absence de contrepartie économique, rendant impossible la substitution des coïndivisaires au bénéficiaire désigné par le cédant.

==>Libéralités : donations et legs

Les donations entre vifs et les legs échappent au droit de préemption, comme l’a clairement établi la jurisprudence.

Dans un arrêt de principe rendu le 11 décembre 1984, la Cour de cassation a jugé que, faute de prix stipulé, le mécanisme préemptif devient inopérant (Cass. 1re civ., 11 déc. 1984, n°83-13.874).

En effet, l’absence de contrepartie monétaire rend impossible pour les indivisaires de se substituer au bénéficiaire en acquérant les droits dans les mêmes conditions.

Peu importe que la libéralité soit assortie de charges ou non : la gratuité de l’acte prive le droit de préemption de sa fonction essentielle, à savoir préserver l’unité de l’indivision en empêchant l’entrée d’un tiers moyennant une compensation économique.

Cependant, une autre question complexe se pose concernant les donations assorties de charges. Si ces charges revêtent une importance telle qu’elles confèrent à l’acte un caractère onéreux, certains auteurs suggèrent que le droit de préemption pourrait théoriquement trouver à s’appliquer. Néanmoins, pour que cette hypothèse se concrétise, il serait nécessaire que le caractère onéreux de la donation apparaisse explicitement dès la rédaction de l’acte, ce qui reste une situation rare en pratique.

==>Cas particuliers : donations déguisées

La question des donations déguisées, revêtant les apparences d’une cession à titre onéreux, a suscité des débats.

Dans ces situations, les coïndivisaires peuvent initialement exercer leur droit de préemption sur la base de l’apparente vente.

Toutefois, si la véritable nature de l’acte est ultérieurement qualifiée de donation, la préemption est écartée.

Cette requalification ne saurait cependant être utilisée de manière frauduleuse pour contourner les droits des indivisaires.

En vertu du principe selon lequel « la fraude corrompt tout », une donation dissimulée derrière une prétendue vente, destinée à éluder le droit de préemption des coïndivisaires, peut conduire à l’annulation de l’opération. La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt rendu le 11 mars 1997 (Cass. 1ère civ., 11 mars 1997, n°95-15.480).

Dans cette affaire, une indivisaire avait successivement consenti deux actes portant sur ses droits indivis détenus dans un domaine agricole.

Par un premier acte, elle avait octroyé à un bénéficiaire. une donation symbolique représentant 6 centièmes de sa part dans l’indivision. Quelques mois plus tard, par un second acte, elle avait vendu à ce même bénéficiaire une part beaucoup plus significative, correspondant à 90 centièmes de ses droits indivis.

La cour d’appel a constaté que ces deux actes, bien que distincts en apparence, révélaient une intention frauduleuse. En rapprochant le caractère symbolique de la donation et l’importance de la part cédée ultérieurement à titre onéreux, les juges ont déduit que l’objectif poursuivi par la donatrice était d’éluder le droit de préemption de son coïndivisaire. Ce dernier aurait pu, en l’absence de fraude, exercer son droit sur l’ensemble des droits indivis cédés.

La Cour de cassation a approuvé cette analyse, estimant que la donation, bien que licite en apparence, avait été instrumentalisée pour contourner les droits des coïndivisaires. En conséquence, elle a validé l’annulation de l’opération, renforçant ainsi le principe selon lequel le droit de préemption redevient applicable en présence d’une fraude.

b.3. Une cession consentie à une personne étrangère à l’indivision

Pour que le droit de préemption s’applique, il est indispensable que la cession envisagée soit consentie à une personne étrangère à l’indivision.

Cette condition, posée à l’article 815-14, alinéa 1er, du Code civil, reflète la finalité même du mécanisme : éviter l’introduction d’un tiers dans l’indivision afin de préserver son équilibre et sa pérennité. Une telle présence extérieure pourrait en effet perturber la gestion commune des biens indivis, notamment en cas d’intérêts divergents.

==>Principe

L’exigence selon laquelle la cession doit être réalisée au profit d’une personne étrangère à l’indivision s’inscrit dans la logique protectrice du droit de préemption. Ce mécanisme vise à empêcher l’introduction d’un tiers dans l’indivision, une situation qui pourrait perturber la gestion commune des biens indivis et compromettre l’entente nécessaire entre indivisaires.

À l’inverse, lorsque la cession intervient entre coïndivisaires, cette justification disparaît, car aucun élément extérieur ne vient troubler l’équilibre de l’indivision. En vertu de ce principe, un indivisaire est parfaitement libre de céder tout ou partie de ses droits indivis à un autre coïndivisaire sans que les autres puissent s’opposer à cette transaction en invoquant un droit de préemption.

A cet égard, dans un arrêt rendu le 16 avril 1991, la Cour de cassation a rappelé avec force que « tout indivisaire peut librement disposer, au profit d’un cohéritier, de sa quote-part sur un ou plusieurs biens indivis » (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n°89-17.930).

En l’espèce, des héritiers avaient cédé leurs droits indivis à d’autres membres de l’indivision avant le partage des biens concernés. L’un des indivisaires contestait cette cession, arguant qu’elle portait atteinte à l’équilibre de l’indivision et soulevait des questions quant à la licitation des biens indivis.

La Première chambre civile a rejeté cet argument, affirmant que la liberté de disposer entre coïndivisaires n’est pas limitée par le droit de préemption prévu à l’article 815-14 du Code civil. Ce dernier a pour finalité d’empêcher l’intrusion de tiers étrangers, mais ne s’applique pas aux cessions intervenant entre membres de l’indivision.

De plus, la Haute juridiction a précisé que cette liberté s’étend même aux situations où la cession modifie substantiellement la répartition des droits au sein de l’indivision.

Ainsi, est-il admis qu’un indivisaire puisse acquérir successivement les droits des autres coïndivisaires, jusqu’à détenir une majorité, voire la totalité des parts, sans que les autres indivisaires puissent s’y opposer par le biais du droit de préemption.

==>Cas particulier des relations entre usufruitiers et nus-propriétaires

La cession de droits indivis entre usufruitiers et nus-propriétaires soulève des questions complexes, en raison de la nature distincte des droits en présence.

Bien que les usufruitiers et les nus-propriétaires partagent un intérêt commun sur le bien indivis, ils n’appartiennent pas à la même indivision.

Dans un arrêt du 17 mai 1983, la Cour de cassation a, en effet, jugé que l’usufruitier devait être regardé comme un étranger à l’indivision en nue-propriété (Cass. 1re civ., 17 mai 1983, n°82-11.931).

Dans cette affaire, un indivisaire en nue-propriété avait cédé ses droits indivis à l’usufruitier. Les autres nus-propriétaires ont contesté cette cession, arguant qu’elle aurait dû leur être notifiée afin qu’ils puissent exercer leur droit de préemption.

La Cour de cassation a confirmé cette position, estimant que l’usufruitier, n’étant pas titulaire de droits en nue-propriété, devait être considéré comme une personne étrangère à l’indivision en nue-propriété.

Par conséquent, la cession des droits indivis en nue-propriété à l’usufruitier aurait dû être notifiée aux autres nus-propriétaires, afin de leur permettre d’exercer leur droit de préemption.

Ainsi, lorsqu’un nu-propriétaire décide de céder ses droits indivis à un usufruitier, les autres nus-propriétaires conservent leur droit de préemption.

Cette règle vise à éviter que l’usufruitier n’acquière une position dominante dans l’indivision en nue-propriété, ce qui pourrait déséquilibrer les relations entre les indivisaires.

La même logique s’applique dans le cas inverse : si un usufruitier cède ses droits indivis à un nu-propriétaire, les autres usufruitiers conservent leur droit de préemption.

Cette situation se fonde sur le principe selon lequel chaque catégorie de droits (usufruit et nue-propriété) constitue une indivision distincte. Par conséquent, un nu-propriétaire acquérant des droits en usufruit serait considéré comme un tiers à l’indivision des usufruitiers, ce qui justifie l’ouverture du droit de préemption au profit de ces derniers.

3. L’exercice du droit de préemption

a. Les titulaires du droit de préemption

i. Détermination des titulaires du droit de préemption

==>Les bénéficiaires principaux

L’article 815-14, alinéa 2, du Code civil confère un droit de préemption prioritaire à tout indivisaire en cas de cession de droits indivis à une personne étrangère à l’indivision.

Cette prérogative s’étend à tous les indivisaires, quelle que soit la nature de leurs droits : pleine propriété, nue-propriété ou usufruit.

Par exemple, si un nu-propriétaire indivis décide de céder ses droits à un tiers, ses coïndivisaires en nue-propriété peuvent exercer leur droit de préemption pour préserver l’intégrité de l’indivision.

Ce droit est d’ordre personnel, ce qui signifie que son exercice repose sur la seule appréciation de l’indivisaire concerné, en fonction de son intérêt à éviter l’entrée d’un tiers dans l’indivision.

Ce caractère personnel exclut toute action oblique par les créanciers du titulaire du droit de préemption, mais permet la transmission de ce droit aux héritiers du coïndivisaire.

La jurisprudence a également précisé que ce droit peut être exercé conjointement par plusieurs indivisaires : dans ce cas, ils sont réputés acquérir ensemble les droits cédés, à proportion de leur part respective dans l’indivision (C. civ., art. 815-14, al. 4).

==>Les bénéficiaires subsidiaires

L’article 815-18, alinéa 2, du Code civil introduit un droit de préemption subsidiaire dans les cas où la cession porte sur des droits indivis de nature différente, comme l’usufruit ou la nue-propriété.

Ainsi, en cas de cession de droits indivis en nue-propriété à un tiers, les usufruitiers peuvent exercer un droit de préemption, mais uniquement si aucun autre nu-propriétaire ne s’en porte acquéreur.

De manière symétrique, en cas de cession de droits indivis en usufruit, les nus-propriétaires bénéficient d’un droit de préemption, mais seulement en l’absence d’intérêt manifesté par un autre usufruitier.

Ces droits de préemption subsidiaires, bien que distincts de ceux des coïndivisaires au sens strict de l’article 815-14, visent à protéger les intérêts des titulaires de droits portant sur le même bien, en limitant les risques d’immixtion d’un tiers dans l’équilibre de l’indivision.

La jurisprudence considère en effet que, bien que de nature différente, ces droits confèrent aux usufruitiers et aux nus-propriétaires une proximité suffisante avec l’indivision pour justifier l’existence de ces mécanismes de préemption subsidiaire.

ii. Renonciation au droit de préemption

==>Principe de la renonciation

Bien que le droit de préemption prévu aux articles 815-14 et 815-18 du Code civil vise à protéger les indivisaires contre l’intrusion d’un tiers dans l’indivision, il n’est pas d’ordre public.

Cette caractéristique permet à ses titulaires d’y renoncer librement, dans le respect des conditions de validité requises. La renonciation peut être expresse ou tacite, mais dans tous les cas, elle suppose une volonté non équivoque de ne pas exercer cette prérogative.

==>Renonciation tacite

Une renonciation tacite intervient lorsque l’indivisaire, malgré la notification du projet de cession, laisse s’écouler le délai imparti pour exercer son droit de préemption sans manifester son intention de l’exercer.

Cette absence de réaction est interprétée comme une renonciation implicite, traduisant un désintérêt pour l’acquisition des droits cédés.

Toutefois, chaque nouvelle cession de droits indivis rouvre le droit de préemption et nécessite une nouvelle notification, même si l’indivisaire n’a pas exercé ce droit lors d’une cession antérieure.

==>Renonciation expresse

La renonciation expresse, quant à elle, peut intervenir à différents moments :

  • Avant la notification du projet de cession
    • Un indivisaire peut, dans une convention ou un arrangement préalable, renoncer à exercer son droit de préemption pour toutes les cessions à venir.
    • Cette renonciation, bien que licite, doit être formulée avec précaution et refléter une intention claire et éclairée.
  • Après la notification du projet de cession
    • Une renonciation postérieure à la notification des conditions de la cession projetée est la situation la plus fréquente.
    • Elle exige que l’indivisaire ait connaissance précise des modalités de la cession, notamment le prix, pour que son consentement soit valide.

==>Conditions de validité de la renonciation

La validité d’une renonciation, qu’elle soit tacite ou expresse, repose sur plusieurs critères :

  • D’une part, la volonté de renoncer doit être manifeste et exempte de toute ambiguïté.
  • D’autre part, le renonçant doit avoir une connaissance précise des modalités de la cession pour pouvoir y renoncer en toute conscience.
  • Enfin, si la renonciation est expresse, elle doit être formalisée dans un écrit signé par l’indivisaire ou par acte authentique. Certains auteurs préconisent l’intervention d’un acte authentique, bien que cette formalité ne soit pas obligatoire.

Dans la pratique, il est recommandé que la renonciation expresse fasse l’objet d’un écrit détaillé ou soit intégrée dans l’acte notifiant la cession.

Cela garantit une sécurité juridique optimale pour toutes les parties concernées. En cas de renonciation tacite, le notaire ou le rédacteur de l’acte doit veiller à ce que le délai de préemption ait expiré avant de procéder à la cession.

Enfin, il peut être observé que, compte tenu de ce qu’elle constitue un acte unilatéral une fois la renonciation consommée, qu’elle soit tacite ou expresse, l’indivisaire ne peut plus revenir sur sa décision. La cession des droits indivis peut alors se poursuivre librement, sans que le droit de préemption puisse être opposé ultérieurement.

iii. Exercice simultané par plusieurs indivisaires

L’exercice simultané du droit de préemption par plusieurs coïndivisaires est une hypothèse explicitement prévue par l’article 815-14, alinéa 4, du Code civil.

Aussi, lorsque plusieurs indivisaires notifient leur intention d’exercer leur droit de préemption sur les droits cédés, la loi instaure une règle claire : ces indivisaires sont réputés acquérir ensemble la part mise en vente, à proportion de leurs parts respectives dans l’indivision, sauf convention contraire.

Cette répartition équitable des droits acquis reflète le poids relatif de chaque indivisaire dans l’indivision, évitant ainsi que l’un d’eux prenne un avantage excessif au détriment des autres.

L’objectif est également de maintenir l’unité et la solidarité entre les indivisaires, tout en minimisant les tensions susceptibles de découler d’un déséquilibre dans les acquisitions.

Aussi, l’exercice du droit de préemption des indivisaires ne répond pas à la règle du premier arrivé, premier servi. Tous les coïndivisaires qui exercent leur droit dans les délais impartis sont placés sur un pied d’égalité.

Cette égalité de traitement découle du fait que la notification du projet de cession ne constitue pas une offre de vente qui pourrait être acceptée unilatéralement par un indivisaire. La vente ne devient parfaite qu’une fois que l’ensemble des indivisaires ayant manifesté leur volonté de préempter sont reconnus comme acquéreurs selon les règles prévues par la loi.

La règle de l’acquisition proportionnelle n’est toutefois pas impérative. Les indivisaires peuvent convenir entre eux d’un autre mode de répartition des droits acquis, à condition que cette convention respecte les formes légales et soit acceptée par l’ensemble des parties concernées.

Par exemple l’un des indivisaires pourrait acquérir l’intégralité des droits cédés avec l’accord des autres. On peut également imaginer, une répartition différente soit établie en fonction d’accords antérieurs ou d’autres critères objectifs.

En tout état de cause, lorsque plusieurs indivisaires exercent leur droit simultanément, la répartition proportionnelle suppose une coordination dans le paiement du prix d’acquisition. Chaque indivisaire participant à l’opération doit verser sa quote-part, calculée en fonction de ses droits dans l’indivision.

Le notaire ou l’intermédiaire chargé de la transaction doit veiller à ce que les modalités financières soient clairement définies et exécutées, afin d’éviter tout litige ultérieur.

En présence de droits de nature différente (usufruit et nue-propriété), l’exercice simultané du droit de préemption par plusieurs indivisaires peut nécessiter une ventilation spécifique des droits acquis entre usufruitiers et nus-propriétaires.

Cette ventilation doit respecter les règles posées par l’article 815-18, alinéa 2, du Code civil.

Dans certains cas, le curateur d’une succession vacante pourrait également intervenir pour exercer le droit de préemption au nom de la succession, en application des règles spécifiques de gestion.

b. Les modalités d’exercice du droit de préemption

i. Notification de la cession envisagée

==>Principe de la notification

L’article 815-14, alinéa 1er, du Code civil impose à l’indivisaire souhaitant céder ses droits indivis de notifier son projet aux autres coïndivisaires.

Cette formalité vise à informer les coïndivisaires des conditions de la cession projetée et à leur permettre, le cas échéant, d’exercer leur droit de préemption.

Ce principe s’étend également, en vertu de l’article 815-18, alinéa 2, aux cessions portant sur des droits en usufruit ou en nue-propriété, avec une obligation de notification envers tous les usufruitiers et nus-propriétaires concernés.

==>Auteur de la notification

Le Code civil prévoit, à l’article 815-14, que l’obligation de notifier aux coïndivisaires le projet de cession incombe à l’indivisaire cédant.

Ce dernier, initiateur de la cession, est, en effet, le mieux placé pour fournir les informations sur les conditions de la transaction et l’identité du cessionnaire pressenti. C’est la raison pour laquelle c’est sur lui que pèse l’obligation de notifier la cession aux coindivisaires dans les formes prescrites par la loi.

Cependant, il peut arriver que le cédant néglige ou refuse de notifier le projet de cession, compromettant ainsi la validité de l’opération.

Dans une telle hypothèse, la jurisprudence admet que le bénéficiaire d’une promesse de cession puisse, par voie oblique, procéder lui-même à la notification aux coïndivisaires (V. en ce sens CA Bordeaux, 29 janv. 1996).

La reconnaissance de cette faculté au bénéficiaire de l’opération repose sur des considérations pratiques et juridiques.

L’absence de notification par le cédant pourrait entraîner l’annulation de la cession pour violation des droits des coïndivisaires. En permettant au bénéficiaire d’une promesse de cession de procéder lui-même à la notification, cela permet de préserver les intérêts des parties à l’opération tout en respectant les droits des coïndivisaires.

Toutefois, cette intervention à titre subsidiaire est encadrée : le bénéficiaire ne peut agir qu’en cas de défaillance du cédant et doit se conformer aux prescriptions légales, tant s’agissant du contenu que de la forme de la notification.

==>Forme de la notification

La notification des conditions de la cession projetée doit être réalisée par acte extrajudiciaire, conformément aux prescriptions de l’article 815-14, alinéa 1er, du Code civil.

Ce formalisme a pour objectif principal de garantir la sécurité juridique en assurant une preuve incontestable de l’information transmise aux coïndivisaires. L’utilisation de cette forme de notification permet également de prévenir les contestations ultérieures quant à la validité de la notification.

Toutefois, la Cour de cassation a admis qu’une notification réalisée par lettre recommandée avec accusé de réception pouvait être considérée comme valable, à condition qu’elle comporte toutes les informations exigées par la loi (Cass. 1re civ., 9 oct. 1991, n°89-17.916).

En l’espèce, une indivisaire, avait exercé son droit de préemption par lettre recommandée adressée au notaire chargé de l’opération.

La société bénéficiaire d’une promesse unilatérale de vente sur les mêmes droits indivis contestait la validité de cette préemption en raison de l’absence de notification par acte extrajudiciaire, comme le prévoit le texte.

Toutefois, la Cour a confirmé la validité de la préemption exercée, en considérant que la lettre recommandée avait permis aux coïndivisaires de recevoir toutes les informations nécessaires pour évaluer l’opération projetée.

Cette solution procède d’une approche fonctionnelle de l’article 815-14 du Code civil. Elle met l’accent sur la finalité de la notification, à savoir garantir une information complète et traçable, plutôt que sur une stricte exigence formelle.

A cet égard, la Haute juridiction a souligné que les coïndivisaires avaient renoncé à exiger des formalités supplémentaires, ce qui rendait sans effet l’argument du formalisme invoqué par la société bénéficiaire.

Ainsi, bien que l’acte extrajudiciaire demeure la forme devant être privilégiée, cet arrêt admet une certaine souplesse quant à la forme de la notification, dès lors que l’objectif d’information des coïndivisaires est atteint et que leur consentement éclairé est préservé.

==>Contenu de la notification

La notification du projet de cession doit, conformément aux exigences de l’article 815-14 du Code civil, impérativement comporter deux types d’informations :

  • Les conditions de la cession
    • Les coïndivisaires doivent être pleinement informés des aspects financiers et contractuels de l’opération projetée.
    • À ce titre, la notification doit indiquer :
      • Le prix de cession : élément central permettant d’évaluer la faisabilité et l’opportunité d’exercer le droit de préemption.
      • Les modalités de paiement : incluant notamment les délais éventuels pour régler le prix, les intérêts applicables en cas de paiement différé, ou encore toute disposition spécifique liée à l’échelonnement des versements.
      • Les frais annexes : par exemple, les honoraires d’intermédiaires ou de notaires, qui peuvent avoir une incidence sur l’équilibre économique de l’opération.
    • Ces informations précises permettent aux coïndivisaires de mesurer l’étendue des obligations qu’ils auraient à assumer s’ils décidaient de préempter.
    • Toute omission ou imprécision pourrait les induire en erreur et compromettre leur capacité à prendre une décision éclairée.
  • Des informations relatives au cessionnaire
    • La notification doit également permettre aux coïndivisaires de s’assurer que la personne appelée à entrer dans l’indivision ne compromettra pas l’équilibre de celle-ci.
    • À cette fin, la loi exige que soient communiqués :
      • Le nom du cessionnaire : permettant de l’identifier avec certitude.
      • Le domicile : offrant une indication sur sa situation géographique et facilitant d’éventuelles démarches futures.
      • La profession : pouvant fournir des indices sur ses intentions ou sa capacité à gérer l’indivision.
    • Ces éléments subjectifs revêtent une importance particulière dans une indivision où l’affectio communionis doit être préservée.
    • Ils permettent aux coïndivisaires d’évaluer si l’intégration du cessionnaire pressenti est compatible avec les intérêts communs.

Toute notification omettant l’une de ces informations essentielles est susceptible d’être qualifiée d’irrégulière.

Une telle irrégularité pourrait entraîner des conséquences importantes, notamment l’impossibilité pour le cédant de se prévaloir de l’absence d’exercice du droit de préemption par les coïndivisaires, voire la nullité de la cession elle-même.

Cette exigence vise à garantir une transparence totale et à protéger les droits des indivisaires contre toute tentative d’évasion de leurs prérogatives.

==>Portée de la notification

La notification constitue l’acte par lequel les coïndivisaires sont informés des conditions de la cession envisagée et peuvent manifester leur intention d’exercer leur droit de préemption. Elle ouvre ainsi la voie à l’exercice de ce droit, mais n’emporte pas pour autant offre de vente.

Conformément à une jurisprudence désormais constante, la notification effectuée en application de l’article 815-14 du Code civil ne peut être assimilée à une offre de vente.

Cette position repose sur une interprétation stricte du texte, visant à respecter l’intention du législateur et la volonté manifeste de l’indivisaire cédant.

La Cour de cassation a ainsi affirmé que la notification, destinée à informer les coïndivisaires et à leur permettre d’exercer leur droit de préemption, n’impose aucune obligation au cédant quant à la réalisation de la cession projetée (Cass. 1ère civ., 5 juin 1984, n°83-10.660).

Cette jurisprudence s’appuie sur l’idée que la notification ne constitue qu’un préalable à l’exercice du droit de préemption et non une offre de vendre.

Comme souligné par la Première chambre civile dans la décision précitée, « à défaut de disposition le précisant dans l’article 815-14 du Code civil, qui a seulement pour but d’éviter l’intrusion d’un tiers étranger à l’indivision, la notification faite au titulaire du droit de préemption de l’intention de céder les droits indivis ne vaut pas offre de vente ».

Cette analyse a été confirmée dans un arrêt du 9 février 2011, où la Cour a rappelé que l’indivisaire cédant conserve la faculté de renoncer à son projet de cession, et ce, même après que l’un des coïndivisaires a manifesté son intention de préempter (Cass. 1ère civ., 9 févr. 2011, n°10-10.759).

Cette solution garantit un équilibre entre la protection des coïndivisaires contre l’intrusion d’un tiers dans l’indivision et la liberté contractuelle du cédant.

Ainsi, le droit de préemption, bien qu’il vise à préserver l’harmonie entre les coïndivisaires et à maintenir l’affectio communionis, n’impose pas au cédant de conclure la cession, dès lors qu’aucune disposition expresse ne prévoit une telle obligation.

Cette jurisprudence illustre un équilibre subtil entre deux objectifs : la protection des coïndivisaires et la préservation de la liberté contractuelle du cédant.

D’une part, le droit de préemption conféré aux coïndivisaires constitue un rempart contre l’intrusion d’un tiers étranger, permettant ainsi de maintenir l’affectio communionis, indispensable à la gestion harmonieuse de l’indivision.

D’autre part, la liberté contractuelle demeure intacte, le cédant conservant la faculté de renoncer à son projet si les circonstances le justifient.

Dans les situations où la cession concerne des droits en usufruit ou en nue-propriété, la mécanique du droit de préemption se complexifie en raison de la nature distincte de ces droits.

L’article 815-18, alinéa 2, du Code civil établit une hiérarchie stricte dans l’exercice des droits de préemption.

Les coïndivisaires directs, partageant la même nature de droits que le cédant, bénéficient d’une priorité absolue.

Ce n’est qu’après la purge de ces droits prioritaires que les nus-propriétaires ou usufruitiers peuvent, à titre subsidiaire, se prévaloir de leur propre droit de préemption.

Cette hiérarchie repose sur un double objectif :

  • D’une part, elle garantit aux coïndivisaires directs un moyen efficace de préserver la stabilité de l’indivision en écartant toute intrusion intempestive.
  • D’autre part, elle reconnaît la spécificité des relations juridiques entre usufruitiers et nus-propriétaires, qui, bien que distinctes en nature, convergent sur un même objet matériel.

Cette approche reflète une volonté claire du législateur : favoriser en premier lieu les acteurs les plus directement impliqués dans la gestion de l’indivision avant d’élargir le cercle des bénéficiaires.

ii. Réponse des titulaires du droit de préemption

==>Principe

L’article 815-14, alinéa 2, confère à tout indivisaire, après notification d’un projet de cession, la possibilité d’exercer un droit de préemption en se substituant au cessionnaire pressenti.

Ce droit est conditionné par une déclaration expresse adressée au cédant et formulée dans les conditions prévues par la loi.

L’objectif est double : permettre aux indivisaires de préserver l’harmonie au sein de l’indivision en écartant l’entrée d’un tiers, tout en garantissant au cédant une sécurité juridique quant aux modalités de réponse.

==>Délai de réponse

Le délai pour manifester l’intention de préempter est fixé à un mois à compter de la notification du projet de cession.

Ce délai, considéré comme raisonnable, permet aux indivisaires d’évaluer les implications financières et juridiques d’un éventuel exercice du droit.

Si un indivisaire souhaite renoncer à son droit, il peut se contenter de laisser s’écouler ce délai sans manifester sa volonté.

L’absence de réponse équivaut alors à une renonciation tacite, conformément à l’interprétation majoritaire des textes et de la jurisprudence.

==>Forme de la réponse

Pour exercer son droit de préemption, l’indivisaire doit adresser sa réponse au cédant par un acte extrajudiciaire. Cette exigence, identique à celle prévue pour la notification initiale, vise à garantir une preuve incontestable de la manifestation de volonté.

Chaque indivisaire désireux de préempter doit effectuer une déclaration distincte. En revanche, la loi n’impose pas de notification au cessionnaire pressenti, bien que cette démarche soit recommandée pour éviter toute confusion ou litige ultérieur, notamment en cas de signature prématurée d’un acte de cession.

==>Termes de la réponse

L’indivisaire préempteur, en manifestant sa volonté d’exercer son droit, est tenu de se conformer intégralement aux exigences suivantes :

  • Le prix fixé dans la notification
    • Le prix de cession doit être accepté dans son intégralité, sans aucune renégociation possible.
    • Ce montant constitue un élément central du contrat projeté et reflète l’accord initial entre le cédant et le cessionnaire pressenti.
  • Les modalités de paiement
    • Cela inclut les délais de paiement, les taux d’intérêt appliqués en cas de paiement différé, ainsi que toute autre condition financière précisée dans la notification.
    • L’indivisaire préempteur doit s’engager à respecter ces modalités dans leur intégralité.
  • Les conditions accessoires
    • Les éventuels frais liés à la cession, tels que les commissions d’agents immobiliers ou autres intermédiaires, doivent également être pris en charge par l’indivisaire.
    • Ces conditions, bien que secondaires, sont indissociables des termes de la cession projetée dès lors qu’elles figurent dans la notification.

L’indivisaire exerçant son droit de préemption n’a aucune latitude pour modifier les conditions initiales.

La Cour de cassation a réaffirmé avec rigueur le principe selon lequel l’indivisaire exerçant son droit de préemption doit se conformer strictement aux termes de la cession notifiés, sans possibilité de les modifier.

Dans un arrêt du 18 janvier 2012, la Haute juridiction a, en effet, eu à se prononcer sur une situation où l’indivisaire préempteur avait tenté d’introduire une condition suspensive non prévue initialement (Cass. 1ère civ., 18 janv. 2012, n°10-28.311).

En l’espèce, un indivisaire avait notifié à son coïndivisaire son intention de céder ses parts pour un prix déterminé, payable comptant le jour de la signature de l’acte authentique.

Le coïndivisaire, souhaitant exercer son droit de préemption, avait répondu dans le délai légal. Cependant, lors de la rédaction du projet d’acte, il avait stipulé une clause conditionnant la vente à l’obtention d’un prêt bancaire, condition qui ne figurait pas dans les termes notifiés par le cédant.

La Cour de cassation a considéré que cette modification substantielle des conditions de la cession initiale rendait la déclaration de préemption irrégulière. En effet, en ajoutant une condition suspensive non prévue, l’indivisaire préempteur avait dévié des termes exacts de l’offre, ce qui est incompatible avec l’exigence d’acceptation pure et simple imposée par la loi. La Première chambre civile a donc validé la vente réalisée par le cédant au profit du tiers initialement pressenti, estimant que le droit de préemption n’avait pas été valablement exercé.

Cette décision illustre la stricte application du principe d’immutabilité des conditions de la cession dans le cadre du droit de préemption des indivisaires.

Contrairement à d’autres régimes spéciaux, tels que celui du preneur rural, où la loi permet une certaine adaptation des conditions de la vente, l’indivisaire ne dispose d’aucune marge de manœuvre pour modifier les termes notifiés. Toute tentative de négociation ou d’ajout de clauses supplémentaires est susceptible d’entraîner l’invalidité de la préemption.

Ainsi, l’indivisaire souhaitant exercer son droit doit accepter intégralement le prix, les modalités de paiement et les conditions accessoires telles qu’elles lui ont été notifiées.

Cette exigence vise à assurer la sécurité juridique des transactions et à éviter que le droit de préemption ne soit détourné de sa finalité, qui est de permettre aux coïndivisaires de maintenir l’harmonie au sein de l’indivision sans porter atteinte aux droits du cédant.

==>Effets de la réponse

L’exercice du droit de préemption opéré par un indivisaire se traduit par une substitution automatique et intégrale au cessionnaire initialement pressenti, conformément à l’article 815-14 du Code civil.

Cette substitution vise à reproduire le cadre contractuel initial sans altération, en maintenant l’équilibre des droits et obligations prévus par la cession.

  • Substitution dans les obligations souscrites envers le cédant
    • L’indivisaire préempteur est tenu d’exécuter l’ensemble des obligations stipulées dans le projet de cession notifié, sans déviation possible.
    • La conséquence en est que si les conditions de la cession, telles qu’énoncées dans la notification, échouent à se réaliser, l’exercice du droit de préemption est privé d’effet.
    • L’indivisaire préempteur ne peut alors se substituer au cessionnaire pour conclure la vente.
  • Substitution dans les obligations souscrites envers les tiers
    • L’indivisaire exerçant son droit de préemption doit également se conformer aux obligations contractuelles du cessionnaire à l’égard de tiers, à condition qu’elles aient été dûment portées à sa connaissance dans la notification.
    • Ainsi, la portée de la substitution s’étend, notamment :
      • Aux commissions des intermédiaires : si la notification mentionne des frais d’agents immobiliers ou d’intermédiaires liés à la cession, le préempteur est tenu de les acquitter.
      • Dans un arrêt du 26 mars 1996, la Cour de cassation a validé la condamnation d’un indivisaire préempteur à payer la commission due à un agent immobilier, cette obligation ayant été stipulée dans les termes de la cession notifiée (Cass. 1re civ., 26 mars 1996, n°93-17.574).
      • Aux frais accessoires et charges : tous les termes et conditions qui figurent dans la notification doivent être intégralement respectés par le préempteur, qu’il s’agisse de frais de notaire, de charges ou d’autres obligations similaires.
    • Toutefois, cette substitution ne saurait s’appliquer à des engagements du cessionnaire qui n’auraient pas été expressément mentionnés dans la notification.
    • En effet, la portée de l’article 815-14 est limitée aux conditions strictement notifiées, de sorte que le préempteur ne peut être tenu à des obligations dont il n’a pas eu connaissance.

iii. Réalisation de l’acte de vente

==>Délai de réalisation de la vente

  • Délai imparti et point de départ
    • L’article 815-14, alinéa 3, accorde à l’indivisaire préempteur un délai de deux mois pour réaliser l’acte de vente.
    • Ce délai court à compter de la date d’envoi de la réponse au vendeur, formalisée par acte extrajudiciaire.
    • Le mode de calcul de ce délai suit les dispositions de l’article 641 du Code de procédure civile : lorsque le délai expire un jour férié, un samedi ou un dimanche, il est prorogé au premier jour ouvrable suivant.
  • Notion de réalisation de la vente
    • Le texte exige que la vente soit “réalisée” dans le délai imparti.
    • Cette notion reste sujette à interprétation.
    • Bien qu’il soit généralement admis que l’acte authentique constitue le standard attendu, il est également possible de considérer une vente comme “réalisée” si un accord définitif des parties est constaté, même sous seing privé, dès lors que cet accord respecte les conditions notifiées.

==>Non-respect du délai

  • Mise en demeure adressée au préempteur
    • Si la vente n’est pas réalisée dans le délai de deux mois, le cédant peut adresser une mise en demeure au préempteur pour qu’il conclue l’acte.
    • La mise en demeure peut être effectuée par sommation d’un Commissaire de justice ou par lettre recommandée.
    • Le délai de mise en demeure n’est pas strictement encadré par la loi et peut être initié longtemps après l’expiration des deux mois initiaux.
    • Ce mécanisme vise à protéger le cédant contre l’inaction du préempteur tout en lui offrant un cadre clair pour faire valoir ses droits.
  • Mise en demeure sans suite
    • Si, après un délai de quinze jours suivant la mise en demeure, l’acte de vente n’est toujours pas réalisé, la déclaration de préemption est nulle de plein droit.
    • Cette nullité n’exige aucune formalité supplémentaire, mais une contestation peut néanmoins survenir, nécessitant alors l’intervention du juge.
    • En l’absence de contestation, le cédant retrouve sa liberté contractuelle et peut conclure la vente avec le cessionnaire initial.

==>Cession au préempteur

  • Action en complément de part pour lésion
    • La cession des droits indivis au profit du préempteur est assimilée à un partage, ouvrant la possibilité d’une action en complément de part pour lésion si le prix convenu est inférieur d’un quart à la valeur réelle des droits cédés. Cependant, cette action est exclue en présence d’un aléa défini et accepté dans l’acte (article 891 du Code civil).
    • L’existence de cet aléa doit être appréciée à la date de l’acte d’exercice du droit de préemption.
  • Préemption exercée par plusieurs indivisaires
    • Lorsque plusieurs indivisaires exercent leur droit, l’article 815-14, alinéa 4, prévoit qu’ils acquièrent ensemble, à proportion de leurs droits dans l’indivision, sauf convention contraire.
      • En cas de droits égaux : chaque indivisaire préempteur acquiert une part égale.
      • En cas de droits inégaux : l’acquisition se fait en proportion des droits de chacun, sauf accord particulier précisant d’autres modalités.
  • Délais de paiement et ajustements
    • Si des délais de paiement ont été consentis au cessionnaire initial, le préempteur est soumis aux mêmes modalités.
    • L’article 815-14, alinéa 5, renvoie à l’application de l’article 828 du Code civil, prévoyant des ajustements en cas de variation significative de la valeur des droits cédés.
    • Toutefois, les parties peuvent convenir contractuellement que le montant dû reste fixe, afin de prévenir tout litige lié aux fluctuations économiques.

4. La sanction de la violation du droit de préemption

a. Principe de la nullité

L’article 815-16 dispose que « toute cession ou toute licitation opérée au mépris des dispositions des articles 815-14 et 815-15 est nulle ». La nullité est donc la sanction générale applicable dans ce cadre.

Cette nullité frappe indifféremment :

  • Les cessions amiables effectuées sans notification préalable régulière ;
  • Les adjudications, lorsque les indivisaires n’ont pas été dûment informés.

La nullité s’applique également lorsque la notification est irrégulière dans sa forme. Ainsi, une notification ne respectant pas les modalités prévues à l’article 815-14, telle qu’une absence d’acte extrajudiciaire, ne saurait être régularisée par le principe selon lequel « pas de nullité sans grief » (art. 114 du CPC), comme l’a confirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 5 mars 2022 (Cass. 1ère civ., 5 mars 2002, n°00-13.511).

Enfin, la bonne foi de l’acquéreur ou de l’adjudicataire est sans incidence : le simple manquement aux exigences légales entraîne la nullité de la cession. Cette rigueur reflète la volonté de protéger efficacement les droits des coïndivisaires.

b. Régime de la nullité

La nullité prévue par l’article 815-16 est une nullité relative, car visant exclusivement à protéger les indivisaires bénéficiaires du droit de préemption.

==>Titulaires de l’action

Seuls les indivisaires à qui les notifications devaient être faites, ou leurs héritiers, peuvent invoquer cette nullité.

En revanche, un indivisaire qui avait connaissance du projet de cession, même en l’absence de notification formelle, et qui n’avait pas l’intention d’exercer son droit de préemption, ne saurait en demander l’annulation.

==>Absence de renonciation explicite

Lorsqu’un indivisaire n’a pas renoncé de manière explicite à son droit, l’absence de notification ou le non-respect des formes prévues ouvre à celui-ci, ou à ses ayants droit, la possibilité de solliciter l’annulation de la cession.

c. Prescription de l’action en nullité

L’article 815-16 prévoit que l’action en nullité se prescrit par cinq ans. Ce délai, destiné à garantir une certaine sécurité juridique, commence à courir à partir de la date de publication de l’acte de cession au registre foncier.

Cette publication rend la cession opposable aux tiers et présume la connaissance par les coïndivisaires (Cass. 1re civ., 5 mars 2014, n°12-28.348).

Cette exigence est susceptible de soulever une difficulté dans les cas où la cession a été effectuée en fraude des droits de préemption et où les indivisaires n’en prennent connaissance qu’après plusieurs années.

En effet, la loi ne prévoit aucun report du point de départ du délai en cas de découverte tardive de la fraude.

En tout état de cause, une fois le délai de cinq ans écoulé, l’action en nullité est définitivement irrecevable. Les indivisaires lésés ne disposent alors que d’une action éventuelle en responsabilité contre le notaire rédacteur, si celui-ci a omis de notifier correctement la cession.

Indivision: les droits de préemption et de substitution sur les parts indivises

Dans le cadre de l’indivision, chaque indivisaire dispose d’un droit exclusif sur sa quote-part abstraite, qui lui confère la faculté d’en disposer librement, notamment par cession. Cette liberté, essentielle à la nature même du droit de propriété, n’est toutefois pas absolue.

Elle s’inscrit dans un régime spécifique destiné à préserver l’équilibre fragile de l’indivision, souvent marquée par un intuitu personae, et à prévenir l’introduction de tiers non souhaités dans la communauté indivise.

Les mécanismes du droit de préemption et du droit de substitution, institués par la réforme de 1976, traduisent cette volonté de protéger les coïndivisaires face aux risques inhérents à l’aliénation des droits indivis.

Ces dispositifs permettent aux indivisaires d’intervenir pour maintenir la cohérence de l’indivision, tout en respectant la faculté de cession attachée à chaque quote-part. Ils incarnent ainsi un subtil équilibre entre la liberté individuelle des indivisaires et les exigences collectives inhérentes à cette situation juridique particulière.

A) Le droit de préemption

Le droit de préemption constitue une prérogative essentielle pour les coïndivisaires, leur permettant de préserver l’intégrité de l’indivision en cas de cession de droits indivis par l’un d’eux.

Ce mécanisme, ancré dans l’article 815-14 du Code civil, illustre une volonté de concilier la liberté de disposer de sa quote-part avec la nécessité de prévenir l’intrusion d’un tiers non souhaité, susceptible de perturber le fonctionnement harmonieux de l’indivision.

En offrant aux indivisaires un droit prioritaire d’acquérir les droits cédés par leur coïndivisaire, cette institution garantit la continuité d’un lien souvent marqué par des considérations familiales ou personnelles.

Elle permet ainsi de maintenir l’intuitu personae propre à de nombreuses indivisions, tout en encadrant strictement les modalités de son exercice pour éviter tout abus.

1. Origines et mécanisme

Le droit de préemption, consacré par l’article 815-14 du Code civil, a pour ancêtre l’ancien dispositif du retrait successoral.

Ce dernier, régi par l’article 841 ancien du Code civil, visait à permettre à un héritier de se porter acquéreur prioritaire des parts d’un cohéritier cédant, préservant ainsi l’unité familiale au sein de l’indivision successorale.

Cependant, en dépit de sa vocation louable, le retrait successoral se heurtait à des pesanteurs procédurales et à des limites pratiques, notamment l’absence d’un dispositif d’information des coindivisaires et l’incertitude juridique pesant sur les transactions. Ces imperfections ont conduit à sa suppression par la loi du 31 décembre 1976, laquelle a permis l’émergence d’un mécanisme plus abouti : le droit de préemption.

Le droit de préemption se distingue par sa simplicité et son efficacité, apportant une solution aux insuffisances du retrait successoral. Désormais applicable à toute cession à titre onéreux de droits indivis, dès lors qu’elle implique une personne étrangère à l’indivision, ce mécanisme impose au cédant de notifier son intention aux autres indivisaires. Ces derniers se voient alors offrir la faculté de se substituer au cessionnaire envisagé, en acquérant les droits aux mêmes prix et conditions.

Ce cadre procédural, à la fois clair et protecteur, garantit aux indivisaires une protection contre l’intrusion d’un tiers étranger, susceptible de bouleverser l’harmonie de la gestion commune. Ainsi, le droit de préemption parvient-il à concilier deux impératifs essentiels : la liberté contractuelle de l’indivisaire cédant et la préservation de l’affectio communionis, cette solidarité essentielle à l’administration partagée des biens indivis.

L’abrogation du retrait successoral a marqué une étape importante dans l’évolution du droit des successions, illustrant une adaptation du législateur aux contraintes modernes. Ce mécanisme, malgré son ambition louable de préserver l’intégrité familiale, se heurtait à des lourdeurs procédurales, au premier rang desquelles figurait l’exigence d’une double mutation pour aboutir à la transmission effective des droits.

En effet, la mise en œuvre du retrait successoral impliquait, dans un premier temps, une cession initiale des droits indivis du cédant à un tiers cessionnaire, suivie d’une seconde mutation lorsque l’héritier exerçait son droit de retrait pour récupérer ces mêmes droits. Ce processus, outre sa complexité, engendrait des coûts, des délais, et une insécurité juridique pesant sur les transactions.

Le droit de préemption, en remédiant à ces carences, instaure une procédure plus fluide et sécurisante, permettant aux indivisaires d’exercer leur droit directement, sans étape intermédiaire, et d’acquérir les droits cédés aux mêmes prix et conditions que le cessionnaire pressenti. Cette simplification bénéficie tant aux indivisaires qu’aux tiers, en garantissant une meilleure prévisibilité des opérations.

Ainsi, le droit de préemption, véritable héritier rationnalisé de l’ancien droit de retrait, poursuit l’objectif essentiel de stabilité des indivisions tout en favorisant la fluidité des transactions. Il s’impose comme un outil équilibré et moderne, conciliant les impératifs de continuité familiale et de pragmatisme économique.

2. Le domaine du droit de préemption

a. Les indivisions concernées

==>Principe

Contrairement à l’ancien retrait successoral, qui se limitait strictement aux indivisions successorales (ancien article 841 du Code civil), le droit de préemption s’étend désormais à toutes les indivisions relevant du régime général.

Cette extension a été confirmée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt de la Cour de cassation du 23 avril 1985 aux termes duquel elle a jugé que « les dispositions de l’article 815-14 […] sont applicables à toutes les indivisions qu’elles soient ou non d’origine successorale » (Cass. 1re civ., 23 avr. 1985, n° 83-16.703).

Dans cette affaire, il s’agissait d’un fonds de commerce exploité en indivision à la suite de successions familiales. Une première cession des droits indivis avait été réalisée en faveur d’un tiers, sans que les coindivisaires aient été consultés. Par la suite, ces droits indivis furent cédés à d’autres acquéreurs sans notification préalable aux indivisaires. Ces derniers, invoquant une violation de leur droit de préemption, saisirent les juridictions compétentes pour obtenir l’annulation de la vente.

La Cour de cassation rejeta le pourvoi du cessionnaire en affirmant avec clarté que les dispositions de l’article 815-14 du Code civil « sont applicables à toutes les indivisions qu’elles soient ou non d’origine successorale ».

Il s’en déduit que le droit de préemption s’applique à toutes les indivisions ordinaires relevant du régime des articles 815 et suivants du Code civil.

Par son universalité, il renforce la cohésion de l’indivision en permettant aux indivisaires de préserver leur affectio communionis face à l’introduction de tiers étrangers. Cela concerne les indivisions successorales, post-communautaires ou conventionnelles, pour toute cession réalisée à titre onéreux.

==>Exclusions

Le domaine du droit de préemption n’est pas sans limites. En effet, bien que le droit de préemption des indivisaires, institué à l’article 815-14 du Code civil, s’applique de manière générale à toutes les indivisions ordinaires, son champ d’application connaît des exclusions.

Ces exclusions, dictées par des considérations juridiques et pratiques, concernent principalement les indivisions qualifiées de forcées et perpétuelles.

Pour mémoire, une indivision est dite forcée et perpétuelle lorsque les biens indivis, par leur nature même, remplissent une fonction indispensable pour d’autres propriétés et ne peuvent, en conséquence, faire l’objet ni d’un partage ni d’une cession ordinaire.

Ces indivisions se rencontrent dans des cas spécifiques où la conservation collective du bien est essentielle à son usage.

Les exemples les plus représentatifs sont :

  • Les servitudes de passage : un chemin d’accès servant plusieurs propriétés indivises, par exemple, constitue souvent une indivision forcée, car son partage ou sa cession porterait atteinte à l’usage des fonds qu’il dessert.
  • Les parties communes nécessaires : il peut s’agir d’une cour commune ou d’un mur mitoyen indispensables à plusieurs parcelles ou bâtiments.
  • Les biens affectés à un service collectif : par exemple, une piscine ou un jardin commun dans le cadre d’un immeuble en copropriété.

Dans ces cas, l’objectif de préserver la fonctionnalité collective et l’intérêt général des propriétaires prime sur le droit individuel à préempter.

A plusieurs reprises, la Cour de cassation a exclu l’application du droit de préemption en présence d’indivisions perpétuelles ou forcées.

Dans un arrêt du 12 février 1985, elle a, par exemple, jugé que le droit de préemption ne pouvait s’appliquer à une parcelle indivise servant de chemin d’accès à plusieurs propriétés, dès lors que cette parcelle constituait un accessoire indispensable à l’usage des fonds qu’elle desservait (Cass. 1re civ., 12 févr. 1985, n°84-10.301). La Première chambre civile reprochait à la juridiction du fond de ne pas avoir recherché si cette parcelle, en sa qualité de desserte essentielle, relevait d’une indivision forcée et perpétuelle, laquelle échappe aux dispositions des articles 815-14 et 815-16 du Code civil.

Dans une logique similaire, la Cour de cassation, dans un arrêt du 8 juin 1999, a rappelé que le caractère forcé et perpétuel d’une indivision devait être apprécié de manière objective et ne pouvait dépendre de la volonté subjective des parties. Elle a ainsi censuré une décision qui, pour retenir l’existence d’une indivision perpétuelle, s’était fondée uniquement sur l’intention des parties sans vérifier si l’usage des parcelles concernées était matériellement impossible sans recourir au bien litigieux (Cass. 1re civ., 8 juin 1999, n°97-13.987).

L’exclusion des indivisions forcées et perpétuelles du champ d’application de l’article 815-14 du Code civil repose sur une logique de préservation de l’équilibre collectif.

Dans ces situations, permettre à un indivisaire d’exercer son droit de préemption contreviendrait à l’affectation essentielle du bien, au détriment des autres propriétaires ou utilisateurs.

Par conséquent, le domaine du droit de préemption, bien qu’étendu, est circonscrit par la nécessité de garantir la continuité et la fonctionnalité des biens indivis indispensables. Ces limites, loin de constituer une entrave, traduisent un équilibre entre les droits des indivisaires et les impératifs collectifs attachés à certains biens.

b. Les cessions concernées

b.1. Une cession portant sur des droits indivis

L’article 815-14 du Code civil prévoit que le droit de préemption s’exerce sur la cession « de tout ou partie des droits dans les biens indivis ou dans un ou plusieurs de ces biens ».

Cette rédaction marque une extension du domaine du droit de préemption rapport à l’ancien retrait successoral, limité aux aliénations portant sur la quote-part globale d’un héritier dans une succession.

Désormais, toute cession à titre onéreux de droits indivis à une personne étrangère à l’indivision est susceptible d’ouvrir ce droit.

Ainsi, il importe peu que la cession porte sur la totalité des droits indivis de l’indivisaire cédant, sur une partie seulement de ces droits, ou sur les droits indivis attachés à un bien déterminé.

Par exemple, un indivisaire peut céder tout ou partie de ses droits indivis dans un immeuble sans que l’étendue de la cession empêche l’exercice du droit de préemption par les coïndivisaires. Cette latitude vise à prévenir toute intrusion d’un tiers dans l’indivision, laquelle pourrait compromettre l’affectio communionis nécessaire à la bonne gestion des biens indivis.

En revanche, dans un arrêt du 30 juin 1992, la Cour de cassation a jugé que le droit de préemption prévu par l’article 815-14 du Code civil ne s’applique que lorsque la cession porte sur des droits indivis et non sur les biens indivis eux-mêmes (Cass. 1re civ., 30 juin 1992, n° 90-19.052).

En l’espèce, à la suite du décès d’un indivisaire, son conjoint survivant et une autre coïndivisaire se trouvaient en indivision sur l’intégralité des parts d’une société à responsabilité limitée ayant pour objet une activité économique spécifique.

Face à l’impossibilité pour l’entreprise de financer les mises aux normes réglementaires exigées par l’administration sous peine de fermeture, le conjoint survivant, gérant de la société, avait obtenu l’autorisation judiciaire de céder l’intégralité des parts sociales de la société en application de l’article 815-5 du Code civil, malgré l’opposition de l’autre coïndivisaire.

Cette dernière a tenté d’exercer un droit de préemption sur les parts sociales ainsi cédées, en invoquant les dispositions de l’article 815-14 du Code civil.

Cependant, la Haute juridiction a confirmé que le mécanisme préemptif est inopérant lorsque la cession porte sur la totalité d’un bien indivis et non sur les droits indivis de l’un des indivisaires.

Elle a estimé que, dans ce cas, la cession, autorisée par le juge, visait à retirer le bien de l’indivision, et non à introduire un tiers dans celle-ci. La substitution du prix de vente au bien dans l’indivision ne justifiait donc pas l’application du droit de préemption, dont la finalité est de protéger l’intégrité de l’indivision face à l’arrivée d’un étranger.

b.2. Une cession conclue à titre onéreux

i. Application aux cessions à titre onéreux

==>Principe

Le droit de préemption s’exerce exclusivement lorsqu’un indivisaire souhaite céder tout ou partie de ses droits indivis à un tiers en contrepartie d’un prix.

L’article 815-14, alinéa 1er, du Code civil pose ainsi comme condition sine qua non la stipulation d’un prix dans la transaction. Cette exigence découle de la finalité même du droit de préemption : permettre aux autres indivisaires de se substituer au cessionnaire en acquérant les droits aux mêmes conditions.

Dès lors, toutes les cessions à titre onéreux, qu’elles portent sur une quote-part de l’ensemble indivis ou sur des droits indivis d’un bien déterminé, sont soumises à ce mécanisme.

Peu importent les modalités de paiement du prix, que ce soit en argent, en rente viagère ou sous une autre forme monétaire, tant que la prestation est quantifiable et fongible, les indivisaires peuvent intervenir pour préserver l’unité de l’indivision.

==>Exceptions

S’il est de principe que le droit de préemption des indivisaires puisse jouer dans le cadre des cessions à titre onéreux, il connaît néanmoins des limites. Certaines opérations, en raison de leur nature ou des caractéristiques spécifiques des prestations convenues, échappent au mécanisme préemptif prévu par l’article 815-14 du Code civil. Ces exclusions sont fondées sur l’impossibilité technique ou juridique pour les coïndivisaires de reproduire la contrepartie stipulée dans le contrat.

  • L’échange
    • Bien que l’échange soit régi par les règles de la vente (article 1707 du Code civil), il est exclu du champ d’application du droit de préemption.
    • En effet, l’échange implique une contrepartie non monétaire, souvent constituée d’un bien précis, non fongible, que les coïndivisaires ne peuvent pas nécessairement fournir.
    • La Cour de cassation a confirmé cette exclusion dans un arrêt du 21 mai 1997 (Cass. 1re civ., 21 mai 1997, n° 95-12.460), soulignant que le mécanisme préemptif repose sur une stricte substitution.
    • Dans cette affaire, des droits mobiliers et immobiliers détenus par deux mineures dans une indivision successorale avaient été cédés à une société.
    • Bien que cette opération ait initialement été qualifiée de vente, elle avait ultérieurement été requalifiée en contrat d’échange.
    • La contrepartie de cet échange consistait en des appartements appartenant à un tiers, promis en échange des droits indivis.
    • Un coïndivisaire avait exprimé son intention d’exercer son droit de préemption afin de se substituer à la société et de préserver l’unité de l’indivision.
    • Cependant, il n’était pas propriétaire des appartements promis en contrepartie, soulevant ainsi la question de l’applicabilité du droit de préemption dans ce contexte.
    • La Cour de cassation a censuré la décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui avait admis l’exercice du droit de préemption au motif que le coïndivisaire aurait pu se procurer les appartements auprès du coéchangiste pour satisfaire aux termes de l’échange.
    • La Haute juridiction a estimé que cette analyse méconnaissait les exigences de l’article 815-14 du Code civil.
    • Elle a jugé que le droit de préemption exige une stricte identité entre la prestation que le coïndivisaire préempteur doit fournir et celle stipulée dans le contrat initial.
    • En l’espèce, le coïndivisaire était dans l’impossibilité absolue de fournir aux cédants les appartements convenus comme contrepartie, faute d’en être propriétaire.
    • Cette impossibilité matérielle et juridique rendait inapplicable le droit de préemption dans ces circonstances.
  • L’apport en société
    • Lorsque des droits indivis sont apportés à une société, le cédant reçoit en contrepartie des parts sociales, lesquelles s’inscrivent dans une relation d’affectio societatis, fondée sur la confiance et la collaboration entre les associés.
    • Cette prestation, qui n’est pas strictement monétaire, rend le droit de préemption inapplicable, car les coïndivisaires ne peuvent fournir une contrepartie équivalente à celle convenue avec la société.
    • Le mécanisme préemptif repose, en effet, sur la possibilité pour les coïndivisaires de se substituer au cessionnaire en acquérant les mêmes droits et obligations attachées à l’opération.
    • Or, dans le cas d’un apport en société, l’avantage obtenu par le cédant, à savoir des parts sociales, est indissociable de l’intuitus personae propre à l’affectio societatis.
    • Cette spécificité exclut toute possibilité de substitution par les coïndivisaires.
    • La jurisprudence a clairement consacré cette exclusion. Si elle a d’abord été reconnue dans le cadre du droit de préemption des preneurs ruraux (Cass. 3e civ. 4 mars 1971, n°69-10.540), elle a été étendue explicitement au droit de préemption des coïndivisaires régi par l’article 815-14 du Code civil.
    • Ainsi, bien que le droit de préemption s’applique généralement aux cessions à titre onéreux, les apports en société, par leur nature intrinsèque, échappent à ce mécanisme, illustrant une des limites importantes du champ d’application de l’article 815-14 du Code civil (V. en ce sens CA Paris, 11 sept. 1997).
  • La dation en paiement
    • Dans le cadre d’une dation en paiement, la contrepartie attendue par le cédant est l’extinction d’une dette, et non la réception d’un prix monétaire ou d’une prestation fongible.
    • Les coïndivisaires, n’étant pas les créanciers de cette dette, ne peuvent matériellement ni juridiquement se substituer au bénéficiaire pour éteindre l’obligation.
    • Cette impossibilité de fournir une prestation équivalente justifie en principe l’exclusion de la dation en paiement du champ d’application du droit de préemption.
    • À ce jour, il n’a jamais été statué en jurisprudence sur l’applicabilité du droit de préemption dans le cas spécifique de la dation en paiement.
    • Cependant, les principes dégagés dans des situations analogues, notamment concernant des prestations intuitu personae ou des contreparties non monétaires, tendent à exclure cette hypothèse.
    • Certains auteurs ont néanmoins envisagé une solution théorique où les coïndivisaires pourraient exercer leur droit de préemption en payant la dette du cédant au moyen d’une somme d’argent.
    • Cela permettrait d’assurer l’extinction de l’obligation tout en respectant l’exigence de substitution.
    • Toutefois, une telle démarche, bien qu’imaginable, ne correspond pas à l’objet même de la dation en paiement et semble difficilement conciliable avec les attentes légitimes des parties initialement impliquées dans l’opération.
    • En définitive, bien que la dation en paiement ne puisse être considérée comme un obstacle insurmontable à l’exercice du droit de préemption, les caractéristiques intrinsèques de ce mécanisme, qui reposent sur une logique non monétaire, rendent son inclusion hautement improbable dans le périmètre de l’article 815-14 du Code civil.
  • Les ventes intuitu personae
    • Il est admis de longue date que les opérations conclues en considération de la personne du cessionnaire échappent également au droit de préemption.
    • Cette exclusion repose sur le caractère intuitus personae de ces opérations, où la personne de l’acquéreur constitue un élément déterminant du consentement du cédant.
    • Dans de telles situations, il est impossible pour les coïndivisaires de se substituer à l’acquéreur sans altérer la nature même de l’accord initial.
    • Un exemple typique de cette exclusion réside dans le bail à nourriture.
    • Ce type de contrat prévoit que le cédant transfère ses droits indivis en échange d’une obligation de soins ou d’assistance personnelle.
    • La prestation convenue dépasse alors la simple contrepartie monétaire et repose sur des engagements spécifiques directement liés à la personnalité du cessionnaire.
    • Dans un arrêt du 3 octobre 1985, la Cour de cassation a jugé que l’intuitus personae inhérent à ce type d’accord rendait le droit de préemption inapplicable (Cass. 3e civ., 3 oct. 1985).
    • En effet, un coïndivisaire ne saurait fournir une prestation équivalente à celle attendue par le cédant, laquelle est indissociablement liée à la personne choisie.
    • La jurisprudence a, par suite, étendu cette exclusion à d’autres cas toujours en se fondant sur l’existence d’un intuitus personae.
    • Ainsi, elle a admis que le droit de préemption ne pouvait être exercé lorsqu’une cession de droits indivis était consentie à une usufruitière afin de lui permettre de demander l’attribution préférentielle des terres ayant appartenu à son époux.
    • Ici encore, les qualités personnelles du cessionnaire, en tant qu’usufruitière et ayant droit, constituaient le fondement du consentement du cédant, excluant toute possibilité de substitution par les coïndivisaires.

ii. Exclusion des cessions à titre gratuit

Le droit de préemption, prévu par l’article 815-14 du Code civil, est strictement limité aux cessions à titre onéreux, excluant ainsi les transmissions de droits indivis réalisées à titre gratuit.

Cette exclusion trouve son fondement dans l’absence de contrepartie économique, rendant impossible la substitution des coïndivisaires au bénéficiaire désigné par le cédant.

==>Libéralités : donations et legs

Les donations entre vifs et les legs échappent au droit de préemption, comme l’a clairement établi la jurisprudence.

Dans un arrêt de principe rendu le 11 décembre 1984, la Cour de cassation a jugé que, faute de prix stipulé, le mécanisme préemptif devient inopérant (Cass. 1re civ., 11 déc. 1984, n°83-13.874).

En effet, l’absence de contrepartie monétaire rend impossible pour les indivisaires de se substituer au bénéficiaire en acquérant les droits dans les mêmes conditions.

Peu importe que la libéralité soit assortie de charges ou non : la gratuité de l’acte prive le droit de préemption de sa fonction essentielle, à savoir préserver l’unité de l’indivision en empêchant l’entrée d’un tiers moyennant une compensation économique.

Cependant, une autre question complexe se pose concernant les donations assorties de charges. Si ces charges revêtent une importance telle qu’elles confèrent à l’acte un caractère onéreux, certains auteurs suggèrent que le droit de préemption pourrait théoriquement trouver à s’appliquer. Néanmoins, pour que cette hypothèse se concrétise, il serait nécessaire que le caractère onéreux de la donation apparaisse explicitement dès la rédaction de l’acte, ce qui reste une situation rare en pratique.

==>Cas particuliers : donations déguisées

La question des donations déguisées, revêtant les apparences d’une cession à titre onéreux, a suscité des débats.

Dans ces situations, les coïndivisaires peuvent initialement exercer leur droit de préemption sur la base de l’apparente vente.

Toutefois, si la véritable nature de l’acte est ultérieurement qualifiée de donation, la préemption est écartée.

Cette requalification ne saurait cependant être utilisée de manière frauduleuse pour contourner les droits des indivisaires.

En vertu du principe selon lequel « la fraude corrompt tout », une donation dissimulée derrière une prétendue vente, destinée à éluder le droit de préemption des coïndivisaires, peut conduire à l’annulation de l’opération. La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt rendu le 11 mars 1997 (Cass. 1ère civ., 11 mars 1997, n°95-15.480).

Dans cette affaire, une indivisaire avait successivement consenti deux actes portant sur ses droits indivis détenus dans un domaine agricole.

Par un premier acte, elle avait octroyé à un bénéficiaire. une donation symbolique représentant 6 centièmes de sa part dans l’indivision. Quelques mois plus tard, par un second acte, elle avait vendu à ce même bénéficiaire une part beaucoup plus significative, correspondant à 90 centièmes de ses droits indivis.

La cour d’appel a constaté que ces deux actes, bien que distincts en apparence, révélaient une intention frauduleuse. En rapprochant le caractère symbolique de la donation et l’importance de la part cédée ultérieurement à titre onéreux, les juges ont déduit que l’objectif poursuivi par la donatrice était d’éluder le droit de préemption de son coïndivisaire. Ce dernier aurait pu, en l’absence de fraude, exercer son droit sur l’ensemble des droits indivis cédés.

La Cour de cassation a approuvé cette analyse, estimant que la donation, bien que licite en apparence, avait été instrumentalisée pour contourner les droits des coïndivisaires. En conséquence, elle a validé l’annulation de l’opération, renforçant ainsi le principe selon lequel le droit de préemption redevient applicable en présence d’une fraude.

b.3. Une cession consentie à une personne étrangère à l’indivision

Pour que le droit de préemption s’applique, il est indispensable que la cession envisagée soit consentie à une personne étrangère à l’indivision.

Cette condition, posée à l’article 815-14, alinéa 1er, du Code civil, reflète la finalité même du mécanisme : éviter l’introduction d’un tiers dans l’indivision afin de préserver son équilibre et sa pérennité. Une telle présence extérieure pourrait en effet perturber la gestion commune des biens indivis, notamment en cas d’intérêts divergents.

==>Principe

L’exigence selon laquelle la cession doit être réalisée au profit d’une personne étrangère à l’indivision s’inscrit dans la logique protectrice du droit de préemption. Ce mécanisme vise à empêcher l’introduction d’un tiers dans l’indivision, une situation qui pourrait perturber la gestion commune des biens indivis et compromettre l’entente nécessaire entre indivisaires.

À l’inverse, lorsque la cession intervient entre coïndivisaires, cette justification disparaît, car aucun élément extérieur ne vient troubler l’équilibre de l’indivision. En vertu de ce principe, un indivisaire est parfaitement libre de céder tout ou partie de ses droits indivis à un autre coïndivisaire sans que les autres puissent s’opposer à cette transaction en invoquant un droit de préemption.

A cet égard, dans un arrêt rendu le 16 avril 1991, la Cour de cassation a rappelé avec force que « tout indivisaire peut librement disposer, au profit d’un cohéritier, de sa quote-part sur un ou plusieurs biens indivis » (Cass. 1re civ., 16 avr. 1991, n°89-17.930).

En l’espèce, des héritiers avaient cédé leurs droits indivis à d’autres membres de l’indivision avant le partage des biens concernés. L’un des indivisaires contestait cette cession, arguant qu’elle portait atteinte à l’équilibre de l’indivision et soulevait des questions quant à la licitation des biens indivis.

La Première chambre civile a rejeté cet argument, affirmant que la liberté de disposer entre coïndivisaires n’est pas limitée par le droit de préemption prévu à l’article 815-14 du Code civil. Ce dernier a pour finalité d’empêcher l’intrusion de tiers étrangers, mais ne s’applique pas aux cessions intervenant entre membres de l’indivision.

De plus, la Haute juridiction a précisé que cette liberté s’étend même aux situations où la cession modifie substantiellement la répartition des droits au sein de l’indivision.

Ainsi, est-il admis qu’un indivisaire puisse acquérir successivement les droits des autres coïndivisaires, jusqu’à détenir une majorité, voire la totalité des parts, sans que les autres indivisaires puissent s’y opposer par le biais du droit de préemption.

==>Cas particulier des relations entre usufruitiers et nus-propriétaires

La cession de droits indivis entre usufruitiers et nus-propriétaires soulève des questions complexes, en raison de la nature distincte des droits en présence.

Bien que les usufruitiers et les nus-propriétaires partagent un intérêt commun sur le bien indivis, ils n’appartiennent pas à la même indivision.

Dans un arrêt du 17 mai 1983, la Cour de cassation a, en effet, jugé que l’usufruitier devait être regardé comme un étranger à l’indivision en nue-propriété (Cass. 1re civ., 17 mai 1983, n°82-11.931).

Dans cette affaire, un indivisaire en nue-propriété avait cédé ses droits indivis à l’usufruitier. Les autres nus-propriétaires ont contesté cette cession, arguant qu’elle aurait dû leur être notifiée afin qu’ils puissent exercer leur droit de préemption.

La Cour de cassation a confirmé cette position, estimant que l’usufruitier, n’étant pas titulaire de droits en nue-propriété, devait être considéré comme une personne étrangère à l’indivision en nue-propriété.

Par conséquent, la cession des droits indivis en nue-propriété à l’usufruitier aurait dû être notifiée aux autres nus-propriétaires, afin de leur permettre d’exercer leur droit de préemption.

Ainsi, lorsqu’un nu-propriétaire décide de céder ses droits indivis à un usufruitier, les autres nus-propriétaires conservent leur droit de préemption.

Cette règle vise à éviter que l’usufruitier n’acquière une position dominante dans l’indivision en nue-propriété, ce qui pourrait déséquilibrer les relations entre les indivisaires.

La même logique s’applique dans le cas inverse : si un usufruitier cède ses droits indivis à un nu-propriétaire, les autres usufruitiers conservent leur droit de préemption.

Cette situation se fonde sur le principe selon lequel chaque catégorie de droits (usufruit et nue-propriété) constitue une indivision distincte. Par conséquent, un nu-propriétaire acquérant des droits en usufruit serait considéré comme un tiers à l’indivision des usufruitiers, ce qui justifie l’ouverture du droit de préemption au profit de ces derniers.

3. L’exercice du droit de préemption

a. Les titulaires du droit de préemption

i. Détermination des titulaires du droit de préemption

==>Les bénéficiaires principaux

L’article 815-14, alinéa 2, du Code civil confère un droit de préemption prioritaire à tout indivisaire en cas de cession de droits indivis à une personne étrangère à l’indivision.

Cette prérogative s’étend à tous les indivisaires, quelle que soit la nature de leurs droits : pleine propriété, nue-propriété ou usufruit.

Par exemple, si un nu-propriétaire indivis décide de céder ses droits à un tiers, ses coïndivisaires en nue-propriété peuvent exercer leur droit de préemption pour préserver l’intégrité de l’indivision.

Ce droit est d’ordre personnel, ce qui signifie que son exercice repose sur la seule appréciation de l’indivisaire concerné, en fonction de son intérêt à éviter l’entrée d’un tiers dans l’indivision.

Ce caractère personnel exclut toute action oblique par les créanciers du titulaire du droit de préemption, mais permet la transmission de ce droit aux héritiers du coïndivisaire.

La jurisprudence a également précisé que ce droit peut être exercé conjointement par plusieurs indivisaires : dans ce cas, ils sont réputés acquérir ensemble les droits cédés, à proportion de leur part respective dans l’indivision (C. civ., art. 815-14, al. 4).

==>Les bénéficiaires subsidiaires

L’article 815-18, alinéa 2, du Code civil introduit un droit de préemption subsidiaire dans les cas où la cession porte sur des droits indivis de nature différente, comme l’usufruit ou la nue-propriété.

Ainsi, en cas de cession de droits indivis en nue-propriété à un tiers, les usufruitiers peuvent exercer un droit de préemption, mais uniquement si aucun autre nu-propriétaire ne s’en porte acquéreur.

De manière symétrique, en cas de cession de droits indivis en usufruit, les nus-propriétaires bénéficient d’un droit de préemption, mais seulement en l’absence d’intérêt manifesté par un autre usufruitier.

Ces droits de préemption subsidiaires, bien que distincts de ceux des coïndivisaires au sens strict de l’article 815-14, visent à protéger les intérêts des titulaires de droits portant sur le même bien, en limitant les risques d’immixtion d’un tiers dans l’équilibre de l’indivision.

La jurisprudence considère en effet que, bien que de nature différente, ces droits confèrent aux usufruitiers et aux nus-propriétaires une proximité suffisante avec l’indivision pour justifier l’existence de ces mécanismes de préemption subsidiaire.

ii. Renonciation au droit de préemption

==>Principe de la renonciation

Bien que le droit de préemption prévu aux articles 815-14 et 815-18 du Code civil vise à protéger les indivisaires contre l’intrusion d’un tiers dans l’indivision, il n’est pas d’ordre public.

Cette caractéristique permet à ses titulaires d’y renoncer librement, dans le respect des conditions de validité requises. La renonciation peut être expresse ou tacite, mais dans tous les cas, elle suppose une volonté non équivoque de ne pas exercer cette prérogative.

==>Renonciation tacite

Une renonciation tacite intervient lorsque l’indivisaire, malgré la notification du projet de cession, laisse s’écouler le délai imparti pour exercer son droit de préemption sans manifester son intention de l’exercer.

Cette absence de réaction est interprétée comme une renonciation implicite, traduisant un désintérêt pour l’acquisition des droits cédés.

Toutefois, chaque nouvelle cession de droits indivis rouvre le droit de préemption et nécessite une nouvelle notification, même si l’indivisaire n’a pas exercé ce droit lors d’une cession antérieure.

==>Renonciation expresse

La renonciation expresse, quant à elle, peut intervenir à différents moments :

  • Avant la notification du projet de cession
    • Un indivisaire peut, dans une convention ou un arrangement préalable, renoncer à exercer son droit de préemption pour toutes les cessions à venir.
    • Cette renonciation, bien que licite, doit être formulée avec précaution et refléter une intention claire et éclairée.
  • Après la notification du projet de cession
    • Une renonciation postérieure à la notification des conditions de la cession projetée est la situation la plus fréquente.
    • Elle exige que l’indivisaire ait connaissance précise des modalités de la cession, notamment le prix, pour que son consentement soit valide.

==>Conditions de validité de la renonciation

La validité d’une renonciation, qu’elle soit tacite ou expresse, repose sur plusieurs critères :

  • D’une part, la volonté de renoncer doit être manifeste et exempte de toute ambiguïté.
  • D’autre part, le renonçant doit avoir une connaissance précise des modalités de la cession pour pouvoir y renoncer en toute conscience.
  • Enfin, si la renonciation est expresse, elle doit être formalisée dans un écrit signé par l’indivisaire ou par acte authentique. Certains auteurs préconisent l’intervention d’un acte authentique, bien que cette formalité ne soit pas obligatoire.

Dans la pratique, il est recommandé que la renonciation expresse fasse l’objet d’un écrit détaillé ou soit intégrée dans l’acte notifiant la cession.

Cela garantit une sécurité juridique optimale pour toutes les parties concernées. En cas de renonciation tacite, le notaire ou le rédacteur de l’acte doit veiller à ce que le délai de préemption ait expiré avant de procéder à la cession.

Enfin, il peut être observé que, compte tenu de ce qu’elle constitue un acte unilatéral une fois la renonciation consommée, qu’elle soit tacite ou expresse, l’indivisaire ne peut plus revenir sur sa décision. La cession des droits indivis peut alors se poursuivre librement, sans que le droit de préemption puisse être opposé ultérieurement.

iii. Exercice simultané par plusieurs indivisaires

L’exercice simultané du droit de préemption par plusieurs coïndivisaires est une hypothèse explicitement prévue par l’article 815-14, alinéa 4, du Code civil.

Aussi, lorsque plusieurs indivisaires notifient leur intention d’exercer leur droit de préemption sur les droits cédés, la loi instaure une règle claire : ces indivisaires sont réputés acquérir ensemble la part mise en vente, à proportion de leurs parts respectives dans l’indivision, sauf convention contraire.

Cette répartition équitable des droits acquis reflète le poids relatif de chaque indivisaire dans l’indivision, évitant ainsi que l’un d’eux prenne un avantage excessif au détriment des autres.

L’objectif est également de maintenir l’unité et la solidarité entre les indivisaires, tout en minimisant les tensions susceptibles de découler d’un déséquilibre dans les acquisitions.

Aussi, l’exercice du droit de préemption des indivisaires ne répond pas à la règle du premier arrivé, premier servi. Tous les coïndivisaires qui exercent leur droit dans les délais impartis sont placés sur un pied d’égalité.

Cette égalité de traitement découle du fait que la notification du projet de cession ne constitue pas une offre de vente qui pourrait être acceptée unilatéralement par un indivisaire. La vente ne devient parfaite qu’une fois que l’ensemble des indivisaires ayant manifesté leur volonté de préempter sont reconnus comme acquéreurs selon les règles prévues par la loi.

La règle de l’acquisition proportionnelle n’est toutefois pas impérative. Les indivisaires peuvent convenir entre eux d’un autre mode de répartition des droits acquis, à condition que cette convention respecte les formes légales et soit acceptée par l’ensemble des parties concernées.

Par exemple l’un des indivisaires pourrait acquérir l’intégralité des droits cédés avec l’accord des autres. On peut également imaginer, une répartition différente soit établie en fonction d’accords antérieurs ou d’autres critères objectifs.

En tout état de cause, lorsque plusieurs indivisaires exercent leur droit simultanément, la répartition proportionnelle suppose une coordination dans le paiement du prix d’acquisition. Chaque indivisaire participant à l’opération doit verser sa quote-part, calculée en fonction de ses droits dans l’indivision.

Le notaire ou l’intermédiaire chargé de la transaction doit veiller à ce que les modalités financières soient clairement définies et exécutées, afin d’éviter tout litige ultérieur.

En présence de droits de nature différente (usufruit et nue-propriété), l’exercice simultané du droit de préemption par plusieurs indivisaires peut nécessiter une ventilation spécifique des droits acquis entre usufruitiers et nus-propriétaires.

Cette ventilation doit respecter les règles posées par l’article 815-18, alinéa 2, du Code civil.

Dans certains cas, le curateur d’une succession vacante pourrait également intervenir pour exercer le droit de préemption au nom de la succession, en application des règles spécifiques de gestion.

b. Les modalités d’exercice du droit de préemption

i. Notification de la cession envisagée

==>Principe de la notification

L’article 815-14, alinéa 1er, du Code civil impose à l’indivisaire souhaitant céder ses droits indivis de notifier son projet aux autres coïndivisaires.

Cette formalité vise à informer les coïndivisaires des conditions de la cession projetée et à leur permettre, le cas échéant, d’exercer leur droit de préemption.

Ce principe s’étend également, en vertu de l’article 815-18, alinéa 2, aux cessions portant sur des droits en usufruit ou en nue-propriété, avec une obligation de notification envers tous les usufruitiers et nus-propriétaires concernés.

==>Auteur de la notification

Le Code civil prévoit, à l’article 815-14, que l’obligation de notifier aux coïndivisaires le projet de cession incombe à l’indivisaire cédant.

Ce dernier, initiateur de la cession, est, en effet, le mieux placé pour fournir les informations sur les conditions de la transaction et l’identité du cessionnaire pressenti. C’est la raison pour laquelle c’est sur lui que pèse l’obligation de notifier la cession aux coindivisaires dans les formes prescrites par la loi.

Cependant, il peut arriver que le cédant néglige ou refuse de notifier le projet de cession, compromettant ainsi la validité de l’opération.

Dans une telle hypothèse, la jurisprudence admet que le bénéficiaire d’une promesse de cession puisse, par voie oblique, procéder lui-même à la notification aux coïndivisaires (V. en ce sens CA Bordeaux, 29 janv. 1996).

La reconnaissance de cette faculté au bénéficiaire de l’opération repose sur des considérations pratiques et juridiques.

L’absence de notification par le cédant pourrait entraîner l’annulation de la cession pour violation des droits des coïndivisaires. En permettant au bénéficiaire d’une promesse de cession de procéder lui-même à la notification, cela permet de préserver les intérêts des parties à l’opération tout en respectant les droits des coïndivisaires.

Toutefois, cette intervention à titre subsidiaire est encadrée : le bénéficiaire ne peut agir qu’en cas de défaillance du cédant et doit se conformer aux prescriptions légales, tant s’agissant du contenu que de la forme de la notification.

==>Forme de la notification

La notification des conditions de la cession projetée doit être réalisée par acte extrajudiciaire, conformément aux prescriptions de l’article 815-14, alinéa 1er, du Code civil.

Ce formalisme a pour objectif principal de garantir la sécurité juridique en assurant une preuve incontestable de l’information transmise aux coïndivisaires. L’utilisation de cette forme de notification permet également de prévenir les contestations ultérieures quant à la validité de la notification.

Toutefois, la Cour de cassation a admis qu’une notification réalisée par lettre recommandée avec accusé de réception pouvait être considérée comme valable, à condition qu’elle comporte toutes les informations exigées par la loi (Cass. 1re civ., 9 oct. 1991, n°89-17.916).

En l’espèce, une indivisaire, avait exercé son droit de préemption par lettre recommandée adressée au notaire chargé de l’opération.

La société bénéficiaire d’une promesse unilatérale de vente sur les mêmes droits indivis contestait la validité de cette préemption en raison de l’absence de notification par acte extrajudiciaire, comme le prévoit le texte.

Toutefois, la Cour a confirmé la validité de la préemption exercée, en considérant que la lettre recommandée avait permis aux coïndivisaires de recevoir toutes les informations nécessaires pour évaluer l’opération projetée.

Cette solution procède d’une approche fonctionnelle de l’article 815-14 du Code civil. Elle met l’accent sur la finalité de la notification, à savoir garantir une information complète et traçable, plutôt que sur une stricte exigence formelle.

A cet égard, la Haute juridiction a souligné que les coïndivisaires avaient renoncé à exiger des formalités supplémentaires, ce qui rendait sans effet l’argument du formalisme invoqué par la société bénéficiaire.

Ainsi, bien que l’acte extrajudiciaire demeure la forme devant être privilégiée, cet arrêt admet une certaine souplesse quant à la forme de la notification, dès lors que l’objectif d’information des coïndivisaires est atteint et que leur consentement éclairé est préservé.

==>Contenu de la notification

La notification du projet de cession doit, conformément aux exigences de l’article 815-14 du Code civil, impérativement comporter deux types d’informations :

  • Les conditions de la cession
    • Les coïndivisaires doivent être pleinement informés des aspects financiers et contractuels de l’opération projetée.
    • À ce titre, la notification doit indiquer :
      • Le prix de cession : élément central permettant d’évaluer la faisabilité et l’opportunité d’exercer le droit de préemption.
      • Les modalités de paiement : incluant notamment les délais éventuels pour régler le prix, les intérêts applicables en cas de paiement différé, ou encore toute disposition spécifique liée à l’échelonnement des versements.
      • Les frais annexes : par exemple, les honoraires d’intermédiaires ou de notaires, qui peuvent avoir une incidence sur l’équilibre économique de l’opération.
    • Ces informations précises permettent aux coïndivisaires de mesurer l’étendue des obligations qu’ils auraient à assumer s’ils décidaient de préempter.
    • Toute omission ou imprécision pourrait les induire en erreur et compromettre leur capacité à prendre une décision éclairée.
  • Des informations relatives au cessionnaire
    • La notification doit également permettre aux coïndivisaires de s’assurer que la personne appelée à entrer dans l’indivision ne compromettra pas l’équilibre de celle-ci.
    • À cette fin, la loi exige que soient communiqués :
      • Le nom du cessionnaire : permettant de l’identifier avec certitude.
      • Le domicile : offrant une indication sur sa situation géographique et facilitant d’éventuelles démarches futures.
      • La profession : pouvant fournir des indices sur ses intentions ou sa capacité à gérer l’indivision.
    • Ces éléments subjectifs revêtent une importance particulière dans une indivision où l’affectio communionis doit être préservée.
    • Ils permettent aux coïndivisaires d’évaluer si l’intégration du cessionnaire pressenti est compatible avec les intérêts communs.

Toute notification omettant l’une de ces informations essentielles est susceptible d’être qualifiée d’irrégulière.

Une telle irrégularité pourrait entraîner des conséquences importantes, notamment l’impossibilité pour le cédant de se prévaloir de l’absence d’exercice du droit de préemption par les coïndivisaires, voire la nullité de la cession elle-même.

Cette exigence vise à garantir une transparence totale et à protéger les droits des indivisaires contre toute tentative d’évasion de leurs prérogatives.

==>Portée de la notification

La notification constitue l’acte par lequel les coïndivisaires sont informés des conditions de la cession envisagée et peuvent manifester leur intention d’exercer leur droit de préemption. Elle ouvre ainsi la voie à l’exercice de ce droit, mais n’emporte pas pour autant offre de vente.

Conformément à une jurisprudence désormais constante, la notification effectuée en application de l’article 815-14 du Code civil ne peut être assimilée à une offre de vente.

Cette position repose sur une interprétation stricte du texte, visant à respecter l’intention du législateur et la volonté manifeste de l’indivisaire cédant.

La Cour de cassation a ainsi affirmé que la notification, destinée à informer les coïndivisaires et à leur permettre d’exercer leur droit de préemption, n’impose aucune obligation au cédant quant à la réalisation de la cession projetée (Cass. 1ère civ., 5 juin 1984, n°83-10.660).

Cette jurisprudence s’appuie sur l’idée que la notification ne constitue qu’un préalable à l’exercice du droit de préemption et non une offre de vendre.

Comme souligné par la Première chambre civile dans la décision précitée, « à défaut de disposition le précisant dans l’article 815-14 du Code civil, qui a seulement pour but d’éviter l’intrusion d’un tiers étranger à l’indivision, la notification faite au titulaire du droit de préemption de l’intention de céder les droits indivis ne vaut pas offre de vente ».

Cette analyse a été confirmée dans un arrêt du 9 février 2011, où la Cour a rappelé que l’indivisaire cédant conserve la faculté de renoncer à son projet de cession, et ce, même après que l’un des coïndivisaires a manifesté son intention de préempter (Cass. 1ère civ., 9 févr. 2011, n°10-10.759).

Cette solution garantit un équilibre entre la protection des coïndivisaires contre l’intrusion d’un tiers dans l’indivision et la liberté contractuelle du cédant.

Ainsi, le droit de préemption, bien qu’il vise à préserver l’harmonie entre les coïndivisaires et à maintenir l’affectio communionis, n’impose pas au cédant de conclure la cession, dès lors qu’aucune disposition expresse ne prévoit une telle obligation.

Cette jurisprudence illustre un équilibre subtil entre deux objectifs : la protection des coïndivisaires et la préservation de la liberté contractuelle du cédant.

D’une part, le droit de préemption conféré aux coïndivisaires constitue un rempart contre l’intrusion d’un tiers étranger, permettant ainsi de maintenir l’affectio communionis, indispensable à la gestion harmonieuse de l’indivision.

D’autre part, la liberté contractuelle demeure intacte, le cédant conservant la faculté de renoncer à son projet si les circonstances le justifient.

Dans les situations où la cession concerne des droits en usufruit ou en nue-propriété, la mécanique du droit de préemption se complexifie en raison de la nature distincte de ces droits.

L’article 815-18, alinéa 2, du Code civil établit une hiérarchie stricte dans l’exercice des droits de préemption.

Les coïndivisaires directs, partageant la même nature de droits que le cédant, bénéficient d’une priorité absolue.

Ce n’est qu’après la purge de ces droits prioritaires que les nus-propriétaires ou usufruitiers peuvent, à titre subsidiaire, se prévaloir de leur propre droit de préemption.

Cette hiérarchie repose sur un double objectif :

  • D’une part, elle garantit aux coïndivisaires directs un moyen efficace de préserver la stabilité de l’indivision en écartant toute intrusion intempestive.
  • D’autre part, elle reconnaît la spécificité des relations juridiques entre usufruitiers et nus-propriétaires, qui, bien que distinctes en nature, convergent sur un même objet matériel.

Cette approche reflète une volonté claire du législateur : favoriser en premier lieu les acteurs les plus directement impliqués dans la gestion de l’indivision avant d’élargir le cercle des bénéficiaires.

ii. Réponse des titulaires du droit de préemption

==>Principe

L’article 815-14, alinéa 2, confère à tout indivisaire, après notification d’un projet de cession, la possibilité d’exercer un droit de préemption en se substituant au cessionnaire pressenti.

Ce droit est conditionné par une déclaration expresse adressée au cédant et formulée dans les conditions prévues par la loi.

L’objectif est double : permettre aux indivisaires de préserver l’harmonie au sein de l’indivision en écartant l’entrée d’un tiers, tout en garantissant au cédant une sécurité juridique quant aux modalités de réponse.

==>Délai de réponse

Le délai pour manifester l’intention de préempter est fixé à un mois à compter de la notification du projet de cession.

Ce délai, considéré comme raisonnable, permet aux indivisaires d’évaluer les implications financières et juridiques d’un éventuel exercice du droit.

Si un indivisaire souhaite renoncer à son droit, il peut se contenter de laisser s’écouler ce délai sans manifester sa volonté.

L’absence de réponse équivaut alors à une renonciation tacite, conformément à l’interprétation majoritaire des textes et de la jurisprudence.

==>Forme de la réponse

Pour exercer son droit de préemption, l’indivisaire doit adresser sa réponse au cédant par un acte extrajudiciaire. Cette exigence, identique à celle prévue pour la notification initiale, vise à garantir une preuve incontestable de la manifestation de volonté.

Chaque indivisaire désireux de préempter doit effectuer une déclaration distincte. En revanche, la loi n’impose pas de notification au cessionnaire pressenti, bien que cette démarche soit recommandée pour éviter toute confusion ou litige ultérieur, notamment en cas de signature prématurée d’un acte de cession.

==>Termes de la réponse

L’indivisaire préempteur, en manifestant sa volonté d’exercer son droit, est tenu de se conformer intégralement aux exigences suivantes :

  • Le prix fixé dans la notification
    • Le prix de cession doit être accepté dans son intégralité, sans aucune renégociation possible.
    • Ce montant constitue un élément central du contrat projeté et reflète l’accord initial entre le cédant et le cessionnaire pressenti.
  • Les modalités de paiement
    • Cela inclut les délais de paiement, les taux d’intérêt appliqués en cas de paiement différé, ainsi que toute autre condition financière précisée dans la notification.
    • L’indivisaire préempteur doit s’engager à respecter ces modalités dans leur intégralité.
  • Les conditions accessoires
    • Les éventuels frais liés à la cession, tels que les commissions d’agents immobiliers ou autres intermédiaires, doivent également être pris en charge par l’indivisaire.
    • Ces conditions, bien que secondaires, sont indissociables des termes de la cession projetée dès lors qu’elles figurent dans la notification.

L’indivisaire exerçant son droit de préemption n’a aucune latitude pour modifier les conditions initiales.

La Cour de cassation a réaffirmé avec rigueur le principe selon lequel l’indivisaire exerçant son droit de préemption doit se conformer strictement aux termes de la cession notifiés, sans possibilité de les modifier.

Dans un arrêt du 18 janvier 2012, la Haute juridiction a, en effet, eu à se prononcer sur une situation où l’indivisaire préempteur avait tenté d’introduire une condition suspensive non prévue initialement (Cass. 1ère civ., 18 janv. 2012, n°10-28.311).

En l’espèce, un indivisaire avait notifié à son coïndivisaire son intention de céder ses parts pour un prix déterminé, payable comptant le jour de la signature de l’acte authentique.

Le coïndivisaire, souhaitant exercer son droit de préemption, avait répondu dans le délai légal. Cependant, lors de la rédaction du projet d’acte, il avait stipulé une clause conditionnant la vente à l’obtention d’un prêt bancaire, condition qui ne figurait pas dans les termes notifiés par le cédant.

La Cour de cassation a considéré que cette modification substantielle des conditions de la cession initiale rendait la déclaration de préemption irrégulière. En effet, en ajoutant une condition suspensive non prévue, l’indivisaire préempteur avait dévié des termes exacts de l’offre, ce qui est incompatible avec l’exigence d’acceptation pure et simple imposée par la loi. La Première chambre civile a donc validé la vente réalisée par le cédant au profit du tiers initialement pressenti, estimant que le droit de préemption n’avait pas été valablement exercé.

Cette décision illustre la stricte application du principe d’immutabilité des conditions de la cession dans le cadre du droit de préemption des indivisaires.

Contrairement à d’autres régimes spéciaux, tels que celui du preneur rural, où la loi permet une certaine adaptation des conditions de la vente, l’indivisaire ne dispose d’aucune marge de manœuvre pour modifier les termes notifiés. Toute tentative de négociation ou d’ajout de clauses supplémentaires est susceptible d’entraîner l’invalidité de la préemption.

Ainsi, l’indivisaire souhaitant exercer son droit doit accepter intégralement le prix, les modalités de paiement et les conditions accessoires telles qu’elles lui ont été notifiées.

Cette exigence vise à assurer la sécurité juridique des transactions et à éviter que le droit de préemption ne soit détourné de sa finalité, qui est de permettre aux coïndivisaires de maintenir l’harmonie au sein de l’indivision sans porter atteinte aux droits du cédant.

==>Effets de la réponse

L’exercice du droit de préemption opéré par un indivisaire se traduit par une substitution automatique et intégrale au cessionnaire initialement pressenti, conformément à l’article 815-14 du Code civil.

Cette substitution vise à reproduire le cadre contractuel initial sans altération, en maintenant l’équilibre des droits et obligations prévus par la cession.

  • Substitution dans les obligations souscrites envers le cédant
    • L’indivisaire préempteur est tenu d’exécuter l’ensemble des obligations stipulées dans le projet de cession notifié, sans déviation possible.
    • La conséquence en est que si les conditions de la cession, telles qu’énoncées dans la notification, échouent à se réaliser, l’exercice du droit de préemption est privé d’effet.
    • L’indivisaire préempteur ne peut alors se substituer au cessionnaire pour conclure la vente.
  • Substitution dans les obligations souscrites envers les tiers
    • L’indivisaire exerçant son droit de préemption doit également se conformer aux obligations contractuelles du cessionnaire à l’égard de tiers, à condition qu’elles aient été dûment portées à sa connaissance dans la notification.
    • Ainsi, la portée de la substitution s’étend, notamment :
      • Aux commissions des intermédiaires : si la notification mentionne des frais d’agents immobiliers ou d’intermédiaires liés à la cession, le préempteur est tenu de les acquitter.
      • Dans un arrêt du 26 mars 1996, la Cour de cassation a validé la condamnation d’un indivisaire préempteur à payer la commission due à un agent immobilier, cette obligation ayant été stipulée dans les termes de la cession notifiée (Cass. 1re civ., 26 mars 1996, n°93-17.574).
      • Aux frais accessoires et charges : tous les termes et conditions qui figurent dans la notification doivent être intégralement respectés par le préempteur, qu’il s’agisse de frais de notaire, de charges ou d’autres obligations similaires.
    • Toutefois, cette substitution ne saurait s’appliquer à des engagements du cessionnaire qui n’auraient pas été expressément mentionnés dans la notification.
    • En effet, la portée de l’article 815-14 est limitée aux conditions strictement notifiées, de sorte que le préempteur ne peut être tenu à des obligations dont il n’a pas eu connaissance.

iii. Réalisation de l’acte de vente

==>Délai de réalisation de la vente

  • Délai imparti et point de départ
    • L’article 815-14, alinéa 3, accorde à l’indivisaire préempteur un délai de deux mois pour réaliser l’acte de vente.
    • Ce délai court à compter de la date d’envoi de la réponse au vendeur, formalisée par acte extrajudiciaire.
    • Le mode de calcul de ce délai suit les dispositions de l’article 641 du Code de procédure civile : lorsque le délai expire un jour férié, un samedi ou un dimanche, il est prorogé au premier jour ouvrable suivant.
  • Notion de réalisation de la vente
    • Le texte exige que la vente soit “réalisée” dans le délai imparti.
    • Cette notion reste sujette à interprétation.
    • Bien qu’il soit généralement admis que l’acte authentique constitue le standard attendu, il est également possible de considérer une vente comme “réalisée” si un accord définitif des parties est constaté, même sous seing privé, dès lors que cet accord respecte les conditions notifiées.

==>Non-respect du délai

  • Mise en demeure adressée au préempteur
    • Si la vente n’est pas réalisée dans le délai de deux mois, le cédant peut adresser une mise en demeure au préempteur pour qu’il conclue l’acte.
    • La mise en demeure peut être effectuée par sommation d’un Commissaire de justice ou par lettre recommandée.
    • Le délai de mise en demeure n’est pas strictement encadré par la loi et peut être initié longtemps après l’expiration des deux mois initiaux.
    • Ce mécanisme vise à protéger le cédant contre l’inaction du préempteur tout en lui offrant un cadre clair pour faire valoir ses droits.
  • Mise en demeure sans suite
    • Si, après un délai de quinze jours suivant la mise en demeure, l’acte de vente n’est toujours pas réalisé, la déclaration de préemption est nulle de plein droit.
    • Cette nullité n’exige aucune formalité supplémentaire, mais une contestation peut néanmoins survenir, nécessitant alors l’intervention du juge.
    • En l’absence de contestation, le cédant retrouve sa liberté contractuelle et peut conclure la vente avec le cessionnaire initial.

==>Cession au préempteur

  • Action en complément de part pour lésion
    • La cession des droits indivis au profit du préempteur est assimilée à un partage, ouvrant la possibilité d’une action en complément de part pour lésion si le prix convenu est inférieur d’un quart à la valeur réelle des droits cédés. Cependant, cette action est exclue en présence d’un aléa défini et accepté dans l’acte (article 891 du Code civil).
    • L’existence de cet aléa doit être appréciée à la date de l’acte d’exercice du droit de préemption.
  • Préemption exercée par plusieurs indivisaires
    • Lorsque plusieurs indivisaires exercent leur droit, l’article 815-14, alinéa 4, prévoit qu’ils acquièrent ensemble, à proportion de leurs droits dans l’indivision, sauf convention contraire.
      • En cas de droits égaux : chaque indivisaire préempteur acquiert une part égale.
      • En cas de droits inégaux : l’acquisition se fait en proportion des droits de chacun, sauf accord particulier précisant d’autres modalités.
  • Délais de paiement et ajustements
    • Si des délais de paiement ont été consentis au cessionnaire initial, le préempteur est soumis aux mêmes modalités.
    • L’article 815-14, alinéa 5, renvoie à l’application de l’article 828 du Code civil, prévoyant des ajustements en cas de variation significative de la valeur des droits cédés.
    • Toutefois, les parties peuvent convenir contractuellement que le montant dû reste fixe, afin de prévenir tout litige lié aux fluctuations économiques.

4. La sanction de la violation du droit de préemption

a. Principe de la nullité

L’article 815-16 dispose que « toute cession ou toute licitation opérée au mépris des dispositions des articles 815-14 et 815-15 est nulle ». La nullité est donc la sanction générale applicable dans ce cadre.

Cette nullité frappe indifféremment :

  • Les cessions amiables effectuées sans notification préalable régulière ;
  • Les adjudications, lorsque les indivisaires n’ont pas été dûment informés.

La nullité s’applique également lorsque la notification est irrégulière dans sa forme. Ainsi, une notification ne respectant pas les modalités prévues à l’article 815-14, telle qu’une absence d’acte extrajudiciaire, ne saurait être régularisée par le principe selon lequel « pas de nullité sans grief » (art. 114 du CPC), comme l’a confirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 5 mars 2022 (Cass. 1ère civ., 5 mars 2002, n°00-13.511).

Enfin, la bonne foi de l’acquéreur ou de l’adjudicataire est sans incidence : le simple manquement aux exigences légales entraîne la nullité de la cession. Cette rigueur reflète la volonté de protéger efficacement les droits des coïndivisaires.

b. Régime de la nullité

La nullité prévue par l’article 815-16 est une nullité relative, car visant exclusivement à protéger les indivisaires bénéficiaires du droit de préemption.

==>Titulaires de l’action

Seuls les indivisaires à qui les notifications devaient être faites, ou leurs héritiers, peuvent invoquer cette nullité.

En revanche, un indivisaire qui avait connaissance du projet de cession, même en l’absence de notification formelle, et qui n’avait pas l’intention d’exercer son droit de préemption, ne saurait en demander l’annulation.

==>Absence de renonciation explicite

Lorsqu’un indivisaire n’a pas renoncé de manière explicite à son droit, l’absence de notification ou le non-respect des formes prévues ouvre à celui-ci, ou à ses ayants droit, la possibilité de solliciter l’annulation de la cession.

c. Prescription de l’action en nullité

L’article 815-16 prévoit que l’action en nullité se prescrit par cinq ans. Ce délai, destiné à garantir une certaine sécurité juridique, commence à courir à partir de la date de publication de l’acte de cession au registre foncier.

Cette publication rend la cession opposable aux tiers et présume la connaissance par les coïndivisaires (Cass. 1re civ., 5 mars 2014, n°12-28.348).

Cette exigence est susceptible de soulever une difficulté dans les cas où la cession a été effectuée en fraude des droits de préemption et où les indivisaires n’en prennent connaissance qu’après plusieurs années.

En effet, la loi ne prévoit aucun report du point de départ du délai en cas de découverte tardive de la fraude.

En tout état de cause, une fois le délai de cinq ans écoulé, l’action en nullité est définitivement irrecevable. Les indivisaires lésés ne disposent alors que d’une action éventuelle en responsabilité contre le notaire rédacteur, si celui-ci a omis de notifier correctement la cession.

B) Le droit de substitution

Le droit de substitution, consacré par l’article 815-15 du Code civil, offre aux coïndivisaires une faculté précieuse en cas de vente aux enchères de droits indivis.

Ce mécanisme vise à protéger l’indivision en permettant à l’un des indivisaires de se substituer à l’acquéreur après l’adjudication, moyennant le respect des conditions de la vente.

Distinct du droit de préemption, le droit de substitution s’exerce a posteriori et répond à une finalité similaire : éviter l’intrusion d’un tiers non souhaité dans l’indivision.

Ce dispositif, pensé pour préserver l’équilibre et la cohérence de cette situation juridique, incarne un subtil équilibre entre la protection des indivisaires et la liberté de disposer de sa quote-part.

1. Principe

Le droit de substitution, institué par l’article 815-15 du Code civil, répond à une limite inhérente au droit de préemption prévu à l’article 815-14 du même code. Ce dernier, en effet, ne s’applique qu’en cas de cession amiable des droits indivis d’un coïndivisaire.

Dans le cadre d’une vente aux enchères publiques, les conditions mêmes de l’adjudication – absence de connaissance préalable du prix et de l’identité de l’acquéreur – rendent impossible l’exercice d’un droit de préemption avant la réalisation de la vente.

C’est précisément pour pallier cette lacune et préserver l’objectif fondamental du droit de préemption que le législateur a institué le droit de substitution.

Celui-ci permet aux coïndivisaires de se substituer, a posteriori, à l’adjudicataire, moyennant le paiement du prix d’adjudication. Ce mécanisme, bien qu’intervenant après l’acte de cession, poursuit la même finalité que le droit de préemption : empêcher l’intrusion d’un tiers dans l’indivision.

A cet égard, le mécanisme du droit de substitution est particulièrement pertinent dans le contexte des ventes aux enchères, où les aléas inhérents à l’adjudication – notamment l’incertitude sur le prix et l’identité de l’acquéreur – renforcent le risque de fragmentation de l’indivision.

En instituant ce droit, le législateur a permis de prolonger les garanties offertes par le droit de préemption, tout en adaptant les règles au cadre spécifique des adjudications. Le droit de substitution répond ainsi à une exigence d’équité, en alignant les protections offertes aux coïndivisaires, quel que soit le mode de cession, amiable ou judiciaire.

Enfin, en empêchant l’entrée non désirée d’un tiers dans l’indivision, ce droit contribue également à maintenir la cohésion économique et juridique de la communauté indivisaire, préservant ainsi l’intérêt collectif de ses membres.

2. Domaine

Le droit de substitution, prévu par l’article 815-15 du Code civil, a un champ d’application limité mais essentiel pour préserver la stabilité de l’indivision face au risque d’intrusion d’un tiers.

Ce mécanisme vise spécifiquement les adjudications portant sur les droits indivis d’un coïndivisaire, et non sur les biens indivis eux-mêmes.

a. Adjudication de droits indivis

Le droit de substitution s’applique exclusivement lorsque l’adjudication porte sur tout ou partie des droits indivis d’un coïndivisaire.

Cette restriction découle de la finalité même du dispositif : empêcher l’arrivée d’un tiers dans l’indivision.

Dans un arrêt du 14 février 1989, la Cour de cassation a fermement rappelé cette exigence, en affirmant que « l’article 815-15 du Code civil ne pouvait être appliqué qu’en cas d’adjudication portant sur les droits d’un indivisaire dans les biens indivis et non sur les biens indivis eux-mêmes » (Cass. 1ère civ., 14 févr. 1989, n°87-14.392).

En pratique, cette situation est rare, notamment parce que les créanciers personnels d’un indivisaire ne peuvent saisir ses droits indivis (art. 815-17 C. civ.).

Cependant, elle peut survenir dans certains cas exceptionnels, comme une licitation préalable de la quote-part indivise d’un indivisaire décédé, laissant plusieurs héritiers.

Dans ce cadre, le droit de substitution permet aux coïndivisaires de racheter ces droits et d’éviter l’entrée d’un étranger dans l’indivision.

b. Adjudication d’un bien indivis

Lorsque l’adjudication concerne un bien indivis dans son ensemble, le droit de substitution ne s’applique pas.

Cette limitation se comprend aisément : la vente d’un bien indivis met fin à l’indivision sur ce bien, supprimant ainsi tout risque d’intrusion d’un tiers dans la communauté indivisaire.

La Cour de cassation a confirmé cette règle, en soulignant dans un arrêt du 30 juin 1992 que « si les articles 815-14 et 815-15 du Code civil confèrent à un indivisaire un droit de préemption ou de substitution suivant qu’il y a cession amiable ou licitation de droits indivis par un coïndivisaire, ces textes ne sont applicables, l’un et l’autre, que dans la mesure où l’opération porte sur des droits dans un ou plusieurs biens indivis, et non sur les biens indivis eux-mêmes » (Cass. 1ère civ., 30 juin 1992, n°90-19.052).

Il en résulte que, dans ce cas, les indivisaires ne peuvent pas exercer droit de substitution. L’indivision prenant fin sur le bien vendu, aucune justification ne permettrait de leur reconnaître une telle faculté.

Si la loi n’accorde aucun droit de substitution en cas d’adjudication d’un bien indivis, les parties peuvent toutefois prévoir une telle faculté par voie conventionnelle.

Une clause stipulée dans le cahier des charges de la vente peut ainsi accorder aux coïndivisaires un droit de substitution, à condition que cette stipulation soit clairement formulée et respecte les exigences légales.

La Cour de cassation a validé cette possibilité dans un arrêt du 3 ami 1989 en affirmant qu’aucune règle d’ordre public ne s’y oppose (Cass. 3e civ., 3 mai 1989, n°87-17.094).

Dans cette affaire, un indivisaire avait exercé son droit de substitution après une adjudication sur licitation. L’adjudicataire contestait la validité de la clause en avançant que l’article 815-15 du Code civil n’était pas applicable à la vente du bien indivis en totalité. Toutefois, la Haute juridiction a jugé que la clause, bien que reposant sur une base conventionnelle et non légale, n’avait ni un objet, ni une cause illicite, et qu’aucune disposition impérative ne l’interdisait.

Ce droit de substitution, de nature conventionnelle, se distingue du droit légal prévu par l’article 815-15 du Code civil. Il est soumis aux modalités définies par le l’acte qui l’institue. Ainsi, cet acte peut, par exemple, imposer une consignation préalable des fonds nécessaires à l’exercice de la substitution. La Cour de cassation a rappelé dans un autre arrêt que le non-respect d’une telle condition entraîne la nullité de la déclaration de substitution (Cass. 1re civ., 13 janv. 1993, n°91-13.851).

La rédaction de ces clauses requiert une vigilance particulière. Elles doivent éviter toute ambiguïté, notamment lorsque l’adjudicataire est lui-même un indivisaire. La Troisième chambre civile a précisé que la clause ne saurait empêcher un indivisaire adjudicataire d’acquérir le bien à titre exclusif, en l’absence d’une stipulation explicite dans ce sens (Cass. 3e civ., 17 nov. 2010, n°09-68.013).

3. Mise en œuvre

a. Notification préalable

L’article 815-15 du Code civil prévoit que, dans le cadre d’une adjudication portant sur des droits indivis, « l’avocat ou le notaire doit en informer les indivisaires par notification un mois avant la vente ».

Cette exigence légale, essentielle à la mise en œuvre du droit de substitution, impose aux professionnels en charge de l’adjudication de transmettre aux coïndivisaires les informations nécessaires leur permettant d’évaluer les conditions de la vente et, le cas échéant, d’organiser l’exercice de leur droit.

==>Contenu de la notification

La notification, qui doit intervenir au moins un mois avant la date prévue pour l’adjudication, constitue une étape indispensable pour garantir le respect des droits des indivisaires.

Elle doit comporter des éléments précis, parmi lesquels :

  • La désignation des droits mis en vente, afin de clarifier l’objet de l’adjudication.
  • La date, l’heure et le lieu de la vente, permettant aux indivisaires d’en anticiper le déroulement.
  • Les modalités de consultation du cahier des charges, document clé qui précise les conditions de l’adjudication et les éventuelles clauses spécifiques, telles que les garanties financières ou les obligations de consignation.

L’objectif principal de cette notification est de permettre aux indivisaires de prendre une décision éclairée sur l’opportunité d’exercer leur droit de substitution.

Ce mécanisme, qui s’apparente à un droit de retrait, offre aux coïndivisaires la possibilité de préserver la cohérence de l’indivision en se substituant à l’adjudicataire.

==>Formes de la notification

L’article 815-15 reste relativement souple quant à la forme que doit revêtir la notification.

Deux modes principaux sont admis :

  • La lettre recommandée avec accusé de réception, qui constitue une solution courante mais susceptible de présenter des lacunes, notamment en cas de non-réclamation de la lettre par le destinataire.
  • L’acte extrajudiciaire, solution plus coûteuse mais fortement recommandée pour garantir une sécurité accrue. En effet, ce mode permet de s’assurer que la notification est bien délivrée et que les délais imposés par la loi sont respectés, réduisant ainsi les risques de contentieux.

Lorsque l’adresse des indivisaires n’est pas connue ou qu’un doute subsiste quant à la réception de la notification, le recours à un Commissaire de justice est vivement conseillé. Ce choix limite les risques d’annulation de la vente pour irrégularité de la procédure et renforce la sécurité juridique de l’opération.

==>Sanction

Le non-respect des formalités de notification peut avoir des répercussions importantes. Une notification tardive, incomplète ou omise expose le notaire ou l’avocat à une responsabilité professionnelle si un préjudice en découle.

Ce préjudice peut consister, par exemple, en une privation pour les indivisaires d’exercer leur droit de substitution ou en une perte d’opportunité de maintenir les droits indivis au sein de l’indivision.

En outre, une notification irrégulière ou inexistante pourrait entraîner la nullité de l’adjudication, en application de l’article 815-16 du Code civil, qui sanctionne par la nullité les ventes réalisées en violation des règles prévues par l’article 815-15.

Cette nullité, bien que relative, peut être invoquée par tout indivisaire ou ses héritiers dans un délai de cinq ans à compter de la publication de l’adjudication.

b. Exercice du droit de substitution

L’exercice du droit de substitution, prévu à l’article 815-15 du Code civil, offre aux indivisaires une opportunité unique de se substituer à l’adjudicataire après la réalisation de la vente aux enchères.

Ce mécanisme, qui repose sur un droit de retrait, s’accompagne de formalités strictes et d’un encadrement juridique précis.

==>Formalités de la déclaration de substitution

Une fois l’adjudication réalisée, chaque indivisaire dispose d’un délai d’un mois pour déclarer sa volonté de se substituer à l’adjudicataire.

Cette déclaration, qui peut être effectuée auprès du greffe (en cas d’adjudication judiciaire) ou auprès du notaire (pour une adjudication amiable), doit impérativement être consignée de manière à garantir sa sécurité juridique.

Deux moyens permettent de donner date certaine à cette déclaration :

  • L’acte authentique, dressé par le notaire ou le greffe, qui constitue une preuve irréfutable de la déclaration.
  • L’acte d’un commissaire de justice, solution recommandée pour prévenir tout litige concernant la date de l’exercice du droit.

Le texte ne fixe pas de formalisme particulier, mais il est essentiel que la déclaration soit datée de manière incontestable afin de respecter les exigences légales.

==>Calcul du délai de substitution

Le délai d’un mois imparti pour exercer le droit de substitution court de quantième à quantième, à compter du jour de l’adjudication, conformément aux dispositions de l’article 640 du Code de procédure civile.

Par exemple, si l’adjudication a lieu le 15 mars, le délai expire le 15 avril. Toute déclaration effectuée après ce délai est considérée comme tardive et n’a aucun effet juridique, l’adjudicataire initial conservant alors la qualité d’acquéreur.

==>Cas particulier des déclarations multiples

Lorsque plusieurs indivisaires exercent leur droit de substitution dans le délai légal prévu par l’article 815-15 du Code civil, des conflits peuvent surgir quant à l’attribution du bien mis en adjudication. La jurisprudence a opté pour une application stricte du principe « prior tempore, potior jure », selon lequel le premier indivisaire à déclarer sa substitution est privilégié.

Dans un arrêt du 7 octobre 1997, la Cour de cassation a confirmé que la priorité devait être accordée à l’indivisaire ayant exercé son droit de substitution en premier, même si d’autres indivisaires manifestaient leur intention dans le délai légal (Cass. 1re civ., 7 oct. 1997, n° 95-17.071). Dans cette affaire, plusieurs indivisaires avaient successivement déclaré leur substitution. La Haute juridiction a considéré que seuls les premiers déclarants pouvaient être substitués à l’adjudicataire initial, rejetant ainsi la demande des indivisaires ayant déclaré leur substitution ultérieurement.

Cette solution repose sur l’idée que la substitution agit comme un retrait qui anéantit rétroactivement l’acquisition de l’adjudicataire initial. Elle implique nécessairement qu’un seul indivisaire ou un groupe d’indivisaires coordonnés puisse être substitué pour une même adjudication.

Il est important de souligner que l’arrêt précité portait sur une clause stipulée dans un cahier des charges et non sur l’application directe de l’article 815-15 du Code civil. La Cour de cassation n’a pas explicitement étendu ce principe à toutes les hypothèses relevant de cet article. Par conséquent, un doute subsiste quant à l’applicabilité générale de la règle de priorité temporelle en l’absence de stipulations spécifiques dans le cahier des charges.

Pour éviter les litiges, il est fortement recommandé d’anticiper ces éventualités dans le cahier des charges de l’adjudication. Plusieurs solutions pratiques peuvent être envisagées :

  • Une clause peut stipuler que les indivisaires souhaitant exercer leur droit de substitution doivent se coordonner avant toute déclaration. Cette démarche permet d’éviter des déclarations concurrentes et d’assurer une répartition consensuelle des droits.
  • Une clause peut encore prévoir que, si plusieurs indivisaires exercent leur droit, ils acquièrent ensemble les droits mis en adjudication, en proportion de leur part dans l’indivision. Cette solution, inspirée du droit de préemption, garantit une continuité de l’indivision tout en respectant l’égalité entre coïndivisaires.
  • Enfin, il est possible de préciser dans le cahier des charges que la priorité sera accordée à l’indivisaire ayant respecté certaines conditions objectives (par exemple, consignation préalable des fonds ou dépôt d’une déclaration plus détaillée).

Une fois la substitution validée en faveur du premier déclarant ou d’un groupe d’indivisaires, le transfert de propriété est effectif, et les autres indivisaires ne peuvent plus revendiquer un droit sur les parts adjugées. Toutefois, si des contestations persistent, le juge pourrait être saisi pour statuer sur la validité des clauses du cahier des charges ou des déclarations de substitution.

c. Effets de la substitution

L’exercice du droit de substitution, tel que prévu par l’article 815-15 du Code civil, emporte plusieurs effets.

La substitution opère un remplacement rétroactif de l’adjudicataire par l’indivisaire déclarant. Ce dernier se voit investi de tous les droits attachés à l’acquisition des parts indivises, comme s’il avait lui-même participé à l’adjudication et remporté l’enchère. La rétroactivité de cet effet garantit qu’aucune mutation intermédiaire n’intervient, simplifiant ainsi les implications juridiques et fiscales de l’opération.

L’indivisaire substitué devient immédiatement propriétaire des droits indivis aux mêmes conditions que celles de l’adjudication.

Ce transfert de droits inclut :

  • Le respect du prix d’adjudication.
  • L’acceptation des clauses définies dans le cahier des charges, qui fixent les modalités financières et contractuelles de l’acquisition.

Ce transfert s’effectue sans modification des termes de la vente, assurant ainsi une parfaite transparence et sécurité juridique pour l’ensemble des parties concernées.

Par ailleurs, les clauses financières prévues dans le cahier des charges de la vente trouvent également à s’appliquer à l’indivisaire substitué.

Parmi ces clauses figurent fréquemment :

  • La consignation préalable des fonds : l’indivisaire doit justifier qu’il dispose des montants nécessaires à l’acquisition avant que la substitution ne prenne effet. Cette condition garantit que la substitution ne met pas en péril la finalisation de l’opération.
  • Les garanties éventuelles : si le cahier des charges exige des garanties (par exemple, une caution bancaire ou un dépôt de garantie), celles-ci doivent être fournies par l’indivisaire substitué dans les délais impartis.

En cas de non-respect de ces exigences, la substitution peut être contestée, voire annulée, laissant l’adjudicataire initial dans sa position d’acquéreur.

La substitution opérée dans le cadre du droit de retrait se traduit par une mutation unique.

Cela emporte plusieurs conséquences :

  • Fiscalité simplifiée : l’indivisaire substitué est considéré comme l’acquéreur unique, ce qui évite une double taxation ou des calculs complexes liés à des mutations intermédiaires.
  • Opposabilité immédiate : les tiers, y compris les créanciers et les administrations, peuvent immédiatement considérer l’indivisaire substitué comme propriétaire, une fois la substitution formalisée.

Enfin, la substitution protège l’intégrité de l’indivision en écartant l’intrusion d’un tiers non souhaité.

L’indivisaire substitué reprend sa place dans l’indivision sans altérer la répartition des droits ou les relations entre coïndivisaires. Ce mécanisme renforce ainsi la cohésion et la stabilité de l’indivision, tout en évitant des conflits potentiels avec un adjudicataire extérieur.

d. Sanctions

==>Nullité

L’article 815-16 du Code civil prévoit que toute violation des règles encadrant le droit de substitution fixé à l’article 815-15 est sanctionnée par la nullité de l’adjudication.

Plusieurs situations peuvent donner lieu à une nullité de l’adjudication, en raison de la violation des droits des indivisaires bénéficiaires :

  • Absence de notification préalable
    • L’article 815-15 impose une notification formelle aux indivisaires, un mois avant l’adjudication, effectuée par un avocat (adjudication judiciaire) ou un notaire (adjudication amiable).
    • Si cette notification est omise ou irrégulière (par exemple, absence de preuve de la réception), les indivisaires sont privés de l’information nécessaire pour organiser leur éventuelle substitution, ce qui justifie l’annulation de l’adjudication.
  • Violation des délais de substitution
    • Le délai légal d’un mois pour exercer le droit de substitution est impératif.
    • Toute déclaration faite en dehors de ce délai est sans effet.
    • Si, malgré cette irrégularité, un indivisaire tardif est substitué à l’adjudicataire, l’adjudication peut être frappée de nullité.
  • Omission des droits de substitution dans le cahier des charges
    • L’article 815-15 exige que le cahier des conditions de vente mentionne expressément les droits de substitution.
    • Si cette mention est absente, les indivisaires ne disposent pas des informations nécessaires pour évaluer leur position, compromettant leur droit de substitution.
    • Cette omission peut entraîner non seulement la nullité de l’adjudication, mais aussi la responsabilité professionnelle du notaire ou de l’avocat rédacteur.

==>Nature de la nullité

La nullité prévue par l’article 815-16 est relative, ce qui signifie qu’elle ne peut être invoquée que par les indivisaires lésés ou leurs héritiers.

Cette particularité reflète la volonté du législateur de protéger les intérêts spécifiques des indivisaires tout en évitant de compromettre la stabilité des adjudications au détriment des tiers.

Contrairement à une nullité absolue, qui pourrait être soulevée par tout intéressé, la nullité relative est limitée à ceux dont les droits sont directement affectés.

Elle constitue ainsi un moyen de préserver l’équilibre entre la protection des indivisaires et la sécurité juridique des transactions.

==>Prescription de l’action en nullité

L’action en nullité est soumise à un délai de prescription de cinq ans, qui commence à courir à compter de la publication de l’adjudication aux services de publicité foncière.

==>Responsabilité

Outre la nullité, les professionnels en charge de l’adjudication (avocats ou notaires) peuvent voir leur responsabilité professionnelle engagée si leur manquement a causé un préjudice.

Cela peut inclure :

  • L’absence ou l’irrégularité de la notification préalable.
  • La rédaction défaillante du cahier des charges, omettant les mentions obligatoires.
  • Une négligence dans le contrôle des délais ou des formalités.

Si ces fautes privent les indivisaires de leur droit de substitution ou entraînent une nullité, les professionnels concernés peuvent être tenus de réparer les dommages subis.

==>Conséquences de la nullité

En cas d’annulation de l’adjudication, les droits adjugés retrouvent leur situation antérieure à la vente.

Cette rétroactivité peut engendrer des complications pratiques, notamment si l’adjudicataire a entrepris des démarches sur le bien acquis ou s’il a cédé ses droits à un tiers.

Ces situations peuvent donner lieu à des contentieux supplémentaires, accentuant la nécessité de respecter scrupuleusement les règles encadrant le droit de substitution.

La constitution de sûretés sur des droits indivis: régime

La constitution de sûretés sur une quote-part indivise permet à chaque indivisaire de garantir ses engagements en valorisant ses droits. Qu’il s’agisse d’une hypothèque ou d’un nantissement, ces opérations, encadrées par la loi, doivent respecter les règles de l’indivision et préserver les intérêts des coïndivisaires.

1. L’inscription d’une hypothèque sur une quote-part indivise

Avant la réforme entreprise par la loi du 31 décembre 1976, la jurisprudence avait déjà admis la possibilité pour un indivisaire de constituer une hypothèque sur sa quote-part indivise lorsque les biens indivis comprenaient des immeubles (Cass. Req., 26 mars 1907).

Ce principe a été consacré par la loi du 31 décembre 1976 et trouve aujourd’hui son fondement dans l’article 2412, alinéa 2, du Code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 23 mars 2006 et recodifié par l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021 réformant les sûretés.

Cette disposition prévoit toutefois que l’hypothèque consentie sur une quote-part indivise demeure conditionnelle. Elle ne devient effective que si, lors du partage, le bien hypothéqué est attribué à l’indivisaire constituant.

En cas d’attribution, l’hypothèque s’étend à l’ensemble des droits obtenus dans le partage, et non seulement à la quote-part initialement visée.

Malgré cette possibilité, l’hypothèque portant sur une quote-part indivise reste peu utilisée en pratique. Son efficacité est étroitement liée au résultat du partage. Si le bien hypothéqué est attribué à un autre indivisaire, l’hypothèque devient inopérante. Cette incertitude dissuade souvent les créanciers, qui privilégient des garanties plus sécurisées.

Par ailleurs, le créancier souhaitant garantir sa créance par une hypothèque sur une quote-part indivise doit être vigilant quant à la publicité de la sûreté, tout comme il doit s’assurer qu’aucune opposition au partage n’a été formulée, ce qui pourrait entraver l’efficacité de l’hypothèque.

2. L’inscription d’un nantissement sur une quote-part indivise

Depuis la réforme des sûretés entreprise par la loi du 23 mars 2006 qui a notamment modifié la classification des sûretés réelles mobilières, il est admis que les droits indivis de nature incorporelle, tels que la quote-part indivise détenue dans une créance ou dans un droit de propriété intellectuelle, peuvent faire l’objet d’un nantissement en garantie d’une dette.

Cette faculté résulte du principe de libre disposition des droits indivis, qui permet à chaque indivisaire de constituer un nantissement sur sa part, sans nécessiter l’accord des autres indivisaires, dès lors que les formalités légales de publicité sont respectées.

Toutefois, lorsque le nantissement vise l’intégralité d’un bien incorporel indivis, l’accord unanime des indivisaires reste requis.

Cette exigence découle du principe selon lequel les actes de disposition affectant l’ensemble de l’indivision doivent être approuvés collectivement, afin de préserver l’équilibre des droits de chacun.

Ainsi, par exemple, le nantissement d’un brevet indivis ne saurait être valablement constitué sans l’aval de l’ensemble des coindivisaires.

La cession de droits indivis: régime

Chaque indivisaire, en sa qualité de propriétaire exclusif de sa quote-part indivise, dispose du droit fondamental d’en disposer librement.

Cette prérogative, ancrée dans le principe de la propriété individuelle au sein de l’indivision, ouvre la possibilité d’effectuer des cessions portant sur tout ou partie de ces droits.

Ces opérations, qu’elles interviennent à titre onéreux ou gratuit, traduisent l’exercice d’une liberté essentielle, permettant à l’indivisaire de se retirer de l’indivision ou de redistribuer ses droits.

Toutefois, si cette liberté constitue un corollaire naturel de la propriété, elle s’inscrit dans un cadre juridique particulier visant à préserver les équilibres de l’indivision et les intérêts des coïndivisaires.

La cession de droits indivis peut ainsi entraîner des modifications dans la composition de l’indivision, tout en préservant les droits des autres indivisaires, notamment grâce à des mécanismes tels que le droit de préemption.

1. Principe

a. Énoncé du principe

Il est admis de longue date que, à l’instar de n’importe quel propriétaire, les titulaires de droits indivis ont la faculté de céder librement leurs droits indivis.

Dans un arrêt du 4 octobre 2005, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « chacun d’eux peut librement disposer de sa quote-part de droits sur un bien indivis » (Cass. 1ère civ., 4 oct. 2005, n°03-12.697).

Cette liberté de disposition s’exerce de manière absolue sur la quote-part indivise, qu’elle soit cédée à titre onéreux, par le biais d’une vente ou d’un échange, ou à titre gratuit, au moyen d’une donation ou d’un legs.

Le principe de libre disposition des droits indivis rappelle que l’indivisaire appartient à la catégorie des propriétaires et qu’à ce titre, il bénéficie des prérogatives attachées au droit de propriété. Cette qualité lui confère une autonomie et une indépendance qui s’inscrivent dans le prolongement des droits exclusifs qu’il détient sur sa quote-part indivise.

Même dans le cadre d’une indivision, qui repose par nature sur une gestion collective, chaque indivisaire conserve une maîtrise pleine et entière sur sa part abstraite, lui permettant de disposer librement de celle-ci, que ce soit par une cession, une donation ou encore un legs.

Cette faculté de céder ses droits indivis offre à l’indivisaire une alternative précieuse à la demande de partage lorsqu’il souhaite se désengager de l’indivision. Plutôt que d’initier une procédure de partage, qui peut s’avérer longue et conflictuelle, la cession permet une sortie plus souple et individualisée de l’indivision.

Par ailleurs, cet acte n’est pas seulement un moyen de se libérer de l’indivision : il constitue également un outil stratégique au service d’objectifs patrimoniaux diversifiés, tels que la valorisation de ses droits indivis ou encore la réorganisation des rapports entre coindivisaires.

b. Domaine du principe

==>Principe

Le principe de libre disposition des droits indivis s’étend à l’ensemble des formes d’indivision, qu’elles soient successorales, conventionnelles ou post-communautaires.

Dans ces configurations, chaque indivisaire dispose pleinement de sa quote-part et peut en décider du sort sans avoir à solliciter l’accord des autres indivisaires.

En pratique, cette liberté jouera, par exemple, dans le cadre d’indivisions successorales, où chaque héritier peut céder ses droits successoraux, ou encore aux indivisions conventionnelles créées par un accord entre les parties pour gérer en commun un bien indivis.

==>Tempérament

La liberté de disposition des droits indivis connaît une limite pour le cas des indivisions forcées et perpétuelles, soient celles portant sur des biens affectés à un usage collectif ou indispensable à la desserte de plusieurs fonds.

Ces indivisions, en raison de leur nature, ne peuvent être cédées ou partagées que dans le respect de conditions très strictes.

En effet, les indivisions forcées, telles que les cours communes, allées ou chemins d’accès, sont généralement créées par nécessité. Plus précisément, elles sont établies aux fins d’assurer l’exploitation ou l’usage commun des fonds voisins.

Aussi, la Cour de cassation a-t-elle jugé que ces indivisions constituaient un état « normal et perpétuel » auquel il ne pouvait être mis fin sans l’accord unanime des coindivisaires (Cass. 3e civ., 12 mars 1969).

Le partage ou la cession de ces biens indivis, s’il était autorisé unilatéralement, compromettrait leur destination et leur usage collectif, entraînant des déséquilibres pour les fonds qui en dépendent.

Par conséquent, ces indivisions relèvent d’un régime dérogatoire qui exige, dans tous les cas, l’unanimité des indivisaires pour toute modification substantielle de leur statut.

2. Régime

Le régime de la cession de droits indivis diffère selon que le cessionnaire est un indivisaire ou un tiers.

En effet, lorsqu’elle est consentie à un coindivisaire, la cession présente la particularité de produire un effet déclaratif, ce qui n’est pas sans la rapprocher d’une opération de partage, notamment en ce qui concerne intéresse les rapports entre indivisaires.

En revanche, lorsqu’elle est effectuée en faveur d’un tiers, elle est soumise à des règles distinctes, notamment en raison de la reconnaissance d’un droit de préemption ou de substitution à la faveur des autres indivisaires.

a. La cession de droits indivis à un indivisaire

i. L’effet déclaratif attaché à la cession

Avant la réforme opérée par la loi du 31 décembre 1976, la cession de droits indivis à un coindivisaire était assimilée à une vente classique. Elle était alors soumise au droit commun des obligations.

Cette approche faisait toutefois fi des spécificités de l’indivision, en particulier de sa nature collective et des mécanismes propres à la redistribution des droits entre indivisaires.

La loi du 31 décembre 1976 est venue corriger cette lacune en rattachant la cession de droits indivis au profit d’un coindivisaire au régime du partage. Cette réforme a permis de conférer à la cession entre indivisaires un effet déclaratif, désormais consacré à l’article 883 du Code civil.

Dans sa rédaction actuelle, cette disposition précise qu’« il n’est pas distingué selon que l’acte fait cesser l’indivision en tout ou partie, à l’égard de certains biens ou de certains héritiers seulement ».

Il ressort de ce texte que l’effet déclaratif attaché à la cession de droits indivis entre coindivisaires s’applique sans distinction, que l’acte mette fin à l’indivision en totalité ou seulement en partie, qu’il concerne certains biens spécifiques ou qu’il n’implique qu’une partie des indivisaires.

Cette généralisation de l’effet déclaratif traduit la volonté du législateur de conférer à la cession entre indivisaires une nature juridique assimilable au partage, indépendamment de l’étendue des droits cédés ou de la composition des parties concernées.

Ainsi, lorsque l’un des indivisaires cède ses droits à un ou plusieurs coindivisaires, ces derniers sont réputés avoir toujours détenu les droits cédés depuis l’origine de l’indivision.

Cette fiction juridique permet de maintenir la continuité des droits et des obligations au sein de l’indivision, évitant toute rupture dans la chaîne de transmission patrimoniale.

Elle offre également une simplification des relations juridiques entre les coindivisaires, en éliminant les complications qui pourraient résulter d’un transfert de propriété soumis aux règles du droit commun des obligations.

Par exemple, si un indivisaire cède ses droits indivis sur un bien particulier à un autre indivisaire, la cession est considérée comme un partage partiel et produit un effet déclaratif.

Le cessionnaire est alors regardé comme ayant toujours été propriétaire de la quote-part cédée depuis l’ouverture de l’indivision. Cette situation présente l’avantage de limiter les risques de contestations ultérieures quant à la provenance des droits ou à leur consistance.

ii. L’application des règles du partage

==>L’assimilation de la cession de droits indivis à une opération de partage

La cession de droits indivis à un coindivisaire, en vertu de l’effet déclaratif qui lui est attaché, s’analyse donc en une opération de partage.

Pour mémoire, le partage, tel que défini par l’article 816 du Code civil, est l’opération par laquelle les indivisaires mettent fin à l’indivision en attribuant à chacun des lots correspondant à leurs droits.

En vertu de l’article 883, le partage « n’est point regardé comme une aliénation » et a un effet déclaratif, attribuant à chaque copartageant des biens ou droits réputés lui avoir toujours appartenu depuis l’origine de l’indivision.

Dans le cadre d’une cession de droits indivis entre coindivisaires, cet effet déclaratif s’applique pleinement, assimilant la cession à un partage partiel.

Il n’est pas nécessaire que l’opération mette fin à l’indivision dans sa totalité ; elle peut concerner un bien spécifique ou n’impliquer qu’un nombre limité d’indivisaires.

Par conséquent, les règles applicables au partage trouvent à s’appliquer, même lorsque l’indivision demeure pour les biens ou les indivisaires non concernés par l’opération.

==>Les conséquences de l’assimilation de la cession de droits indivis à une opération de partage

L’assimilation de la cession à un partage entraîne l’application des règles propres à cette institution :

  • L’effet déclaratif
    • Contrairement à une opération classique de transfert de propriété, la cession de droit indivis redistribue les droits au sein de l’indivision sans en modifier la consistance juridique.
    • En vertu de ce principe, les coindivisaires acquéreurs sont réputés avoir toujours détenu les droits cédés, comme s’ils en avaient été titulaires dès l’origine de l’indivision.
  • La protection contre la lésion
    • En vertu de l’article 889 du Code civil, les règles relatives à la lésion de plus du quart s’appliquent aux cessions assimilées à un partage.
    • Cette disposition permet à un indivisaire lésé de demander un complément de part, s’il prouve que la valeur des droits qu’il a cédés est inférieure d’un quart à leur valeur réelle.
  • L’opposabilité aux tiers
    • La cession de droits indivis reste opposable aux créanciers de l’indivisaire cédant, sous réserve des règles spécifiques de l’opposition au partage.
    • En principe, les créanciers conservent leur droit de gage sur la quote-part cédée, mais l’effet déclaratif limite leur capacité à contester l’opération.
    • Pour protéger leurs intérêts, les créanciers peuvent exercer une opposition au partage, conformément à l’article 882 du Code civil.
    • Cette procédure leur permet d’intervenir dans l’opération, soit pour contester la répartition des droits, soit pour exiger des garanties supplémentaires.
    • Toutefois, ils ne peuvent empêcher la cession, mais uniquement en demander l’aménagement pour tenir compte de leurs créances.
    • En outre, l’effet déclaratif, en modifiant rétroactivement la titularité des droits transmis, peut limiter les recours des créanciers sur les biens attribués aux autres indivisaires.
    • Ces derniers ne sont pas tenus des dettes personnelles du cédant, sauf stipulations contraires ou intervention explicite des créanciers dans le partage.

b. La cession de droits indivis à un tiers

i. La cession de droits indivis dans une universalité

La cession de droits indivis dans une universalité, qu’il s’agisse de l’ensemble des droits d’un indivisaire ou d’une fraction de ceux-ci, s’analyse en une vente.

Conformément au régime de cette opération contractuelle, la cession est parfaite dès lors qu’un accord sur la chose et le prix a été trouvé. Cependant, cette opération présente des spécificités propres au cadre de l’indivision.

En matière successorale, l’article 783 du Code civil établit un lien direct entre la cession de droits indivis et l’acceptation de la succession. Ainsi, une cession, qu’elle soit effectuée à titre onéreux ou gratuit, vaut acceptation pure et simple de la succession par le cédant.

En conséquence, le cessionnaire, qui remplace le cédant dans l’indivision, acquiert non seulement les droits patrimoniaux afférents, mais également la qualité d’indivisaire, ce qui lui confère notamment le droit de prendre part au partage des biens indivis (Cass. 1ère civ., 17 mai 1977, n°75-11.673).

Cependant, cette opération implique certaines précautions. Le cédant est tenu de garantir sa qualité d’héritier, faute de quoi le cessionnaire pourrait se retrouver privé des droits qu’il a acquis.

En outre, une vérification préalable de la consistance des droits cédés est essentielle, car les actifs réels obtenus lors du partage peuvent être inférieurs aux attentes théoriques, notamment en cas de passif important ou de droits grevés d’hypothèques.

Enfin, la cession dans une universalité reste soumise au devoir de conseil du notaire, qui doit éclairer le cessionnaire sur les risques potentiels, tels que la possibilité d’un partage défavorable ou d’une opposition exercée par un créancier du cédant.

ii. La cession de droits indivis dans un bien déterminé

==>Formalités

Lorsque la cession porte sur des droits indivis relatifs à un bien déterminé, l’article 815-14 du Code civil impose une notification préalable aux autres indivisaires par voie d’acte extrajudiciaire.

Cette formalité, qui doit mentionner le prix et les conditions de la cession projetée, est cruciale pour permettre aux coindivisaires d’exercer leur droit de préemption. Ce mécanisme vise à préserver l’intégrité de l’indivision en évitant l’intrusion d’un tiers non désiré.

==>Application du droit commun de la vente

En cas de cession droits indivis portant sur un bien déterminé, l’opération est régie par le droit commun de la vente. Le cessionnaire bénéficie donc des garanties légales attachées à ce contrat, notamment celles relatives à l’éviction et aux vices cachés.

Toutefois, cette soumission aux règles de la vente ne permet pas au cessionnaire de contourner les spécificités du régime de l’indivision.

==>Des prérogatives diminuées

Contrairement à un coindivisaire, le cessionnaire n’endosse pas automatiquement la qualité d’indivisaire dans toute son étendue. Il est privé de certains droits fondamentaux qui découlent de cette qualité, ce qui limite considérablement ses prérogatives dans le cadre de l’indivision :

  • Absence de droit au partage du bien indivis
    • Le cessionnaire ne peut pas provoquer le partage du bien dans lequel il détient des droits indivis.
    • Cette restriction découle de sa position extérieure à la structure initiale de l’indivision.
    • Par exemple, dans un arrêt du 17 octobre 1973 la Cour de cassation a clairement énoncé qu’un cessionnaire de droits indivis dans un bien déterminé ne pouvait pas exiger le partage de ce bien (Cass. 1ère civ.,17 oct. 1973, n°71-14.086).
    • Ce dernier ne détient pas la qualité nécessaire pour exercer un tel droit.
  • Absence de qualité pour solliciter l’attribution préférentielle
    • Le cessionnaire ne peut prétendre à une attribution préférentielle, un mécanisme réservé exclusivement aux coindivisaires.
    • Cette absence de qualité pour solliciter l’attribution préférentielle découle du fait que la cession ne lui confère qu’un droit limité sur la quote-part cédée, sans intégration pleine et entière dans l’indivision.

==>Les conséquences à l’égard des créanciers

La cession de droits indivis dans un bien déterminé a également des répercussions sur les créanciers du cédant. En principe, les créanciers conservent leur droit de gage sur la quote-part cédée. Cependant, l’opération reste opposable aux créanciers uniquement si elle respecte les règles imposées par le régime de l’indivision.

Les créanciers peuvent, par exemple, exercer une opposition au partage en vertu de l’article 882 du Code civil. Cette procédure leur permet d’intervenir dans l’opération pour préserver leurs droits sur les actifs concernés. Toutefois, ils ne peuvent pas empêcher la cession elle-même mais seulement demander son aménagement pour garantir le règlement de leurs créances.