Opérations de partage: la composition des lots

La constitution des lots constitue la première étape du partage effectif de la masse partageable. Elle consiste à regrouper les biens indivis en ensembles cohérents, appelés « lots », qui seront ensuite attribués à chaque indivisaire en fonction de ses droits. Cette opération est essentielle, car elle conditionne la répartition finale des biens et vise à garantir un partage équitable et équilibré.

Loin d’être une simple division matérielle des biens, la constitution des lots doit répondre à des principes fondamentaux, parmi lesquels le respect de l’égalité en valeur et le maintien des unités économiques. Le législateur et la jurisprudence imposent ainsi des règles précises encadrant cette opération, tout en laissant une certaine marge de manœuvre afin d’adapter le partage aux réalités économiques et humaines de chaque indivision.

Le processus de constitution des lots présente plusieurs enjeux essentiels :

  • La détermination du nombre de lots, qui dépend directement du mode de partage retenu. Selon les cas, le partage peut être réalisé par tête, lorsque chaque indivisaire reçoit une part égale, ou par souche, lorsque la répartition tient compte de branches familiales distinctes. Par ailleurs, il convient d’envisager le cas où les indivisaires ne disposent pas de droits égaux, ce qui impose une répartition spécifique.
  • La composition des lots, qui suppose de regrouper les biens de manière cohérente et équitable. Cette opération doit respecter les intérêts économiques des indivisaires tout en prenant en compte la nature des biens composant la masse partageable. 

Le partage en nature demeure, en principe, privilégié par le législateur, conformément à l’article 826 du Code civil, qui impose de rechercher autant que possible une attribution de biens en nature correspondant à la valeur des droits de chaque indivisaire. Toutefois, lorsque cette répartition s’avère impossible ou déséquilibrée, des alternatives au partage en nature doivent être envisagées (soultes, division de biens ou licitation en dernier recours).

Nous nous focaliserons ici sur la seconde étape du processus de constitution des lots: la composition des lots.

La composition des lots constitue une étape déterminante des opérations de partage. Elle vise à traduire, en unités cohérentes et équilibrées, les droits que chaque indivisaire détient sur la masse partageable. Cette opération, loin d’être purement arithmétique, exige une réflexion approfondie sur la valeur des biens, leur nature et leur vocation économique, afin de garantir un partage équitable et conforme aux intérêts de chacun.

§1: Modalités de composition des lots

La constitution des lots constitue une étape essentielle des opérations de partage, visant à assurer une répartition équitable des biens indivis, dans le strict respect des droits de chaque héritier. Selon la complexité de la masse à partager et les éventuels différends opposant les indivisaires, le Code de procédure civile prévoit, pour chaque procédure applicable, des modalités spécifiques encadrant la composition des lots.

La mise en œuvre de ces procédures mobilise tantôt l’intervention directe du tribunal judiciaire, tantôt celle d’un notaire commis par le juge, voire celle d’un expert désigné en cours d’instance. Si le rôle des différents acteurs varie selon la voie procédurale retenue, la finalité demeure la même : garantir la sécurité juridique des opérations tout en veillant à préserver les droits individuels de chaque indivisaire dans le cadre du partage.

==>Dans le cadre de la procédure simplifiée

Régie par les articles 1359 à 1363 du Code de procédure civile, la procédure simplifiée s’applique lorsque le partage ne soulève aucune difficulté majeure. Elle se prête particulièrement aux situations où la masse successorale est clairement définie et ne comporte ni biens complexes ni ne fait l’objet de différends entre les indivisaires.

Dans ce cadre, le tribunal judiciaire se voit confier un rôle central dans la constitution des lots, sans qu’il soit nécessaire de faire intervenir un notaire pour superviser les opérations. Conformément au premier alinéa de l’article 1361, le juge peut ordonner le partage des biens indivis ou, si le partage est impraticable, décider la vente par licitation lorsque les conditions prévues à l’article 1378 sont réunies.

Lorsque le tribunal opte pour le partage, il lui appartient d’évaluer la masse partageable et de déterminer la composition des lots en fonction des droits de chaque indivisaire. Le jugement rendu par le tribunal tient alors lieu d’acte de partage, formalisant ainsi la répartition des biens entre les héritiers. Ce mécanisme présente l’avantage d’offrir une solution rapide, alliant simplicité procédurale et sécurité juridique.

Dans les cas où la nature des biens exige une expertise spécifique, le juge peut s’adjoindre un expert, conformément à l’article 1362. Cette mesure facultative vise à garantir une évaluation précise des actifs à répartir, qu’il s’agisse de biens immobiliers, de meubles ou de droits incorporels. L’expert peut également proposer une répartition des lots en tenant compte de la valeur des biens et des droits des indivisaires. Cependant, dans les situations simples, le tribunal peut directement procéder à la composition des lots et au tirage au sort, sans recourir à une expertise particulière.

Le tirage au sort des lots, lorsqu’il est nécessaire, est réalisé devant le président du tribunal judiciaire ou son délégué. Cette opération permet de garantir une attribution impartiale des biens, tout en évitant tout soupçon de favoritisme ou de partialité dans la répartition.

Bien que prévue par le Code de procédure civile, cette procédure semble toutefois peu usitée dans la pratique, probablement en raison de la préférence des parties pour des solutions amiables ou des partages supervisés par un notaire. Comme le souligne Michel Grimaldi, la procédure simplifiée présente toutefois l’avantage d’être « rapide et peu formaliste », ce qui permet d’écarter des coûts et des délais supplémentaires liés à la désignation d’un notaire ou d’un expert.

En cas d’absence ou de défaillance d’un héritier, la continuité des opérations est garantie par la désignation d’un représentant à l’indivisaire défaillant. Cette désignation, effectuée par le président du tribunal judiciaire, peut intervenir d’office (art. 1363, al. 2 CPC). 

==>La composition des lots par tirage au sort sous la supervision d’un notaire

Lorsque les indivisaires s’entendent sur la composition des lots mais demeurent en désaccord quant à leur attribution, le Code de procédure civile instaure un mécanisme de tirage au sort, régi par l’article 1363, destiné à prévenir les blocages et à garantir une répartition impartiale. Ce mécanisme, qui repose sur le hasard, vise à écarter toute suspicion de favoritisme et à renforcer la sécurité juridique des opérations de partage.

Dans cette configuration, deux acteurs interviennent successivement : le tribunal judiciaire et le notaire désigné. En premier lieu, le tribunal forme la masse partageable, évalue les biens et compose les lots, le cas échéant avec l’assistance d’un expert, conformément aux articles 1361 et 1362. Ce n’est qu’après cette étape que le notaire entre en scène pour présider au tirage au sort des lots et dresser l’acte authentique constatant le partage.

Le rôle du notaire dans cette procédure est essentiellement formel et limité. Il ne participe ni à la liquidation des comptes ni à la constitution des lots, mais se borne à garantir la régularité du tirage au sort et à authentifier l’acte de partage. Comme le souligne Michel Grimaldi, « le notaire se trouve ici dans une posture d’instrumentation, n’intervenant qu’en bout de chaîne, une fois les lots constitués par le tribunal ». Ainsi, sa mission se distingue nettement de celle du notaire liquidateur dans les procédures complexes, où il est directement impliqué dans l’ensemble des opérations de partage.

Le tirage au sort peut avoir lieu devant le notaire commis par le tribunal ou, à défaut, devant le président du tribunal judiciaire ou son délégué. Cette faculté, prévue par l’article 1363, alinéa 1er, permet d’assurer la neutralité des opérations tout en évitant de mobiliser des ressources lorsque cela n’est pas indispensable.

En cas d’absence ou de défaillance d’un héritier, la continuité des opérations est garantie par la désignation d’un représentant à l’indivisaire défaillant. Cette désignation, effectuée par le président du tribunal judiciaire, peut intervenir d’office ou sur transmission du procès-verbal de carence établi par le notaire (art. 1363, al. 2 CPC). 

==>La composition des lots dans le cadre de la procédure longue sous la supervision d’un juge commis

Lorsque les opérations de partage présentent une complexité particulière ou que des désaccords profonds persistent entre les indivisaires, la procédure longue, encadrée par les articles 1364 à 1376 du Code de procédure civile, devient nécessaire. À la différence des procédures simplifiées, la procédure longue repose sur une organisation plus élaborée des rôles, où le tribunal judiciaire, le notaire liquidateur et le juge commis interviennent de manière coordonnée, chacun apportant sa contribution spécifique afin d’assurer une répartition équitable et sécurisée des biens indivis.

Le notaire liquidateur, désigné par le tribunal en l’absence d’accord entre les parties (art. 1364, al. 2 CPC), joue un rôle primordial dans la constitution des lots. Contrairement aux procédures simplifiées, où le tribunal est directement impliqué dans la composition des lots, ici, cette mission incombe au notaire. Celui-ci doit procéder à l’évaluation des biens, à la liquidation des comptes entre les indivisaires, et à l’établissement d’un projet d’état liquidatif, lequel fixe la composition des lots à attribuer.

Pour mener à bien cette mission, le notaire dispose de pouvoirs étendus. Il peut, en vertu de l’article 1365, convoquer les parties, demander la communication de toutes pièces utiles à la liquidation et, si nécessaire, solliciter l’intervention d’un expert pour évaluer les biens ou proposer une répartition équitable des lots. Cette expertise s’avère particulièrement utile lorsqu’il s’agit de biens complexes ou difficiles à estimer, tels que des immeubles, des parts sociales, ou encore des œuvres d’art.

Si des difficultés surgissent lors de la préparation du projet d’état liquidatif, le notaire peut s’en remettre au juge commis. Ce dernier, en tant que garant du bon déroulement de la procédure, a la faculté de prononcer des injonctions, de fixer des astreintes, voire de remplacer le notaire si celui-ci manque à ses obligations (art. 1371, al. 2 CPC).

La procédure longue comporte plusieurs étapes encadrées par le Code de procédure civile :

  • Convocation des parties et collecte des informations
    • Le notaire commence par convoquer les parties et recueillir les documents nécessaires à l’évaluation de la masse partageable.
    • Si des désaccords apparaissent quant à la valeur des biens ou à leur répartition, il peut recourir à un expert pour estimer les biens et proposer une composition des lots (art. 1365, al. 3 CPC).
  • Tentative de conciliation sous la supervision du juge commis
    • Avant de finaliser le projet d’état liquidatif, le notaire peut demander au juge commis d’organiser une tentative de conciliation en présence des parties.
    • Cette étape vise à réduire les points de litige et à favoriser un accord amiable sur la répartition des biens (art. 1366 CPC).
  • Élaboration du projet d’état liquidatif
    • Une fois les biens évalués et les comptes liquidés, le notaire établit un projet d’état liquidatif détaillant la composition des lots.
    • Ce document, clé de voûte de la procédure, précise la valeur des biens attribués à chaque indivisaire, en tenant compte de leurs droits respectifs dans la masse partageable (art. 1368 CPC). 
    • Si un expert a été désigné, c’est lui qui procède à l’évaluation des biens et à la composition des lots.
  • Transmission au juge commis et traitement des contestations
    • Le projet d’état liquidatif est ensuite transmis au juge commis, accompagné d’un procès-verbal de difficultés si les parties ont formulé des contestations.
    • Le juge commis peut alors tenter une nouvelle conciliation ou, en cas d’échec, soumettre les points litigieux au tribunal judiciaire (art. 1373 CPC).

Le tirage au sort des lots, lorsqu’il est nécessaire, peut avoir lieu soit devant le notaire, soit devant le juge commis ou son délégué. Si un héritier fait défaut, un représentant peut être désigné pour y assister, conformément aux dispositions de l’article 1376 du Code de procédure civile. Cette mesure vise à éviter que l’absence d’un indivisaire ne paralyse les opérations de partage.

Le tribunal judiciaire, après avoir examiné le projet d’état liquidatif et les éventuelles contestations des parties, peut soit homologuer l’état liquidatif et ordonner le tirage au sort des lots, soit renvoyer le notaire à ses travaux pour apporter les corrections nécessaires (art. 1375 CPC).

Le notaire dispose en principe d’un délai d’un an pour établir le projet d’état liquidatif (art. 1368 CPC). Ce délai peut toutefois être suspendu pour diverses raisons — expertises, tentatives de conciliation, désignation d’un représentant pour un héritier défaillant — ou prorogé d’une année supplémentaire en cas de complexité des opérations (art. 1370 CPC).

§2: Contenu des lots

Le partage des biens indivis doit répondre à une double exigence d’équité et de préservation économique. Si la priorité est donnée au partage en nature, il arrive que les circonstances rendent cette solution difficilement praticable. Le Code civil prévoit alors des mécanismes alternatifs permettant d’assurer une répartition juste entre les copartageants, tout en tenant compte des contraintes matérielles et économiques.

La démarche à suivre pour constituer les lots repose ainsi sur une logique progressive : il convient d’abord de rechercher si l’égalité entre les copartageants peut être atteinte par un partage en nature. En cas de difficulté, plusieurs alternatives s’offrent au juge ou aux parties, allant de l’ajustement par le biais de soultes jusqu’à la licitation des biens.

I) La recherche d’un partage en nature

Le partage en nature constitue historiquement la règle de principe en matière de répartition des biens indivis. Bien que la réforme opérée par la loi du 23 juin 2006 ait consacré le principe d’égalité en valeur à l’article 826 du Code civil, le partage en nature demeure la voie prioritaire qu’il y a lieu d’emprunter lorsqu’il peut être réalisé sans compromettre l’intégrité économique des biens. L’attribution à chaque copartageant d’une part en nature des biens indivis permet de garantir le respect des droits patrimoniaux de chacun et d’assurer une répartition concrète des actifs à partager.

La finalité du partage en nature est d’attribuer à chaque héritier un lot composé de biens matériels équivalant à ses droits dans l’indivision. Concrètement, cette répartition implique que chaque lot soit constitué d’une proportion comparable de biens meubles, immeubles, créances ou autres actifs de même nature. Par exemple, il ne saurait être question d’attribuer exclusivement des liquidités à un héritier et des biens immobiliers à un autre, sauf à porter atteinte à l’équilibre du partage. L’objectif est d’éviter une rupture d’égalité entre les copartageants.

Ainsi, un partage en nature rigoureusement équilibré pourrait se traduire par une répartition homogène des biens selon leur nature : chaque lot comprenant, par exemple, une part de terrains agricoles, une part de biens mobiliers et une part de liquidités. Cette approche permet d’assurer que chaque copartageant soit alloté de manière équitable, tant en valeur qu’en substance, préservant ainsi ses droits patrimoniaux de manière tangible.

A l’analyse, le partage en nature présente deux atouts majeurs :

  • D’une part, il favorise la sécurité juridique des opérations de partage en réduisant les aléas liés à l’évaluation des biens. En effet, les biens immobiliers, les titres financiers ou les objets d’art peuvent être soumis à des fluctuations de valeur parfois difficiles à anticiper. En attribuant directement une part matérielle à chaque héritier, le risque de contestations ultérieures est considérablement atténué.
  • D’autre part, le partage en nature favorise l’équilibre économique des opérations. Il évite que certains copartageants soient exclusivement alloties en liquidités, tandis que d’autres se voient attribuer des biens difficiles à liquider ou susceptibles de perdre de la valeur. Cette méthode de répartition assure une forme d’équité durable, car elle préserve les droits de chacun de manière concrète et immédiate.

Prenons un exemple pratique pour illustrer cette logique. Imaginons une succession comprenant deux appartements identiques situés dans un même immeuble. Il apparaît naturel et équitable d’attribuer un appartement à chacun des deux copartageants, évitant ainsi de recourir à une soulte ou à une vente. Une telle répartition permet d’assurer une égalité instantanée entre les parties, tout en évitant les frais et les délais qu’implique une procédure de licitation.

Dans une situation similaire, lorsque la masse partageable comprend des terrains agricoles de même qualité ou des actions d’une même société, il est tout aussi pertinent d’allouer à chaque héritier une fraction équivalente de ces biens. Cette approche garantit que chaque copartageant bénéficie d’une part concrète du patrimoine transmis, sans dépendre d’une évaluation incertaine ou d’une compensation monétaire qui pourrait, à terme, s’avérer inadaptée.

Toutefois, le partage en nature, bien qu’idéal dans certaines configurations, trouve sa limite dès lors que la division matérielle des biens risque d’en compromettre la valeur ou l’utilité économique. Il en est ainsi des biens indivis dont le fractionnement entraînerait une dépréciation significative ou rendrait leur exploitation impossible.

L’article 830 du Code civil invite précisément à éviter la division des unités économiques et autres ensembles patrimoniaux dont le morcellement pourrait porter préjudice à leur viabilité. Ce texte traduit la volonté du législateur de préserver la cohérence économique des patrimoines partagés, notamment lorsqu’il s’agit de biens tels que des exploitations agricoles, des fonds de commerce ou des immeubles à usage locatif.

La jurisprudence, fidèle à cette exigence, rappelle que le juge du partage dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation pour déterminer si un morcellement est approprié ou s’il constitue une atteinte à l’intégrité économique du bien concerné. Ainsi, dans un arrêt du 11 mai 2016, la Cour de cassation a validé la décision d’une cour d’appel ayant refusé la division matérielle d’un immeuble composé de deux appartements (Cass. 1ère civ., 11 mai 2016, n°15-18.993). Les juges avaient relevé que les installations communes des deux logements (chauffage, canalisations d’eau, installations électriques) rendaient leur séparation techniquement complexe et économiquement inopportune, en raison des coûts élevés de mise aux normes nécessaires pour assurer leur indépendance.

Dans cette affaire, le partage en nature aurait nécessité des travaux coûteux qui auraient compromis la rentabilité des biens. La solution retenue a donc été d’attribuer l’ensemble de l’immeuble à un seul héritier, moyennant le versement d’une soulte aux autres copartageants, afin de rétablir l’équilibre en valeur.

Cette jurisprudence illustre parfaitement la nécessité de préserver l’intégrité des biens lorsque leur division entraînerait une dévalorisation. Le partage en nature, bien qu’idéal dans certaines hypothèses, ne saurait être réalisé au mépris des réalités économiques. Le juge doit donc, dans chaque situation, rechercher l’option la plus adaptée pour garantir l’équilibre entre les parties tout en préservant la valeur des actifs.

La question du morcellement se pose avec une acuité particulière lorsqu’il s’agit de biens à vocation économique, tels que les exploitations agricoles. Le législateur a d’ailleurs prévu un mécanisme spécifique d’attribution préférentielle pour ces biens, permettant à un héritier exploitant de se voir attribuer l’ensemble de l’exploitation, afin d’en assurer la pérennité.

Prenons l’exemple d’une exploitation agricole composée de plusieurs parcelles de terres cultivables et de bâtiments d’exploitation. La division matérielle de cet ensemble pourrait compromettre sa viabilité, en raison de la nécessité de maintenir une cohérence fonctionnelle entre les différentes parcelles et infrastructures. Dans une telle situation, le partage en nature serait inopportun, car il nuirait à la rentabilité économique de l’exploitation. Il serait donc préférable d’attribuer l’ensemble à un seul héritier, moyennant une compensation financière versée aux autres copartageants.

Cette solution permet non seulement de préserver l’intégrité de l’exploitation, mais également d’éviter les pertes économiques qui découleraient d’un morcellement. Elle illustre la nécessité d’adopter une approche pragmatique dans les opérations de partage, en tenant compte des spécificités des biens indivis et des intérêts économiques en jeu.

II) Les alternatives au partage en nature

Lorsque le partage en nature s’avère impossible ou préjudiciable, trois solutions alternatives peuvent être envisagées : le recours à la soulte, la division des biens comme moindre mal, ou la licitation.

A) Première alternative : le recours à la soulte pour rétablir l’égalité en valeur

Lorsque les biens à partager présentent des disparités de valeur, l’égalité parfaite en nature devient une entreprise délicate, parfois même impossible à réaliser sans porter atteinte à l’intégrité des biens attribués. Afin de remédier à cette difficulté, le législateur a prévu un mécanisme correctif indispensable : la soulte.

Consacrée au quatrième alinéa de l’article 826 du Code civil, la soulte permet de compenser les écarts de valeur entre les lots attribués aux copartageants, tout en préservant la substance des biens indivis. Loin d’être une mesure accessoire, elle s’impose comme un véritable « levier d’équité » dans la recherche d’un partage équilibré, évitant ainsi de recourir à des solutions plus radicales, telles que la division matérielle des biens ou leur licitation.

Le principe d’égalité en valeur, énoncé par le Code civil, impose que chaque héritier reçoive un lot correspondant à ses droits dans l’indivision. Cependant, la nature des biens — immeubles, fonds de commerce, titres financiers ou encore objets d’art — ne permet pas toujours d’assurer une répartition parfaitement proportionnée. C’est précisément pour combler ces écarts que la soulte intervient, en permettant d’ajuster la valeur des lots par le versement d’une compensation financière.

La soulte offre ainsi une solution pragmatique et souple, conciliant les exigences d’égalité avec la préservation des unités économiques. Toutefois, son recours est strictement encadré par le législateur, afin de garantir qu’elle demeure proportionnée à l’écart réel entre les lots et qu’elle ne porte atteinte ni aux droits ni aux intérêts des copartageants.

==>Définition et nature de la soulte

La soulte est une somme d’argent destinée à compenser une inégalité de valeur entre les lots attribués aux copartageants dans le cadre d’un partage. Cette inégalité peut résulter de la nature des biens indivis, qui ne se prêtent pas toujours à une division en parts de valeur identique. Dès lors, la soulte permet de rétablir l’équilibre en valeur entre les lots, conformément au principe énoncé à l’article 826 du Code civil, selon lequel « l’égalité dans le partage est une égalité en valeur ».

  • Une créance indissociable du partage
    • La soulte ne peut voir le jour qu’au moment du partage.
    • Contrairement aux dettes qui précèdent le partage, la soulte naît exclusivement lors de l’opération de répartition des biens indivis. 
    • Michel Grimaldi insiste sur ce point en précisant que « la soulte ne peut naître que du partage lui-même, puisque c’est à cette date seulement que les biens sont évalués et que peut être alors constatée et mesurée l’inégalité qu’elle a pour objet de compenser ».
    • Cette nature spécifique de la soulte emporte plusieurs conséquences :
      • Première conséquence
        • La soulte ne peut être prévue à titre provisionnel avant le partage. 
        • Il est impossible d’anticiper son montant ou d’en exiger le paiement avant la réalisation effective du partage. 
        • Cette impossibilité découle du fait que l’inégalité qu’elle vise à compenser ne peut être constatée qu’une fois les biens indivis évalués et les lots constitués.
      • Seconde conséquence
        • La soulte est une créance liquidée au moment du partage.
        • Elle devient exigible dès que le partage est devenu définitif, sauf si les parties conviennent d’un délai de paiement. 
        • En cas d’accord, le paiement peut être différé, notamment pour tenir compte des contraintes financières du débiteur de la soulte.
  • Une créance distincte des dettes antérieures au partage
    • La soulte doit être clairement distinguée des dettes préexistantes à l’opération de partage.
    • Alors que les dettes antérieures concernent les rapports juridiques établis avant la dissolution de l’indivision, la soulte est exclusivement liée à la répartition des biens.
    • Comme le précise Philippe Malaurie, « la soulte constitue une dette nouvelle, née du partage, et non la prolongation d’une obligation antérieure. Sa finalité est d’assurer une stricte égalité en valeur entre les copartageants ».
    • À titre d’exemple, imaginons une masse successorale composée d’un bien immobilier unique d’une valeur de 500 000 euros, attribué à un seul héritier en raison de son caractère indivisible. 
    • Si cet héritier possède des droits successoraux limités à 300 000 euros, il devra verser une soulte de 200 000 euros aux autres copartageants afin de rétablir l’égalité en valeur.

==>Conditions de la soulte

La constitution d’une soulte répond à une finalité précise : rétablir l’égalité en valeur entre les copartageants lorsque la répartition en nature des biens indivis ne permet pas de respecter les droits de chacun. Ce mécanisme, loin d’être automatique, n’intervient que sous certaines conditions encadrées par le Code civil, notamment par l’article 826, alinéa 4, qui dispose que « si la consistance de la masse ne permet pas de former des lots d’égale valeur, leur inégalité se compense par une soulte ».

Cette règle traduit une volonté du législateur d’assurer une répartition juste et équitable entre les héritiers, tout en tenant compte des contraintes pratiques liées à la nature des biens indivis. Toutefois, la constitution d’une soulte ne doit pas être envisagée comme une solution systématique, mais plutôt comme un correctif exceptionnel destiné à garantir l’équilibre des opérations de partage.

En pratique, la soulte est principalement justifiée lorsque les biens indivis sont des actifs indivisibles ou difficiles à fractionner en lots de valeur équivalente. Cette situation se rencontre fréquemment dans les successions comprenant des biens immobiliers, des œuvres d’art, des entreprises familiales ou des terrains agricoles.

Prenons l’exemple d’un bien immobilier unique, tel qu’une maison d’une valeur de 400 000 euros. Si les héritiers sont trois, avec des droits successoraux différents — le père ayant droit à 1/4 de la masse et les deux frères à 3/8 chacun —, la répartition en nature se révélera complexe, voire impossible. La maison ne pouvant être divisée matériellement en plusieurs lots, le bien sera attribué à un seul copartageant, et une soulte sera versée aux autres pour compenser l’inégalité de valeur entre les lots.

Cet exemple illustre le caractère correctif de la soulte. Il est essentiel de rappeler que celle-ci n’intervient qu’en dernier recours, lorsqu’il est impossible de constituer des lots d’égale valeur en nature. Comme le souligne le professeur Philippe Malaurie, « le principe fondamental reste le partage en nature des biens indivis, la soulte n’étant qu’un mécanisme subsidiaire destiné à corriger les déséquilibres qui peuvent apparaître lors de la composition des lots ».

La soulte ne saurait être perçue comme une solution légale systématique. Son adoption suppose la démonstration d’une inégalité de valeur entre les lots attribués, laquelle ne peut être corrigée autrement que par le versement d’une compensation monétaire.

Le professeur Alain Sériaux insiste sur le caractère exceptionnel de ce mécanisme : « le partage en nature des biens entre tous les copartageants reste de principe. Les cas où une soulte est nécessaire doivent demeurer exceptionnels, afin de préserver l’intégrité des biens partagés et d’éviter leur morcellement excessif ».

Cette observation trouve une résonance particulière dans le contexte des successions comportant des biens patrimoniaux spécifiques. Par exemple, l’attribution préférentielle d’une entreprise familiale ou d’un fonds de commerce à l’un des héritiers peut nécessiter le versement d’une soulte aux autres copartageants. Toutefois, cette solution doit être encadrée pour éviter les effets pervers d’une « pulvérisation » du patrimoine, qui pourrait nuire à sa valeur économique globale.

L’article 826 du Code civil précise à cet égard que la soulte n’intervient que lorsque « la consistance de la masse ne permet pas de former des lots d’égale valeur ». Le législateur n’a donc pas entendu encourager une approche systématique du mécanisme, mais a plutôt cherché à en limiter l’usage aux situations où le partage en nature se révèle matériellement impossible ou économiquement inefficace.

L’objectif ultime de la constitution de soultes est d’assurer une stricte égalité en valeur entre les copartageants. Cependant, il convient de rappeler que cette égalité ne signifie pas nécessairement une répartition en nature parfaite. Comme le rappelle régulièrement la Cour de cassation, l’égalité dans le partage est une égalité en valeur et non en nature » (Cass. 1ère civ., 15 sept. 2021, n°19-24.014).

Le législateur a introduit ce principe pour concilier les exigences du droit de l’indivision avec les contraintes économiques et pratiques inhérentes au partage des biens indivis. L’objectif est de garantir une équité entre les copartageants, tout en évitant des situations de blocage ou des morcellements excessifs des biens partagés.

À titre d’exemple, une succession comprenant plusieurs biens de nature différente — un appartement, une collection d’œuvres d’art, et un portefeuille d’actions — pourrait conduire à une répartition inégale en valeur si l’un des héritiers reçoit le bien immobilier, tandis que les autres se voient attribuer des biens moins facilement monétisables. Dans ce cas, la soulte viendra compenser cet écart de valeur, afin que chaque copartageant reçoive un lot correspondant à ses droits dans l’indivision.

Bien que la soulte soit un outil précieux pour rétablir l’égalité en valeur, le principe prépondérant demeure le partage en nature. Le législateur et la jurisprudence veillent à préserver autant que possible l’intégrité des biens partagés, afin d’éviter leur dispersion ou leur liquidation forcée.

Comme le rappelle le professeur Catala, « le partage en nature des biens est la règle, car il permet de préserver la substance des patrimoines familiaux, tout en respectant les volontés des défunts et les intérêts des héritiers ».

Cependant, dans certaines situations, l’attribution préférentielle de certains biens à un héritier peut justifier le recours à une soulte. Par exemple, un héritier qui exploite déjà une exploitation agricole ou dirige une entreprise familiale peut se voir attribuer ce bien en priorité, afin d’assurer la continuité de son activité. Dans ce cas, le paiement d’une soulte aux autres héritiers permettra de compenser l’écart de valeur entre les lots, tout en respectant l’intérêt général de la famille.

==>Paiement de la soulte

Le paiement de la soulte constitue une étape essentielle des opérations de partage. Il intervient généralement au moment même de la répartition des biens indivis afin de rétablir l’égalité en valeur entre les lots attribués aux copartageants. 

Toutefois, la rigueur de ce principe connaît plusieurs aménagements, permettant d’adapter les modalités de paiement aux spécificités de la situation patrimoniale ou aux capacités financières du débiteur de la soulte. 

Ces aménagements visent à concilier les impératifs d’équité successorale avec les réalités économiques des héritiers.

  • Le paiement immédiat de la soulte
    • En principe, la soulte doit être payée au moment de la réalisation du partage, sous la supervision du notaire chargé d’instrumenter l’acte de partage. 
    • Ce paiement immédiat garantit une exécution complète et définitive des opérations de répartition, évitant ainsi toute contestation ultérieure.
    • Le paiement peut être effectué en numéraire, par le versement d’une somme d’argent équivalente à la différence de valeur entre les lots, ou sous la forme d’une compensation entre les lots. 
    • Cette dernière modalité de paiement peut être envisagée lorsque le débiteur de la soulte dispose d’un actif liquide ou d’un droit à percevoir une somme d’argent dans le cadre du partage. 
    • Par exemple, si un copartageant reçoit un bien immobilier excédant la valeur de ses droits dans l’indivision, il peut compenser cet excédent en renonçant à une créance incluse dans la masse partageable.
    • Cependant, il convient d’attirer l’attention sur les risques juridiques liés à un paiement effectué hors comptabilité notariale. 
    • Si le créancier de la soulte délivre une quittance indiquant que la somme a été réglée sans que le notaire en ait la preuve formelle, les règles strictes de la preuve par écrit s’imposeront en cas de litige. 
    • La Cour de cassation a ainsi rappelé que « l’allégation d’un aveu extrajudiciaire purement verbal est inutile toutes les fois qu’il s’agit d’une demande dont la preuve testimoniale ne serait point admissible » (Cass. 1ère civ., 9 mai 2019, n°18-10.885). Par cette décision, la Haute juridiction réaffirme le caractère probant de la quittance délivrée hors comptabilité notariale, tout en soulignant que seule une preuve écrite peut en contredire le contenu.
    • L’affaire soumise aux juges portait sur une donation-partage aux termes de laquelle l’une des héritières avait reçu un lot assorti d’une soulte à verser à ses cohéritiers. 
    • Ces derniers avaient initialement délivré une quittance reconnaissant avoir perçu les sommes dues hors comptabilité notariale, avant de se rétracter en alléguant que le paiement n’avait jamais été effectué.
    • Ils invoquaient à l’appui de leur demande un aveu extrajudiciaire verbal de leur sœur, reconnaissant le non-paiement des soultes. 
    • La Cour de cassation a censuré cette argumentation, jugeant qu’un tel aveu ne pouvait suffire à remettre en cause la quittance initiale, faute d’être corroboré par une preuve écrite conforme aux exigences légales.
    • Cette solution met en lumière l’importance d’une traçabilité rigoureuse des paiements dans le cadre des opérations de partage, en particulier lorsqu’une soulte est due.
    • Le paiement d’une soulte, bien qu’effectué hors comptabilité notariale, doit être constaté par des documents écrits. 
    • En pratique, il est fortement recommandé de formaliser le paiement dans l’acte de partage lui-même ou, à tout le moins, de conserver des preuves écrites telles qu’un reçu signé par le créancier ou une attestation de paiement délivrée par le notaire. Cette précaution permet d’éviter toute difficulté probatoire ultérieure et de prévenir les contestations portant sur la réalité du paiement.
    • En l’absence de preuve écrite, les créanciers d’une soulte s’exposent à des difficultés probatoires considérables, rendant toute revendication ultérieure particulièrement hasardeuse. 
    • La quittance initiale conserve alors toute sa valeur libératoire et protège efficacement le débiteur de la soulte contre les risques de remise en cause du partage.
    • L’arrêt du 9 mai 2019 incite ainsi les praticiens à une vigilance accrue lors de la formalisation des paiements intervenant dans le cadre d’un partage. 
    • À défaut d’une traçabilité suffisante, les créanciers pourraient se retrouver dans une situation irréversible, privés de tout recours en l’absence de preuve écrite admissible.
  • Le paiement différé de la soulte
    • Le législateur a prévu la possibilité d’aménager les modalités de paiement de la soulte, notamment en autorisant son paiement différé, afin de répondre aux réalités économiques des copartageants. 
    • Cette possibilité permet d’éviter une situation où le débiteur de la soulte, bien que propriétaire d’un lot de valeur, ne dispose pas immédiatement des liquidités nécessaires pour régler la somme due.
    • Cette faculté est particulièrement utile dans le cadre des donations-partages avec réserve d’usufruit, où un copartageant se voit attribuer un bien en nue-propriété, tandis que l’usufruit est conservé par le donateur jusqu’à son décès. 
    • Dans une telle configuration, il apparaît équitable que le paiement de la soulte soit différé jusqu’à la consolidation des droits de propriété complète, c’est-à-dire au décès de l’usufruitier.
    • L’article 828 du Code civil encadre cette faculté en permettant de prévoir un délai de paiement de la soulte, lequel peut être stipulé dans l’acte de partage avec l’accord de toutes les parties concernées.
    • À cet égard, un auteur souligne que « lorsque le débiteur de la soulte se trouve privé de la jouissance de son lot, parce qu’alloti en nue-propriété, il apparaît équitable de stipuler la soulte payable à terme, soit, en pratique, au décès du donateur ».
    • Imaginons une donation-partage effectuée par un parent au profit de ses trois enfants. L’actif indivis comprend une maison d’une valeur de 600 000 euros, attribuée à l’aîné en nue-propriété, tandis que le parent conserve l’usufruit jusqu’à son décès. Les deux autres enfants reçoivent des biens mobiliers d’une valeur totale de 400 000 euros. Afin de rétablir l’égalité en valeur entre les lots, l’aîné doit verser une soulte de 100 000 euros à ses frères et sœurs.
    • Toutefois, comme l’aîné ne dispose pas immédiatement des liquidités nécessaires, il est convenu que le paiement de la soulte interviendra au décès du parent usufruitier. 
    • Cette solution permet d’éviter une vente forcée du bien immobilier pour régler la soulte et garantit que le débiteur de la soulte pourra en disposer pleinement une fois son droit de propriété consolidé.
    • Cette possibilité d’aménagement du paiement de la soulte de façon différée a été rappelé à plusieurs reprise par la jurisprudence.
    • Par exemple, la Cour de cassation a jugé que la stipulation d’un délai de paiement n’affecte pas la nature juridique de la soulte, qui reste une créance née du partage, mais en adapte simplement l’exigibilité (Cass. 1ère civ., 30 nov. 1982, n°81-15.519).
      • Ella a ainsi cassé une décision d’appel qui avait annulé une donation-partage au motif qu’un des copartageants avait été alloté sous forme d’une soulte payable six mois après le décès du donateur.
      • Dans cette affaire, la Cour d’appel de Grenoble avait considéré qu’une soulte différée, non immédiatement exigible et non productive d’intérêts, ne pouvait être qualifiée de « bien présent », condition requise par l’article 1076 du Code civil pour les donations-partages. 
      • Cette analyse avait conduit les juges du fond à conclure que l’allotissement sous forme de soulte différée ne répondait pas aux exigences légales.
      • La Cour de cassation a censuré cette interprétation, rappelant que la soulte, même différée dans son paiement, constitue une créance certaine au bénéfice du copartageant auquel elle est attribuée. 
      • Elle a précisé que le fait de reporter l’exigibilité de la soulte à une date postérieure au partage – en l’espèce, six mois après le décès du donateur – n’affecte pas sa nature juridique de créance née du partage, mais constitue une simple adaptation des modalités de paiement. 
      • La Première chambre civile a également rappelé que la soulte pouvait, le cas échéant, être révisée en fonction des variations économiques, en application des dispositions des articles 833-1 et 1075-2 du Code civil.
      • Cette solution met en lumière la distinction qu’il y a lieu de faire entre la naissance de la créance, qui intervient au moment du partage, et son exigibilité, qui peut être différée par accord entre les parties ou en raison de circonstances particulières, notamment dans le cadre des donations-partages avec réserve d’usufruit. 
      • Comme l’a souligné le professeur Michel Grimaldi, « la soulte ne peut naître que du partage lui-même, mais son paiement peut être adapté aux circonstances, afin de garantir à chaque copartageant une répartition équilibrée des biens, tout en tenant compte des contraintes financières de chacun ».
      • Dans cette perspective, il est recommandé que les délais de paiement des soultes soient formalisés dans l’acte de partage afin de prévenir tout risque de contentieux ultérieur. 
      • La stipulation d’une attestation de paiement délivrée par le notaire ou la conservation d’une quittance signée par le créancier constitue une garantie supplémentaire pour le débiteur de la soulte. 
      • Cette formalisation est d’autant plus nécessaire que les paiements différés peuvent faire l’objet d’une révision en cas de variation significative de la valeur des biens indivis, comme le prévoit l’article 828 du Code civil.
      • L’arrêt du 30 novembre 1982 illustre ainsi la souplesse offerte par le législateur en matière de paiement des soultes, permettant de concilier les exigences d’une répartition équitable et les réalités économiques des copartageants.

==>Révision de la soulte

Le paiement différé d’une soulte n’est pas sans risque. Entre le moment du partage et celui du règlement effectif, des fluctuations économiques peuvent significativement affecter la valeur des biens attribués. Pour garantir une répartition équitable malgré ces variations, le législateur a prévu, à l’article 828 du Code civil, la possibilité de réviser le montant des soultes lorsque celles-ci sont payables à terme.

Cette révision vise à ajuster le montant de la soulte en fonction des évolutions du marché, qu’il s’agisse d’une hausse ou d’une baisse de la valeur des biens composant le lot du débiteur de la soulte. Ce mécanisme assure ainsi une forme de pérennité de l’équilibre économique du partage, en évitant que l’un des copartageants ne bénéficie, à terme, d’un avantage ou ne subisse un préjudice injustifié en raison des circonstances économiques.

La révision d’une soulte payable à terme n’est toutefois pas automatique. Elle n’est envisageable que si deux conditions cumulatives sont réunies :

  • Une variation de valeur de plus du quart
    • L’article 828 du Code civil exige que la valeur des biens attribués au débiteur de la soulte augmente ou diminue de plus de 25 % entre le jour du partage et celui du paiement effectif. 
    • Une variation moindre ne justifierait pas un réajustement, le législateur ayant institué ce seuil afin d’éviter des révisions systématiques.
  • Une variation imputable aux circonstances économiques
    • Seules les fluctuations de valeur résultant de facteurs économiques extérieurs sont prises en compte pour la révision de la soulte.
    • Les variations dues à l’activité personnelle du débiteur, telles que des travaux d’amélioration réalisés sur le bien ou une gestion particulièrement fructueuse d’un actif, ne peuvent être retenues.
    • Comme le souligne Pierre Catala, « seules les variations de valeur dues aux circonstances économiques peuvent justifier une révision de la soulte. Les variations résultant de l’activité personnelle du débiteur ne doivent pas être prises en compte ».
    • Cette exigence permet de préserver la logique du partage : les copartageants doivent bénéficier des évolutions économiques générales, mais ne peuvent réclamer une révision fondée sur des choix ou des actions individuelles du débiteur.

Lorsque les conditions de révision sont réunies, le montant de la soulte doit être ajusté proportionnellement à la variation de valeur du bien. Ce mécanisme s’applique aussi bien en cas d’augmentation que de diminution de la valeur des biens attribués.

Prenons un exemple concret pour illustrer ce mécanisme. Imaginons qu’un bien immobilier soit attribué à un copartageant pour une valeur de 400 000 euros, avec une soulte de 50 000 euros à verser dans les cinq ans. Si, à l’échéance, la valeur de ce bien a augmenté à 550 000 euros en raison de l’évolution du marché immobilier, le montant de la soulte devra être ajusté à la hausse afin de rétablir l’équilibre entre les copartageants. 

À l’inverse, si la valeur du bien diminue de manière significative pendant cette période, la soulte devra être révisée à la baisse, sauf clause contraire insérée dans l’acte de partage. Ce mécanisme vise à préserver l’équité successorale en tenant compte des évolutions économiques postérieures au partage.

Cette faculté de révision, introduite par la réforme de 2006, trouve son fondement dans des dispositions antérieures, notamment les anciens articles 833-1 et 1075-2 du Code civil. La très grande proximité des régimes anciens et actuels a conduit la jurisprudence à conserver la pertinence de ses décisions rendues sous l’empire du droit ancien. Ainsi, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 19 février 1980, que les dispositions prévoyant la révision de la soulte s’appliquent lorsque celle-ci est stipulée payable à terme. Dans cette affaire, une soulte devait être versée six mois après le décès des ascendants donateurs. La Cour a souligné que la révision permet de protéger le créancier de la soulte contre les risques économiques liés au report de son paiement (Cass. 1ère civ., 19 févr. 1980, n°78-14.927).

La jurisprudence a également précisé le domaine de la soulte révisable. Dans un arrêt du 30 novembre 1982, la Cour de cassation a validé une soulte attribuée à un donataire copartagé, sous la forme d’une créance certaine dont l’exigibilité était reportée à la date du décès du disposant. La Haute juridiction a rappelé que la nature juridique de la soulte reste inchangée, même si son paiement est différé. L’arrêt précise que la révision est possible dans ce cas, afin d’ajuster le montant de la soulte aux fluctuations économiques intervenues avant le paiement effectif (Cass. 1ère civ., 30 nov. 1982, n°81-15.519).

Plus récemment, dans un arrêt du 14 mai 2014, la Haute juridiction a étendu le domaine de la révision aux prix de licitation. Lorsqu’un bien indivis est attribué à un copartageant à l’issue d’une vente par licitation, le prix convenu est assimilé à une soulte. Si la valeur du bien évolue de plus du quart entre le moment de la licitation et le paiement du prix, celui-ci doit être ajusté en application des dispositions de l’article 828 du Code civil (Cass. 1ère civ., 14 mai 2014, n°13-10.830).

Cette jurisprudence démontre que le mécanisme de révision des soultes dépasse le cadre des simples partages successoraux pour s’étendre à d’autres situations patrimoniales, comme les donations-partages avec réserve d’usufruit ou les licitations. 

Toutefois, le champ d’application de la révision reste strictement encadré. Seules les fluctuations économiques intervenues avant l’échéance contractuelle peuvent justifier une révision. À cet égard, la Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt du 30 mars 2004, que la révision de la soulte payable à terme ne peut être envisagée que si la variation de la valeur des biens attribués au débiteur dépasse le quart entre la date du partage et celle de l’échéance prévue pour le paiement de la soulte (Cass. 1re civ., 30 mars 2004, n°01-14.542).

Dans cette affaire, un copartageant avait reçu plusieurs lots de copropriété moyennant le versement d’une soulte payable entre février et août 1988. N’ayant procédé qu’à un paiement partiel en 1990, le créancier a sollicité une revalorisation de la soulte sur le fondement de l’ancien article 833-1 du Code civil. La cour d’appel a accueilli cette demande, en considérant que la variation de la valeur devait être appréciée sur toute la période écoulée jusqu’à l’introduction de la demande judiciaire. Cette analyse a été censurée par la Cour de cassation, qui a précisé que la révision ne pouvait prendre en compte que les fluctuations survenues avant l’échéance contractuelle.

Cette solution illustre la nécessité de respecter les termes de l’accord initial conclu entre les copartageants, tout en tenant compte des évolutions économiques survenues avant le paiement de la soulte. La distinction entre la naissance de la créance, qui intervient au moment du partage, et son exigibilité différée permet d’assurer une sécurité juridique accrue aux opérations de partage.

Enfin, la révision des soultes s’applique également aux libéralités-partages. L’article 1075-4 du Code civil prévoit que les dispositions de l’article 828 sont applicables aux soultes mises à la charge des donataires, « nonobstant toute convention contraire ». Cette règle prohibe toute clause excluant la révision de la soulte dans les donations-partages. Toutefois, la Cour de cassation a précisé que cette interdiction s’applique uniquement aux clauses stipulées dans les actes de donation-partage. Une convention conclue entre les donataires après la mort des ascendants donateurs reste valable, même si elle déroge au principe de révision (Cass. 1re civ., 19 janv. 1982, n°81-10.608).

Ce mécanisme de révision n’est pas sans rappeler les dispositions encadrant le paiement différé des soultes. Lorsque le paiement d’une soulte est reporté à une date ultérieure, il est essentiel que les parties prévoient dans l’acte de partage les conditions de ce paiement et, le cas échéant, les modalités d’ajustement du montant de la soulte. Par exemple, dans le cadre d’une donation-partage avec réserve d’usufruit, un copartageant peut recevoir un bien en nue-propriété tandis que le donateur conserve l’usufruit jusqu’à son décès. Dans une telle situation, il est fréquent de reporter le paiement de la soulte au décès de l’usufruitier. Cette solution permet de préserver les intérêts du débiteur de la soulte en évitant une vente forcée du bien pour régler immédiatement la somme due.

B) Deuxième alternative : la division des biens comme moindre mal

Lorsque le recours à la soulte ne permet pas de rétablir l’équilibre entre les lots ou qu’il s’avère matériellement impossible d’attribuer certains biens indivis à un copartageant sans porter atteinte à l’égalité en valeur, la division matérielle des biens peut constituer une solution envisageable. Bien qu’elle soit loin d’être idéale, cette alternative peut apparaître comme le « moindre mal » dans des situations où le maintien de l’intégrité des biens indivis n’est ni économiquement justifiable ni juridiquement tenable.

Le morcellement des biens, tout en restant une opération délicate, peut alors se justifier dès lors qu’il permet d’éviter des solutions plus radicales, telles que la vente aux enchères. Toutefois, cette division doit être conduite avec prudence et discernement, afin de ne pas compromettre la valeur des actifs partagés ni les intérêts des copartageants.

==>La division acceptable des biens

La division matérielle des biens peut s’envisager dès lors que le morcellement n’entraîne pas une dépréciation excessive de leur valeur ou une perte d’utilité économique. Cette solution, bien que moins élégante que le partage en nature ou le recours à la soulte, peut se révéler appropriée dans certaines hypothèses concrètes.

Prenons l’exemple d’un terrain agricole de grande superficie, exploitable sous forme de plusieurs parcelles distinctes. Si chacune de ces parcelles présente une viabilité économique propre — c’est-à-dire qu’elle peut être exploitée de manière autonome sans perte significative de rendement — il est alors envisageable de les attribuer à différents copartageants. Une telle division permet d’éviter la vente forcée du terrain tout en respectant les droits de chacun.

De même, la répartition d’un portefeuille d’actions peut être envisagée lorsque chaque lot conserve une diversification adéquate. Dans cette hypothèse, la fragmentation du portefeuille ne porte pas atteinte à sa valeur intrinsèque ni à la capacité de chaque héritier de profiter d’un rendement équilibré. Il s’agit d’une solution pragmatique qui permet d’éviter le recours à des soultes trop importantes ou à une vente du portefeuille, qui pourrait être défavorable aux copartageants dans un contexte de marché défavorable.

En revanche, certains biens ne se prêtent pas à une division matérielle sans entraîner une perte significative de leur valeur ou de leur fonctionnalité. Il en va ainsi, par exemple, d’un immeuble d’habitation dont la division en plusieurs lots entraînerait des coûts de mise aux normes disproportionnés ou une dévalorisation globale du bien. Dans une telle situation, la division des biens ne saurait être retenue comme solution adéquate, et d’autres alternatives devront être envisagées.

==>Le rôle du juge dans l’appréciation du morcellement des biens

La division matérielle des biens indivis ne peut être réalisée sans un contrôle rigoureux du juge du partage, lequel joue un rôle central dans l’évaluation de l’opportunité d’un tel morcellement. Ce dernier doit s’assurer que la fragmentation des biens ne porte pas atteinte aux droits des copartageants ni à la valeur économique des actifs partagés.

Le pouvoir d’appréciation du juge en la matière est d’autant plus important que l’article 830 du Code civil invite à éviter la division des unités économiques ou des ensembles de biens dont le fractionnement entraînerait une dépréciation. Il revient donc au juge d’évaluer, au cas par cas, si la division matérielle envisagée est pertinente ou si elle risque de compromettre la viabilité économique des biens.

La Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt du 22 janvier 1985, que la division des biens devait être préférée à la licitation dès lors qu’elle permettait de préserver une partie de leur valeur économique (Cass. 1ère civ., 22 janvier 1985, n°83-12.994). Cet arrêt illustre parfaitement le rôle du juge dans la recherche d’un équilibre entre le respect des droits des copartageants et la préservation des actifs partagés.

En l’espèce, la Première chambre civile a censuré une décision de licitation prononcée par une cour d’appel, au motif que la division matérielle des biens, bien qu’imparfaite, aurait permis de constituer des lots équilibrés tout en évitant une vente aux enchères préjudiciable. La Haute juridiction a ainsi réaffirmé que la licitation devait être envisagée en dernier recours, lorsqu’aucune autre solution ne permet de garantir un partage équitable.

Le contrôle exercé par le juge sur le morcellement des biens répond à une logique de pragmatisme. Il s’agit d’éviter des solutions excessives ou disproportionnées, tout en veillant à ce que les droits des copartageants soient respectés. Le juge doit également s’assurer que la division des biens ne crée pas de nouvelles sources de contentieux, en prenant soin d’apprécier l’impact économique du morcellement sur les lots constitués.

Prenons l’exemple d’une exploitation viticole composée de plusieurs parcelles. Si la division de ces parcelles permet de constituer des lots cohérents, chacun conservant une capacité de production autonome, le juge pourra valider la répartition proposée. En revanche, si la division implique la fragmentation de l’unité de production — par exemple, en séparant les parcelles des installations de vinification — le juge pourrait refuser le morcellement au motif qu’il compromet la viabilité économique de l’exploitation.

==>L’appréciation du caractère inopportun du morcellement

Le caractère inopportun d’une division matérielle des biens s’apprécie au regard de plusieurs critères : la dépréciation potentielle du bien, les coûts engendrés par la division, et l’impact sur l’utilité économique du bien attribué. À cet égard, le juge dispose d’une grande liberté d’appréciation, mais doit motiver sa décision par des éléments concrets et pertinents.

L’article 830 du Code civil invite à éviter la division des ensembles de biens lorsque celle-ci entraîne une dépréciation notable. Il en résulte que la division doit être écartée si elle engendre une perte de valeur significative ou des frais disproportionnés. Le juge doit ainsi rechercher un juste équilibre entre les droits des copartageants et la préservation des actifs partagés.

En somme, la division matérielle des biens constitue une solution de compromis, qui ne peut être retenue que si elle permet de préserver une part significative de la valeur économique des actifs partagés. Elle doit être envisagée avec précaution, sous le contrôle vigilant du juge, afin de garantir que le partage demeure équitable et respecte les droits de chacun des copartageants.

C) Troisième alternative : la vente ou la licitation des biens comme dernier recours

Lorsque les opérations de partage achoppent sur des difficultés insurmontables — qu’il s’agisse de l’impossibilité de constituer des lots équilibrés en nature ou de l’incapacité d’un indivisaire à verser une soulte suffisante —, le législateur ouvre la voie au mécanisme de la licitation. Ce procédé, prévu à l’article 827 du Code civil, permet de mettre un terme à l’indivision par la vente d’un bien indivis et la répartition du produit de cette vente entre les copartageants, selon leurs droits respectifs.

La licitation, qui se définit comme l’opération mettant fin à la coexistence de plusieurs droits sur un même bien, peut être amiable ou judiciaire, suivant généralement la nature du partage. Elle constitue un mécanisme visant à désamorcer les situations de blocage en permettant de convertir les droits indivis en numéraire. Toutefois, elle n’est pas nécessairement synonyme de vente publique aux enchères. Le processus peut varier selon qu’un accord entre les indivisaires est trouvé ou qu’une intervention judiciaire s’avère nécessaire.

La licitation amiable s’opère lorsque les indivisaires parviennent à un accord sur les modalités de la vente. Elle peut se faire soit de gré à gré, c’est-à-dire par une cession directe à un tiers acquéreur sans appel au public ni adjudication, soit par adjudication amiable, si les indivisaires décident de soumettre le bien aux enchères dans un cadre qu’ils définissent eux-mêmes. Cette voie, moins contraignante, offre une plus grande souplesse en permettant aux indivisaires de maîtriser les conditions de la cession.

La licitation judiciaire, quant à elle, intervient lorsqu’aucun consensus n’est possible entre les indivisaires. Elle est alors ordonnée par le juge, et la vente s’effectue par adjudication publique, suivant les formes prévues pour la saisie immobilière lorsqu’il s’agit de biens immobiliers, ou pour la saisie-vente lorsqu’il s’agit de biens mobiliers (CPC, art. 1377, al. 2). Ce cadre rigoureux garantit la transparence et la protection des droits de tous les indivisaires.

Le recours à la licitation répond à une double finalité : mettre fin aux situations de blocage en dissolvant une indivision conflictuelle, tout en assurant une répartition équitable du produit de la vente entre les indivisaires. Toutefois, ce mécanisme présente des risques économiques non négligeables, notamment celui d’une adjudication à un prix inférieur à la valeur réelle du bien, ce qui pourrait entraîner une perte patrimoniale pour les copartageants. Par ailleurs, la licitation conduit souvent à la dissolution d’unités économiques (par exemple, un domaine agricole ou un fonds de commerce), compromettant ainsi la pérennité d’un patrimoine indivis.

C’est pourquoi la jurisprudence insiste sur le caractère subsidiaire de la licitation. Elle doit être envisagée en dernier recours, uniquement lorsque toutes les autres alternatives ont échoué — qu’il s’agisse du partage en nature, du recours à une soulte ou d’une division matérielle des biens. Le juge, dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation, doit s’assurer que la licitation n’entraîne pas une dévalorisation excessive du patrimoine ni une atteinte disproportionnée aux intérêts des indivisaires.

==>Notion

La licitation, issue du verbe latin liceri signifiant « mettre à prix », désigne une procédure par laquelle un bien indivis est vendu aux enchères afin de répartir équitablement le produit de cette vente entre les indivisaires. Bien qu’elle apparaisse comme une solution exceptionnelle, elle constitue un outil précieux pour remédier aux situations de blocage, lorsque le partage en nature s’avère impossible ou inopportun.

La doctrine a progressivement affiné les contours de la notion de licitation, en identifiant plusieurs acceptions qui correspondent à des situations spécifiques dans lesquelles ce mécanisme peut être mobilisé. Gérard Cornu, dans son dictionnaire juridique, distingue trois formes principales de licitation. Bien que répondant à des hypothèses distinctes — qu’il s’agisse de démêler une situation de propriété complexe ou d’organiser le partage entre cohéritiers —, elles partagent une même finalité : prévenir la pérennisation d’une indivision conflictuelle ou économiquement stérile, tout en assurant la meilleure valorisation du bien cédé et une répartition équitable du produit entre les indivisaires.

Quoi qu’il en soit, la notion de licitation revêt ainsi une double dimension :

  • D’une part, elle permet aux indivisaires d’échapper au maintien forcé dans une indivision susceptible de compromettre leurs intérêts. 
  • D’autre part, elle organise l’aliénation du bien indivis de manière à garantir une valorisation optimale, tout en assurant le respect des droits de chaque indivisaire.

Comme le soulignait Pothier en son temps « la licitation n’est pas une simple vente ; elle est un acte de partage, destiné à mettre fin aux contestations entre indivisaires par une adjudication qui, en faisant émerger un acquéreur, offre à chacun sa part en valeur ».

Ainsi, la licitation ne se réduit pas à une opération de cession forcée, mais s’inscrit dans une logique d’apaisement des conflits successoraux et de préservation des intérêts patrimoniaux, en conjuguant efficacité économique et sécurité juridique.

==>La licitation comme alternative au partage en nature

Le principe du partage en nature irrigue l’ensemble du droit des successions et de l’indivision. Il repose sur l’idée que chaque indivisaire a vocation à recevoir un lot composé de biens physiques, pour une valeur correspondant à ses droits dans l’indivision. Ce postulat, issu d’une tradition civiliste séculaire, trouve son ancrage dans l’article 815 du Code civil, qui consacre la liberté de demander le partage comme un droit imprescriptible. Ce principe est toutefois tempéré par une réalité économique et pratique : certains biens, en raison de leur nature ou de leur consistance, ne peuvent être commodément divisés. C’est dans ces circonstances que le mécanisme de la licitation intervient, en tant qu’alternative au partage en nature.

Ce mécanisme, qui consiste en la mise aux enchères d’un bien indivis afin d’en répartir le produit entre les indivisaires, répond à une logique pratique visant à éviter la pérennisation d’une indivision stérile ou conflictuelle. Il ne saurait toutefois être admis que de manière restrictive. Le partage en nature demeure la règle. Cette prééminence a été réaffirmée par la réforme des successions opérée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, qui a modifié les articles 825 à 832 du Code civil. L’article 826, alinéa 2, dispose désormais que « chaque copartageant reçoit des biens pour une valeur égale à celle de ses droits dans l’indivision ». Cette disposition vise à éviter le recours systématique à la licitation, en privilégiant une répartition des biens existants selon leur valeur, plutôt qu’une mise en vente systématique des biens indivis.

A cet égard, la doctrine reconnaît que cette réforme a renforcé la primauté du partage en nature en instaurant une égalité en valeur, plutôt qu’en nature. Comme l’a souligné Claude Brenner « en substituant une exigence d’équité en valeur à l’égalité parfaite en nature, le législateur a voulu limiter le recours à la licitation, souvent source de conflits et de dévalorisation des biens ». Cette nouvelle approche permet d’éviter que des biens indivis, pourtant partageables en théorie, ne soient vendus aux enchères faute de pouvoir être répartis de manière parfaitement égale.

Cette volonté de limiter le recours à la licitation témoigne d’une approche pragmatique du législateur, soucieux de concilier les impératifs économiques et patrimoniaux inhérents aux opérations de partage. La priorité donnée au partage en nature traduit une exigence de préservation du droit de propriété individuel, tout en évitant que la pérennisation d’une indivision ne devienne un obstacle à la gestion efficace des biens communs. Cependant, malgré les efforts déployés pour favoriser une répartition des biens selon leur valeur, certaines situations rendent inévitable la mise en œuvre d’une licitation.

En effet, lorsque le partage en nature se heurte à des impossibilités matérielles ou juridiques, ou lorsqu’il compromet l’équité due à chaque copartageant, la licitation s’impose comme une solution nécessaire, bien que strictement encadré. Ce mécanisme, envisagé à titre subsidiaire, permet de convertir la valeur des biens en numéraire, garantissant ainsi une répartition juste et équilibrée du produit de leur cession. Toutefois, son caractère exceptionnel appelle une application prudente et raisonnée, afin d’éviter toute atteinte disproportionnée au droit de propriété des indivisaires.

La licitation trouve son fondement dans l’article 1377 du Code de procédure civile, qui prévoit que le tribunal peut ordonner la vente par adjudication des biens qui ne peuvent être aisément partagés ou attribués. Cette disposition traduit l’exigence d’un contrôle juridictionnel rigoureux : le juge ne saurait autoriser une telle mesure qu’après avoir constaté que toutes les alternatives de partage en nature ont été envisagées et se sont révélées impraticables. Il lui incombe de vérifier que l’attribution en pleine propriété à l’un des indivisaires n’est pas envisageable ou que le partage matériel du bien compromettrait l’équité patrimoniale. Ce n’est qu’à défaut de solutions raisonnables que la mise aux enchères peut être ordonnée.

Cependant, le caractère dérogatoire de cette mesure ne saurait être éludé. En effet, la licitation implique une conversion forcée de droits réels en une valeur monétaire, altérant ainsi la nature même du droit de propriété. Cette transformation, qui peut être perçue comme une dénaturation du patrimoine indivis, soulève des interrogations quant au respect des prérogatives fondamentales des indivisaires. La doctrine souligne, à cet égard, que la licitation « doit demeurer une exception à la règle du partage en nature, interprétée de manière restrictive ».

Cette approche restrictive s’explique également par les effets particulièrement lourds de la licitation, laquelle emporte, de facto, une forme d’expropriation privée. Les indivisaires opposés à la vente se trouvent contraints de céder leurs droits sur le bien commun, en contrepartie du produit de la vente. Une telle aliénation, imposée par voie judiciaire, nécessite donc un encadrement strict pour éviter toute atteinte arbitraire aux droits des copartageants. Comme le rappelle Gérard Cornu, « le partage en nature est le mode naturel de répartition des biens indivis ; la vente par licitation, bien qu’utilitaire dans certaines circonstances, doit être envisagée avec la plus grande prudence ».

En définitive, la licitation apparaît comme une réponse pragmatique aux situations de blocage, permettant de sortir d’une indivision stérile tout en assurant une répartition équitable du produit de la vente. Toutefois, elle ne saurait être admise comme une solution de facilité. Son caractère exceptionnel impose que le juge veille à ce que toutes les tentatives de partage en nature aient été épuisées avant d’envisager une telle mesure. Il lui incombe ainsi de préserver un équilibre délicat entre, d’une part, le respect du droit de propriété individuel et, d’autre part, l’impératif d’une gestion économique optimale des biens indivis. 

==>Nature juridique de la licitation

La licitation se distingue des autres formes de vente en ce qu’elle est intrinsèquement liée au régime de l’indivision et aux opérations de partage. Si elle emprunte certaines caractéristiques formelles à la vente judiciaire aux enchères, elle ne saurait être confondue avec une cession ordinaire, car son objet principal reste la dissolution d’une indivision devenue inextricable. Sa nature juridique oscille donc entre vente et partage, une qualification qui dépend principalement de l’identité de l’adjudicataire.

Lorsque le bien indivis est adjugé à un tiers, la licitation produit les effets d’une vente classique. Le bien sort définitivement du patrimoine indivis pour rejoindre celui du nouvel acquéreur, mettant ainsi fin aux relations juridiques des indivisaires avec le bien cédé. Dans ce cas, les indivisaires perçoivent le produit de la vente en proportion de leurs droits respectifs, mais perdent toute prétention sur le bien lui-même. Cette situation, bien que juridiquement fondée, s’apparente parfois à une forme d’expropriation privée. En effet, les indivisaires opposés à la vente se voient contraints de céder leurs droits en contrepartie du prix obtenu lors de l’adjudication, une mesure qui ne peut être justifiée que par l’impossibilité matérielle ou juridique de procéder à un partage en nature.

À l’inverse, lorsque l’adjudicataire est un indivisaire, la licitation est assimilée à une opération de partage, produisant un effet déclaratif. Conformément à l’article 883 du Code civil, chaque indivisaire est réputé avoir été propriétaire exclusif du bien qui lui est attribué depuis l’ouverture de l’indivision. Cette fiction juridique vise à garantir une continuité dans la titularité du bien, tout en évitant les effets d’une vente purement translatrice de propriété. En d’autres termes, la licitation-partage ne modifie pas substantiellement les droits des indivisaires, mais les réorganise autour d’une attribution individuelle.

Cette dualité entre vente et partage illustre le caractère hybride de la licitation, qui oscille entre ces deux régimes en fonction des circonstances de l’adjudication. Cette ambivalence a d’ailleurs suscité des interrogations en jurisprudence quant à sa nature exacte. Toutefois, la Cour de cassation est venue apporter des éclaircissements précieux dans un arrêt du 25 novembre 1971. La Haute juridiction a jugé que le droit de demander la licitation découle directement du droit de provoquer le partage, consacré par l’article 815 du Code civil. En censurant une cour d’appel qui avait refusé de prononcer la licitation d’un bien indivis sous prétexte qu’une indivision existait déjà entre les parties, la Première chambre civile a rappelé que nul ne peut être contraint de demeurer dans une indivision, affirmant ainsi que la licitation constitue une modalité particulière de sortie de cette situation (Cass. 1ère civ., 25 nov. 1971, n° 70-13.278).

Cette position a été confortée par un second arrêt rendu le 5 janvier 1977, aux termes duquel la Cour de cassation a précisé que la licitation, lorsqu’elle bénéficie à un indivisaire, doit être assimilée à un partage avec effet déclaratif. En revanche, si l’adjudication profite à un tiers, elle conserve les caractéristiques d’une vente, entraînant un transfert définitif de propriété. En l’espèce, la Haute juridiction avait été saisie d’une demande de licitation portant sur un domaine agricole, que la cour d’appel avait refusé d’ordonner en se fondant sur des dispositions testamentaires supposées contraires. La Cour de cassation a censuré cette décision, rappelant que l’article 815 du Code civil consacre le droit absolu de provoquer le partage, nonobstant toute clause prohibitive. Elle a ainsi réaffirmé que la licitation constitue un outil juridique permettant de surmonter les blocages patrimoniaux, à condition de respecter les exigences légales encadrant son recours (Cass. 1re civ., 5 janv. 1977, n° 75-15.199).

Cette approche jurisprudentielle témoigne de la reconnaissance d’un équilibre délicat entre le droit de propriété individuel et la nécessité de mettre fin à une indivision économiquement stérile. La doctrine abonde dans ce sens : Gérard Cornu a souligné que « la licitation, bien qu’utilitaire dans certaines circonstances, demeure une mesure d’exception, assimilée au partage lorsqu’elle intervient entre indivisaires ». De même, Baudry-Lacantinerie et Saignat insistent sur le fait que « la licitation doit être interprétée comme une modalité de sortie de l’indivision, et non comme une simple vente judiciaire ».

En définitive, la licitation se présente comme un mécanisme pragmatique visant à dénouer les situations d’indivision conflictuelle ou inextricable. Toutefois, son recours doit être strictement encadré pour éviter qu’elle ne se transforme en un outil de dépossession injustifiée. Le juge, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, doit veiller à ce que la licitation ne devienne pas une solution de facilité, mais reste fidèle à sa finalité première : faciliter le partage des biens indivis lorsque le partage en nature se révèle impossible ou inéquitable.

==>Textes applicables

Le recours à la licitation obéit à un cadre juridique rigoureux, à la croisée des règles de fond posées par le Code civil et des exigences procédurales prévues par le Code de procédure civile. Cette double source normative traduit la volonté du législateur de circonscrire ce mécanisme à des hypothèses strictement encadrées, afin de préserver les droits des indivisaires tout en favorisant une gestion économique efficace des biens indivis.

Dans le Code civil, les dispositions relatives à la licitation se trouvent au sein du chapitre VII intitulé « De la licitation », intégré au titre VI relatif à la vente. Les articles 1686 à 1688 définissent les principales hypothèses dans lesquelles ce mécanisme peut être mobilisé.

L’article 1686 consacre ainsi le principe selon lequel la licitation ne peut être envisagée que lorsqu’un bien indivis « ne peut être commodément partagé en nature ». Ce texte reflète une philosophie jurisprudentielle constante : la vente par licitation doit demeurer une solution d’exception, réservée aux cas où le partage matériel des biens se heurte à des obstacles insurmontables. Cette impossibilité peut être d’ordre matériel — lorsque la division physique du bien porterait atteinte à sa valeur ou à son utilité — ou juridique, en raison de la configuration des droits concurrents des indivisaires.

L’article 1687 ajoute que, « sauf accord entre les indivisaires », la vente doit être effectuée aux enchères publiques. Cette exigence vise à garantir la transparence et l’objectivité du processus, en assurant que le bien sera cédé au plus offrant. La publicité des enchères permet d’éviter toute suspicion de dévalorisation artificielle du patrimoine indivis, tout en protégeant les intérêts de chacun des copartageants.

Quant à l’article 1688, il renvoie aux dispositions du Code de procédure civile, qui précise les formalités applicables à la licitation. Ce renvoi témoigne de la volonté du législateur d’assurer une articulation cohérente entre les règles de fond régissant la licitation et les exigences procédurales encadrant son exécution devant les juridictions.

Au titre des opérations de partage, la licitation est régie par le chapitre VIII « Du partage » du titre Ier relatif aux successions, dans le livre III du Code civil, consacré aux différentes manières d’acquérir la propriété. Cette réglementation s’inscrit dans la logique d’une alternative au partage en nature, lorsqu’une répartition matérielle des biens hérités s’avère impossible ou inopportune.

L’article 817 dispose ainsi que la licitation peut porter sur l’usufruit, la nue-propriété, ou la pleine propriété d’un bien indivis. Cette précision témoigne de la volonté du législateur de permettre une adaptation des modalités de partage à la nature particulière des droits en jeu. L’article 818 vient compléter cette disposition en précisant que, dans le cadre des successions, les héritiers peuvent demander la licitation lorsque les biens indivis ne peuvent être commodément répartis en nature.

Par ailleurs, l’article 883 prévoit que la licitation opérée au bénéfice d’un indivisaire produit un effet déclaratif, propre aux opérations de partage. Cette fiction juridique permet de considérer que chaque indivisaire est réputé propriétaire exclusif du bien qui lui est attribué depuis l’ouverture de l’indivision, assurant ainsi une continuité dans la titularité des droits, tout en évitant les effets d’une simple vente translatrice de propriété.

Sur le plan procédural, les articles 1377 et 1378 du Code de procédure civile viennent renforcer cette approche restrictive. L’article 1377 dispose que « le tribunal ordonne, dans les conditions qu’il détermine, la vente par adjudication des biens qui ne peuvent être facilement partagés ou attribués ». Cette disposition confère au juge un rôle central dans l’appréciation des conditions de la licitation. Il lui incombe de vérifier que toutes les solutions alternatives ont été explorées avant d’autoriser une telle vente. En particulier, le juge doit s’assurer que le bien indivis ne peut être attribué préférentiellement à l’un des indivisaires ou partagé sous une autre forme, notamment par voie de compensation financière.

L’article 1378 précise les modalités pratiques de la vente par adjudication, en imposant le respect des règles applicables aux ventes judiciaires. Ces exigences procédurales visent à garantir que la licitation s’opère dans un cadre rigoureux et impartial, en évitant tout risque d’arbitraire ou de favoritisme.

Ces textes traduisent une préoccupation constante du législateur : faire de la licitation un mécanisme strictement subsidiaire, destiné à surmonter les blocages patrimoniaux Car en effet, la licitation ne saurait être perçue comme une solution de facilité ; elle doit demeurer une exception au principe fondamental du partage en nature.

1. Domaine de la licitation

La licitation est une modalité spécifique du partage permettant de vendre aux enchères un bien indivis lorsque celui-ci ne peut être commodément partagé ou attribué à l’un des indivisaires. Si cette procédure permet de surmonter les difficultés liées à l’indivision, elle ne peut être systématiquement envisagée. Elle répond à un cadre juridique précis, alternant situations dans lesquelles elle peut être ordonnée et cas où elle est expressément exclue. Nous développerons cette analyse selon deux axes : les situations d’intervention de la licitation, puis les hypothèses dans lesquelles elle est prohibée.

1.1 Les situations dans lesquelles la licitation est admise

La licitation trouve principalement à s’appliquer dans les cas d’indivision, qu’il s’agisse d’une indivision en pleine propriété, d’une indivision en usufruit ou d’une indivision en nue-propriété. Cette modalité de partage peut être sollicitée tant dans le cadre d’une indivision successorale que d’une indivision résultant d’un régime matrimonial ou d’un démembrement de propriété.

a. L’indivision en pleine propriété

La situation la plus classique donnant lieu à une licitation est celle d’une indivision en pleine propriété. Ce mécanisme s’applique aux biens indivis, indépendamment de leur origine, qu’elle soit légale, conventionnelle ou successorale. Il s’agit d’une démarche subsidiaire destinée à pallier l’impossibilité de procéder à un partage en nature, tout en préservant l’égalité entre les indivisaires.

L’ancien article 827 du Code civil prévoyait que la licitation pouvait être ordonnée pour des immeubles qui ne pouvaient être commodément partagés ou attribués. Bien que ce texte ait été abrogé par la loi du 23 juin 2006, la licitation de la pleine propriété indivise est unanimement admise. A cet égard, le champ d’application de la licitation ne se limite pas aux immeubles. L’article 1686 du Code civil, en évoquant les “choses communes à plusieurs”, englobe également les biens meubles. Cette interprétation est confirmée par la jurisprudence, qui admet que certains contrats indivis (par exemple les baux) puissent également être licités. Ainsi, la licitation répond à une logique d’unité en ce qu’elle permet de mettre fin à une situation d’indivision, même lorsqu’elle porte sur des objets divers.

L’article 815-5-1 du Code civil, issu de la réforme de 2006, envisage la licitation comme ne pouvant porter, en première intention, que sur les biens indivis pris isolément ; d’où l’emploi du singulier dans la formulation, le texte visant explicitement « le bien indivis » et non « les biens indivis ». Cette précision commande de limiter chaque demande de licitation à un seul bien, en respectant ainsi l’esprit du partage en nature, principe cardinal du régime de l’indivision. Toutefois, cette limitation n’exclut pas la possibilité d’engager plusieurs procédures, pourvu que chaque requête s’appuie sur des motifs légitimes et dûment justifiés, tels que la dégradation progressive du bien ou le risque avéré d’une diminution substantielle de sa valeur. Une telle exigence illustre l’équilibre recherché entre la préservation des droits des indivisaires et la nécessité de sauvegarder la valeur patrimoniale des biens en indivision.

Enfin, la licitation dans le cadre de l’indivision en pleine propriété ne saurait être confondue avec d’autres situations juridiques. Lorsqu’un bien est grevé d’usufruit, il n’y a pas lieu de liciter la pleine propriété, faute d’indivision entre l’usufruitier et le nu-propriétaire. En effet, comme le rappellent l’indivision suppose la coexistence de droits de même nature sur un bien commun. Cette analyse est corroborée par une jurisprudence ancienne mais constante, qui insiste sur l’impossibilité d’un partage entre deux titulaires de droits de nature différentes (Cass. 1re civ., 29 mars 1989, n°87-12.187).

b. L’indivision en usufruit

Il est admis que l’usufruit d’un bien puisse faire l’objet d’une indivision. Est-ce à dire que ce droit particulier, par nature temporaire et portant sur l’usage et les fruits d’un bien, se prête aisément au partage ? En réalité, le droit civil impose des solutions adaptées pour répondre aux spécificités de cette indivision.

En principe, le partage porte directement sur l’usufruit, qui peut être cantonné sur un ou plusieurs biens déterminés. Cette modalité permet à chaque usufruitier de disposer d’un droit exclusif sur des biens spécifiques, évitant ainsi la complexité d’une gestion collective. Toutefois, lorsque le cantonnement s’avère impossible, soit en raison de la nature du bien soit en raison de l’impossibilité de parvenir à un accord entre les usufruitiers, le recours à la licitation devient une alternative envisageable.

La Cour de cassation a expressément consacré cette possibilité dans un arrêt du 25 juin 1974, où elle a reconnu que la licitation de l’usufruit pouvait être ordonnée lorsque ce dernier ne pouvait faire l’objet d’un partage en nature (Cass. 1ère civ. 25 juin 1974, n°72-12.451). 

Dans cette affaire, les héritiers des époux décédés avaient procédé au partage de leurs successions, attribuant à trois copartageants un quart en usufruit sur une propriété, tandis qu’un quatrième bénéficiait des trois quarts en nue-propriété et d’un quart en pleine propriété. La propriété en question, exploitée en carrière, faisait l’objet d’un différend persistant entre les usufruitiers et les héritiers du nu-propriétaire, empêchant toute mise en valeur effective de l’usufruit.

Les juges du fond avaient relevé que cette mésentente prolongée avait conduit à la cessation de l’exploitation de la carrière pendant plusieurs années. La Cour d’appel, constatant que la jouissance ne pouvait être répartie de manière équitable entre les copartageants et qu’aucun accord amiable ne semblait envisageable, avait ordonné la licitation de l’usufruit. Cette mesure, selon l’arrêt attaqué, constituait « le seul moyen d’obtenir, sans nuire à la valeur foncière du bien, la reprise de l’exploitation ou le désintéressement des cohéritiers ».

La Haute juridiction a confirmé cette décision en jugeant qu’il existe une indivision entre l’usufruitier et le nu-propriétaire quant à la jouissance d’un bien lorsque le droit d’usufruit porte sur une quote-part indivise. Elle a rappelé qu’en cas d’impossibilité de partage en nature de cette jouissance, il peut être procédé à une vente par licitation, non pas du bien lui-même, mais de la jouissance de l’usufruit. Ce mécanisme permet de préserver les intérêts patrimoniaux des parties tout en évitant l’inaction susceptible de dégrader la valeur économique du bien.

Cependant, il convient de rappeler que la licitation de l’usufruit demeure une solution d’exception. Elle ne saurait être ordonnée qu’en dernier recours, lorsque toutes les autres voies de partage ont échoué. Cette exception s’inscrit dans une logique de préservation des droits de chaque usufruitier, tout en assurant une équité dans la répartition patrimoniale. Ainsi, l’approche adoptée par le législateur et par la jurisprudence garantit un équilibre subtil entre les impératifs de gestion collective et les intérêts individuels des parties.

c. L’indivision en nue-propriété

De manière similaire à l’usufruit, l’indivision peut porter sur la nue-propriété d’un bien. Le principe consacré par l’article 818 du Code civil, qui renvoie à l’article 817, privilégie le partage de la nue-propriété par cantonnement. Cette solution consiste à attribuer la nue-propriété sur un ou plusieurs biens spécifiques, et elle est historiquement reconnue comme la méthode de référence pour éviter une liquidation globale de l’indivision.

La licitation de la nue-propriété ne peut être envisagée que dans l’hypothèse où le cantonnement s’avère impossible. Ce principe est expressément consacré par la jurisprudence, qui insiste sur la subsidiarité de cette mesure (Cass. 1re civ., 14 mai 1996, n° 94-15.028). En l’espèce, la Cour de cassation a précisé qu’en cas de désaccord persistant entre les nus-propriétaires sur le partage en nature, et lorsque ce dernier est impossible, le juge peut ordonner la licitation limitée à la nue-propriété, tout en veillant à ne pas porter atteinte aux droits des autres indivisaires, notamment les usufruitiers.

A cet égard, lorsque la licitation de la nue-propriété seule est impossible pour mettre fin à une indivision, l’article 818 du Code civil prévoit que la licitation de la pleine propriété peut être ordonnée, mais cette mesure exceptionnelle est soumise à des conditions strictes, notamment le consentement de l’usufruitier, comme l’exige l’article 815-5, alinéa 2, du Code civil.

Historiquement, la jurisprudence faisait une distinction selon que l’usufruit portait sur un bien déterminé ou sur une quote-part successorale. Dans le premier cas, la licitation demandée par un nu-propriétaire ne pouvait porter que sur la nue-propriété du bien. Dans le second, la licitation pouvait s’étendre à la pleine propriété des biens successoraux pour fixer l’assiette de l’usufruit (Cass. req., 9 avr. 1877). Cette distinction, bien que logique à l’époque, soulevait des incertitudes pratiques, notamment en matière d’opposabilité des droits de l’usufruitier.

La loi n° 76-1286 du 31 décembre 1976 a constitué une avancée majeure dans la préservation des droits de l’usufruitier. Elle a inséré, à l’article 815-5 du Code civil, une disposition qui énonçait que « le juge ne peut toutefois, sinon aux fins de partage, autoriser la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit, contre la volonté de l’usufruitier ». Par cette règle, le législateur a entendu limiter de manière explicite les atteintes potentielles aux droits d’usage et de jouissance de l’usufruitier, en faisant de son consentement une condition impérative pour toute licitation de la pleine propriété.

L’apport de cette loi réside dans l’équilibre qu’elle établit entre les prérogatives des indivisaires et la nécessaire protection des intérêts de l’usufruitier. Désormais, l’usufruitier bénéficie d’un droit d’opposition effectif, sauf dans le cadre spécifique d’un partage, rendant ainsi impossible toute décision judiciaire imposant la vente globale du bien sans son accord.

Ce principe a été strictement appliqué par la jurisprudence. Dans un arrêt remarqué du 11 mai 1982, la Cour de cassation a annulé une décision ayant ordonné la licitation de la pleine propriété en méconnaissance de cette exigence légale (Cass. 1re civ., 11 mai 1982, n°81-13.055). La Haute juridiction a alors rappelé que, même face à des difficultés d’indivision, le juge ne peut passer outre le consentement de l’usufruitier, envisagé comme un véritable garde-fou juridique.

Par suite la loi n° 87-498 du 6 juillet 1987 a opéré une réforme décisive en supprimant, dans l’article 815-5 du Code civil, la précision textuelle « sinon aux fins de partage ». Par cette modification, le législateur a étendu la protection accordée à l’usufruitier en rendant son consentement impératif dans tous les cas de licitation de la pleine propriété, sans exception. Cette réforme a marqué une avancée significative en consolidant la protection de l’usufruitier. Elle a ainsi fermé la porte à toute tentative des nus-propriétaires ou des indivisaires de contourner l’exigence de consentement sous le prétexte d’un partage judiciaire. Désormais, le droit d’usage et de jouissance de l’usufruitier ne peut être compromis sans son accord,

Dans le sillon de la loi di 6 juillet 1987, la Cour de cassation a, dans son arrêt du 13 octobre 1993, confirmé que la licitation de la pleine propriété ne peut être imposée sans le consentement de l’usufruitier (Cass. 1re civ., 13 oct. 1993, n° 91-20.707). En l’espèce, la Haute juridiction a censuré une décision ayant ordonné une licitation de la pleine propriété d’un bien indivis, au motif que l’ex-épouse usufruitière n’avait pas donné son accord. Un autre arrêt marquant, rendu le 14 mai 1996 a précisé qu’en cas d’impossibilité de partage en nature, le juge doit privilégier la licitation de la nue-propriété avant d’envisager la pleine propriété (Cass. 1ère civ., 14 mai 1996, n°94-15.028). 

1.2. Les situations dans lesquelles la licitation n’est pas admise

La licitation, bien qu’elle constitue l’un des moyens pour sortir de l’indivision, ne saurait être admise dans toutes les situations. Le législateur, soucieux de préserver certains équilibres juridiques et économiques, a posé des limites à son recours. Ces restrictions trouvent leur fondement dans des considérations variées, telles que la nécessité de maintenir l’affectation collective de certains biens, de protéger des intérêts spécifiques ou encore de respecter les conventions liant les indivisaires.

Qu’il s’agisse des copropriétés forcées, des hypothèses de maintien imposé dans l’indivision, des conventions d’indivision ou encore des cas d’attribution préférentielle, chacune de ces situations traduit une volonté d’encadrer le droit au partage afin de concilier les droits des indivisaires avec des impératifs supérieurs. 

a. Les copropriétés forcées

Les copropriétés forcées se distinguent par leur caractère inaliénable et insusceptible de partage ou de licitation, une interdiction clairement posée par l’article 6 de la loi n°65-557 du 10 juillet 1965 régissant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. Ce texte interdit toute demande de partage concernant les parties communes indispensables à l’usage collectif, telles que les chemins nécessaires à la desserte de plusieurs propriétés. Cette disposition vise à préserver la fonctionnalité et l’utilité commune de ces biens.

La règle exprimée par cette disposition dépasse cependant le cadre strict des immeubles bâtis pour s’étendre à toutes les copropriétés forcées et perpétuelles. La Cour d’appel de Paris a ainsi affirmé, dans un arrêt du 5 octobre 1964, que le partage ou la licitation d’un chemin nécessaire à la desserte de plusieurs propriétés était exclu, en raison de son caractère indispensable à l’usage collectif (CA Paris, 5 oct. 1964).

b. Les cas de maintien forcé dans l’indivision

Par ailleurs, la licitation est exclue dans plusieurs cas où la loi impose le maintien forcé dans l’indivision. Ces hypothèses, prévues aux articles 820 à 824 du Code civil, concernent notamment les biens dont l’indivision est ordonnée pour protéger les intérêts de certaines personnes, comme les mineurs ou les incapables. De manière similaire, l’article 1377 du Code de procédure civile dispose que la vente par adjudication ne peut être prononcée que si le bien ne peut être commodément partagé ou attribué. Avant de prononcer une telle vente, le juge est tenu de vérifier que le bien ne répond pas aux conditions d’un partage en nature et que ni l’attribution préférentielle ni d’autres solutions ne sont envisageables.

c. Les conventions d’indivision

L’article 815-1 du Code civil permet aux indivisaires de conclure une convention d’indivision. Lorsqu’une telle convention est à durée déterminée, la licitation ne peut être demandée pendant la durée de la convention, sauf en cas de justes motifs.

En revanche, si la convention est à durée indéterminée, le partage, y compris par licitation, peut être provoqué à tout moment, mais il ne doit pas l’être de mauvaise foi ou à contretemps (art. 1873-3 C. civ.).

d. L’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle constitue un obstacle majeur à la licitation. Ce mécanisme, consacré par les articles 832 et suivants du Code civil, offre à un indivisaire la possibilité de se voir attribuer un bien indivis en priorité, moyennant le versement d’une compensation équitable à ses coindivisaires. Par essence, lorsque cette demande est valablement formulée, la licitation devient inenvisageable, sauf à ce que l’attribution soit rejetée ou manifestement injustifiée.

Historiquement, la place centrale occupée par l’attribution préférentielle dans le cadre des opérations de partage a été explicitée dès l’adoption du décret-loi du 17 juin 1938, introduisant dans le Code civil une disposition spécifique à cet effet. L’ancien article 827 du Code civil, aujourd’hui remplacé par l’article 1377, réservait la licitation aux biens « qui ne peuvent être facilement partagés ou attribués ». En vertu de ce principe, le juge, avant de prononcer une licitation, doit s’assurer que le bien concerné ne peut être intégré dans un partage en nature et qu’aucun indivisaire ne sollicite ou ne pourrait valablement solliciter son attribution préférentielle. Cette double vérification, autrefois essentielle pour garantir une stricte égalité dans la composition des lots, conserve son importance à l’heure où prévaut le principe de l’égalité en valeur des lots.

La jurisprudence a, à maintes reprises, rappelé la prééminence de l’attribution préférentielle sur la licitation. Dès 1947, la Cour de cassation a précisé que l’attribution préférentielle pouvait être sollicitée jusqu’à l’achèvement du partage (Cass. civ., 14 janv. 1947). Toutefois, lorsque la licitation a été ordonnée par une décision ayant acquis l’autorité de la chose jugée, l’attribution préférentielle ne saurait plus prospérer, la licitation devenant alors irrévocable. Dans un arrêt du 9 mars 1971, la Première chambre civile a jugé en ce sens que « la licitation constitue une modalité de partage incompatible avec l’attribution préférentielle. des lors que la licitation d’un immeuble a été ordonnée par une précédente décision devenue irrévocable, un tribunal ne peut sans méconnaitre l’autorité de la chose jugée, prononcer l’attribution préférentielle du même bien indivis » (Cass. 1ère civ. 9 mars 1971, 70-10.072)

Dans sa mise en œuvre, l’attribution préférentielle impose au juge une analyse minutieuse des prétentions en concurrence. Lorsqu’un indivisaire sollicite l’attribution préférentielle d’un bien pendant que d’autres réclament sa licitation, la juridiction saisie doit prioritairement examiner la demande d’attribution, sauf à constater qu’elle contredit les intérêts légitimes des coindivisaires ou qu’elle est matériellement irréalisable. À cet égard, la jurisprudence a notamment rejeté des demandes d’attribution lorsque l’indivisaire demandeur était dans l’incapacité de s’acquitter des soultes nécessaires (Cass. 1re civ., 17 mars 1987, n°85-17.241). 

En outre, l’attribution préférentielle revêt une importance particulière lorsque le maintien de l’usage d’un bien indivis répond à des besoins essentiels. Ainsi, la jurisprudence a privilégié l’attribution du logement familial à l’époux ayant la garde des enfants, au détriment d’une demande concurrente de licitation émanant de l’autre conjoint (TGI Chaumont, 10 juin 1963). Toutefois, cette priorité n’est pas absolue. Des juridictions ont pu refuser une attribution préférentielle lorsque les motifs invoqués ne justifiaient pas un tel choix, comme dans le cas d’un château réclamé pour des raisons purement sentimentales, conduisant à la licitation du bien (TGI Paris, 13 nov. 1970).

Cependant, l’attribution préférentielle n’est pas une prérogative absolue. Elle peut être écartée si l’équilibre des intérêts commande une licitation, notamment lorsque le maintien de l’indivision est matériellement ou économiquement insoutenable. Cette approche pragmatique permet de concilier les droits individuels des indivisaires avec les impératifs collectifs, assurant ainsi le respect des principes d’équité et de justice. 

2. Les conditions de la licitation

2.1. L’impossibilité d’un partage en nature

a. Le contenu de l’exigence

Dans le cadre d’un partage, la licitation n’intervient qu’à titre subsidiaire, lorsqu’un partage en nature des biens indivis s’avère impossible. À cet égard, l’article 1377 du Code de procédure civile précise que : « le tribunal ordonne, dans les conditions qu’il détermine, la vente par adjudication des biens qui ne peuvent être facilement partagés ou attribués ». 

Cette règle fait directement écho au principe posé à l’article 1686 du Code civil, relevant du droit commun de la vente, qui dispose que la licitation peut être ordonnée « si une chose commune à plusieurs ne peut être partagée commodément et sans perte ».

Il s’infère de ces deux dispositions que l’impossibilité de partage en nature peut résulter, soit de l’incommodité de la division du biens indivis, soit du risque de perte en cas de division. 

==>L’incommodité de la division du bien indivis

L’incommodité matérielle de la division d’un bien indivis s’entend de l’impossibilité pratique de le fractionner tout en préservant son intégrité physique, son utilité et les conditions normales de jouissance. Ce critère repose sur les attributs essentiels du bien, qu’il s’agisse de sa configuration, de son usage envisagé ou de sa destination économique. L’analyse de cette incommodité exige une attention particulière aux caractéristiques propres au bien, telles que son état, sa structure ou sa finalité, afin de déterminer si une division pourrait être réalisée sans altérer sa nature ni compromettre sa vocation première.

En premier lieu, certains biens, en raison de leur structure physique ou de leur fonction, ne peuvent être aisément divisés sans altérer leur valeur ou leur utilité. Par exemple, la division d’un terrain peut exiger des aménagements onéreux, tels que l’installation de clôtures ou la modification des réseaux hydrauliques pour garantir une autonomie d’usage des parcelles nouvellement constituées. Une jurisprudence ancienne mais éclairante illustre ce point : la fragmentation d’un bien foncier a été jugée inappropriée en raison des frais disproportionnés qu’elle impliquait et de son impact négatif sur l’exploitation rationnelle des parcelles (CA Dijon, 15 avril 1907). Cet exemple met en lumière l’importance d’une analyse circonstanciée de la faisabilité matérielle du partage.

De même, la division d’une exploitation agricole ou d’un immeuble à vocation spécifique peut entraîner une désorganisation structurelle qui compromettrait sa finalité première. Ainsi, le morcellement d’une ferme en plusieurs unités indépendantes peut nécessiter des investissements supplémentaires pour réorganiser les infrastructures communes, telles que les systèmes d’irrigation ou les espaces de stockage, réduisant ainsi l’efficacité globale de l’exploitation. Cette incommodité matérielle s’observe également dans le cas d’immeubles complexes ou de bâtiments historiques, dont le fractionnement risquerait de porter atteinte à leur vocation patrimoniale ou culturelle, voire de rendre leur entretien structurellement irréalisable.

En second lieu, l’incommodité matérielle ne se limite pas à l’existence d’obstacles purement physiques, mais couvre également les effets sur les conditions normales de jouissance. Un partage matériellement possible peut néanmoins être jugé incommode si la division altère de manière significative les modalités d’exploitation ou d’utilisation des lots. Par exemple, la création de nouvelles parcelles ou d’espaces indépendants peut, dans certains cas, générer une répartition déséquilibrée des ressources essentielles à leur exploitation, ou nécessiter des servitudes complexes, telles que des droits de passage ou des aménagements communs. Ces contraintes, susceptibles de compliquer la jouissance individuelle des lots, justifient le recours à une licitation plutôt qu’à un partage en nature.

Enfin, l’incommodité matérielle doit également être évaluée en tenant compte de la préservation de l’intégrité des unités économiques ou des ensembles de biens indivis. L’article 830 du Code civil, qui énonce l’objectif de limiter le fractionnement des exploitations agricoles ou des ensembles économiques, reflète cette préoccupation. Lorsqu’une division compromet l’exploitation optimale d’un bien indivis ou engendre une dépréciation du bien, la licitation peut s’imposer comme la solution la plus rationnelle. La jurisprudence a ainsi affirmé que la division en plusieurs lots, même matériellement envisageable, peut être écartée si elle entraîne des effets excessivement complexes ou onéreux pour les indivisaires (CA Montpellier, 8 juin 1954).

==>Le risque de perte en cas de division du bien indivis

Au-delà des obstacles matériels, l’incommodité d’un partage peut également résider dans ses répercussions économiques, lesquelles peuvent compromettre de manière significative les intérêts des indivisaires. L’article 1686 du Code civil institue ainsi le principe selon lequel le partage en nature doit être écarté lorsque la division entraîne une perte de valeur du bien, préjudiciable à l’ensemble des indivisaires.

Dans un arrêt rendu le 13 octobre 1998, la Cour de cassation a, par exemple, estimé que l’incommodité d’un partage pouvait justifier une licitation lorsqu’un morcellement, bien que matériellement possible, engendrait une dépréciation économique significative et préjudiciable pour les indivisaires Dans cette affaire, le litige portait sur une demeure historique dépendant d’une succession. L’un des indivisaires demandait un partage en nature accompagné d’une attribution préférentielle d’une partie de l’immeuble, tandis que les autres plaidaient en faveur de la licitation. La Cour d’appel, dont l’analyse a été validée par la Cour de cassation, a constaté que la valeur totale de l’immeuble pris dans son ensemble, estimée à 7 950 000 francs, dépassait significativement la somme des valeurs des lots envisagés dans le cadre d’un partage en nature, laquelle n’atteignait que 6 200 000 francs. Une telle dépréciation économique, jugée inacceptable pour l’ensemble des indivisaires, rendait économiquement inopportune une division pourtant réalisable matériellement.

Cet arrêt met en lumière l’une des caractéristiques de l’incommodité économique : la préservation de la valeur globale du bien indivis. Une division matérielle, bien que techniquement envisageable, peut entraîner une perte de valeur si les lots ainsi constitués s’avèrent individuellement moins valorisables que le bien pris dans sa globalité. Cette approche vise à protéger les intérêts collectifs des indivisaires, en évitant qu’un partage en nature ne devienne source d’injustice économique.

Par ailleurs, l’incommodité économique ne se limite pas à la perte de valeur globale. Elle inclut également les effets sur l’équité entre les indivisaires, notamment lorsque la fragmentation d’un bien rend nécessaire la constitution de soultes disproportionnées ou difficilement applicables. Ces situations, susceptibles de générer des déséquilibres majeurs, justifient souvent le recours à la licitation pour assurer une répartition équitable des bénéfices issus de la vente.

Conscient de ces enjeux, le législateur a introduit des mécanismes visant à atténuer les effets économiques défavorables d’un partage, notamment à travers le principe de l’égalité en valeur consacré par l’article 826 du Code civil. Ce principe permet d’ajuster les écarts entre les lots au moyen de soultes, favorisant ainsi une répartition équilibrée. Toutefois, lorsque la division d’un bien indivis conduit à une dépréciation significative ou compromet les intérêts économiques des indivisaires, ces outils ne suffisent pas toujours à garantir une solution satisfaisante. Dans ces circonstances, la licitation s’impose comme une alternative incontournable, préservant à la fois la valeur intrinsèque du bien et l’équité entre les indivisaires.

b. Appréciation de l’exigence

==>Une appréciation d’ensemble

L’impossibilité de procéder à un partage en nature d’un bien indivis repose sur des considérations tant matérielles qu’économiques, lesquelles doivent être appréciées au regard de critères précis. Cette impossibilité n’est cependant pas absolue et s’évalue à l’aune de la nature, de la configuration et de la finalité du bien, mais également en tenant compte de l’ensemble des biens composant l’indivision. Une analyse globale de la situation patrimoniale s’impose, permettant de déterminer si un partage en nature peut être envisagé sans compromettre l’équité entre les indivisaires ou l’intégrité économique des lots.

A cet égard, l’un des principes devant guider l’appréciation du juge réside dans l’exigence de considérer l’ensemble des biens indivis comme un tout cohérent, plutôt que de les examiner isolément. Une telle approche, déjà consacrée par la jurisprudence avant la réforme de 2006, reflète l’exigence de maintenir le partage en nature comme principe directeur, même face à des difficultés apparentes. Ainsi, l’indivisibilité d’un bien spécifique, tel qu’un immeuble unique, ne saurait en elle-même constituer un obstacle insurmontable au partage si d’autres éléments de la masse permettent de constituer des lots équivalents en valeur (Cass. 1ère civ.12 janv. 1972, n°71-11.435). 

À titre d’exemple, un immeuble matériellement indivisible peut être attribué en totalité à un indivisaire, à condition que des biens meubles ou des compensations monétaires viennent rétablir l’équilibre des droits entre les copartageants (Cass. 1ère civ., 21 janv. 1958). Cette flexibilité, inhérente au principe d’équité, permet de concilier l’impossibilité matérielle d’un découpage physique avec les exigences d’une répartition équitable.

En outre, lorsque l’ensemble des biens ne peut être aisément réparti, la licitation ne doit intervenir que dans les limites strictement nécessaires. Les juges sont alors appelés à circonscrire la licitation aux seuls biens dont le partage en nature est impraticable ou manifestement préjudiciable. Cette approche reflète le souci de préserver autant que possible le principe du partage en nature, tout en évitant des solutions qui porteraient atteinte à l’équilibre des intérêts en présence (Cass. 1ère civ., 11 juill. 1983, n°82-11.815). Ainsi, si un immeuble indivis ne peut être partagé matériellement, mais que la masse comprend des biens meubles ou d’autres actifs, ces derniers doivent être mobilisés pour constituer des lots équilibrés, réduisant ainsi la nécessité de recourir à la licitation.

Pour éclairer leur décision, les juges peuvent recourir à une expertise destinée à examiner les conditions matérielles et économiques propres au partage. Bien que les conclusions de l’expert ne s’imposent pas aux juges, elles constituent un élément déterminant dans leur appréciation de la faisabilité d’un partage en nature (Cass. 1ère civ., 9 oct. 1967). Ce recours à l’expertise vise à identifier les contraintes objectives qui pourraient rendre une division matériellement irréalisable ou économiquement désavantageuse.

Ainsi, l’expert est-il souvent chargé d’évaluer les implications concrètes d’un partage en nature, en tenant compte de la configuration des biens indivis, de leur usage actuel et des adaptations nécessaires pour les rendre autonomes après la division. Par exemple, dans le cas d’un terrain agricole, il pourrait être démontré que sa division entraînerait des aménagements disproportionnés, tels que la construction de nouvelles clôtures, la mise en place de systèmes d’irrigation distincts ou la création de voies d’accès séparées. De tels travaux, s’ils engendrent des coûts excessifs ou compromettent l’utilisation optimale des biens, constituent des éléments justifiant l’incommodité matérielle et, par conséquent, l’impossibilité d’un partage équitable en nature.

Les juges, sur la base du rapport d’expertise, peuvent ainsi conclure que la licitation est nécessaire pour préserver les intérêts des parties, en évitant des solutions qui seraient coûteuses, complexes et potentiellement sources de litiges ultérieurs. L’expertise, en ce sens, dépasse une simple évaluation technique et s’inscrit dans une démarche visant à garantir une répartition équilibrée et réaliste des biens indivis.

==>Contrôle de la motivation

L’appréciation de l’impossibilité de procéder à un partage en nature relève du pouvoir souverain des juges du fond, lesquels doivent s’attacher à motiver leur décision avec précision. Cette exigence trouve sa justification dans la nature exceptionnelle de la licitation, qui ne peut être ordonnée qu’en dernier recours, dès lors que l’impossibilité de la répartition physique des biens est établie de manière circonstanciée et irréfutable. À ce titre, la seule affirmation d’une incertitude quant à la faisabilité du partage en nature, ou encore la mention de dissensions entre indivisaires, ne saurait suffire à légitimer une telle mesure. De même, un simple constat de la multiplicité des biens et de la diversité des droits des parties, sans qu’il ne soit démontré en quoi ces éléments empêchent concrètement un partage en nature, expose la décision à la censure (Cass. 1re civ., 31 janv. 1989, n°87-16.718). À l’inverse, une motivation s’appuyant sur des éléments factuels et techniques solides, tels qu’un rapport d’expertise concluant à la faisabilité du partage en nature et à sa conformité aux intérêts des parties, satisfait pleinement aux exigences jurisprudentielles (Cass. req. 31 oct. 1893).

Le rôle de la Cour de cassation se limite traditionnellement à un contrôle de la motivation, sans remise en cause de l’appréciation des faits réalisée par les juges du fond. Il incombe à ces derniers de démontrer précisément en quoi les biens indivis ne peuvent être commodément répartis. Dès lors, une décision ordonnant la licitation, qui se contenterait de relever l’incertitude d’un partage ou de mentionner sa faisabilité technique sans expliciter les obstacles concrets qui s’y opposent, ne saurait prospérer (Cass. 1ère civ., 12 mai 1987, n°85-18.160).

Si, par le passé, une certaine souplesse pouvait être observée, permettant aux juges du fond de motiver leurs décisions de manière parfois implicite, cette pratique tend à être remise en question dans le cadre d’une jurisprudence contemporaine plus exigeante. La réforme de 2006, consacrant le principe d’égalité en valeur des lots (art. 826 du Code civil), renforce cette exigence de motivation, dans un souci de transparence et de respect du caractère subsidiaire de la licitation. Ainsi, il ne suffit plus, comme autrefois, de faire allusion à l’indivisibilité supposée d’un bien pour justifier une vente forcée (Cass. 3e civ., 4 mai 2016, n°14-28.243).

La Cour de cassation, sans excéder son rôle, veille désormais à ce que les juges du fond ne cèdent pas à la facilité, en exigeant une démonstration complète et convaincante de l’impossibilité matérielle ou juridique du partage en nature. Cette évolution, bien qu’elle ne rompe pas totalement avec certaines tolérances antérieures, reflète une volonté affirmée de garantir la primauté du partage en nature tout en respectant l’équilibre des intérêts des indivisaires.

2.2. Mise en œuvre

L’impossibilité de partager un bien indivis peut avoir pour cause des contraintes juridiques, matérielles, économiques ou pratiques, chacune reflétant la complexité inhérente à la diversité des biens concernés et des situations d’indivision.

==>Les difficultés matérielles de partage

L’une des causes de l’impossibilité de procéder à un partage en nature réside dans les contraintes matérielles, intrinsèquement liées aux caractéristiques des biens indivis. La difficulté réside, le plus souvent, dans l’impossibilité technique ou pratique de diviser un bien sans compromettre son intégrité ou son utilité économique.

Certains biens, par leur nature même, se prêtent mal au fractionnement. Ainsi, un domaine agricole, comprenant des bâtiments, des dépendances et des terres formant un tout économique cohérent, ne saurait être morcelé sans que son exploitation n’en pâtisse gravement (Cass. 1ère civ., 29 mars 1960). De même, Une clinique médicale, dont le fonctionnement repose sur une organisation spatiale spécifique, constitue un exemple caractéristique de bien dont la division matérielle compromettrait irrémédiablement l’usage et l’exploitation (Cass. 1ère civ., 2 oct. 1979, n°78-11.385). 

Par ailleurs, même lorsque les biens paraissent à première vue partageables, certaines configurations rendent le partage matériellement inéquitable. Un exemple peut être trouvé dans la difficulté de répartir équitablement des parcelles de terrain de dimensions ou de valeurs très disparates. 

Outre la nature spécifique des biens, l’hétérogénéité de l’ensemble composant l’indivision peut elle-même constituer un frein au partage en nature. Lorsque les biens diffèrent significativement par leur localisation, leur état ou leur destination, il devient difficile, sinon impossible de constituer des lots de valeur équivalente. Cette disparité, combinée à l’impossibilité de parvenir à une évaluation consensuelle, peut légitimer une licitation comme ultime recours pour garantir l’équité entre les parties (Cass. 1ère civ., 14 févr. 1962).

Enfin, le nombre d’indivisaires et l’inégalité de leurs droits accentuent les difficultés matérielles du partage. Lorsque la division des biens suppose de composer un grand nombre de lots pour satisfaire des droits successoraux complexes et souvent très inégaux, le partage en nature devient un exercice presque insurmontable, tant sur le plan pratique que logistique (Cass. 1ère civ., 28 juin 1977, n°75-12.487). 

==>Les difficultés juridiques de partage

La loi peut imposer des restrictions au partage en nature lorsque la division physique d’un bien compromet son utilité, son exploitation, ou son intégrité économique. Ces barrières légales, parfois explicites, trouvent leur justification dans des impératifs d’intérêt général ou de préservation de l’efficacité économique des biens concernés.

A cet égard, certaines catégories de biens, en raison de leur nature intrinsèque, sont insusceptible de faire l’objet d’un partage en nature. Les mines, par exemple, furent historiquement considérées comme indivisibles, car leur exploitation exige une unité structurelle pour être rentable et conforme aux normes techniques en vigueur (Cass. req., 21 avr. 1857). Cette indivisibilité découle moins d’une contrainte matérielle que de l’exigence de préserver la finalité économique du bien, en évitant une division qui rendrait son exploitation inefficace ou impossible.

De manière similaire, un terrain constructible peut devenir juridiquement insusceptible de partage lorsque son morcellement compromet l’obtention d’un permis de construire ou sa viabilité. Cette impossibilité résulte de normes d’urbanisme qui conditionnent l’utilisation d’un terrain à une superficie minimale ou à des exigences d’aménagement spécifiques (CA Nancy, 18 janv. 1989).

Les biens soumis au régime de la copropriété illustrent également cette tension entre indivisibilité et partage. Dans un immeuble d’habitation indivis, les parties communes, par définition, ne peuvent être fractionnées sans remettre en cause la structure juridique et pratique de la copropriété. La jurisprudence a affirmé que l’unité des parties communes prime sur toute tentative de division en étages ou appartements, rendant le partage en nature juridiquement incompatible avec ce régime (Cass. 1ère civ., 19 janv. 1960). Ces principes visent à garantir l’usage collectif des parties communes et à préserver la cohérence fonctionnelle du bien immobilier.

Au-delà des dispositions légales, les indivisaires peuvent eux-mêmes convenir de règles encadrant les modalités de partage. En vertu de l’article 1103 du Code civil, un accord unanime entre les indivisaires, qu’il prévoie une licitation ou un partage en nature, s’impose avec la même force qu’un contrat. Une fois signé, cet engagement lie non seulement les parties, mais aussi le juge chargé de superviser l’exécution du partage.

Ainsi, un accord visant à exclure le partage en nature doit être respecté, sauf en cas de dispositions contraires à l’ordre public ou manifestement inéquitables (Cass. 1ère civ., 20 janv. 1982, n°80-16.909). Cette contractualisation des modalités de partage permet aux indivisaires de surmonter des situations conflictuelles ou de prévenir des litiges futurs en définissant des règles précises.

La volonté exprimée par le de cujus dans un testament peut également influer sur les modalités de partage. Par exemple, lorsqu’un legs particulier attribue un bien spécifique à un héritier, ce bien échappe au partage dès lors que la disposition respecte la limite de la quotité disponible. Ce type de disposition testamentaire peut être perçu comme une restriction à la divisibilité du bien, car il confère à un héritier un droit exclusif sur celui-ci.

Cependant, une clause testamentaire ne peut, à elle seule, empêcher une licitation si celle-ci est indispensable pour respecter les droits des autres héritiers. En cas d’impossibilité de partager équitablement un bien en nature, le juge peut être conduit à écarter une disposition testamentaire pour ordonner une vente et préserver l’équilibre patrimonial entre les cohéritiers (Cass. 1ère civ., 5 janv. 1977, n°75-15.199). 

==>Les difficultés économiques de partage

Au-delà des obstacles matériels et juridiques, des considérations économiques peuvent justifier l’impossibilité d’un partage en nature. Ainsi, certaines divisions matérielles peuvent entraîner une dépréciation substantielle des biens indivis. Un exemple classique est celui d’une exploitation agricole : son morcellement compromettrait la viabilité économique du domaine, rendant l’ensemble des parcelles moins attractif sur le marché (Cass. 1re civ., 16 oct. 1967). De manière similaire, la division d’un terrain de faible superficie peut aboutir à des lots inadaptés à une utilisation efficace, diminuant ainsi leur valeur intrinsèque (Cass. 1ère civ., 11 juin 1985, n°84-12.325). 

Une autre contrainte économique peut découler de l’incapacité à constituer des lots de valeur équivalente. Lorsque les biens indivis diffèrent considérablement par leur nature, leur localisation ou leur état, il devient impossible de composer des lots respectant l’équité entre les indivisaires sans recourir à des soultes disproportionnées. Par exemple, dans une affaire relative à un ensemble de biens immobiliers, la nécessité de prévoir des soultes trop élevées pour équilibrer les lots a conduit le juge à privilégier la licitation, considérée comme une solution plus adaptée pour garantir l’équité patrimoniale (Cass. 1re civ., 15 mai 1962).

La question des actions et parts sociales illustre parfaitement les enjeux économiques liés à la division en nature. Bien que ces biens soient techniquement divisibles, leur répartition peut entraîner une perte de contrôle ou de minorité de blocage au sein d’une société. Cela compromet non seulement la gestion de l’entreprise, mais réduit également la valeur des parts en raison de l’incertitude juridique et économique générée par une telle division. Dans une affaire emblématique, la répartition d’actions aurait menacé la stabilité de l’entreprise en remettant en cause les droits de contrôle. Le juge a alors ordonné une licitation pour préserver l’intégrité économique et les intérêts des parties (CA Paris, 2 juill. 2002).

Outre la dépréciation des biens, les coûts associés à la division peuvent également justifier une licitation. Par exemple, la division d’un immeuble en plusieurs appartements ou l’aménagement nécessaire pour rendre un bien partageable peut impliquer des dépenses considérables, rendant économiquement irrationnelle toute tentative de partage en nature (TGI Nice, 6 juill. 1962). Ces coûts peuvent inclure la création de nouvelles infrastructures, la gestion des servitudes ou encore les frais de mise aux normes, autant de facteurs susceptibles de miner la rentabilité des biens divisés.

==>Les difficultés personnelles

Enfin, les relations entre indivisaires peuvent elles-mêmes constituer un frein au partage en nature, en particulier lorsque des tensions ou des dissensions profondes altèrent toute perspective de gestion harmonieuse des biens communs. Ces conflits, qu’ils trouvent leur origine dans des différends familiaux, des ruptures conjugales ou des désaccords patrimoniaux, rendent souvent impraticable une répartition équitable des biens, tant sur le plan matériel qu’émotionnel.

Lorsqu’une indivision découle d’une séparation conjugale, par exemple, les relations tendues entre anciens partenaires peuvent transformer la cohabitation dans un bien indivis en un exercice insupportable. La gestion commune d’espaces partagés, comme une maison ou un appartement, devient rapidement source de conflits incessants, compromettant toute possibilité de coexistence pacifique. Ces situations, souvent aggravées par l’absence de dialogue ou par des griefs passés, justifient fréquemment une licitation, seule mesure apte à mettre un terme aux conflits prolongés (CA Metz, 11 mars 2010).

Les tensions ne se limitent pas aux relations conjugales. Au sein d’une famille élargie ou entre héritiers, les divergences d’intérêts ou de vision sur l’avenir des biens indivis peuvent provoquer un blocage total. L’un des indivisaires peut, par exemple, contester systématiquement les décisions relatives à l’exploitation ou à la répartition des biens, refusant de collaborer à leur entretien ou à leur valorisation. De tels comportements conflictuels paralysent l’indivision, rendant tout accord amiable illusoire et nécessitant une intervention judiciaire pour sortir de l’impasse.

Dans ces contextes, le juge joue un rôle déterminant. Chargé de garantir l’équité et de préserver la paix sociale, il est amené à ordonner une licitation lorsque les tensions rendent impossible le maintien de l’indivision ou la mise en œuvre d’un partage en nature. Une telle décision, bien que pragmatique, n’est pas dénuée de conséquences psychologiques pour les indivisaires. La vente forcée d’un bien, souvent chargé d’une forte valeur symbolique ou sentimentale, peut engendrer des sentiments de perte ou d’injustice. Il appartient donc au juge d’accompagner sa décision d’une motivation claire, exposant en quoi la licitation constitue la solution la plus adaptée pour protéger les intérêts de chacun.

3. Le régime de la licitation

3.1 Principes directeurs

==>Saisine

En vertu de l’article 840 du Code civil, la licitation judiciaire ne peut être envisagée qu’à l’occasion d’une instance en partage. À cet égard, dans le cadre de cette instance, la demande en partage est formulée à titre principal, tandis que la demande de licitation est nécessairement formulée à titre incident. 

En effet, la licitation, par sa nature subsidiaire, ne saurait être sollicitée qu’à titre incident, lorsqu’un partage en nature s’avère matériellement impraticable ou compromet l’équité entre les indivisaires. Ce dispositif met en lumière la primauté du partage en nature, qui demeure le fondement même du régime de l’indivision, tandis que la licitation, exception par essence, est rigoureusement encadrée pour éviter tout détournement de sa finalité.

Le Code de procédure civile organise ainsi une interdépendance entre les demandes en partage et en licitation, la seconde ne pouvant être introduite indépendamment de la première. Dans un arrêt du 15 juin 2017, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la demande en licitation d’un bien indivis […] ne peut être formée qu’à l’occasion d’une instance en partage judiciaire » (Cass. 1ère civ., 15 juin 2017, n°16-16.031). Fondant sa décision sur les articles 840 et 1686 du Code civil, la Haute juridiction a rappelé que la licitation, en raison de son caractère subsidiaire, ne peut exister indépendamment d’une demande principale en partage.

En l’espèce, des héritiers avaient sollicité la licitation d’un immeuble dépendant d’une succession en raison de désaccords portant sur l’attribution et l’estimation des lots. Sans qu’aucune instance en partage judiciaire n’ait été introduite, la cour d’appel avait fait droit à cette demande. La Cour de cassation a censuré cette décision, estimant que la procédure de licitation ne peut être envisagée qu’à titre incident, dans le cadre plus large d’un partage judiciaire. Elle a ainsi annulé l’arrêt de la cour d’appel au motif que celle-ci avait ordonné la licitation en violation des exigences procédurales établies par les textes. Cet arrêt illustre avec clarté que la licitation ne constitue pas une voie autonome mais bien une exception procédurale, subordonnée à la démonstration préalable de l’impossibilité ou de l’inopportunité d’un partage en nature. 

À l’analyse, ce cadre procédural poursuit une double ambition. D’une part, il consacre la primauté du partage en nature, expression de l’idéal d’égalité patrimoniale entre les indivisaires, en veillant à ce que chaque solution retenue préserve, autant que faire se peut, l’intégrité des droits de chacun. D’autre part, il encadre strictement le recours à la licitation, n’autorisant cette mesure, par essence exceptionnelle, qu’en dernier ressort, lorsqu’un partage amiable se heurte à des obstacles matériels ou juridiques insurmontables.

Toutefois, cette subordination stricte n’est pas exempte de critiques. Certains auteurs ont estimé que l’impossibilité manifeste d’un partage en nature dès l’introduction de l’instance pourrait justifier une demande en licitation à titre principal, sans compromettre pour autant l’équilibre procédural. Cette position, bien que séduisante, entre en contradiction avec la volonté du législateur de privilégier une approche prudente et graduée, afin de prévenir tout usage abusif de la licitation.

==>Compétence juridictionnelle

En premier lieu, la licitation relève de la compétence exclusive du tribunal judiciaire. Cette règle s’applique de manière uniforme, quelles que soient les circonstances spécifiques entourant l’indivision. Ainsi, même lorsque l’un des indivisaires est soumis à une procédure collective, le tribunal judiciaire demeure compétent pour connaître des demandes de licitation et de partage (Cass. com., 28 nov. 2000, n° 98-10.145). Dans ce contexte particulier, le liquidateur, agissant non dans l’intérêt personnel du débiteur mais en qualité de représentant des créanciers, peut solliciter la licitation des biens indivis. Dans un arrêt du 28 novembre 2000, la Cour de cassation a confirmé que le liquidateur, habilité à défendre les droits des créanciers, est en mesure de provoquer une licitation dans le cadre des opérations de partage (Cass. com., 28 nov. 2000, n° 98-10.145).

En second lieu, la compétence territoriale de la juridiction qui a vocation à connaitre d’une procédure de licitation judiciaire obéit à des règles qui visent garantir à la fois proximité et efficacité dans le traitement des litiges. L’article 841 du Code civil confère ainsi compétence au tribunal judiciaire du lieu d’ouverture de la succession pour connaître des actions en partage, ainsi que des contestations qui peuvent en découler, notamment celles relatives à la licitation ou à la garantie des lots. Lorsque la licitation ne procédure pas du partage d’une indivision successorale, l’article 45 du Code de procédure civile désigne le tribunal du lieu de situation des biens indivis comme juridiction compétente.

Ce cadre territorial vise à concentrer les litiges devant une juridiction proche des biens concernés. En opérant ce choix, le législateur entend non seulement simplifier les démarches pour les parties, mais également tenir compte des spécificités matérielles et économiques propres aux biens indivis, contribuant ainsi à une gestion plus fluide et plus rapide des procédures.

Enfin, il convient de souligner que cette compétence juridictionnelle, tant d’attribution que territoriale, est d’ordre public. Dès lors, elle ne saurait être modifiée par la volonté des parties.

==>La fixation des conditions de la vente

En application de l’article 1377 du Code de procédure civile, le juge se voit confier la responsabilité de fixer les conditions particulières de la vente par adjudication dans le cadre d’une licitation, qu’il s’agisse de biens meubles ou immeubles. Ce pouvoir embrasse notamment la détermination de la mise à prix, paramètre essentiel pour garantir le bon déroulement de la procédure et prévenir toute sous-évaluation susceptible de léser les intérêts des indivisaires. Cette intervention du juge, gage d’une équité procédurale, est toutefois tempérée par la possibilité, offerte aux indivisaires capables et présents, de convenir unanimement des modalités de la licitation. Cet accord, lorsqu’il est atteint, lie le tribunal, reflétant ainsi l’importance accordée au consentement des parties dans le processus de partage.

Cette souplesse procédurale est néanmoins contrebalancée par la rigueur imposée au déroulement de la licitation. Ainsi, bien que la possibilité d’un sursis temporaire à la vente pour tenter une cession de gré à gré ait été évoquée lors des travaux préparatoires des réformes législatives, cette faculté n’a pas été retenue. Le législateur a manifestement craint qu’une telle mesure ne ralentisse inutilement les procédures, préférant privilégier une approche plus directe pour éviter des délais incompatibles avec les impératifs de gestion des indivisions.

Le cahier des charges, document structurant de la licitation, peut par ailleurs comporter des dispositions spécifiques destinées à encadrer l’attribution des biens adjugés. Parmi celles-ci figure la clause d’attribution, qui stipule que si la dernière enchère est portée par un indivisaire, celui-ci ne sera pas déclaré adjudicataire, mais se verra attribuer le bien au prix fixé par l’adjudication dans le cadre du partage à intervenir. Ce mécanisme, validé par la jurisprudence (Cass. 1ère, 7 oct. 1997, n°95-17.071), favorise une organisation rationnelle et équitable des opérations, tout en préservant les intérêts patrimoniaux des copartageants. En complément, des clauses de substitution peuvent permettre à un adjudicataire de céder son droit à un tiers désigné, offrant ainsi une flexibilité supplémentaire sans compromettre la transparence de la procédure.

==>La recherche de l’intérêt collectif

Il est de principe que toutes les décisions prises par le juge dans le cadre de la procédure de licitation doivent être guidées par la recherche de l’intérêt collectif des copartageants. Cette exigence se traduit par une double obligation pour la juridiction saisie : d’une part, le juge doit s’attacher à optimiser la valeur d’adjudication des biens indivis, gage d’une protection économique des droits des parties. D’autre part, il lui incombe de garantir une répartition équitable des fruits de la vente, en tenant compte des spécificités des biens et des situations individuelles des indivisaires.

L’optimisation de la valeur d’adjudication implique que le tribunal organise la procédure de manière à maximiser la concurrence entre les enchérisseurs. À cet égard, la rédaction du cahier des charges revêt une importance cruciale. Ce document doit non seulement préciser les caractéristiques du bien mis en vente, mais également faire état de toute information susceptible d’influencer les enchères, comme l’existence de droits locatifs ou de servitudes. Ainsi, a été consacré par la jurisprudence l’obligation de mentionner dans le cahier des charges les droits locatifs grevant un bien indivis. Dans un arrêt du 18 juin 1973, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que l’adjudicataire devait être informé des droits d’occupation existants, ces derniers influant directement sur la valeur vénale du bien et, par conséquent, sur les intérêts des indivisaires. 

Par ailleurs, la répartition équitable des fruits de la vente doit également guider les décisions prises par le juge. Celui-ci doit veiller à ce que les modalités de la licitation ne créent pas de déséquilibre injustifié entre les indivisaires. Par exemple, si un indivisaire est lui-même locataire d’un bien indivis, comme ce fut le cas dans l’affaire précitée, il ne saurait être tenu de payer la différence entre la valeur libre et la valeur occupée du bien dont il est adjudicataire. Une telle solution, validée par la Cour de cassation, reflète un souci d’équité : elle empêche qu’un indivisaire se retrouve pénalisé dans l’attribution d’un bien au détriment des autres parties.

Le rôle du tribunal ne se limite donc pas à la définition des conditions formelles de la vente. Il s’étend à une analyse fine et précise des circonstances particulières de chaque indivision, afin d’adopter les mesures les mieux adaptées à l’intérêt collectif des indivisaires. Ainsi, lorsque les biens indivis présentent des caractéristiques spécifiques – qu’il s’agisse d’un immeuble à usage mixte ou d’un terrain à forte valeur économique – le juge peut prévoir des dispositions particulières pour préserver leur rentabilité ou leur attractivité. Par exemple, en cas de licitation d’un fonds de commerce dépendant d’un immeuble indivis, il est d’usage que le cahier des charges impose à l’adjudicataire de l’immeuble de consentir un bail à l’adjudicataire du fonds, si ces deux lots ne sont pas attribués à une même personne. 

==>Les personnes admises à participer à la licitation

L’article 1378 du Code de procédure civile prévoit que « si tous les indivisaires sont capables et présents ou représentés, ils peuvent décider à l’unanimité que l’adjudication se déroulera entre eux. À défaut, les tiers à l’indivision y sont toujours admis. » Il ressort de cette disposition que les enchères, dans le cadre d’une licitation, peuvent être restreintes aux seuls indivisaires.

Plus précisément, la limitation des enchères aux copartageants est envisageable lorsque tous les indivisaires remplissent simultanément plusieurs conditions : ils doivent être juridiquement capables, présents ou représentés par des mandataires disposant d’un pouvoir exprès. De surcroît, cette restriction requiert leur consentement unanime, traduisant une volonté commune d’éviter l’intervention de tiers dans la procédure. Cette faculté permet de maintenir la licitation dans une sphère strictement interne à l’indivision, tout en favorisant une résolution rapide et consensuelle du partage.

Toutefois, dès lors que l’une de ces conditions fait défaut, la procédure impose l’ouverture des enchères à des tiers. Ce mécanisme vise à prévenir tout risque de collusion ou de manœuvres entre indivisaires pouvant entraîner une adjudication à un prix injustement bas. En admettant des tiers, le législateur entend préserver l’intégrité des enchères, s’assurant que celles-ci reflètent la valeur réelle du bien mis en vente.

Cette ouverture des enchères devient obligatoire lorsque l’un des indivisaires est mineur ou incapable. Conformément à l’article 1687 du Code civil, dans une telle hypothèse, les tiers doivent impérativement être admis à participer à la licitation. Ce principe a trouvé une application dans une affaire où un indivisaire incapable s’opposait à une adjudication exclusive entre indivisaires. Le tribunal, rappelant les termes de l’article 1687, avait exigé l’ouverture des enchères aux tiers pour garantir une adjudication équitable, reflétant la valeur véritable des biens mis en vente (TGI Nantes, 27 juin 1967).

A cet égard, il peut être souligné que l’admission des tiers contribue également à maximiser la valeur d’adjudication, au bénéfice de l’ensemble des indivisaires. En augmentant le nombre de participants potentiels, cette ouverture crée une véritable dynamique compétitive lors des enchères, limitant ainsi le risque d’un prix d’adjudication trop bas. 

3.2. Règles particulières

a. La licitation des meubles

Conformément à l’article 1377 du Code de procédure civile, la licitation des meubles s’effectue dans les formes définies par les articles R. 221-33 à R. 221-39 du Code des procédures civiles d’exécution. Ces dispositions empruntent, en matière mobilière, au régime de la vente forcée sur saisie-vente, lequel assure une publicité, une organisation et une transparence optimales des opérations. Toutefois, il convient de distinguer entre les meubles corporels, directement visés par ces textes, et les meubles incorporels, soumis à un régime spécifique.

i. La licitation des meubles corporels

==>Le lieu de la vente

En vertu de l’article R. 221-33 du Code des procédures civiles d’exécution, la détermination du lieu de la vente des meubles dans le cadre d’une licitation obéit à des critères mêlant pragmatisme et efficacité économique. La vente peut être organisée soit au lieu où se trouvent les biens, soit dans une salle des ventes ou tout autre espace public, en fonction de la situation géographique la plus adaptée à solliciter la concurrence tout en minimisant les coûts. 

La localisation des meubles constitue le premier critère à considérer. Organiser la vente sur place permet de limiter les frais de déplacement et de transport des biens, ce qui est particulièrement pertinent lorsque ceux-ci se situent dans une région densément peuplée ou facilement accessible aux enchérisseurs. Toutefois, lorsque le lieu de situation des meubles ne favorise pas une concurrence suffisante, le tribunal peut opter pour un lieu plus stratégique, tel qu’une salle des ventes située dans une zone urbaine ou à proximité d’un marché plus dynamique. Cette approche vise à maximiser le produit de la vente en attirant un nombre accru d’enchérisseurs potentiels.

Le tribunal, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, doit également tenir compte des règles encadrant la compétence territoriale des officiers ministériels chargés de la vente, conformément à l’article 3 de l’ordonnance du 26 juin 1816. Dans les communes où les commissaires-priseurs judiciaires exercent un monopole, leur intervention doit être respectée, sous peine d’irrégularité de la procédure. Ce cadre juridictionnel, bien que contraignant, garantit une cohérence dans l’organisation des ventes tout en respectant les prérogatives des professionnels habilités.

L’organisation de la vente, qu’elle soit réalisée sur place ou dans un lieu public, doit également répondre à une exigence de transparence. En choisissant des espaces accessibles et ouverts à tous les enchérisseurs, la procédure prévient tout risque de collusion ou de manipulation des enchères. Cette publicité garantit ainsi une valorisation optimale des biens tout en renforçant la confiance des parties dans le déroulement de la licitation. Le choix du lieu devient alors un élément central de la procédure, combinant efficacité économique et respect des intérêts des indivisaires.

==>L’information de la vente

  • L’information des copartageants
    • L’article R. 221-35 du CPC prévoit que les indivisaires soient informés par l’officier ministériel des lieu, jour et heure de la vente, au moins huit jours avant celle-ci. 
    • Cette notification, effectuée par lettre simple ou tout autre moyen approprié, garantit que les parties intéressées puissent assister à la vente et défendre leurs droits.
    • Il doit en être fait mention dans le certificat prévu à l’article R. 221-34 du CPCR
  • La publicité de la vente
    • L’article R. 221-34 exige que la vente soit précédée d’une publicité appropriée, réalisée au moins huit jours avant la date fixée pour l’adjudication. 
    • Cette publicité est effectuée par affiches indiquant les lieu, jour et heure de celle-ci et la nature des biens saisis.
    • Les affiches sont apposées à la mairie de la commune où demeure le débiteur saisi et au lieu de la vente. 
    • La publicité obligatoire est faite à l’expiration du délai prévu au dernier alinéa de l’article R. 221-31 et huit jours au moins avant la date fixée pour la vente.
    • La vente peut également être annoncée par voie de presse.
    • L’huissier de justice doit certifier l’accomplissement des formalités de publicité.

==>Les modalités d’adjudication

  • La vérification des biens avant adjudication
    • Avant l’adjudication, l’officier ministériel chargé de la vente procède à une vérification scrupuleuse de la consistance et de la nature des biens à réaliser, conformément aux exigences de l’article R. 221-36 du Code des procédures civiles d’exécution. 
    • Cette formalité consiste à examiner les biens afin de relever tout objet manquant ou dégradé, garantissant ainsi une transparence totale sur les biens soumis aux enchères. 
    • Ce contrôle donne lieu à l’établissement d’un acte, qui constitue une pièce essentielle de la procédure et permet d’assurer la régularité de la vente.
    • Par ailleurs, l’article R. 221-12 du même code confère à l’huissier de justice la faculté de photographier les objets, si cela s’avère nécessaire. 
    • Ces photographies, conservées par l’huissier, servent de preuve objective et fiable dans l’hypothèse où une contestation surviendrait ultérieurement. 
    • Bien que leur communication soit strictement encadrée et ne puisse avoir lieu qu’en cas de litige porté devant le juge, elles renforcent la crédibilité de l’inventaire des biens, en fournissant une documentation visuelle précise.
    • Cette procédure de vérification, bien qu’historiquement liée aux risques spécifiques des saisies, trouve également sa place dans le cadre de la licitation. 
    • Elle vise à prémunir les indivisaires contre tout doute ou litige relatif à l’état des biens mis en vente. 
    • En outre, elle participe de la protection des droits des copartageants en offrant une garantie supplémentaire sur la consistance des biens à liciter.
  • Les conditions de la vente
    • En application de l’article R. 221-37, la vente est faite par un officier ministériel habilité par son statut à procéder à des ventes aux enchères publiques de meubles corporels et, dans les cas prévus par la loi, par des courtiers de marchandises assermentés.
    • L’article R. 221-38 précise que l’adjudication est réalisée au plus offrant, après trois criées.
    • Le prix est payable comptant, et en cas de défaut de paiement par l’adjudicataire, l’objet est revendu sur réitération des enchères, dite “à la folle enchère”.
    • Cette règle vise à garantir la rapidité et l’efficacité des opérations tout en limitant les risques d’impayés.
  • L’établissement de l’acte de vente
    • L’article R. 221-39 prévoit qu’il doit être dressé acte de la vente. 
    • Cet acte contient la désignation des biens vendus, le montant de l’adjudication et l’énonciation déclarée des nom et prénoms des adjudicataires. 
    • Il y est annexé un extrait des inscriptions au registre mentionné à l’article R. 521-1 du code de commerce levé en application de l’article R.221-14-1.
    • Il est procédé, sur justification du paiement du prix, à la radiation des inscriptions de sûretés prises sur les biens vendus du chef du débiteur saisi.

ii. La licitation des meubles incorporels

Les biens incorporels, tels que les droits d’associé ou les valeurs mobilières, échappent au régime classique applicable aux meubles corporels, régi par les articles R. 221-33 à R. 221-39 du Code des procédures civiles d’exécution. En raison de leur nature immatérielle, la licitation de ces biens requiert un encadrement procédural spécifique, énoncé aux articles R. 233-3 à R. 233-9 du même code. Contrairement aux meubles corporels, dont la valeur repose sur leur consistance matérielle, les biens incorporels tirent leur valorisation de droits abstraits, impliquant des règles distinctes adaptées à leurs spécificités juridiques et économiques.

Cette différence de traitement se justifie par la complexité inhérente à ces actifs, qui nécessitent une évaluation préalable approfondie, des formalités de publicité appropriées et la prise en compte de mécanismes contractuels ou statutaires, tels que les droits d’agrément ou de préemption. Ces exigences garantissent la transparence des opérations, la protection des intérêts des parties et la préservation de la sécurité juridique.

Toutefois, le cadre procédural applicable à ces biens incorporels diffère selon que les valeurs mobilières concernées sont ou non admises à la négociation sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation.

==>Les valeurs mobilières admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation

La licitation des valeurs mobilières admises à la négociation sur des marchés réglementés ou des systèmes multilatéraux de négociation est régie par les articles R. 233-3 et R. 233-4 du Code des procédures civiles d’exécution. Ces dispositions établissent un cadre procédural visant à assurer à la fois la simplicité, la rapidité et la transparence des opérations, tout en respectant les droits des débiteurs et des créanciers.

En premier lieu, l’article R. 233-3 confère au débiteur la faculté, dans un délai d’un mois à compter de la signification de la saisie, de donner l’ordre de vendre les valeurs mobilières saisies. Ce délai offre une marge de manœuvre permettant au débiteur de conserver une certaine maîtrise sur la gestion de ses actifs, tout en répondant aux impératifs de la procédure. Il est précisé que « le produit de la vente est indisponible entre les mains de l’intermédiaire habilité pour être affecté spécialement au paiement du créancier ». Cette indisponibilité garantit que les créanciers bénéficient en priorité du produit de la vente, protégeant ainsi leurs droits. En cas de vente excédant les sommes nécessaires pour désintéresser les créanciers, « l’indisponibilité cesse pour le surplus des valeurs mobilières saisies », restituant ainsi le solde au débiteur.

En second lieu, l’article R. 233-4 précise que, jusqu’à la réalisation de la vente forcée, le débiteur conserve la possibilité d’indiquer au tiers saisi l’ordre dans lequel les valeurs mobilières doivent être vendues. Ce pouvoir de priorisation permet d’optimiser la cession des actifs en fonction des préférences ou des contraintes économiques du débiteur. À défaut d’instruction expresse, « aucune contestation n’est recevable sur leur choix », ce qui confère à l’intermédiaire habilité une liberté d’exécution nécessaire à l’efficacité de la procédure.

Le déroulement de la procédure s’articule autour des étapes suivantes :

  • Signification de la saisie au débiteur : cette étape marque le point de départ du délai d’un mois imparti au débiteur pour donner l’ordre de vente des valeurs mobilières saisies, conformément à l’article R. 233-3.
  • Instruction de la vente par le débiteur : le débiteur peut ordonner la vente des valeurs mobilières, en précisant si nécessaire l’ordre dans lequel elles doivent être cédées, en application des articles R. 233-3 et R. 233-4.
  • Vente des valeurs mobilières : l’intermédiaire habilité procède à la vente selon les instructions du débiteur ou, à défaut, selon sa propre appréciation. Les produits de la vente sont indisponibles jusqu’à ce que les créanciers soient désintéressés.
  • Affectation des fonds : le produit de la vente est affecté prioritairement au paiement des créanciers. En cas d’excédent, le surplus est restitué au débiteur, mettant fin à l’indisponibilité.

==>Les valeurs mobilières non admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation

La licitation des valeurs mobilières non admises aux négociations sur des marchés réglementés ou des systèmes multilatéraux de négociation est régie par les articles R. 233-5 à R. 233-9 du Code des procédures civiles d’exécution. 

  • Tentative de vente amiable préalable
    • Conformément à l’article R. 233-5, la procédure débute par une tentative de vente amiable des valeurs mobilières. 
    • Si cette vente ne peut être réalisée dans les conditions prévues aux articles R. 221-30 à R. 221-32, une adjudication judiciaire est alors ordonnée. 
    • Cette étape préalable reflète une volonté de privilégier les solutions consensuelles et de réduire les coûts et les délais associés à une vente judiciaire.
  • Élaboration d’un cahier des charges
    • Avant la mise en vente, un cahier des charges doit être établi en application de l’article R. 233-6. Ce document joue un rôle central dans la procédure, car il contient :
      • Les statuts de la société concernée, afin de permettre une évaluation précise des droits mis en vente.
      • Tout document nécessaire à l’appréciation de la consistance et de la valeur des droits, garantissant ainsi la transparence des informations fournies aux enchérisseurs potentiels. 
    • Il peut être observé que les conventions instituant un agrément ou créant un droit de préférence au profit des associés ne s’imposent à l’adjudicataire que si elles figurent expressément dans le cahier des charges. 
  • Notification du cahier des charges
    • L’article R. 233-7 impose la notification du cahier des charges à la société concernée, qui doit à son tour en informer les associés.
    • Simultanément, une sommation est notifiée aux créanciers opposants, leur permettant de consulter le cahier des charges et, le cas échéant, de formuler des observations sur son contenu. 
    • Ces observations doivent être faites dans un délai de deux mois suivant la notification initiale, après quoi elles ne sont plus recevables. 
    • Ce mécanisme garantit que tous les intéressés disposent d’une opportunité équitable de participer au processus.
  • Publicité de la vente
    • Une fois le cahier des charges validé, une publicité de la vente est organisée conformément à l’article R. 233-8. 
    • Cette publicité doit indiquer les jour, heure et lieu de l’adjudication et est réalisée par voie de presse, voire par affichage si nécessaire. 
    • Elle doit être effectuée dans un délai compris entre quinze jours et un mois avant la date fixée pour la vente. 
    • Par ailleurs, le débiteur, la société et les créanciers opposants doivent être informés de cette date par notification individuelle.
  • Mise en œuvre des mécanismes conventionnels spécifiques
    • Avant l’adjudication, les mécanismes légaux ou conventionnels d’agrément, de préemption ou de substitution sont mis en œuvre conformément à l’article R. 233-9. 
    • Ces mécanismes permettent aux associés ou aux créanciers d’exercer leurs droits conformément aux statuts de la société ou aux conventions en vigueur.
  • Adjudication
    • L’adjudication elle-même suit les principes généraux des ventes judiciaires. 
    • L’adjudicataire, une fois déclaré, devient titulaire des droits incorporels cédés, sous réserve des restrictions éventuelles mentionnées dans le cahier des charges. 
    • Cette étape clôt la procédure et permet d’affecter le produit de la vente au paiement des créanciers, dans le respect des priorités établies.

b. La licitation des immeubles

L’article 1377, alinéa 2 du Code de procédure civile prévoit que « la vente est faite, pour les immeubles, selon les règles prévues aux articles 1271 à 1281 ». Ainsi, la licitation des immeubles dans le cadre d’un partage judiciaire est encadrée par des règles qui établissent un régime spécifique hérité de la tradition juridique antérieure, notamment de l’article 972 de l’ancien Code de procédure civile. Ce dernier renvoyait aux articles 953 et suivants lesquels régissaient la vente des biens immobiliers appartenant à des mineurs, reflétant déjà une volonté de protéger les intérêts des parties les plus vulnérables.

Ces dispositions, désormais modernisées, s’appliquent à la vente judiciaire des immeubles indivis, qu’ils appartiennent à des mineurs, à des majeurs en tutelle ou à plusieurs indivisaires dans le cadre d’un partage. Elles traduisent une continuité dans la recherche d’un équilibre entre la nécessité de mettre fin à l’indivision et la garantie d’une procédure équitable et sécurisée pour toutes les parties. 

i. Détermination des modalités de la vente

Conformément à l’article 1272 du Code de procédure civile, la licitation des biens immobiliers peut être réalisée soit à l’audience des criées, sous la supervision d’un juge désigné, soit devant un notaire commis à cet effet par le tribunal. Ce choix de modalité incombe au tribunal, qui dispose d’un pouvoir discrétionnaire, lui permettant d’opter pour l’une ou l’autre de ces solutions en fonction des circonstances et des intérêts en présence. Ce pouvoir, largement reconnu par la jurisprudence (Cass. civ., 20 janv. 1880, DP 1880, 1, p. 161), dispense le juge de motiver sa décision quant à la désignation d’un notaire ou à la tenue des enchères au tribunal.

Toutefois, une limite s’impose à ce pouvoir discrétionnaire. Lorsque tous les indivisaires, capables et présents, s’accordent unanimement pour demander une vente devant notaire, le tribunal est tenu de respecter cette demande, y compris en ce qui concerne le choix du notaire. Cette prérogative des indivisaires s’inscrit dans une logique de respect de la volonté collective des parties et s’applique indépendamment de la complexité de la situation ou de la nature des biens concernés.

En l’absence d’accord entre les indivisaires, le tribunal conserve l’entière maîtrise des modalités de la vente. Il peut notamment désigner un ou plusieurs notaires pour superviser la licitation. Lorsqu’il commet deux notaires, sans leur attribuer de mission particulière, ces derniers doivent agir de manière concertée. Ils ne peuvent agir indépendamment l’un de l’autre, notamment pour des actes aussi fondamentaux que l’établissement du cahier des charges. Cette exigence vise à garantir une parfaite régularité des opérations.

L’absence d’un notaire dans un tel cadre ne saurait être régularisée par la seule présence de témoins. Toutefois, il a été jugé que le cahier des charges établi par un notaire unique, bien que deux notaires aient été initialement désignés, reste valable dès lors que l’autre partie et son notaire s’étaient volontairement abstenus de comparaître (CA Rennes, 10 juill. 1957).

Le tribunal conserve par ailleurs un pouvoir discrétionnaire concernant le remplacement des notaires désignés. Ainsi, en cas de décès ou d’empêchement d’un notaire, il peut nommer un autre notaire ou, s’il en a désigné plusieurs avec une hiérarchie entre eux, intervertir les rôles initialement définis (Cass. 1ère civ., 9 janv. 1979, n°76-10.880).

Le choix entre la licitation à la barre du tribunal et celle devant notaire repose souvent sur des considérations pratiques. La licitation judiciaire, en raison des garanties procédurales qu’elle offre, est généralement privilégiée lorsqu’il existe des indivisaires mineurs ou incapables. À l’inverse, la licitation devant notaire tend à être plus attractive pour les tiers enchérisseurs, notamment lorsque l’étude notariale est située à proximité du bien immobilier concerné. Ce cadre flexible permet ainsi d’adapter les modalités de la procédure à l’intérêt des indivisaires et aux spécificités de chaque dossier.

ii. Fixation des conditions de vente

Une fois la licitation des biens immobiliers ordonnée, le tribunal est chargé de fixer les conditions essentielles de la vente. Conformément à l’article 1273 du Code de procédure civile, cette prérogative intéresse principalement la détermination de la mise à prix de chaque bien concerné. Le tribunal peut également prévoir que, si aucune enchère n’atteint cette mise à prix initiale, la vente puisse s’effectuer sur une mise à prix inférieure, qu’il fixe lui-même. Ce mécanisme, souvent étagé, vise à garantir la réalisation effective de la vente tout en préservant au mieux les intérêts des indivisaires.

La mise à prix constitue un élément central de la procédure de licitation. Elle correspond au montant minimum à partir duquel les enchères peuvent débuter. Si les indivisaires, tous capables et présents, s’accordent à l’unanimité sur les conditions de la vente, ils peuvent convenir eux-mêmes de cette mise à prix et des modalités y afférentes. Cependant, en l’absence d’un tel accord, il revient au tribunal de trancher et de fixer les conditions de manière souveraine (art. 1377, al. 1er CPC).

Dans l’exercice de cette prérogative, le tribunal dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Il peut, par exemple, décider que la mise à prix initiale pourra être abaissée en cas d’absence d’enchères atteignant ce montant. Ce mécanisme progressif, par paliers successifs (par exemple, un quart ou une moitié en moins), est conçu pour assurer l’attractivité de la vente tout en veillant à ne pas sacrifier la valeur des biens (Cass. 1re civ., 23 juill. 1979, n°78-10.067).

Pour fixer une mise à prix réaliste et adaptée, le tribunal peut ordonner une estimation totale ou partielle des biens si leur consistance ou leur valeur le justifie (art. 1273, al. 2 CPC). Cette mesure est néanmoins facultative et relève de la seule appréciation du juge. Ainsi, le tribunal n’est pas tenu d’ordonner une expertise, même si elle est sollicitée, ni de se conformer aux conclusions du rapport d’un expert lorsqu’il en a désigné un (Cass. 1ère civ., 2 mars 1966). 

En tout état de cause, la fixation des conditions de vente par le tribunal doit reposer sur une analyse, au cas par cas, des circonstances. L’objectif est d’assurer une juste valorisation des biens indivis tout en facilitant leur réalisation lors de la vente. Cette démarche équilibrée tient compte des intérêts des indivisaires et de l’attractivité nécessaire pour susciter l’intérêt des enchérisseurs.

iii. L’établissement du cahier des charges

Le cahier des charges, pièce essentielle de la procédure de licitation, constitue le cadre juridique définissant les modalités de la vente et les engagements des parties. Prévu par l’article 1275 du Code de procédure civile, il doit être établi avec rigueur, car il devient la « loi des parties » une fois déposé. Ce document, obligatoire selon la jurisprudence (Cass. 3e civ., 27 févr. 2002, n°00-15.317), joue un rôle central en structurant les étapes de la vente, garantissant ainsi la transparence et l’équité de la procédure.

==>La rédaction du cahier des charges

Le rédacteur du cahier des charges est désigné en fonction de la modalité choisie pour la licitation :

  • Licitation à l’audience des criées : dans ce cas, l’avocat représentant le copartageant à l’origine de la procédure est chargé de la rédaction. Il lui revient de déposer le cahier des charges au greffe du tribunal, conformément aux règles procédurales applicables. Ce dépôt garantit l’accessibilité du document à toutes les parties intéressées, notamment les autres indivisaires.
  • Licitation devant notaire : lorsque la vente est confiée à un notaire commis par le tribunal, c’est à ce dernier que revient la responsabilité de rédiger le cahier des charges. Cette attribution est cohérente avec les missions du notaire en tant qu’officier public, garantissant la régularité et la sécurité juridique des opérations.

S’agissant du contenu du cahier des charges, il est déterminé par les parties lorsqu’elles parviennent à un accord unanime. À défaut d’un tel accord, il appartient au tribunal de fixer les conditions essentielles de la vente dans son jugement. Ce document doit obligatoirement comporter les éléments suivants :

  • Le jugement ayant ordonné la vente : cette mention permet d’identifier précisément la base légale et la décision judiciaire ayant autorisé la licitation.
  • La description détaillée des biens à vendre : le cahier des charges doit fournir une description précise et exhaustive des biens concernés, y compris leur nature, leur situation géographique et, le cas échéant, leur état locatif. Cette exigence vise à garantir que les enchérisseurs potentiels disposent de toutes les informations nécessaires pour évaluer les biens et formuler des offres éclairées.
  • La mise à prix et les conditions essentielles de la vente : le document doit préciser le montant de la mise à prix fixé par le tribunal ou convenu par les parties, ainsi que les modalités de l’adjudication. Ces conditions incluent notamment les délais de paiement et les éventuelles garanties exigées des enchérisseurs.
  • Vente d’un fonds de commerce : lorsque la vente porte sur un fonds de commerce, le cahier des charges spécifie la nature et la situation tant du fonds que des divers éléments qui le composent, ainsi que les obligations qui seront imposées à l’acquéreur, notamment quant aux marchandises qui garnissent le fonds.

==>La mie à disposition du cahier des charges

Une fois rédigé, le cahier des charges devient un élément essentiel de la procédure de licitation, car il formalise les conditions de vente et sert de référence pour toutes les parties impliquées. Sa mise à disposition est encadrée de manière à garantir une transparence totale et à permettre aux indivisaires, ainsi qu’à tout tiers intéressé, de participer efficacement à la procédure.

Le mode de dépôt ou de mise à disposition du cahier des charges dépend de la modalité de licitation choisie :

  • Dans le cadre d’une licitation à la barre : lorsque la vente a lieu à l’audience des criées, le cahier des charges est déposé au greffe du tribunal. Ce dépôt revêt une importance particulière, car il permet à toutes les parties concernées de prendre connaissance des termes de la vente avant que les enchères ne soient réalisées. Il garantit ainsi l’équité procédurale en offrant à chaque indivisaire une possibilité d’examen des conditions fixées.
  • Dans le cadre d’une licitation devant notaire : lorsque la vente est organisée par un notaire, le cahier des charges est tenu à disposition dans l’étude notariale. Cette modalité, plus flexible, permet une consultation directe par les indivisaires ou par les tiers intéressés, qui peuvent se rendre chez le notaire pour en prendre connaissance. Cela est particulièrement avantageux lorsque le notaire est situé à proximité des biens à vendre, facilitant ainsi l’accès à l’information pour les personnes concernées.

Dans les deux cas, l’objectif de cette mise à disposition est de garantir une information complète et accessible, tout en permettant aux parties de préparer leur éventuelle participation aux enchères ou d’émettre des observations sur le contenu du cahier des charges.

Historiquement, l’ancien article 973 du Code de procédure civile imposait une sommation formelle aux copartageants de prendre connaissance du cahier des charges dans un délai de huit jours suivant son dépôt. Cette disposition visait à instituer une procédure rigoureuse, offrant un cadre temporel précis pour s’assurer que chaque partie avait été informée des conditions de la vente et pouvait, en cas de désaccord, soulever des observations ou contestations.

En cas de difficulté ou de litige concernant le cahier des charges, les contestations étaient réglées à l’audience, permettant au tribunal d’intervenir pour trancher les désaccords. Cette procédure renforçait la sécurité juridique et offrait une voie directe de résolution des différends avant la tenue des enchères.

Cependant, cette exigence de sommation formelle n’a pas été reprise dans les textes actuels. Son absence a été critiquée, car elle laisse une zone d’incertitude quant à la manière dont les parties doivent être informées. En pratique, cette lacune impose désormais aux tribunaux une responsabilité accrue pour s’assurer que les indivisaires et les autres parties intéressées soient dûment informés et disposent d’une possibilité effective de consultation.

Bien que les textes actuels ne prévoient plus de sommation formelle, la nécessité d’informer les parties reste une exigence implicite. Les juridictions, en particulier dans le cadre des licitations à la barre, veillent à ce que les copartageants soient informés de la mise à disposition du cahier des charges et disposent d’un délai raisonnable pour en prendre connaissance.

Il est souvent palier à ce silence textuel par les pratiques notariales ou judiciaires. Les notaires, par exemple, adoptent des mesures pratiques pour garantir l’accessibilité du cahier des charges, notamment en informant directement les indivisaires ou en utilisant des moyens de communication modernes comme les courriers électroniques. De même, les greffes des tribunaux facilitent la consultation des documents déposés.

Le cahier des charges, en plus de constituer un cadre pour la vente, permet aux indivisaires et aux tiers intéressés d’exercer pleinement leurs droits. Sa consultation préalable est cruciale pour que les parties puissent :

  • Vérifier les conditions de la vente et la mise à prix fixée ;
  • Identifier les éventuelles erreurs ou omissions dans la description des biens ;
  • Proposer des rectifications ou formuler des observations avant l’enchère.

Les éventuels désaccords ou observations des parties peuvent être soumis au tribunal ou au notaire, selon la modalité de licitation choisie, avant la finalisation de la vente. Ainsi, le cahier des charges joue un rôle non seulement informatif, mais également participatif, en permettant aux parties de contribuer au bon déroulement de la procédure.

==>La force obligatoire du cahier des charges

Il est admis que le cahier des charges s’analyse comme une véritable offre de vente formulée aux conditions qu’il définit, son acceptation par l’adjudicataire entraînant la formation du contrat (art. 1103 C. civ.). Ce document, qui fixe les règles et conditions essentielles de la vente, tient ainsi lieu de « loi aux parties » et ne peut être modifié unilatéralement après son dépôt.

En effet, une fois déposé au greffe ou tenu à disposition dans l’étude notariale, le cahier des charges acquiert une force obligatoire. En conséquence, aucun copartageant ne peut le modifier de manière unilatérale. Cette règle a été consacrée par la jurisprudence, qui a affirmé que toute tentative de modification sans l’accord des autres parties est nulle et non avenue (Cass. 1re civ., 27 janv. 1998, n°95-15.296). 

Toutefois, avant qu’il ne devienne définitif, le cahier des charges n’est qu’un projet, soumis à l’approbation des indivisaires. Cette étape préliminaire permet aux parties de proposer des rectifications légitimes, lesquelles doivent être intégrées, sous réserve d’un consensus. En cas de désaccord persistant entre les indivisaires, ces rectifications peuvent être soumises à l’appréciation du tribunal, qui tranchera la question.

Le notaire ou l’avocat chargé de la rédaction du cahier des charges agit comme mandataire des parties. À ce titre, il doit prendre en considération la volonté collective des indivisaires et veiller à exprimer fidèlement leurs intérêts communs. Bien qu’il dispose d’une certaine autonomie dans la rédaction du document, il a l’obligation d’accueillir favorablement toute demande de modification justifiée par l’un des indivisaires et de consulter les autres parties sur ces propositions.

Ce rôle de mandataire implique également une responsabilité en cas d’omission ou d’erreur dans le cahier des charges. Si le rédacteur néglige de prendre en compte des observations légitimes ou ne respecte pas les exigences légales, les parties concernées peuvent solliciter une révision du document ou engager sa responsabilité.

La jurisprudence, notamment par un arrêt de la Cour de cassation du 25 octobre 1972, a rappelé qu’il est possible, même après qu’une décision irrévocable a ordonné une licitation, de demander la stipulation d’une clause dans le cahier des charges, sous réserve que cette demande ne porte pas sur un point ayant acquis l’autorité de la chose jugée (Cass. 1ère civ., 25 oct. 1972, n°71-11.018).

Dans cette affaire, la Cour d’appel avait rejeté une demande d’ajout d’une clause d’attribution préférentielle d’une villa au motif qu’un arrêt antérieur, devenu irrévocable, avait ordonné une licitation « pure et simple ». Toutefois, la Cour de cassation a censuré cette position en considérant que l’arrêt antérieur n’avait pas statué sur la question de l’attribution préférentielle et ne pouvait donc avoir autorité de chose jugée sur ce point. Elle a précisé que l’autorité de la chose jugée ne s’applique qu’aux éléments expressément tranchés par la décision initiale, laissant ainsi la possibilité d’adapter le cahier des charges à des éléments non réglés dans le jugement de licitation.

Cette souplesse dans l’élaboration ou la modification du cahier des charges est toutefois encadrée par des limites strictes. Une fois la licitation réalisée, les possibilités de modification deviennent considérablement réduites. Par exemple, une clause stipulée au profit d’un indivisaire mais non approuvée par les autres copartageants ne peut leur être imposée. Cette position a été clairement établie par la jurisprudence (Cass. Com., 4 févr. 1970, n° 68-11.811).

En outre, une « déclaration d’adjudicataire » déposée après l’adjudication, sans être reprise dans le cahier des charges, est considérée comme nulle. La Cour de cassation, dans un arrêt du 27 janvier 1998 a fermement rappelé que le cahier des charges fait la loi des parties (Cass. 1ère civ. 1re, 27 janv. 1998, n°95-15.296). En l’espèce, une déclaration déposée postérieurement à l’adjudication, par laquelle certains indivisaires tentaient de modifier les modalités de la vente pour prévoir une attribution à titre de partage et non de licitation, n’a pas été reconnue comme valable.

La Haute juridiction a souligné que le cahier des charges, qui fixe les conditions essentielles de la vente, est un document juridiquement contraignant. Une fois adopté, il constitue un cadre immuable qui ne peut être modifié que dans les formes prévues par la procédure. La « déclaration d’adjudicataire » en question, déposée après l’adjudication, n’ayant pas été reprise dans le cahier des charges avant cette dernière, n’avait donc aucune valeur juridique et ne pouvait être opposée ni aux autres indivisaires ni au nouvel adjudicataire.

En refusant de donner effet à cette déclaration tardive, la Cour de cassation a réaffirmé non seulement la force obligatoire du cahier des charges, mais également l’exigence de rigueur et de sécurité juridique qui préside à la procédure de licitation. En effet, permettre de telles modifications après coup compromettrait l’équité entre les parties et ouvrirait la voie à des contestations pouvant déstabiliser le processus de vente.

Ainsi, cette solution, protectrice des droits des parties, garantit que les termes de la vente restent inchangés après leur adoption, conformément au principe de force obligatoire des conventions (art. 1103 C. civ.). En l’absence de toute stipulation préalable dans le cahier des charges, une déclaration postérieure ne saurait avoir d’effet juridique, quel que soit son contenu ou les intentions des parties concernées.

==>Les clauses spécifiques du cahier des charges

Le cahier des charges peut comporter des clauses spécifiques destinées à encadrer la procédure et à clarifier les droits des parties. Parmi celles-ci, deux clauses méritent une attention particulière : la clause de substitution et la mention relative à l’état locatif des biens.

  • La clause de substitution
    • La clause de substitution permet à un indivisaire de se substituer à l’adjudicataire tiers dans un délai déterminé, sous réserve des conditions précisées dans le cahier des charges. 
    • Cette clause, parfaitement licite au regard de l’article 1102 du Code civil, s’analyse en un prolongement des droits de substitution déjà prévus par l’article 815-15 du Code civil. 
    • Tandis que ce dernier s’applique uniquement lorsque l’adjudication porte sur les droits indivis d’un indivisaire, la clause stipulée dans le cahier des charges peut élargir ce droit à l’ensemble des biens indivis.
    • La jurisprudence a confirmé la validité de cette clause, en précisant qu’elle doit figurer dans le cahier des charges pour produire ses effets. 
    • Ainsi, dans un arrêt du 17 mars 2010, il a été jugé par la Cour de cassation que « le cahier des charges faisant la loi des parties à l’adjudication », une clause de substitution figurant dans celui-ci est parfaitement valable (Cass. 1ère civ., 17 mars 2010, n°08-21.554). 
    • A cet égard, lorsque plusieurs indivisaires invoquent la clause, la substitution est accordée à celui qui en fait la demande en premier, conformément au principe prior tempore potior jure (Cass. 1ère civ., 7 oct. 1997, n°95-17.071).
    • Enfin, le cahier des charges peut exiger le dépôt préalable du prix d’adjudication par l’indivisaire souhaitant exercer la substitution (Cass. 2e civ., 6 oct. 1993, n°90-18.590). 
    • Cette condition vise à prévenir toute contestation ultérieure et à garantir la sécurité de la transaction.
  • La mention relative à l’état locatif des biens
    • Le cahier des charges doit également comporter une mention sur l’état locatif des biens, en application de l’article 1112-1 du Code civil. 
    • Cette obligation d’information permet à l’adjudicataire de connaître l’existence éventuelle de baux en cours, ceux-ci étant opposables, même s’ils ont été conclus par un seul des indivisaires (Cass. 1ère civ., 19 mars 1991, n°89-20.352).
    • La jurisprudence a fermement établi qu’un bail régulièrement consenti par un indivisaire engage l’adjudicataire, lequel devra le respecter (Cass. 1ère civ., 18 juin 1973, n° 72-11.239).
    • En revanche, si un doute persiste quant aux droits du locataire, notamment en cas de contentieux en cours, une mention explicative doit figurer dans le cahier des charges (Cass. 2e civ., 13 nov. 1959).
    • Par ailleurs, l’absence d’une telle mention dans le cahier des charges pourrait engager la responsabilité du rédacteur si elle entraîne un préjudice pour l’adjudicataire. 
    • Toutefois, cette responsabilité ne saurait être retenue si l’adjudicataire avait connaissance de l’existence du bail (Cass. 1ère civ., 26 nov. 1996, n°94-20.334).

iv. La publicité de la vente

La publicité de la vente est une étape importante de la procédure de licitation, car elle vise à garantir à la fois la transparence et une concurrence loyale entre les enchérisseurs potentiels. Elle est encadrée par l’article 1274 du Code de procédure civile, qui confère au tribunal la mission de déterminer les modalités de cette publicité en tenant compte de trois critères : la valeur, la nature et la situation des biens concernés.

==>Les critères d’appréciation du juge

Le tribunal exerce un pouvoir discrétionnaire pour adapter les modalités de publicité aux spécificités du bien à vendre. Ainsi, il doit tenir compte : 

  • De la valeur du bien : un bien immobilier de grande valeur peut nécessiter une publicité plus large, par exemple au niveau national, afin d’attirer des acquéreurs disposant des ressources nécessaires. À l’inverse, pour un bien de moindre valeur, une publicité locale peut suffire.
  • De la nature du bien : un immeuble résidentiel, un local commercial ou un terrain nu n’attireront pas le même type d’enchérisseurs. Le choix des supports publicitaires doit donc être adapté au public cible.
  • De la situation géographique des biens : les biens situés dans des zones rurales, moins fréquentées, peuvent nécessiter une publicité étendue pour compenser leur faible visibilité locale, tandis que les biens situés en centre-ville peuvent bénéficier d’une couverture plus ciblée.

==>Les formes de publicité

En pratique, la publicité prend des formes variées, définies en fonction des critères précités et des usages locaux. 

Elle inclut généralement :

  • Des annonces dans des journaux : les annonces légales publiées dans des journaux spécialisés ou locaux constituent une méthode classique de publicité. Ces annonces doivent préciser les informations essentielles, telles que la description du bien, la mise à prix, la date et le lieu de l’adjudication.
  • Des affiches : l’apposition d’affiches sur les lieux du bien est également une méthode fréquente, permettant d’informer les riverains et les passants.
  • D’autres moyens adaptés : le tribunal peut également prescrire l’utilisation de supports numériques, comme des annonces sur des sites spécialisés dans les ventes immobilières, ou encore des campagnes de diffusion via des agences immobilières.

==>Finalité de la publicité

La principale finalité de la publicité est de garantir une information large et accessible, afin d’attirer un maximum d’enchérisseurs potentiels. Cette mise en concurrence permet de maximiser le prix obtenu lors de la vente, ce qui est dans l’intérêt des indivisaires. En outre, la publicité renforce la transparence de la procédure, en minimisant les risques de contestation liés à un manque d’information.

==>Contrôle des mesures de publicité

Le tribunal joue un rôle central dans le contrôle de la publicité. Il peut, si nécessaire, exiger des preuves de la réalisation des mesures publicitaires prescrites, comme des attestations de publication ou des photographies des affiches apposées. 

En cas de manquement aux modalités fixées, la procédure de vente pourrait être annulée, mettant en jeu la responsabilité du rédacteur du cahier des charges ou des officiers publics impliqués.

v. L’information des indivisaires

L’article 1276 du Code de procédure civile institue une obligation d’informer les indivisaires de la vente d’un bien indivis au moins un mois avant la réalisation de cette dernière. 

Cette notification de la vente aux indivisaires conditionne la régularité de la procédure. Elle vise à garantir que chaque indivisaire, qu’il soit présent ou absent, puisse prendre connaissance de l’opération envisagée et exercer ses droits, notamment celui de contester ou d’intervenir dans la procédure. En effet, la vente d’un bien indivis affecte directement les droits patrimoniaux des indivisaires, qui détiennent chacun une quote-part dans l’indivision.

Le délai d’un mois prévu par l’article 1276 constitue un minimum légal, permettant à chaque indivisaire de disposer du temps nécessaire pour évaluer l’opération, solliciter des conseils juridiques ou formuler d’éventuelles observations. Ce délai doit être strictement respecté, sous peine de nullité de la procédure.

Le soin de notifier la vente aux indivisaires incombe au rédacteur du cahier des charges, généralement un notaire ou un avocat désigné dans le cadre de la procédure. Ce professionnel a une mission essentielle : veiller à ce que tous les indivisaires, sans exception, soient informés de manière claire et précise. Cette notification doit mentionner les éléments suivants :

  • La date et le lieu de la vente ;
  • Les modalités de cette dernière (vente amiable ou vente judiciaire) ;
  • Les informations relatives au bien vendu (descriptif, mise à prix, etc.) ;
  • Les droits dont disposent les indivisaires, notamment la possibilité d’en contester les conditions.

Le rédacteur du cahier des charges doit s’assurer que la notification soit effectuée par un moyen permettant d’en garantir la réception, par exemple par lettre recommandée avec accusé de réception ou par acte d’huissier. En cas de difficulté, notamment en cas d’indivisaires introuvables ou absents, le professionnel peut solliciter l’autorisation du juge afin de procéder à une notification par voie de publication ou par tout autre moyen adapté.

L’absence ou l’insuffisance de la notification peut entraîner de lourdes conséquences juridiques. En cas de non-respect de cette obligation, l’indivisaire lésé dispose d’un recours en annulation de la vente. La jurisprudence est constante sur ce point, estimant que toute atteinte aux droits procéduraux des indivisaires constitue une irrégularité substantielle.

En outre, l’absence de notification peut également engager la responsabilité civile du rédacteur du cahier des charges, si ce manquement cause un préjudice aux indivisaires. Par exemple, si la vente est annulée en raison de cette irrégularité, les frais supplémentaires engagés pourront être réclamés au professionnel défaillant.

Dans les situations où les indivisaires sont en conflit ou en cas de difficulté particulière dans la gestion de l’indivision, cette obligation d’information revêt une importance particulière. Elle permet d’éviter que certains indivisaires ne soient écartés des décisions importantes et garantit que la vente s’effectue dans des conditions transparentes et conformes aux règles légales.

vi. La procédure d’adjudication

L’adjudication d’un bien indivis, qu’elle soit réalisée à la barre du tribunal ou devant un notaire, constitue une étape cruciale du processus de vente. Régie par les articles 1277 et 1278 du Code de procédure civile ainsi que par les dispositions spécifiques du Code des procédures civiles d’exécution, cette phase requiert un respect rigoureux des règles de publicité et des formalités prescrites. Ces règles, empruntées à la saisie immobilière, visent à garantir la transparence et l’équité de la procédure tout en protégeant les intérêts des parties concernées.

==>Les règles générales d’adjudication

  • Les modalités d’adjudication
    • L’adjudication se tient selon les modalités fixées par le tribunal dans le cadre de la vente en indivision. Elle peut se dérouler dans deux contextes distincts :
      • À l’audience des criées : les enchères doivent être portées par le ministère d’un avocat, conformément à l’article R. 322-40 du Code des procédures civiles d’exécution. L’avocat, en sa qualité de mandataire de l’acheteur, ne peut être porteur que d’un seul mandat, ce qui garantit l’intégrité et l’indépendance de la procédure.
      • Devant un notaire : dans ce cas, les enchères peuvent être reçues directement par ce dernier, sans que le recours au ministère d’un avocat soit requis (CPC, art. 1278, al. 2). Ce mécanisme vise à simplifier la procédure tout en assurant la sécurité juridique grâce à l’intervention d’un officier public.
  • La capacité des enchérisseurs
    • L’article R. 322-39 du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE) établit des restrictions quant aux personnes pouvant participer aux enchères publiques lors d’une procédure d’adjudication. 
    • Ces restrictions visent à prévenir les conflits d’intérêts, à protéger l’intégrité de la procédure et à maintenir la confiance des parties impliquées et du public dans la transparence des opérations.
    • Au nombre des personnes frappées d’une encapacité de participer aux enchères figurent :
      • Le débiteur saisi
        • Le débiteur saisi est interdit de participer aux enchères, que ce soit directement ou par personne interposée. 
        • Cette interdiction s’applique essentiellement dans le cadre des ventes sur saisie immobilière mais peut être étendue par analogie aux ventes en licitation judiciaire lorsqu’un indivisaire demande la vente.
        • Cette incapacité vise à éviter que le débiteur, tenu de vendre ses biens pour apurer ses dettes ou régler une situation d’indivision, ne puisse racheter son propre bien pour échapper à l’obligation de paiement.
        • Une telle participation compromettrait la finalité de la procédure, qui est d’organiser une redistribution équitable du produit de la vente entre créanciers ou indivisaires.
      • Les auxiliaires de justice ayant participé à la procédure
        • Les auxiliaires de justice étant intervenu dans la procédure à un quelconque titre (avocats, notaires, huissiers, ou même mandataires judiciaires) sont également frappés d’une incapacité de participer aux enchères.
        • Cette interdiction s’explique par leur rôle central dans le bon déroulement de la procédure : ces professionnels doivent garantir l’impartialité et l’équilibre entre les parties.
        • Une participation de leur part serait perçue comme contraire à leur obligation de neutralité et pourrait engendrer des soupçons de conflit d’intérêts ou de favoritisme.
        • Exemple : un avocat qui a rédigé le cahier des charges ou représenté une des parties dans la procédure pourrait être accusé d’avoir utilisé ses connaissances privilégiées pour influencer ou manipuler le processus.
      • Les magistrats de la juridiction ayant ordonné la vente
        • Les magistrats ayant pris part à la juridiction où la vente a été ordonnée ou supervisée sont également exclus des enchères.
        • Cette incapacité découle directement des principes de séparation des pouvoirs et d’impartialité de la justice.
        • Permettre à un magistrat de participer aux enchères soulèverait des doutes sur la légitimité des décisions rendues, notamment en cas de fixation d’une mise à prix jugée favorable ou d’autres conditions de vente.
    • La participation d’une personne frappée d’incapacité peut entraîner des conséquences importantes :
        • Nullité de l’enchère et de l’adjudication : toute enchère portée par une personne incapable est frappée de nullité (articles R. 322-48 et R. 322-49 du CPCE).
        • Responsabilité disciplinaire ou pénale : Pour les auxiliaires de justice ou magistrats, une telle participation pourrait donner lieu à des poursuites disciplinaires pour manquement à leurs obligations professionnelles, voire à des sanctions pénales en cas de collusion ou d’abus de fonction.
  • La représentation des enchérisseurs
    • La représentation des enchérisseurs lors d’une adjudication diffère selon que la procédure se déroule devant le tribunal ou devant un notaire. 
      • Ministère obligatoire d’un avocat devant le tribunal
        • Lorsqu’une adjudication se déroule à la barre du tribunal, les enchères doivent obligatoirement être portées par le ministère d’un avocat inscrit au barreau du tribunal judiciaire compétent. Cette obligation poursuit plusieurs objectifs essentiels :
          • Garantir la sécurité juridique : l’avocat, en tant que professionnel du droit, maîtrise les règles de la procédure et peut éviter à son mandant des erreurs susceptibles d’entraîner la nullité des enchères ou des contestations.
          • Assurer la transparence et l’équité de la procédure : en n’autorisant qu’un avocat par enchérisseur, le législateur prévient tout conflit d’intérêts ou stratégie dilatoire. En effet, l’article R. 322-40 du CPCE stipule que l’avocat ne peut représenter qu’un seul client, ce qui garantit l’impartialité des enchères.
          • Encadrer les garanties financières : avant de porter une enchère, l’avocat doit se faire remettre par son client une caution bancaire ou un chèque de banque couvrant au moins 10 % de la mise à prix, conformément à l’article R. 322-41 du CPCE.
        • Cette garantie vise à éviter que des enchères soient portées par des personnes insolvables.
        • L’avocat agit en qualité de mandataire exclusif de l’enchérisseur.
        • A cet égard, il est responsable de vérifier que son mandant respecte les exigences de capacité (articles R. 322-39 et R. 322-41-1 du CPCE) et qu’il dispose des moyens financiers nécessaires.
        • À l’issue de l’audience, il déclare au greffier l’identité de son mandant et fournit les documents requis, notamment les attestations de capacité ou de garanties financières (article R. 322-46 du CPCE).
      • Dispense de représentation par avocat devant le notaire
        • En application de l’article 1278, alinéa 2, du Code de procédure civile, les enchères portées devant un notaire ne nécessitent pas le ministère d’un avocat. 
        • La raison en est que les enchères devant un notaire sont souvent moins formelles que celles organisées par un tribunal.
        • Par ailleurs, en tant qu’officier public, le notaire est lui-même garant de la sécurité juridique et peut remplir certaines fonctions qu’un avocat aurait assumées devant le tribunal.
        • En outre, lorsqu’une licitation judiciaire est organisée devant un notaire, les participants sont souvent limités aux indivisaires ou à des tiers connus, ce qui réduit le risque de contentieux.
        • Bien que le ministère d’avocat ne soit pas obligatoire, le notaire doit veiller à l’application des règles essentielles, notamment :
          • Le respect des dispositions prévues dans le cahier des charges.
          • Le respect des garanties financières prévues à l’article R. 322-41 du CPCE ;
          • L’application des règles d’incapacité posées par l’article R. 322-39 du CPCE, excluant notamment les magistrats et auxiliaires de justice impliqués dans la procédure.
        • Enfin, c’est au notaire, qu’il incombe de rédiger le procès-verbal d’adjudication, qui constitue la base du titre de propriété.

==>Déroulement de l’audience d’adjudication

L’audience d’adjudication est le moment décisif de la procédure, où les enchères sont portées publiquement afin de déterminer l’adjudicataire final du bien indivis. Elle est encadrée par des règles strictes prévues par le Code des procédures civiles d’exécution (CPCE), afin de garantir la transparence, l’équité et la sécurité juridique des opérations. L’audience se déroule en plusieurs phases :

  • Ouverture des enchères
    • Annonce des frais
      • conformément à l’article R. 322-42 du CPCE, le juge ouvre les enchères en commençant par annoncer publiquement les frais liés à la procédure, notamment :
        • Les frais de poursuite, engagés par le créancier poursuivant pour mener à bien la procédure.
        • Les frais de surenchère, si applicable, justifiés par le surenchérisseur éventuel.
      • Cette étape garantit que l’ensemble des participants soit informé des coûts qui s’ajouteront au prix d’adjudication.
      • Toute somme exigée au-delà des frais annoncés est réputée non écrite.
    • Rappel du montant de la mise à prix
      • Ensuite, le juge rappelle que les enchères partiront du montant de la mise à prix, tel que fixé dans le cahier des charges ou par une décision judiciaire (article R. 322-43 du CPCE).
      • La mise à prix est le montant minimal en dessous duquel aucune enchère ne peut être validée, sauf en cas de remise en vente à prix réduit (prévue par l’article R. 322-47 du CPCE).
      • Ce rappel par le juge vise à garantir que les enchères débutent sur une base claire et connue de tous les participants.
      • Cette étape marque l’ouverture officielle des enchères et donne le cadre dans lequel elles se dérouleront.
  • Port des enchères
    • Le port des enchères suit des règles strictes, destinées à garantir l’équité entre les participants et à permettre une progression ordonnée des offres.
      • Des enchères pures et simples (article R. 322-44 du CPCE)
        • Les enchères doivent être pures et simples, c’est-à-dire :
          • Sans condition ni réserve : Chaque enchère est définitive et engage immédiatement celui qui la porte.
          • Progression obligatoire : Chaque enchère doit couvrir l’enchère précédente, ce qui exclut les offres inférieures ou égales à la dernière enchère.
        • Ce principe assure une montée progressive des offres et empêche tout blocage ou stratégie dilatoire de la part des participants.
      • Temps limite pour les enchères (article R. 322-45 du CPCE)
        • Les enchères sont arrêtées dès lors qu’un délai de 90 secondes s’écoule sans qu’aucune nouvelle enchère ne soit portée.
        • Ce délai est mesuré par un système visuel ou sonore, qui signale au public chaque seconde écoulée.
        • Ce mécanisme évite les hésitations prolongées et favorise un déroulement fluide de l’audience.
        • Ce temps limite est particulièrement utile pour clôturer les enchères dans un cadre clair, en laissant une opportunité raisonnable aux participants de se manifester sans prolonger inutilement la procédure.
  • Constatation de l’adjudication
    • Une fois les enchères arrêtées, le juge constate immédiatement le montant de la dernière enchère et en tire les conséquences juridiques :
      • Si la dernière enchère atteint ou dépasse la mise à prix, l’adjudication est définitive. 
      • Dans le cas contraire, une adjudication provisoire peut être prononcée en attendant une éventuelle nouvelle audience, conformément à l’article 1277 du Code de procédure civile.
      • Le juge établit un procès-verbal d’adjudication, qui formalise le transfert du bien à l’enchérisseur déclaré adjudicataire.
      • Ce procès-verbal servira de base pour la délivrance du titre de propriété (article R. 322-59 du CPCE).

==>Conséquences de l’adjudication

L’adjudication, point culminant de la vente aux enchères, peut être qualifiée de définitive ou provisoire selon que l’enchère atteint ou non le montant de la mise à prix fixée. Chaque qualification, encadrée par les dispositions du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE) et du Code de procédure civile, emporte des conséquences juridiques et pratiques distinctes.

  • L’enchère atteint le montant de la mise à prix : l’adjudication définitive
    • L’adjudication est qualifiée de définitive dès lors que l’enchère couvre ou dépasse le montant fixé comme mise à prix dans le cahier des charges ou par décision judiciaire. 
    • Conformément à l’article R. 322-45 du CPCE, le juge constate immédiatement cette adjudication, ce qui engage irrévocablement l’enchérisseur déclaré adjudicataire.
    • L’adjudication définitive emporte des effets juridiques majeurs. 
    • Elle entraîne d’abord le transfert de propriété au bénéfice de l’adjudicataire, sous réserve du paiement intégral du prix d’adjudication et des frais taxés. 
    • Ce transfert de propriété est juridiquement certain et opposable aux tiers dès la prononciation du jugement d’adjudication. 
    • Ainsi, l’adjudication garantit aux créanciers ou indivisaires que le bien a été vendu à un prix conforme aux attentes, qu’il s’agisse de la mise à prix initiale ou des conditions du marché.
    • L’adjudicataire a également l’obligation de s’acquitter du prix et des frais dans les délais prescrits par la loi. 
    • En cas de défaillance, il s’expose à une réitération des enchères, assortie de sanctions financières, conformément à l’article R. 322-66 du CPCE. 
    • Ce mécanisme vise à protéger les intérêts des créanciers ou indivisaires en assurant que l’adjudication atteigne son objectif final.
  • L’enchère n’atteint pas le montant de la mise à prix : l’adjudication provisoire ou la remise en vente
    • Lorsque les enchères ne permettent pas de couvrir la mise à prix fixée dans le cahier des charges ou par décision judiciaire, la procédure prévoit deux issues distinctes : la remise en vente immédiate ou l’adjudication provisoire.
      • La remise en vente immédiate bien (article R. 322-47 du CPCE)
        • Si aucune enchère ne parvient à couvrir le montant de la mise à prix initiale, le juge peut prévoir, dès l’établissement du cahier des charges, une remise en vente immédiate du bien.
        • La remise en vente immédiate repose sur un mécanisme de réduction successive de la mise à prix. 
        • Le montant de la mise à prix peut être progressivement diminué par paliers, afin d’accroître les chances de susciter l’intérêt des enchérisseurs. 
        • Ce processus se poursuit jusqu’à ce qu’une enchère soit portée ou, à défaut, jusqu’au montant minimal prévu dans le cahier des charges.
        • Cette nouvelle mise en vente est organisée dans les mêmes conditions de publicité et de transparence que l’adjudication initiale. 
        • Les formalités légales de publicité doivent être respectées pour garantir que les nouvelles conditions de la vente soient portées à la connaissance de tous les participants potentiels, assurant ainsi l’équité de la procédure.
        • L’objectif principal de la remise en vente est d’éviter une situation de blocage qui pourrait compromettre la vente.
        • En procédant ainsi, le juge maximise les opportunités de trouver un acquéreur tout en préservant les intérêts économiques des indivisaires ou des créanciers concernés.
      • Adjudication provisoire (article 1277 du Code de procédure civile)
        • Si le cahier des charges ou la décision du juge n’autorise pas une remise en vente immédiate, une adjudication provisoire peut être prononcée au profit de l’enchérisseur ayant formulé l’offre la plus élevée, même si cette dernière reste inférieure au montant de la mise à prix.
        • Contrairement à l’adjudication définitive, l’adjudication provisoire n’emporte pas de transfert immédiat de propriété. 
        • Elle confère à l’adjudicataire un droit conditionnel, subordonné à une validation ultérieure par le tribunal. Cette situation permet de temporiser, tout en maintenant la procédure ouverte.
        • Le rôle du tribunal, tel que prévu à l’article 1277, alinéa 2, du Code de procédure civile, est central dans cette configuration.
        • Une fois saisi à la requête d’une partie intéressée, qu’il s’agisse d’un indivisaire ou d’un créancier, le tribunal dispose de deux options :
          • Valider l’adjudication provisoire : si les conditions sont jugées acceptables, l’adjudication provisoire devient définitive. La propriété est alors transférée à l’adjudicataire sous réserve du paiement du prix et des frais.
          • Ordonner une nouvelle vente : si le tribunal estime que l’adjudication provisoire ne permet pas de satisfaire les intérêts des parties, notamment en raison d’un prix insuffisant, il peut décider de procéder à une nouvelle adjudication. Cette nouvelle vente doit être organisée dans un délai minimum de 15 jours. Elle implique une nouvelle mise à prix, adaptée à la situation, ainsi que des formalités de publicité conformes aux exigences légales pour assurer une transparence optimale.

==>Jugement d’adjudication et titre de vente

  • La fonction du jugement d’adjudication
    • Le jugement d’adjudication constitue l’acte juridique par excellence constatant le transfert de propriété du bien vendu aux enchères. 
    • Cet acte, établi par le juge ayant supervisé la procédure, remplit une double fonction : il constate l’attribution du bien à l’adjudicataire et rend ce transfert de propriété opposable aux tiers.
    • En premier lieu, le jugement d’adjudication matérialise juridiquement l’attribution du bien à l’enchérisseur ayant remporté l’adjudication. Il ne s’agit pas seulement d’un constat formel, mais bien d’un acte fondateur conférant à l’adjudicataire la possibilité d’exercer pleinement ses droits sur le bien, sous réserve du paiement intégral du prix et des frais.
    • En second lieu, et conformément à l’article R. 322-59 du Code des procédures civiles d’exécution, le jugement d’adjudication ne se limite pas à constater l’achèvement de la procédure d’adjudication. Son établissement est également une condition préalable à l’inscription des droits de propriété de l’adjudicataire au registre foncier. En effet, l’inscription au registre foncier, qui garantit la publicité et l’opposabilité des droits de propriété, ne peut être réalisée sans ce jugement, lequel sert de fondement à l’ensemble des démarches postérieures.
  • Les mentions obligatoires du jugement
    • Le jugement d’adjudication doit comporter plusieurs mentions obligatoires, prévues à l’article R. 322-59 du Code des procédures civiles d’exécution.
      • Référence au cahier des charges
        • Le jugement doit mentionner le cahier des charges qui régit les conditions de la vente. 
        • Pour mémoire, ce document encadre les modalités de l’adjudication et les obligations de l’adjudicataire. 
        • En faisant référence à ce cahier, le jugement garantit que l’adjudication a respecté les conditions fixées.
      • Formalités de publicité accomplies
        • Le jugement doit préciser les actes de publicité réalisés ainsi que leurs dates. 
        • Ces formalités assurent que la procédure a été menée de manière transparente, permettant à tous les participants potentiels d’être informés de la vente. 
        • Une omission ou une irrégularité dans l’accomplissement de ces formalités pourrait affecter la validité de l’adjudication.
        • La mention des publicités dans le jugement offre ainsi une preuve que tous les participants potentiels ont pu être informés de manière adéquate, évitant ainsi toute contestation ultérieure sur ce fondement
  • Désignation du bien vendu
    • Une description précise de l’immeuble objet de l’adjudication est nécessaire. 
    • Cette désignation doit comporter les informations essentielles permettant d’identifier sans ambiguïté le bien concerné, telles que l’adresse, les références cadastrales, et, le cas échéant, ses caractéristiques spécifiques (surface, nature du bien, etc.). 
    • Cette exigence vise à écarter tout risque de confusion ou de litige concernant le bien transféré, garantissant ainsi que les droits de l’adjudicataire portent sur un objet clairement défini.
  • Identité de l’adjudicataire et montant de l’adjudication
    • Le jugement doit mentionner avec précision l’identité de l’adjudicataire, en indiquant ses nom et prénom, ou, dans le cas d’une personne morale, sa dénomination sociale et son numéro SIREN. 
    • Par ailleurs, le montant exact de l’enchère retenue ainsi que les frais taxés liés à la procédure doivent être expressément indiqués. 
    • Ces informations permettent non seulement d’identifier l’acquéreur de manière claire, mais aussi de calculer les montants à répartir entre les créanciers ou les indivisaires, garantissant ainsi la transparence financière de l’opération.
  • La délivrance du titre de vente
    • Une fois le jugement d’adjudication établi, celui-ci est revêtu de la formule exécutoire et remis à l’adjudicataire. 
    • Cette formalité, prévue à l’article R. 322-62 du Code des procédures civiles d’exécution, constitue l’aboutissement de la procédure d’adjudication. 
    • Elle confère à l’adjudicataire un titre de propriété officiel, permettant de faire valoir ses droits auprès des tiers.
    • En ce qui concerne la procédure de délivrance, le greffier ou le notaire ayant supervisé la vente remet à l’adjudicataire une expédition du jugement d’adjudication. 
    • Ce document constitue le titre de propriété du bien. 
    • Si la vente porte sur plusieurs lots adjugés à des acquéreurs différents, chaque adjudicataire reçoit une expédition distincte, accompagnée des quittances attestant du paiement des frais taxés. 
    • Le titre de vente ainsi délivré permet à l’adjudicataire de procéder à l’inscription de ses droits au registre foncier, officialisant ainsi son statut de propriétaire. 
    • Cette inscription est une étape essentielle, car elle assure la publicité et l’opposabilité des droits de propriété à l’égard des tiers. 
    • Elle confère également à l’adjudicataire une protection juridique renforcée en cas de litige ou de revendications ultérieures concernant le bien. 
  • Les effets du jugement
    • Le jugement d’adjudication emporte des effets juridiques immédiats tant pour l’adjudicataire que pour les tiers.
      • Le transfert de propriété
        • Le jugement d’adjudication formalise le transfert de propriété du bien adjugé au profit de l’adjudicataire dès sa prononciation. 
        • Toutefois, ce transfert reste conditionné au paiement intégral du prix d’adjudication ainsi que des frais taxés.
        • Tant que cette obligation n’a pas été exécutée, l’adjudicataire ne peut jouir pleinement de ses droits.
        • Une fois le paiement effectué, l’adjudicataire devient propriétaire du bien adjugé.
        • Il acquiert ainsi tous les droits attachés à la propriété, notamment ceux d’usage, de jouissance et d’aliénation. 
        • Il peut utiliser le bien comme bon lui semble, percevoir les fruits qu’il génère, ou encore le vendre, le donner ou le grever de droits réels.
        • Par ailleurs, ce transfert de propriété est opposable aux tiers. 
        • Cela signifie que les droits de l’adjudicataire ne peuvent être contestés par des tiers, sauf en cas de vices graves affectant la régularité de la procédure elle-même. 
      • L’effet déclaratif
        • Le jugement d’adjudication, dans le cadre d’une licitation, ne se limite pas à transférer la propriété du bien.
        • Il produit également un effet déclaratif, conférant à l’adjudicataire un titre qui purge les éventuels vices affectant les transmissions antérieures et stabilise la situation juridique du bien.
        • La raison en est que, en vertu de l’article 883 du Code civil, l’effet déclaratif attribue à l’adjudicataire une position rétroactive, le plaçant comme s’il avait toujours été seul propriétaire du bien depuis l’origine de l’indivision. 
        • Cet effet s’applique tant à l’égard des co-indivisaires qu’à l’égard du défunt dans les indivisions successorales.
        • L’effet déclaratif du jugement d’adjudication a une portée corrective et purgative. Il purge la chaîne de propriété en éteignant rétroactivement les droits ou actes des co-indivisaires sur le bien adjugé. 
        • Par exemple, un acte de disposition (vente, hypothèque ou bail) établi par un indivisaire non adjudicataire est anéanti rétroactivement, tandis que ceux établis par l’adjudicataire sont validés, consolidant ainsi ses droits.
        • Dans cette logique, la licitation-partage n’est pas considérée comme une mutation à titre onéreux mais comme un acte de partage. 
        • Elle échappe donc aux règles applicables aux ventes ordinaires, y compris aux actions en rescision pour lésion, sauf en cas de dispositions contraires inscrites dans le cahier des charges.
        • Cet effet déclaratif est particulièrement précieux lorsque le bien adjugé a été l’objet de litiges ou d’irrégularités dans les transmissions antérieures. 
        • Le jugement d’adjudication stabilise la situation juridique en consolidant les droits de l’adjudicataire, garantissant ainsi une propriété purgée de tous vices. 

==>La défaillance de l’adjudicataire et la réitération des enchères

Lorsqu’un adjudicataire ne s’acquitte pas du prix d’adjudication et des frais dans les délais impartis, le bien peut être remis en vente dans les conditions prévues par l’article R. 322-66 du CPCE.

  • Certificat de défaillance et organisation d’une nouvelle audience
    • La première étape en cas de défaillance de l’adjudicataire consiste en l’établissement d’un certificat de défaillance.
    • Ce document, dressé par le notaire ou le greffier, constate officiellement que l’adjudicataire n’a pas satisfait à ses obligations de paiement.
    • Conformément à l’article R. 322-67 du CPCE, le certificat est signifié à l’adjudicataire défaillant. Cette signification marque le point de départ d’un délai pendant lequel ce dernier peut, le cas échéant, régulariser sa situation.
    • Si aucune régularisation n’intervient, une nouvelle audience est fixée par le tribunal. 
    • Cette audience doit se tenir dans un délai compris entre deux et quatre mois suivant la signification du certificat de défaillance (article R. 322-69 du CPCE). 
    • Ce délai permet d’organiser les formalités de publicité nécessaires et de garantir une reprise transparente de la procédure.
  • Formalités de publicité et déroulement des nouvelles enchères
    • Pour garantir la transparence et l’égalité entre les participants, les formalités de publicité initiales doivent être intégralement renouvelées. Ces formalités sont effectuées selon les prescriptions de l’article R. 322-70 du CPCE.
    • La publicité doit inclure l’ensemble des informations prévues pour la vente initiale, auxquelles s’ajoute le montant de l’adjudication défaillante. Cette précision permet aux nouveaux enchérisseurs d’avoir une connaissance complète des conditions entourant la vente.
    • Le jour de l’audience, les enchères sont reprises dans les mêmes conditions que celles de la première vente, conformément à l’article R. 322-71 du CPCE.
    • Les règles relatives au déroulement des enchères, notamment la durée limite de 90 secondes entre deux enchères (article R. 322-45 du CPCE), s’appliquent également à cette nouvelle vente.
  • Conséquences pour l’adjudicataire défaillant
    • La défaillance de l’adjudicataire n’est pas sans conséquences pour ce dernier.
    • L’adjudicataire défaillant demeure redevable des frais liés à la première vente, même si le bien est remis en vente. 
    • En outre, il doit payer des intérêts au taux légal sur le montant de son enchère, calculés jusqu’à la date de la nouvelle vente (article R. 322-72 du CPCE). 
    • Si la nouvelle vente se conclut à un prix inférieur à celui de l’enchère initiale, l’adjudicataire défaillant peut être tenu de compenser la différence, afin de préserver les droits des créanciers ou des indivisaires.

==>La faculté de surenchère

La licitation, par essence, vise à obtenir le meilleur prix pour le bien mis en vente, afin de garantir une juste valorisation au bénéfice des parties concernées. Toutefois, il peut arriver que l’adjudication initiale ne reflète pas pleinement la valeur réelle du bien, soit en raison d’une concurrence insuffisante, soit du fait de circonstances particulières ayant limité les enchères. C’est pour répondre à de telles situations que la faculté de surenchère a été instituée.

Prévue par l’article 1279, alinéa 1er, du Code de procédure civile, ainsi que par les articles R. 322-50 et suivants du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE), la surenchère offre la possibilité, dans un délai strictement encadré de 10 jours, de rouvrir la procédure en proposant une offre supérieure d’au moins 10 % au prix principal de l’adjudication initiale. Ce mécanisme garantit à la fois la transparence et l’équité, tout en assurant que le bien puisse être vendu à sa juste valeur.

  • Initiation de la procédure de surenchère
    • Délai de 10 jours
      • La surenchère ne peut être exercée que dans un délai de 10 jours suivant l’adjudication définitive, conformément à l’article 1279 du Code de procédure civile. 
      • Ce délai impératif commence à courir à compter du jour où l’adjudication a été prononcée.
    • Déclaration de la surenchère
      • La première étape de la procédure consiste en la déclaration de surenchère. 
      • Cette déclaration, réservée à toute personne souhaitant contester l’adjudication initiale, doit respecter des exigences formelles rigoureuses.
      • Conformément à l’article R. 322-51 du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE), la surenchère doit être formée par acte d’avocat, déposé au greffe du tribunal compétent. 
      • Cette formalité, essentielle pour garantir la solennité et la validité de la procédure, témoigne de l’engagement sérieux de la personne souhaitant exercer ce droit.
      • L’avocat, dans le cadre de la déclaration de surenchère, doit attester avoir reçu de son client une garantie financière. 
      • Celle-ci prend la forme d’une caution bancaire irrévocable ou d’un chèque de banque équivalant à 10 % du montant principal de l’adjudication initiale. 
      • L’obligation de fourniture d’une garantie financière vise à prévenir les surenchères abusives en exigeant du surenchérisseur la preuve de sa capacité à honorer son engagement.
  • Dénonciation de la surenchère
    • Une fois déposée, la surenchère doit être dénoncée aux parties intéressées dans un délai de trois jours ouvrables. 
    • Cette dénonciation s’effectue par acte d’huissier, conformément à l’article R. 322-52 du CPCE. 
    • Elle garantit que les parties concernées (notamment l’adjudicataire initial, le créancier poursuivant et, le cas échéant, les indivisaires) sont informées de la reprise des enchères.
    • Cette notification comprend une copie de l’attestation bancaire mentionnée ci-dessus, ce qui conforte la crédibilité de la démarche du surenchérisseur.
    • Le non-respect des délais et formalités entraîne l’irrecevabilité de la surenchère.
  • Organisation de la nouvelle audience
    • Une fois la surenchère valablement formée et dénoncée, le tribunal organise une nouvelle audience d’enchères. 
    • Cette étape, strictement réglementée par les articles R. 322-53 à R. 322-55 du CPCE, marque la reprise de la procédure d’adjudication dans un cadre renouvelé.
      • Fixation de la date
        • Le tribunal fixe une nouvelle audience dans un délai compris entre deux et quatre mois à compter de la déclaration de surenchère. 
        • Ce délai, prévu par l’article R. 322-53 du CPCE, permet de renouveler les formalités de publicité et de garantir une préparation adéquate des enchérisseurs potentiels.
      • Renouvellement des formalités de publicité
        • Les formalités de publicité initiales doivent être réitérées avant la nouvelle audience.
        • Selon l’article R. 322-54 du CPCE, ces formalités sont réalisées à la diligence du surenchérisseur ou, à défaut, du créancier poursuivant. 
        • Elles incluent la mention de la nouvelle mise à prix, correspondant au montant de l’adjudication initiale majoré d’au moins 10 %. 
        • Ce renouvellement vise à informer le public des nouvelles conditions et à attirer de potentiels enchérisseurs.
  • Déroulement de la nouvelle audience
    • La nouvelle audience d’enchères suit les mêmes règles que l’audience initiale, en respectant toutefois les spécificités liées à la surenchère.
      • Reprise des enchères
        • Conformément à l’article R. 322-55 du CPCE, les enchères reprennent sur la base de la nouvelle mise à prix fixée par la surenchère.
        • Les règles habituelles des enchères publiques, notamment celles relatives au temps imparti pour porter les enchères (article R. 322-45 du CPCE), s’appliquent.
      • Résultat de l’audience
        • Si aucune enchère ne dépasse la mise à prix actualisé, le surenchérisseur est déclaré adjudicataire. 
        • Ce mécanisme récompense son initiative tout en garantissant que le bien ne soit pas vendu à un prix inférieur à la surenchère initiale.
  • Limites de la surenchère
    • Afin de préserver la sécurité juridique et d’éviter des prolongations abusives, une seconde surenchère est expressément exclue.
    • L’article R. 322-55 du CPCE prévoit que l’adjudication issue de la nouvelle audience est définitive et ne peut plus être remise en cause par une nouvelle surenchère.
    • Cette limitation garantit la stabilité des droits acquis et marque la fin de la procédure, assurant ainsi que la vente atteigne son objectif ultime : obtenir une juste valorisation du bien dans des conditions de transparence et d’équité.

Opérations de partage: la détermination du nombre de lots

La constitution des lots constitue la première étape du partage effectif de la masse partageable. Elle consiste à regrouper les biens indivis en ensembles cohérents, appelés « lots », qui seront ensuite attribués à chaque indivisaire en fonction de ses droits. Cette opération est essentielle, car elle conditionne la répartition finale des biens et vise à garantir un partage équitable et équilibré.

Loin d’être une simple division matérielle des biens, la constitution des lots doit répondre à des principes fondamentaux, parmi lesquels le respect de l’égalité en valeur et le maintien des unités économiques. Le législateur et la jurisprudence imposent ainsi des règles précises encadrant cette opération, tout en laissant une certaine marge de manœuvre afin d’adapter le partage aux réalités économiques et humaines de chaque indivision.

Le processus de constitution des lots présente plusieurs enjeux essentiels :

  • La détermination du nombre de lots, qui dépend directement du mode de partage retenu. Selon les cas, le partage peut être réalisé par tête, lorsque chaque indivisaire reçoit une part égale, ou par souche, lorsque la répartition tient compte de branches familiales distinctes. Par ailleurs, il convient d’envisager le cas où les indivisaires ne disposent pas de droits égaux, ce qui impose une répartition spécifique.
  • La composition des lots, qui suppose de regrouper les biens de manière cohérente et équitable. Cette opération doit respecter les intérêts économiques des indivisaires tout en prenant en compte la nature des biens composant la masse partageable. 

Le partage en nature demeure, en principe, privilégié par le législateur, conformément à l’article 826 du Code civil, qui impose de rechercher autant que possible une attribution de biens en nature correspondant à la valeur des droits de chaque indivisaire. Toutefois, lorsque cette répartition s’avère impossible ou déséquilibrée, des alternatives au partage en nature doivent être envisagées (soultes, division de biens ou licitation en dernier recours).

Nous nous focaliserons ici sur la première étape du processus de constitution des lots: la détermination de leur nombre.

La détermination du nombre de lots à composer se pose avec la même acuité, qu’il s’agisse d’un partage successoral ou d’un partage issu d’une autre situation d’indivision, telle que la dissolution d’une indivision post-communautaire, la répartition d’un bien acquis conjointement par des tiers, ou encore la liquidation d’une indivision conventionnelle.

Si les règles applicables trouvent leur socle dans les principes généraux du droit des successions, elles s’adaptent aux spécificités de chaque situation afin de garantir une répartition équilibrée des droits indivis. 

La détermination du nombre de lots obéit à deux principes importants : d’une part, le partage par tête ou par souche, visant à garantir une stricte égalité arithmétique entre les copartageants, et, d’autre part, le partage en présence de parts inégales, qui exige une réduction des droits au plus petit dénominateur commun afin de garantir l’équité dans l’attribution des lots.

§1: Le partage par tête ou par souche

==>Le partage par tête : une division à parts égales entre les indivisaires

Le partage par tête intervient lorsque chaque indivisaire est titulaire de droits égaux sur les biens indivis et accède à l’indivision de son propre chef, sans qu’il y ait lieu de recourir à la représentation. Ce mode de répartition, qui a pour fondement l’article 827 du Code civil, impose que le partage de la masse indivise s’effectue à parts égales entre les copartageants, chacun recevant un lot correspondant à sa part de droits indivis. La règle énoncée par l’article 827 signifie qu’il doit être constitué autant de lots que d’indivisaires, chaque lot devant refléter de manière identique la valeur d’une fraction de la masse partageable.

L’exigence d’égalité qui sous-tend le partage par tête trouve à s’appliquer dans toutes les formes d’indivision, qu’elle soit d’origine successorale, communautaire ou conventionnelle. Prenons l’exemple d’une indivision issue de l’acquisition commune d’un bien immobilier par trois coacquéreurs ayant financé à parts égales l’achat. Si ces indivisaires souhaitent procéder au partage du bien, trois lots de valeur équivalente devront être constitués afin que chacun reçoive une portion correspondant à sa quote-part initiale. Ce mécanisme, qui est d’une grande simplicité, garantit une répartition équitable, prévenant ainsi tout litige sur la répartition des biens.

Dans le cadre d’une succession, le même principe s’applique. Si un défunt laisse trois enfants comme héritiers, la masse successorale sera divisée en trois parts égales, chacun des enfants recevant un lot d’égale valeur. Cette approche assure une répartition équilibrée des biens entre les héritiers, conformément à l’idée selon laquelle chaque copartageant doit pouvoir jouir d’une part identique du patrimoine à partager. Comme l’affirment Aubry et Rau, « le partage par tête tend à maintenir l’équilibre initial entre les indivisaires, sans distinction autre que celle de leurs droits respectifs ».

Le partage par tête trouve également à s’appliquer dans des indivisions post-communautaires. Lorsqu’un couple marié sous le régime de la communauté se sépare et que le partage doit intervenir entre les deux ex-époux, la division en deux lots de valeur équivalente s’impose si les contributions aux biens communs ont été égales. Ce principe assure une continuité logique avec l’égalité patrimoniale ayant prévalu durant le mariage.

Toutefois, certaines particularités doivent être prises en compte dans des situations spécifiques. Si un indivisaire décède avant que le partage ne soit réalisé, ses droits indivis sont transmis à ses héritiers, mais un seul lot devra être constitué pour l’ensemble des successeurs venant à la même part. Cette unité du lot, qui vise à préserver l’homogénéité du partage, permet d’éviter une multiplication des lots inutiles et une complexité excessive des opérations. Planiol et Ripert rappellent à cet égard que « le lot doit être conçu comme une unité indivisible destinée à satisfaire les droits d’un même indivisaire, qu’il s’agisse d’une personne ou d’un groupe venant en représentation ».

Enfin, la question du partage par tête peut soulever des difficultés lorsque le partage est retardé en raison de circonstances particulières. Tel est le cas lorsqu’un enfant est seulement conçu au jour de l’ouverture de la succession. Conformément à l’article 725 du Code civil, cet enfant a vocation à recueillir la succession s’il naît viable. Dans une telle hypothèse, si le partage doit être organisé avant la naissance, il est raisonnable de constituer les lots en tenant compte de cette naissance probable. Un ajustement pourra alors intervenir ultérieurement pour corriger la répartition initiale en fonction du nombre d’enfants effectivement nés. Cette solution pragmatique permet d’anticiper les éventualités tout en garantissant une répartition conforme aux droits successoraux effectifs.

==>Le partage par souche : préserver l’unité des droits transmis par représentation

Le partage par souche intervient dans les situations où certains indivisaires accèdent à la masse indivise par le mécanisme de la représentation, c’est-à-dire en qualité de continuateurs des droits d’un auteur décédé avant le partage. Cette règle, consacrée par l’article 827 du Code civil, vise à préserver l’unité des droits transmis au sein d’une même branche familiale. En effet, le texte précise que « le partage de la masse s’opère par tête. Toutefois, il se fait par souche quand il y a lieu à représentation », ajoutant que, dans un tel cas, une répartition distincte doit être opérée entre les héritiers de chaque souche. Ce principe trouve son application naturelle dans le cadre des successions, mais il peut également s’étendre à d’autres formes d’indivision, telles que les indivisions conventionnelles ou post-communautaires.

Le mécanisme du partage par souche repose sur une division initiale de la masse partageable entre les différentes souches représentées, chaque souche formant une unité indivisible dans la répartition des lots. À titre d’illustration, prenons l’exemple d’une indivision successorale dans laquelle le défunt laisse deux enfants, l’un des deux étant décédé avant le partage, laissant à son tour deux descendants. Conformément à la règle du partage par souche, deux lots seront d’abord constitués pour les enfants du défunt, puis un second partage sera opéré au sein de la souche représentée, afin que les petits-enfants se partagent équitablement le lot attribué à leur parent décédé. Ce mécanisme garantit que chaque branche familiale conserve une part intacte des droits hérités, tout en assurant une répartition juste au sein de chaque souche.

La doctrine s’accorde sur l’importance de ce principe pour éviter une multiplication excessive des lots, laquelle pourrait conduire à des complications lors du tirage au sort ou à la nécessité de recourir à une licitation. Comme le rappellent Aubry et Rau, « la règle du partage par souche tend à maintenir l’équilibre entre les branches familiales, en limitant les risques de fragmentation excessive de la masse partageable ».

Dans la pratique, le partage par souche permet également de prendre en compte les situations où les droits transmis ne sont pas directement issus de la dévolution successorale. Par exemple, dans une société civile immobilière (SCI), si un associé décédé avait deux enfants, mais que l’un d’eux est également décédé avant le partage, ses propres descendants recueilleront ensemble le lot attribué à leur auteur. Cette méthode garantit que la transmission des droits reste cohérente avec la structure familiale initiale et permet d’éviter un morcellement disproportionné du capital social de la SCI.

Toutefois, le partage par souche ne s’applique pas uniquement aux successions. Il peut également trouver à s’appliquer dans les indivisions conventionnelles, notamment lorsque plusieurs indivisaires représentent les ayants droit d’un titulaire initial de droits indivis. 

Prenons un exemple concret. Imaginons une indivision conventionnelle issue de l’acquisition d’un bien immobilier par deux frères. L’un d’eux cède ses droits indivis à ses trois enfants, tandis que l’autre conserve l’intégralité de ses parts. Dans une telle situation, au moment du partage, les trois enfants du premier frère ne recevront pas chacun un lot distinct. Conformément au principe du partage par souche, ils seront considérés comme une souche unique, représentant les droits transmis par leur père. Il conviendra alors de constituer deux lots : l’un pour le frère ayant conservé ses parts, l’autre pour les trois enfants, pris collectivement. Ce mécanisme garantit que les droits transmis par le frère cédant ne soient pas artificiellement fragmentés, assurant ainsi une cohérence dans la répartition des biens indivis.

Ce principe trouve un écho important dans la jurisprudence. Dans un arrêt du 29 juin 2011, la Cour de cassation a rappelé que le partage par souche vise à préserver l’unité des droits transmis par représentation et ne doit pas être confondu avec le partage par tête (Cass. 1ère civ., 29 juin 2011, n°10-17.925). Dans cette affaire, la succession concernait l’épouse d’un copartageant survivant, lequel partageait les droits successoraux avec ses trois petites-filles, venues par représentation de leur père prédécédé.

L’époux survivant, usufruitier de la moitié des biens successoraux et donataire de la plus large quotité disponible, avait sollicité le partage de la succession et la licitation préalable de deux biens immobiliers. La cour d’appel avait ordonné cette licitation, estimant que les biens étaient de valeur inégale et que les copartageantes n’étaient pas en mesure de proposer une répartition en nature. Toutefois, la Cour de cassation a censuré cette décision, en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché si le partage pouvait être commodément réalisé en deux lots distincts : l’un devant être attribué à l’époux survivant et l’autre aux trois petites-filles, prises collectivement en tant que souche unique.

Par cette décision, la Haute juridiction réaffirme que le partage par souche permet d’éviter que les héritiers venant par représentation soient désavantagés en raison de leur nombre. En effet, si le partage s’était opéré par tête, chacune des petites-filles aurait reçu un lot distinct, risquant de fragmenter les droits issus de leur auteur commun. Or, en retenant le mécanisme du partage par souche, un lot unique est attribué à la souche représentée, ce qui permet d’assurer une cohérence dans la transmission des droits et une simplification du partage.

Cette distinction entre partage par tête et partage par souche est cruciale pour garantir une répartition équitable, notamment dans les successions complexes où les héritiers ne se trouvent pas tous au même degré de parenté. Prenons un autre exemple : un défunt laisse un enfant survivant et trois petits-enfants venant par représentation d’un autre enfant prédécédé. Si le partage s’opère par tête, chaque petit-enfant recevra une part distincte, ce qui aura pour effet de réduire la quote-part globale de leur souche par rapport à celle de l’enfant survivant. En revanche, si le partage est réalisé par souche, les trois petits-enfants recevront un lot unique correspondant à la part qui aurait été dévolue à leur parent prédécédé, assurant ainsi une stricte égalité entre les différentes branches familiales.

La distinction entre ces deux mécanismes est particulièrement importante lorsque les biens indivis sont difficiles à partager en nature, comme des immeubles ou des biens indivisibles. La Cour de cassation veille ainsi à ce que le recours au partage par souche permette d’éviter une multiplication excessive des lots, susceptible de conduire à une licitation, souvent source de conflits. Comme le souligne Michel Grimaldi, « le partage par souche permet d’assurer une répartition juste tout en limitant le risque de licitations, qui sont souvent sources de tensions et de pertes financières pour les indivisaires ».

§2: Le partage en présence de parts inégales

Dans certaines situations d’indivision, les indivisaires ne détiennent pas des droits égaux sur les biens indivis. Cela peut être le cas dans une succession lorsque les héritiers ont des droits de quotités différentes, mais également dans une indivision conventionnelle résultant d’un apport initial inégal. Il devient alors nécessaire de composer un nombre de lots correspondant aux droits proportionnels de chaque indivisaire.

==>La réduction au plus petit dénominateur commun : une méthode de répartition proportionnelle

Lorsque le partage doit être réalisé entre des indivisaires détenant des droits inégaux sur les biens indivis, la méthode de réduction au plus petit dénominateur commun s’impose pour garantir une répartition proportionnelle des biens et éviter les déséquilibres susceptibles de naître d’une division inadaptée. Ce mécanisme permet d’ajuster le nombre de lots de manière à ce que chaque indivisaire reçoive une part conforme à ses droits, quelle que soit leur quotité. Il s’agit là d’une exigence essentielle dans les partages complexes, où une stricte division arithmétique prévient les litiges et assure une répartition juste.

Prenons l’exemple d’une indivision post-communautaire entre un conjoint survivant et les enfants du couple. Supposons que le conjoint survivant dispose d’un quart des droits sur la masse commune et que les deux enfants partagent les trois quarts restants. Dans cette hypothèse, la réduction au plus petit dénominateur commun conduit à diviser la masse en huit lots. Deux de ces lots seront attribués au conjoint survivant, correspondant à son quart des droits, tandis que les six lots restants seront répartis à parts égales entre les deux enfants, chacun recevant trois lots. Cette répartition garantit que chaque indivisaire soit rempli de ses droits de manière proportionnelle à sa quote-part dans la masse partageable.

Ce principe trouve également une application pertinente dans le cadre des successions comportant des biens indivis difficiles à répartir en nature. Imaginons une situation où trois héritiers doivent se partager une masse composée d’une propriété agricole indivisible, évaluée à 250 000 euros, et de 50 000 euros en liquidités. Les droits des héritiers s’élèvent respectivement à 50 %, 30 % et 20 %. La réduction au plus petit dénominateur commun conduit alors à diviser la masse en dix lots : cinq pour le premier héritier, trois pour le second et deux pour le troisième. Cette division garantit que les parts attribuées reflètent précisément les droits de chacun, tout en minimisant le risque d’inégalités dans le partage.

Dans les indivisions conventionnelles, la réduction au plus petit dénominateur commun se révèle tout aussi utile, notamment lorsque les apports des indivisaires à l’acquisition d’un bien sont inégaux. Imaginons trois coacquéreurs ayant acheté ensemble un immeuble, chacun ayant contribué à hauteur de 50 %, 30 % et 20 % du prix d’achat. Plutôt que de composer trois lots arbitraires, la réduction au plus petit dénominateur commun impose de créer dix lots : cinq pour le premier coacquéreur, trois pour le second et deux pour le troisième. Cette méthode permet d’assurer une répartition fidèle des biens, conforme aux contributions initiales des indivisaires, et d’éviter une multiplication désordonnée des lots, qui pourrait rendre le partage impraticable.

En pratique, ce mécanisme se révèle particulièrement efficace pour prévenir les conflits entre indivisaires. En ajustant le nombre de lots à la proportion exacte des droits détenus, la réduction au plus petit dénominateur commun garantit une stricte correspondance entre les lots attribués et les parts réelles de chacun. Cette exigence de précision arithmétique est indispensable pour préserver l’équilibre patrimonial entre les indivisaires, notamment lorsque les biens indivis sont difficiles à partager équitablement en nature.

Comme le rappelle la doctrine, notamment sous la plume de Michel Grimaldi, « le partage proportionnel, fondé sur la réduction au plus petit dénominateur commun, assure une répartition juste et prévient les risques de litiges liés à une division déséquilibrée ». En adaptant le nombre de lots à la réalité des droits indivis, cette méthode constitue un rempart efficace contre les éventuelles contestations des indivisaires, tout en garantissant la sécurité juridique du partage.

Cependant, lorsque les biens indivis ne peuvent être divisés sans altérer leur valeur — par exemple, un immeuble d’habitation ou un fonds agricole —, la réduction au plus petit dénominateur commun peut atteindre ses limites. Il devient alors nécessaire d’envisager des ajustements complémentaires pour rétablir l’équilibre entre les lots. 

==>Le recours aux soultes : un correctif à l’inégalité en nature

Lorsque la répartition des biens indivis ne permet pas d’établir des lots de valeur strictement équivalente en nature, le recours aux soultes apparaît comme une solution indispensable pour préserver l’équilibre patrimonial entre les indivisaires. Ce mécanisme consiste à attribuer des lots inégaux en nature, compensés par une somme d’argent destiné à rétablir la proportionnalité des droits de chacun. Cette technique, bien que nécessitant une certaine souplesse dans l’appréhension de l’égalité, s’inscrit pleinement dans les exigences de justice distributive qui président aux opérations de partage.

Imaginons une succession comportant une propriété agricole indivisible d’une valeur estimée à 250 000 euros, ainsi que 50 000 euros en liquidités. Trois héritiers doivent se partager cette masse, leurs droits étant respectivement de 50 %, 30 % et 20 %. La méthode de réduction au plus petit dénominateur commun impose ici de diviser la masse en dix lots : cinq pour le premier héritier, trois pour le second et deux pour le troisième. Cependant, la propriété agricole ne pouvant être fractionnée sans altérer sa valeur, il conviendra de l’attribuer en totalité au premier héritier, lequel devra verser une soulte de 50 000 euros aux deux autres indivisaires. Cette soulte permettra de compenser l’écart entre la valeur des lots en nature et les droits respectifs des deux autres héritiers sur la masse partageable.

La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 28 juin 1972, a validé le recours aux soultes pour garantir une répartition équitable lorsque le partage en nature s’avère impraticable en raison de la nature indivisible des biens (Cass. 1re civ., 28 juin 1972, n°71-12.571). Il ressort de cette décision que, dans certaines situations, il est préférable de compenser les disparités entre les lots par des versements financiers plutôt que d’imposer un morcellement excessif des biens, qui pourrait nuire à leur valeur ou à leur exploitation.

L’affaire concernait une indivision issue du décès d’un copropriétaire, laissant pour lui succéder son conjoint survivant et leurs enfants. Après plusieurs cessions de droits au sein de la famille, l’indivision se composait de trois coïndivisaires, détenant respectivement 19/48, 16/48 et 13/48 des droits indivis sur une vaste exploitation agricole située à la Martinique, comprenant des terres agricoles, des bâtiments et une distillerie. Deux coïndivisaires avaient sollicité la licitation du domaine en un seul lot, tandis que le troisième avait demandé que le partage fût réalisé en nature.

La cour d’appel, se fondant sur un rapport d’expertise, avait décidé que le partage pouvait s’opérer en trois lots de valeur inégale, à condition que les déséquilibres soient corrigés par des soultes en argent. Elle avait relevé que l’exploitation agricole ne pouvait être divisée en parts égales sans perdre une part importante de sa valeur. En procédant à une attribution par tirage au sort des trois lots, avec versement de soultes pour compenser les écarts, la cour d’appel avait estimé préserver les droits de chaque indivisaire tout en assurant la continuité de l’exploitation.

La Cour de cassation a validé cette solution, en rejetant le pourvoi formé par l’un des coïndivisaires. La Haute juridiction a rappelé que, selon l’article 832 du Code civil, « la règle de l’égalité en nature dans la formation et la composition des lots ne doit être strictement observée que dans la mesure où le morcellement des héritages et la division des exploitations peuvent être évités ». En l’espèce, les juges d’appel avaient souverainement apprécié que la création de trois lots inégaux, avec correction par soultes, permettait de maintenir la propriété dans la famille et de garantir à chaque indivisaire une part proportionnelle à ses droits.

La Cour de cassation a également souligné que le partage en nature est toujours préférable à la licitation, surtout lorsqu’il permet de préserver l’intégrité d’un bien familial. En attribuant l’exploitation agricole à l’un des coïndivisaires et en compensant les autres par des soultes, la cour d’appel a évité une division excessive du domaine, qui aurait pu nuire à sa gestion et à sa rentabilité.

Prenons un exemple illustratif similaire. Imaginons une succession comprenant une propriété viticole estimée à 500 000 euros et des liquidités de 50 000 euros. Deux héritiers détiennent respectivement 60 % et 40 % des droits. Si la propriété ne peut être divisée en nature sans perdre sa valeur, il serait logique d’attribuer le domaine au premier héritier, à charge pour lui de verser une soulte de 50 000 euros au second, correspondant à l’écart entre la valeur de la propriété et les droits du coïndivisaire. Ce mécanisme permettrait de maintenir l’exploitation viticole intacte tout en assurant une répartition équitable.

Cette solution trouve également une application pratique dans les indivisions conventionnelles. Prenons l’exemple de trois coacquéreurs ayant acquis ensemble un immeuble d’une valeur de 300 000 euros, chacun ayant contribué à hauteur de 50 %, 30 % et 20 % du prix d’achat. Supposons que cet immeuble constitue le seul bien indivis. Plutôt que de procéder à une licitation, qui pourrait engendrer des pertes financières et des conflits, il serait préférable d’attribuer l’immeuble au coacquéreur ayant la plus grande participation, à condition qu’il verse une soulte aux deux autres, correspondant à la différence entre la valeur de l’immeuble et leurs droits respectifs. Ainsi, le premier coacquéreur pourrait recevoir le bien en totalité et compenser les deux autres par des versements financiers proportionnels à leurs parts.

Cette technique présente l’avantage d’éviter une division physique des biens qui, dans certains cas, pourrait réduire considérablement leur valeur. Elle permet également d’éviter les licitations forcées, qui peuvent engendrer des tensions entre les indivisaires et porter atteinte à l’intégrité du patrimoine à partager. En attribuant les biens les plus difficiles à fractionner à un seul indivisaire et en ajustant la répartition par des soultes, le partage peut s’opérer de manière plus harmonieuse et conforme aux intérêts de chacun.

Prenons un autre exemple dans le cadre d’une indivision postcommunautaire. Supposons qu’un couple, lors de la dissolution de la communauté, détienne un immeuble indivisible et peu de liquidités. Le conjoint survivant, ayant droit à un quart de la masse, pourrait se voir attribuer la totalité de l’immeuble, tandis qu’il verserait une soulte aux enfants pour compenser leur part dans la masse partageable. Ce mécanisme permettrait d’éviter la vente forcée du bien, tout en garantissant aux enfants une compensation monétaire équivalente à leurs droits.

Le recours aux soultes s’avère ainsi une méthode pragmatique et efficace pour préserver l’intégrité des biens indivis, tout en assurant une répartition conforme aux droits de chacun. Aussi, l’égalité dans le partage ne s’entend pas nécessairement d’une division en nature, mais d’une recherche d’équilibre patrimonial, garantissant à chaque copartageant la juste valeur de ses droits. Cette approche permet d’adapter les modalités de partage aux spécificités des biens à répartir, tout en respectant les principes fondamentaux du droit des successions et des indivisions.

==>La fente successorale : un mécanisme particulier de division par branches

Dans le cadre d’un partage successoral, l’application du mécanisme de la fente se présente comme une technique particulière de répartition, distincte des modalités classiques de partage par tête ou par souche, visant à préserver un équilibre patrimonial entre les deux branches familiales du défunt. Instituée par les articles 744 et suivants du Code civil, la fente trouve à s’appliquer lorsqu’une personne décède sans laisser ni descendants, ni conjoint survivant. Dans cette situation, la succession se divise par moitié entre la branche maternelle et la branche paternelle, indépendamment du nombre d’héritiers dans chacune d’elles. Ce mécanisme correcteur vise à prévenir les déséquilibres pouvant résulter d’une stricte application des règles de dévolution légale, qui, en l’absence de fente, pourraient aboutir à concentrer l’ensemble des biens dans une seule branche familiale.

La fente successorale ne repose pas sur les mêmes principes que le partage par souche. Tandis que le partage par souche repose sur le mécanisme de représentation, permettant à des héritiers de venir à la succession en lieu et place de leur auteur prédécédé, la fente obéit à une logique purement arithmétique de division de la masse successorale entre deux branches parentales, indépendamment du nombre d’héritiers au sein de chacune d’elles. Selon que la dévolution successorale mobilise l’un ou l’autre de ces mécanismes, les modalités de répartition des biens diffèrent substantiellement, influant directement sur la composition des lots attribués aux héritiers. En effet, contrairement au partage par souche, la fente successorale ne permet pas de constituer un lot unique regroupant tous les héritiers d’une même branche. Chaque héritier conserve un droit individuel à sa part, qu’il peut exiger en nature ou, à défaut, par la licitation des biens indivis.

La jurisprudence a eu l’occasion d’affirmer avec fermeté ce principe. Dans un arrêt du 26 novembre 1883, la Cour de cassation a rappelé que le mécanisme de la fente ne saurait altérer les droits patrimoniaux individuels des héritiers (Cass. civ., 26 nov. 1883). Dans cette affaire, la succession d’un défunt devait être partagée à parité entre les héritiers des branches paternelle et maternelle. La cour d’appel avait envisagé de constituer deux lots distincts — un pour chaque branche —, qui auraient ensuite été répartis entre les héritiers de chaque lignée. La Haute juridiction a censuré cette approche, considérant qu’elle méconnaissait la portée de la fente successorale. La division entre branches n’a pas pour effet de priver les héritiers de leur faculté de réclamer un lot en nature ou, à défaut, de provoquer la vente des biens indivis. La Haute juridiction a ainsi souligné que l’on ne peut assimiler la branche familiale à une souche, car le mécanisme de la fente ne repose pas sur le principe de représentation.

Cette solution jurisprudentielle met en lumière la finalité première de la fente : assurer une stricte égalité patrimoniale entre les deux branches du défunt, sans affecter les droits individuels des héritiers au sein de chaque branche. Chaque cohéritier, qu’il appartienne à la branche paternelle ou maternelle, doit pouvoir faire valoir son droit à une part distincte, sans se voir imposer un lot indivis partagé avec d’autres membres de sa lignée. Ainsi, la fente successorale garantit une équité entre les branches, mais laisse intacts les droits de chacun à l’intérieur de ces divisions.

Pour mieux illustrer le fonctionnement de ce mécanisme, prenons un exemple concret. Supposons un défunt qui ne laisse ni descendants, ni conjoint survivant, mais qui a pour héritiers un cousin du côté paternel et deux cousins du côté maternel. En application de la fente successorale, la masse successorale sera divisée en deux parts égales : 50 % pour la branche paternelle, attribuée au cousin paternel, et 50 % pour la branche maternelle, à partager entre les deux cousins maternels. Contrairement à ce que l’on pourrait observer dans un partage par souche, il ne sera pas possible d’imposer un lot unique aux cousins maternels. Chacun d’eux conserve le droit d’exiger un lot distinct correspondant à sa part ou de demander la licitation des biens indivis, afin de percevoir sa part en valeur.

Un second exemple permet d’éclairer davantage la distinction entre fente et partage par souche. Imaginons un défunt laissant deux oncles du côté paternel et un cousin germain du côté maternel. La fente successorale implique que la moitié de la masse successorale sera attribuée à la branche paternelle, partagée entre les deux oncles, et l’autre moitié à la branche maternelle, revenant au cousin germain. Cette répartition ne saurait toutefois conduire à la constitution d’un lot indivis regroupant les deux oncles. Chacun d’eux conserve le droit d’exiger sa part individuelle, que ce soit en nature ou par une compensation monétaire.

Cette jurisprudence constante met en exergue une règle fondamentale du droit des successions : la fente ne modifie pas la nature et l’étendue des droits des héritiers. Comme le souligne Michel Grimaldi, la division en branches n’a pas pour vocation de créer des entités indivises assimilables à des souches. Chaque héritier, au sein de sa branche, conserve un droit autonome à sa part de succession, qu’il peut faire valoir selon les règles habituelles du partage.

La fente successorale, bien qu’elle soit un mécanisme correcteur des inégalités entre branches, ne saurait non plus conduire à imposer une division arbitraire des lots. La Cour de cassation l’a rappelé à maintes reprises : le partage doit respecter les droits individuels des héritiers, et chaque cohéritier doit pouvoir réclamer sa part en nature ou, à défaut, provoquer la vente des biens indivis pour obtenir sa part en valeur.

Prenons un dernier exemple pour bien comprendre les subtilités de la fente successorale dans le cadre d’un partage. Un défunt laisse un frère du côté paternel et cinq cousins germains du côté maternel. Si la succession était partagée par tête, chaque héritier recevrait 1/6e de la masse successorale. Toutefois, la fente successorale divise d’abord la masse en deux parts égales : la moitié pour la branche paternelle, revenant au frère, et la moitié pour la branche maternelle, à partager entre les cinq cousins germains. En conséquence, chaque cousin maternel recevra 1/10e de la succession, tandis que le frère recevra 50 %. Il reste cependant possible pour chaque héritier de demander un lot distinct correspondant à sa part ou, si le partage en nature s’avère impraticable, de solliciter la licitation des biens.

Ainsi, la fente successorale garantit une stricte égalité entre les branches parentales, mais elle n’altère en rien les droits des héritiers au sein de chaque branche. Ce mécanisme constitue un garde-fou contre les inégalités susceptibles de naître d’une stricte application des règles de dévolution légale, en veillant à ce que chaque lignée soit traitée de manière équitable. Cependant, il ne saurait être interprété comme une obligation de constituer des lots indivis pour chaque branche, car cela reviendrait à méconnaître les principes fondamentaux du droit des successions, qui assurent à chaque héritier le droit d’exiger sa part individuelle.

Opérations de partage: l’exigence de maintien des unités économiques et autres ensembles de biens

Le partage des biens indivis est régi par deux principes directeurs qui assurent, à la fois, l’équité dans la répartition des droits entre les copartageants et la pérennité économique des biens partagés : le principe d’égalité en valeur et le principe de maintien des unités économiques. Ces règles, consacrées par le Code civil et enrichies par la jurisprudence, traduisent une volonté constante du législateur de concilier justice distributive et réalisme économique.

Nous nous focaliserons ici sur le second principe directeur.

Ce second principe directeur qui guide les opérations de partage repose sur la préservation des unités économiques. Consacré par l’article 830 du Code civil, celui-ci dispose que « dans la formation et la composition des lots, on s’efforce d’éviter de diviser les unités économiques et autres ensembles de biens dont le fractionnement entraînerait la dépréciation ». En établissant cette règle, le législateur entend concilier l’objectif d’égalité en valeur avec la nécessité de préserver la cohérence économique du patrimoine indivis.

Contrairement à la simple logique arithmétique qui présiderait à une répartition strictement proportionnelle des biens, ce principe invite à considérer les biens comme des ensembles fonctionnels, dont l’utilité et la valeur dépendent de leur maintien en bloc. Cette exigence s’inscrit dans une dynamique visant à assurer la viabilité économique des biens transmis et à éviter qu’un partage mal conçu ne provoque une dépréciation préjudiciable.

==>La notion d’unité économique

La réforme opérée par la loi du 23 juin 2006 a introduit la notion d’unité économique dans une acception plus large que les textes antérieurs. Si, historiquement, le droit visait principalement les exploitations agricoles, la portée de cette notion a été étendue pour englober tout ensemble de biens indivis dont la division entraînerait une perte de valeur économique significative.

Ainsi, peuvent être considérés comme des unités économiques :

  • Les exploitations agricoles, artisanales ou commerciales, lorsqu’elles forment un outil de travail nécessitant une gestion unifiée ;
  • Les immeubles d’habitation ou à usage professionnel, notamment lorsqu’ils génèrent des revenus locatifs stables ou lorsqu’ils constituent un ensemble indivisible sur le plan technique ;
  • Les collections d’objets d’art ou d’antiquités, dont la valeur intrinsèque dépend de leur caractère complet et cohérent ;
  • Les portefeuilles de titres financiers, dont le fractionnement pourrait compromettre la gestion stratégique des investissements.

La doctrine a largement salué cette évolution. Comme l’ont souligné des auteurs « la préservation des unités économiques dans les partages successifs constitue une avancée majeure, permettant d’éviter les morcellements destructeurs et de garantir la pérennité des exploitations ou des ensembles patrimoniaux ».

Cette vision élargie traduit une volonté du législateur de dépasser la stricte logique successorale pour intégrer une approche plus pragmatique, tenant compte des impératifs économiques et patrimoniaux.

==>Mise en œuvre

L’application de l’article 830 du Code civil repose sur un impératif clair : éviter que le partage des biens indivis ne compromette leur utilité économique. Cette règle autorise le juge, ou les copartageants lorsqu’ils s’entendent, à privilégier l’attribution préférentielle d’un bien indivis à un seul héritier, à charge pour celui-ci de compenser les autres copartageants par une soulte.

Un exemple emblématique de l’application de ce principe peut être trouvé dans l’attribution préférentielle des exploitations agricoles, prévue par les articles 831 et suivants du Code civil. Lorsque l’un des héritiers exploite une terre agricole ou un fonds artisanal, il peut demander à recevoir ce bien dans son intégralité afin d’assurer la continuité de l’activité économique. Les autres héritiers sont alors compensés par une soulte correspondant à leurs droits dans l’indivision.

Ce mécanisme permet de préserver l’intégrité des exploitations, d’éviter leur morcellement, et de garantir leur pérennité économique. La jurisprudence a validé à plusieurs reprises cette approche. Ainsi, dans un arrêt rendu le 5 mai 1981, la Cour de cassation a affirmé que le principe du partage en nature devait impérativement s’articuler avec la préservation des unités économiques. En l’espèce, il s’agissait de liquider une communauté matrimoniale après un divorce. La cour d’appel avait attribué à l’un des anciens époux l’exploitation agricole commune, tout en décidant que la propriété immobilière adjacente, également indivise, devait être partagée en nature par tirage au sort, au mépris de l’attribution préférentielle déjà consentie.

La Haute juridiction a censuré cette décision en rappelant que le partage en nature ne saurait être réduit à une stricte égalité formelle entre les lots. Lorsque des biens indivis ont été attribués à titre préférentiel à un indivisaire, la composition des lots doit tenir compte de cette attribution et viser à rétablir une égalité en valeur entre les copartageants, même si cela implique de déroger à la règle du tirage au sort.

La Cour de cassation a jugé que, dans une telle hypothèse, il convient d’attribuer à l’autre indivisaire des biens de valeur équivalente, au besoin en dérogeant au principe traditionnel du partage par lots égaux tirés au sort. Elle a précisé que la division des biens en plusieurs lots risquerait de compromettre l’intégrité de l’exploitation attribuée et de nuire à sa viabilité économique (Cass. 1re civ., 5 mai 1981, n° 79-16.444).

Cette décision illustre l’importance de la préservation des unités économiques dans les opérations de partage. La Cour souligne que le juge du partage doit s’efforcer de maintenir l’intégrité des biens indivis et éviter des fractionnements susceptibles d’entraîner une dépréciation. Ce faisant, elle confirme que le principe d’égalité en valeur, désormais consacré par l’article 826 du Code civil, prime sur la stricte égalité en nature, surtout lorsqu’il s’agit de préserver la cohérence économique du patrimoine partagé.

Le principe s’applique également aux biens immobiliers indivis, notamment les immeubles d’habitation ou à usage professionnel. La division d’un immeuble, lorsqu’elle implique des coûts de mise aux normes disproportionnés ou compromet sa rentabilité locative, peut justifier son attribution à un seul indivisaire. Une fois encore, la compensation des autres héritiers intervient par le biais d’une soulte.

Par exemple, la Cour de cassation a validé la décision d’une cour d’appel ayant attribué un immeuble indivis à un héritier unique, après avoir constaté que sa division en plusieurs lots aurait nécessité des travaux onéreux et compromis la viabilité économique des deux appartements concernés (Cass. 1re civ., 11 mai 2016, n° 15-18.993).

==>Le contrôle du juge

Lorsque les indivisaires ne parviennent pas à un accord, le juge conserve un rôle central dans la préservation des unités économiques. Il lui appartient de vérifier que la division des biens n’entraîne pas une dépréciation significative et que les solutions proposées respectent l’équilibre patrimonial entre les copartageants.

La jurisprudence rappelle que le juge doit rechercher des solutions pragmatiques, en privilégiant les attributions préférentielles et en veillant à ce que les compensations financières soient proportionnées. Il s’agit d’éviter que le fractionnement des biens n’entraîne des pertes de valeur irrémédiables ou des difficultés de gestion pour les copartageants.

Aussi, le juge du partage doit-il se poser en garant de l’équilibre entre l’efficacité économique du partage et le respect des droits des indivisaires. La préservation des unités économiques, lorsqu’elle est possible, permet d’éviter des morcellements préjudiciables et de garantir la stabilité patrimoniale des biens transmis.

Au bilan, le maintien des unités économiques dans les partages dépasse la simple logique de répartition arithmétique des biens. Il s’agit d’un impératif visant à préserver la cohérence patrimoniale et la viabilité économique des ensembles transmis. En combinant l’égalité en valeur et la préservation des unités économiques, le législateur a introduit un équilibre subtil entre souplesse et protection des patrimoines.

Opérations de partage: le principe de l’égalité en valeur

Le partage des biens indivis est régi par deux principes directeurs qui assurent, à la fois, l’équité dans la répartition des droits entre les copartageants et la pérennité économique des biens partagés : le principe d’égalité en valeur et le principe de maintien des unités économiques. Ces règles, consacrées par le Code civil et enrichies par la jurisprudence, traduisent une volonté constante du législateur de concilier justice distributive et réalisme économique.

Nous nous focaliserons ici sur le premier principe directeur.

L’article 826 du Code civil consacre le principe d’une égalité en valeur, rompant avec l’exigence historique d’égalité en nature. Cette évolution, issue de la réforme de 2006, rend le partage plus souple et mieux adapté aux réalités économiques, en permettant aux copartageants de recevoir des biens différents pour une valeur équivalente à leurs droits dans l’indivision.

Cependant, cette souplesse offerte par le principe de l’égalité en valeur connaît des limites. Le partage en nature reste privilégié, la licitation n’étant qu’un dernier recours (art. 827 C. civ.,). De même, le recours aux soultes est encadré pour éviter les déséquilibres au détriment des minoritaires, le juge conservant un contrôle sur la proportionnalité des compensations (Cass. 1re civ., 13 mai 2015, n°14-11.116).

Ainsi, si l’égalité en valeur facilite la répartition des biens, elle ne peut se faire au mépris des exigences d’équité et de préservation des droits de chacun, car, comme le rappelle Alain Sériaux, « l’équilibre du partage demeure le fondement de toute opération successorale ».

I) Evolution

Le Code civil de 1804, dans la continuité des idéaux révolutionnaires, avait érigé l’égalité en nature en règle cardinale des partages. L’article 826 ancien prévoyait que chaque cohéritier pouvait exiger sa part en nature des biens meubles et immeubles composant la masse partageable. Cette exigence était renforcée par l’article 832 ancien, qui imposait que chaque lot contienne, autant que possible, une proportion équivalente de biens similaires en nature, qu’il s’agisse de terres, de créances ou de mobiliers.

Cette quête d’une égalité formelle répondait à un souci d’équité mais s’est rapidement révélée contre-productive dans la pratique. Les biens immobiliers, notamment les exploitations agricoles, étaient fréquemment morcelés afin de satisfaire cette exigence, au détriment de leur rentabilité économique. Comme le soulignaient les auteurs au XIXe siècle cette pratique entraînait des conséquences désastreuses : fragmentation des terres, baisse de la productivité agricole, exode rural et même déclin démographique.

Face à ces dérives, la jurisprudence a tenté d’assouplir le principe en admettant que l’inégalité des lots puisse être compensée par le versement de soultes monétaires. La Cour de cassation, dès 1840, affirmait ainsi que « l’inégalité des lots en nature peut être corrigée par un retour en argent » (Cass. 12 juin 1840). Cependant, ces ajustements restaient insuffisants pour corriger les rigidités inhérentes au système.

Le véritable tournant législatif est intervenu avec le décret-loi du 17 juin 1938, qui a introduit la notion d’attribution préférentielle. Ce mécanisme permettait à un copartageant de recevoir un bien entier, notamment une exploitation agricole ou un fonds de commerce, moyennant le versement d’une soulte aux autres indivisaires. Ce dispositif visait à éviter le morcellement des unités économiques, tout en respectant les droits de chacun.

L’introduction de l’attribution préférentielle marquait une rupture importante avec le principe d’égalité en nature. Désormais, la répartition des biens pouvait être envisagée sous un prisme économique, en privilégiant la préservation des biens indivis dans leur intégralité. La doctrine a largement salué cette réforme comme une avancée nécessaire. Ainsi, des auteurs ont estimé que cette évolution législative a permis d’« éviter les morcellements destructeurs, qui nuisaient à la pérennité des exploitations agricoles ».

Aussi, le décret-loi de 1938 a-t-il amorcé un glissement progressif vers une nouvelle conception du partage, davantage orientée vers une égalité en valeur que vers une stricte répartition physique des biens. Cette transition s’est poursuivie au fil des réformes ultérieures, jusqu’à la consécration définitive de l’égalité en valeur par la loi du 23 juin 2006. 

II) Consécration du principe

La réforme opérée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 a définitivement abandonné le principe d’égalité en nature au profit de celui d’égalité en valeur, désormais consacré à l’article 826 du Code civil. Ce bouleversement législatif, salué par la doctrine comme une réforme majeure du droit successoral, a profondément modifié les mécanismes de partage, en substituant une logique économique et pragmatique à une stricte égalité formelle.

Ainsi, Pierre Catala qualifiait cette réforme de « révolution des colonnes du temple du droit successoral », tant elle bouleverse les fondements mêmes des règles de partage, jusque-là ancrées dans le dogme de l’égalité en nature.

L’article 826 du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi de 2006, énonce que « chaque copartageant reçoit des biens pour une valeur égale à celle de ses droits dans l’indivision ». Cette disposition marque une rupture nette avec le système ancien, qui exigeait que chaque lot contienne des biens de nature équivalente. Désormais, la priorité est donnée à l’équité patrimoniale, plutôt qu’à une stricte correspondance entre la nature des biens attribués.

Comme l’explique Michel Grimaldi, cette évolution répond à une double nécessité : simplifier les opérations de partage tout en tenant compte de la réalité économique des patrimoines à répartir.

En substituant à l’égalité en nature une logique d’égalité en valeur, le législateur permet désormais de constituer des lots hétérogènes, intégrant des biens de nature différente, pourvu que leur valeur corresponde aux droits de chaque indivisaire. Ce choix pragmatique évite notamment le recours systématique à la licitation, qui était auparavant l’unique solution lorsque les biens indivis étaient difficiles à partager en nature.

A cet égard, l’article 826, alinéa 4, du Code civil prévoit désormais un dispositif essentiel pour garantir l’égalité en valeur : le versement de soultes. Cette compensation monétaire permet d’éviter le morcellement des biens indivis tout en assurant une répartition équitable entre les copartageants.

André Sériaux souligne que la soulte n’est pas une simple mesure compensatoire, mais un véritable instrument de préservation des unités économiques, permettant de concilier les intérêts des indivisaires avec les réalités économiques des patrimoines indivis.

Ainsi, lorsqu’un bien indivis, tel qu’un immeuble ou une exploitation agricole, est attribué à un seul copartageant, les autres indivisaires reçoivent une compensation financière correspondant à leur part dans le bien attribué. Ce mécanisme permet d’éviter les ventes forcées, souvent préjudiciables sur le plan économique, et préserve la stabilité des patrimoines familiaux.

La consécration du principe d’égalité en valeur par la réforme de 2006 a été rapidement confirmée par la jurisprudence, qui en a précisé les modalités d’application. Dans un arrêt du 11 mai 2016, la Cour de cassation a rappelé que la licitation — c’est-à-dire la vente forcée des biens indivis — devait rester une solution de dernier recours, exclusivement réservée aux hypothèses où le partage en nature est matériellement ou économiquement impossible (Cass. 1ère civ., 11 mai 2016, n°15-18.993).

Dans cette affaire, des difficultés étaient survenues lors du partage successoral entre deux copartageants, portant sur un immeuble composé de deux appartements. L’un des indivisaires sollicitait une répartition en nature, afin que chaque partie reçoive un appartement distinct. Toutefois, les juges du fond ont relevé que les deux logements étaient dépendants l’un de l’autre, les installations de chauffage, d’eau et d’électricité étant centralisées dans l’appartement du rez-de-chaussée. En outre, ils ont constaté que la mise aux normes des installations aurait engendré des frais considérables, rendant la division en nature impossible sans préjudice économique.

Confirmant cette analyse, la Cour de cassation a validé l’appréciation souveraine de la cour d’appel, estimant que le bien n’était pas commodément partageable en nature et que la licitation était justifiée. Elle a ainsi rejeté le recours formé par l’un des copartageants, soulignant que la vente forcée devait être motivée par l’impossibilité matérielle ou financière de constituer des lots équitables.

L’arrêt du 11 mai 2016 a été largement salué par la doctrine. Des auteurs ont souligné que cette décision permettait de préserver la stabilité économique des patrimoines partagés, en évitant des solutions de partage qui pourraient entraîner une dévalorisation des biens. La jurisprudence encourage ainsi les juges à privilégier les solutions pragmatiques qui assurent le maintien de l’intégrité des biens indivis, tout en respectant les droits des copartageants.

Cet arrêt s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle visant à restreindre le recours à la licitation. En effet, bien que le principe d’égalité en valeur simplifie les opérations de partage, il ne doit pas conduire à démembrer des unités économiques ou à procéder à des ventes forcées lorsque des solutions alternatives sont envisageables. Comme l’a souligné Bernard Beignier, « le juge doit rechercher des modalités de partage qui préservent l’unité des biens et garantissent une répartition équitable, sans compromettre la viabilité économique des lots attribués ».

Enfin, il peut être observé que la consécration du principe d’égalité en valeur n’est pas sans avoir renforcé la liberté de disposer au moyen de libéralités. En effet, le législateur autorise désormais les testateurs à transmettre un bien entier à un successible, sans être contraints de composer des lots équivalents en nature. Cette évolution permet de respecter les intentions du défunt, tout en évitant les conflits successoraux.

Plus encore, la possibilité de léguer un bien entier, moyennant compensation en argent pour les autres héritiers, permet une gestion apaisée des partages successoraux, tout en garantissant la préservation des unités économiques.

Cette évolution est particulièrement utile dans le cadre des donations-partages, qui permettent d’anticiper les successions et d’éviter les contestations postérieures. En effet, la donation-partage avec soulte permet aux parents de répartir leur patrimoine de manière équitable, tout en évitant les litiges futurs.

Cependant, la souplesse introduite par le principe d’égalité en valeur ne saurait occulter les limites qui encadrent son application. Le législateur, comme la jurisprudence, a pris soin de fixer des garde-fous pour éviter les abus, notamment en préservant la vocation des copartageants à recevoir des biens en nature et en encrant le recours au système de la soulte.

III) Limites

Consacré par l’article 826 du Code civil, le principe d’égalité en valeur a insufflé aux opérations de partage une souplesse nouvelle, mieux adaptée aux réalités patrimoniales contemporaines. Toutefois, cette flexibilité ne saurait se déployer sans limites. Afin de prévenir toute dérive susceptible de porter atteinte aux droits des copartageants, des garde-fous demeurent indispensables. Ces derniers se manifestent à travers le maintien de la vocation au partage en nature, l’encadrement rigoureux des soultes pour garantir leur nécessité et leur juste proportion, ainsi que le contrôle juridictionnel des modalités de répartition.

==>La vocation au partage en nature

Si l’égalité en valeur a assoupli les règles du partage, elle ne doit pas faire oublier que le partage en nature reste le mode privilégié d’allotissement des biens indivis. Chaque indivisaire conserve le droit, en principe, de recevoir une part tangible des biens constituant la masse partageable (art. 826, al. 2 C. civ.,), ce qui évite que le partage ne se réduise à une simple répartition monétaire.

Cette vocation au partage en nature repose sur une logique patrimoniale et historique, visant à préserver l’intégrité des biens et à éviter leur dilution par la vente forcée. Toutefois, dans certaines situations, un partage en nature peut s’avérer matériellement ou économiquement impossible, rendant nécessaire le recours à la licitation, solution que le Code civil réserve aux cas où les biens ne peuvent être commodément divisés (art. 827 C. civ.).

La jurisprudence a rappelé que cette solution doit rester exceptionnelle. Dans un arrêt du 22 janvier 1985, la Cour de cassation a jugé que la licitation ne pouvait être ordonnée qu’en cas d’impossibilité manifeste de partage en nature, notamment lorsque le morcellement des biens aurait entraîné une perte de valeur significative (Cass. 1re civ., 22 janv. 1985, n°83-12.994). La doctrine partage cette approche en insistant sur le fait que la licitation doit être évitée dès lors qu’il existe des solutions permettant un allotissement équitable. Car en effet, la licitation n’est jamais neutre économiquement : elle tend à briser l’unité des biens et à réduire leur valeur globale, justifiant qu’elle soit strictement encadrée.

==>L’encadrement des soultes

Le versement de soultes est un mécanisme permettant de garantir l’égalité en valeur lorsque les lots attribués aux copartageants présentent des écarts de valeur. Ce système permet d’éviter le recours systématique à la vente des biens indivis, en assurant une compensation monétaire entre les copartageants.

Cependant, le recours aux soultes doit être encadré par des critères de nécessité et de proportionnalité, afin d’éviter qu’il ne porte atteinte aux droits des indivisaires minoritaires. Une soulte excessive pourrait en effet déséquilibrer les opérations de partage et créer une inégalité substantielle entre les copartageants.

La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 13 mai 2015, a rappelé avec fermeté que le juge du partage conserve un pouvoir souverain d’appréciation quant au montant des soultes, afin d’éviter qu’une compensation financière excessive ne compromette l’équilibre entre les copartageants (Cass. 1re civ., 13 mai 2015, n° 14-11.116).

Dans cette affaire, des difficultés étaient survenues lors des opérations de partage successoral, notamment au sujet d’une villa constituant l’essentiel de la masse indivise. La cour d’appel avait ordonné la licitation de ce bien, au motif que les héritiers ne parvenaient pas à s’accorder sur un partage amiable. La Cour de cassation a censuré cette décision en rappelant que la licitation ne peut être ordonnée que si le bien indivis est incommode à partager en nature, conformément à l’article 827 du Code civil. En l’espèce, le partage en nature était techniquement envisageable, mais la cour d’appel n’avait pas suffisamment recherché si des solutions alternatives permettaient d’éviter la vente aux enchères.

Par ailleurs, la Cour a cassé la décision de la cour d’appel qui avait délégué au notaire liquidateur la fixation du montant des créances d’un copartageant. La Haute juridiction a rappelé que cette mission relève du pouvoir exclusif du juge, lequel doit s’assurer que les sommes versées à titre de soulte sont justifiées, nécessaires et proportionnées à l’écart réel entre les lots. Cette exigence garantit que les soultes ne créent pas un déséquilibre substantiel entre les indivisaires et évitent ainsi tout enrichissement injustifié d’un copartageant au détriment des autres.

==>Le contrôle juridictionnel des opérations de partage

Le juge du partage joue un rôle central dans le respect du principe d’égalité en valeur. Son intervention est particulièrement cruciale dans les partages judiciaires, lorsque les indivisaires ne parviennent pas à un accord amiable.

Le contrôle juridictionnel s’exerce tant sur la composition des lots que sur le montant des soultes. Le juge doit vérifier que les opérations de partage respectent les droits des copartageants et ne créent pas une inégalité manifeste. Il doit également veiller à ce que le partage proposé ne compromette pas la pérennité économique des biens attribués.

Par exemple, le juge peut refuser de valider un partage si la répartition des biens conduit à une dissolution excessive des unités économiques ou si les lots attribués ne correspondent pas aux besoins réels des copartageants.

Ainsi, le juge du partage est le garant ultime de l’équilibre entre les exigences économiques du partage et la protection des droits des indivisaires ».

La jurisprudence a également souligné que le juge devait s’assurer que les biens attribués à chaque copartageant respectent les impératifs de justice distributive, c’est-à-dire qu’ils soient équivalents en valeur tout en évitant la dévalorisation du patrimoine indivis.

En somme, le contrôle juridictionnel vise à éviter les abus dans les opérations de partage et à garantir que les règles posées par le principe d’égalité en valeur soient effectivement respectées. Il s’agit d’une garantie essentielle pour maintenir un équilibre entre les impératifs économiques des opérations de partage et la protection des droits des indivisaires, assurant ainsi la sécurité juridique et la pérennité économique des patrimoines partagés.

La détermination du mode de partage: amiable ou judiciaire?

Le partage des biens indivis constitue une étape décisive pour mettre fin à l’indivision, qu’elle résulte d’une succession, d’une séparation ou de toute autre situation juridique. Ce processus, bien que fondé sur le principe de la liberté contractuelle, est encadré par des règles destinées à garantir à la fois la protection des intérêts de chaque indivisaire et l’efficacité des opérations.

Le législateur, conscient des enjeux souvent émotionnels et financiers qui entourent le partage, privilégie le partage amiable comme mode principal. Cette voie consensuelle repose sur l’autonomie des indivisaires et leur capacité à s’accorder sur les modalités de répartition des biens. Toutefois, lorsque le consensus devient impossible ou que des circonstances particulières l’imposent, le partage judiciaire intervient en tant que solution subsidiaire, encadrée par des règles strictes pour préserver l’équité et la sécurité juridique.

I) Le partage amiable comme principe

Le partage amiable s’impose aujourd’hui comme la voie privilégiée pour mettre un terme à l’indivision. Il incarne l’autonomie des indivisaires et offre des avantages indéniables, alliant souplesse, efficacité et maîtrise des coûts.

Aux termes de l’article 835 du Code civil, le partage amiable repose sur la capacité juridique des indivisaires et leur présence effective, ou à défaut, leur représentation légale. Ce mécanisme exige également l’unanimité des parties, condition essentielle à sa mise en œuvre. En effet, les indivisaires doivent non seulement être capables de consentir au partage, mais également s’accorder sur les modalités du partage, qu’il s’agisse de l’évaluation des biens, de leur répartition ou de toute autre disposition.

La liberté qui caractérise le partage amiable permet aux indivisaires de personnaliser leurs accords, tout en respectant les exigences formelles imposées par la nature des biens. Par exemple, lorsque le partage porte sur des biens immobiliers, un acte notarié est requis conformément aux dispositions du décret du 4 janvier 1955, qui impose la publication foncière pour garantir la validité et l’opposabilité du partage.

La souplesse du partage amiable est tempérée par la nécessité de protéger les intérêts des indivisaires juridiquement incapables, tels que les mineurs ou les majeurs sous tutelle, ainsi que ceux des indivisaires absents. Dans de telles hypothèses, le législateur a prévu des mécanismes spécifiques visant à concilier la possibilité d’un partage amiable avec la protection des personnes vulnérables. L’article 836 du Code civil autorise ainsi un partage amiable sous réserve d’une autorisation préalable délivrée par le juge des tutelles ou, dans certains cas, par le conseil de famille.

Cette autorisation est essentielle pour garantir que les droits des indivisaires protégés soient scrupuleusement respectés. Le juge des tutelles ou le conseil de famille examine les modalités du partage, s’assurant notamment que l’état liquidatif ne lèse pas les intérêts des parties vulnérables. Ces mécanismes d’encadrement permettent de maintenir le principe du partage amiable, même lorsque tous les indivisaires ne peuvent y consentir directement.

Bien que le législateur encourage vivement le partage amiable, certaines situations peuvent rendre ce mode de règlement inapplicable. En cas de désaccord entre les indivisaires, sur les modalités du partage ou sur l’approbation de l’état liquidatif, l’unanimité requise fait défaut. De même, si le juge des tutelles refuse d’accorder l’autorisation nécessaire ou si les parties ne parviennent pas à un compromis, le partage amiable devient impraticable.

Dans ces cas, le recours au partage judiciaire s’impose. Ce mode, bien que subsidiaire, est encadré par des règles précises visant à garantir l’équité entre les parties. Toutefois, il s’accompagne de contraintes procédurales et économiques non négligeables : la demande en justice, l’intervention d’experts pour l’établissement de l’état liquidatif, les débats contradictoires et l’homologation par le tribunal engendrent des coûts et des délais significatifs. Ces inconvénients soulignent l’importance de privilégier le partage amiable chaque fois que cela est possible.

Le législateur, conscient des avantages du partage amiable, en fait aujourd’hui le principe, réservant le partage judiciaire aux situations où aucun autre moyen ne permet de mettre un terme à l’indivision. Cette promotion s’inscrit dans une logique de pacification des relations entre indivisaires, en encourageant la coopération et en limitant les conflits. Ainsi, même dans les cas complexes impliquant des personnes protégées ou absentes, le partage amiable demeure accessible, sous réserve de certaines adaptations procédurales.

II) Le partage judiciaire comme exception

Bien que le partage amiable constitue la règle, il arrive que les circonstances exigent une intervention judiciaire pour mettre fin à l’indivision. Dans de tels cas, le partage judiciaire, prévu par l’article 840 du Code civil, s’impose à titre subsidiaire, offrant une solution équitable lorsque le consensus des indivisaires est impossible ou inapproprié.

Lorsque l’unanimité fait défaut, le partage amiable ne peut prospérer. En cas de désaccord persistant entre les indivisaires, qu’il s’agisse de la répartition des biens, de leur évaluation ou des modalités de tirage au sort, le recours au juge devient inévitable. Cette intervention garantit que les opérations de partage se déroulent dans des conditions équitables pour tous.

De même, l’inertie ou le désintérêt volontaire d’un indivisaire peut également rendre nécessaire cette voie contentieuse. Dans de telles hypothèses, l’article 837 du Code civil impose qu’une mise en demeure soit préalablement adressée à l’indivisaire défaillant. Si ce dernier persiste dans son silence, le tribunal peut désigner un mandataire chargé de le représenter, mais le caractère judiciaire de la procédure demeure prédominant.

Certains biens indivis, en raison de leur complexité ou de leur nature particulière, requièrent l’intervention du juge pour que leur partage soit réalisé dans des conditions adéquates. Tel est le cas des biens immobiliers complexes ou indivisibles, lorsque les indivisaires ne parviennent pas à s’accorder sur leur valeur ou leur division matérielle. Dans de telles situations, la juridiction saisie peut ordonner une expertise ou, en dernier ressort, une vente judiciaire sous forme de licitation. De même, les biens grevés de droits spécifiques, tels que les sûretés réelles ou les mesures conservatoires, requièrent souvent une intervention judiciaire afin de lever les incertitudes juridiques et de permettre une répartition équitable.

La procédure de partage judiciaire se distingue par sa rigueur et son formalisme. Elle comprend des étapes bien définies, à commencer par la saisine du tribunal. Sous la direction d’un notaire désigné, un état liquidatif est établi, décrivant en détail la répartition projetée des biens. Cet état est ensuite soumis à l’homologation judiciaire, qui en garantit la conformité et la légalité. Enfin, dans les cas où la répartition ne peut être déterminée par un accord entre les parties, le tirage au sort des lots assure une allocation impartiale des biens. Bien que cette procédure puisse sembler contraignante, elle demeure essentielle pour préserver l’équité, notamment lorsque les relations entre les indivisaires sont conflictuelles ou que la nature des biens le requiert.

Malgré son importance dans les situations les plus complexes, le partage judiciaire reste une solution ultime et résiduelle. Le législateur, soucieux de promouvoir des solutions consensuelles, encourage une transition vers le partage amiable, même lorsqu’une procédure judiciaire est en cours. L’article 842 du Code civil permet ainsi aux parties, à tout moment, d’abandonner les voies judiciaires pour conclure un partage amiable, sous réserve d’un accord unanime. Cette disposition illustre la volonté de privilégier, autant que possible, une résolution autonome et harmonieuse des différends entre indivisaires.

Les variétés de modes de partage

Le partage, acte par lequel l’indivision prend fin pour attribuer à chaque indivisaire des droits exclusifs sur les biens concernés, constitue une étape essentielle en vue de liquider une succession, un régime matrimonial ou encore l’actif d’une personne morale.

Ce processus, destiné à mettre un terme à la copropriété indivise, peut être réalisé selon deux modes distincts : le partage amiable et le partage judiciaire. Ces deux formes traduisent des philosophies différentes, l’une valorisant le consensualisme, l’autre imposant l’intervention de l’autorité judiciaire.

==>Le partage amiable

Le partage amiable, favorisé par le législateur, repose sur l’accord unanime des indivisaires quant aux modalités de répartition des biens indivis. En vertu de l’article 835 du Code civil, dès lors que tous les indivisaires sont présents et capables, le partage peut intervenir dans les formes et selon les modalités librement définies par les parties. Il peut être formalisé par un acte sous seing privé ou un acte notarié, ce dernier étant obligatoire en présence de biens immobiliers pour garantir leur publicité foncière.

Ce mode de partage illustre la prééminence du consensualisme en présence d’une situation d’indivision. Sa rapidité, son faible coût et sa souplesse en font la solution privilégiée, particulièrement encouragée depuis la réforme de 2006. Même en cas de difficultés – présence d’un indivisaire protégé, présumé absent ou défaillant – des mécanismes spécifiques permettent de préserver le recours au partage amiable, moyennant autorisation ou représentation.

==>Le partage judiciaire

Lorsque l’accord entre les indivisaires fait défaut, que des désaccords surgissent sur la composition des lots ou que des indivisaires sont dans l’incapacité de consentir, le partage judiciaire s’impose comme une alternative incontournable. Encadré par l’article 840 du Code civil, ce mode de partage offre une solution dans les situations de blocage. La procédure, régie par les articles 1359 à 1378 du Code de procédure civile, implique la saisine du Tribunal judiciaire, lequel désignera alors un notaire liquidateur chargé de conduire les opérations de partage.

Le partage judiciaire est une procédure souvent longue et coûteuse, comprenant plusieurs étapes : l’établissement de l’état liquidatif, l’homologation des lots par le juge, et, en cas de désaccord persistant, le recours au tirage au sort ou à la licitation. Toutefois, cette procédure garantit l’équité entre les indivisaires et permet de trancher les litiges, assurant ainsi une répartition conforme à leurs droits respectifs.

Au bilan, Ces deux modes de partage traduisent un équilibre recherché par le législateur entre l’autonomie des parties et l’intervention de l’autorité judiciaire. Alors que le partage amiable favorise la liberté contractuelle et la rapidité, le partage judiciaire, bien qu’exceptionnel, demeure une garantie essentielle dans les situations conflictuelles. Il est d’ailleurs toujours possible pour les indivisaires, même après l’engagement d’une procédure judiciaire, de revenir à un partage amiable, conformément à l’article 842 du Code civil.

En définitive, cette dualité des modes de partage permet d’offrir une solution adaptée à chaque situation, conciliant souplesse, efficacité et respect des droits de chacun.

Les conditions préliminaires de l’action en partage

L’action en partage, visant à mettre fin à l’indivision, suppose l’observation de conditions préalables. D’abord, le demandeur doit justifier d’un intérêt personnel, direct et actuel à agir, fondé sur sa qualité d’indivisaire (art. 815 et 31 C. civ.). Seuls les titulaires de droits dans l’indivision peuvent ainsi solliciter le partage.

Ensuite, cette action est imprescriptible : tout indivisaire peut la déclencher à tout moment, conformément à l’article 815 du Code civil. Toutefois, les demandes accessoires (rapport, réduction) sont soumises aux délais de prescription de droit commun.

Enfin, l’action en partage échappe à la publicité foncière lors de son introduction, cette formalité n’étant requise qu’au moment de la formalisation du partage pour assurer son opposabilité aux tiers. Ce cadre garantit à la fois la protection des indivisaires et la sécurité juridique des opérations.

I) L’intérêt pour agir

Conformément à l’article 31 du Code de procédure civile, l’introduction d’une action en partage suppose que le demandeur justifie d’un intérêt personnel, direct et actuel à agir. Cet intérêt découle naturellement de la qualité d’indivisaire, lui conférant le droit de solliciter la fin de l’indivision. Cette qualité trouve son fondement dans l’article 815 du Code civil, qui consacre le droit de chaque indivisaire à provoquer le partage de l’indivision, sauf s’il en a été convenu autrement.

Cependant, cet intérêt doit demeurer concret : l’action ne peut être exercée que si le demandeur justifie d’un droit dans l’indivision. Ainsi, un tiers étranger ou un héritier potentiel non encore reconnu ne saurait introduire une telle action, sauf à se heurter à une fin de non-recevoir.

II) Prescription de l’action

L’action en partage est imprescriptible. La raison en est que, conformément à l’article 815 du Code civil, nul ne peut être contraint de demeurer dans l’indivision. Cette disposition garantit ainsi à tout indivisaire le droit de solliciter à tout moment la dissolution de l’indivision. Le caractère imprescriptible de l’action en partage a été confirmé par la Cour de cassation dans un arrêt de la première chambre civile du 12 décembre 2007 (Cass. 1re civ., 12 déc. 2007, n° 06-20.830).

Dans cette affaire, un indivisaire avait sollicité en 2005 l’ouverture de la succession de son ascendant décédé en 1932, dans le cadre du partage de la succession de son autre ascendant, décédé en 1995. La cour d’appel avait rejeté cette demande, en estimant qu’elle était prescrite, au motif que le délai écoulé depuis le décès survenu en 1932 faisait obstacle à l’action. La Cour de cassation a cassé cette décision en rappelant qu’en vertu de l’article 815 du Code civil, le droit de demander le partage est imprescriptible. En l’espèce, elle a jugé que l’indivisaire pouvait légitimement provoquer le partage, nonobstant le délai écoulé.

Toutefois, si l’action principale en partage est imprescriptible, certaines prétentions accessoires, comme les demandes de rapport ou de réduction, peuvent être soumises à des délais de prescription spécifiques. Ces délais, qui relèvent des règles de droit commun, doivent être soigneusement distingués du droit principal de demander le partage. Par exemple, une demande tendant à contester une libéralité excessive ou à intégrer des biens dans la masse partageable pourrait être frappée par la prescription si elle n’est pas exercée dans les délais impartis.

Enfin, bien que l’action en partage ne soit pas affectée par la prescription extinctive, la prescription acquisitive peut venir limiter ses effets dans certaines hypothèses. Ainsi, si un indivisaire a exercé une possession exclusive sur un bien indivis pendant une durée suffisante pour en acquérir la propriété, ce bien pourrait être soustrait de la masse partageable. Cette exception, bien que marginale, illustre que l’imprescriptibilité de l’action ne confère pas un caractère absolu à tous les droits liés à l’indivision, mais s’inscrit dans un cadre cohérent avec les principes du droit civil.

III) Publicité foncière préalable

Contrairement à d’autres actions judiciaires impliquant des droits immobiliers, la demande en partage ne nécessite pas de publicité préalable au service de la publicité foncière, même lorsque le patrimoine indivis comprend des immeubles. Cette spécificité résulte de la nature même de l’action en partage, qui vise avant tout à organiser la répartition des biens entre les indivisaires sans produire immédiatement d’effets à l’égard des tiers.

L’article 28, 4, c) du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 impose une obligation de publicité pour les demandes en justice tendant à obtenir la résolution, la révocation, l’annulation ou la rescision d’un acte portant sur des droits immobiliers soumis à publicité foncière. Toutefois, cette obligation ne s’applique pas à l’action en partage, comme l’a précisé la Cour de cassation dans un arrêt du 15 février 2006 (Cass. 3e civ, 15 févr. 2006, n°04-20.521).

Dans cette affaire, un créancier, invoquant des titres exécutoires, avait assigné un indivisaire pour obtenir l’annulation de sa déclaration de renonciation à succession ainsi que l’ouverture des opérations de partage, incluant la licitation d’un bien immobilier indivis. La cour d’appel avait déclaré ces demandes irrecevables au motif que les actes d’assignation n’avaient pas été publiés au service de la publicité foncière.

La Cour de cassation a censuré cette décision en considérant que l’obligation de publicité foncière, prévue par l’article 28, 4, c) du décret précité, ne s’applique qu’aux demandes tendant à l’anéantissement rétroactif d’un droit antérieurement publié. Or, dans le cadre d’une action en partage, les biens indivis conservent leur nature collective jusqu’à l’homologation du partage, ce qui exclut toute modification opposable aux tiers tant que cette formalisation n’est pas intervenue. Ainsi, l’absence de publicité ne peut constituer une cause d’irrecevabilité de l’action en partage.

La décision illustre que l’action en partage échappe à l’exigence de publicité foncière lors de son introduction, contrairement aux actions visant à modifier ou supprimer un droit inscrit au fichier immobilier. Cela simplifie la procédure, en réduisant les formalités et les coûts pour les indivisaires ou les créanciers qui souhaitent engager une telle action.

Cependant, cette absence de publicité implique que les tiers, notamment les créanciers hypothécaires, ne soient pas informés des premières étapes de la procédure, ce qui peut engendrer des difficultés. Par exemple, une mutation de droits entre indivisaires pourrait se produire à l’insu des tiers avant l’homologation du partage.

Il convient de souligner que, si la publicité n’est pas requise au stade de l’introduction de l’action, elle devient obligatoire au moment de la formalisation du partage, lorsque les biens indivis sont attribués ou cédés à titre individuel. À ce stade, les mutations doivent être inscrites au fichier immobilier aux fins d’information des tiers, encore que le défaut de publicité ne soit sanctionné, ni par la nullité du partage, ni par l’inopposabilité. Tout au plus, les tiers pourraient solliciter l’octroi de dommages et intérêts s’ils justifient d’un préjudice.

Les modes de partage: principes généraux

Le partage peut s’opérer selon deux modalités distinctes : amiable ou judiciaire. Lorsque les indivisaires parviennent à s’accorder sur la répartition des biens, le partage amiable s’impose naturellement, privilégiant la souplesse, la rapidité et la maîtrise des coûts. Il repose sur le principe du consensualisme et permet aux parties de définir librement les modalités du partage, sous réserve du respect des règles de forme imposées par la nature des biens. Toutefois, lorsque l’unanimité fait défaut, qu’un indivisaire est empêché de consentir ou que des désaccords persistent quant à la composition des lots ou à la valeur des biens, le partage judiciaire devient inévitable. Placée sous le contrôle du juge, cette voie contentieuse assure l’équité entre les parties, mais au prix d’une procédure souvent longue et coûteuse. En tout état de cause, la loi privilégie le partage amiable, considérant le recours au juge comme une solution subsidiaire, réservée aux situations de blocage ou de conflit avéré.

I) Les variétés de modes de partage

Le partage, acte par lequel l’indivision prend fin pour attribuer à chaque indivisaire des droits exclusifs sur les biens concernés, constitue une étape essentielle en vue de liquider une succession, un régime matrimonial ou encore l’actif d’une personne morale.

Ce processus, destiné à mettre un terme à la copropriété indivise, peut être réalisé selon deux modes distincts : le partage amiable et le partage judiciaire. Ces deux formes traduisent des philosophies différentes, l’une valorisant le consensualisme, l’autre imposant l’intervention de l’autorité judiciaire.

==>Le partage amiable

Le partage amiable, favorisé par le législateur, repose sur l’accord unanime des indivisaires quant aux modalités de répartition des biens indivis. En vertu de l’article 835 du Code civil, dès lors que tous les indivisaires sont présents et capables, le partage peut intervenir dans les formes et selon les modalités librement définies par les parties. Il peut être formalisé par un acte sous seing privé ou un acte notarié, ce dernier étant obligatoire en présence de biens immobiliers pour garantir leur publicité foncière.

Ce mode de partage illustre la prééminence du consensualisme en présence d’une situation d’indivision. Sa rapidité, son faible coût et sa souplesse en font la solution privilégiée, particulièrement encouragée depuis la réforme de 2006. Même en cas de difficultés – présence d’un indivisaire protégé, présumé absent ou défaillant – des mécanismes spécifiques permettent de préserver le recours au partage amiable, moyennant autorisation ou représentation.

==>Le partage judiciaire

Lorsque l’accord entre les indivisaires fait défaut, que des désaccords surgissent sur la composition des lots ou que des indivisaires sont dans l’incapacité de consentir, le partage judiciaire s’impose comme une alternative incontournable. Encadré par l’article 840 du Code civil, ce mode de partage offre une solution dans les situations de blocage. La procédure, régie par les articles 1359 à 1378 du Code de procédure civile, implique la saisine du Tribunal judiciaire, lequel désignera alors un notaire liquidateur chargé de conduire les opérations de partage.

Le partage judiciaire est une procédure souvent longue et coûteuse, comprenant plusieurs étapes : l’établissement de l’état liquidatif, l’homologation des lots par le juge, et, en cas de désaccord persistant, le recours au tirage au sort ou à la licitation. Toutefois, cette procédure garantit l’équité entre les indivisaires et permet de trancher les litiges, assurant ainsi une répartition conforme à leurs droits respectifs.

Au bilan, Ces deux modes de partage traduisent un équilibre recherché par le législateur entre l’autonomie des parties et l’intervention de l’autorité judiciaire. Alors que le partage amiable favorise la liberté contractuelle et la rapidité, le partage judiciaire, bien qu’exceptionnel, demeure une garantie essentielle dans les situations conflictuelles. Il est d’ailleurs toujours possible pour les indivisaires, même après l’engagement d’une procédure judiciaire, de revenir à un partage amiable, conformément à l’article 842 du Code civil.

En définitive, cette dualité des modes de partage permet d’offrir une solution adaptée à chaque situation, conciliant souplesse, efficacité et respect des droits de chacun.

II) La détermination du mode de partage

Le partage des biens indivis constitue une étape décisive pour mettre fin à l’indivision, qu’elle résulte d’une succession, d’une séparation ou de toute autre situation juridique. Ce processus, bien que fondé sur le principe de la liberté contractuelle, est encadré par des règles destinées à garantir à la fois la protection des intérêts de chaque indivisaire et l’efficacité des opérations.

Le législateur, conscient des enjeux souvent émotionnels et financiers qui entourent le partage, privilégie le partage amiable comme mode principal. Cette voie consensuelle repose sur l’autonomie des indivisaires et leur capacité à s’accorder sur les modalités de répartition des biens. Toutefois, lorsque le consensus devient impossible ou que des circonstances particulières l’imposent, le partage judiciaire intervient en tant que solution subsidiaire, encadrée par des règles strictes pour préserver l’équité et la sécurité juridique.

A) Le partage amiable comme principe

Le partage amiable s’impose aujourd’hui comme la voie privilégiée pour mettre un terme à l’indivision. Il incarne l’autonomie des indivisaires et offre des avantages indéniables, alliant souplesse, efficacité et maîtrise des coûts.

Aux termes de l’article 835 du Code civil, le partage amiable repose sur la capacité juridique des indivisaires et leur présence effective, ou à défaut, leur représentation légale. Ce mécanisme exige également l’unanimité des parties, condition essentielle à sa mise en œuvre. En effet, les indivisaires doivent non seulement être capables de consentir au partage, mais également s’accorder sur les modalités du partage, qu’il s’agisse de l’évaluation des biens, de leur répartition ou de toute autre disposition.

La liberté qui caractérise le partage amiable permet aux indivisaires de personnaliser leurs accords, tout en respectant les exigences formelles imposées par la nature des biens. Par exemple, lorsque le partage porte sur des biens immobiliers, un acte notarié est requis conformément aux dispositions du décret du 4 janvier 1955, qui impose la publication foncière pour garantir la validité et l’opposabilité du partage.

La souplesse du partage amiable est tempérée par la nécessité de protéger les intérêts des indivisaires juridiquement incapables, tels que les mineurs ou les majeurs sous tutelle, ainsi que ceux des indivisaires absents. Dans de telles hypothèses, le législateur a prévu des mécanismes spécifiques visant à concilier la possibilité d’un partage amiable avec la protection des personnes vulnérables. L’article 836 du Code civil autorise ainsi un partage amiable sous réserve d’une autorisation préalable délivrée par le juge des tutelles ou, dans certains cas, par le conseil de famille.

Cette autorisation est essentielle pour garantir que les droits des indivisaires protégés soient scrupuleusement respectés. Le juge des tutelles ou le conseil de famille examine les modalités du partage, s’assurant notamment que l’état liquidatif ne lèse pas les intérêts des parties vulnérables. Ces mécanismes d’encadrement permettent de maintenir le principe du partage amiable, même lorsque tous les indivisaires ne peuvent y consentir directement.

Bien que le législateur encourage vivement le partage amiable, certaines situations peuvent rendre ce mode de règlement inapplicable. En cas de désaccord entre les indivisaires, sur les modalités du partage ou sur l’approbation de l’état liquidatif, l’unanimité requise fait défaut. De même, si le juge des tutelles refuse d’accorder l’autorisation nécessaire ou si les parties ne parviennent pas à un compromis, le partage amiable devient impraticable.

Dans ces cas, le recours au partage judiciaire s’impose. Ce mode, bien que subsidiaire, est encadré par des règles précises visant à garantir l’équité entre les parties. Toutefois, il s’accompagne de contraintes procédurales et économiques non négligeables : la demande en justice, l’intervention d’experts pour l’établissement de l’état liquidatif, les débats contradictoires et l’homologation par le tribunal engendrent des coûts et des délais significatifs. Ces inconvénients soulignent l’importance de privilégier le partage amiable chaque fois que cela est possible.

Le législateur, conscient des avantages du partage amiable, en fait aujourd’hui le principe, réservant le partage judiciaire aux situations où aucun autre moyen ne permet de mettre un terme à l’indivision. Cette promotion s’inscrit dans une logique de pacification des relations entre indivisaires, en encourageant la coopération et en limitant les conflits. Ainsi, même dans les cas complexes impliquant des personnes protégées ou absentes, le partage amiable demeure accessible, sous réserve de certaines adaptations procédurales.

B) Le partage judiciaire comme exception

Bien que le partage amiable constitue la règle, il arrive que les circonstances exigent une intervention judiciaire pour mettre fin à l’indivision. Dans de tels cas, le partage judiciaire, prévu par l’article 840 du Code civil, s’impose à titre subsidiaire, offrant une solution équitable lorsque le consensus des indivisaires est impossible ou inapproprié.

Lorsque l’unanimité fait défaut, le partage amiable ne peut prospérer. En cas de désaccord persistant entre les indivisaires, qu’il s’agisse de la répartition des biens, de leur évaluation ou des modalités de tirage au sort, le recours au juge devient inévitable. Cette intervention garantit que les opérations de partage se déroulent dans des conditions équitables pour tous.

De même, l’inertie ou le désintérêt volontaire d’un indivisaire peut également rendre nécessaire cette voie contentieuse. Dans de telles hypothèses, l’article 837 du Code civil impose qu’une mise en demeure soit préalablement adressée à l’indivisaire défaillant. Si ce dernier persiste dans son silence, le tribunal peut désigner un mandataire chargé de le représenter, mais le caractère judiciaire de la procédure demeure prédominant.

Certains biens indivis, en raison de leur complexité ou de leur nature particulière, requièrent l’intervention du juge pour que leur partage soit réalisé dans des conditions adéquates. Tel est le cas des biens immobiliers complexes ou indivisibles, lorsque les indivisaires ne parviennent pas à s’accorder sur leur valeur ou leur division matérielle. Dans de telles situations, la juridiction saisie peut ordonner une expertise ou, en dernier ressort, une vente judiciaire sous forme de licitation. De même, les biens grevés de droits spécifiques, tels que les sûretés réelles ou les mesures conservatoires, requièrent souvent une intervention judiciaire afin de lever les incertitudes juridiques et de permettre une répartition équitable.

La procédure de partage judiciaire se distingue par sa rigueur et son formalisme. Elle comprend des étapes bien définies, à commencer par la saisine du tribunal. Sous la direction d’un notaire désigné, un état liquidatif est établi, décrivant en détail la répartition projetée des biens. Cet état est ensuite soumis à l’homologation judiciaire, qui en garantit la conformité et la légalité. Enfin, dans les cas où la répartition ne peut être déterminée par un accord entre les parties, le tirage au sort des lots assure une allocation impartiale des biens. Bien que cette procédure puisse sembler contraignante, elle demeure essentielle pour préserver l’équité, notamment lorsque les relations entre les indivisaires sont conflictuelles ou que la nature des biens le requiert.

Malgré son importance dans les situations les plus complexes, le partage judiciaire reste une solution ultime et résiduelle. Le législateur, soucieux de promouvoir des solutions consensuelles, encourage une transition vers le partage amiable, même lorsqu’une procédure judiciaire est en cours. L’article 842 du Code civil permet ainsi aux parties, à tout moment, d’abandonner les voies judiciaires pour conclure un partage amiable, sous réserve d’un accord unanime. Cette disposition illustre la volonté de privilégier, autant que possible, une résolution autonome et harmonieuse des différends entre indivisaires.

Les conditions d’exercice du droit au partage

Le droit de provoquer le partage incarne le principe selon lequel nul ne peut être contraint de demeurer dans une indivision contre son gré. Toutefois, l’exercice de cette prérogative n’est pas absolu. Il est encadré par des conditions précises, destinées à concilier les intérêts parfois divergents des indivisaires et des tiers, tout en préservant l’équilibre patrimonial. Au nombre des conditions devant être réunies figurent la préexistence d’une indivision juridiquement constituée, l’existence de biens partageables, ainsi que l’absence de toute prescription extinctive affectant ce droit. À ces exigences générales s’ajoutent des conditions spécifiques lorsqu’un bien indivis fait l’objet d’un démembrement de propriété, imposant une articulation subtile entre les droits concurrents d’usufruit et de nue-propriété. C’est dans le respect de ces exigences que le partage pourra pleinement produire ses effets, tout en préservant l’équité entre les copartageants.

A) Préexistence d’une indivision

1. Les éléments constitutifs de l’indivision

Bien que la notion d’indivision constitue une pierre angulaire du droit des biens, elle n’est définie par aucun texte.

Aussi, s’est-elle principalement construite à travers la doctrine et la jurisprudence, lesquelles se sont appuyés sur les articles 815 et suivants du Code civil.

De nombreuses approches de la notion d’indivision ont été proposées par les auteurs. Nous nous limiterons à en proposer trois :

  • L’approche classique
    • Selon cette approche, l’indivision désigne la situation juridique dans laquelle se trouvent plusieurs personnes (les coïndivisaires) qui sont propriétaires ensemble d’un même bien, chacune ayant des droits égaux sur la totalité du bien, sans qu’il y ait division matérielle de celui-ci.
    • Chaque coïndivisaire est réputé propriétaire de l’ensemble du bien, mais uniquement pour sa part et portion, soit sans pouvoir revendiquer un droit exclusif sur une partie déterminée du bien.
    • Cette approche repose sur une dissociation entre la chose, qui reste matériellement indivise, et le droit de propriété, qui a pour objet une quote-part abstraite attribuée à chaque propriétaire.
    • Ce droit n’est pas lié à une portion physique du bien, mais à une fraction arithmétique de la propriété totale, chaque indivisaire ayant un droit qui s’exerce sur chaque élément de la chose, sans qu’il soit possible d’identifier matériellement cette part.
  • L’approche fonctionnelle
    • Certains auteurs envisagent l’indivision en contemplation de sa fonction.
    • Pour eux, l’indivision est intrinsèquement provisoire, en ce sens qu’elle n’est pas une fin en soi mais un moyen temporaire de gérer un bien en attendant une résolution plus définitive de la situation à laquelle il est mis fin par l’opération de partage.
    • Cette conception s’appuie sur l’idée que les situations d’indivision naissent souvent de circonstances qui requièrent un dénouement futur.
    • Tel est notamment le cas lorsque l’indivision résulte d’une succession, d’un divorce ou de la dissolution d’une personne morale.
    • Dans le cadre d’une succession, par exemple, l’indivision survient lorsque les héritiers héritent d’un patrimoine commun sans qu’une répartition immédiate des biens soit possible ou souhaitée.
    • Le temps nécessaire à l’évaluation des actifs, au paiement des dettes du défunt, et à l’accord entre les parties sur la répartition des biens rend l’indivision inévitable.
    • De la même façon, lors d’un divorce, les ex-conjoints peuvent se retrouver en situation d’indivision pour la résidence familiale ou d’autres biens, jusqu’à ce que des arrangements financiers et personnels plus permanents puissent être mis en place.
    • Ces situations constituent, par nature, des terrains fertiles aux conflits entre coïndivisaires, car chaque partie peut avoir des attentes, des besoins financiers et des projets de vie divergents.
    • Les tensions peuvent surgir autour de la gestion des biens, leur utilisation, leur éventuelle valorisation ou leur vente.
    • L’indivision apparaît alors comme une solution permettant :
      • D’une part, d’assurer une transition vers la liquidation définitive des droits dont sont investies les parties sur un ou plusieurs biens
      • D’autre part, de prévenir les risques de mésententes, la loi offrant des mécanismes permettant aux coïndivisaires de demander à tout moment le partage, mais également des possibilités de gestion du bien par un ou plusieurs indivisaires voire, en cas de conflits, par un administrateur provisoire
  • L’approche économique
    • Il est des auteurs qui appréhendent l’indivision au regard de sa fonction économique.
    • Plus précisément, selon les tenants de cette approche, l’indivision offre une structure permettant une gestion collective des biens qui peut être plus efficace que la gestion individuelle, surtout dans des contextes où les ressources et compétences sont partagées.
    • Tel est notamment le cas s’agissant de la gestion d’un patrimoine ou d’une entreprise familiale.
    • Par ailleurs, l’indivision peut se révéler être un formidable outil permettant de réaliser des économies d’échelle en mutualisant les coûts liés à la gestion, l’entretien, et la valorisation des biens.
    • Par exemple, dans le cas d’une grande propriété agricole ou d’un immeuble, la gestion collective peut réduire les coûts unitaires et améliorer la rentabilité globale du patrimoine.
    • De plus, elle évite la fragmentation des biens qui pourrait en réduire la valeur économique et compliquer leur gestion.
    • Des auteurs voient également l’indivision comme une étape préparatoire au partage définitif des biens.
    • La période d’indivision peut servir à évaluer la meilleure manière de diviser les biens sans compromettre leur valeur économique ou leur utilité.
    • Cette phase peut être cruciale pour les entreprises familiales où un partage prématuré ou mal planifié pourrait nuire à l’entreprise elle-même.
    • Enfin, l’indivision peut être une forme d’organisation économique et sociale bénéfique, surtout lorsque les biens sont destinés à rester dans un cadre familial ou communautaire.
    • Elle permet non seulement une gestion efficace mais aussi un moyen de préserver le patrimoine pour les générations futures.

Malgré les différences qui distinguent ces approches, elles ont pour point commun d’admettre que l’existence d’une situation d’indivision est toujours subordonnée à la réunion de trois éléments constitutifs :

  • Une pluralité de personnes exerçant des droits concurrents
  • Les droits dont sont titulaires ces personnes doivent être de même nature
  • Ces droits doivent porter sur un même bien

a. Pluralité de personnes

Parce que l’indivision constitue une forme de propriété collective, elle ne se conçoit qu’en présence d’une pluralité de personnes qui exercent des droits concurrents sur un ou plusieurs biens.

Cette exigence conduit à exclure du domaine de l’indivision deux situations juridiques résultant des opérations que sont :

  • D’une part, la clause d’accroissement
  • D’autre part, le compte joint

==>La clause d’accroissement

La clause d’accroissement, qualifiée également de tontine ou de pacte tontinier, désigne le dispositif contractuel aux termes duquel plusieurs personnes stipulent dans l’acte d’acquisition d’un bien que, à la mort de l’un des acquéreurs, ses droits sur le bien accroissent ceux des survivants, jusqu’à ce que le dernier vivant devienne l’unique propriétaire.

Ce contrat vise ainsi, à chaque décès successif, à concentrer la propriété du bien sur la tête des survivants, le dernier survivant étant réputé avoir été le seul propriétaire dès l’origine de l’acquisition du bien.

Dans un premier temps, la Cour de cassation avait prohibé les clauses d’accroissement, considérant qu’elles s’analysaient en des pactes sur succession future (Cass. req. 24 janv. 1928).

Puis, dans un second temps, elle a opéré un revirement de jurisprudence en admettant la stipulation de telles clauses.

Pour échapper à la qualification de pacte sur succession future, la clause d’accroissement doit toutefois présenter un caractère aléatoire et être stipulée à titre onéreux (Cass. 3e civ. 3 févr. 1959).

Une fois le principe de validité des clauses d’accroissement acquis, la question se pose de savoir si la conclusion d’un pacte de tontine ne créerait pas une situation d’indivision entre les tontiniers.

À cette question, la Haute juridiction répond par la négative. Elle a effet jugé dans un arrêt du 27 mai 1986 que la clause d’accroissement rend « jusqu’au décès du prémourant incompatibles entre eux les droits des parties à la propriété de l’immeuble litigieux puisque seul le survivant en était titulaire depuis la date d’acquisition de ce bien » (Cass. 1ère civ. 27 mai 1986, n°85-10.031).

Il ressort de cette décision que la clause d’accroissement n’a nullement pour effet de conférer la qualité de propriétaire aux parties de telle sorte qu’ils se retrouveraient dans une situation d’indivision.

En application de cette clause, ce n’est que celui qui survit à tous les autres qui est réputé avoir été le seul propriétaire du bien. Quant à ceux prédécédés, ils sont réputés n’avoir jamais rien acquis.

À l’analyse, le pacte de tontine repose sur une technique juridique qui combine :

  • D’une part, une condition suspensive de la survie : elle confère au dernier survivant la propriété du bien acquis en tontine
  • D’autre part, une condition résolutoire du décès : elle dénie aux prémourants la qualité de propriétaire du bien acquis en tontine

Parce que la réalisation de ces deux conditions opère rétroactivement, les tontiniers ne peuvent jamais être titulaires, en même temps, d’un droit de propriété sur le bien.

D’où la position de la Cour de cassation qui n’admet pas la création d’une situation d’indivision par l’effet d’une clause d’accroissement.

Dans un arrêt du 17 décembre 2013, la Troisième chambre civile a ainsi expressément affirmé que « l’achat en commun d’un bien immobilier avec clause d’accroissement est exclusif de l’indivision » (Cass. 3e civ. 17 déc. 2013, n°12-15.453).

La conséquence en est l’impossibilité pour les tontiniers de solliciter le partage du bien à l’instar de la faculté reconnue aux coïndivisaires.

Compte tenu de l’absence d’indivision, est-ce à dire que les parties au pacte de tontine ne seraient investies d’aucuns droits concurrents sur le bien ? Il n’en est rien.

Dans un arrêt du 9 février 1994, la Cour de cassation a jugé que si la clause d’accroissement est exclusive de toute indivision « puisqu’il n’y aura jamais eu qu’un seul titulaire du droit de propriété », en revanche, tant que la condition suspensive – de survie – ne s’est pas réalisée, « les parties ont des droits concurrents qui emportent le droit pour chacune d’entre elles de jouir indivisément du bien » (Cass. 1ère civ. 9 févr. 1994, n°92-11.111).

Autrement dit, la clause d’accroissement a pour effet de créer une situation d’indivision, non pas en propriété, mais en jouissance à tout le moins tant qu’au moins deux tontiniers sont encore en vie

Dans un arrêt du 9 novembre 2011, la Cour de cassation en a déduit la faculté pour une partie de réclamer à l’autre une indemnité de jouissance au titre de l’occupation exclusive du bien acquis en tontine (Cass. 1ère civ. 9 nov. 2011, n°10-21.710).

==>Le compte joint

L’ouverture d’un compte joint est le fait, le plus souvent, des personnes mariées, pacsées ou vivant en concubinage qui l’utilisent aux fins d’accomplir les opérations relatives à l’entretien du ménage.

Il se caractérise par la situation de ses cotitulaires qui exercent les mêmes droits sur l’intégralité des fonds inscrits en compte.

Compte tenu de l’existence d’une situation de concours entre les droits des cotitulaires d’un compte joint, la question se pose de savoir si l’ouverture d’un tel compte ne créerait pas une situation d’indivision.

Une brève analyse du régime juridique applicable au compte joint conduit à répondre par la négative.

En effet, le compte joint est régi par les principes de solidarité active et passive. Or il s’agit là de deux principes qui sont incompatibles avec le mécanisme de l’indivision.

  • S’agissant de la solidarité active
    • Elle confère une grande autonomie de gestion aux cotitulaires d’un compte joint.
    • Chacun peut accomplir seul des opérations susceptibles d’affecter la totalité du compte sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’approbation des autres titulaires.
    • Cette autonomie contraste fortement avec le régime de l’indivision où chaque acte de gestion nécessite, par principe, l’accord de tous les coïndivisaires, à tout le moins de la majorité d’entre eux pour l’accomplissement de certains actes.
  • S’agissant de la solidarité passive
    • Elle implique que chaque titulaire du compte est tenu solidairement par les engagements souscrits par tous les autres.
    • Ainsi, en cas de solde débiteur, le banquier peut se retourner contre n’importe quel titulaire du compte et lui réclamer le paiement de l’intégralité des sommes dues.
    • Cette solidarité passive qui lie les cotitulaires d’un compte joint ne se retrouve pas dans une indivision.
  • En effet, les coïndivisaires ne sont tenus qu’à une obligation conjointe envers les créanciers de l’indivision, ce qui signifie qu’ils ne peuvent être actionnés en paiement qu’à concurrence de la quote-part qu’ils détiennent.

b. Identité des droits

==>Principe

Pour que plusieurs propriétaires soient regardés comme se trouvant en situation d’indivision, ils doivent être titulaires de droits concurrents qui sont de même nature.

Par même nature, il faut comprendre que les droits réels qui sont en concours portent sur un ou plusieurs démembrements du droit de propriété qui correspondent.

Ainsi, par exemple, il ne saurait y avoir d’indivision entre un usufruitier et un nu-propriétaire.

La raison en est que les droits de nue-propriété et d’usufruit ne confèrent pas à leurs titulaires les mêmes prérogatives de sorte qu’ils peuvent être exercés séparément.

Or cette séparation quant à l’exercice de droits réels est incompatible avec le fonctionnement unitaire d’une indivision dont la gestion est gouvernée par le principe de codécision.

Au fond, tandis que les coïndivisaires se tiennent côte à côte, l’usufruitier et le nu-propriétaire sont placés dans des situations qui se superposent.

À cet égard, la jurisprudence est constante sur cette question. Dans un arrêt du 31 octobre 2000 la Cour de cassation a expressément affirmé qu’« il est de principe qu’il n’y a pas indivision entre usufruitier et nu-propriétaire » (Cass. 3e civ. 31 oct. 2000, n°97-20.732).

Dans un arrêt du 12 février 2020, elle a encore jugé « qu’il n’existe pas d’indivision entre l’usufruitier et le nu-propriétaire dont les droits sont de nature différente » (Cass. 1ère civ. 12 févr. 2020, n°18-22.537).

L’enjeu ici réside dans la faculté des titulaires de droits réels de solliciter le partage du bien et plus précisément pour un usufruitier et un nu-propriétaire de mettre fin prématurément au démembrement du droit de propriété.

La fin de ce démembrement ne peut toutefois intervenir qu’à la mort de l’usufruitier. Aussi, ne saurait-on contourner cette règle en convoquant des droits – au cas particulier le droit au partage – qui ne sont reconnus qu’aux seuls titulaires de droits indivis.

Il peut être observé que le même raisonnement peut être tenu s’agissant du tréfonds (la propriété du sous-sol) et de la superficie (la propriété de la surface).

En effet, l’un et l’autre font l’objet de droits de propriétés distincts, de sorte que le tréfoncier et le superficiaire ne sauraient être regardés comme se trouvant en situation d’indivision.

À l’instar de l’usufruitier et du nu-propriétaire, ils sont titulaires de droits, non pas qui se tiennent côte à côte, mais qui se superposent.

==>Mise en œuvre

Si l’exigence d’identité des droits conduit à dénier au nu-propriétaire et à l’usufruitier la qualité de coïndivisaire, il est en revanche admis que puisse exister une situation d’indivision entre titulaires de démembrements du droit de propriété, pourvu que ces démembrements soient de même nature.

Dans un arrêt du 7 juillet 2016, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « l’indivision s’entend de la coexistence de droits de même nature sur un même bien [de sorte] qu’elle peut ne porter que sur une partie des droits des intéressés » (Cass. 3e civ. 7 juill. 2016, n°15-10.278).

Aussi, l’indivision est-elle susceptible d’intervenir dans plusieurs configurations :

  • Concours entre droits de nue-propriété
    • Il est des cas où la nue-propriété d’un bien appartient à plusieurs personnes.
    • Dans cette configuration, elles se trouveront alors en situation d’indivision.
    • Il en résulte que chaque nue-propriétaire pourra se prévaloir de son droit au partage de la nue-propriété.
  • Concours entre droits d’usufruit
    • Lorsque l’usufruit appartient à plusieurs usufruitiers il est également admis qu’existe entre eux une situation d’indivision.
    • Là encore, chaque usufruitier pourra faire valoir son droit à provoquer un partage de l’usufruit.
  • Concours entre droits d’usage et d’habitation
    • Pour mémoire, les droits d’usage et d’usufruit ne sont autres que des diminutifs de l’usufruit en ce sens qu’ils confèrent à leur titulaire un droit de jouissance restreint sur la chose :
      • S’agissant du droit d’usage, il autorise à se servir de la chose et à en percevoir les fruits « qu’autant qu’il lui en faut pour ses besoins et ceux de sa famille » (art. 630, al. 1er C. civ.).
      • S’agissant du droit d’habitation, il permet seulement d’utiliser la chose aux fins seulement d’habitation. Tout au plus, dit l’article 632 du Code civil, « celui qui a un droit d’habitation dans une maison peut y demeurer avec sa famille ». Ce droit doit toutefois rester restreint « à ce qui est nécessaire pour l’habitation de celui à qui ce droit est concédé et de sa famille. »
    • Parce qu’ils s’établissent et se perdent de la même manière que l’usufruit, les droits d’usage et d’habitation s’analysent en des droits réels.
    • La question qui alors se pose est de savoir s’il se crée, lorsqu’ils sont en concours, une situation d’indivision.
    • À cette question, la Cour de cassation a répondu par l’affirmative dans son arrêt rendu le 7 juillet 2016.
    • Aux termes de cette décision, elle a jugé, en effet, que « le propriétaire d’un bien, qui a le droit de jouir de son bien de la façon la plus absolue, dispose de droits concurrents avec le titulaire d’un droit d’usage et d’habitation s’exerçant conjointement sur le bien et qu’il existe par conséquent une indivision entre eux quant à ce droit d’usage et d’habitation » (Cass. 3e civ. 7 juill. 2016, n°15-10.278).
  • Concours entre l’usufruit et la pleine propriété
    • Il peut arriver qu’un droit d’usufruit soit en concours avec un droit de pleine propriété.
    • Ce cas correspond à l’hypothèse où l’usufruit n’est que partiel, et que le surplus appartienne à une ou plusieurs personnes qui sont également nus-propriétaires.
    • La question qui alors se pose est de savoir s’il existe une situation d’indivision entre l’usufruitier et le plein propriétaire.
    • Une première approche consisterait à répondre négativement, compte tenu de ce que l’usufruit et la nue-propriété sont des droits réels de nature différente.
    • Or l’existence d’une indivision est subordonnée à l’existence d’un concours entre droits réels de même nature.
    • Une deuxième approche pourrait consister à envisager qu’une indivision se crée en usufruit.
    • Reste que l’article 578 prévoit que « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété », de sorte que l’on ne peut pas jamais être regardé comme usufruitier de sa propre chose.
    • Selon une dernière approche, le concours entre un droit d’usufruit et un droit de pleine propriété ferait naître une indivision, non pas en usufruit, mais en jouissance.
    • C’est dans ce sens que la jurisprudence s’est positionnée.
    • Dans un arrêt du 25 juin 1974, la Cour de cassation a ainsi expressément affirmé que « lorsque le droit de l’usufruitier porte sur une quote-part d’un bien, il y a une indivision entre lui et le plein-propriétaire du surplus quant à la jouissance » (Cass. 1ère civ. 25 juin 1974, n°72-12.451).

c. Identité d’objet

Pour que plusieurs personnes se trouvent en situation d’indivision, les droits réels concurrents dont elles sont titulaires doivent avoir le même objet.

À cet égard, l’indivision peut porter, tant sur un bien unique, que sur plusieurs biens.

Il est également admis qu’une indivision puisse porter sur une universalité, tel que, par exemple, un fonds de commerce.

S’agissant de la nature des biens objets de l’indivision, il est indifférent qu’il s’agisse d’un meuble ou d’un immeuble. Il importe peu également que l’on soit en présence d’une chose corporelle ou incorporelle.

2. Les sources de l’indivision

Il est plusieurs circonstances susceptibles de conduire à une situation d’indivision. Ces circonstances peuvent être voulues ou subies.

Nous nous limiterons, dans les développements qui suivent, à aborder les principales sources de l’indivision.

2.1. L’indivision résultant de l’ouverture d’une succession

Lorsqu’une personne décède et laisse derrière elle plusieurs héritiers, ces derniers sont immédiatement investis de droits concurrents, de même nature, sur un ou plusieurs bien ayant appartenu au défunt.

C’est alors que se crée entre eux, dès l’ouverture de la succession, une situation d’indivision.

Il peut être observé que l’indivision successorale peut résulter :

  • D’une part, de la loi qui, en l’absence de disposition testamentaire, désigne les personnes ayant vocation à hériter du de cujus et détermine leurs droits dans la succession
  • D’autre part, d’une disposition testamentaire qui peut instituer plusieurs personnes comme légataires d’un même bien ou d’un même ensemble de biens
  • Enfin, d’une donation qui serait consentie à plusieurs personnes et qui porterait là encore sur un même bien ou sur un même ensemble de biens

Dans ces trois cas, il est nécessaire de régir les rapports entre successeurs lesquels sont titulaires de droits concurrents ayant un objet identique, alors même qu’ils sont susceptibles d’avoir des intérêts divergents, voire opposés.

C’est là tout l’enjeu, sinon la raison d’être de l’indivision : assurer la coexistence des droits et intérêts de chacun.

2.2. L’indivision résultant de la dissolution d’une communauté matrimoniale

Lorsque deux personnes se marient et optent pour un régime dit communautaire (par exemple le régime légal), les biens qu’elles acquièrent – ensemble ou séparément – et certains biens qu’elles apportent, viennent abonder ce que l’on appelle une communauté.

Cette communauté présente la particularité de consister en une masse de biens distincte de celles composées de biens appartenant en propre aux époux.

D’aucuns se sont demandé si, compte tenu de cette particularité, la communauté ne s’analyserait pas, au fond, en une forme d’indivision. Bien que séduisante, cette thèse n’est toutefois pas sans faille.

Tout d’abord, l’indivision se caractérise par sa nature temporaire ; elle n’a pas vocation à durer dans le temps. Tel n’est pas le cas de la communauté qui ne prend fin que dans les cas limitativement énumérés par la loi.

Ensuite, l’indivision constitue un ensemble de biens inorganisé, en ce sens qu’il n’est ni de répartition, ni d’aménagement des pouvoirs entre les indivisaires, puisque, pour la très grande majorité des actes de gestion du bien indivis, c’est la règle de l’unanimité qui préside à la prise de décision.

S’agissant, tout au contraire, des biens composant la communauté conjugale, les pouvoirs d’administration et de gestion des époux sont définis avec précision par la loi.

Selon la nature du bien concerné et la gravité de l’opération en cause, les pouvoirs dont sont investis les époux sur les biens communs diffèrent. Tantôt la loi admet une gestion concurrente, tantôt elle exige une gestion conjointe. Il est encore des cas où elle instaure un principe de gestion exclusive.

S’il est indéniable que la communauté conjugale et l’indivision sont deux institutions qui, en raison de leurs caractéristiques, sont proches, elles ne se confondent pas.

C’est ainsi que la Cour de cassation a refusé d’appliquer les règles relatives aux récompenses pour un bien acquis en indivision avant le mariage des époux, puisque n’ayant pas le caractère de bien commun (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1985, n°84-14.173).

Par cette décision, la Première chambre civile refuse d’assimiler un bien indivis à un bien commun. C’est là la preuve qu’ils obéissent à des régimes juridiques distincts, à tout le moins aussi longtemps que la communauté perdure. Car lorsque celle-ci prend fin, les biens communs tombent en indivision.

Pour mémoire, il est plusieurs événements susceptibles de mettre fin à l’existence de la communauté. L’article 1441 du Code civil prévoit en ce sens que La communauté se dissout :

  • par la mort de l’un des époux ;
  • par l’absence déclarée ;
  • par le divorce ;
  • par la séparation de corps ;
  • par la séparation de biens ;
  • par le changement du régime matrimonial.

Aussi, lorsque la communauté prend fin, indépendamment de la répartition des biens qui la composent, se pose la question des règles organisant la gestion de ces biens dans l’attente du dénouement des opérations de partage.

Spontanément, il apparaît que l’institution qui serait la plus à même de fournir des règles de gestion temporaire des biens issus d’une communauté conjugale dissoute n’est autre que l’indivision.

Ce mécanisme juridique a, en effet, été précisément pensé pour encadrer la situation de biens se trouvant dans un état transitoire. Sans grande surprise, c’est cette solution qui a été retenue par le législateur.

Ainsi, résulte-t-il de la dissolution d’une communauté conjugale, pour quelle que cause que ce soit, la constitution d’une indivision post-communautaire.

Les biens qui, dès lors, composaient la masse commune se transforment, sous l’effet de la dissolution de la communauté, en biens indivis. La conséquence en est un changement des règles applicables.

Tandis que les biens communs sont soumis au droit des régimes matrimoniaux, et plus précisément aux règles qui régissent la communauté conjugale, les biens indivis obéissent quant à eux au droit commun de l’indivision.

À compter du jour de la dissolution de la communauté, ce sont donc les articles 815 et suivants du Code civil qui s’appliquent aux biens relevant de l’indivision post-communautaire.

2.3. L’indivision résultant de l’adoption d’un régime matrimonial séparatiste

Lorsque deux personnes se marient, elles peuvent choisir d’opter pour un régime matrimonial séparatiste plutôt que pour le régime de la communauté réduite aux acquêts.

Les régimes séparatistes se caractérisent par l’absence de création d’une masse commune de biens qui serait alimentée par les biens présents et futurs acquis par les époux.

Aussi, ces derniers conservent-ils, en principe, la propriété en propre de tous les biens qu’ils ont apportés ou qu’ils acquièrent au cours du mariage.

La vie conjugale implique toutefois que les époux mettent en commun les biens qu’ils acquièrent séparément.

Sous l’effet du temps, les biens, en particulier les meubles, qui leur appartiennent en propre sont alors susceptibles de se confondre avec ceux qui appartiennent au conjoint et réciproquement.

Cette situation est, par hypothèse, de nature à rendre pour le moins difficile l’attribution à l’un et l’autre époux de la propriété des biens qui ont été confondus.

Aussi, afin de faciliter la preuve de la propriété de ces biens, le législateur a institué une règle qui, lorsqu’existe une incertitude sur la propriété d’un bien, fait présumer ce bien appartenir aux époux en indivision.

a. Présomption d’indivision

Issu de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965, l’article 1538 du Code civil prévoit que « les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié ».

Par le jeu de cette présomption est ainsi instituée une masse indivise de biens qui, à certains égards, se rapproche de la masse commune instituée sous les régimes communautaires.

Elle s’en distingue néanmoins en ce que les biens qui la composent sont soumis au seul droit de l’indivision.

Il en résulte que le sort de cette masse indivise n’est pas lié à la durée du mariage. Plus précisément, cette masse peut cesser d’exister avant la dissolution du mariage, ce qui n’est pas le cas de la communauté qui est instituée pour toute la durée de l’union matrimoniale.

À l’analyse, la présomption d’indivision est un dispositif qui permet d’atténuer le principe de séparation des patrimoines qui préside au régime de la séparation de biens.

Comme observé par Gulsen Yildirimn elle « permet d’introduire un facteur d’équité dans l’établissement de la composition des patrimoines des époux. »

D’autres auteurs soulignent qu’« il est significatif de voir ainsi s’établir une union des intérêts pécuniaires, subrepticement en quelque sorte, et à la faveur d’une absence de preuve. Cela autorise à penser qu’une certaine communauté de meubles est peut-être, elle aussi, dans la nature des choses »[5].

S’agissant des effets de cette présomption, elle conduira les époux à se partager le bien lors de la dissolution du mariage.

Le partage donnera lieu à réparation du bien en deux parts égales, celui-ci étant présumé appartenir conjointement aux époux pour moitié.

Il peut être observé que la présomption d’indivision instituée à l’article 1538 du Code civil n’est pas sans limite. Elle peut être combattue par la preuve contraire.

b. Preuve de la propriété

==>La charge de la preuve

En l’absence de présomption conventionnelle de propriété, la charge de la preuve pèse sur l’époux qui revendique la propriété d’un bien.

L’article 1538, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que « tant à l’égard de son conjoint que des tiers, un époux peut prouver par tous les moyens qu’il a la propriété exclusive d’un bien. »

Il peut être observé que si la règle énoncée par cette disposition ne vise que le cas où celui qui se prévaut de la propriété d’un bien est un époux, elle s’applique également à l’hypothèse où c’est un tiers qui cherchera à attribuer la propriété d’un bien à l’un ou l’autre époux.

Il y aura notamment intérêt lorsqu’il voudra exercer des poursuites sur ce bien, au titre d’une créance qu’il détient contre son débiteur.

==>Objet de la preuve

La preuve de la propriété n’est pas des plus aisée à rapporter. Pour y parvenir, il convient, en effet, d’établir irréfutablement la légitimité du rapport d’appropriation d’un bien. Or cela suppose d’être en mesure de remonter la chaîne des transferts successifs de propriété jusqu’au premier propriétaire, ce qui, a priori, est impossible.

D’où la présentation de la preuve de la propriété comme la « probatio diabolica », car seul le diable serait en capacité de la rapporter.

Quoi qu’il en soit, cette preuve doit être rapportée par l’époux qui revendique la propriété d’un bien, faute de quoi, conformément au troisième alinéa de l’article 1538 du Code civil, le bien revendiqué sera réputé appartenir indivisément à chacun des époux pour moitié.

Cette preuve de la propriété est-elle insurmontable ? Il n’en est rien. Comme observé par le Professeur Revêt « la propriété se prouve par sa cause : l’acquisition ».

Aussi, la propriété d’un bien se prouvera différemment selon le mode d’acquisition de ce bien. Il convient, en particulier, de distinguer les modes d’acquisition originaires, des modes d’acquisition dérivés.

  • L’acquisition originaire
    • Il s’agit du mode d’acquisition qui confère à l’acquéreur un droit de propriété qu’il ne tient pas d’autrui
    • Le droit dont il est titulaire n’a été exercé par personne et résulte d’un fait juridique.
    • Tel est le cas de l’occupation, de la prescription, de la présomption de propriété ou encore de l’accession
    • Dans cette configuration, l’acquisition de la propriété n’exige pas que l’acquéreur noue un rapport juridique avec une autre personne.
    • L’acquisition n’intéresse que lui et la chose
    • La preuve de la propriété consistera donc ici à établir les circonstances de création de ce lien entre le propriétaire et la chose
      • En cas d’acquisition d’un bien par occupation, il s’agira de démontrer l’entrée en possession de la chose et la volonté d’en être le propriétaire
      • En cas d’acquisition par prescription, il s’agira de démontrer que la possession est caractérisée, tant dans ses éléments constitutifs, que dans ses caractères.
      • En cas d’acquisition par accession, il conviendra de rapporter la preuve du fait d’accroissement ou de production.
  • L’acquisition dérivée
    • Il s’agit du mode d’acquisition qui confère à l’acquéreur un droit de propriété par voie de transfert du droit
    • Autrement dit, le bien appartenait, avant le transfert de sa propriété, à une autre personne, de sorte que l’acquéreur détient son droit d’autrui.
    • Ce mode d’acquisition de la propriété procède toujours de l’accomplissement d’un acte juridique, tels qu’un contrat, un échange, un testament, une donation etc.
    • Dans cette configuration, un rapport juridique doit nécessairement se créer pour que l’acquisition emporte transfert de la propriété
    • La preuve de la propriété consistera ici à établir l’existence d’un transfert de propriété et plus précisément à remonter le fil des transmissions, ce qui ne sera pas sans soulever des difficultés en matière mobilière.

==>Les modes de preuve

S’agissant des modes de preuves admis quant à établir la propriété d’un bien, l’article 1538 du Code civil prévoit que la preuve peut être rapportée « par tous moyens ».

Cela signifie que tous les modes de preuves sont admis. Est-ce à dire qu’ils se valent tous ? Il n’en est rien.

Le titre de propriété est, sans aucun doute, le mode de preuve qui est pourvu de la plus grande force probante.

Reste qu’il ne sera établi, en général, que pour les immeubles étant précisé que la jurisprudence considère que « sous le régime de la séparation de biens, le bien appartient à celui dont le titre établit la propriété sans égard à son financement » (Cass. 1ère civ. 31 mai 2005, n°02-20.553).

Autrement dit, il est indifférent que le bien ait été financé par un époux en particulier : le titre prime en tout état de cause sur la finance. C’est donc l’époux titulaire du titre qui endosse la qualité de propriétaire du bien.

S’agissant des meubles, cette question ne se posera pas, à tout le moins qu’à titre exceptionnel, dans la mesure il est rare qu’un titre de propriété soit établi lors de l’acquisition de cette catégorie de biens.

Parfois, les meubles acquis avant le mariage feront l’objet d’une énumération dans le contrat de mariage, ce qui permettra d’éviter que les époux se disputent la propriété de ces biens lors de la liquidation de leur régime matrimoniale.

Pour les meubles acquis au cours du mariage, sauf à ce qu’ils aient été expressément visés dans une donation ou un testament, la possession devrait constituer le mode normal de preuve de la propriété.

Reste que pour produire ses effets, elle doit présenter les caractères requis par l’article 2261 du Code civil qui prévoit que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

Il ressort de cette disposition que pour être efficace, la possession ne doit être affectée d’aucun vice. Elle doit, autrement dit, être utile.

Par utile, il faut entendre susceptible de fonder une prescription acquisitive. On dit alors que la possession est utile ad usucapionem, soit par l’usucapion.

Si la situation des époux séparés de biens ne fait pas obstacle à la réunion des trois premiers caractères de la possession utile (continue, paisible et publique), il en va différemment de l’exigence tenant à l’absence d’équivoque.

Par hypothèse, les époux, quel que soit le régime matrimonial auquel ils sont soumis, partagent une communauté de vie, ce qui implique qu’ils mettent en commun leurs biens meubles.

Aussi, s’avérera-t-il délicat de déterminer si le possesseur détient la chose à titre exclusif ou si la possession est partagée.

Cette situation conduit, en pratique, à une confusion des biens meubles, ce qui est de nature à rendre la possession équivoque.

Compte tenu de la difficulté à établir l’absence d’équivoque de la possession pour les biens meules, la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 7 novembre 1995, que « les règles de preuve de la propriété entre époux séparés de biens, édictées par l’article 1538 du Code civil, excluent l’application de l’article 2279 [nouvellement 2276] du même Code » (Cass. 1ère civ. 7 nov. 1995, n°92-10.051).

Ainsi, pour la Première chambre civile, la règle énoncée à l’article 2276 du Code civil qui confère un titre de propriété à celui qui possède – de bonne foi – un meuble, est paralysée sous l’effet du régime de la séparation de biens.

Bien que vivement critiquée par les auteurs, cette position a été confirmée dans un arrêt du 27 novembre 2001 (Cass. 1ère civ. 27 nov. 2001, n°99-10.633).

Dans ces conditions, la preuve de la propriété devra se faire selon d’autres moyens, ce qui pourra consister à produire des témoignages et plus généralement toutes sortes d’indices.

Ces indices pourront notamment résulter de factures, bien qu’il ne s’agisse pas d’un écrit au sens du droit de la preuve.

Dans un arrêt du 10 mars 1993, la Cour de cassation a jugé en ce sens, au visa de l’article 1538 du Code civil, « qu’une facture, même non acquittée, est de nature à établir, sauf preuve contraire, l’acquisition d’un bien par celui au nom duquel elle est établie » (Cass. 1ère civ. 10 mars 1993, n°91-13.923).

Elle ajoute, dans cette même décision, « que la propriété d’un bien appartient à celui qui l’a acquis sans qu’il y ait lieu d’avoir égard à la façon dont l’acquisition a été financée ».

Les factures ne sont pas les seuls indices susceptibles de prouver la propriété d’un bien acquis par un époux séparé de biens. La jurisprudence a également admis que la preuve puisse être rapportée au moyen de certificats de garantie ou d’origine (CA Versailles 12 déc. 1988).

Pour les véhicules immatriculés, la preuve de leur propriété pourra résulter de la carte grise qui a été établie au nom d’un époux (CA Paris, 4 févr. 1982).

Si, en droit commun de la preuve, on n’accorde aux documents qui ne remplissent pas les conditions d’un écrit qu’une faible valeur probante, car ne prouvant, tout au plus, que le paiement par celui au nom duquel ils sont établis, à l’analyse, il en va différemment lorsque la preuve est rapportée dans le cadre matrimonial.

La jurisprudence reconnaît, en effet, aux indices que sont les factures, les certificats et autres documents contractuels, la valeur d’une présomption simple, en ce sens qu’ils permettent d’établir la propriété du bien jusqu’à la preuve contraire.

C’est là une certaine faveur qui est consentie aux époux séparés de bien pour lesquels le fardeau de la preuve se trouve ainsi allégé.

2.4. L’indivision résultant de la dissolution d’une société

Tout comme les personnes physiques dont la vie prend fin par la mort, les sociétés ont également vocation à disparaître. Ce qui met fin à l’existence de ces dernières, c’est la dissolution.

Classiquement, on définit la dissolution comme l’acte juridique qui anéantit l’existence de la personne morale. Autrement dit, c’est le processus qui marque la cessation de l’activité de la société et la disparition de sa personnalité juridique. La dissolution peut en quelque sorte être regardée comme la « mort » juridique de la société.

À la différence toutefois de la mort qui frappe une personne physique, la dissolution ne produit pas d’effet instantané, en ce sens qu’elle n’emporte pas extinction immédiate de tous les droits et obligations de la personne morale.

Avant que le pacte social conclu par les associés ne cesse définitivement de produire des effets, il doit être procédé à la conduite de deux catégories d’opérations qui se succèdent :

  • Les opérations de liquidation
  • Les opérations de partage

==>Les opérations de liquidation

La dissolution d’une société donne lieu à ce que l’on appelle la phase de liquidation.

Classiquement on définit la liquidation comme l’ensemble des opérations qui, consécutivement à la dissolution de la société, visent à :

  • D’une part, exécuter les engagements souscrits, désintéresser les créanciers, et recouvrer les créances sociales.
  • D’autre part, procéder à la répartition de l’actif net entre tous les associés, soit l’actif subsistant après le règlement du passif social

Il peut être observé que pendant cette phase transitoire qu’est la liquidation, conformément à l’article 1844-8, al. 3e du Code civil, la personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu’à la publication de la clôture de celle-ci.

Il en résulte que, aussi longtemps que perdurent les opérations de liquidation, la société conserve la propriété de son patrimoine, les associés n’étant titulaires que de droits sociaux.

Aussi, ce n’est qu’à compter de la clôture de la liquidation de la société que ces derniers se voient reconnaître des droits sur l’actif social, à tout le moins si le règlement du passif laisse subsister des éléments d’actif.

S’ouvre alors une seconde phase : le partage.

==>Les opérations de partage

La clôture de la liquidation de la société, qui emporte disparition définitive de la personne morale, donne lieu à ce que l’on appelle la phase de partage.

Cette phase recouvre l’ensemble des opérations qui vise à répartir entre les ex-associés les biens issus des opérations de liquidation.

La personne morale ayant disparu, se pose alors la question du statut de ces biens dans l’attente du dénouement des opérations de partage.

Pour le déterminer, il convient de se tourner vers l’article 1844-9 du Code civil d’où il s’évince que, consécutivement à la clôture de la liquidation, l’actif social tombe en indivision.

Ce sont donc les règles de l’indivision qui ont vocation à régir les rapports entre ex-associés quant à la gestion des biens qu’ils ont vocation à se répartir.

À cet égard, si le partage de l’actif social entre ex-associés est présenté comme la suite naturelle de la liquidation de la société, il n’y a là rien d’obligatoire.

L’article 1844-9 du Code civil prévoit, en effet, que « tous les associés, ou certains d’entre eux seulement, peuvent aussi demeurer dans l’indivision pour tout ou partie des biens sociaux. »

3. L’indivision résultant de l’acquisition d’un bien en commun

Si la plupart du temps l’indivision est une situation qui est subie par les coïndivisaires, il est des cas où elle peut être choisie.

Il en va notamment ainsi lorsque plusieurs personnes décident d’acquérir un bien en commun.

L’acquisition en commun d’un bien ne donne toutefois pas systématiquement lieu à une situation d’indivision. Le statut du bien dépend de la nature des relations entretenues par les acquéreurs.

Le régime applicable diffère notamment selon que l’achat est ou non réalisé par des personnes qui vivent en couple.

3.1. L’acquisition d’un bien en commun dans le cadre d’un couple

a. Les couples mariés

a.1. L’acquisition d’un bien en commun dans le cadre d’un régime communautaire

Lorsque deux personnes se marient, elles sont libres d’opter pour un régime dit communautaire (par exemple le régime légal).

La conséquence en est que, par principe, tous les biens qu’elles acquièrent – ensemble ou séparément – pendant le mariage viennent abonder une masse commune de biens que l’on appelle communauté.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quel statut reconnaître à ces biens – qualifiés également d’acquêts – qui forment la communauté conjugale ?

Pour certains auteurs, les acquêts endossent la qualification de biens indivis. D’autres soutiennent qu’ils répondent à un statut qui leur est propre et que, par voie de conséquence, ils ne sont pas soumis aux règles de l’indivision.

À l’analyse, c’est la seconde thèse qui emporte l’adhésion de la doctrine majoritaire, laquelle est corroborée par la jurisprudence qui systématiquement refuse d’appliquer aux biens communs les règles de l’indivision et inversement d’appliquer des règles issues du régime matrimonial à des biens acquis par un époux en indivision (Cass. 1ère civ. 22 juill. 1985, n°84-14.173, n°84-14.173).

Aussi, faut-il considérer que, par principe, les biens acquis par des époux mariés sous un régime de communauté échappent à la qualification de biens indivis. Ils appartiennent à une masse de biens – la communauté – qui, si elle comporte des similitudes avec une indivision, ne se confond pas avec cette institution.

a.2. L’acquisition d’un bien en commun dans le cadre d’un régime séparatiste

i. Principe général

Lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens, le principe de séparation des patrimoines implique que chacun conserve la propriété de ses biens présents et futurs.

Faute d’instauration d’une communauté, les éléments d’actif que les époux acquièrent séparément, à commencer par leurs revenus, n’ont donc pas vocation à alimenter une troisième masse de biens.

C’est la raison pour laquelle, sous le régime de la séparation de biens, les époux en conservent nécessairement la propriété à titre individuel, sans que l’enrichissement que leur procure l’acquisition faite ne puisse, par un transfert de valeur, profiter au patrimoine du conjoint.

ii. Tempéraments

Le Code civil prévoit une exception au principe de séparation des patrimoines lorsque le bien appartient aux époux en indivision.

Cette indivision peut résulter :

  • Soit de l’acquisition conjointe d’un bien
  • Soit de présomptions d’indivision

?: L’acquisition conjointe d’un bien par les époux

Il n’est pas rare que les époux séparés de biens réalisent des acquisitions conjointement, en particulier lorsqu’il s’agit d’acquérir un bien pourvu d’une valeur patrimoniale importante, tel que le logement de famille ou une résidence secondaire.

Lorsqu’ils acquièrent un bien ensemble, il leur appartient en indivision, étant précisé que les quotes-parts attribuées à l’un et l’autre peuvent être déterminées dans l’acte constatant l’acquisition. À défaut, les époux sont réputés être propriétaires du bien indivis à parts égales.

Quoi qu’il en soit, les biens acquis conjointement par les époux séparés de biens ne composent, en aucune façon, une troisième masse de biens à l’instar de la communauté instaurée sous le régime légal.

Il s’agit de biens soumis au seul droit de l’indivision qui se compose de deux corps de règles :

  • Les règles générales énoncées aux articles 815 et suivants du Code civil qui s’appliquent en l’absence de convention contraire
  • Les règles spéciales énoncées aux articles 1873-1 et suivants du Code civil lorsqu’une convention relative à l’exercice des droits indivis a été conclue entre les époux.

Il peut être observé que, dès lors que l’acte d’acquisition constate que le bien a été acquis conjointement par les époux, il est réputé leur appartenir en copropriété, peu importe qu’il ait été financé par un seul des époux.

Dans un arrêt du 14 novembre 2007, la Cour de cassation validé en ce sens une décision de Cour d’appel qui, après avoir relevé qu’aux termes de l’acte de vente, le terrain avait été acquis indivisément chacun pour moitié par les époux séparés de biens, avait décidé que l’épouse, propriétaire pour moitié du terrain, « devait être présumée propriétaire pour moitié de l’immeuble qui y avait été édifié, les modalités de financement de la construction de cet immeuble n’étant pas, à elles seules, de nature à établir la preuve contraire » (Cass. 1ère civ. 14 nov. 2007, n°06-18.395).

?: Les présomptions d’indivision

Les présomptions d’indivision peuvent avoir deux sources différentes :

  • La loi
  • La volonté des époux

==>La présomption d’indivision légale

La vie conjugale implique que les époux mettent en commun les biens qu’ils acquièrent séparément.

Sous l’effet du temps, les biens, en particulier les meubles, qui leur appartiennent en propre sont alors susceptibles de se confondre avec ceux qui appartiennent au conjoint et réciproquement.

Cette situation est, par hypothèse, de nature à rendre pour le moins difficile l’attribution à l’un et l’autre époux de la propriété des biens qui ont été confondus.

Aussi, afin de faciliter la preuve de la propriété de ces biens, le législateur a institué une règle qui, lorsqu’existe une incertitude sur la propriété d’un bien, fait présumer ce bien appartenir aux époux en indivision.

Cette règle, qui est issue de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965, est énoncée à l’article 1538 du Code civil qui prévoit que « les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié ».

Par le jeu de cette présomption est ainsi instituée une masse indivise de biens qui, à certains égards, se rapproche de la masse commune instituée sous les régimes communautaires.

Elle s’en distingue néanmoins en ce que les biens qui la composent sont soumis au seul droit de l’indivision.

Il en résulte que le sort de cette masse indivise n’est pas lié à la durée du mariage. Plus précisément, cette masse peut cesser d’exister avant la dissolution du mariage, ce qui n’est pas le cas de la communauté qui est instituée pour toute la durée de l’union matrimoniale.

En effet, l’article 815 du Code civil prévoit que « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu’il n’y ait été sursis par jugement ou convention. ». La situation d’indivision peut donc cesser à tout instant du mariage.

À l’analyse, la présomption d’indivision est un dispositif qui permet d’atténuer le principe de séparation des patrimoines qui préside au régime de la séparation de biens.

Comme observé par Gulsen Yildirimn elle « permet d’introduire un facteur d’équité dans l’établissement de la composition des patrimoines des époux. »

D’autres auteurs soulignent qu’« il est significatif de voir ainsi s’établir une union des intérêts pécuniaires, subrepticement en quelque sorte, et à la faveur d’une absence de preuve. Cela autorise à penser qu’une certaine communauté de meubles est peut-être, elle aussi, dans la nature des choses »[6].

S’agissant des effets de cette présomption, elle opère, tant dans les rapports entre époux, que dans les rapports avec les tiers.

  • Dans les rapports entre époux
    • La présomption d’indivision conduira les époux à se partager le bien lors de la dissolution du mariage.
    • Le partage donnera lieu à réparation du bien en deux parts égales, celui-ci étant présumé appartenir conjointement aux époux pour moitié.
  • Dans les rapports avec les tiers
    • La présomption d’indivision leur est opposable, de sorte que s’applique l’article 817 du Code civil aux termes duquel il leur est fait interdiction de saisir la quote-part indivise de l’époux débiteur.
    • Ils n’ont d’autre choix que de provoquer le partage de l’indivision.

==>Les présomptions d’indivision conventionnelles

En application du principe de liberté des conventions matrimoniales, les époux peuvent insérer dans leur contrat de mariage une clause qui institue une présomption d’indivision qui aura vocation s’appliquer à une ou plusieurs catégories de biens.

Depuis que la loi a institué une présomption d’indivision pourvue d’une portée générale, la stipulation d’une telle clause a grandement perdu de son intérêt.

Reste qu’il pourra être recouru à ce dispositif contractuel pour les meubles meublants qui garnissent le logement familial et plus généralement tous les lieux où les époux résident.

Sous l’empire du droit antérieur à la loi du 13 juillet 1965, on s’était demandé si les présomptions d’indivision conventionnelles étaient opposables aux tiers.

L’article 1538, al. 2e du Code civil tranche désormais cette question en prévoyant que « les présomptions de propriété énoncées au contrat de mariage ont effet à l’égard des tiers aussi bien que dans les rapports entre époux, s’il n’en a été autrement convenu. »

La conséquence de l’opposabilité des présomptions d’indivision conventionnelles aux tiers est le renversement de la charge de la preuve.

Autrement dit, c’est au créancier saisissant d’établir que le bien sur lequel il exerce ses poursuites appartient exclusivement à l’époux débiteur.

Dans un arrêt du 29 janvier 1974, la Cour de cassation a jugé en ce sens que la clause de présomption d’indivision figurant dans le contrat de mariage des époux séparés de biens est opposable au créancier, de sorte qu’il appartient à ce dernier d’administrer la preuve du droit de propriété exclusif de son débiteur sur les biens litigieux (Cass. 1ère civ. 29 janv. 1974, n°72-12.670).

iii. Cas particuliers : l’acquisition d’un bien par un époux financé par le conjoint

La plupart du temps, lorsqu’un époux se porte acquéreur d’un bien, il le fera au moyen de ses deniers personnels, de sorte que ce bien lui appartiendra en propre, sans qu’il lui soit besoin d’accomplir les formalités d’emploi ou de remploi requises sous le régime légal.

Sous le régime de la séparation de biens, chaque époux reste propriétaire, par principe, des biens qu’ils acquièrent au moyen de leurs deniers personnels.

Il est des cas néanmoins où l’époux qui réalisera l’acquisition ne sera pas nécessairement celui qui l’aura financée. Il peut, en effet, arriver que cette acquisition soit financée par le conjoint.

Lorsque cette situation se présente, la question alors se pose de la propriété du bien. Revient-elle à l’époux qui s’est porté acquéreur ou à celui qui a financé l’acquisition ?

Il ressort de la jurisprudence qu’une distinction se dessine quant aux règles applicables selon que le bien acquis est affecté à l’usage personnel de l’époux acquéreur ou selon qu’il est affecté à un usage familial.

?: Acquisition d’un bien affecté à un usage personnel

==>L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint en dehors de tout contrat

Le principe est que lorsqu’un bien est acquis par l’un ou l’autre époux, il appartient, non pas à l’époux qui a financé l’acquisition, mais, à celui au nom duquel cette acquisition a été faite.

Aussi, c’est le titre qui confère la qualité de propriétaire et non le financement qui ne confère aucun droit de propriété sur le bien.

Dans un arrêt du 9 octobre 1991, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que « sous le régime de la séparation de biens, l’époux qui acquiert un bien pour son compte à l’aide de deniers provenant de son conjoint, devient seul propriétaire de ce bien » (Cass. 1ère civ. 9 oct. 1991, n°90-15.073).

Dans un arrêt du 31 mai 2005, la première chambre civile a encore jugé que « sous le régime de la séparation de biens, le bien appartient à celui dont le titre établit la propriété sans égard à son financement » (Cass. 1ère civ. 31 mai 2005, n°02-20.553).

Tout au plus, l’époux qui a financé le bien pourra « obtenir le règlement d’une créance lors de la liquidation du régime matrimonial, s’il prouve avoir financé en tout ou partie l’acquisition » (Cass. 1ère civ. 23 janv. 2007, n°05-14.311).

==>L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’un contrat de mandat

Dans cette hypothèse, l’époux qui se porte acquéreur endosse la qualité de mandataire ou, le cas échéant, de gérant d’affaires.

Pour déterminer à qui revient la propriété du bien objet de l’acquisition il y a lieu de faire application des règles du mandat.

Or ces règles désignent le mandant comme étant seul propriétaire du bien acquis.

L’époux qui a réalisé l’opération est, en effet, réputé avoir agi en représentation de son conjoint.

==>L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’un contrat de prêt

Dans cette hypothèse, quand bien même les deniers ont été fournis par le conjoint, le bien acquis demeure la propriété exclusive de l’époux qui s’est porté acquéreur.

La raison en est que la remise de fonds en exécution d’un contrat de prêt opère un transfert de propriété.

Aussi, parce que les fonds prêtés appartiennent en propre à l’époux emprunteur, le bien qu’il acquiert avec ces fonds subit le même sort, charge à lui de rembourser son conjoint selon les règles qui régissent les créances entre époux.

==>L’époux acquiert le bien au moyen de deniers fournis par le conjoint dans le cadre d’une donation

  • Droit antérieur
    • Lorsqu’un époux reçoit de son conjoint des fonds à titre gratuit et qu’il remploie ces fonds à l’acquisition d’un bien, ce bien devrait, par le jeu de la subrogation réelle, lui appartenir en propre.
    • Telle n’est pourtant pas la solution qui avait été retenue par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur.
    • Les juridictions regardaient plutôt cette opération comme une donation déguisée, le déguisement se caractérisant par le fait que la libéralité se dissimule sous les apparences d’un autre acte, notamment d’un acte à titre onéreux.
    • Il en était tiré conséquence que la donation portait non pas sur les fonds donnés, mais sur le bien acquis au moyen de ces fonds.
    • Il en résultait que, en cas d’annulation de la libéralité, ce qui, en application de l’ancien article 1099, al. 2e du Code civil, était le sort de toute donation déguisée, la propriété du bien retournait dans le patrimoine du conjoint qui en avait financé l’acquisition (le donateur) et non à l’époux acquéreur (le donataire).
    • Là n’était pas la seule conséquence de l’anéantissement de la donation.
    • Il en était une autre qui était particulièrement fâcheuse lorsque le donataire avait réalisé avec les fonds provenant de la donation irrégulière une opération immobilière à laquelle intervenaient des tiers.
    • Exemple[7] :
      • Un époux achète, avec les deniers donnés par l’autre, un immeuble, puis le revend à un tiers ou lui consent des droits sur cet immeuble.
      • Dans cette hypothèse, comme vu précédemment, la jurisprudence considérait que l’époux donateur était réputé « avoir toujours été le seul propriétaire de l’immeuble acquis de ses deniers » au motif qu’il s’agirait là d’une donation déguisée.
      • L’annulation de cette donation entraînait alors l’anéantissement de toutes les mutations intervenues subséquemment à l’acquisition de l’immeuble par le donataire, ce qui, par voie de conséquence, était de nature à léser gravement les droits des tiers de bonne foi qui donc voyaient l’opération qu’ils avaient conclue remise en cause.
    • Afin d’assurer la sécurité juridique des tiers, en prévenant notamment la survenance de nullités en cascade, le législateur est intervenu pour briser la jurisprudence de la Cour de cassation en introduisant, par la loi du 28 décembre 1967, un article 1099-1 dans le Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « quand un époux acquiert un bien avec des deniers qui lui ont été donnés par l’autre à cette fin, la donation n’est que des deniers et non du bien auquel ils sont employés. »
    • Ainsi, désormais, la donation est réputée avoir pour objet les fonds donnés par l’époux donateur et non le bien acquis au moyen de ces deniers.
    • En cas d’annulation d’une donation déguisée ou de simple révocation d’une donation ostensible, obligation était donc faite au donataire de restituer les fonds donnés.
    • En application du second alinéa de l’article 1099-1 du Code civil, la somme restituée devait toutefois correspondre, non pas à la valeur nominale des deniers remis, mais à la valeur actuelle du bien acquis avec ces deniers.
    • Quoi qu’il en soit, par l’instauration de ce système, le droit de propriété constitué par le donataire sur le bien s’en trouvait préservé, sauf à ce qu’il ne dispose pas des liquidités suffisantes pour régler la somme d’argent due à son conjoint au titre de l’obligation de restitution.
    • Dans cette hypothèse, il serait alors contraint, soit de céder le bien à un tiers et de remettre au donateur le produit de la vente, soit de s’’acquitter de sa dette en cédant directement à ce dernier la propriété de son bien.
    • Afin d’éviter que l’une ou l’autre situation ne se produise et ainsi préserver le droit de propriété du donateur sur son bien conformément à l’objectif recherché par le législateur lors de l’introduction de l’article 1099-1 dans le Code civil, la jurisprudence a cherché à cantonner le domaine des libéralités entre époux.
    • Plus précisément, les juridictions ont progressivement considéré que, en cas de collaboration d’un époux à l’activité professionnelle de son conjoint au-delà de ce qui était exigé au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage, la remise d’une somme d’argent par le second au premier devait s’analyser, non pas en une libéralité, mais en une rémunération due au titre du travail fourni (Cass. 1ère civ. 19 mai 1976, n°75-10.558).
    • La conséquence en était la requalification de l’opération en acte à titre onéreux ce qui dès lors faisait obstacle à tout anéantissement sur le fondement, soit du principe de révocabilité des libéralités, soit du principe de nullité des donations déguisées.
    • À cet égard, la Cour de cassation est allée plus loin en jugeant que la qualification de libéralité devait également être écartée lorsqu’il était établi que l’activité de l’époux bénéficiaire de la remise de fonds dans la gestion du ménage et la direction du foyer avait, de par son importance, été source d’économies pour le conjoint.
    • Cela lui permettait ainsi de refuser l’annulation ou la révocation de l’acte de remise de fonds, puisque s’analysant en une rétribution due en contrepartie de la fourniture d’un travail au foyer (Cass. 1ère civ. 20 mai 1981, n°79-17.171).
    • Seule solution pour le demandeur à l’action en nullité ou en révocation de l’acte litigieux : rapporter la preuve de l’origine des deniers et de l’intention libérale du donateur.
    • À défaut, ni l’acquisition du bien, ni la fourniture des deniers ayant servi à son financement ne pouvaient être remises en cause.
  • Droit positif
    • Depuis l’adoption de la loi n°2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, les solutions dégagées par la jurisprudence s’agissant de l’anéantissement des donations entre époux n’opèrent plus.
    • En effet, cette loi a aboli :
      • D’une part, le principe de révocabilité des donations entre époux
      • D’autre part, le principe de nullité des donations déguisées
    • Ainsi, aujourd’hui, dans la mesure où les donations entre époux de biens présents ne peuvent plus être anéanties, sauf motifs graves[8], il est indifférent que l’époux qui a remis une somme d’argent à son conjoint ait été ou non animé d’une intention libérale.
    • Il importe peu également que le bénéficiaire de cette remise de fonds ait collaboré à l’activité professionnelle du conjoint ou qu’il ait assuré la gestion du ménage au-delà de ce qui était exigé au titre de l’obligation de contribution aux charges du mariage.
    • Dans les deux cas, la donation, qu’elle soit ostensible, indirecte ou déguisée, ne peut plus être remise en cause, de sorte que non seulement le donataire est consolidé dans ses droits de propriété du bien acquis au moyen des fonds remis en application de l’article 1099-1 du Code civil, mais encore le risque de devoir restituer ces fonds au donateur est écarté.
    • Ainsi que le relèvent les auteurs « cette modification revêt une importance considérable pour le régime de la séparation de biens »[9].
    • Le contentieux des donations indirectes et déguisées ne s’en trouve pas totalement épuisé pour autant : l’administration demeure en effet toujours intéressée au premier chef des libéralités qui n’ont fait l’objet d’aucune formalité de déclaration.

?: Acquisition d’un bien affecté à l’usage de la famille

Lorsqu’un époux séparé de biens finance un bien indivis au-delà de la quote-part dont il est titulaire et que le bien financé est affecté à un usage familial la question s’est posée de la nature du financement réalisé.

Plus précisément, on s’est demandé si le financement supporté par l’époux solvens ne relevait pas de la contribution aux charges du mariage.

Pour mémoire, l’article 214 du Code civil prévoit que les époux doivent contribuer à ce que l’on appelle les charges du mariage, contribution qui, sauf convention contraire, est proportionnelle à leurs facultés respectives.

Il s’agit là d’une obligation légale qui vise à assurer le bon fonctionnement du ménage et qui a pour seul fait générateur le mariage.

Aussi, dès lors que deux personnes sont mariées elles sont assujetties à l’obligation de contribution aux charges du mariage, peu importe le régime matrimonial auquel elles ont choisi de se soumettre.

Cette obligation a ainsi vocation à s’appliquer à tous les couples mariés, y compris à ceux séparés de biens, ce qui, dans le cas de ces derniers, n’est pas sans apporter un sérieux tempérament au principe de séparation des patrimoines.

Une application stricte de ce principe devrait, en effet, conduire à écarter toute mise en commun forcée des ressources perçues par les époux séparés de biens. En instituant une obligation de contribuer aux charges du mariage, le législateur a entendu déroger à ce principe.

Pour les dépenses en lien avec le train de vie du ménage et ayant pour objet l’entretien de la famille et l’éducation des enfants l’époux solvens ne saurait attendre en retour aucune contrepartie de la part de son conjoint, sinon que celui-ci exécute pareillement son obligation de contribution aux charges du mariage.

La qualification de charges du mariage n’est ainsi pas sans enjeu :

  • Lorsqu’une dépense s’analyse en une charge du mariage, elle ne peut jamais donner naissance à une créance entre époux, sauf à ce que cette dépense excède la part de l’époux solvens au titre de son obligation contributive
  • Lorsqu’une dépense ne s’analyse pas en une charge du mariage, elle donnera naissance à une créance entre époux toutes les fois qu’elle se rapporte à une dette supportée par l’époux solvens alors qu’elle relève du passif définitif du conjoint

S’il ne fait aucun doute que la qualification de charges du mariage est exclue lorsque le paiement réalisé par l’époux solvens se rapporte à une dette contractée aux fins d’acquisition d’un bien affecté à l’usage exclusif du conjoint, cette qualification est bien moins évidente en présence d’une dépense ayant financé un bien affecté à l’usage familial.

Il ressort de la jurisprudence que deux situations doivent être distinguées :

  • Première situation : le bien affecté à l’usage familial a été financé au moyen d’un prêt remboursé par l’époux solvens
    • Dans un arrêt du 15 mai 2013 la Cour de cassation a jugé que le remboursement par un époux d’un emprunt ayant servi à l’acquisition en indivision du domicile conjugal « participait de l’exécution [par ce dernier] de son obligation de contribuer aux charges du mariage » (Cass. 1ère civ. 15 mai 2013, n°11-26.933).
    • Il ressort de cette décision que lorsqu’un époux finance un bien indivis affecté à l’usage familial au-delà de la quote-part qui lui revient, il ne peut se prévaloir d’aucun droit de créance à l’encontre de son conjoint, sauf à ce que le contrat de mariage stipule le contraire.
    • Tel serait notamment le cas si celui-ci comporte la clause de style énonçant, par exemple, que « chacun des époux est réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive aux charges du mariage, en sorte qu’aucun compte ne sera fait entre eux à ce sujet et qu’ils n’auront pas de recours l’un contre l’autre pour les dépenses de cette nature »
    • Il peut être observé que la première chambre civile a retenu la même solution pour l’acquisition d’une résidence secondaire, après avoir relevé que ce bien était « destiné à l’usage de la famille » (Cass. 1ère civ. 3 oct. 2018, n°17-25.858).
    • Dans un arrêt du 5 octobre 2016, elle a jugé, en revanche, que « le financement, par un époux, d’un investissement locatif destiné à constituer une épargne, ne relève pas de la contribution aux charges du mariage ».
    • Il en résulte que la dépense supportée par l’époux solvens lui confère un droit de créance contre son conjoint pour la partie du bien indivis financé qui excède sa quote-part (Cass. 1ère civ. 5 oct. 2016, n°15-25.944).
  • Seconde situation : le bien affecté à l’usage familial a été financé au moyen de l’apport en capital provenant de la vente de biens personnels
    • Dans un arrêt du 3 octobre 2019, la Cour de cassation a jugé, au visa de l’article 214 du Code civil, que « sauf convention matrimoniale contraire, l’apport en capital provenant de la vente de biens personnels, effectué par un époux séparé de biens pour financer la part de son conjoint lors de l’acquisition d’un bien indivis affecté à l’usage familial, ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage » (Cass. 1ère civ. 3 oct. 2019, n°18-20.828).
    • Dans cette hypothèse, le financement du bien par l’époux solvens ouvre droit à créance à l’encontre de son conjoint.
    • La Première chambre civile a confirmé par la suite sa position à plusieurs reprises ; notamment dans un arrêt du 9 juin 2022 (Cass. 1ère civ. 9 juin 2022, n°20-21.277).

b. Les couples non mariés

b.1. L’acquisition d’un bien en commun dans le cadre d’un pacs

Issu de la loi n°99-944 du 15 novembre 1999, le pacte civil de solidarité (pacs) est défini à l’article 515-1 du Code civil comme « contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune ».

Le pacs vise à proposer aux concubins un statut légal, un « quasi-mariage » diront certains[10], qui règle les rapports tant personnels, que patrimoniaux entre les partenaires.

En 1999, le régime patrimonial du PACS reposait sur deux présomptions d’indivision différentes selon le type de biens :

  • les meubles meublants dont les partenaires feraient l’acquisition à titre onéreux postérieurement à la conclusion du PACS sont présumés indivis par moitié, sauf déclaration contraire dans la convention initiale. Il en est de même lorsque la date d’acquisition de ces biens ne peut être établie ;
  • les autres biens dont les partenaires deviennent propriétaires à titre onéreux postérieurement à la conclusion du pacte sont présumés indivis par moitié si l’acte d’acquisition ou de souscription n’en dispose autrement.

Par ailleurs, le champ de l’indivision était pour le moins incertain puisque la formulation du texte ne permettait pas de savoir avec certitude s’il comprenait les revenus, les deniers, et les biens créés après la signature du pacs.

Afin de remédier à ces difficultés, le législateur a décidé, à l’occasion de l’adoption de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, d’abandonner le principe d’indivision des biens acquis par les partenaires au cours du pacs, à la faveur d’un régime de séparation de biens.

Si, aujourd’hui, les partenaires sont soumis à un régime de séparation de biens, ils disposent toujours du choix d’opter pour un régime d’indivision organisé.

i. Principe

Aux termes de l’article 515-5 du Code civil « Sauf dispositions contraires de la convention visée au troisième alinéa de l’article 515-3, chacun des partenaires conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels ».

Il ressort de ce principe que le législateur a souhaité instituer un régime de séparation de biens entre les partenaires.

Cette volonté a été exprimée, lors de l’adoption de la loi du 23 juin 2006, dans un souci de protection des partenaires qui ignorent souvent que les biens acquis au cours du pacs sont soumis à l’indivision et a jugé préférable de prévoir la séparation des biens, sauf quand les partenaires optent pour l’indivision.

Sous l’empire du droit antérieur à cette réforme, le législateur avait instauré le régime inverse, soit une indivision entre les partenaires.

La loi du 15 novembre 1999 posait, en ce sens, l’existence d’une sorte de communauté de biens réduite aux acquêts.

En simplifiant à l’extrême, il convenait d’opérer une distinction entre les biens acquis avant et après l’enregistrement du pacs.

  • S’agissant des biens acquis avant l’enregistrement du pacs
    • Ils avaient vocation à rester dans le patrimoine personnel des partenaires, à charge pour eux de rapporter la preuve que le bien revendiqué leur appartenait en propre.
  • S’agissant des biens acquis après l’enregistrement du pacs
    • Ils étaient réputés indivis, de sorte qu’à la dissolution du pacs, une répartition égalitaire était effectuée entre les concubins

La loi du 23 juin 2006 a abandonné ce régime patrimonial applicable aux partenaires. Désormais, c’est un régime de séparation de biens qui régit leurs rapports patrimoniaux.

Cela signifie que tous les biens acquis par les partenaires avant et après l’enregistrement du pacs leur appartiennent un propre.

Une lecture affinée de l’article 515-4 révèle toutefois qu’il convient de distinguer les meubles dont la propriété est établie de ceux pour lesquels aucun des partenaires ne peut prouver sa qualité de propriétaire

  • S’agissant des biens dont la propriété est établie
    • C’est l’alinéa 1er de l’article 515-4 qui s’applique en pareille hypothèse
    • Ils restent dans le patrimoine personnel du partenaire qui les a acquis
    • Il est indifférent que l’acquisition soit intervenue avant ou après l’enregistrement du pacs.
  • S’agissant des biens dont la propriété n’est pas établie
    • L’article 515-5 du Code civil pris en son deuxième alinéa prévoit que :
      • D’une part, chacun des partenaires peut prouver par tous les moyens, tant à l’égard de son partenaire que des tiers, qu’il a la propriété exclusive d’un bien.
      • D’autre part, les biens sur lesquels aucun des partenaires ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié.
    • Il s’évince de cette disposition que, lorsque les biens sont acquis à titre onéreux postérieurement à la conclusion du PACS, ils sont présumés indivis par moitié, sauf déclaration contraire dans la convention initiale.
    • Il en est de même lorsque la date d’acquisition de ces biens ne peut être établie

ii. Exception

Si le législateur a institué le régime de la séparation de biens en principe, il a offert la possibilité aux partenaires d’y déroger en concluant une convention d’indivision.

L’article 515-5-1 du Code civil prévoit en ce sens que :

  • D’une part, les partenaires peuvent, dans la convention initiale ou dans une convention modificative, choisir de soumettre au régime de l’indivision les biens qu’ils acquièrent, ensemble ou séparément, à compter de l’enregistrement de ces conventions.
  • D’autre part, ces biens sont alors réputés indivis par moitié, sans recours de l’un des partenaires contre l’autre au titre d’une contribution inégale.

Ce régime d’indivision auquel les partenaires ont la faculté d’adhérer par convention s’articule autour de deux principes :

  • Premier principe
    • L’indivision s’applique aux seuls acquêts, c’est-à-dire aux biens acquis par les partenaires, ensemble ou séparément, après l’enregistrement de leur convention.
    • S’agissant des biens acquis l’enregistrement de la convention d’indivision qui n’est pas nécessairement concomitant à l’enregistrement du pacs, ils demeurent appartenir en propre aux partenaires
  • Second principe
    • Les biens visés par la convention conclue par les partenaires sont réputés indivis pour moitié.
    • Cela signifie qu’en cas de liquidation du pacs la répartition s’opérera à parts égales, sauf à ce qu’une fraction du bien ait été financée par des fonds propres d’un partenaire.
    • Dans cette hypothèse, seule la portion du bien qui constitue un acquêt fera d’un partage par moitié.
    • Exemple :
      • un immeuble est acquis pour 50 % avec les fonds propres d’un partenaire, pour l’autre moitié avec des fonds indivis.
      • Dans cette hypothèse, en cas de partage, le partenaire qui aura financé le bien avec ses fonds propres sera fondé à revendiquer 75% du bien, tandis que l’autre ne percevra que 25% de sa valeur.

L’article 515-5-3 du Code civil précise que la convention d’indivision est réputée conclue pour la durée du pacte civil de solidarité.

Toutefois, lors de la dissolution du pacte, les partenaires peuvent décider qu’elle continue de produire ses effets. Cette décision est soumise aux dispositions des articles 1873-1 à 1873-15 du Code civil.

iii. Exception à l’exception

En cas de conclusion par les partenaires d’une convention d’indivision, le législateur a prévu qu’un certain nombre de biens échappaient à son champ d’application.

L’article 515-5-2 prévoit que demeurent la propriété exclusive de chaque partenaire :

  1. Les deniers perçus par chacun des partenaires, à quelque titre que ce soit, postérieurement à la conclusion du pacte et non employés à l’acquisition d’un bien ;
  2. Les biens créés et leurs accessoires ;
  3. Les biens à caractère personnel ;
  4. Les biens ou portions de biens acquis au moyen de deniers appartenant à un partenaire antérieurement à l’enregistrement de la convention initiale ou modificative aux termes de laquelle ce régime a été choisi ;
  5. Les biens ou portions de biens acquis au moyen de deniers reçus par donation ou succession ;
  6. Les portions de biens acquises à titre de licitation de tout ou partie d’un bien dont l’un des partenaires était propriétaire au sein d’une indivision successorale ou par suite d’une donation.

Le dernier alinéa de cette disposition précise que l’emploi de deniers tels que définis aux 4° et 5° fait l’objet d’une mention dans l’acte d’acquisition.

L’emploi est un acte qui stipule la provenance des deniers et la volonté de leur propriétaire de les employer pour l’acquisition d’un bien propre.

À défaut d’accomplissement des formalités d’emploi, le bien est réputé indivis par moitié et ne donne lieu qu’à une créance entre partenaires.

b.2. L’acquisition d’un bien en commun dans le cadre d’un concubinage

En théorie, la cessation du concubinage ne devrait emportait aucune conséquence juridique.

Spécialement, comme rappelé régulièrement par la jurisprudence, le statut juridique dont jouissent les époux n’est pas applicable aux concubins.

La conséquence en est que ces derniers ne sauraient se prévaloir des règles qui gouvernent la liquidation du régime matrimonial.

En pratique, toutefois, la rupture du concubinage soulève de nombreuses difficultés, d’ordre juridique, face auxquelles les juridictions ne peuvent pas rester indifférentes.

Par hypothèse, l’existence d’une vie commune va conduire les concubins à acquérir des biens, tantôt séparément, tantôt en commun.

Au moment de cessation du concubinage, il conviendra donc de démêler leurs intérêts et leurs biens qui, parce que s’est instituée entre eux une communauté de vie, se sont entrelacés, voire parfois confondus.

Aussi, la question se posera de la liquidation de leurs intérêts pécuniaires. En l’absence de régime matrimonial, cette liquidation ne pourra s’opérer que selon les règles du droit commun.

Concrètement, la liquidation du concubinage suppose de surmonter une importante difficulté et non des moindres : la preuve de la propriété des biens.

À titre de remarque liminaire, il convient d’observer que, lors de la cessation du concubinage, la preuve de la propriété d’un bien ne soulèvera de difficulté qu’en cas de dispute, par les concubins, de la qualité de propriétaire.

Dans cette perspective, il est parfaitement envisageable que les concubins se répartissent les biens sans tenir compte des règles qui gouvernent la propriété et notamment faire fi de la question de savoir qui a financé l’acquisition de tel ou tel bien.

C’est donc seulement en cas de désaccord sur la propriété d’un bien que la preuve de la qualité de propriétaire devra être rapportée.

Deux hypothèses doivent être distinguées :

==>Le bien revendiqué est assorti d’un titre de propriété

Deux situations doivent alors être distinguées :

  • Le bien a été financé par le titulaire du titre de propriété
    • Le titre de propriété est un acte qui constate un droit de propriété
    • Il permet à celui désigné dans l’acte de justifier de sa qualité de propriétaire
    • Le titre de propriété est dressé en cas de vente immobilière, de cession de fonds de commerce et plus généralement en cas d’acquisition d’un droit de propriété ou de créance qui fait l’objet de formalités de publicité
    • Aussi la propriété du bien reviendra à celui qui est désigné dans l’acte
    • Dans l’hypothèse où les deux concubins sont désignés dans l’acte, le bien sera soumis au régime de l’indivision.
  • Le bien n’a pas été financé ou seulement partiellement par le titulaire du titre de propriété
    • Dans cette hypothèse, la jurisprudence considère que le titre prime sur la finance.
    • Dans un arrêt du 19 mars 2004, la Cour de cassation a estimé que « les personnes qui ont acheté un bien en indivision en ont acquis la propriété, sans qu’il y ait lieu d’avoir égard à la façon dont cette acquisition a été financée » (Cass. 1ère civ. 19 mars 2014, n°13-14.989).
    • Ainsi, peu importe que le bien ait été entièrement financé par le concubin qui en revendique la propriété.
    • La qualité de propriétaire est, en toutes circonstances, endossée par le titulaire du titre de propriété.
    • Dans un arrêt du 2 avril 2014, la Cour de cassation a précisé que le concubin qui avait financé en intégralité l’acquisition d’un bien en indivision n’était pas fondé à se prévaloir d’une créance de remboursement à l’encontre de sa concubine dès lors qu’il avait été établi que celui-ci était animé d’une intention libérale.
    • Toute la difficulté sera alors de prouver l’intention libérale qui, selon la première chambre civile, peut se déduire « des circonstances de la cause » (Cass. 1ère civ., 2 avr. 2014, n°13-11.025).
    • Dans un arrêt du 13 janvier 2016, la Première chambre civile a encore rejeté la demande de remboursement formulé par le concubin qui avait supporté l’intégralité de l’acquisition d’un bien indivis au motif que ce financement s’analysait en une dépense de la vie courant (Cass. 1ère civ. 13 janv. 2016, n°14-29.746).
    • La solution retenue par la Cour de cassation ici est éminemment contestable dans la mesure où les concubins ne sont assujettis à aucune obligation de contribuer aux dépenses de la vie courante à l’instar des époux sur lesquels pèse une obligation de contribution aux charges du mariage en application de l’article 214 du Code civil.
    • Bien que critiquable, cette solution a été reconduite par la Cour de cassation dans un arrêt du 7 février 2018 (Cass. 1ère civ. 7 févr. 2018, n°17-13.979).

==>Le bien revendiqué n’est assorti d’aucun titre de propriété

En l’absence de titre, rien n’est perdu pour le concubin revendiquant qui pourra toujours rapporter la preuve de la propriété du bien.

Toutefois, il ne pourra, ni compter sur la présomption de possession s’il souhaite établir la propriété exclusive d’un bien, ni ne pourra se prévaloir d’une présomption d’indivision s’il souhaite prouver la propriété indivise du bien.

  • L’inopérance de la présomption de possession
    • Aux termes de l’article 2276 du Code civil « en fait de meubles, la possession vaut titre »
    • Cela signifie que celui qui exerce la possession sur un bien est réputé en être le propriétaire.
    • Cette présomption est, de toute évidence, très pratique pour établir la propriété d’un bien lorsque l’on est muni d’aucun titre ce qui sera presque toujours le cas pour les biens meubles
    • La mise en œuvre de cette présomption est toutefois subordonnée à l’établissement d’une possession non équivoque sur le bien.
    • En cas de concubinage, il sera, par hypothèse, extrêmement difficile de satisfaire cette condition, dans la mesure où l’existence d’une communauté de vie entre les concubins confère précisément à la possession du bien revendiqué un caractère équivoque.
    • D’où la position de la Cour de cassation qui, systématique, refuse de faire jouer la présomption de l’article 2276 à la faveur du concubin revendiquant.
    • Aussi, lui appartiendra-t-il de rapporter la preuve de la propriété du bien par tous moyens.
    • Pour établir sa qualité de propriétaire, il pourra, notamment, se rapporter aux circonstances qui ont entouré l’acquisition du bien
    • Le plus souvent, le juge déterminera la titularité de la propriété du bien disputé en recourant à la méthode du faisceau d’indices.
    • Il tiendra notamment compte de l’auteur du financement du bien ou encore de l’existence d’une intention libérale
    • Il pourra encore se référer au nom du signataire de l’acte d’acquisition du bien.
  • L’absence de présomption d’indivision
    • Principe
      • Il est de jurisprudence constante qu’il n’existe pas de présomption d’indivision entre concubins.
      • Dans un arrêt du 25 juin 2014, la Cour de cassation a considéré, par exemple, s’agissant de la propriété de fonds déposés sur un compte bancaire que « le titulaire d’un compte bancaire est présumé seul propriétaire des fonds déposés sur ce compte et qu’il appartient à son adversaire d’établir l’origine indivise des fonds employés pour financer l’acquisition de l’immeuble indivis » (Cass. 1ère civ. 25 juin 2014, n°13-18.891).
      • Dans le même sens la Cour d’appel d’Amiens a jugé dans un arrêt du 8 janvier 2009 qu’il s’infère de l’article 515-8 du Code civil qu’il « n’existe ni indivision, ni présomption d’indivision entre deux personnes vivant en concubinage » (CA Amiens, 8 janv. 2009, n° 08/03128).
      • Il en résulte qu’il appartient à celui qui revendique la propriété indivise d’un bien de le prouver.
      • La Cour d’appel de Riom a de la sorte considérer « qu’en l’absence de présomption d’indivision entre concubins, le concubin qui est en possession d’un meuble corporel est présumé en être propriétaire et il est admis une preuve par tous moyens concernant la propriété des biens litigieux. » (CA Riom 16 mai 2017, n° 15/01253)
    • Exception
      • L’absence de présomption d’indivision entre concubins est assortie d’une exception.
      • Dans l’hypothèse où aucun des concubins ne parvient à établir qu’il est le propriétaire exclusif du bien revendiqué, celui-ci sera réputé indivis pour moitié (V. en cens CA Lyon, ch. 6, 17 octobre 2013, n°12/04463).
      • La présomption d’indivision n’intervient ainsi, qu’à titre subsidiaire.

3.2. L’acquisition d’un bien en commun en dehors du couple

Pour qu’un bien puisse être reconnu comme appartenant à plusieurs personnes, il doit être mentionné dans le titre de propriété que ce bien a été acquis en indivision.

Dans un arrêt du 5 octobre 1994, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les personnes qui ont acheté un bien en indivision en ont acquis la propriété, sans qu’il y ait lieu d’avoir égard à la façon dont cette acquisition a été financée » (Cass. 1ère civ. 5 oct. 1994, n°92-19.169).

Il ressort de cette disposition que le titre prime toujours sur la finance. Autrement dit, il est indifférent que l’acquisition du bien n’ait pas été financée par la personne désignée dans le titre de propriété ; seule cette dernière est considérée comme la seule et unique propriétaire du bien. En somme, le propriétaire est toujours celui qui achète le bien et non celui finance.

Il peut être observé que si le titre constate que le bien a été acquis en indivision, mais qu’il ne précise pas le montant de la quote-part détenue par chaque indivisaire, le bien est réputé appartenir pour moitié à chacun (V en ce sens Cass. 1ère civ. 4 mars 2015, n°14-11.278).

Lorsque plusieurs personnes acquièrent ainsi un bien en indivision, il est préconisé de préciser dans l’acte d’acquisition les proportions des droits détenus par chacune d’elles.

B) Existence de biens partageables

L’exercice du droit de tout indivisaire de solliciter le partage, consacré par l’article 815 du Code civil, suppose nécessairement que les biens composant l’indivision soient susceptibles de partage. Cependant, cette faculté trouve des limites importantes, posées par la loi ou la nature même de certains biens. Ainsi, tous les biens indivis ne peuvent être soumis à une demande en partage, en raison soit de leur inclusion dans des régimes d’indivision forcée ou perpétuelle, soit de leur affectation à des finalités spécifiques.

Cette réflexion appelle une double approche : d’une part, il convient de définir les biens qui composent l’indivision et, d’autre part, d’examiner ceux qui, bien que potentiellement indivis, échappent à toute procédure de partage.

Dans cette perspective, nous aborderons d’abord les catégories de biens qui constituent le patrimoine indivis, avant d’explorer les exclusions qui s’imposent, qu’il s’agisse des biens soumis à un régime d’indivision forcée ou perpétuelle, ou des biens spécifiques comme ceux affectés au culte, ceux à caractère familial, ou encore ceux attachés à l’exercice d’une fonction. Ces restrictions, loin d’être anecdotiques, traduisent des considérations juridiques et sociales majeures qui encadrent le droit au partage.

1. Les biens faisant l’objet du partage

1.1. Principe général

Le partage constitue l’aboutissement naturel de l’indivision, un état temporaire où les biens, matériels ou immatériels, sont détenus collectivement par les indivisaires. Ce processus repose sur un principe fondamental : tous les biens appartenant à l’indivision au moment du partage, qu’il s’agisse de biens existants, de biens subrogés ou des fruits et revenus générés pendant l’indivision, doivent être inclus dans la répartition patrimoniale.

Les biens existants, qu’ils soient immobiliers, mobiliers ou incorporels, forment le socle initial du partage. À ces biens s’ajoutent ceux issus du mécanisme de subrogation réelle, comme le prix de vente, les indemnités d’assurance ou d’expropriation, qui remplacent les biens aliénés ou détruits. Ces éléments préservent l’intégrité de la masse à partager et garantissent que les droits des indivisaires ne soient ni altérés ni amoindris par les évolutions survenues durant l’indivision.

Le partage ne se limite pas à une répartition statique des biens. Il tient également compte des variations de leur valeur, qu’il s’agisse de plus-values réalisées ou de pertes subies en cours d’indivision, souvent liées à des fluctuations économiques ou à une gestion active des biens. Ces évolutions influent directement sur l’équilibre des droits entre indivisaires, et leur prise en compte lors du partage est essentielle pour assurer une répartition équitable.

Ainsi, le partage ne représente pas seulement la sortie de l’indivision, mais aussi l’aboutissement d’un processus visant à rétablir les droits individuels de chacun, dans le respect des apports et de l’évolution des biens indivis. Il consacre une répartition équilibrée, tenant compte à la fois de la nature, de la valeur et de la dynamique des éléments composant la masse indivise.

1.2. Mise en œuvre

a. Les biens existants

Les biens existants forment la base essentielle de toute masse partageable, qu’elle résulte d’une indivision successorale, conventionnelle ou légale.

Dans le cadre d’une indivision successorale, ces biens comprennent l’intégralité des éléments patrimoniaux ayant appartenu au de cujus et demeurant dans la succession au jour du partage.

i. Notion et délimitation des biens existants

==>Les biens ordinaires

Les biens existants sont ceux qui appartiennent à l’indivision au moment de l’ouverture de celle-ci et qui n’ont pas été cédés, consommés ou aliénés avant la clôture des opérations de partage.

Ces biens peuvent revêtir différentes formes, au nombre desquels figurent :

  • Les biens immobiliers : terrains, maisons, appartements, immeubles de rapport, qui constituent souvent une partie substantielle de la masse indivise.
  • Les biens mobiliers : meubles corporels tels que les objets d’art, les véhicules, les meubles d’ameublement, ainsi que les biens mobiliers incorporels comme les valeurs mobilières, les comptes bancaires ou les titres de créances.
  • Les parts sociales et actions : dans les sociétés civiles ou commerciales, les parts détenues par le défunt, tant qu’elles n’ont pas été transmises par cession, restent dans la masse indivise.
  • Les droits patrimoniaux : droits de créance, droits d’exploitation d’une entreprise individuelle ou droits attachés à des propriétés intellectuelles.

Le partage de ces biens dépend de leur existence au jour du partage. Dans un arrêt du 9 mai 9178, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « le partage ne peut porter que sur les biens qui existent encore à la date du partage » (Cass. 1ère civ., 9 mai 1978, n°76-12.646), soulignant ainsi la nécessité d’exclure les biens qui ont disparu de la masse successorale avant cette date, que ce soit par aliénation, consommation ou destruction.

==>Les libéralités rapportées ou réduites

En sus des biens existants au sens strict, les libéralités consenties à certains héritiers peuvent également entrer dans la masse à partager sous réserve de certaines conditions.

En effet, ces libéralités sont susceptibles d’être rapportées à la masse indivise ou réduites si elles excèdent la quotité disponible et portent atteinte à la réserve héréditaire.

L’article 843 du Code civil prévoit en ce sens que les héritiers réservataires sont tenus de rapporter à la masse successorale les biens dont ils ont pu bénéficier à titre de donation ou d’avantage indirect.

Deux situations sont à envisager :

  • Le rapport des libéralités
    • Il s’agit de remettre fictivement dans la masse successorale les biens reçus par un héritier en avance sur sa part d’héritage.
    • Ces biens peuvent être rapportés en nature (si le bien est resté dans le patrimoine de l’héritier) ou en valeur.
    • Le but est ici de préserver l’égalité entre les héritiers.
  • La réduction des libéralités
    • Si les donations ou legs consentis par le défunt dépassent la quotité disponible, ils peuvent être réduits pour protéger les droits des héritiers réservataires.
    • La réduction s’effectue en valeur ou en nature selon les modalités prévues par les articles 924 et suivants du Code civil.

Dans ces cas, même si les biens en question ont été donnés avant l’ouverture de la succession, leur valeur est réintégrée dans la masse à partager pour préserver l’égalité entre les cohéritiers.

ii. L’évolution de la masse indivise jusqu’au partage

Il convient de souligner que la masse indivise n’est pas figée. Elle peut évoluer entre l’ouverture de l’indivision et le partage définitif.

Pendant cette période, les biens peuvent être vendus, dégradés ou augmenter de valeur.

Par exemple, les immeubles indivis peuvent prendre de la valeur sur le marché immobilier ou au contraire subir une dépréciation en fonction des conditions économiques.

L’article 822 du Code civil précise que l’évaluation des biens indivis se fait à la date la plus proche du partage afin de tenir compte de ces fluctuations.

En cas d’augmentation de la valeur des biens, celle-ci bénéficie à l’ensemble des indivisaires.

De la même manière, toute dépréciation impacte collectivement les indivisaires. Les plus-values réalisées, par exemple en cas de gestion ou d’améliorations apportées aux biens indivis par un des cohéritiers, sont elles aussi réparties au prorata des droits indivisaires, sauf demande de remboursement pour les investissements réalisés (Cass. 1ère civ., 29 mai 1996, n°94-14.632).

iii. L’importance d’une évaluation exhaustive des biens existants

Il est essentiel de procéder à une évaluation complète et précise de l’ensemble des biens existants au jour du partage.

L’omission d’un bien dans la masse indivise peut entraîner un partage complémentaire, quand bien même la valeur du bien omis est minime.

Dans d’une décision du 15 mai 2008, la Cour de cassation a rappelé en ce sens que « lorsqu’un bien est omis lors du partage, cela impose la réalisation d’un partage complémentaire, quelle que soit la valeur du bien omis » (Cass. 1ère civ., 15 mai 2008, n°06-19.416).

Cette règle vise à garantir que tous les biens constituant la masse successorale soient effectivement répartis entre les cohéritiers, protégeant ainsi les droits de chacun.

Aussi, sauf renonciation expresse d’un indivisaire à ses droits, l’omission d’un bien ne saurait priver un indivisaire de sa part dans ce bien. Le fait de ne pas avoir mentionné un bien dans le partage initial n’éteint donc pas les droits des indivisaires sur ce bien.

b. Les créances

Les créances indivises peuvent constituer une composante importante de l’actif de l’indivision, car elles représentent des droits que l’indivision détient envers des tiers.

Elles peuvent prendre différentes formes : créances de nature contractuelle, créances liées à des droits de propriété, ou encore créances issues de la gestion des biens indivis.

Leur gestion au sein de l’indivision est encadrée par des principes stricts de répartition entre les indivisaires.

i. Le principe de division des créances

==>Énoncé du principe

En application de l’article 1309, al. 1er du Code civil, dès l’ouverture de l’indivision, les créances se divisent de plein droit entre les indivisaires, au prorata de leurs parts dans la succession.

Ce principe est applicable aussi bien en cas d’indivision successorale qu’en cas d’indivision conventionnelle. Cela signifie que chaque indivisaire devient titulaire de la fraction de la créance correspondant à sa quote-part dans l’indivision.

En pratique, cela permet à chaque indivisaire de réclamer directement sa part de la créance à un tiers débiteur. Cette règle vise à simplifier le recouvrement des créances tout en respectant les droits proportionnels de chacun des indivisaires.

==>Mise en œuvre du principe

Lorsqu’une créance indivise est recouvrée par un indivisaire, ce dernier doit s’assurer de ne percevoir que sa part proportionnelle.

Si un indivisaire reçoit un montant supérieur à sa quote-part dans la créance, il est tenu de rembourser l’excédent à ses coindivisaires. Cette obligation découle du principe d’équité qui régit l’indivision.

L’effet déclaratif du partage, prévu par l’article 883 du Code civil, joue un rôle important ici.

Lors du partage de l’indivision, chaque indivisaire est considéré comme ayant toujours été propriétaire exclusif des biens qui lui sont attribués depuis l’origine de l’indivision.

Cela signifie qu’une créance qui est partagée ne fait l’objet d’un transfert qu’au moment du partage, ce qui peut avoir des conséquences sur les paiements effectués avant le partage.

Si, par exemple, une créance successorale est cédée par un indivisaire avant le partage, cette cession pourrait être annulée si, au moment du partage, la créance est attribuée à un autre indivisaire.

Cela a été confirmé par la jurisprudence dans un arrêt ancien, mais encore souvent cité : Cass. req., 13 janv. 1909, qui rappelle que la cession d’une créance par un indivisaire avant partage est nulle si celui-ci n’en est pas attributaire lors du partage.

Dans cette affaire, un indivisaire avait cédé une créance successorale avant le partage de la succession.

Toutefois, au moment du partage, cette créance n’avait pas été attribuée au cédant, mais à un autre héritier. La Cour de cassation a jugé que cette cession était nulle, car l’indivisaire cédant n’avait pas été attributaire de la créance au moment du partage.

Il ressort de cette jurisprudence que, jusqu’au partage, l’indivisaire ne saurait valablement céder une créance indivise, car l’effet déclaratif du partage signifie qu’il n’est considéré comme ayant eu un droit exclusif sur cette créance qu’à partir du moment où elle lui est attribuée définitivement lors du partage.

En effet, l’effet déclaratif du partage, consacré par l’article 883 du Code civil, signifie que le partage ne fait que constater et déclarer des droits qui existaient depuis l’ouverture de la succession, mais que chaque héritier est censé avoir eu de manière exclusive sur les biens qui lui sont attribués.

Avant le partage, les biens de la succession sont indivis, et chaque indivisaire est copropriétaire de la totalité des biens à hauteur de sa quote-part. Un indivisaire ne peut donc céder un bien ou une créance tant que celui-ci n’a pas été précisément attribué à lui lors du partage.

Cette règle vise à préserver l’intégrité de la masse successorale jusqu’au partage et d’éviter des complications liées à des cessions de biens indivis avant leur attribution définitive.

ii. Exception : les créances indivisibles

Toutes les créances ne sont pas divisibles entre les indivisaires. Certaines créances, en raison de leur nature, sont considérées comme indivisibles et doivent être recouvrées et partagées dans leur totalité par l’ensemble des indivisaires.

Un exemple typique est celui des indemnités d’expropriation, que la jurisprudence a qualifiées de créances indivisibles.

Dans une décision importante, la Cour de cassation a jugé que ces indemnités ne pouvaient pas être divisées entre les indivisaires, et devaient donc être partagées dans leur ensemble (Cass. 3e civ., 13 déc. 1995, n°94-86.191).

Dans cette affaire, une indemnité d’expropriation avait été accordée pour un bien appartenant à une indivision.

Le problème portait sur la manière dont cette indemnité devait être traitée et répartie entre les indivisaires, certains d’entre eux contestant les modalités de la répartition.

Plus précisément, la question soulevée était de savoir si une indemnité d’expropriation, touchant un bien indivis, pouvait être divisée entre les indivisaires ou si elle devait être considérée comme indivisible.

La Cour de cassation a jugé que l’indemnité d’expropriation d’un bien indivis est indivisible, confirmant ainsi que cette indemnité devait être partagée entre tous les indivisaires de manière globale.

Elle ne pouvait donc pas, en d’autres termes, être divisée et recouvrée séparément par chaque indivisaire en fonction de sa quote-part dans l’indivision.

Il s’en déduit qu’une créance liée à l’indemnité d’expropriation d’un bien indivis est insusceptible de faire l’objet d’une division proportionnelle comme les autres créances ordinaires de l’indivision.

La raison en est que l’indivisibilité de l’indemnité d’expropriation repose sur la nature même de cette indemnité, qui est censée compenser la perte d’un bien indivis dans son ensemble.

Le bien étant indivis, l’indemnité qui le remplace doit également être considérée comme indivise et répartie globalement entre les co-indivisaires au moment du partage.

La jurisprudence justifie cette position par la nécessité de maintenir la cohérence de l’indemnisation en cas d’expropriation d’un bien indivis.

Puisque le bien appartient en commun à tous les indivisaires, l’indemnité accordée par les autorités expropriantes est considérée comme une créance unique et indivisible, à répartir seulement après avoir été reçue globalement par l’indivision.

Il peut être observé que le caractère indivisible d’une créance peut également se retrouver dans d’autres situations, notamment lorsque la nature même de l’obligation le rend impossible. Cela peut notamment concerner des créances liées à des préjudices moraux, ou des obligations contractuelles spécifiques.

c. Les biens subrogés

La subrogation réelle consiste à substituer dans un patrimoine une chose par une autre.

Il en va ainsi lorsqu’un bien mobilier ou immobilier dont est propriétaire une personne est remplacé par une somme d’argent correspondant à la valeur du bien remplacé.

Cette somme d’argent peut consister en un prix de vente, à une indemnité d’assurance ou encore à une indemnité d’expropriation.

La particularité de la subrogation réelle est donc qu’elle opère le remplacement dans un bien par un autre, sans pour autant modifier le rapport de propriété préexistant liant le propriétaire à la chose.

C’est là le sens de l’adage subrogatum capit naturam subrogi, soit ce qui est subrogé prend la nature de ce à quoi il est subrogé.

La conséquence en est que la subrogation n’affecte pas le droit réel exercé par le propriétaire ; elle substitue seulement son objet.

A cet égard, le mécanisme de la subrogation réelle trouve une application dans le régime des indivisions, particulièrement lorsque des biens sont vendus, détruits ou remplacés.

La subrogation permet ainsi d’assurer la continuité de la masse indivise, en substituant à un bien disparu un équivalent en nature ou en valeur (prix de vente, indemnité, créance, etc.). L’objectif est de préserver les droits des indivisaires et de maintenir la cohérence de l’actif indivis jusqu’au partage.

En pratique, cela signifie que le bien subrogé, bien qu’il diffère dans sa forme ou sa valeur, continue à appartenir à la masse indivise et reste soumis aux règles qui gouvernent le partage.

Le principe de la subrogation réelle est issu de l’arrêt Chollet-Dumoulin rendu par les chambres réunies de la Cour de cassation le 5 décembre 1907 (Cass. ch. Réunies, 5 déc. 1907).

Dans cette affaire, les indivisaires avaient vendu un bien immobilier indivis et une contestation était née quant à la répartition du prix de vente.

La question portait sur le fait de savoir si le prix de vente devait être considéré comme faisant partie de la succession et partagé entre les indivisaires, ou s’il pouvait être exclu de la masse indivise.

La Cour de cassation a tranché en faveur de l’intégration du prix de vente à la masse indivise, affirmant que le produit de la vente d’un bien indivis devait être considéré comme un « effet de succession ».

Le prix de vente remplace donc le bien vendu et devient un bien subrogé à répartir entre les indivisaires de la même manière que le bien lui-même aurait été partagé. Cet arrêt a posé le fondement de la subrogation réelle, garantissant ainsi que la vente d’un bien indivis n’entraîne pas la perte de valeur pour les indivisaires mais simplement son transfert sur une somme d’argent.

Dès lors, la subrogation réelle peut intervenir selon deux modalités principales :

  • La subrogation automatique
    • Lorsqu’elle est automatique, la subrogation réelle joue de plein droit.
    • Ce mécanisme est mise en oeuvre dès lors qu’un bien indivis est aliéné ou détruit, sans nécessiter l’accord des indivisaires.
    • Par exemple, le prix de vente d’un bien indivis ou une indemnité d’assurance en cas de destruction entre automatiquement dans la masse indivise.
    • Ce principe de subrogation automatique assure que les droits des indivisaires sur les biens aliénés sont préservés et reportés sur la somme obtenue en contrepartie.
  • La subrogation volontaire
    • Il est des cas où pour produire ses effets, la subrogation requiert le consentement des indivisaires, notamment en matière d’emploi ou de remploi de biens indivis.
    • Ici, le produit de la vente d’un bien indivis peut être réinvesti dans l’acquisition d’un nouveau bien, à condition que tous les indivisaires y consentent.
    • Ce nouveau bien deviendra alors lui-même indivis, mais seulement si les cohéritiers acceptent explicitement cette opération.

i. La subrogation automatique : un principe général

La subrogation réelle est, en principe, automatique et s’applique de plein droit dès lors qu’un bien indivis est aliéné ou détruit.

Ce principe est consacré par l’article 815-10 du Code civil, qui prévoit que les créances et indemnités venant remplacer des biens indivis entrent automatiquement dans la masse indivise.

Ainsi, les indivisaires conservent-ils leurs droits, non plus sur le bien initial, mais sur la somme ou l’indemnité qui le remplace.

La subrogation automatique est susceptible de jouer dans plusieurs situations :

  • Vente d’un bien indivis : le prix de vente comme bien subrogé
    • Lorsqu’un bien indivis est vendu, le prix de vente se substitue automatiquement au bien vendu et intègre la masse indivise.
    • Cette subrogation a pour effet de remplacer le bien physique par une créance pécuniaire, qui est alors partagée entre les indivisaires selon leurs droits dans l’indivision.
    • Ainsi, les indivisaires conservent une quote-part dans le produit de la vente.
    • C’est ce principe que l’arrêt Chollet-Dumoulin est venu consacrer (Cass. ch. Réunies, 5 déc. 1907).
    • Ce principe garantit que la vente d’un bien indivis ne prive pas les indivisaires de leurs droits, mais simplement les reporte sur une somme d’argent.
  • Indemnité d’assurance : subrogation en cas de destruction d’un bien
    • En cas de destruction d’un bien indivis, par exemple à la suite d’un sinistre, l’indemnité d’assurance versée en réparation du dommage se substitue automatiquement au bien détruit.
    • Cette indemnité est intégrée dans la masse indivise et se partage entre les indivisaires selon leurs parts respectives.
    • Ce principe a été confirmé par l’arrêt Cass. 1re civ., 19 mars 2014, dans lequel la Cour de cassation a jugé que l’indemnité d’assurance subrogée à un bien indivis détruit doit être intégrée à l’indivision, même si son montant dépasse la valeur initiale du bien détruit.
    • Le juge du partage n’a aucun pouvoir pour discuter le montant de l’indemnité ; il doit l’intégrer intégralement à l’actif indivis (Cass. 1ère civ. 19 mars 2014, n° 13-12.578).
  • Créances successorales : annulation des cessions avant partage
    • Un autre exemple de subrogation réelle se retrouve dans le cas des créances successorales.
    • Si un indivisaire cède une créance avant le partage et que cette créance n’est finalement pas attribuée à cet indivisaire au moment du partage, la cession est annulée.
    • C’est le principe de l’effet déclaratif du partage qui est à l’œuvre ici, comme l’a affirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 13 janvier 1909 (Cass. req., 13 janvier 1909).
    • Dans cette affaire, un indivisaire avait cédé une créance successorale avant le partage.
    • Toutefois, au moment du partage, cette créance n’avait pas été attribuée au cédant, mais à un autre héritier.
    • La Cour de cassation a jugé que la cession de cette créance était nulle, car l’indivisaire cédant n’était pas devenu propriétaire exclusif de la créance avant le partage.
    • Cet arrêt confirme que, tant que le partage n’a pas eu lieu, les droits des indivisaires sur les biens de la succession sont indivis et ne peuvent pas faire l’objet d’une cession indépendante par un seul co-indivisaire.
    • Ce principe s’infère de l’article 883 du Code civil, selon lequel le partage a un effet déclaratif : il ne crée pas de nouveaux droits mais attribue à chaque indivisaire la portion de biens à laquelle il avait déjà droit depuis l’ouverture de la succession.
    • Ainsi, la cession d’un bien indivis avant le partage n’est valable que si le bien est effectivement attribué à l’indivisaire cédant au moment du partage.

ii. La subrogation volontaire : emploi et remploi des biens indivis

Par exception, certaines situations de subrogation réelle ne sont pas automatiques et requièrent le consentement des indivisaires.

Cela concerne principalement les cas d’emploi et de remploi, où le prix de vente d’un bien indivis ou une indemnité est réinvesti dans un nouveau bien. Cette forme de subrogation est dite volontaire, car elle requiert l’accord unanime des indivisaires.

En effet, l’emploi et le remploi sont des mécanismes qui permettent de réinvestir les sommes issues de la vente d’un bien indivis dans l’acquisition d’un nouveau bien.

Ce nouveau bien devient alors indivis, à condition que tous les indivisaires aient donné leur consentement.

L’article 815-10 du Code civil précise en ce sens que les biens acquis en emploi ou en remploi de biens indivis ne peuvent être eux-mêmes indivis que si tous les indivisaires ont consenti à cette opération.

Ce consentement est indispensable pour éviter que l’un des indivisaires ne soit contraint d’accepter l’acquisition d’un nouveau bien en indivision contre son gré. En l’absence d’accord unanime, seul le prix de vente ou l’indemnité d’assurance reste dans la masse indivise, mais aucun nouveau bien ne peut être intégré à l’indivision.

La jurisprudence a confirmé à plusieurs reprises le caractère volontaire de l’emploi et du remploi, notamment à travers d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 février 1996 (Cass. 1ère civ., 20 févr. 1996, 93-21.141)

Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si les opérations de gestion effectuées par le gérant d’une indivision, en utilisant des fonds indivis pour acquérir de nouveaux biens, pouvaient être considérées comme ayant été réalisées au profit de l’indivision.

L’époux, qui était le gérant de l’indivision post-communautaire, avait effectué des achats avec les deniers indivis. Le litige portait sur la question de savoir si ces biens nouvellement acquis devaient être considérés comme des biens indivis, au titre de la subrogation réelle.

La Cour de cassation a confirmé que les opérations de remploi effectuées par le gérant d’une indivision post-communautaire étaient valables, sous réserve que ces opérations aient été réalisées avec le consentement des indivisaires ou, à défaut, dans l’intérêt de l’indivision.

En l’espèce, la Cour a jugé que toutes les acquisitions réalisées par le gérant avec des deniers indivis l’avaient été volontairement pour le compte de l’indivision, car il avait agi dans l’intérêt de celle-ci et avec l’accord implicite des autres indivisaires.

Ainsi, la simple utilisation de deniers indivis ne suffit donc pas à opérer une subrogation ; il faut également une intention manifeste d’acquérir pour le compte de l’indivision.

En revanche, si l’emploi ou le remploi a lieu sans le consentement de tous les indivisaires, la subrogation ne pourra pas être imposée. Dans ce cas, seule la somme d’argent, comme le prix de vente ou l’indemnité, restera dans la masse indivise.

En cas de désaccord entre les indivisaires sur la question du remploi, il est possible de demander l’intervention du juge.

L’article 815-6 du Code civil permet au tribunal judiciaire de prendre des mesures urgentes pour protéger les intérêts de l’indivision, notamment en autorisant une opération de remploi en l’absence d’accord unanime.

De même, l’article 815-5 du Code civil permet à un indivisaire d’agir seul en cas de gestion d’affaires, à condition que cela soit dans l’intérêt commun et justifié par l’urgence ou la conservation du bien.

d. Les biens à caractère personnel

Certains biens, bien qu’ayant un caractère personnel, peuvent être inclus dans la masse partageable de l’indivision, mais sous certaines conditions particulières.

La jurisprudence a établi une distinction essentielle entre la titularité (ou le titre) de ces biens, qui reste personnelle et intransmissible, et leur valeur économique, qui, elle, peut être intégrée à la masse indivise et partagée entre les coindivisaires.

Ce principe de distinction entre le titre et la valeur permet de concilier le caractère personnel de certains biens avec la nécessité de partager leur valeur économique dans une indivision. Il trouve son origine dans la gestion des offices ministériels et a ensuite été transposé à d’autres types de biens présentant des caractéristiques similaires, comme les parts sociales ou les clientèles professionnelles.

i. Origine de la distinction entre le titre et la finance

Les offices ministériels (notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs, etc.) illustrent bien la distinction entre le titre et la finance car ils se caractérisent par deux aspects distincts :

  • Le titre, qui confère à son titulaire l’autorisation d’exercer une mission de service public. Ce titre, octroyé par l’État, est strictement personnel, car il repose sur des qualifications spécifiques et des agréments particuliers liés à la personne du titulaire. En raison de ce caractère personnel, la titularité d’un office ne peut être cédée ou partagée dans le cadre d’une indivision.
  • La finance, ou la valeur économique de l’office, est en revanche patrimoniale. Cette valeur correspond au prix de marché de l’office et peut être partagée, notamment lors d’une succession ou d’un partage. Ainsi, même si le titre reste propre au titulaire, la valeur patrimoniale de l’office (appelée finance) peut être incluse dans la masse indivise et partagée entre les indivisaires.

Cette distinction a été consacré par la jurisprudence, notamment pour éviter que les coindivisaires ou le conjoint d’un titulaire d’office ne puissent revendiquer la titularité de l’office, tout en leur permettant de bénéficier de la valeur économique qu’il représente.

ii. Extension de la distinction à d’autres biens à caractère personnel

Au fil du temps, cette distinction entre le titre et la valeur a été transposée à d’autres biens à caractère personnel, tels que les parts sociales dans des sociétés de personnes, les clientèles professionnelles, ou encore certaines concessions administratives.

==>Les parts dans des sociétés de personnes

Dans les sociétés de personnes, comme les sociétés civiles ou les SNC (Société en Nom Collectif), la qualité d’associé repose sur une relation de confiance (intuitu personae) entre les associés.

La titularité des parts sociales est donc strictement personnelle et intransmissible sans l’accord des autres associés.

Cependant, la valeur patrimoniale de ces parts peut entrer dans la masse indivise et être partagée entre les indivisaires au moment du partage.

==>Les clientèles professionnelles

La clientèle d’un professionnel (médecin, avocat, notaire) repose sur une relation de confiance personnelle avec les clients, ce qui la rend intransmissible.

Toutefois, la valeur économique de cette clientèle peut être incluse dans l’actif indivis.

Par exemple, lors de la liquidation d’une indivision post-communautaire, la valeur patrimoniale de la clientèle peut être évaluée et partagée entre les indivisaires, bien que la titularité de la clientèle reste propre au professionnel.

==>Les concessions administratives

Un autre exemple de cette distinction peut être trouvé dans les concessions administratives, telles que les concessions de parcs à huîtres.

Dans un arrêt du 8 décembre 1987, la Cour de cassation a jugé que la concession, en tant que droit personnel, était intransmissible. Toutefois, la valeur patrimoniale de cette concession pouvait entrer dans la masse commune ou indivise, permettant ainsi de protéger l’intérêt économique des indivisaires ou du conjoint (Cass. 1ère civ. 8 déc. 1987, n°86-12426).

iii. Application de la distinction dans le cadre de l’indivision

La distinction entre le titre et la finance s’applique donc dans plusieurs cas où le bien est personnel, mais présente une valeur patrimoniale importante. Elle permet de protéger l’aspect personnel du bien, tout en offrant aux indivisaires la possibilité de partager la valeur économique de ce bien.

La jurisprudence est claire : la titularité de certains biens à caractère personnel (parts sociales, offices ministériels, clientèles professionnelles) reste strictement attachée à la personne du titulaire.

Cette intransmissibilité s’explique par les qualités spécifiques requises pour exercer certains droits ou fonctions, ou encore par la relation de confiance personnelle qui caractérise certains types de biens.

En revanche, même si la titularité ne peut être partagée, la valeur économique du bien peut entrer dans la masse indivise. Cela permet d’assurer une équité entre les indivisaires, notamment lorsque le bien représente une part significative du patrimoine indivis. Lors du partage, la valeur de marché du bien est évaluée et incluse dans la masse à partager.

L’évaluation des biens à caractère personnel pour leur intégration dans la masse indivise se fait généralement au moment du partage. Leur valeur marchande est déterminée lors des opérations de liquidation et de partage de l’indivision, et cette valeur est répartie entre les indivisaires proportionnellement à leurs parts.

e. Les fruits et revenus

Les fruits et revenus générés par les biens indivis, tels que les loyers, les dividendes, les intérêts ou d’autres produits, sont des éléments essentiels susceptibles de faire l’objet d’un partage entre les indivisaires. Ces derniers, en s’ajoutant à la masse indivise, augmentent l’actif partageable et garantissent une répartition équitable entre les coindivisaires.

Ce principe est énoncé par l’article 815-10 du Code civil qui prévoit que « les fruits et les revenus des biens indivis accroissent à l’indivision ». Selon cette règle, les fruits et revenus bénéficient donc à l’ensemble des indivisaires, évitant qu’un seul ne tire un avantage exclusif des fruits générés par les biens communs.

i. Le principe d’accroissement de la masse indivise

L’objectif de cette règle est d’éviter qu’un indivisaire ne tire un bénéfice personnel des fruits produits par un bien indivis avant le partage, au détriment des autres indivisaires.

Ainsi, les fruits et revenus produits par les biens indivis ne reviennent pas directement à celui qui en a la gestion ou la jouissance temporaire, mais sont intégrés dans la masse indivise pour être partagés lors de la liquidation ou du partage de l’indivision.

Cet équilibre est particulièrement important dans le cadre des successions, où certains héritiers pourraient autrement profiter d’un bien frugifère (comme un immeuble locatif) avant le partage, alors que d’autres ne recevraient qu’un bien non frugifère.

Le fait que les fruits soient inclus dans la masse indivise permet de garantir une égalité entre les héritiers et de compenser les écarts liés à la nature des biens attribués lors du partage.

Ce principe a été consacré depuis longtemps par la jurisprudence, notamment par un arrêt de la Cour de cassation du 20 juillet 1858, qui reprend l’adage latin « fructus augent hereditatem », soit les fruits augmentent l’héritage (Cass. civ. 20 juill. 1858).

Ce principe veut que tous les fruits et revenus générés par les biens indivis bénéficient à l’ensemble des indivisaires et non à un seul.

ii. Typologie des fruits et revenus

Les fruits et revenus des biens indivis peuvent prendre plusieurs formes :

  • Les fruits naturels
    • Les fruits naturels sont les produits qui proviennent des biens immobiliers sans intervention humaine excessive.
    • On compte dans cette catégorie notamment :
      • Les récoltes agricoles issues de terrains indivis utilisés pour l’agriculture.
      • Les produits forestiers comme le bois provenant de forêts indivises, ou encore la résine et autres produits naturels exploitables.
    • Les fruits naturels se distinguent par le fait qu’ils sont directement générés par la nature et peuvent être récoltés régulièrement sans affecter la substance du bien d’origine (par exemple, couper du bois dans une forêt sans détruire le terrain). Ces revenus doivent être répartis entre les coindivisaires au moment du partage, sauf si une convention ou un accord a prévu une répartition antérieure.
  • Les fruits civils
    • Les fruits civils représentent les produits réguliers résultant de l’exploitation de biens indivis, souvent en vertu de contrats conclus avec des tiers. Contrairement aux fruits naturels, les fruits civils nécessitent une gestion active du bien pour en percevoir les revenus.
    • Ils incluent notamment :
      • Les loyers perçus d’un bien immobilier indivis mis en location. Les revenus locatifs sont considérés comme des fruits civils qui s’ajoutent à la masse indivise.
      • Les dividendes provenant de parts sociales ou d’actions détenues en indivision. Si les indivisaires détiennent des titres financiers indivis, les dividendes versés par la société émettrice sont également intégrés à l’actif indivis.
      • Les redevances issues de contrats de concession ou d’exploitation, comme la gestion d’un fonds de commerce indivis ou la mise en valeur de propriétés intellectuelles détenues en indivision.
    • Les fruits civils sont souvent générés sur une base contractuelle et impliquent une perception périodique (mensuelle, trimestrielle, annuelle, etc.).
    • Ces revenus, comme les loyers ou dividendes, doivent être partagés entre les indivisaires en fonction de leurs parts dans l’indivision.
    • Si un indivisaire a géré seul un bien et perçu des loyers ou des dividendes, il est tenu de les partager avec les autres, sous peine de devoir indemniser l’indivision.
  • Les intérêts
    • Les intérêts perçus dans le cadre d’une indivision résultent de placements financiers ou de créances indivises.
    • Ces revenus peuvent provenir de différentes sources, telles que :
      • Les créances indivises qui génèrent des intérêts, comme un prêt consenti par l’indivision à un tiers. Dans ce cas, les intérêts perçus doivent être répartis entre les indivisaires.
      • Les placements financiers, comme des comptes bancaires, des livrets d’épargne ou des obligations détenues par l’indivision. Les intérêts générés par ces placements viennent également augmenter la masse indivise.
    • Les intérêts, qu’ils soient issus de créances ou de placements financiers, sont des revenus passifs, ne nécessitant pas une gestion active mais dépendant du temps et des conditions contractuelles.
    • Ils sont perçus à échéances régulières et augmentent la masse à partager au moment de la liquidation de l’indivision.

Tous ces revenus, qu’ils proviennent de fruits naturels, de fruits civils ou encore d’intérêts, augmentent donc systématiquement la masse indivise et doivent être partagés entre les indivisaires lors de la liquidation de l’indivision.

Leur répartition se fait en fonction des parts respectives de chaque indivisaire dans l’indivision.

Ce mécanisme permet d’éviter qu’un indivisaire ne bénéficie exclusivement des produits générés par le bien indivis avant le partage, ce qui pourrait entraîner des situations inéquitables.

En pratique, les revenus sont généralement conservés ou placés sur un compte commun au nom de l’indivision jusqu’au partage.

Si un indivisaire a perçu des fruits ou revenus sans les partager, il est tenu de restituer l’excédent aux autres indivisaires. Ce mécanisme vise à garantir l’équité entre les coindivisaires et à préserver les intérêts de chacun.

f. Les plus-values et moins-values

Dans le cadre d’une indivision, les plus-values et les moins-values réalisées sur les biens indivis constituent des éléments susceptibles d’être intégrés au partage. Ces variations de valeur, qu’elles résultent d’évolutions économiques, d’investissements ou encore de la gestion active des biens par l’un des indivisaires, influencent directement l’équilibre patrimonial au sein de l’indivision.

Le partage de ces fluctuations vise à garantir que chaque indivisaire bénéficie ou supporte les effets des changements affectant la valeur des biens indivis, conformément à ses droits dans l’indivision. Ce mécanisme assure une répartition équitable, tenant compte des enrichissements ou des diminutions de valeur intervenus pendant la période indivise.

Lors de la liquidation de l’indivision, les plus-values et moins-values sont évaluées au moment du partage, permettant une prise en compte actualisée des biens indivis. Ainsi, ces variations s’intègrent dans la répartition, traduisant une juste répartition des bénéfices ou pertes accumulés au cours de la gestion collective.

i. Les plus-values dans l’indivision

Les plus-values réalisées sur les biens indivis constituent des éléments importants pouvant faire l’objet d’un partage. Ces plus-values peuvent résulter de plusieurs facteurs :

  • L’évolution naturelle des prix du marché immobilier ou financier. Par exemple, une augmentation du prix de l’immobilier peut générer une plus-value sur un immeuble détenu en indivision.
  • Les investissements réalisés sur les biens indivis, tels que des travaux d’amélioration ou de rénovation, qui augmentent la valeur des biens. Ces investissements peuvent être réalisés soit par l’ensemble des indivisaires, soit par un seul indivisaire.

Lorsqu’une plus-value est constatée, elle bénéficie à l’ensemble des indivisaires, indépendamment de celui qui aurait initié les travaux ou géré le bien. Conformément au principe d’équité, toute augmentation de la valeur des biens indivis est répartie proportionnellement entre les indivisaires, chacun percevant une part en fonction de ses droits dans l’indivision.

Cependant, lorsqu’une plus-value est le résultat direct de la gestion active d’un bien indivis par un indivisaire (par exemple, dans le cadre de la gestion d’un fonds de commerce indivis), cet indivisaire a la possibilité de réclamer une rémunération pour sa gestion.

Cette règle a été consacrée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 29 mai 1996 aux termes duquel elle a reconnu que la plus-value résultant de la gestion par un indivisaire accroît l’actif indivis, mais que cet indivisaire peut être indemnisé pour son activité de gestion (Cass. 1re civ., 29 mai 1996, n°94-14.632).

Dans cette affaire, un époux avait continué à gérer un fonds de commerce après la dissolution de la communauté post-communautaire, mais alors que les biens étaient encore en indivision.

Sa gestion avait permis une augmentation de la valeur du fonds de commerce, générant ainsi une plus-value.

Le litige portait sur la question de savoir si cette plus-value devait revenir uniquement à l’époux ayant géré le fonds, ou si elle devait être partagée entre les autres indivisaires.

La Cour de cassation a jugé que la plus-value résultant de la gestion d’un indivisaire sur un bien indivis accrue à l’indivision, c’est-à-dire qu’elle devait bénéficier à tous les indivisaires.

Cependant, la Cour a également précisé que l’indivisaire ayant géré le fonds pouvait demander une rémunération pour sa gestion, sous réserve que cette gestion ait été dans l’intérêt commun de l’indivision.

L’octroi de cette rémunération permet de compenser l’effort de gestion tout en préservant le principe que les fruits de l’indivision doivent être partagés.

La rémunération accordée à l’indivisaire peut prendre plusieurs formes, comme une indemnité de gestion ou une participation aux bénéfices générés par le bien. Cette indemnisation est soumise à l’approbation des autres indivisaires ou, à défaut, à une décision judiciaire en cas de désaccord.

ii. Les pertes dans l’indivision

Les pertes subies par les biens indivis peuvent également faire l’objet d’un partage entre les indivisaires, conformément au principe de proportionnalité des droits dans l’indivision.

Ces pertes, qu’elles soient liées à des circonstances économiques, des incidents ou une gestion déficiente, impactent collectivement la masse partageable au moment de la liquidation de l’indivision.

Ces pertes peuvent être dues à plusieurs facteurs, tels que :

  • Des dépréciations économiques : une baisse du marché immobilier, par exemple, peut entraîner une diminution de la valeur des biens indivis, affectant ainsi la masse partageable lors de la liquidation.
  • Des incidents ou sinistres : un bien indivis endommagé par un sinistre (incendie, inondation, etc.) peut entraîner des pertes financières, à moins qu’une indemnité d’assurance ne compense cette perte.
  • La mauvaise gestion des biens indivis : si les biens indivis sont mal entretenus ou sous-exploités, leur valeur peut diminuer, entraînant une perte pour l’ensemble des indivisaires.

Cependant, la jurisprudence prévoit une exception importante : si les pertes sont imputables à la faute ou à la négligence d’un indivisaire, celui-ci peut être tenu pour responsable personnellement de ces pertes.

Par exemple, si un indivisaire, en tant que gérant des biens indivis, a pris des décisions qui ont causé une dégradation importante de la valeur des biens ou des pertes financières injustifiées, il pourrait être tenu de compenser ces pertes au bénéfice des autres indivisaires.

Cette responsabilité est souvent invoquée dans les cas où un indivisaire gère un bien indivis de manière négligente ou en ne tenant pas compte de l’intérêt commun de tous les coindivisaires.

2. Les biens exclus du partage

Le partage constitue le mécanisme naturel de dissolution de l’indivision. Toutefois, certains biens, en raison de leur nature ou de leur affectation particulière, échappent à cette issue. Leur exclusion du partage repose sur des considérations spécifiques, qu’elles soient d’ordre juridique, familial ou liées à l’intérêt collectif.

Cette exclusion s’appuie principalement sur deux logiques :

  • La perpétuation de leur affectation : certains biens, tels que les biens cultuels ou familiaux, ne peuvent être soumis au partage sans compromettre leur usage ou leur valeur symbolique. Ils incarnent des fonctions ou des attaches particulières qui justifient leur maintien dans une indivision protégée.
  • L’indisponibilité juridique : d’autres biens, comme les copropriétés forcées ou les titres communs à l’hérédité, sont soustraits au partage pour des raisons de nécessité ou d’intérêt collectif. Leur affectation spéciale ou leur caractère essentiel à un ensemble plus vaste impose une organisation juridique dérogatoire.

Ainsi, bien que le droit de provoquer le partage constitue une règle cardinale en matière d’indivision, il cède dans ces hypothèses au profit d’impératifs supérieurs. Ces exclusions, loin d’être arbitraires, traduisent une volonté de préserver des intérêts spécifiques qui transcendent la seule logique patrimoniale.

a. Les biens affectés à un usage cultuel

Les biens cultuels, qu’ils soient mobiliers ou immobiliers, ainsi que les sépultures familiales, bénéficient d’un régime dérogatoire qui les soustrait au partage, en raison de leur affectation particulière. Cette exclusion repose sur le respect de leur vocation symbolique, religieuse ou familiale, et sur la préservation de leur usage.

Ainsi, les objets liturgiques, tels que les vases sacrés, les ornements religieux ou encore les livres destinés au culte, ne peuvent faire l’objet d’une licitation lorsqu’ils appartiennent à une indivision.

Cette interdiction vise à éviter que leur destination ne soit compromise par un transfert de propriété qui pourrait ignorer leur caractère sacré.

La jurisprudence a reconnu à ces biens une nature particulière les rendant indisponibles s’agissant d’un partage. Par exemple, un acheteur d’un tel bien lors d’une vente judiciaire pourrait être contraint de respecter son usage religieux, notamment via des stipulations figurant dans le cahier des charges.

De manière similaire, les chapelles privées affectées au culte public, bien qu’appartenant à plusieurs indivisaires, ne peuvent être aliénées sans conditions.

Si la jurisprudence récente tend à adopter une approche protectrice, en refusant d’exclure ces biens de principe du partage, elle impose toutefois à l’acquéreur de respecter leur destination initiale. L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 25 septembre 2002 illustre cette volonté d’équilibre en réaffirmant que le droit au partage, consacré par l’article 815 du Code civil, demeure applicable, même pour des biens d’utilité religieuse, dès lors qu’aucun texte spécifique n’y déroge (Cass. 3e civ. 25 sept. 2002, n°99-20.765).

Dans cette affaire, des biens immobiliers avaient été acquis par des paroissiens pour être consacrés au culte protestant et étaient inscrits aux noms des paroisses correspondantes. La cour d’appel de Papeete avait jugé que ces biens relevaient d’une indivision forcée et perpétuelle, excluant tout partage tant qu’ils demeuraient affectés à leur usage religieux. En censurant cette analyse, la Cour de cassation a rappelé que, par leur nature ou leur destination, les biens d’utilité religieuse ne sont pas automatiquement soustraits à la règle selon laquelle nul ne peut être contraint de rester en indivision.

Cependant, la Haute juridiction ne méconnaît pas la particularité des biens cultuels. Elle souligne que leur affectation initiale constitue une stipulation tacite, opposable à tout nouvel acquéreur. En l’espèce, elle a reconnu que l’usage cultuel des biens, tel qu’établi par les paroissiens à l’origine des acquisitions, devait être respecté, même en cas de partage ou de transfert de propriété. Ainsi, l’Église évangélique, en sa qualité de bénéficiaire de cette stipulation, était en droit de solliciter la cessation des troubles causés par les associations cultuelles en place.

Cette décision marque une étape importante dans la conciliation entre le droit des indivisaires au partage et la protection des affectations spécifiques. Elle consacre un principe de responsabilité pour les acquéreurs, qui ne peuvent s’écarter de l’usage cultuel des biens sans méconnaître la volonté initiale des parties. Cette approche témoigne d’un effort pour préserver l’équilibre entre le droit individuel à l’indivision et les impératifs collectifs, notamment religieux, attachés à ces biens.

b. Les sépultures familiales

Les sépultures et tombeaux de famille, qu’ils soient établis sous forme de concessions dans les cimetières ou de caveaux sur des terrains privés, bénéficient d’un statut juridique particulier qui reflète leur nature symbolique et leur vocation à rassembler les générations d’une même lignée.

Ces biens, assimilés à des biens hors commerce, sont soumis à des règles dérogatoires qui en interdisent le partage ou la licitation, en raison de leur affectation familiale exclusive (Cass. 1re civ., 25 mars 1958).

Ces sépultures relèvent d’un régime d’indivision perpétuelle, dans lequel chaque héritier en ligne directe, conjoint ou collatéral, dispose d’un droit d’usage et de jouissance indivis. Ce droit, reconnu comme non susceptible de prescription, permet à chaque indivisaire de s’y faire inhumer et d’y faire inhumer ses proches, sous réserve de respecter les droits équivalents des autres membres de la famille (CA Amiens, 28 oct. 1992).

Toute tentative d’appropriation exclusive ou de transfert à un tiers étranger à la famille, même par voie testamentaire, est strictement prohibée (CA Paris, 28 janv. 1954). Cette interdiction garantit que les sépultures demeurent un lieu collectif et inviolable, consacré à la mémoire familiale. En conséquence, ces biens ne peuvent être inclus dans la masse successorale et restent en dehors de tout acte de partage ou de licitation (CA Toulouse, 25 avr. 1904).

L’attribution et l’utilisation des sépultures familiales reposent, avant tout, sur la volonté du fondateur de la concession. En l’absence de dispositions explicites, les juridictions s’attachent à interpréter cette volonté à travers des indices contextuels, notamment l’usage qui a été fait du tombeau ou les intentions présumées du fondateur.

Lorsqu’un différend survient entre les indivisaires, le juge intervient pour préserver l’équilibre familial et empêcher toute atteinte à la destination collective des sépultures. À ce titre, l’affectation familiale interdit qu’un étranger à la famille y soit inhumé, sauf accord unanime des ayants droit (Cass. 1ère civ., 15 mai 2001, n°99-12.363).

Lorsque le défunt a choisi la crémation, la question de l’attribution des cendres peut susciter des différends au sein de sa famille ou avec ses proches. La jurisprudence s’attache alors à privilégier une solution qui reflète fidèlement la volonté du défunt, considérée comme le critère essentiel pour résoudre les conflits.

Ainsi, lorsqu’une opposition survient, le juge se prononce en fonction de la position traduisant le mieux les intentions exprimées ou présumées du défunt (CA Paris, 6 déc. 1997).

L’urne funéraire, en raison de sa charge mémorielle et symbolique, échappe au régime de l’indivision classique. Les cendres ne peuvent faire l’objet d’un partage matériel, mais une décision judiciaire peut exceptionnellement conduire à une répartition équitable entre les parties, si cela reflète la volonté du défunt.

Par exemple, lorsque le défunt avait exprimé le souhait d’être inhumé dans plusieurs lieux distincts, le juge peut ordonner une division symbolique des cendres (CA Paris, 27 mars 1998).

La jurisprudence met également en lumière des cas où les relations personnelles et affectives influent sur l’attribution de l’urne. Ainsi, une concubine ayant entretenu une relation stable et solide avec le défunt peut se voir accorder le droit de conserver l’urne à son domicile, malgré les oppositions familiales (CA Agen, 20 janv. 1999).

La demande de partage des cendres est généralement déclarée irrecevable, car une telle démarche contredirait la vocation mémorielle de l’urne. La jurisprudence considère que, bien qu’un partage en nature soit envisageable dans des cas spécifiques, les cendres doivent rester inséparables pour préserver leur symbolique collective et individuelle (CA Bordeaux, 14 janv. 2003).

Le décret n° 2007-328 du 12 mars 2007, relatif à la protection des cendres funéraires, consacre ce principe en disposant que l’urne est remise à une personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles (CGCT, art. R. 2213-39). Cette disposition vient renforcer la jurisprudence en excluant toute forme d’appropriation exclusive et en affirmant la nécessité de respecter les volontés du défunt.

c. Les titres communs à toute l’hérédité

Les titres communs à toute l’hérédité, tels que les documents d’état civil, les titres de noblesse ou encore les rapports d’expertise relatifs à la succession, occupent une place singulière au sein du patrimoine successoral. Leur nature spécifique et leur affectation justifient leur exclusion du partage, en dépit de l’absence de dispositions explicites dans le Code civil. Cette singularité découle de leur rôle dans la préservation de la mémoire familiale et de leur vocation à bénéficier à l’ensemble des héritiers.

Historiquement, l’article 842, alinéa 3, du Code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, disposait que ces titres devaient être « remis à celui que tous les héritiers ont choisi pour en être le dépositaire, à la charge d’en aider les copartageants, à toute réquisition ». À défaut d’accord unanime, le juge intervenait pour désigner le dépositaire, dans un souci d’équité et de respect de l’intérêt commun (CA Paris, 11 juin 1956). Bien que cette disposition ait été abrogée, les principes qu’elle consacrait continuent d’être appliqués par les juridictions.

Les documents visés par ce dispositif sont :

  • Les titres de noblesse, qui attestent de la qualité nobiliaire d’une lignée et sont souvent perçus comme des symboles identitaires.
  • Les documents d’état civil, tels que les passeports ou actes relatifs aux ancêtres du défunt, qui contribuent à la transmission de l’histoire familiale.
  • Les rapports d’expertise relatifs à la succession, établissant la consistance des biens et leur répartition éventuelle en lots.

Ces biens, par leur nature ou leur destination, sont assimilés à des éléments hors commerce, ne pouvant être appropriés de manière exclusive par l’un des héritiers (CA Paris, 11 juin 1956).

La désignation d’un dépositaire vise à préserver l’intégrité et la disponibilité des titres communs pour l’ensemble des cohéritiers. Ce dépositaire peut être un héritier ou un tiers, choisi par accord entre les parties ou, à défaut, désigné par le juge. Une fois confiés, les titres doivent rester accessibles à tous les héritiers, qui conservent le droit d’en obtenir des reproductions par tout procédé (CA Bourges, 12 mai 1942).

Bien que le législateur ait omis de réintroduire explicitement ce régime dans la réforme de 2006, la doctrine et la jurisprudence s’accordent sur le maintien de cette exclusion. La nature particulière de ces titres, au même titre que celle des souvenirs de famille, justifie leur imperméabilité au droit commun du partage. Ils incarnent des valeurs familiales et patrimoniales qui transcendent la simple indivision matérielle.

d. Les souvenirs de famille

Les souvenirs de famille regroupent des objets variés tels que des décorations, armes d’honneur, brevets, portraits de famille, archives ou correspondances, qui témoignent de l’histoire et des traditions familiales (Cass. 2e civ., 29 mars 1995, n°95-18.769). Ces objets, bien qu’ils puissent parfois avoir une valeur marchande notable, se distinguent par leur affectation morale, considérée comme prépondérante.

La qualification de « souvenir de famille » relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, qui évaluent leur caractère affectif et mémoriel au regard des circonstances et des usages familiaux (Cass. 1re civ., 12 nov. 1998, n°96-20.236).

Par nature, les souvenirs de famille échappent aux règles ordinaires de dévolution successorale et de partage prévues par le Code civil (Cass. 1re civ., 21 févr. 1978, n°76-10.561). Ils ne sont pas intégrés à la masse successorale et ne peuvent faire l’objet d’une licitation ou d’une division matérielle sans risquer de compromettre leur vocation mémorielle.

Ces biens sont attribués à un héritier ou à un membre de la famille jugé le plus apte à en assurer la garde et la préservation. Cette désignation, qui relève de l’appréciation des juges, repose sur des critères tels que la capacité de l’attributaire à maintenir la mémoire familiale ou son lien particulier avec les objets concernés (Cass. 1re civ., 29 nov. 1994, n°92-21.993). En pratique, il peut s’agir de l’aîné des descendants, d’un membre renonçant à la succession ou même d’un tiers séquestre en cas de contestation (CA Paris, 11 juin 1956).

L’attributaire ne reçoit pas ces biens en pleine propriété mais à titre de dépôt, avec l’obligation morale de les conserver et de les tenir à disposition des autres membres de la famille (CA Paris, 25 nov. 1975). Ce régime protège leur affectation tout en limitant leur aliénabilité, notamment envers des tiers étrangers à la famille (Cass. 2e civ., 29 mars 1995).

Les souvenirs de famille sont marqués par une indisponibilité particulière, qui leur confère une forme de propriété collective propre à la famille, parfois assimilée à une variété de copropriété de mainmorte. Cette indisponibilité, qui exclut tout transfert hors du cercle familial, garantit leur transmission aux générations futures et leur pérennité en tant que symboles identitaires.

Ainsi, au décès de l’attributaire, les souvenirs doivent rester au sein de la famille et ne peuvent être transmis par libéralité ou succession à des tiers non apparentés (Cass. 1re civ., 29 nov. 1994, n°92-21.993). Toute tentative de sortie du patrimoine familial est susceptible d’être contestée par les autres membres de la famille.

Le caractère exceptionnel des souvenirs de famille implique une interprétation stricte de leur définition. Les juges excluent de cette qualification les objets de nature purement utilitaire ou les œuvres d’art de grande valeur (exception faites des portraits de famille), qui restent soumis au droit commun du partage. De même, des manuscrits ou meubles portant des armoiries familiales ne sont pas systématiquement considérés comme des souvenirs de famille s’ils ne remplissent pas les critères de symbolisme et de mémoire collective.

e. Les copropriétés forcées

Certaines copropriétés dites “forcées” sont exclues du partage en raison de leur fonction particulière et de leur nécessité pour l’usage ou la jouissance des propriétés qu’elles desservent. Ces situations, qui relèvent d’une indivision perpétuelle, se rencontrent notamment dans les contextes suivants :

==>La mitoyenneté

Les murs, fossés, haies et autres clôtures mitoyennes, bien que juridiquement classés parmi les servitudes, constituent des exemples typiques de copropriétés forcées. Ces biens appartiennent en commun aux propriétaires des fonds contigus qu’ils séparent et ne peuvent faire l’objet d’un partage que dans deux hypothèses : la cession intégrale de la propriété ou l’abandon des droits de mitoyenneté par l’un des copropriétaires (art. 653 s. C. civ.).

La jurisprudence confirme que le caractère attaché à la mitoyenneté empêche toute tentative de partage sans porter atteinte à sa fonction essentielle : la séparation et la protection des propriétés voisines.

==>Les indivisions forcées d’usage commun

En l’absence de texte spécifique, il a été admis que certains biens, affectés à l’usage commun de plusieurs fonds, peuvent faire l’objet d’une indivision forcée.

Cela s’applique par exemple à des cours, dépendances ou installations techniques nécessaires à l’exploitation de propriétés voisines (Cass. 1ère civ. 1er 3 juill. 1973). Tant que ces biens restent indispensables à l’usage commun, ils demeurent indivis, et le partage n’est pas envisageable.

Cette indivision, bien que perpétuelle par nature, peut être remise en cause si le caractère nécessaire du bien disparaît avec le temps. Toutefois, une telle décision requiert l’accord unanime des copropriétaires ou des indivisaires concernés (Cass. 3e civ., 12 mars 1969).

==>Les copropriétés immobilières bâties

Les parties communes des immeubles soumis à la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 relèvent également d’une indivision forcée. Ces parties comprennent notamment les escaliers, couloirs, toitures, et parkings affectés à l’usage collectif des copropriétaires ou de certains d’entre eux. Conformément à l’article 3 de ce texte, ces biens ne peuvent être partagés séparément des parties privatives auxquelles ils sont attachés, formant ainsi une copropriété perpétuelle liée à la structure de l’immeuble.

Dans tous ces cas, le partage est exclu tant que les biens en question remplissent leur fonction d’utilité commune ou sont indispensables à la jouissance des fonds qu’ils desservent. Ce régime, bien qu’il déroge au principe posé par l’article 815 du Code civil, vise à garantir la pérennité de l’usage collectif tout en évitant les litiges qui pourraient découler d’une division matérielle inappropriée.

f. Autres catégories de biens exclus

==>Œuvres littéraires et artistiques

Les œuvres littéraires et artistiques créés conjointement par plusieurs auteurs relèvent d’une copropriété particulière, assimilée à une indivision forcée. Cette spécificité découle de l’exigence de préserver l’intégrité artistique et économique de l’œuvre.

Ainsi, le partage de ces biens est exclu, toute division matérielle ou juridique risquant de compromettre l’unité de l’œuvre et les droits des copropriétaires (art. L. 113-3 CPI).

Chaque copropriétaire conserve toutefois un droit moral inaliénable sur l’œuvre, un principe destiné à garantir son respect et sa valorisation. En pratique, cette indivision artistique vise à protéger les intérêts de l’ensemble des auteurs, favorisant une gestion collective cohérente.

==>Fonds communs de placement

Les fonds communs de placement (FCP), en tant que copropriétés de valeurs mobilières, sont régis par le Code monétaire et financier, qui exclut explicitement leur partage (art. L. 214-8 CMF). Cette exclusion repose sur une logique économique : assurer la liquidité et la stabilité de l’investissement collectif en permettant aux porteurs de parts de racheter ou céder leurs parts à tout moment, sans nécessiter de partage global des actifs du fonds.

Ce mécanisme préserve la finalité d’épargne collective des FCP, tout en garantissant la flexibilité et la simplicité de gestion. Cette solution, fondée sur la liquidité plutôt que sur la divisibilité, évite tout blocage ou conflit entre copropriétaires, en assurant une continuité économique fluide.

==>Biens affectés à un usage religieux

Historiquement, les juridictions ont parfois exclu du partage certains biens indivis affectés à une destination religieuse par convention.

Cette tendance a toutefois été remise en question par la Cour de cassation. Dans un arrêt du 25 septembre 2002, la Troisième chambre civile a rappelé qu’aucun texte ne soustrayait les biens religieux à la règle selon laquelle nul ne peut être contraint de rester en indivision (Cass. 3e civ. 25 sept. 2002, n° 99-20.765).

Dans cette affaire, des associations cultuelles avaient revendiqué la propriété d’immeubles inscrits aux noms de paroisses locales. Ces biens, acquis à l’origine par des pasteurs pour le compte des paroissiens, avaient été utilisés exclusivement à des fins cultuelles depuis leur acquisition. Le Conseil d’administration des biens de l’Église évangélique de Polynésie française (CABEEPF) a alors formé une demande reconventionnelle visant à immatriculer ces biens en son nom.

Les juges du fond ont estimé que ces biens relevaient d’une indivision forcée et perpétuelle, incompatible avec un partage, tant qu’ils restaient affectés à leur destination cultuelle.

La Cour de cassation a censuré cette analyse en rappelant un principe fondamental : nul ne peut être contraint de demeurer en indivision, sauf disposition législative expresse ou accord des parties.

Plus précisément, elle a jugé que :

  • D’une part, aucune disposition législative spécifique ne soustrait les biens d’utilité religieuse au droit commun de l’indivision ;
  • D’autre part, les juges du fond ne pouvaient, par une interprétation prétorienne, créer une exception au principe de droit au partage des biens indivis, même si ces derniers étaient affectés à une destination particulière.

La Cour de cassation a reconnu que les biens en question avaient été acquis pour des fins cultuelles et utilisés comme tels de manière continue. Elle a même admis l’existence d’une stipulation tacite des paroissiens permettant l’exercice continu du culte protestant dans ces lieux. Cependant, elle a jugé que cette affectation ne pouvait justifier une indivision perpétuelle.

La raison en est que :

  • La destination religieuse des biens ne confère pas une autonomie juridique à ceux-ci ;
  • Leur affectation particulière peut être prise en compte dans le cadre du partage, mais ne saurait empêcher ce dernier.

Cet arrêt met un terme à une certaine tendance des juridictions du fond à reconnaître des indivisions perpétuelles sur des biens à vocation spécifique, tels que les biens religieux. Il réaffirme que toute dérogation au principe de droit au partage doit être expressément prévue par le législateur.

Par ailleurs, il invite les parties concernées par des biens à affectation spéciale à envisager des solutions contractuelles, telles que des conventions d’indivision ou la constitution de structures juridiques adaptées (associations ou fondations), afin de sécuriser leur usage à long terme.

==>Logement familial

Le droit au bail du logement familial, réputé indivis entre époux en application de l’article 1751 du Code civil, constitue une forme d’indivision légale.

Cette indivision, conçue pour préserver l’affectation conjugale du logement, empêche tout partage tant que la communauté de vie perdure. Ce régime s’étend également aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, sous réserve qu’ils en aient conjointement formulé la demande.

==>Copropriété des navires

La copropriété des navires, régie par le Code des transports, constitue une typologie d’indivision spécifiquement conçu pour répondre à des finalités économiques (art. L. 5114-30 s. C. transp.).

Cette indivision peut être dissoute par une licitation volontaire, sous condition d’approbation par une majorité en valeur des copropriétaires (art. L. 5114-48 et L. 5114-49 C. transp.).

En revanche, lorsque la copropriété résulte d’une circonstance imposée, telle qu’une succession, le droit commun de l’indivision redevient applicable, autorisant le partage en l’absence de consensus collectif.

C) Absence de prescription acquisitive

si le droit au partage est imprescriptible, la prescription acquisitive constitue une exception à ce principe.

En effet, bien que la prescription extinctive ne puisse éteindre le droit de demander le partage, il est possible, sous certaines conditions, qu’un indivisaire ou un tiers acquière la propriété d’un bien indivis par possession prolongée.

L’article 816 du Code civil dispose en ce sens que « le partage ne peut être demandé s’il y a eu possession suffisante pour acquérir la prescription ».

Cela signifie que si un bien indivis a été possédé de manière continue, paisible, publique et non équivoque pendant un délai de trente ans, l’usucapion permet à l’indivisaire ou au tiers possesseur de faire sortir ce bien de l’indivision, le privant ainsi de son caractère indivis.

L’usucapion, qui repose sur des conditions rigoureuses de possession, s’applique donc uniquement à des biens spécifiques au sein de l’indivision, et non à l’ensemble d’une succession ou d’un patrimoine indivis dans son intégralité.

Cela se justifie par la nature même de l’indivision, qui repose sur une co-titularité de droits de propriété, chacun des indivisaires jouissant de l’ensemble des biens indivis sans en détenir la propriété exclusive.

Certains auteurs soutiennent qu’une succession, en tant qu’universalité juridique, ne peut faire l’objet d’une possession prolongée dans son ensemble, car il serait difficile, voire impossible, de posséder une telle universalité de manière non équivoque et exclusive.

En raison de la diversité des biens qui la composent et de la nature collective des droits indivisaires, ils estiment que la possession, pour être effective et produire des effets juridiques, doit porter sur des biens déterminés, spécifiquement identifiés, plutôt que sur l’ensemble des biens formant l’indivision.

Les tenants de cette thèse considèrent que « l’usucapion ne peut jouer que relativement à des biens envisagés ut singuli », c’est-à-dire individuellement, et non sur l’intégralité d’une succession ou d’une indivision, laquelle est perçue comme une universalité juridique insusceptible de possession exclusive[11].

Cependant, d’autres auteurs adoptent une approche plus large et nuancée de l’usucapion.

Ils soutiennent qu’il serait possible, sous certaines conditions, d’acquérir par prescription acquisitive non seulement des biens spécifiques, mais également un ensemble de biens constituant l’actif successoral, dès lors que ces biens sont suffisamment identifiés au sein de l’universalité juridique de la succession.

Selon cette approche, l’usucapion ne porterait pas sur l’universalité en tant que telle, mais sur les éléments patrimoniaux qui la composent, ce qui permettrait à un indivisaire de prescrire l’intégralité de l’actif successoral ou de l’indivision.

Cette position a trouvé un certain écho dans la jurisprudence. En effet, la Cour de cassation a admis, dans un arrêt du 4 juillet 1853, que la prescription acquisitive pouvait, dans certaines circonstances, s’appliquer à l’ensemble des biens dépendant d’une succession.

Cet arrêt confirme l’interprétation selon laquelle l’usucapion, bien qu’habituellement limitée à des biens déterminés, peut dans des cas particuliers s’étendre à un ensemble de biens indivis, lorsque les conditions de la possession sont réunies.

L’article 816 du Code civil, qui dispose que « le partage ne peut être demandé s’il y a eu possession suffisante pour acquérir la prescription », consacre ce mécanisme, en permettant qu’un bien indivis puisse être usucapé et sortir ainsi de l’indivision, rendant le partage inapplicable à ce bien.

Quoi qu’il en doit, l’application de l’usucapion, même sur des biens indivis, repose sur le respect strict des conditions de la prescription acquisitive, telles qu’énoncées dans l’article 2261 du Code civil.

Pour que la possession puisse conduire à l’acquisition d’un bien par usucapion, elle doit être paisible, continue, publique et non équivoque, et ce, pendant un délai de trente ans, si aucun titre translatif de propriété n’est invoqué.

La jurisprudence et la doctrine insistent sur le caractère exclusif de la possession, particulièrement en matière d’indivision, où les actes accomplis par un indivisaire tendent souvent à être interprétés comme des actes de gestion collective plutôt que comme des manifestations d’une volonté d’exclusivité.

A cet égard, la possession en situation d’indivision présente une difficulté particulière : les actes de gestion ou d’usage par un coïndivisaire sont généralement équivoques, car ils peuvent être perçus comme l’exercice normal des droits indivis, et non comme une appropriation exclusive.

Selon Planiol et Ripert, la possession d’un bien indivis par un coïndivisaire est souvent indéterminée, car elle reflète une jouissance commune plutôt qu’une propriété individuelle. Les actes de possession ne peuvent donc permettre l’usucapion que s’ils traduisent une intention manifeste de se comporter en propriétaire exclusif, incompatible avec la qualité d’indivisaire.

La jurisprudence est venue confirmer cette exigence. Ainsi, dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation a rappelé que les juges du fond doivent rechercher si le possesseur indivis s’est comporté en propriétaire exclusif, c’est-à-dire s’il a accompli des actes montrant son intention de s’approprier le bien pour lui seul (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 27 oct. 1993, n° 91-13.286). En l’absence d’actes exclusifs et non équivoques, la prescription acquisitive ne peut prospérer, et le bien demeure dans l’indivision.

Il peut être observé que le vice d’équivoque est l’un des principaux obstacles à la mise en œuvre de l’usucapion dans le cadre de l’indivision.

Ce vice se manifeste lorsque la possession invoquée par l’indivisaire n’est pas clairement distincte de celle que pourrait exercer un autre indivisaire.

Par exemple, un indivisaire qui se contente d’occuper un bien indivis ou d’en tirer des revenus comme le ferait tout autre coïndivisaire ne pourra prétendre à l’usucapion, car ces actes ne montrent pas une volonté d’exclusivité (Cass. 3e civ., 27 nov. 1985, n°84-15.259). À l’inverse, des actes significatifs, tels que l’accomplissement de travaux importants sans en informer les autres indivisaires ou la perception exclusive des fruits du bien, peuvent constituer des indices d’une volonté d’exclusivité, susceptibles de permettre l’usucapion (Cass. 3e civ., 25 févr. 1998, n° 96-15.045).

Pour que la prescription acquisitive puisse être opposée avec succès aux autres indivisaires, il est nécessaire que l’indivisaire prétendant à l’usucapion se soit comporté en véritable propriétaire exclusif. Cette exclusivité doit être démontrée par des actes incompatibles avec la qualité d’indivisaire, c’est-à-dire des actes qui ne relèvent pas simplement de la gestion ordinaire de l’indivision, mais qui traduisent une appropriation personnelle du bien.

Le délai de prescription requis pour l’usucapion en matière d’indivision est de trente ans. La prescription abrégée de dix ans, applicable dans certains cas lorsque le possesseur dispose d’un juste titre, ne trouve pas à s’appliquer dans ce contexte, en raison de l’absence de titre translatif au profit de l’indivisaire.

Ce principe a été établi par la jurisprudence, qui exclut la possibilité pour un indivisaire de prescrire en moins de trente ans en invoquant un partage irrégulier ou un acte de gestion comme titre translatif (V. en ce sens Cass. req., 4 août 1870).

Cependant, dans le cadre de la copropriété, il est possible pour l’ensemble des copropriétaires d’acquérir des parties communes par prescription abrégée, comme rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt du 30 avril 2003 .

Aux termes de cet arrêt, elle a, en effet, jugé que « les actes de vente de biens immobiliers, constitués par des lots de copropriété qui sont nécessairement composés de parties privatives et de quotes-parts de parties communes, peuvent être le juste titre qui permet à l’ensemble des copropriétaires de prescrire, selon les modalités de l’article 2265 du Code civil, sur les parties communes de la copropriété, les droits indivis de propriété qu’ils ont acquis accessoirement aux droits exclusifs qu’ils détiennent sur les parties privatives de leurs lots » (Cass. 3e civ., 30 avr. 2003, n° 01-15.078).

Au total, l’usucapion, bien que potentiellement applicable à des biens indivis, reste un mécanisme d’exception nécessitant des conditions strictes. La possession doit être exclusive, continue, paisible, publique et non équivoque, et ce, pendant une période de trente ans.

Si ces conditions ne sont pas réunies, le bien demeurera dans l’indivision et restera éligible au partage, étant précisé que la jurisprudence exclut toute possibilité d’usucapion lorsque la possession invoquée par l’indivisaire se confond avec l’usage ordinaire d’un bien indivis, ce qui nécessité alors une véritable appropriation exclusive pour que la prescription acquisitive puisse produire ses effets.

D) Conditions spécifiques tenant à un bien indivis démembré

Le démembrement de propriété, qui consiste en la division du droit de propriété entre l’usufruit et la nue-propriété, soulève des questions spécifiques quant à la possibilité de partage des biens concernés.

1. Principe général

Le principe posé par l’article 815 du Code civil est clair : nul ne peut être contraint de demeurer en indivision. Cette règle, qui traduit la volonté de limiter les situations de blocage, s’applique de manière générale à tous les indivisaires, y compris lorsque les biens concernés font l’objet d’un démembrement de propriété.

En effet, le démembrement, qui scinde le droit de propriété en usufruit et nue-propriété, ne supprime pas le droit au partage mais impose certaines adaptations. Contrairement à une indivision ordinaire où les droits des coindivisaires sont identiques, le démembrement instaure des droits distincts. L’usufruitier jouit du bien et perçoit les fruits, tandis que le nu-propriétaire conserve le droit de disposer du bien. Cette dualité de droits, bien que spécifique, ne remet pas en cause le droit fondamental au partage, sauf lorsqu’il s’agit de droits de nature différente qui, par leur configuration, ne permettent pas une fusion immédiate en pleine propriété.

Ainsi, si le démembrement de propriété peut parfois compliquer les modalités du partage, il n’en constitue pas un obstacle absolu. Les règles spécifiques prévues par les articles 817 à 819 du Code civil traduisent cette souplesse en adaptant les mécanismes de sortie de l’indivision aux particularités des biens démembrés. Ces règles permettent de garantir que chaque titulaire de droit puisse, dans des conditions adaptées, provoquer le partage de l’indivision sans que la nature démembrée du bien ne serve de prétexte à perpétuer une situation de blocage.

Cependant, le respect de cette garantie trouve sa limite dans des situations où le droit exercé par les indivisaires n’est pas de même nature. Dans ces hypothèses, la coexistence d’un usufruit et d’une nue-propriété rend parfois impossible un partage immédiat, nécessitant une distinction plus approfondie entre les configurations où un partage est réalisable et celles où il est exclu en raison de l’absence d’indivision juridique entre les droits exercés.

2. Mise en œuvre

Le droit au partage, pierre angulaire du régime de l’indivision, trouve également à s’appliquer dans le cadre des biens démembrés. Toutefois, la coexistence de droits distincts, tels que l’usufruit et la nue-propriété, impose une adaptation des mécanismes classiques de partage pour tenir compte de la nature particulière de ces droits. Les articles 817 à 819 du Code civil offrent ainsi un cadre juridique spécifique, permettant de concilier la liberté des indivisaires de sortir de l’indivision avec les contraintes inhérentes au démembrement.

Dans ce contexte, il convient de distinguer deux catégories de configurations : celles où la mise en œuvre d’un partage est juridiquement et matériellement possible, et celles où, au contraire, les spécificités du démembrement excluent tout partage.

a. Les configurations admettant un partage

Certaines situations impliquant des biens démembrés permettent la mise en œuvre d’un partage, conformément aux articles 817 à 819 du Code civil.

i. Indivision en jouissance

Lorsqu’un droit de jouissance est partagé entre plusieurs personnes, une situation d’indivision en jouissance peut se former, notamment en présence d’un usufruit détenu indivisément.

Chaque usufruitier dispose alors, en vertu de l’article 815 du Code civil, d’un droit absolu de demander le partage à tout moment. Ce principe, reconnu de manière constante par la jurisprudence (Cass. 1re civ., 25 juin 1974, 72-12.451), trouve un ancrage dans les dispositions de l’article 817 du Code civil, introduit par la réforme des successions de 2006.

L’article 817 du Code civil prévoit alors deux modalités principales permettant aux usufruitiers de sortir de l’indivision en jouissance :

  • Le cantonnement sur un bien déterminé
    • Cette option consiste à attribuer à chaque usufruitier un droit exclusif sur un bien particulier, évitant ainsi le maintien de l’indivision.
    • Cette méthode, lorsqu’elle est praticable, offre une solution simple et respectueuse des prérogatives de chaque usufruitier.
  • La licitation de l’usufruit
    • En cas d’impossibilité de cantonnement, la licitation constitue une alternative permettant la vente du droit indivis et la répartition du produit entre les usufruitiers.
    • Ce mécanisme peut toutefois s’avérer complexe, car l’acquéreur de l’usufruit doit composer avec la coexistence du droit du nu-propriétaire.
    • Cette difficulté explique le faible recours à cette option dans la pratique.

Dans des circonstances exceptionnelles, lorsque l’intérêt commun des parties le justifie, la licitation peut porter sur la pleine propriété du bien grevé d’usufruit.

Ce mécanisme, expressément prévu par l’article 817 du Code civil, vise à faciliter la sortie de l’indivision en cas de blocage insurmontable. La vente de la pleine propriété, plus attractive pour un acquéreur potentiel, permet ainsi de surmonter les obstacles pratiques liés au démembrement.

Bien que codifiée par la loi du 23 juin 2006, cette faculté demeure sous-exploitée, en partie en raison de la méconnaissance de ces dispositifs par les praticiens et de la complexité des situations qu’ils impliquent.

La jurisprudence continue néanmoins de rappeler l’importance et l’intérêt des mécanismes de partage, notamment dans des situations où les relations conflictuelles entre usufruitiers rendent toute autre solution impraticable. Un arrêt de la Cour de cassation en date du 11 mai 2016 illustre particulièrement cette problématique en posant des principes destinés à préserver l’unité et la stabilité des droits démembrés, tout en limitant les contentieux potentiels (Cass. 1re civ., 11 mai 2016, n°14-28.321).

Dans cette affaire, des époux avaient procédé à une donation-partage au profit de leurs enfants, assortie d’une réserve d’usufruit sur des parts sociales. Ce droit d’usufruit était prévu pour s’éteindre progressivement : à concurrence d’une moitié au décès du premier des époux, puis pour l’autre moitié au décès du conjoint survivant. Cependant, à la suite du décès de l’un des donateurs, des tensions sont nées entre les usufruitiers et les nus-propriétaires, aggravées par une interprétation divergente des stipulations de la donation.

La Cour de cassation, dans une décision particulièrement rigoureuse, a confirmé que l’usufruit ainsi constitué restait un droit indivisible entre les deux époux tant qu’ils en étaient tous deux titulaires. Elle a jugé que le décès de l’un des usufruitiers n’avait pas pour effet de diviser l’usufruit, mais seulement de l’éteindre pour la part attachée au défunt, laissant subsister le droit du survivant sur l’intégralité des biens grevés. La Haute juridiction a également précisé que cette indivision devait être maintenue afin de préserver l’harmonie des relations juridiques entre les parties, notamment en évitant de multiplier les conflits liés à des droits démembrés.

Cette solution, bien que rigoureuse dans son application, vise à garantir une certaine sécurité juridique dans la gestion des biens en usufruit indivis. Elle rappelle également que, lorsque les relations entre usufruitiers ou entre usufruitiers et nus-propriétaires deviennent source de blocages, le recours à des mécanismes tels que le cantonnement ou la licitation de l’usufruit peut constituer une issue pragmatique, mais doit s’inscrire dans le strict respect des règles applicables aux démembrements de propriété. Cet arrêt illustre ainsi l’équilibre recherché par la jurisprudence entre le droit au partage et la préservation des intérêts économiques et patrimoniaux des parties, dans un cadre légal marqué par la complexité des droits démembrés.

ii. Indivision en nue-propriété

De manière similaire, les nus-propriétaires d’un bien indivis peuvent provoquer le partage en application de l’article 818 du Code civil. Ce texte consacre le droit pour les indivisaires en nue-propriété de sortir de l’indivision, tout en renvoyant aux modalités prévues par l’article 817 pour en organiser la mise en œuvre. Ainsi, lorsque le partage en nature est possible, il demeure la solution privilégiée, permettant une répartition des biens entre les nus-propriétaires en fonction de leurs droits respectifs.

Cependant, le partage en nature se révèle souvent impraticable en raison des caractéristiques des biens concernés, notamment lorsqu’ils ne peuvent être divisés matériellement sans porter atteinte à leur valeur ou à leur utilité. Dans ces situations, le recours à la licitation s’impose. Par ce mécanisme, le bien est vendu, et le produit de la vente est réparti entre les nus-propriétaires au prorata de leurs droits. Ce dispositif offre une solution pragmatique pour mettre fin à l’indivision tout en préservant les intérêts économiques des indivisaires.

L’article 818 ouvre également la possibilité de procéder à une licitation portant sur la pleine propriété du bien, et non seulement sur la nue-propriété, lorsque cela apparaît comme la seule solution protectrice des intérêts des parties. Cette option se justifie particulièrement lorsque la vente exclusive de la nue-propriété risque de réduire considérablement la valeur du bien ou de ne pas trouver preneur sur le marché.

Néanmoins, cette licitation en pleine propriété est soumise à des limites strictes. Conformément à l’article 815-5 du Code civil, le juge ne peut ordonner une telle vente contre la volonté de l’usufruitier lorsque celui-ci détient un usufruit universel, comme cela peut être le cas pour un conjoint survivant. Cette protection vise à garantir la jouissance patrimoniale et économique de l’usufruitier, à moins qu’il ne consente expressément à la vente.

La jurisprudence n’a cessé de souligner la pertinence et la nécessité de ces mécanismes dans la gestion des situations d’indivision en nue-propriété, en mettant en lumière leur rôle fondamental dans la résolution des conflits et la préservation des intérêts des parties concernées.

Dans un arrêt du 12 janvier 2011, la Cour de cassation a rappelé que l’indivision en nue-propriété pouvait donner lieu à un partage, y compris par la voie d’une licitation en pleine propriété, lorsque cela s’avère nécessaire dans l’intérêt des parties.

En l’espèce, après avoir constaté que les droits des héritiers sur les biens de la succession étaient répartis entre une pleine propriété et une nue-propriété grevée d’usufruit, la Première chambre civile a jugé qu’une indivision existait bien sur certains biens, en dépit de la différence de nature juridique des droits exercés.

Aussi, elle a cassé la décision d’appel qui avait refusé d’ordonner l’ouverture des opérations de partage, soulignant que le nu-propriétaire était en droit de provoquer le partage afin de faire déterminer les biens composant la part de la pleine propriété, conformément aux articles 815 et 815-17 du Code civil (Cass. 1ère civ. 12 janv. 2011, n° 09-17.298).

iii. Indivision entre pleins propriétaires, usufruitiers et nus-propriétaires

L’article 819 du Code civil aborde les configurations complexes dans lesquelles coexistent des pleins propriétaires, des usufruitiers et des nus-propriétaires, situation où la pluralité de droits exercés sur un même bien génère une indivision particulière. Cette disposition reconnaît le droit pour l’un des titulaires de provoquer le partage, qu’il soit réalisé par voie de cantonnement ou, si cette option s’avère impossible, par une licitation.

Le cantonnement permet de circonscrire les droits de l’usufruitier ou du nu-propriétaire sur un bien déterminé, évitant ainsi le maintien d’une indivision générale. Cependant, lorsque le cantonnement ne peut être mis en œuvre ou qu’il s’avère inadapté aux circonstances, le législateur autorise le recours à une licitation, c’est-à-dire la vente aux enchères du bien concerné. Cette licitation peut, dans certaines situations, porter sur la pleine propriété du bien si cela constitue la seule solution viable pour préserver les intérêts de toutes les parties impliquées. Dans un tel cas, le prix de vente est réparti entre les différents indivisaires, conformément aux dispositions de l’article 621 du Code civil, qui impose une ventilation des montants en fonction de la valeur respective de l’usufruit, de la nue-propriété et de la pleine propriété.

La doctrine souligne le caractère subtil de cette indivision. Comme l’a exprimé Josserand, la pleine propriété d’un bien contient en latence un usufruit et une nue-propriété. Ces éléments, bien que souvent inaperçus, émergent et deviennent juridiquement opérants lorsqu’ils se trouvent en interaction avec un usufruit effectif ou une nue-propriété active, justifiant ainsi le recours à un partage.

Il est important de préciser que, lorsque la licitation porte sur la pleine propriété, le consentement de l’usufruitier n’est pas toujours requis. Contrairement aux situations relevant du deuxième alinéa de l’article 815-5 du Code civil, qui protège spécifiquement l’usufruitier universel, l’article 819 offre une souplesse supplémentaire, notamment dans les cas où l’usufruit n’a pas une portée universelle. Cela permet de surmonter les éventuelles oppositions et d’éviter les blocages dans l’administration ou l’exploitation des biens.

En revanche, la logique inverse n’est pas vraie. Un plein propriétaire ne peut être contraint de subir un cantonnement ou une licitation de ses droits en usufruit ou en nue-propriété, car cela reviendrait à démembrer de force sa pleine propriété. Cette limite préserve l’intégrité du droit de propriété tel qu’il est garanti par le Code civil.

Ainsi, l’article 819 établit un équilibre subtil entre la nécessaire protection des droits de chaque indivisaire et la recherche d’une solution pragmatique pour sortir des situations d’indivision complexes.

b. Les configurations excluant tout partage

L’impossibilité de demander un partage entre l’usufruitier et le nu-propriétaire découle directement de la nature fondamentalement différente de leurs droits. L’usufruit confère à son titulaire un droit de jouissance et de perception des fruits, tandis que la nue-propriété préserve la substance du bien. Ces droits, bien que complémentaires, ne sont ni identiques ni concurrents et s’exercent de manière autonome. Cette séparation des prérogatives exclut toute indivision juridique entre eux, rendant impossible l’application du droit au partage tel qu’il est prévu pour des indivisaires classiques.

La jurisprudence a affirmé cette analyse de manière constante, notamment dans un arrêt de principe du 27 juillet 1869, selon lequel « il n’y a indivision qu’autant que les intéressés ont sur la chose des droits de même nature » (Cass. req., 27 juill. 1869, DP 1971, 1, p. 170). De même, dans un arrêt du 25 novembre 1986, la Cour de cassation a réitéré qu’aucune indivision ne pouvait exister entre usufruitier et nu-propriétaire, ces derniers étant titulaires de droits incompatibles avec le fonctionnement unitaire d’une indivision (Cass. 1re civ., 25 nov. 1986, n°85-10.548). Plus récemment, cette position a été confirmée dans un arrêt du 12 février 2020, qui rappelle que « qu’il n’existe pas d’indivision entre l’usufruitier et le nu-propriétaire dont les droits sont de nature différente » (Cass. 1re civ., 12 févr. 2020, n° 18-22.537).

Cette incompatibilité a pour conséquence directe l’impossibilité pour l’usufruitier et le nu-propriétaire de solliciter un partage visant à réunir leurs droits en une pleine propriété. La fin du démembrement ne peut intervenir que par l’extinction naturelle de l’usufruit, généralement au décès de l’usufruitier. Toute tentative de contourner cette règle en invoquant le droit au partage, réservé aux situations d’indivision, est donc juridiquement vouée à l’échec.

Cependant, avant l’entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 1976, la jurisprudence avait introduit un tempérament à cette règle dans des cas spécifiques où le partage en nature se révélait matériellement impossible. Lorsque des immeubles incommodément partageables en nature étaient compris dans l’assiette de la nue-propriété ou de l’usufruit, la vente séparée de ces droits était jugée difficile et désavantageuse. Dans de telles situations, les juridictions ont admis que la licitation de la pleine propriété pouvait être imposée par l’une des parties, à condition qu’elle soit nécessaire pour protéger les intérêts des titulaires. Cette solution, qualifiée de « vente par autorité de justice », a ainsi permis de surmonter les blocages pratiques liés à l’absence d’indivision (Cass. Req. 9 avr. 1877).

Dans ces situations, la vente séparée des droits de nue-propriété et d’usufruit était jugée économiquement désavantageuse et peu réaliste. Ainsi, les juges considéraient que la licitation de la pleine propriété devenait nécessaire pour garantir l’assiette des droits en présence et préserver l’équilibre patrimonial des titulaires. Par exemple, un nu-propriétaire pouvait imposer une telle licitation dès lors qu’elle apparaissait comme la seule solution pour valoriser ses droits, tout comme un usufruitier pouvait également solliciter une licitation dans des circonstances similaires (Cass. req. 20 juill. 1932).

Ce mécanisme était particulièrement utile lorsque les biens concernés, tels que des immeubles, étaient incommodément partageables en nature. Ces situations de blocage trouvaient ainsi une issue grâce à une vente ordonnée par le juge, permettant de répartir équitablement le produit de la vente entre les titulaires des droits démembrés. Ces solutions jurisprudentielles, bien qu’exceptionnelles, illustraient une approche pragmatique pour résoudre les litiges complexes liés au démembrement.

La loi du 31 décembre 1976 est toutefois venue remettre en cause la souplesse antérieure de la jurisprudence en encadrant plus strictement les possibilités de licitation dans le cadre de biens grevés d’usufruit. L’article 815-5 du Code civil, tel qu’introduit par cette réforme, dispose que « le juge ne peut, sinon aux fins de partage, autoriser la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit, contre la volonté de l’usufruitier ». En établissant ce principe, le législateur entendait consolider la protection de l’usufruitier, considéré comme la partie économiquement et juridiquement la plus vulnérable dans le cadre du démembrement de propriété. L’objectif était de garantir une stabilité accrue des relations patrimoniales et de prévenir les abus susceptibles de découler des demandes de licitation.

Toutefois, ce texte, bien qu’introduit aux fins de clarification, a suscité des interprétations divergentes en doctrine et en jurisprudence. Certains commentateurs ont estimé qu’il affranchissait le juge des conditions posées auparavant par la jurisprudence pour ordonner la licitation de la pleine propriété. D’autres ont vu dans cette disposition une simple continuité des solutions antérieures, avec un renforcement des garanties procédurales pour l’usufruitier. Cette ambivalence a conduit à des décisions contrastées, dont l’arrêt de la Cour de cassation du 11 mai 1982 constitue une illustration majeure. Dans cette affaire, la Haute juridiction a jugé que « le partage peut toujours être ordonné et qu’à cette fin, selon l’article 815-5 du Code civil, la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit peut être judiciairement ordonnée contre la volonté de l’usufruitier » (Cass. 1ère civ., 11 mai 1982, n° 81-13.055).

Cette décision a néanmoins suscité de vives critiques, notamment en raison de ses répercussions sur la situation des usufruitiers universels, et en particulier des conjoints survivants gratifiés de l’usufruit de toute la succession. Ces critiques, alimentées par des considérations doctrinales, ont conduit le législateur à intervenir à nouveau avec la loi du 6 juillet 1987. Ce texte a modifié l’article 815-5 du Code civil, en précisant explicitement que « le juge ne peut, à la demande d’un nu-propriétaire, ordonner la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit contre la volonté de l’usufruitier ». Désormais, le consentement explicite de l’usufruitier est requis, renforçant ainsi la protection de ce dernier dans les situations de licitation.

Cette évolution législative a marqué un tournant dans la régulation des conflits entre nus-propriétaires et usufruitiers, en restreignant davantage les possibilités d’imposer une licitation judiciaire. Si l’objectif de sortir de l’indivision demeure légitime, il ne peut plus se faire au détriment des droits fondamentaux de l’usufruitier. La réforme a également confirmé que l’usufruitier pouvait imposer aux nus-propriétaires une licitation dans des hypothèses spécifiques, notamment lorsque cette solution apparaissait comme la seule protectrice des intérêts des parties.

Avant l’entrée en vigueur de la loi du 6 juillet 1987, la jurisprudence avait déjà admis de telles possibilités dans des situations où l’assiette de l’usufruit ne pouvait être déterminée autrement. L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 19 novembre 1996 illustre parfaitement ce principe (Cass. 1ère civ. 19 nov. 1996, n° 94-22.052).

Dans cette affaire, il était question d’un immeuble hypothéqué dont un indivisaire détenait les deux tiers en pleine propriété et un tiers en nue-propriété, tandis qu’un autre indivisaire en possédait l’usufruit. La société créancière avait sollicité la liquidation-partage de l’indivision et la licitation de la pleine propriété de l’immeuble, invoquant l’insolvabilité du débiteur principal et l’insuffisance de la garantie hypothécaire en raison des fluctuations du marché immobilier. La Cour d’appel avait accueilli cette demande, considérant que la licitation était nécessaire à la protection des intérêts de toutes les parties.

La Cour de cassation a confirmé cette décision, en soulignant que la licitation préalable de l’immeuble était justifiée par l’impossibilité matérielle de mettre en œuvre le tiers en usufruit détenu par l’un des indivisaires sur cet immeuble. Elle a également précisé que cette solution était indispensable pour permettre la détermination de l’assiette de l’usufruit et pour préserver les intérêts patrimoniaux des parties. En statuant ainsi, la Haute juridiction a consolidé le principe selon lequel la licitation de la pleine propriété peut être imposée dans des situations où le partage en nature est matériellement impossible et où la licitation constitue la seule solution viable pour garantir les droits de chacun.

Cette solution s’inscrit dans la continuité des principes établis par la jurisprudence antérieure, qui admettait la possibilité d’une vente par autorité de justice dans des configurations exceptionnelles. Elle illustre également l’équilibre délicat que la loi et la jurisprudence cherchent à maintenir entre les droits des usufruitiers et ceux des nus-propriétaires, en prenant en compte les réalités économiques et patrimoniales tout en respectant les principes fondamentaux du démembrement de propriété.

 

 

  1. F. Zenati-Castaing, Les biens, éd. PUF, 2008, p. 347. ?
  2. Ph. Malaurie, L. Aynès et M. Julienne, Les biens, éd. Lextenso, p. 819. ?
  3. M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. IV, par J. Maury et H. Vialleton, éd. LGDJ, 1956, n° 495, p. 693. ?
  4. F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Droit civil, Les successions, les libéralités,éd. Dalloz, 2014, n° 1013, p. 893. ?
  5. J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°743, p. 696 ?
  6. J. Flour et G. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, 2001, n°743, p. 696 ?
  7. Cet exemple nous est donné par Michel Hoguet, rapporteur de la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale, dans le cadre des travaux parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi du 28 décembre 1967 ?
  8. V. en ce sens l’article 953 du Code civil ?
  9. F. terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°800, p. 647. ?
  10. P. Simler et P. Hilt, « Le nouveau visage du Pacs : un quasi -mariage », JCP G, 2006, 1, p. 161. ?
  11. F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Droit civil, Les successions, les libéralités,éd. Dalloz, 2014, n° 1013, p. 893. ?

La faculté des coïndivisaires de mettre un terme à l’action en partage exercée par un créancier

L’article 815-17, alinéa 3, du Code civil confère aux créanciers personnels d’un indivisaire une faculté d’une portée exceptionnelle : celle de provoquer le partage au nom de leur débiteur ou d’intervenir dans le partage initié par ce dernier.

Ce mécanisme, qui participe de l’application de l’action oblique, repose sur la nécessité de préserver les droits des créanciers face à l’inertie de leur débiteur ou aux risques de fraude liés aux opérations de partage.

D’une part, les créanciers peuvent exercer une action en partage, par laquelle ils agissent directement pour mettre fin à l’indivision et obtenir ainsi le paiement de leur créance. Cette action permet de mobiliser les droits indivis pour transformer les actifs en valeurs liquidatives, souvent nécessaires pour désintéresser les créanciers. Ce droit, soumis à des conditions de fond et de forme, exige notamment une créance certaine, liquide et exigible, ainsi qu’une carence avérée du débiteur à agir.

D’autre part, de manière complémentaire, l’article 815-17, alinéa 3, prévoit que les coïndivisaires du débiteur disposent d’un moyen d’opposition : ils peuvent arrêter le cours de l’action en partage en acquittant eux-mêmes l’obligation au nom et en l’acquit du débiteur.

Cette faculté, qui relève d’une logique de solidarité entre indivisaires, leur permet de préserver l’indivision en désintéressant directement le créancier.

Toutefois, cette opposition suppose que les coïndivisaires acquittent intégralement la dette, faute de quoi le créancier conserve son droit à agir.

Les coïndivisaires qui exercent cette faculté se remboursent ensuite par prélèvement sur les biens indivis, conformément au texte. Ce mécanisme garantit un équilibre entre les droits des créanciers et la volonté des coïndivisaires de maintenir l’unité de l’indivision.

Ces deux prérogatives – l’action en partage et la faculté d’arrêt du cours de l’action – traduisent un subtil équilibre entre les droits des créanciers, la sauvegarde de l’indivision et la protection des coïndivisaires. Ce dispositif assure ainsi une conciliation efficace entre les impératifs de recouvrement et les principes fondamentaux de l’indivision.

Nous nous focaliserons ici sur la prérogative dévolue aux coïndivisaires.

L’article 815-17, alinéa 3, du Code civil confère aux coïndivisaires la faculté de mettre fin à une action en partage introduite par un créancier personnel d’un indivisaire.

Ce mécanisme repose sur un équilibre entre la préservation de l’indivision et la satisfaction des créanciers, en permettant aux coïndivisaires de désintéresser le créancier au nom et pour le compte du débiteur.

1. Principe

L’article 815-17, alinéa 3 du Code civil confère une faculté aux coïndivisaires : celle de mettre fin à l’action en partage introduite par un créancier personnel d’un indivisaire.

Ce texte prévoit en ce sens que les coïndivisaires du débiteur « peuvent arrêter le cours de l’action en partage en acquittant l’obligation au nom et en l’acquit du débiteur ».

Cette disposition vise à préserver l’intégrité de l’indivision, considérée comme un outil de gestion collective des biens indivis.

La faculté d’arrêter le cours de l’action en partage protège les indivisaires contre la dislocation forcée des biens indivis, qui pourrait compromettre des intérêts communs, tels que la conservation d’un patrimoine indivisible ou l’exploitation d’une entreprise familiale.

Cette faculté n’entrave pas les droits du créancier poursuivant, mais impose que sa créance soit intégralement réglée. Ainsi, l’équilibre est maintenu entre la protection de l’indivision et le droit au recouvrement du créancier.

2. Conditions

L’exercice de la faculté, prévue par l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil, permettant aux coïndivisaires d’arrêter le cours de l’action en partage intentée par un créancier, est soumis à plusieurs conditions strictes, destinées à garantir à la fois la protection des droits du créancier et la préservation des intérêts des indivisaires.

a. Paiement intégral de la dette

Pour que les coïndivisaires puissent valablement exercer leur faculté d’arrêter le cours de l’action en partage, il leur est impératif de s’acquitter de l’intégralité de la créance due au créancier poursuivant.

Cette exigence repose sur une logique juridique implacable : tant que la créance n’est pas totalement éteinte, le créancier conserve son droit d’action sur le fondement de l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil. Un paiement partiel, en ne supprimant qu’une fraction de la dette, laisse intact le statut de créancier, lequel demeure en droit de poursuivre l’action en partage pour le solde.

La nécessité d’un paiement intégral s’impose également pour prévenir toute forme de litige ultérieur. Si les coïndivisaires n’éteignent pas complètement la créance, des contestations pourraient surgir sur la part encore due, compliquant inutilement la procédure et menaçant l’équilibre de l’indivision.

Par ailleurs, un règlement partiel introduirait une instabilité en maintenant une créance résiduelle, laquelle continuerait de peser sur les droits des indivisaires et, in fine, sur l’ensemble de la masse indivise. En revanche, en réglant intégralement la dette, les coïndivisaires garantissent l’extinction totale de l’obligation et éteignent corrélativement le droit d’action du créancier en partage.

Toutefois, une controverse doctrinale est née sur la question de l’étendue exacte de cette obligation de paiement. Certains auteurs soutiennent que les coïndivisaires devraient pouvoir se limiter à verser une somme correspondant aux seuls droits de l’indivisaire débiteur dans l’indivision. Une telle approche, disent-ils, reflèterait mieux le lien entre la créance du créancier et la part indivise du débiteur.

D’autres, à l’inverse, considèrent que le paiement doit porter sur l’intégralité de la dette, quelle que soit sa proportion par rapport aux droits indivis de l’indivisaire débiteur. Cette position s’appuie sur le caractère indivisible de la créance, qui ne saurait être fragmentée selon les parts respectives des indivisaires.

La jurisprudence a tranché en faveur de la seconde thèse, imposant un paiement intégral (V. en ce sens CA Versailles 21 mars 1983). Cette solution se justifie par plusieurs considérations qui traduisent l’équilibre délicat entre les droits des créanciers et la préservation de l’indivision.

D’abord, en raison du principe d’unité de la créance, celle-ci ne saurait être morcelée au gré des parts indivises.

Ensuite, un règlement de l’intégralité de la créance fait obstacle à toute résurgence du droit d’action du créancier et préserve ainsi la stabilité de l’indivision.

Enfin, il s’agit là de renforcer la solidarité entre les coïndivisaires. En unissant leurs efforts pour désintéresser le créancier, les indivisaires contribuent à maintenir l’intégrité de l’indivision et à éviter sa rupture forcée.

b. Connaissance précise du montant de la dette

L’exercice de la faculté d’arrêter le cours d’une action en partage par le paiement de la créance est subordonné à la satisfaction d’une condition essentielle : la connaissance précise du montant de la dette.

Ce principe découle directement de l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil, qui impose que le paiement effectué par les coïndivisaires soit suffisant pour éteindre totalement la créance. À défaut, leur droit d’arrêter l’action en partage ne peut être valablement exercé, et le partage lui-même ne peut être ordonné.

Dans un arrêt fondateur du 20 décembre 1993, la Cour de cassation a affirmé que les coïndivisaires ne peuvent mettre en œuvre leur faculté sans disposer d’une connaissance exacte du montant de la dette à acquitter (Cass. 1ère civ., 20 déc. 1993, n° 92-11.189).

En l’espèce, l’indivisaire débiteur était en liquidation judiciaire, et le créancier avait initié une action en partage. Les coïndivisaires, invoquant leur droit de maintenir l’indivision, avaient manifesté leur intention de s’acquitter de la dette au nom du débiteur.

Toutefois, en l’absence d’une décision définitive d’admission de la créance au passif de la liquidation, ils n’étaient pas en mesure de déterminer avec précision le montant de la dette à payer.

La Haute juridiction a censuré la décision de la cour d’appel, qui avait ordonné le partage malgré cette incertitude, en rappelant que le partage ne peut être prononcé tant que le montant de la créance demeure incertain. Cette position a été réaffirmée dans des décisions ultérieures (V. notamment Cass. 1re civ., 22 juin 1999, n°96-22.454)).

Bien que la connaissance du montant exact de la créance soit une condition sine qua non pour arrêter l’action en partage, les coïndivisaires ne peuvent, en revanche, contester la validité ou le montant de la créance pour laquelle le créancier agit.

Cette règle a été énoncée dans un arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 mai 1987, selon lequel les dispositions de l’article 815-17, alinéa 3, ne permettent pas aux coïndivisaires d’exercer un contrôle sur la créance invoquée par le créancier poursuivant, mais uniquement de l’acquitter telle qu’elle résulte des titres produits (CA Paris, 27 mai 1987).

L’absence de possibilité de contestation de la créance invoquée signifie que le paiement effectué par les coïndivisaires s’inscrit dans une logique purement libératoire : ils ne se substituent pas au débiteur en qualité de créanciers du créancier initial, mais mettent fin à l’obligation par un règlement effectif.

c. Exercice de la faculté avant la fin du partage

L’exercice de la faculté permettant aux coïndivisaires de mettre un terme à l’action en partage intentée par un créancier personnel, bien qu’importante pour préserver l’unité de l’indivision, doit être exercée avant que le partage ne soit définitivement consommé.

Une fois celui-ci arrêté ou validé, les coïndivisaires perdent irrévocablement leur droit d’intervenir pour suspendre le cours de l’action engagée.

Cette exigence découle de la nature même du partage, qui, une fois définitivement acté, produit des effets irrévocables, notamment l’individualisation des droits des anciens indivisaires.

3. Effets

Le paiement réalisé par l’indivisaire solvens aux fins d’arrêter le cours de l’action en partage produit plusieurs effets.

a. Extinction de l’action en partage

Le premier effet notable de l’exercice de cette faculté est l’extinction immédiate du droit du créancier de poursuivre l’action en partage.

Une fois désintéressé par le paiement intégral de sa créance, le créancier perd toute possibilité de demander le partage de l’indivision.

Ce mécanisme offre aux coïndivisaires une voie efficace pour préserver l’unité de l’indivision face aux revendications d’un créancier personnel.

b. Exclusion de la subrogation

Une autre conséquence importante de l’exercice de la faculté d’empêcher le partage réside dans l’absence de subrogation du solvens dans les droits du créancier désintéressé.

Contrairement à ce qui pourrait être attendu du paiement de la dette d’autrui, le règlement effectué par le solvens ne le place pas dans la position du créancier initial.

Il est, en effet, de principe que lorsqu’une personne paie la dette d’un tiers, elle est subrogée dans les droits du créancier initial, lui permettant de bénéficier des garanties et privilèges attachés à la créance originelle.

Toutefois, dans le cadre particulier de l’indivision, ce mécanisme de subrogation est exclu. Le paiement effectué par le solvens éteint la créance du créancier initial et donne naissance à une créance nouvelle, dirigée non contre l’indivisaire débiteur, mais contre l’indivision elle-même.

Ainsi, le solvens, bien qu’ayant désintéressé le créancier, ne peut revendiquer ni les privilèges attachés à la créance originelle ni les garanties qui l’accompagnaient. Par exemple, s’il s’agissait d’une créance assortie d’une hypothèque ou d’un nantissement, ces sûretés ne sont pas transférées au solvens. Ce dernier est uniquement habilité à exercer un droit de prélèvement sur les biens indivis lors du partage, conformément aux dispositions légales.

Cette exclusion de la subrogation s’inscrit dans une logique de préservation de l’équilibre au sein de l’indivision. En empêchant le solvens de revendiquer des droits supérieurs à ceux conférés par le prélèvement, le législateur garantit que l’intervention du solvens ne bouleverse pas la répartition des droits entre coïndivisaires.

Enfin, cette règle protège également les autres indivisaires contre d’éventuels abus. Si le solvens était subrogé dans les droits du créancier initial, il pourrait exercer une pression disproportionnée sur l’indivisaire débiteur ou revendiquer des garanties exorbitantes au détriment de l’équilibre général de l’indivision. L’exclusion de la subrogation empêche de telles dérives, tout en assurant que le droit de prélèvement reste ancré dans les principes de solidarité et de justice collective propres au régime de l’indivision.

c. Octroi d’un droit de prélèvement

==>Principe du droit de prélèvement

Le droit de prélèvement est une conséquence essentielle de l’exercice, par les coïndivisaires, de leur faculté de désintéresser un créancier personnel d’un indivisaire.

Prévu à l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil, ce droit reflète l’esprit solidaire du régime de l’indivision, en affirmant que le remboursement du solvens s’effectue non pas contre le débiteur qu’il a désintéressé, mais contre l’indivision elle-même.

==>Objet du droit de prélèvement

Le droit de prélèvement confère au solvens, c’est-à-dire l’indivisaire ayant désintéressé un créancier personnel, la faculté de recouvrer les sommes qu’il a avancées en prélevant sur les biens indivis.

Ce mécanisme, expressément prévu à l’article 815-17, alinéa 3, du Code civil, illustre la spécificité du régime de l’indivision, où les droits et obligations des indivisaires s’ancrent dans une solidarité patrimoniale collective, transcendant les relations individuelles.

Contrairement à la logique sous-tendant un droit de créance qui serait dirigé contre la quote-part de l’indivisaire débiteur, le prélèvement opéré par le solvens s’étend à l’ensemble des biens indivis. Cette caractéristique garantit au solvens une assise patrimoniale large, lui permettant de recouvrer sa créance sans être limité à la part théorique du débiteur dans l’indivision.

Aussi, en théorie, le droit de prélèvement peut s’exercer sur tout bien indivis, qu’il s’agisse de fonds ou de biens en nature. Cependant, en pratique, cette faculté peut soulever des difficultés. Si le solvens choisit un bien dont la valeur excède celle de sa créance, cela pourrait déséquilibrer l’indivision au détriment des autres indivisaires. Une telle situation nécessiterait alors le versement d’une soulte par le solvens afin de compenser l’écart et rétablir l’équilibre patrimonial entre les coïndivisaires.

Cette exigence de compensation trouve sa justification dans la volonté de prévenir tout abus de droit. Autoriser un solvens à prélever un bien indivis d’une valeur disproportionnée reviendrait à lui accorder un privilège excessif, notamment en matière de choix des biens. Cela pourrait également engendrer des conflits si plusieurs indivisaires ayant désintéressé des créanciers prétendaient exercer leur droit sur le même bien.

Afin d’éviter de tels déséquilibres, il est généralement admis que le prélèvement doit être limité aux biens indivis dont la valeur correspond précisément à la somme avancée par le solvens. Cette restriction, bien qu’évidente en droit, impose une rigueur dans l’exécution du prélèvement pour garantir une répartition équitable des biens lors de la liquidation de l’indivision.

==>Moment de l’exercice du droit de prélèvement

Le droit de prélèvement s’exerce exclusivement lors du partage, c’est-à-dire au moment de la liquidation définitive de l’indivision.

Contrairement aux créanciers de l’indivision mentionnés à l’article 815-17, alinéa 1, qui bénéficient d’un privilège d’antériorité pour être désintéressés sur l’actif avant le partage, le solvens ne peut réclamer un remboursement anticipé.

Cette règle garantit que les créanciers prioritaires soient désintéressés avant que le solvens ne puisse exercer son droit de prélèvement.

En cantonnant le prélèvement au moment du partage, la loi évite tout déséquilibre entre les droits des créanciers et ceux des coïndivisaires.

Elle protège également la stabilité de la masse indivise en préservant l’intégrité des biens indivis jusqu’à leur liquidation.