Attribution préférentielle: conditions

L’attribution préférentielle constitue une exception à la règle du partage égalitaire des biens indivis. Codifiée aux articles 831 et suivants du Code civil, elle permet à un indivisaire d’obtenir, par priorité, la propriété exclusive de certains biens, en contrepartie d’une compensation financière éventuelle sous forme de soulte. Ce mécanisme, destiné à éviter les aléas du tirage au sort ou les conséquences d’un partage matériel inadapté, répond à un objectif de continuité patrimoniale et de préservation de certains intérêts essentiels.

Toutefois, cette faculté n’est ni automatique ni absolue : elle est soumise à des conditions strictes, tant en ce qui concerne la nature des biens susceptibles d’en faire l’objet que la qualité du demandeur. Ainsi, l’attribution préférentielle ne peut être sollicitée que pour des biens présentant un intérêt particulier, tels que la résidence principale du conjoint survivant, une exploitation agricole, un fonds de commerce ou encore un local professionnel indispensable à l’exercice d’une activité.

Outre ces critères objectifs, la loi impose une appréciation rigoureuse des circonstances entourant la demande, afin d’éviter tout détournement de ce mécanisme à des fins purement patrimoniales. Dès lors, l’octroi de l’attribution préférentielle suppose la réunion de conditions précises, dont la justification repose à la fois sur des considérations économiques, professionnelles et familiales.

A) Conditions relatives aux biens

L’attribution préférentielle, telle qu’organisée par les articles 831 et suivants du Code civil, vise à assurer la stabilité économique et patrimoniale en permettant à certains indivisaires d’obtenir la propriété exclusive de biens répondant à des besoins professionnels, familiaux ou agricoles. D’abord instaurée dans une perspective essentiellement agricole, afin de favoriser la transmission des petites et moyennes exploitations familiales, elle a progressivement été étendue à d’autres catégories de biens considérées comme essentielles à la pérennité économique et sociale du copartageant demandeur.

Aujourd’hui, le législateur a dressé une liste limitative des biens pouvant faire l’objet d’une attribution préférentielle. Ce dispositif permet ainsi d’assurer, au profit du demandeur, la propriété exclusive de certains biens répondant à des impératifs économiques, professionnels ou résidentiels, dès lors qu’ils sont jugés indispensables à l’exercice d’une activité ou au maintien d’un cadre de vie stable. Tous les biens qui ne figurent pas dans cette liste relèvent du droit commun du partage et ne peuvent être attribués par préférence à l’un des indivisaires, quelles que soient les circonstances de la cause.

L’analyse des textes applicables et de la jurisprudence permet de regrouper ces biens en fonction de deux critères : la nature du bien (immeubles, mobiliers, droits sociaux) et sa destination (résidentielle, professionnelle ou agricole). Ce classement met en lumière la logique sous-jacente à ce mécanisme : assurer la conservation des biens présentant une affectation particulière et éviter leur dispersion en cas de partage successoral ou d’indivision post-communautaire.

1. Les biens liés à l’habitat familial

Les règles encadrant l’attribution préférentielle confèrent une protection particulière au logement occupé par le conjoint survivant ou un héritier copropriétaire, garantissant ainsi la préservation du cadre de vie du demandeur et la continuité de ses conditions d’existence. Cette prérogative, prévue à l’article 831-2, 1° du Code civil, vise à éviter qu’un indivisaire ayant résidé durablement dans un bien indivis ne se retrouve contraint d’en quitter les lieux à la suite du partage.

Il ressort de la jurisprudence que cette protection ne s’étend qu’à la résidence principale du demandeur, à l’exclusion des résidences secondaires ou des locaux occupés de manière occasionnelle. Elle peut s’accompagner de l’attribution des meubles meublants garnissant le bien, ainsi que du véhicule du défunt, à condition que celui-ci soit nécessaire aux besoins de la vie courante.

a. La propriété ou le droit au bail du logement familial

L’attribution préférentielle du logement familial permet au conjoint survivant ou à l’héritier copropriétaire de se voir attribuer, par voie de partage, soit la pleine propriété du bien, soit le droit au bail y afférent, afin de garantir la continuité de ses conditions d’existence. Cette prérogative, consacrée par l’article 831-2, 1° du Code civil, repose sur l’idée que le maintien du bénéficiaire dans son cadre de vie habituel est un impératif supérieur, justifiant qu’il soit préféré aux autres indivisaires lors du partage.

La distinction entre propriété et droit au bail revêt une importance déterminante, l’attribution préférentielle ne pouvant porter que sur le titre juridique détenu par le défunt au jour du décès. Selon que l’immeuble était détenu en indivision ou loué par le défunt, les conséquences de l’attribution préférentielle seront radicalement différentes.

i. L’attribution préférentielle de la propriété du logement familial

==>Principe

L’attribution préférentielle permet à un indivisaire de devenir propriétaire exclusif du logement familial, sous réserve du paiement d’une éventuelle soulte si la valeur du bien excède ses droits dans l’indivision (art. 831-2, 1 C. civ.).

Lorsque le bien convoité appartient en pleine propriété à l’indivision successorale, l’attribution préférentielle permet au bénéficiaire d’échapper aux aléas du partage en obtenant un droit exclusif sur le logement familial. Il se substitue aux autres indivisaires et devient pleinement propriétaire du bien, ce qui lui confère :

  • Un droit d’usage et de disposition exclusif, lui permettant d’occuper, de louer ou de vendre le bien sans l’accord des autres indivisaires ;
  • L’obligation d’assumer toutes les charges afférentes à l’entretien et à la conservation du bien ;
  • Une obligation éventuelle de verser une soulte aux autres indivisaires si la valeur du bien attribué dépasse ses droits dans la succession.

L’attribution préférentielle poursuit un objectif de stabilité familiale et patrimoniale. Il s’agit d’éviter que le conjoint survivant ou un héritier copropriétaire ne soit contraint de quitter brutalement un logement qu’il occupait déjà de manière effective.

Si l’attribution préférentielle garantit une protection renforcée, elle n’est cependant pas automatique. Le législateur a posé une exigence stricte d’occupation effective du logement par le demandeur, condition sine qua non du bénéfice de ce mécanisme.

Ainsi, la loi ne vise pas un simple bien à usage d’habitation, mais exige que le demandeur y ait eu sa résidence à l’époque du décès et que le logement « lui serve effectivement d’habitation » (art. 831-2, 1° C. civ.).

La Cour de cassation a rappelé cette exigence dans un arrêt du 1er juillet 1997, écartant toute possibilité d’attribution préférentielle pour une résidence secondaire ou un bien dans lequel le demandeur ne faisait que des séjours occasionnels (Cass. 1ère civ., 1er juill. 1997, n°95-12.263). Cette solution est conforme à la finalité de l’institution : assurer la continuité du cadre de vie, et non conférer un avantage patrimonial qui serait déconnecté de toute nécessité d’usage.

Dès lors, seul le logement occupé à titre principal par le demandeur peut faire l’objet d’une attribution préférentielle, à l’exclusion des résidences secondaires, des biens vacants ou des locaux utilisés de manière intermittente. Cette exigence est d’autant plus stricte que l’attribution préférentielle constitue une modalité particulière de partage, impliquant un dessaisissement forcé des autres indivisaires. Il appartient dès lors au juge d’exercer une appréciation rigoureuse des conditions d’habitation du demandeur afin de ne pas dénaturer le mécanisme.

Toutefois, l’impératif de préservation du logement familial trouve son expression la plus aboutie lorsque le conjoint survivant est concerné. La protection qui lui est conférée s’exerce avec une particulière intensité, puisque l’article 831-3 du Code civil lui accorde un droit d’attribution préférentielle de plein droit : « l’attribution préférentielle visée au 1° de l’article 831-2 est de droit pour le conjoint survivant. »

Il en résulte que le juge ne peut refuser l’attribution préférentielle au conjoint survivant, sauf si celui-ci y renonce expressément. Ce droit automatique traduit la volonté du législateur de préserver l’équilibre familial et la sécurité du conjoint après le décès du de cujus.

À l’inverse, pour les héritiers autres que le conjoint survivant, l’attribution préférentielle demeure facultative. Elle ne peut être accordée que s’ils justifient d’un besoin légitime d’occupation et d’une continuité d’usage avérée du bien. Cette distinction reflète l’approche différenciée retenue par le législateur, qui réserve aux époux un régime protecteur renforcé, tout en maintenant une certaine souplesse pour les autres cohéritiers.

==>Limites

Si l’attribution préférentielle constitue une modalité protectrice du partage successoral, elle ne saurait pour autant être détournée à des fins d’éviction des autres indivisaires ou de captation abusive du patrimoine. Dès lors, la jurisprudence a institué trois principales limites à son exercice :

  • Première limite
    • L’attribution préférentielle ne peut porter que sur le logement familial et ne s’étend pas aux autres locaux situés dans le même immeuble, sauf s’ils sont indissociables du logement.
    • Ainsi, un immeuble comprenant plusieurs parties distinctes, notamment des locaux commerciaux, professionnels ou indépendants, ne peut être attribué en totalité, sauf si ces locaux forment un tout indivisible (Cass. 1ère civ. 1er mars 1988, n°86-13.110).
    • Pour exemple, un héritier occupant un appartement dans un immeuble comprenant également des bureaux et des commerces ne pourra obtenir l’attribution de l’ensemble du bien que s’il prouve l’impossibilité de dissocier les espaces sans compromettre l’intégrité de l’immeuble. À défaut, seul le logement occupé sera attribué, les autres locaux étant soumis aux règles classiques du partage successoral.
    • Cette limitation s’applique également aux annexes et dépendances (garage, cave, jardin), qui ne peuvent être comprises dans l’attribution que si elles sont strictement nécessaires à l’usage normal du bien principal. Une analyse au cas par cas est requise pour apprécier si ces éléments sont accessoires ou détachables du logement.
  • Deuxième limite
    • L’attribution préférentielle ne peut être sollicitée que sur un bien relevant intégralement de l’indivision successorale.
    • Dès lors, si le bien est détenu en indivision avec un tiers extérieur à la succession, l’attribution préférentielle devient impossible.
    • Dans une affaire où un immeuble appartenait pour partie aux héritiers et pour partie à une société tierce, la Cour de cassation a refusé l’attribution préférentielle, considérant que le bien ne faisait pas intégralement partie du patrimoine successoral (Cass. 1ère civ. 15 janv. 2014, n°12-25.322 et 12-26.460).
    • Cette restriction découle du principe selon lequel l’attribution préférentielle est une modalité du partage successoral, lequel suppose une répartition des biens entre cohéritiers. Il n’est pas possible d’imposer à un tiers une cession forcée de ses droits dans l’indivision.
    • Ainsi, lorsqu’un bien est détenu en indivision avec une personne étrangère à la succession, l’attribution préférentielle ne peut être exercée que si le demandeur parvient à acquérir la quote-part du tiers par voie amiable. À défaut, le bien demeure soumis au régime de l’indivision classique et doit être partagé conformément aux règles ordinaires.
  • Troisième limite
    • L’attribution préférentielle ne doit pas être confondue avec un simple droit d’occupation. 
    • Un indivisaire ne peut pas demander l’attribution préférentielle sous la forme d’un bail sur le bien indivis, en tentant d’en éviter les charges afférentes.
    • Ainsi, un héritier ne saurait réclamer une simple jouissance du logement en demandant à se voir attribuer un bail au lieu d’en devenir propriétaire.
    • La raison en est que l’attribution préférentielle constitue une modalité de partage successoral. Elle implique que l’attributaire devienne pleinement propriétaire du bien concerné et en assume les charges patrimoniales.
    • Or, si le logement familial fait partie de l’indivision successorale en pleine propriété, un indivisaire ne peut pas contourner ce mécanisme en sollicitant un simple bail sur le bien indivis au lieu d’en devenir propriétaire.

ii. L’attribution préférentielle du droit au bail du logement familial

Lorsqu’un logement familial ne relève pas de l’actif successoral en pleine propriété mais repose sur un contrat de bail, l’attribution préférentielle ne porte pas sur la propriété du bien, mais sur le droit locatif qui y est attaché.

Ce mécanisme a pour finalité d’assurer la continuité de l’occupation du logement familial, en évitant que le décès du preneur ne conduise à l’éviction du conjoint survivant ou de l’héritier occupant. Il s’inscrit ainsi dans la même logique de protection que l’attribution préférentielle de la propriété du logement, tout en répondant aux spécificités du régime locatif.

Toutefois, l’attribution préférentielle du droit au bail obéit à des règles distinctes et demeure encadrée par des principes stricts afin de garantir l’équilibre du partage successoral et d’éviter tout détournement du mécanisme à des fins de captation du patrimoine.

==>Principe

L’article 1742 du Code civil prévoit que « le contrat de louage n’est point résolu par la mort du bailleur ni par celle du preneur. »

Il ressort de cette disposition que le décès du preneur n’entraîne pas l’extinction automatique du bail, qui se poursuit de plein droit au bénéfice de ses héritiers. Toutefois, cette transmission successorale du bail ne signifie pas que l’ensemble des héritiers deviennent cotitulaires du bail de manière indifférenciée. Il appartient en effet à ceux qui souhaitent conserver le logement d’en solliciter l’attribution préférentielle, afin de bénéficier d’un droit exclusif sur le bien locatif.

Toutefois, les modalités de cette transmission varient selon la situation juridique du logement et la qualité des personnes concernées.

En effet, l’attribution préférentielle du droit au bail n’est pas automatique : elle doit être demandée par l’un des héritiers ou par le conjoint survivant, et son octroi est conditionné à la démonstration d’un intérêt légitime à se maintenir dans les lieux.

Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Le défunt était le seul preneur du bail
    • Dans cette configuration, le droit au bail entre dans l’actif successoral et peut faire l’objet d’une demande d’attribution préférentielle au profit d’un héritier ou du conjoint survivant.
    • Celui qui sollicite l’attribution doit démontrer :
      • Qu’il résidait effectivement dans le logement au moment du décès,
      • Que cette occupation présente un caractère stable et permanent,
      • Qu’il dispose d’un intérêt légitime à s’y maintenir, notamment en raison de l’absence d’autre solution d’hébergement ou de son attachement particulier au bien.
    • L’octroi de l’attribution préférentielle dans ce cadre ne constitue pas un droit absolu et reste soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond, qui examinent les circonstances de chaque espèce.
  • Le défunt et son conjoint étaient cotitulaires du bail
    • Lorsque le bail était consenti au nom des deux époux, la situation est radicalement différente : dans ce cas, le conjoint survivant bénéficie de plein droit du bail, sans qu’il ait besoin d’invoquer l’attribution préférentielle.
    • Ce principe découle de l’article 1751 du Code civil, qui dispose que « le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux est réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux. En cas de décès de l’un des époux, le conjoint survivant cotitulaire du bail dispose d’un droit exclusif sur celui-ci, sauf s’il y renonce expressément. »
    • Ainsi, dans cette hypothèse, le droit au bail n’entre pas dans l’actif successoral, mais est automatiquement transféré au conjoint survivant, qui en devient l’unique titulaire sans qu’aucune démarche supplémentaire ne soit requise.

==>Limites

Si l’attribution préférentielle du droit au bail constitue un mécanisme essentiel de protection du cadre de vie du conjoint survivant ou de l’héritier copropriétaire, elle ne saurait être exercée sans restriction. Plusieurs limites viennent encadrer son application, afin de préserver l’équilibre du partage successoral et d’éviter toute captation abusive du bien concerné.

  • Première limite
    • Contrairement au conjoint marié ou au partenaire pacsé, qui bénéficient d’un droit exclusif sur le bail en vertu de l’article 1751 du Code civil, le concubin survivant ne dispose d’aucun droit automatique à la poursuite du bail du défunt.
    • Ainsi, à défaut de cotitularité expresse du contrat de bail ou d’une clause spécifique de transmission au profit du survivant, le concubin doit impérativement formuler une demande d’attribution préférentielle, laquelle demeure soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond.
    • Toutefois, en pratique, la jurisprudence se montre particulièrement rigoureuse et rechigne à conférer au concubin un statut équivalent à celui du conjoint survivant. 
    • L’attribution préférentielle ne peut être accordée qu’en présence de circonstances exceptionnelles, et ne saurait pallier l’absence de protection légale spécifique des concubins en matière successorale.
  • Deuxième limite
    • L’attribution préférentielle repose sur l’idée que les biens successoraux doivent être répartis entre les seuls cohéritiers.
    • Dès lors, lorsque la propriété du logement familial est détenue en indivision avec un tiers extérieur à la succession, l’attribution préférentielle devient inopérante.
    • Dans une telle hypothèse, l’attribution du droit au bail reviendrait à imposer au tiers propriétaire une cession forcée de ses droits, ce qui est contraire aux principes fondamentaux du droit des biens et de l’indivision.
    • La Cour de cassation, dans un arrêt du 15 janvier 2014 a expressément écarté l’attribution préférentielle du droit au bail dans une affaire où un bien indivis était détenu à la fois par les héritiers et une société tierce (Cass. 1ère civ. 15 janv. 2014, n°12-25.322 et 12-26.460).
    • La Haute juridiction a rappelé que l’attribution préférentielle suppose que le bien convoité appartienne exclusivement aux cohéritiers, et qu’elle ne saurait être utilisée pour contourner les droits d’un tiers copropriétaire.

En définitive, l’attribution préférentielle ne peut être invoquée que pour répondre à un besoin légitime d’occupation, et non dans le but de conférer à un héritier un avantage patrimonial excessif au détriment des autres indivisaires.

Ainsi, un demandeur ne saurait détourner ce mécanisme pour se ménager une jouissance gratuite du bien, ou pour évincer ses cohéritiers en bénéficiant d’un droit exclusif d’occupation sans en assumer les charges correspondantes.

L’attribution préférentielle ne doit pas altérer l’équilibre du partage successoral, ni aboutir à une captation abusive du patrimoine successoral sous couvert de protection du logement familial. Elle constitue une prérogative d’exception, dont l’octroi est soumis à une appréciation rigoureuse des juges, soucieux de garantir une répartition équitable des droits successoraux.

b. L’extension aux meubles meublants et au véhicule du défunt

L’attribution préférentielle ne se limite pas au logement familial lui-même. Elle s’étend, sous certaines conditions, aux éléments matériels qui le composent, en particulier aux meubles meublants qui le garnissent et au véhicule du défunt. Ces extensions, désormais consacrées par la loi, visent à garantir la continuité des conditions d’existence du conjoint survivant ou de l’héritier attributaire. Toutefois, ce droit demeure encadré et ne saurait s’appliquer de manière indifférenciée à l’ensemble des biens mobiliers de la succession.

==>L’attribution préférentielle des meubles meublants

L’attribution préférentielle des meubles meublants repose sur une idée fondamentale : assurer au bénéficiaire du logement familial un cadre de vie cohérent et fonctionnel. En ce sens, l’article 831-2, 1° du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle du logement emporte également celle des meubles qui le garnissent.

Cette extension vise à prévenir le risque de démantèlement du cadre de vie de l’attributaire. Sans cette disposition, l’attribution préférentielle du logement pourrait se révéler inopérante si l’attributaire devait se voir privé des meubles nécessaires à son usage. La loi garantit ainsi une occupation du bien dans des conditions normales, en préservant l’harmonie matérielle du lieu de vie.

Toutefois, l’attribution préférentielle des meubles meublants demeure strictement encadrée. Ne peuvent en bénéficier que les biens qui sont effectivement destinés à garnir le logement familial. À ce titre, la jurisprudence a exclu certains objets qui, bien que présents dans le logement, ne sauraient être assimilés à des meubles meublants au sens de la loi.

Sont ainsi exclus du champ de l’attribution préférentielle :

  • Les instruments professionnels, qui ne relèvent pas d’un usage strictement domestique et ne participent pas au confort quotidien du logement ;
  • Les souvenirs de famille, souvent dotés d’une valeur sentimentale ou patrimoniale particulière, qui sont, en principe, destinés à être partagés entre les héritiers du sang.

Avant l’adoption de la loi du 3 décembre 2001, la jurisprudence refusait d’admettre l’attribution préférentielle des meubles meublants, faute de base légale expresse (CA Paris, 4 nov. 1969). Cette incertitude a été levée par l’intervention du législateur, qui a conféré une assise juridique incontestable à cette possibilité.

Désormais, l’attribution préférentielle des meubles meublants constitue une prérogative pleinement reconnue, permettant à l’attributaire du logement familial d’en conserver l’ameublement nécessaire à une occupation effective et immédiate.

==>L’attribution préférentielle du véhicule du défunt

Si l’attribution préférentielle des meubles meublants était devenue une évidence, celle du véhicule du défunt a longtemps été sujette à controverse. Pendant de nombreuses années, la jurisprudence adoptait une position stricte et refusait l’attribution préférentielle des véhicules, au motif qu’ils ne pouvaient être assimilés aux meubles meublants. Il en résultait des situations parfois inéquitables, privant un conjoint survivant ou un héritier d’un bien pourtant essentiel à sa vie quotidienne (CA Paris, 21 mai 2008, n° 07/11591).

Cette difficulté a été résolue par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, qui a explicitement étendu l’attribution préférentielle aux véhicules du défunt, à condition qu’ils soient nécessaires aux besoins de la vie courante.

Cette exigence de nécessité a pour objet d’éviter que l’attribution préférentielle du véhicule ne devienne un simple avantage patrimonial. Il ne s’agit pas de permettre au conjoint ou à l’héritier d’obtenir un bien de valeur sans justification particulière, mais bien de garantir son autonomie et son maintien dans des conditions de vie habituelles.

Dès lors, plusieurs restrictions s’imposent :

  • L’attribution préférentielle ne pourra être demandée pour un véhicule de collection ou un bien de luxe, dont l’usage ne correspond pas à un besoin quotidien ;
  • La nécessité de l’usage devra être démontrée par le demandeur, notamment en l’absence de solutions alternatives (modes de transport accessibles, proximité des services essentiels, situation de handicap, etc.).

Cette évolution législative consacre une approche pragmatique de l’attribution préférentielle. En reconnaissant que la protection du cadre de vie ne saurait se limiter aux seuls biens immobiliers, le législateur a voulu intégrer à ce dispositif les éléments matériels indispensables à la vie quotidienne.

L’attribution préférentielle du véhicule illustre ainsi l’évolution du droit successoral vers une prise en compte plus fine des besoins des copartageants. Elle garantit au conjoint survivant ou à l’héritier demandeur la possibilité de conserver un bien qui, dans de nombreuses situations, conditionne l’exercice d’une activité professionnelle ou la simple continuité des déplacements nécessaires à la vie courante.

2. Les biens liés à une activité professionnelle

2.1 L’attribution préférentielle des entreprises commerciales, industrielles, artisanales ou libérales

a. Énoncé du principe

L’attribution préférentielle, initialement conçue comme un instrument de préservation des exploitations agricoles face aux aléas du partage successoral, a connu une transformation majeure au fil du temps. Ce mécanisme, autrefois circonscrit à la transmission des patrimoines ruraux, a progressivement étendu son champ d’application aux entreprises de toute nature, répondant ainsi aux impératifs contemporains de pérennité économique et de stabilité entrepreneuriale.

Ce mouvement d’expansion a culminé avec la réforme opérée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, qui a consacré un régime simplifié et plus accessible à l’attribution préférentielle des entreprises, désormais régie par l’article 831 du Code civil.

L’attribution préférentielle trouve son origine dans la nécessité d’éviter le morcellement des exploitations agricoles au moment du partage successoral. Cette préoccupation, profondément ancrée dans la tradition juridique française, s’est traduite dans l’ancien article 832 du Code civil, qui encadrait strictement l’octroi de cette faveur successorale.

Lorsqu’en 1961, la faculté d’attribution préférentielle fut étendue aux entreprises commerciales, industrielles et artisanales, celles-ci furent assimilées aux exploitations agricoles et soumises aux mêmes critères restrictifs. Elles devaient ainsi répondre simultanément à trois conditions:

  • Une existence réelle, impliquant une activité économique tangible et identifiable ;
  • L’unité économique, c’est-à-dire une cohérence structurelle et une interdépendance entre les éléments composant l’entreprise ;
  • Le caractère familial, condition introduite en 1982 pour réserver l’attribution préférentielle aux héritiers ayant un lien direct avec l’activité, excluant ainsi les entreprises de grande envergure ou purement patrimoniales.

Cependant, ces critères restrictifs se sont révélés inadaptés aux réalités économiques contemporaines, marquées par:

  • L’éclatement des activités économiques, avec des entreprises fonctionnant en réseau ou réparties entre plusieurs entités juridiques ;
  • La diversité des structures entrepreneuriales, souvent constituées sous forme de sociétés à capital dispersé, parfois avec des actionnaires non familiaux.

En conséquence, ces conditions ont engendré un contentieux abondant, notamment sur la notion d’unité économique, que la Cour de cassation a longtemps considéré comme une question de fait laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. 1ère civ., 10 mai 2007, n°05-20.177). Toutefois, face aux divergences jurisprudentielles, elle a progressivement renforcé son contrôle de légalité, censurant certaines décisions pour violation de la loi ou manque de base légale (Cass. 1re civ., 18 mai 2005, n°02-13.502).

Conscient des difficultés d’application de l’ancien régime, le législateur a procédé, par la loi du 23 juin 2006, à une simplification et une généralisation du dispositif d’attribution préférentielle. L’article 831 du Code civil, dans sa rédaction actuelle, dispose que « toute entreprise, agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, peut faire l’objet d’une attribution préférentielle au profit d’un héritier. S’il y a lieu, la demande d’attribution préférentielle peut porter sur des droits sociaux, sans préjudice de l’application des dispositions légales ou des clauses statutaires sur la continuation d’une société avec le conjoint survivant ou un ou plusieurs héritiers. »

Ce texte marque une rupture avec les anciennes contraintes en supprimant deux critères qui avaient complexifié la mise en œuvre du dispositif :

  • L’exigence d’unité économique, qui était source de contentieux et dont l’interprétation variait selon les juges du fond ;
  • L’exigence du caractère familial, qui limitait l’accès à l’attribution préférentielle aux seules entreprises à dimension familiale, excluant de facto certaines structures plus complexes.

Désormais, seules deux conditions sont requises pour qu’une entreprise puisse faire l’objet d’une attribution préférentielle :

  • Une consistance matérielle et juridique suffisante, ce qui signifie que l’entreprise doit être constituée d’éléments permettant une exploitation effective et identifiable ;
  • Son inclusion dans l’indivision successorale, ce qui exclut les biens ou droits sociaux qui ne feraient pas partie du patrimoine du défunt.

Ainsi, peu importe la taille de l’entreprise, sa structure juridique ou son mode d’exploitation :

  • Un cabinet libéral (avocat, médecin, expert-comptable) est éligible à l’attribution préférentielle, au même titre qu’un fonds de commerce ou un atelier artisanal ;
  • Les parts sociales d’une société peuvent être attribuées préférentiellement, sous réserve du respect des statuts et des clauses du pacte social (article 831, alinéa 2 du Code civil).

En revanche, certaines limites demeurent :

  • Un bail commercial ou un bail professionnel pris par le défunt ne peut être attribué préférentiellement, sauf s’il constitue un élément accessoire d’un fonds de commerce transmis dans son ensemble ;
  • Les droits sociaux sont soumis aux clauses statutaires et aux règles légales sur la transmission des parts (agrément des associés, préemption…).

b. Conditions d’application

L’attribution préférentielle d’une entreprise dans le cadre d’une succession repose sur une conciliation délicate entre la nécessité d’assurer la pérennité de l’activité économique et le respect des droits successoraux des cohéritiers. Ce mécanisme, qui permet à un héritier de se voir attribuer une entreprise issue de l’indivision, moyennant le cas échéant le versement d’une soulte, demeure étroitement encadré par la loi.

Sa mise en œuvre répond ainsi à deux exigences principales:

  • Des conditions matérielles, tenant à l’existence même de l’entreprise et à sa consistance économique ;
  • Des conditions juridiques, qui encadrent la transmission du bien et garantissent l’équilibre des droits entre les héritiers.

Loin d’être un simple privilège, l’attribution préférentielle s’inscrit donc dans une logique de préservation du tissu économique, tout en veillant à éviter toute atteinte aux principes fondamentaux du partage successoral.

i. Les conditions matérielles

L’attribution préférentielle d’une entreprise dans le cadre d’un partage ne se réduit pas à la simple transmission d’un bien. Elle obéit à des exigences matérielles précises, destinées à garantir que l’activité concernée constitue une entité économique viable et exploitable. Loin d’être un droit automatique, cette faculté, consacrée par l’article 831 du Code civil, ne peut être mise en œuvre qu’à certaines conditions strictes, dont l’appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Ainsi, l’entreprise concernée ne saurait se résumer à un actif patrimonial isolé. Elle doit s’inscrire dans un cadre structuré, combinant des moyens matériels et humains autour d’une activité économique réelle. L’attribution préférentielle n’a pas pour objet de permettre l’appropriation d’éléments épars, mais bien d’assurer la continuité d’une exploitation cohérente, apte à être poursuivie sans discontinuité par l’héritier attributaire.

==>Une entreprise devant exister et être immédiatement exploitable

L’attribution préférentielle d’une entreprise suppose son existence effective au moment du partage. Il ne suffit pas qu’un bien présente une simple vocation professionnelle : encore faut-il qu’il soit actuellement exploité ou immédiatement exploitable.

Cette exigence découle directement de l’article 831 du Code civil, qui encadre l’attribution préférentielle dans une logique de pérennisation des outils de production et non de simple transfert patrimonial. L’objectif est ainsi de favoriser la continuité des entreprises existantes, en évitant leur démantèlement dans le cadre du partage successoral. La jurisprudence veille rigoureusement à cette exigence et rappelle que l’attribution préférentielle ne saurait être accordée si l’entreprise ne présente pas une réalité économique tangible (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-20.177).

Dès lors, plusieurs situations sont exclues du champ de l’attribution préférentielle :

  • Un stock de marchandises isolé, qui ne saurait à lui seul constituer une entreprise en l’absence d’une structure organisationnelle cohérente et d’une clientèle attachée. La jurisprudence rappelle que l’attribution ne peut porter sur des actifs économiques dissociés d’une activité en cours (Cass. 1re civ., 13 déc. 1994, n° 93-10.875).
  • Un local commercial vacant ou un atelier artisanal désaffecté, sauf à démontrer l’existence de démarches concrètes et sérieuses attestant d’une reprise d’activité imminente (Cass. 1re civ., 16 juin 1993, n° 91-19.812). L’héritier doit ainsi prouver que l’entreprise dispose des éléments nécessaires à son exploitation effective et que son activité peut être immédiatement relancée.
  • Un cabinet libéral dont l’activité aurait cessé, si aucune preuve ne vient établir que la patientèle ou la clientèle demeure rattachée à la structure et que la reprise est effective. La raison en est que l’exercice d’une profession libérale repose sur une relation de confiance qui ne saurait être maintenue en l’absence d’activité continue.

Ainsi, le juge apprécie souverainement si l’entreprise dispose encore d’une activité viable et exploitable. Il s’assure que l’attribution préférentielle ne devienne pas un simple levier patrimonial, permettant à un héritier de capter un actif professionnel sur la seule foi d’un projet incertain.

Cette rigueur se justifie par la finalité même de l’attribution préférentielle : elle ne doit pas être détournée de son objet pour devenir un instrument d’appropriation patrimoniale, mais bien un levier de continuité économique.

La doctrine souligne ainsi que « l’attribution préférentielle repose sur la nécessité d’assurer la transmission d’une activité et non d’un simple patrimoine ». Dans cette logique, l’article 831 du Code civil ne permet l’attribution que si l’exploitation de l’entreprise est assurée, excluant ainsi toute opération de spéculation sur un bien professionnel inactif.

En conséquence, si le demandeur ne peut justifier d’une exploitation en cours ou d’une capacité immédiate de reprise, l’attribution préférentielle ne saurait lui être accordée. La jurisprudence veille à ce que ce mécanisme demeure un outil de transmission d’une activité effective et non une simple opportunité patrimoniale.

Ainsi, l’entreprise doit non seulement exister, mais être immédiatement exploitable pour permettre une transmission effective et pérenne. Toute demande ne respectant pas cette exigence est rejetée par les tribunaux, qui veillent à préserver l’esprit du dispositif successoral, garant de la transmission des entreprises familiales et de la continuité des activités économiques.

==>Une entreprise formant un ensemble structuré et cohérent

L’attribution préférentielle d’une entreprise suppose qu’elle constitue une entité économique fonctionnelle, articulée autour de moyens matériels, humains et économiques interdépendants. Loin de se réduire à une simple juxtaposition d’actifs, l’entreprise doit former un ensemble homogène et viable, propre à assurer la continuité de l’activité.

Si la réforme de 2006 a supprimé l’exigence formelle d’unité économique, cette notion demeure un critère sous-jacent pour apprécier la consistance réelle de l’exploitation. La Cour de cassation l’a rappelé en affirmant que l’entreprise doit être dotée de la cohérence suffisante pour constituer une entité économique identifiable et exploitable, condition sine qua non de l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 05-20.177).

Aussi, pour faire l’objet d’une attribution préférentielle, l’entreprise doit-elle comprendre:

  • Un local d’exploitation, servant de siège à l’activité (boutique, atelier, cabinet, bureau professionnel…) ;
  • Des moyens matériels indispensables (équipements, stocks, outillage, mobilier, logiciels professionnels…) ;
  • Une clientèle ou une patientèle, élément essentiel pour les professions libérales, où la pérennité de l’activité repose sur une relation de confiance avec la clientèle.

L’attribution préférentielle peut donc s’étendre à l’ensemble des éléments constituant l’exploitation, dès lors qu’ils participent directement à son activité. Autrement dit, elle doit inclure tous les biens nécessaires au maintien de l’entreprise dans son intégrité et son exploitation normale.

À l’inverse, l’attribution préférentielle ne saurait être utilisée comme un simple levier patrimonial pour obtenir certains biens indépendamment de l’exploitation effective d’une entreprise. Ainsi, ne peuvent être qualifiés d’entreprises et exclus du champ de l’attribution :

  • Un immeuble commercial sans fonds de commerce attaché, dans la mesure où il ne participe pas directement à une activité économique (Cass. 1re civ., 28 mai 1991, n° 89-17.292) ;
  • Des éléments d’actif isolés, comme un stock de marchandises dépourvu d’une organisation commerciale effective ou un local d’exploitation sans clientèle, qui ne sauraient constituer à eux seuls une entité économique viable.

La doctrine s’accorde à reconnaître que l’attribution préférentielle suppose l’existence d’une entreprise véritablement en activité, regroupant l’ensemble des éléments nécessaires à son exploitation effective. Elle ne peut porter sur un simple ensemble d’actifs épars, dépourvu de toute cohérence économique et organisationnelle. L’entreprise doit ainsi constituer une entité fonctionnelle, capable d’assurer la poursuite immédiate de son activité sans nécessiter de reconstitution artificielle.

Ainsi, Jean Prieur souligne que « la finalité de l’attribution préférentielle est d’assurer la transmission des outils de production en évitant leur dispersion, mais sans conférer à un héritier un avantage économique indépendant d’une logique d’exploitation ».

Dans le même sens, Michel Grimaldi relève que « l’exclusion des actifs patrimoniaux isolés vise à préserver l’esprit du mécanisme successoral, en évitant que l’attribution préférentielle ne soit détournée de sa vocation économique au profit d’un simple effet de concentration patrimoniale ».

Ainsi, si l’unité économique n’est plus une condition formelle, son absence peut néanmoins constituer un motif de rejet de la demande d’attribution préférentielle par le juge, dès lors que l’ensemble revendiqué ne présente pas les caractéristiques d’une exploitation autonome et pérenne.

==>L’absence d’exigence de rentabilité ou de productivité

Si l’entreprise doit être immédiatement exploitable, sa rentabilité ou sa productivité ne constitue pas une condition de l’attribution préférentielle. Il serait en effet contraire à l’esprit de l’article 831 du Code civil d’exiger qu’une entreprise soit florissante au moment du partage, dès lors qu’elle demeure viable et que ses moyens d’exploitation sont préservés.

La Cour de cassation a consacré cette approche en affirmant que les difficultés économiques d’une entreprise ne sauraient, à elles seules, faire obstacle à son attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 28 janv. 1997, n° 95-15.003). Cette jurisprudence protège ainsi la continuité des outils de production, en permettant à un héritier de reprendre une exploitation même en période de transition ou de fragilité financière.

Dès lors, il est admis qu’une attribution préférentielle puisse être sollicitée pour une entreprise:

  • Confrontée à des difficultés passagères, dès lors que l’activité demeure réelle et que l’exploitation n’est pas abandonnée ;
  • Engagée dans une phase de restructuration, lorsque l’héritier attributaire projette une modernisation ou une adaptation du modèle économique ;
  • Temporairement déficitaire, à condition que les moyens matériels et humains nécessaires à son exploitation soient préservés et que la clientèle ne soit pas irrémédiablement éteinte.

La doctrine abonde en ce sens, soulignant que l’objectif du mécanisme n’est pas d’attribuer une entreprise en raison de sa performance immédiate, mais bien de garantir sa transmission et d’assurer la pérennité de son activité.

En définitive, ce qui importe n’est pas tant l’état financier de l’entreprise à l’instant du partage, mais sa capacité à être maintenue et développée par l’héritier attributaire. Cette vision dynamique du mécanisme d’attribution préférentielle renforce son rôle de levier économique, en permettant aux héritiers investis dans la gestion d’une activité de la préserver, même lorsqu’elle traverse une phase d’instabilité.

==>Une appréciation au jour du partage

L’existence de l’entreprise et son éligibilité à l’attribution préférentielle s’apprécient à la date du partage, et non à l’ouverture de la succession. Ce principe, désormais bien établi, résulte d’une évolution jurisprudentielle qui a progressivement privilégié une approche pragmatique. La Cour de cassation a ainsi affirmé que l’entreprise doit exister et être exploitable au moment où l’attribution est demandée, et non au seul jour du décès (Cass. 1re civ., 14 mai 1992, n° 90-20.498).

Ce choix répond à un impératif de pérennité de l’exploitation. Il ne s’agit pas de figer la situation successorale à l’instant du décès, mais bien d’évaluer si, au moment du partage, l’entreprise demeure viable et susceptible d’être reprise. Cette approche garantit que l’attribution préférentielle joue son rôle économique en évitant la dispersion des outils de production et en facilitant la transmission des entreprises familiales.

Toutefois, cette souplesse ne saurait être détournée pour permettre des manœuvres artificielles destinées à créer ex nihilo une exploitation dans le seul but d’obtenir l’attribution préférentielle. La jurisprudence a ainsi sanctionné les tentatives de certains héritiers qui, après le décès, avaient cherché à reconstituer artificiellement une entreprise pour satisfaire aux conditions d’éligibilité. La Cour de cassation a censuré ces pratiques dans plusieurs arrêts, considérant notamment que :

  • L’acquisition postérieure de nouveaux éléments d’exploitation ne pouvait être prise en compte pour justifier l’existence de l’entreprise au jour du partage (Cass. 1re civ., 16 juin 1993, n° 91-19.812) ;
  • Une reprise fictive de l’activité, sans éléments tangibles attestant d’une exploitation réelle et effective, ne pouvait suffire à établir le caractère exploitable de l’entreprise.

Ainsi, si la souplesse de l’appréciation au jour du partage permet d’éviter une rigidité excessive, elle ne doit pas ouvrir la porte à des stratégies patrimoniales opportunistes. L’attribution préférentielle demeure avant tout un mécanisme de transmission d’une exploitation existante, et non un outil permettant de capter un bien successoral en invoquant une vocation économique postérieure au décès.

La doctrine s’accorde sur cette exigence de rigueur, rappelant que la finalité du mécanisme est de maintenir l’activité d’une entreprise viable, et non d’en permettre la reconstitution artificielle par l’un des cohéritiers.

En définitive, l’héritier demandant l’attribution préférentielle doit démontrer que l’entreprise existait et pouvait être exploitée sans interruption au moment du partage, garantissant ainsi le respect du principe d’égalité entre cohéritiers et la continuité économique du bien attribué.

ii. Les conditions juridiques

L’attribution préférentielle ne peut s’exercer que sur une entreprise relevant de l’indivision au jour du partage, conformément à l’article 831 du Code civil. Cette exigence vise à garantir que le bien dont l’attribution est sollicitée fait partie de la masse partageable, qu’il s’agisse d’une indivision successorale, d’une indivision conventionnelle ou d’une indivision légale née d’un autre mécanisme.

==>L’exclusion des biens ne relevant pas de l’indivision

L’attribution préférentielle, en ce qu’elle constitue un mécanisme dérogatoire au principe de l’égalité entre co-indivisaires, ne saurait porter que sur des biens relevant effectivement de l’indivision au jour du partage. Cette exigence découle directement de l’article 831 du Code civil, qui cantonne ce droit aux éléments constitutifs du patrimoine indivis, à l’exclusion de ceux qui en sont matériellement ou juridiquement détachés.

Dès lors, ne peut être revendiquée une entreprise dont les actifs relèvent exclusivement d’une propriété individuelle ou d’une entité tierce.

Tel est le cas lorsque:

  • L’exploitation appartient en propre à un tiers (une personne extérieure à l’indivision, qu’il s’agisse d’un associé, d’un co-gérant ou d’un autre exploitant),
  • Les éléments constitutifs de l’activité sont logés au sein d’une entité juridique distincte, notamment lorsqu’ils sont détenus par une société dont les parts ne sont pas indivises.

Ainsi, lorsque l’entreprise est exploitée sous forme de société et que les parts sociales ne figurent pas dans la masse indivise, l’attribution préférentielle ne peut porter que sur la valeur des parts, et non sur les actifs sous-jacents à l’exploitation (Cass. 1re civ., 5 avr. 2005, n° 01-12.810).

A cet égard, l’attribution préférentielle suppose que l’entreprise ait, à un moment donné, fait l’objet d’une détention indivise. Dès lors, un bien qui n’a jamais appartenu à l’indivision ne saurait être attribué préférentiellement à un co-indivisaire.

Cette hypothèse se rencontre notamment lorsque:

  • L’entreprise était la propriété exclusive de l’un des indivisaires avant l’ouverture de la succession ou avant la formation d’une indivision conventionnelle,
  • L’activité a été constituée après le décès ou après la mise en indivision des biens, sur la base d’actifs qui n’étaient pas eux-mêmes indivis.

Dans de tels cas, l’indivisaire qui revendique l’attribution préférentielle ne pourra prétendre qu’à la valeur monétaire de ses droits sur la masse partageable, sans pouvoir revendiquer le bien en nature.

Certains dispositifs confèrent un droit temporaire d’exploitation, mais sans transférer la propriété de l’entreprise elle-même. Or, l’attribution préférentielle ne peut jouer qu’à l’égard des droits réels sur l’entreprise, et non sur de simples prérogatives d’usage ou de gestion.

C’est notamment le cas des contrats de location-gérance, qui permettent à un exploitant d’exercer une activité sous une enseigne préexistante, mais sans lui conférer la propriété du fonds de commerce ou du fonds artisanal. Un héritier ou un co-indivisaire qui exploite une entreprise sous ce régime ne saurait prétendre à son attribution préférentielle, sauf si les éléments matériels (fonds, locaux, équipements) figurent dans la masse indivise.

Ainsi, la seule qualité d’exploitant ne suffit pas à justifier une attribution préférentielle, dès lors que le demandeur ne peut revendiquer aucun droit réel sur les actifs économiques en cause.

S’agissant du droit au bail, il est un élément essentiel de l’exploitation d’une entreprise, en ce qu’il garantit la jouissance des locaux où s’exerce l’activité économique. Toutefois, il ne constitue pas en soi un élément d’entreprise indivise, dès lors qu’il relève d’un régime spécifique de transmission.

Le bail commercial ou le bail professionnel souscrit par le défunt ou par un indivisaire ne confère pas un droit de propriété sur les locaux, mais seulement un droit d’usage et d’exploitation temporaire, encadré par les dispositions protectrices du statut des baux commerciaux.

Par conséquent, l’attribution préférentielle ne saurait porter sur un simple droit au bail, sauf si celui-ci est indissociablement lié à un fonds de commerce ou à une entreprise elle-même indivise. Ainsi, un indivisaire ne pourra pas demander l’attribution d’un local loué, à moins qu’il ne soit partie au bail et que l’exploitation en dépende directement.

==>L’attribution préférentielle d’une entreprise exploitée sous forme sociale

Lorsque l’entreprise est exploitée sous la forme d’une société, l’application du mécanisme d’attribution préférentielle se heurte à la distinction entre la personnalité juridique de la société et celle de ses associés. Consciente de cette particularité, la loi a aménagé un cadre spécifique permettant à un indivisaire de solliciter l’attribution des parts sociales ou actions détenues en indivision, en vertu de l’article 831, alinéa 2 du Code civil.

Toutefois, l’exercice de ce droit demeure soumis à plusieurs restrictions, découlant à la fois de la nature du bien sollicité et des impératifs propres à la gouvernance des sociétés. Ces limites tiennent notamment aux règles statutaires, aux droits des autres associés et aux mécanismes de régulation interne de l’entité concernée.

  • Première restriction
    • Si l’entreprise est exploitée sous forme sociétaire, seuls les droits sociaux relevant de l’indivision peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle. L’attribution ne saurait porter sur l’entreprise elle-même, dès lors que celle-ci constitue une entité juridique autonome, distincte des associés qui la composent.
    • Ainsi, lorsque les parts sociales ou actions sont en pleine propriété d’un associé unique, et qu’elles ne figurent pas dans la masse indivise, aucun indivisaire ne saurait revendiquer leur attribution. De même, la simple qualité de dirigeant ou d’exploitant ne suffit pas à justifier une demande d’attribution préférentielle sur des titres dont l’indivision ne résulte pas du partage successoral ou d’une indivision conventionnelle.
    • En revanche, si les titres sont détenus en indivision entre plusieurs héritiers ou co-indivisaires, alors l’attribution préférentielle peut être sollicitée, sous réserve du respect des conditions statutaires et du pacte social.
  • Deuxième restriction
    • L’attribution préférentielle des parts sociales se heurte fréquemment aux limitations statutaires propres aux sociétés de personnes, dont le fonctionnement repose sur l’intuitu personae.
      • Cas de la clause d’agrément
        • Dans de nombreuses sociétés, notamment les sociétés en nom collectif (SNC) et les sociétés civiles, il est d’usage que les statuts prévoient une clause d’agrément, soumettant la transmission des parts à l’accord des associés.
        • Une telle clause peut faire obstacle à l’exercice du droit d’attribution préférentielle, dans la mesure où les associés disposent du pouvoir de refuser l’entrée d’un nouvel associé, fût-il héritier ou indivisaire.
        • Il est ainsi admis qu’une clause d’agrément interdisant la transmission de parts sans l’accord préalable des associés peut valablement empêcher l’attribution préférentielle au profit d’un co-indivisaire, dès lors que cette restriction résultait des statuts (V. par ex. CA Amiens, 8 mars 1999, n° 9702146 ).
        • Dès lors, l’héritier ou co-indivisaire demandant l’attribution préférentielle ne pourra obtenir les parts qu’après agrément des associés, à défaut de quoi il ne pourra prétendre qu’à la valeur monétaire des droits indivis.
      • Cas de la clause de continuation
        • Les statuts peuvent également comporter une clause de continuation prévoyant que, en cas de décès d’un associé, la société se poursuivra avec certains héritiers désignés, à l’exclusion des autres indivisaires.
        • Lorsque de telles clauses existent, elles priment sur le mécanisme d’attribution préférentielle, l’attributaire devant alors se conformer aux dispositions statutaires, sauf à proposer le rachat des parts des autres indivisaires.
        • Cette règle est énoncée à l’article 831, alinéa 2 du Code civil, qui précise que l’attribution préférentielle doit respecter les clauses statutaires relatives à la transmission des parts ou actions.
  • Troisième restriction
    • Dans les sociétés de capitaux, où l’intuitu personae est moins marqué, l’attribution préférentielle des actions demeure théoriquement plus aisée. 
    • Toutefois, elle soulève des difficultés pratiques tenant à l’exercice des droits sociaux.
    • En premier lieu, lorsque les actions sont indivises, un indivisaire peut demander leur attribution préférentielle, mais cela ne lui confère pas nécessairement un pouvoir de contrôle sur l’entreprise.
    • L’exercice d’une influence sur la société dépendra du pourcentage de participation acquis à l’issue du partage, et des droits qui y sont attachés.
    • Ainsi, si l’attributaire obtient une participation minoritaire, il devra composer avec les autres actionnaires et ne pourra, sauf détention de titres majoritaires, prétendre à la direction effective de la société.
    • En second lieu, dans certaines SAS ou SA, des pactes d’actionnaires peuvent restreindre la transmission des titres, en prévoyant notamment des clauses de préemption, obligeant l’attributaire préférentiel à offrir ses actions aux autres actionnaires avant de pouvoir en revendiquer la pleine propriété.
    • Dans ce cas, l’attributaire ne pourra entrer en possession des titres qu’après l’expiration des délais et procédures prévus par le pacte, ou à défaut, il pourra être contraint de céder ses actions à un tiers conformément aux stipulations en vigueur.

==>L’incidence d’une indivision préexistence sur l’attribution préférentielle d’une entreprise

Lorsque l’entreprise était déjà soumise à un régime d’indivision avant l’ouverture de la succession ou la survenance du partage, l’exercice du droit d’attribution préférentielle ne met pas nécessairement un terme à cette indivision. L’attributaire peut se voir attribuer la quote-part indivise appartenant à la masse partageable, mais il ne deviendra pas automatiquement seul propriétaire de l’entreprise si d’autres indivisaires conservent des droits sur celle-ci.

  • L’entreprise relevant d’une indivision conventionnelle
    • Lorsque l’entreprise faisait l’objet d’une indivision préexistante entre plusieurs coindivisaires, avant même le décès ou le partage, l’attribution préférentielle ne portera que sur la quote-part indivise entrant dans la masse partageable.
    • L’indivision ne disparaîtra donc pas nécessairement, et l’attributaire devra coexister avec les autres indivisaires.
    • Dans ce cas, deux hypothèses peuvent être envisagées:
      • L’indivision maintenue : l’attributaire ne pourra revendiquer que la part appartenant au défunt, ce qui signifie que l’entreprise restera soumise à l’indivision entre lui et les autres coindivisaires. Cette situation peut poser des difficultés en termes de gestion et de prise de décision, notamment lorsque les indivisaires ne partagent pas une vision commune quant à l’exploitation de l’entreprise.
      • Le rachat des parts indivises : pour éviter de demeurer dans une indivision contrainte, l’attributaire peut négocier l’acquisition des parts détenues par les autres indivisaires. Ce rachat peut intervenir dans le cadre d’un accord amiable ou d’un partage judiciaire, sous réserve d’un prix conforme à la valeur vénale de l’entreprise.
    • La doctrine souligne ainsi que l’attribution préférentielle ne saurait conférer un monopole sur l’entreprise lorsque celle-ci relevait déjà d’une indivision conventionnelle entre plusieurs titulaires.
  • L’entreprise relevant d’une communauté conjugale
    • Lorsque l’exploitation constituait un bien commun d’un couple marié sous le régime de la communauté légale, seule la moitié des droits appartient à la masse partageable en cas de décès de l’un des époux.
    • L’autre moitié demeure la propriété exclusive de l’époux survivant.
    • Dans ce cas, plusieurs configurations peuvent se présenter :
      • L’époux survivant sollicite l’attribution préférentielle : si le conjoint survivant souhaite poursuivre l’exploitation, il peut lui-même exercer son droit d’attribution préférentielle sur la part entrant dans la succession, devenant ainsi seul propriétaire de l’entreprise.
      • Un héritier revendique l’attribution préférentielle : si un héritier demande l’attribution de la part indivise entrant dans la succession, il ne pourra devenir propriétaire exclusif de l’entreprise que si l’époux survivant accepte de céder sa propre part. À défaut, l’attributaire ne pourra prétendre qu’à la portion indivise dépendant du partage, et restera dans une indivision avec le conjoint survivant.
    • En tout état de cause, il est admis que dans une telle hypothèse, l’attributaire se substitue simplement au défunt dans l’indivision existante, sans pour autant acquérir immédiatement la pleine propriété de l’entreprise.

Lorsque l’indivision subsiste après l’attribution préférentielle, la gestion de l’entreprise est soumise aux règles générales de l’indivision :

  • Toute décision concernant les actes d’administration courante peut être prise à la majorité des indivisaires représentant au moins deux tiers des droits indivis (article 815-3 du Code civil).
  • En revanche, les actes de disposition (vente du fonds, mise en société, changement d’objet) nécessitent l’unanimité des indivisaires, sauf à obtenir une autorisation judiciaire.
  • L’attributaire ne peut prétendre à une gestion exclusive de l’entreprise sans l’accord des autres indivisaires, sauf s’il obtient un mandat de gestion ou rachète leurs parts.

Ainsi, bien que l’attribution préférentielle constitue un mécanisme destiné à garantir la continuité de l’entreprise, elle ne saurait conduire à évincer les autres indivisaires lorsque ceux-ci conservent des droits sur l’exploitation. En cas de désaccord persistant, il appartiendra au juge de trancher les éventuelles contestations, en appréciant l’opportunité d’un partage en nature ou en valeur.

2.2 L’attribution préférentielle du local professionnel

L’article 831-2, 2° du Code civil ouvre la possibilité pour un héritier indivisaire, un conjoint survivant ou un partenaire pacsé de solliciter l’attribution préférentielle du local à usage professionnel et des biens mobiliers nécessaires à l’exercice de sa profession. Ce dispositif vise à garantir la continuité d’une activité économique en permettant à l’attributaire de conserver son outil de travail, qu’il s’agisse d’un cabinet libéral, d’un atelier artisanal ou d’un bureau professionnel.

Cependant, l’attribution préférentielle du local professionnel ne constitue pas un droit automatique et demeure soumise à un encadrement strict.

==>Les conditions d’éligibilité du local et des biens mobiliers professionnels

L’attribution préférentielle du local professionnel repose sur une double exigence : le local doit être effectivement affecté à l’activité professionnelle du demandeur et il doit être indispensable à l’exercice de cette activité.

  • L’exigence d’une affectation d’un locale à l’activité professionnelle
    • L’article 831-2, 2° du Code civil n’impose aucune restriction quant à la nature de la profession exercée par le demandeur. 
    • Dès lors, un cabinet d’avocat ou de médecin, un atelier d’artiste, une étude notariale ou même un bureau d’écrivain peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle dès lors qu’ils servent effectivement à l’exercice d’une activité.
    • Toutefois, les locaux commerciaux et industriels sont exclus du champ d’application de cette disposition. Leur transmission relève du régime spécifique de l’attribution préférentielle des entreprises prévu à l’article 831 du Code civil.
    • En cas d’usage mixte (habitation et profession), l’attribution du local peut être accordée à condition que l’activité professionnelle y soit prépondérante et que le bien puisse être détaché du reste de l’immeuble.
  • Un local et des biens mobiliers indispensables à la poursuite de l’activité
    • L’attribution préférentielle vise à garantir la continuité de l’exploitation professionnelle.
    • Par conséquent, elle ne peut être accordée que si le local constitue un élément essentiel et indispensable pour l’exercice de l’activité.
    • Le juge apprécie souverainement le caractère indispensable du local et des biens mobiliers professionnels.
    • Ainsi, si le demandeur dispose d’un autre local exploitable, il ne pourra prétendre à l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 13 févr. 1967).
    • Le même raisonnement s’applique aux biens mobiliers à usage professionnel.
    • Avant la réforme de 2015, seuls les meubles présents dans le local pouvaient être inclus dans l’attribution préférentielle
    • Désormais, tout bien mobilier nécessaire à l’exercice de la profession peut être intégré, même s’il est situé ailleurs, à condition qu’il remplisse un rôle indispensable.
    • Cette évolution législative permet notamment d’inclure des équipements techniques ou un véhicule professionnel.

==>Les restrictions à l’exercice du droit d’attribution préférentielle

Tout en visant à garantir la préservation de l’activité professionnelle du demandeur, l’attribution préférentielle du local professionnel reste assujettie à des restrictions destinées à prévenir les dérives et à assurer un juste équilibre entre les intérêts en présence.

En premier lieu, l’attribution préférentielle ne peut porter que sur un bien relevant exclusivement de l’indivision. Ainsi, si le local professionnel appartient à la fois aux héritiers et à un tiers, la demande devient inapplicable, car elle ne peut contraindre ce dernier à céder ses droits (Cass. 1re civ., 15 janv. 2014, n° 12-25.322 et n° 12-26.460).

Cependant, si seule une quote-part du local appartient à l’indivision, l’attribution peut porter sur cette quote-part indivise, l’attributaire restant alors en indivision avec le tiers.

En deuxième lieu, lorsque le local professionnel est détenu par une société, l’attribution préférentielle peut porter non pas sur le local lui-même, mais sur les parts sociales conférant la jouissance ou la propriété du local (L. n° 61-1378 du 19 décembre 1961, art. 14). Cependant, la jurisprudence a précisé que cette attribution ne peut être accordée que si ces droits sociaux confèrent exclusivement la propriété ou la jouissance du local (Cass. 1re civ., 24 oct. 2012, n° 11-20.075).

Dès lors, si les statuts de la société prévoient une clause d’agrément, l’attribution préférentielle sera soumise à l’accord préalable des associés.

En dernier lieu, comme pour toute attribution préférentielle, l’attributaire doit veiller à compenser les autres indivisaires lorsque la valeur du bien excède ses droits successoraux. L’indemnisation prend généralement la forme d’une soulte, dont le montant est déterminé en fonction de la valeur du local et des biens mobiliers concernés.

Toutefois, afin de faciliter la transmission des outils professionnels, l’article 832-4 du Code civil prévoit une possibilité d’échelonnement du versement de la soulte sur dix ans, avec un taux d’intérêt fixé au taux légal.

3. Les biens liés aux activités agricoles et rurales

L’attribution préférentielle des biens à destination agricole se distingue par la diversité des hypothèses qu’elle recouvre. Elle peut concerner aussi bien des biens immobiliers agricoles que des droits sociaux liés à l’exploitation. Le Code civil a prévu plusieurs régimes d’attribution préférentielle applicables aux exploitations agricoles, distinguant entre :

  • L’attribution en pleine propriété, qui peut être de droit ou soumise à l’appréciation du juge ;
  • L’attribution sous condition de mise en bail, destinée à garantir la continuité de l’exploitation ;
  • L’attribution en jouissance temporaire, notamment par la concession d’un bail rural.

Ces dispositifs ont été conçus afin d’assurer la transmission des exploitations dans des conditions économiquement viables et d’éviter leur morcellement, ce qui compromettrait leur rentabilité.

3.1. L’attribution préférentielle des biens nécessaires à l’exploitation agricole

La transmission des exploitations agricoles constitue une question éminemment stratégique pour la pérennité du tissu économique rural. Conscient des risques qu’un éclatement successoral pourrait faire peser sur ces structures, le législateur a prévu plusieurs dispositifs d’attribution préférentielle visant à garantir la continuité de l’activité agricole. Parmi eux, l’attribution des biens meubles nécessaires à l’exploitation (article 831-2, 3° du Code civil) et l’attribution des biens immobiliers agricoles (article 832-1 du Code civil) occupent une place prépondérante.

a. L’attribution préférentielle des biens meubles nécessaires à l’exploitation

==>Principe

L’article 831-2, 3° du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle peut porter sur les biens meubles nécessaires à l’exploitation agricole, notamment le matériel agricole, le cheptel vif et mort, ainsi que les autres éléments mobiliers affectés à l’activité.

Il ressort de cette disposition que le législateur a entendu favoriser la continuité des exploitations agricoles en garantissant au repreneur la pleine possession de l’outil de production. Plutôt que d’aborder l’exploitation sous un angle purement patrimonial, où chaque héritier recevrait une part proportionnelle des biens, ce mécanisme vise à assurer son maintien dans des conditions économiquement viables.

L’attribution préférentielle poursuit ainsi plusieurs objectifs:

  • Préserver la viabilité économique de l’exploitation
    • Sans attribution préférentielle, l’héritier repreneur pourrait se heurter à deux obstacles majeurs :
      • La nécessité de racheter les équipements aux cohéritiers, ce qui pourrait le contraindre à s’endetter lourdement dès la reprise de l’exploitation.
      • Le risque d’un morcellement des équipements, chaque héritier pouvant revendiquer une part des biens mobiliers, rendant impossible la poursuite de l’activité agricole dans des conditions optimales. Grâce à ce dispositif, l’intégrité des moyens de production est préservée, garantissant ainsi une exploitation efficiente.
  • Limiter les conflits successoraux
    • Les successions sont souvent sources de tensions entre héritiers, notamment lorsque certains souhaitent conserver l’exploitation agricole tandis que d’autres privilégient la liquidation des actifs.
    • L’attribution préférentielle permet de clarifier la répartition des biens, en garantissant à l’exploitant la pleine jouissance des équipements indispensables à son activité, tout en permettant aux autres héritiers de recevoir une compensation financière.
  • Faciliter la modernisation des exploitations
    • En garantissant une transmission cohérente des équipements agricoles, l’attribution préférentielle permet au repreneur de concentrer ses efforts sur le développement et l’amélioration de l’exploitation, plutôt que sur la reconstitution de son outil de travail.

==>Conditions

Si l’article 831-2, 3° du Code civil prévoit la possibilité d’une attribution préférentielle des biens mobiliers, celle-ci n’est ni automatique ni inconditionnelle. Le législateur a posé deux exigences cumulatives, garantissant que l’attribution repose sur un besoin économique réel et non sur une simple faveur successorale :

  • Le défunt devait exploiter le fonds en qualité de fermier ou de métayer
    • Cette condition restreint l’attribution préférentielle aux situations où le défunt était lui-même exploitant et utilisait activement les biens en cause.
    • L’objectif est d’éviter qu’un héritier sans lien direct avec l’exploitation ne revendique ces biens à des fins purement patrimoniales.
  • L’attributaire doit poursuivre le bail agricole
    • Il ne suffit pas que l’héritier exprime son intention de reprendre l’exploitation ; encore faut-il qu’il dispose des garanties nécessaires pour obtenir le maintien du bail existant ou la conclusion d’un nouveau bail.
    • Cette exigence vise à empêcher qu’un héritier se prévale de l’attribution préférentielle sans disposer des compétences et des moyens requis pour exploiter l’exploitation de manière effective.

==>L’étendue des biens susceptibles d’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle des biens meubles couvre une diversité d’éléments indispensables à l’exploitation agricole. Ces biens peuvent être classés en trois catégories principales :

  • Le matériel agricole : l’outil de travail indispensable
    • L’attributaire peut revendiquer l’ensemble des équipements nécessaires à l’exploitation des terres. Cela comprend notamment :
      • Les engins mécaniques : tracteurs, moissonneuses-batteuses, pulvérisateurs, faucheuses et autres machines agricoles.
      • Les outils de travail du sol : charrues, herses, semoirs, épandeurs à fumier, etc.
      • Les équipements de stockage et de transformation : silos à grains, citernes, pressoirs, broyeurs, équipements de tri et de conditionnement
    • L’objectif est d’assurer la continuité de l’activité agricole sans que le repreneur ne soit contraint d’investir immédiatement dans du matériel coûteux, ce qui pourrait fragiliser sa situation financière et compromettre la viabilité de l’exploitation.
  • Le cheptel vif et mort : garantir la pérennité de l’élevage
    • Pour les exploitations agricoles comprenant une activité d’élevage, l’attribution préférentielle peut porter sur :
      • Le cheptel vif, c’est-à-dire les animaux destinés à la production ou à la reproduction (bovins, ovins, caprins, volailles, porcins, etc.).
      • Le cheptel mort, qui comprend les stocks d’aliments pour bétail, les engrais, les semences et autres ressources nécessaires à l’élevage.
    • La transmission du cheptel est cruciale pour éviter une rupture d’exploitation. Sans ce mécanisme, le repreneur devrait racheter les animaux à ses cohéritiers ou sur le marché, ce qui pourrait s’avérer coûteux et ralentir la reprise de l’activité.
  • Les éléments mobiliers affectés à l’exploitation
    • L’attribution préférentielle peut également concerner des biens meubles nécessaires à la gestion et au bon fonctionnement de l’exploitation agricole, tels que :
      • Les infrastructures mobiles : serres démontables, abris pour animaux, clôtures électriques, etc.
      • Les réservoirs et systèmes de stockage : cuves à carburant, réservoirs d’eau, systèmes d’irrigation.
      • Les outils et petits équipements : tronçonneuses, scies, instruments de mesure et de contrôle.
    • Bien que ces éléments puissent sembler secondaires, ils constituent en réalité des ressources indispensables à la gestion quotidienne de l’exploitation, leur absence pouvant entraver le bon déroulement des activités agricoles.

b. L’attribution préférentielle des biens immobiliers agricoles

==>Principe

L’article 832-1 du Code civil instaure un dispositif d’attribution préférentielle spécifiquement destiné aux biens immobiliers agricoles. Il prévoit que, « si le maintien dans l’indivision n’a pas été ordonné et à défaut d’attribution préférentielle en propriété dans les conditions prévues à l’article 831 ou à l’article 832 », le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut demander l’attribution préférentielle de tout ou partie des biens et droits immobiliers à destination agricole dépendant de la succession en vue de constituer un groupement foncier agricole (GFA).

Ce dispositif, introduit par la loi du 4 juillet 1980, s’inscrit dans une logique économique visant à prévenir la fragmentation des exploitations et à structurer la transmission du foncier agricole. Contrairement aux autres formes d’attribution préférentielle qui reposent sur la nécessité de maintenir une exploitation agricole existante, celle-ci ouvre la possibilité de constituer un GFA, qu’il s’agisse de créer ou de conserver une exploitation.

L’attribution préférentielle ainsi définie ne suppose donc pas l’existence préalable d’une exploitation agricole autonome. L’objectif n’est pas seulement d’assurer la continuité d’une activité agricole, mais de permettre une gestion collective et stable du foncier dans le cadre du GFA.

==>Bénéficiaires et portée de l’attribution préférentielle

L’article 832-1 accorde le bénéfice de cette attribution à deux catégories de personnes :

  • Le conjoint survivant : ce dernier peut solliciter l’attribution préférentielle des biens agricoles afin de garantir la continuité de l’exploitation et de préserver ses intérêts patrimoniaux.
  • Les héritiers copropriétaires : la disposition permet aux cohéritiers de demander l’attribution, soit individuellement, soit collectivement dans la perspective de constituer un GFA.

À noter que le partenaire pacsé est exclu du bénéfice de cette disposition, en vertu de l’article 815-6 du Code civil. L’objet de cette attribution est également plus large que celui prévu par les articles 831 et 832 du Code civil. Elle ne se limite pas à la transmission d’une exploitation agricole existante, mais vise plus largement à structurer la gestion du foncier à long terme. 

==>Conditions de l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle des biens immobiliers agricoles, en vue de la constitution d’un groupement foncier agricole (GFA), obéit à des conditions strictement définies par le Code civil.

  • Première condition
    • L’article 832-1 du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle des biens agricoles ne peut être sollicitée que par le conjoint survivant ou par tout héritier copropriétaire.
    • L’attribution ne saurait bénéficier à un tiers étranger à la dévolution successorale, ni même à un légataire universel.
    • Il est à noter que le partenaire lié par un pacte civil de solidarité  est expressément exclu du dispositif (C. civ., art. 815-6, a contrario). 
  • Deuxième condition
    • Seuls les biens et droits réels immobiliers à destination agricole peuvent faire l’objet d’une attribution préférentielle en vue de la constitution d’un GFA.
    • Cette exigence s’apprécie au regard de la vocation économique des biens au moment du décès du défunt.
    • Il n’est toutefois pas nécessaire que les biens concernés constituent une unité économique autonome, ni même qu’ils soient exploités en l’état au jour de la succession.
    • L’attribution peut ainsi porter sur :
      • Des terres agricoles, qu’elles soient exploitées ou non ;
      • Des bâtiments agricoles affectés à l’exploitation ;
      • Des droits réels immobiliers tels que l’usufruit, la nue-propriété ou même un bail emphytéotique.
    • Dès lors que les biens possèdent une destination agricole et qu’ils sont compris dans la masse successorale, ils peuvent être attribués préférentiellement, sous réserve du respect des autres conditions.
  • Troisième condition
    • L’attribution préférentielle ne saurait être accordée à un héritier sans lien effectif avec l’exploitation agricole. 
    • Aussi, le demandeur doit justifier de sa capacité à poursuivre l’exploitation des terres et garantir que l’attribution contribue à la pérennité de l’activité.
    • Toutefois, contrairement à d’autres hypothèses d’attribution préférentielle, il n’est pas exigé que le demandeur exploite personnellement les terres.
    • Il peut ainsi remplir cette condition en s’engageant à donner les biens en location agricole au sein d’un GFA, ce qui permet d’assurer leur mise en valeur sans obliger l’attributaire à devenir lui-même exploitant. 

Il peut être observé que si l’attribution préférentielle en vue de la constitution d’un GFA est possible, elle n’est pas toujours de droit. Le régime applicable varie selon le statut du demandeur:

  • Attribution de droit : lorsque la demande émane du conjoint survivant ou d’un héritier remplissant les conditions de l’article 831 du Code civil, ou lorsque ses descendants participent activement à l’exploitation, l’attribution ne peut être refusée par le juge. Il s’agit alors d’un véritable droit, opposable aux autres héritiers.
  • Attribution facultative : à défaut de remplir ces conditions, l’attribution préférentielle demeure soumise à l’appréciation du juge, qui évaluera tant l’opportunité économique du maintien des biens sous une gestion collective que l’aptitude du demandeur à administrer le groupement foncier agricole avec rigueur et efficience.

==>Subsidiarité

L’attribution préférentielle des biens immobiliers à vocation agricole, telle que consacrée par l’article 832-1 du Code civil, ne s’impose qu’à défaut d’une attribution en pleine propriété en application des articles 831 et 832. Autrement dit, elle ne peut être sollicitée que si aucun héritier ne revendique une attribution préférentielle ordinaire permettant un transfert direct de propriété.

Toutefois, cette attribution bénéficie d’une primauté sur les autres attributions subsidiaires. Cette prééminence témoigne de la volonté du législateur de favoriser la conservation du foncier agricole dans un cadre structuré, évitant ainsi la dispersion des terres et les conséquences économiques désastreuses d’un démembrement successoral. L’idée directrice est claire : privilégier la transmission des exploitations sous une forme garantissant à la fois leur pérennité et la stabilité patrimoniale des héritiers.

En effet, en l’absence de ce mécanisme, la répartition successorale pourrait conduire à un éclatement du foncier entre plusieurs cohéritiers, rendant l’exploitation difficilement viable et entravant la cohérence des projets agricoles à long terme. L’attribution préférentielle au sein d’un GFA apparaît dès lors comme une solution équilibrée, conciliant les impératifs économiques liés à l’exploitation des terres avec les exigences du partage successoral.

3.2. L’attribution préférentielle de l’entreprise agricole

Le Code civil a prévu plusieurs modalités d’attribution préférentielle applicables aux exploitations agricoles, reflétant ainsi la diversité des situations:

  • L’attribution préférentielle facultative en pleine propriété (article 831 du Code civil): elle suppose une demande du conjoint survivant ou d’un héritier copropriétaire et est soumise à l’appréciation du juge, qui en évalue l’opportunité au regard des intérêts en présence.
  • L’attribution préférentielle de droit en pleine propriété (article 832 du Code civil): lorsqu’un héritier satisfait aux conditions légales, cette attribution s’impose sans qu’il soit besoin d’une autorisation judiciaire, garantissant ainsi une transmission sans entrave de l’exploitation.
  • L’attribution préférentielle avec obligation de mise en bail (article 831-1 du Code civil): Cette forme particulière d’attribution confère la propriété du fonds agricole tout en imposant au bénéficiaire de consentir un bail rural, assurant ainsi la continuité de l’exploitation sans en modifier la structure.
  • L’attribution préférentielle en jouissance par concession d’un bail rural (article 832-2 du Code civil) : Dans cette hypothèse, l’héritier attributaire ne devient pas propriétaire du bien mais bénéficie d’un droit d’usage exclusif lui permettant d’assurer l’exploitation des terres selon les règles du statut du fermage.

Si les deux premières formes d’attribution permettent au bénéficiaire d’accéder à la pleine propriété des biens concernés, les deux dernières instaurent un schéma où la propriété et la jouissance sont dissociées, afin de préserver l’exploitation tout en ménageant les droits des cohéritiers.

==>Conditions

L’attribution préférentielle d’une exploitation agricole repose sur plusieurs conditions:

  • L’existence d’une exploitation agricole en tant qu’unité économique
    • L’attribution préférentielle ne saurait porter sur une simple parcelle de terre isolée ou sur un ensemble de biens agricoles dépourvus d’une vocation économique effective. 
    • L’exploitation doit former une unité économique autonome et viable, permettant de justifier qu’elle constitue un outil de production à part entière.
    • La jurisprudence a d’ailleurs précisé que la simple détention de terres agricoles ne suffit pas à caractériser une exploitation : il faut démontrer l’existence d’une activité régulière et productive.
    • Il s’agit de vérifier que les biens concernés permettent une mise en valeur effective, générant des revenus et assurant un équilibre économique suffisant pour l’héritier repreneur.
    • En outre, l’appréciation de cette condition ne saurait être figée au jour de l’ouverture de la succession.
    • La viabilité économique de l’exploitation doit être analysée au moment de la demande d’attribution, et non uniquement au décès du défunt (Cass. 1ère civ., 14 mai 1992, n° 90-20.498). 
    • Cette exigence permet d’éviter qu’une exploitation tombée en déshérence ne fasse l’objet d’une transmission qui ne répondrait plus aux exigences de productivité et de rentabilité.
  • La superficie de l’exploitation agricole
    • La loi distingue selon que l’exploitation concernée se situe en deçà ou au-delà d’un seuil fixé par décret en Conseil d’État.
    • Ce seuil, défini par le décret n° 70-783 du 27 août 1970 et précisé par l’arrêté du 22 août 1975, varie selon les départements et les spécificités agricoles locales.
    • À titre d’exemple, dans le département de l’Ain, une exploitation en polyculture ne peut bénéficier d’une attribution préférentielle de droit que si sa superficie n’excède pas 32 hectares. 
    • Ces seuils, fixés en fonction des conditions agro-économiques de chaque région, visent à garantir une transmission cohérente et équitable du patrimoine agricole.
      • Lorsque la superficie de l’exploitation est inférieure au seuil réglementaire, l’attribution préférentielle s’impose de plein droit si les autres conditions légales sont remplies. Le législateur a ainsi entendu protéger les exploitations de taille modeste ou moyenne, souvent plus vulnérables aux aléas économiques, en favorisant leur transmission sans entraves. Ce mécanisme vise à éviter que ces unités agricoles, essentielles à l’équilibre du secteur rural, ne disparaissent sous l’effet d’un morcellement excessif ou d’une mise en indivision prolongée.
      • En revanche, lorsque la superficie excède ce seuil, l’attribution devient facultative et son octroi relève de l’appréciation souveraine du juge. Ce dernier doit alors concilier deux impératifs : d’une part, l’intérêt économique attaché au maintien de l’exploitation dans son ensemble ; d’autre part, le respect des droits patrimoniaux des autres cohéritiers. L’objectif poursuivi est d’éviter qu’un héritier ne revendique un domaine d’une ampleur telle que son attribution nuirait à l’équilibre du partage successoral ou priverait les autres ayants droit de leur juste part.
    • En pratique, cette distinction vise à éviter des situations où l’attribution d’exploitations de grande envergure pourrait aboutir à des déséquilibres économiques au détriment des cohéritiers non attributaires, tout en garantissant une protection adaptée aux exploitations de moindre superficie.
  • La qualité de l’attributaire
    • L’attribution préférentielle ne peut être demandée que par certaines catégories d’héritiers, définies par le Code civil, afin de s’assurer que le dispositif profite à ceux qui ont un véritable intérêt dans la poursuite de l’exploitation.
  • Le conjoint survivant
    • Le conjoint survivant bénéficie d’un droit prioritaire à l’attribution préférentielle, reconnu dans un souci de préservation du cadre de vie familial et de maintien des ressources du conjoint du défunt. 
    • Son statut lui permet d’assurer la continuité de l’exploitation sans rupture, garantissant ainsi la pérennité de l’activité et des revenus agricoles.
  • Les héritiers copropriétaires
    • Tout héritier copropriétaire peut solliciter l’attribution préférentielle, sous réserve de démontrer un intérêt légitime à conserver l’exploitation. 
    • Cette faculté permet d’éviter une dispersion du patrimoine agricole entre des héritiers aux intérêts divergents, tout en maintenant l’unité de l’exploitation entre des mains familiales.
  • L’héritier ayant participé à l’exploitation
    • Un héritier ayant contribué à l’exploitation agricole dispose d’un droit renforcé à l’attribution préférentielle.
    • Cette disposition vise à récompenser l’investissement personnel de celui qui, par son travail et son engagement, a contribué à la gestion et au développement de l’exploitation.
    • Toutefois, il ne suffit pas d’invoquer une présence ponctuelle au sein de l’exploitation pour prétendre à l’attribution. L’héritier candidat doit justifier d’une participation réelle et significative, impliquant :
    • Une contribution active aux travaux agricoles (gestion des cultures, élevage, logistique, commercialisation, etc.) ;
    • Une participation régulière et durable, excluant les interventions occasionnelles ou purement symboliques ;
    • Une implication avérée dans la gestion de l’exploitation, attestant d’un engagement dans l’organisation et le développement de l’activité agricole.
      • En cas de litige, il appartient au demandeur d’apporter la preuve de sa participation effective à l’exploitation, par tout moyen (témoignages, justificatifs comptables, documents fiscaux, etc.). 
      • Cette exigence garantit que l’attribution préférentielle bénéficie aux véritables acteurs de l’exploitation, et non à des héritiers qui en revendiqueraient l’héritage sans en avoir jamais assumé la charge.

==>L’attribution d’une partie de l’exploitation agricole

L’attribution préférentielle ne se limite pas à l’ensemble d’une exploitation agricole dans son intégralité. Le législateur, soucieux d’adapter ce mécanisme aux réalités économiques et successorales, a prévu la possibilité d’une attribution partielle, dès lors que celle-ci permet le maintien d’une activité agricole viable. Cette possibilité, consacrée par l’article 831 du Code civil, s’exprime sous deux formes distinctes :

  • L’attribution d’une fraction de l’exploitation agricole
    • Il n’est pas exigé que l’exploitation dans son entier fasse l’objet d’une attribution préférentielle.
    • L’héritier demandeur peut prétendre à une fraction de celle-ci, à condition que cette partie conserve son autonomie économique et permette la poursuite d’une activité agricole efficiente.
    • Il ne s’agit donc pas de morceler l’exploitation au détriment de sa viabilité, mais bien de garantir la transmission d’une entité fonctionnelle, capable de subsister indépendamment du reste du domaine.
    • Le juge, saisi d’une telle demande, devra apprécier si la fraction sollicitée constitue une unité de production cohérente, dotée des ressources nécessaires à son exploitation (terres, bâtiments, matériel, cheptel, etc.). 
    • En d’autres termes, il s’assurera que l’attribution préférentielle ne crée pas une exploitation artificielle, mais bien une entité économiquement viable, capable d’être mise en valeur sans dépendre d’autres biens agricoles indivis.
  • L’attribution d’une quote-part indivise
    • Le législateur a également envisagé l’hypothèse dans laquelle un héritier déjà exploitant souhaiterait renforcer son exploitation par l’adjonction de biens appartenant à l’indivision successorale.
    • Dans cette optique, l’article 831 du Code civil autorise l’attribution préférentielle d’une quote-part indivise, permettant ainsi à l’héritier attributaire de consolider ou d’étendre son exploitation agricole existante.
    • Ce dispositif revêt une importance particulière dans les situations où un agriculteur déjà installé exploite des terres appartenant en partie à la succession. 
    • Sans ce mécanisme, il pourrait se retrouver contraint de racheter ces biens à ses cohéritiers ou, à défaut, d’abandonner une partie de son outil de travail. 
    • L’attribution préférentielle lui offre donc la possibilité de sécuriser son exploitation en intégrant définitivement à son patrimoine les éléments dont il avait jusqu’alors l’usage précaire.

3.3. L’attribution préférentielle des parts sociales des sociétés agricoles

==>Reconnaissance

Si l’attribution préférentielle s’est historiquement attachée aux biens immobiliers et mobiliers nécessaires à l’exploitation agricole, le législateur a progressivement reconnu que la structure juridique de certaines exploitations ne repose plus uniquement sur la détention en pleine propriété de terres et de matériels, mais bien sur une organisation sociétaire. 

Ainsi, afin d’adapter le droit successoral aux réalités économiques et aux nouveaux modes de gestion des exploitations agricoles, l’article 831 du Code civil prévoit que l’attribution préférentielle peut également porter sur des parts sociales de sociétés ayant pour objet l’exploitation agricole, sous réserve que cette attribution ne contrevienne pas aux stipulations statutaires de la société concernée.

L’attribution préférentielle peut ainsi concerner plusieurs types de sociétés agricoles, notamment :

  • Les parts d’un groupement foncier agricole (GFA) : le GFA étant une société civile ayant pour objet la détention et la gestion de terres agricoles, l’attribution préférentielle de ses parts permet à un héritier exploitant de conserver la maîtrise du foncier sans qu’il soit nécessaire de procéder à une répartition physique des terres. Cette solution favorise ainsi la pérennité du foncier agricole au sein du cercle familial et évite la fragmentation des propriétés.
  • Les parts d’une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) : cette structure juridique étant particulièrement prisée par les exploitants agricoles pour organiser leur activité, l’attribution préférentielle de parts d’EARL permet d’assurer la continuité de l’exploitation en confiant le contrôle de la société à un héritier exploitant.
  • Les parts d’un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) : dans le cadre d’un GAEC, où plusieurs associés exploitent une entreprise agricole en commun, l’attribution préférentielle des parts sociales à un héritier peut éviter l’entrée d’un tiers au sein de la société, préservant ainsi la cohésion de l’exploitation et la stabilité de son fonctionnement.
  • Les actions d’une société ayant pour objet l’exploitation agricole : certaines exploitations sont aujourd’hui organisées sous la forme de sociétés par actions (SAS ou SA), et l’attribution préférentielle peut également s’y appliquer dès lors que la société a pour finalité l’exploitation agricole et que ses statuts ne s’y opposent pas.

==>Conditions

Si l’attribution préférentielle des parts sociales constitue un mécanisme efficace pour assurer la continuité des exploitations agricoles sous forme sociétaire, elle est toutefois encadrée par certaines limites, visant à protéger à la fois les cohéritiers et les autres associés de la société.

  • Première condition
    • L’article 831 du Code civil précise expressément que l’attribution préférentielle des droits sociaux ne peut avoir lieu que si les statuts de la société ne s’y opposent pas.
    • En effet, certaines sociétés agricoles prévoient dans leurs statuts des clauses limitant la cession des parts sociales ou soumettant leur transmission à l’agrément des autres associés. 
    • En présence d’une telle clause, l’attributaire préférentiel devra obtenir l’accord des autres associés pour que l’attribution puisse être réalisée.
  • Deuxième condition
    • L’attribution préférentielle ne peut être accordée que si elle garantit la continuité de l’exploitation agricole.
    • Dès lors, il appartient à l’héritier demandeur de démontrer que la détention des parts sociales lui permettra d’assurer la pérennité de l’entreprise agricole et qu’il dispose des compétences et des moyens nécessaires pour en assurer la gestion.
  • Troisième condition
    • Comme pour toute attribution préférentielle, l’héritier qui en bénéficie doit indemniser ses cohéritiers pour compenser l’attribution exclusive des parts sociales.
    • Cette compensation peut s’opérer sous forme de soulte, sauf si les autres héritiers consentent à un partage inégal, ce qui reste une possibilité en cas d’accord familial.

B) Conditions relatives à l’attributaire

L’attribution préférentielle, en tant que modalité spécifique de partage, est soumise à des conditions rigoureuses quant à la qualité du demandeur. Trois exigences  se dégagent des textes et de la jurisprudence : l’attributaire doit avoir la qualité de copartageant, être titulaire de droits en propriété ou en nue-propriété, et justifier d’un intérêt légitime à l’attribution.

1. La qualité de copartageant

L’attribution préférentielle s’érige en une modalité singulière du partage, qu’il trouve sa source dans une dévolution successorale ou qu’il résulte de la dissolution d’une société. Dérogeant aux principes classiques du partage en nature ou par licitation, elle s’inscrit dans une perspective de pérennité patrimoniale et économique, veillant à préserver l’unité des biens et à en assurer la conservation ou l’exploitation dans des conditions optimales.

Toutefois, son octroi demeure subordonné à la réunion de deux exigences cumulatives :

  • L’exigence de qualité de copartageant, laquelle suppose d’être appelé à la répartition d’un patrimoine indivis, qu’il s’agisse d’une succession ou d’une masse sociale à liquider.
  • L’éligibilité à l’attribution préférentielle, réservée à certaines catégories de bénéficiaires déterminés en considération de leur lien avec le bien et de l’intérêt légitime qu’ils justifient à en obtenir l’attribution exclusive.

a. La nécessité d’endosser la qualité de copartageant

L’attribution préférentielle, en tant que modalité particulière du partage, ne peut être sollicitée que par un copartageant, c’est-à-dire un indivisaire appelé à bénéficier du partage d’un patrimoine, qu’il soit successoral, post-communautaire ou post-sociétaire. Cette exigence découle de la nature même de ce mécanisme, qui ne confère pas un droit propre à un individu, mais une faculté destinée à préserver l’unité et la continuité d’un bien en indivision, en fonction de son affectation économique, professionnelle ou familiale.

À l’origine, le bénéfice de l’attribution préférentielle était strictement limité aux héritiers ab intestat, excluant ainsi les autres indivisaires, notamment les légataires et les institués contractuels. Cette restriction répondait à une volonté de préserver le patrimoine au sein d’un cercle restreint, évitant qu’un tiers, choisi par voie de libéralité, ne puisse prétendre à l’appropriation d’un bien à titre préférentiel.

Toutefois, la réforme entreprise par la loi du 23 décembre 1970 a marqué une rupture en ouvrant cette faculté aux légataires universels et aux institués contractuels universels ou à titre universel (art. 833 C. civ.), consacrant ainsi une approche fondée non plus sur le lien familial, mais sur la vocation universelle du demandeur. Désormais, l’attribution préférentielle est accessible à toute personne ayant une indivision de principe sur le patrimoine à partager, sans que l’origine de ses droits (légale ou conventionnelle) constitue un critère d’exclusion.

En revanche, le titulaire de droits particuliers, tel que le légataire à titre particulier ou le bénéficiaire d’une indivision limitée à un bien spécifique, reste exclu du mécanisme. L’attribution préférentielle, qui suppose une indivision générale sur un ensemble de biens, ne peut être invoquée par celui qui ne détient qu’un droit déterminé sur un actif spécifique. Toutefois, si une réduction en nature d’une libéralité venait à placer un légataire en indivision avec d’autres indivisaires, ce dernier pourrait alors prétendre à l’attribution préférentielle pour sortir de l’indivision. La Cour de cassation a confirmé cette exclusion dans un arrêt du 21 juillet 1969, rappelant que seul un indivisaire ayant vocation à partager l’ensemble du patrimoine peut prétendre à cette faculté (Cass. 1re civ., 21 juill. 1969).

Enfin, la qualité de copartageant peut se transmettre: un successeur d’un indivisaire initial peut revendiquer l’attribution préférentielle, sous réserve d’en remplir personnellement les conditions, indépendamment de la situation de son auteur (Cass. 1re civ., 10 juin 1987, n°85-17.000). Cette solution consacre l’idée que l’attribution préférentielle ne repose pas sur la qualité personnelle du premier indivisaire, mais sur celle du demandeur final, garantissant ainsi une transmission patrimoniale fluide et une allocation optimale des biens indivis.

b. Les bénéficiaires éligibles à l’attribution préférentielle

Parmi les copartageants, seuls certains peuvent bénéficier de l’attribution préférentielle.

i. Le conjoint survivant

L’attribution préférentielle constitue un droit conféré au conjoint survivant, lui permettant de se voir attribuer certains biens du patrimoine successoral ou indivis afin d’assurer la continuité de ses conditions de vie. Ce mécanisme, qui vise à préserver le cadre de vie et les intérêts économiques du survivant, repose sur plusieurs dispositions du Code civil.

L’article 831-2 du Code civil prévoit ainsi que le conjoint survivant peut demander :

  • L’attribution en propriété ou en usufruit du logement conjugal, ainsi que du mobilier qui le garnit (C. civ., art. 831-2, 1°) ;
  • L’attribution des biens nécessaires à l’exercice de son activité professionnelle, à savoir la propriété ou le droit au bail du local à usage professionnel, ainsi que les objets mobiliers nécessaires à l’exercice de cette profession (C. civ., art. 831-2, 2°).

Par ailleurs, l’article 831-3 du Code civil accorde au conjoint survivant un droit automatique à l’attribution préférentielle du logement conjugal et de son mobilier, dès lors qu’il en fait la demande.

Ce droit, qui peut s’exercer dans le cadre d’un partage successoral ou d’un partage de communauté, se conjugue également avec le droit viager d’habitation et d’usage prévu à l’article 764 du Code civil, lequel permet au conjoint survivant de demeurer dans le logement principal du couple. Ces dispositifs combinés visent à éviter que le survivant ne se retrouve privé de son cadre de vie ou de ses moyens d’existence à la suite du décès de son époux.

==>L’attribution préférentielle dans le cadre d’un partage successoral

Le droit à l’attribution préférentielle du conjoint survivant s’exerce en priorité dans le cadre du partage successoral.

L’article 831-3 du Code civil prévoit que l’attribution en propriété ou en usufruit du logement conjugal et de son mobilier est de droit pour le conjoint survivant, dès lors qu’il en fait la demande.

Ainsi, sauf renonciation expresse du conjoint survivant ou circonstances particulières de la succession, le bénéfice de ce droit ne peut être écarté. En conséquence, dès lors que le survivant sollicite cette attribution, elle s’impose aux autres héritiers.

Toutefois, ce droit ne peut être invoqué en dehors d’un partage successoral. Dans un arrêt du 26 septembre 2012, la Cour de cassation a rejeté la demande d’attribution préférentielle d’une épouse séparée de biens, qui invoquait ce droit alors qu’aucune indivision successorale n’était en cause.

En l’espèce, les époux, mariés sous le régime de la séparation de biens, avaient acquis en indivision un immeuble à usage d’habitation. À la suite de la liquidation judiciaire du mari, le mandataire judiciaire, agissant dans l’intérêt des créanciers, a sollicité la cessation de l’indivision et la vente sur licitation du bien indivis. La conjointe, qui occupait ce logement, a alors demandé l’attribution préférentielle en se fondant sur les articles 831-3 et 832-4 du Code civil, offrant de verser une soulte dans les délais prévus par ce dernier texte.

La cour d’appel a rejeté sa demande, considérant que l’attribution préférentielle ne s’applique que dans le cadre d’un partage successoral ou d’un partage de communauté, et que la situation litigieuse relevait d’une indivision ordinaire née d’un acquisition conjointe, et non d’une succession ou d’un régime matrimonial dissous.

La Cour de cassation a confirmé cette analyse en relevant que la demanderesse n’avait pas la qualité de conjointe survivante, ce qui suffisait à exclure le bénéfice de l’attribution préférentielle de droit prévue à l’article 831-3 du Code civil. Elle a également précisé que cette faculté ne peut être exercée que dans le cadre d’un véritable partage successoral ou communautaire, à l’exclusion des situations où la fin de l’indivision résulte d’une procédure initiée par un créancier personnel d’un indivisaire (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-16.246).

Cet arrêt illustre ainsi les limites du mécanisme de l’attribution préférentielle, qui ne saurait être invoqué pour contrer la licitation d’un bien indivis lorsque l’indivision ne relève ni du droit des successions, ni de la liquidation d’un régime matrimonial. 

==>L’attribution préférentielle dans le partage de communauté

Lorsque l’attribution préférentielle est demandée dans le cadre du partage d’une communauté, elle obéit à des règles spécifiques qui, bien que proches de celles du partage successoral, présentent des spécificités.

L’article 1476 du Code civil instaure un parallélisme des règles entre le partage de communauté et le partage successoral, en soumettant l’un aux principes gouvernant l’autre. Cette disposition prévoit, en effet, que « le partage de la communauté, pour tout ce qui concerne ses formes, le maintien de l’indivision et l’attribution préférentielle, la licitation des biens, les effets du partage, la garantie et les soultes, est soumis à toutes les règles qui sont établies au titre “Des successions” pour les partages entre cohéritiers. »

Ainsi, quelle que soit la cause de la dissolution du régime matrimonial — décès, divorce, séparation de corps ou changement de régime — l’un des époux peut prétendre à l’attribution préférentielle de certains biens indivis, en particulier lorsqu’il s’agit du logement conjugal ou des outils nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle.

La jurisprudence, bien avant l’adoption des textes actuels, avait déjà reconnu la possibilité d’une attribution préférentielle dans les partages consécutifs à un divorce ou à une séparation de corps, alors même que les dispositions anciennes ne visaient explicitement que le conjoint survivant (Cass. civ., 9 nov. 1954). 

Toutefois, le second alinéa de l’article 1476 du Code civil opère une distinction en modulant le régime de l’attribution préférentielle selon la cause de dissolution de la communauté. Il énonce que « toutefois, pour les communautés dissoutes par divorce, séparation de corps ou séparation de biens, l’attribution préférentielle n’est jamais de droit, et il peut toujours être décidé que la totalité de la soulte éventuellement due sera payable comptant. »

Il s’infère de cette disposition la nécessité de distinguer deux situations:

  • Lorsque la communauté est dissoute par décès, l’attribution préférentielle du logement conjugal et de son mobilier est de droit pour le conjoint survivant (C. civ., art. 831-3). Il suffit qu’il en fasse la demande pour qu’elle s’impose aux autres copartageants, sauf circonstances particulières.
  • Lorsque la communauté est dissoute par divorce, séparation de corps ou séparation de biens, l’attribution préférentielle n’est jamais de droit, mais reste soumise à l’appréciation du juge, qui appréciera l’opportunité de l’accorder en fonction des intérêts en présence.

Cette distinction repose sur une approche distincte du partage selon qu’il résulte d’un décès ou de la dissolution du mariage. En matière successorale, l’attribution préférentielle vise à protéger le conjoint survivant en lui permettant de conserver certains biens essentiels à son cadre de vie ou à son activité. En revanche, en cas de divorce ou de séparation, le principe est celui d’une liquidation définitive des intérêts patrimoniaux des époux, ce qui exclut toute automaticité de l’attribution préférentielle et justifie l’exigence d’un paiement immédiat de la soulte.

==>Cas particulier du conjoint séparé de biens

Un époux soumis au régime de la séparation de biens peut également prétendre à l’attribution préférentielle, sous réserve qu’il soit copropriétaire du bien concerné. L’article 1542 du Code civil étend expressément aux époux séparés de biens les règles de l’attribution préférentielle, sous réserve du respect des principes de l’indivision.

Ainsi, dans l’hypothèse où un bien a été acquis en indivision entre époux séparés de biens, et que cette indivision persiste après dissolution du mariage, l’un des époux peut solliciter l’attribution préférentielle lors du partage. 

Toutefois, la jurisprudence précise que cette demande peut également être formulée lorsque le partage intervient au cours du mariage, dès lors que l’indivision présente un caractère familial. En effet, la Cour de cassation a jugé qu’un époux séparé de biens pouvait prétendre à l’attribution préférentielle du logement conjugal dont il est copropriétaire, même si le partage était provoqué par un créancier, dès lors que l’indivision concernait un bien à usage familial (Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 89-10.429). Cette solution, fondée sur l’idée que la nature de l’indivision prime sur la cause du partage, assure une protection accrue du conjoint, en lui permettant de revendiquer l’attribution préférentielle du logement conjugal, y compris en dehors d’un partage successoral ou d’un partage de communauté postérieur à la dissolution du mariage.

ii. Les héritiers

L’article 831 du Code civil reconnaît à « tout héritier copropriétaire » le droit de solliciter l’attribution préférentielle, sans distinction de degré ou de ligne successorale. Peuvent ainsi y prétendre les héritiers en ligne directe comme en ligne collatérale, qu’ils soient issus du lien biologique ou adoptifs, dès lors qu’ils sont appelés à la succession et qu’ils l’ont acceptée. Cette qualité de successible est essentielle, car elle conditionne l’existence même du droit à l’attribution préférentielle.

Il en résulte qu’un cessionnaire de droits successoraux ne saurait revendiquer cette faculté, faute d’avoir lui-même la qualité d’héritier. La Cour de cassation a rappelé ce principe en jugeant qu’un ayant droit ne peut revendiquer l’attribution préférentielle, dans la mesure où il ne bénéficie pas personnellement de la vocation successorale initiale et n’est pas indivisaire de la succession (Cass. 1re civ., 9 janv. 1980, n° 78-14.550).

L’attribution préférentielle peut être demandée à tout moment jusqu’à la clôture définitive du partage. Peu importe que la demande de partage émane du postulant lui-même ou d’un autre cohéritier, voire d’un créancier de la succession : la seule exigence est d’être copropriétaire indivis du bien revendiqué (Cass. 1re civ., 24 mars 1998, n° 96-11.005).

Il en résulte que l’attribution préférentielle reste possible même si le partage a été sollicité par un tiers agissant dans l’intérêt d’un indivisaire. Ainsi, la demande de partage formulée par un créancier n’empêche pas l’héritier débiteur de revendiquer l’attribution préférentielle d’un bien successoral (Cass. 1re civ., 9 oct. 1990, n° 89-10.429).

Un héritier peut-il revendiquer l’attribution préférentielle lorsqu’il succède lui-même à un autre héritier qui aurait pu en bénéficier mais qui est décédé avant d’avoir exercé cette faculté ? La question n’est pas expressément tranchée par les textes, mais la jurisprudence y répond favorablement sous conditions.

La Cour de cassation a admis que l’héritier du premier successible pouvait exercer le droit à l’attribution préférentielle si celui-ci remplissait personnellement les conditions requises par la loi (Cass. 1re civ., 7 juill. 1971, n°70-13.561). Ce raisonnement repose sur la distinction entre :

  • Les facultés : un droit que le défunt n’a pas exercé de son vivant ne se transmet pas automatiquement à ses héritiers, sauf si ces derniers remplissent eux-mêmes les conditions nécessaires à son exercice ;
  • Les droits acquis : si un héritier a obtenu l’attribution préférentielle par un jugement définitif avant son décès, ce droit entre dans son patrimoine et se transmet à ses propres successibles, indépendamment de leur situation personnelle.

Ainsi, lorsque l’héritier décédé n’a pas formulé de demande d’attribution préférentielle, ses propres héritiers peuvent en solliciter le bénéfice, mais uniquement s’ils justifient personnellement des conditions exigées (Cass. 1re civ., 27 juin 2000, n° 98-17.177).

En revanche, lorsque l’attribution préférentielle a été définitivement accordée au premier héritier avant son décès, ses propres héritiers n’ont plus à justifier qu’ils remplissent personnellement les conditions légales : ils recueillent ce droit dans le cadre de la transmission successorale (Cass. 1re civ., 10 mars 1969).

La Cour de cassation a progressivement élargi la portée du droit à l’attribution préférentielle en dissociant la condition de participation à la mise en valeur du bien de celle de la copropriété.

Dans un arrêt du 10 juin 1987, elle a jugé qu’un héritier en second pouvait obtenir l’attribution préférentielle alors même que son auteur n’avait pas exercé cette faculté, à condition qu’il ait lui-même participé à la gestion ou à l’exploitation du bien en question (Cass. 1re civ., 10 juin 1987, n° 85-17.000). Cette solution marque une évolution notable : l’attribution préférentielle devient un droit propre à l’héritier en second, dès lors qu’il satisfait aux critères légaux, sans que l’on exige que son auteur ait lui-même rempli ces conditions.

Cette dissociation, consacrée à l’article 831 du Code civil, permet ainsi à un héritier de revendiquer l’attribution préférentielle d’un bien, même si son auteur ne pouvait lui-même y prétendre, dès lors qu’il remplit les conditions légales exigées, notamment en matière de participation effective à la mise en valeur du bien.

iii. Les légataires et institués contractuels

Avant l’adoption de la loi du 23 décembre 1970, la question de l’accès des légataires au bénéfice de l’attribution préférentielle avait donné lieu à des hésitations jurisprudentielles. Certains juges du fond avaient admis cette possibilité, considérant que la vocation successorale du légataire universel justifiait son assimilation à un héritier (CA Angers, 31 mai 1950). D’autres juridictions, en revanche, avaient rejeté cette prétention, estimant que l’attribution préférentielle devait être réservée aux parents du de cujus et ne pouvait être étendue à un tiers gratifié par testament (CA Rennes, 21 mars 1956).

Ces divergences n’avaient pas été tranchées par la loi de 1961, ce qui avait conduit la Cour de cassation à se prononcer en défaveur des légataires. Dans un arrêt du 15 novembre 1966, elle affirmait que « le légataire universel, qui peut n’être pas membre de la famille, ne saurait prétendre à l’attribution préférentielle » (Cass. 1re civ., 15 nov. 1966). Cette position restrictive, fondée sur l’idée que ce mécanisme devait avant tout servir la conservation familiale du patrimoine, allait à contre-courant de l’évolution doctrinale qui tendait à rapprocher le légataire universel de l’héritier.

Face à cette rigidité, le législateur a finalement réformé le dispositif en adoptant la loi du 23 décembre 1970, laquelle a modifié l’article 832-3 du Code civil (désormais repris à l’article 833), afin d’étendre expressément l’attribution préférentielle aux gratifiés ayant vocation universelle ou à titre universel. Depuis cette réforme, les légataires universels et les institués contractuels peuvent ainsi solliciter l’attribution préférentielle sous réserve de satisfaire aux conditions de droit et de fait imposées à tout attributaire.

La loi ne distingue pas selon la forme du testament qui institue le légataire (authentique, olographe, mystique ou international) ni selon la manière dont le legs est consenti. La seule distinction pertinente repose sur l’étendue de la vocation successorale conférée par le testament :

  • Le légataire universel peut prétendre, sans restriction, au bénéfice de l’attribution préférentielle, dans la mesure où il est appelé à recueillir l’intégralité de la succession et qu’il revêt ainsi une qualité assimilable à celle d’un héritier.
  • Le légataire à titre universel, c’est-à-dire celui qui reçoit une quote-part de la succession, bénéficie du même droit, à condition que la part qui lui est dévolue comprenne le bien objet de la demande d’attribution préférentielle.
  • Le légataire particulier, en revanche, demeure exclu du dispositif. Son legs portant sur un bien déterminé, il est censé en recevoir la pleine propriété par l’effet du testament, sans qu’il ait besoin de l’intervention des règles du partage successoral.

Toutefois, une exception existe lorsque la libéralité consentie au légataire est réduite en nature. En pareille hypothèse, le légataire particulier se retrouve en indivision avec les héritiers réservataires et peut ainsi se prévaloir du mécanisme de l’attribution préférentielle pour obtenir la propriété du bien indivis (Cass. 1re civ., 21 juill. 1969).

La généralisation de la réduction en valeur opérée par la loi du 23 juin 2006 a considérablement restreint l’intérêt du légataire universel à recourir à l’attribution préférentielle. En effet, si une libéralité excède la quotité disponible, elle est désormais réduite en valeur et non en nature, sauf exception. Cette réduction en valeur a pour effet de maintenir l’intégrité du legs dans le patrimoine du légataire, en contrepartie du paiement d’une indemnité aux héritiers réservataires. Dans un tel contexte, l’indivision successorale devient rare et, avec elle, le besoin de recourir à l’attribution préférentielle.

Toutefois, dans l’hypothèse exceptionnelle où la réduction s’opère en nature, le légataire universel peut se retrouver en indivision avec les héritiers réservataires et être amené à revendiquer l’attribution préférentielle du bien litigieux (art. 924 et 924-1 C. civ.).

Les règles régissant l’attribution préférentielle des légataires trouvent à s’appliquer, mutatis mutandis, aux institués contractuels, en vertu de l’assimilation opérée par l’article 833 du Code civil. Cette disposition leur confère ainsi la possibilité de solliciter l’attribution préférentielle, sous réserve qu’ils disposent d’une vocation universelle ou à titre universel à la succession.

Si, dans son acception traditionnelle, l’institution contractuelle désigne principalement les donations de biens à venir consenties par contrat de mariage, il est désormais admis que cette notion couvre également les donations entre époux réalisées en cours d’union, pour autant qu’elles attribuent au survivant des droits successoraux de nature universelle. Cette extension doctrinale et jurisprudentielle renforce la protection patrimoniale du conjoint bénéficiaire, en lui ouvrant l’accès aux mécanismes de l’attribution préférentielle dans le cadre du partage successoral.

De même, l’assimilation entre héritiers, légataires et institués contractuels opérée par le législateur s’étend également à la transmissibilité du bénéfice de l’attribution préférentielle. Ainsi, lorsqu’un légataire universel ou un institué contractuel décède avant d’avoir exercé son droit à l’attribution préférentielle, ses héritiers peuvent en revendiquer le bénéfice, à condition qu’ils remplissent eux-mêmes les conditions personnelles requises pour en bénéficier.

Cette transmission se justifie par la volonté du législateur d’uniformiser le sort des gratifiés universels en leur conférant, sauf disposition contraire, un statut similaire à celui des héritiers ab intestat en matière de partage. Dès lors, un légataire de l’héritier ou un légataire du légataire peut également exercer cette faculté, dans la mesure où il hérite d’une vocation successorale universelle ou à titre universel et satisfait aux exigences légales.

Enfin, cette logique s’applique aux libéralités graduelles ou résiduelles, lorsque plusieurs gratifiés en second sont appelés à recueillir collectivement les biens grevés de la charge de conservation et de restitution. Dès lors qu’ils sont investis d’une vocation universelle et qu’ils remplissent les conditions d’attribution préférentielle, ils peuvent prétendre à ce mécanisme, consolidant ainsi la cohérence et l’unité du régime successoral des gratifiés universels.

iv. Les partenaires de PACS

Avant 1999, le partenaire survivant ne bénéficiait d’aucune protection en matière de partage successoral. La loi du 15 novembre 1999 a corrigé cette lacune en insérant l’article 515-6 dans le Code civil, lequel ouvrait aux partenaires la possibilité de demander l’attribution préférentielle. Toutefois, cette faculté était initialement limitée aux dispositions de l’article 832 du Code civil, ce qui excluait d’emblée :

  • Les exploitations agricoles ;
  • Les parts indivises de ces exploitations ;
  • Les parts sociales des sociétés exploitant un domaine agricole.

Cette exclusion traduisait la volonté du législateur de maintenir une distinction entre les biens patrimoniaux à vocation résidentielle ou professionnelle, accessibles aux partenaires de PACS, et les biens à caractère économique, tels que les exploitations agricoles, dont la transmission devait rester prioritairement réservée aux héritiers du défunt. Ce choix instaurait ainsi une différence de traitement entre les unions contractuelles principalement urbaines, où l’attribution préférentielle pouvait jouer un rôle protecteur, et celles ancrées dans un cadre rural, où cette faculté était délibérément écartée.

En outre, la seule référence à l’article 832 du Code civil dans l’ancienne version de l’article 515-6 soulevait une incertitude quant aux autres formes d’attribution préférentielle. Il n’était pas précisé si les partenaires pouvaient bénéficier des dispositions spécifiques permettant aux nus-propriétaires, légataires et institués contractuels de revendiquer une attribution préférentielle (art. 832-4 C. civ.).

La loi du 23 juin 2006 a profondément modifié le régime applicable aux partenaires. Elle a clarifié et élargi leur droit à l’attribution préférentielle en modifiant l’article 515-6 du Code civil, qui dispose désormais que les articles 831, 831-2, 832-3 et 832-4 sont applicables aux partenaires de PACS en cas de dissolution de celui-ci.

Cette réécriture a deux conséquences majeures :

  • Elle consacre l’accès du partenaire survivant à l’attribution préférentielle facultative pour certains biens, notamment :
    • La résidence principale et le mobilier qui la garnit (C. civ., art. 831-2, 1°);
    • Le local à usage professionnel et son mobilier (C. civ., art. 831-2, 2°) ;
    • Le véhicule nécessaire aux besoins de la vie courante (C. civ., art. 831-2, 1° in fine).
  • Elle écarte explicitement les règles concernant:
    • L’attribution préférentielle de plein droit du logement et du mobilier (C. civ., art. 831-3) ;
    • Les exploitations agricoles (C. civ., art. 832) ;
    • La constitution d’un groupement foncier agricole (C. civ., art. 832-1 et 832-2).

Cette réforme met fin à l’ambiguïté qui existait sous l’empire de la loi de 1999 et conforte l’alignement progressif des effets du PACS sur ceux du mariage.

Si les partenaires de PACS ne bénéficient pas du droit viager d’habitation et d’usage accordé aux conjoints survivants (art. 764 C. civ.), la loi leur offre néanmoins une protection renforcée en matière de logement.

En effet, l’article 515-6 du Code civil prévoit qu’un partenaire survivant peut bénéficier de l’attribution préférentielle de la résidence principale, mais seulement si le défunt l’a expressément prévu par testament. Cette disposition introduit ainsi une différence notable avec le conjoint survivant, qui dispose d’un droit à l’attribution préférentielle de plein droit (art. 831-3 C. civ.).

En parallèle, la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 a instauré un droit spécifique pour le partenaire survivant en matière de droit au bail, en introduisant l’article 1751-1 du Code civil. Ce texte prévoit que le partenaire survivant peut demander au juge l’attribution du droit au bail du logement commun, sous réserve des intérêts sociaux et familiaux en présence. Cette faculté permet ainsi au survivant de ne pas être contraint de quitter brutalement le domicile en cas de décès de son partenaire.

L’attribution préférentielle peut également être sollicitée en cas de rupture du PACS entre vifs, c’est-à-dire :

  • Par la volonté commune des partenaires ;
  • Par la volonté unilatérale de l’un d’eux (art. 515-7 C. civ.).

Dans ce cas, l’attribution préférentielle fonctionne comme dans une indivision classique : le partenaire qui souhaite conserver le bien peut demander son attribution moyennant le versement d’une soulte à l’autre. Si un litige survient entre les partenaires ou avec les héritiers du défunt, le tribunal appréciera la demande en considération des intérêts en présence.

L’article 515-6 renvoyant expressément à l’article 832-3 du Code civil, qui régit les conflits en matière d’attribution préférentielle, les principes généraux du droit des successions trouvent ici à s’appliquer.

Malgré cette avancée législative, certaines différences subsistent entre les partenaires de PACS et les conjoints mariés :

  • L’attribution préférentielle est de droit pour le conjoint survivant en matière de logement principal (art. 831-3 C. civ.), alors qu’elle nécessite un testament exprès pour le partenaire de PACS (art. 515-6 C. civ.).
  • Le droit viager d’usage et d’habitation dont bénéficie le conjoint survivant (art. 764 C. civ.) ne s’applique pas aux partenaires de PACS.
  • Les partenaires de PACS sont exclus des dispositifs relatifs aux exploitations agricoles et aux entreprises familiales, ce qui peut être préjudiciable lorsque le couple partageait une activité économique.

Toutefois, cette assimilation partielle témoigne d’une tendance du législateur à rapprocher, dans une certaine mesure, les effets du PACS de ceux du mariage, notamment en matière successorale et patrimoniale.

v. L’exclusion des concubins

==>Principe

Contrairement aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, les concubins ne bénéficient d’aucun droit à l’attribution préférentielle, cette faculté étant strictement réservée au conjoint survivant, aux héritiers et aux partenaires de PACS. La Cour de cassation a réaffirmé avec constance cette exclusion, fondée sur l’absence de cadre juridique régissant le concubinage, qui ne crée aucun droit successoral automatique entre les concubins.

Cette position jurisprudentielle s’impose avec fermeté, y compris dans les cas où l’un des concubins occupait exclusivement le bien indivis après la rupture. Ainsi, la haute juridiction a censuré une décision qui avait accordé à un concubin l’attribution préférentielle d’un bien indivis au motif qu’il en était l’occupant depuis la séparation du couple. 

Elle a rappelé que l’attribution préférentielle, prévue par l’article 832 du Code civil, ne peut être demandée que par le conjoint ou par un héritier, et ne s’applique donc pas aux concubins, quelles que soient les circonstances de la rupture et l’occupation du bien indivis. 

En l’espèce, les juges du fond avaient retenu que l’attribution préférentielle devait être accordée au concubin au motif qu’il résidait dans le bien et qu’il n’était pas démontré qu’il serait dans l’impossibilité de s’acquitter d’une éventuelle soulte. La Cour de cassation a censuré cette décision en considérant que, les parties n’étant pas mariées, l’intéressé ne pouvait en aucun cas prétendre au bénéfice de ce mécanisme successoral (Cass. 1re civ., 9 déc. 2003, n° 02-12.884).

==>Exceptions

  • L’indivision conventionnelle
    • Si le concubinage en lui-même n’ouvre aucun droit à l’attribution préférentielle, une exception peut toutefois être admise lorsque les concubins ont acquis un bien en indivision et ont encadré leur relation patrimoniale par une convention spécifique. 
    • En effet, si un pacte stipule expressément un droit de préférence au profit de l’un des concubins, celui-ci pourra l’invoquer lors du partage de l’indivision.
    • La Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt du 26 septembre 2012, que l’attribution préférentielle ne pouvait être sollicitée que par un conjoint, un partenaire de PACS ou un héritier, excluant ainsi les concubins du bénéfice des articles 831 et suivants du Code civil.
    • Toutefois, dans cette même décision, elle a précisé que l’indivision conventionnelle liant les concubins ne comportait aucune stipulation prévoyant un tel mécanisme, laissant ainsi entendre qu’une clause contractuelle explicite aurait pu être prise en compte (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-12.838).
    • Ainsi, bien que le concubin ne puisse pas revendiquer l’attribution préférentielle en vertu du droit successoral ou matrimonial, il peut néanmoins organiser contractuellement un droit similaire dans le cadre des règles de l’indivision ordinaire, sous réserve d’un accord préalable entre les parties.
  • La théorie de l’accession
    • Dans un cas où une concubine était propriétaire d’un terrain sur lequel elle et son concubin avaient édifié ensemble une maison à frais communs, la Cour de cassation a jugé que la construction était devenue la propriété de la concubine par accession et que celle-ci pouvait en obtenir l’attribution dans le cadre de la liquidation du concubinage (Cass. 1re civ., 2 oct. 2002, n° 01-00.002).
    • Cette solution repose sur la théorie de l’accession et non sur l’attribution préférentielle au sens strict.
  • Le mariage des concubins suivi d’un divorce
    • Un concubin ayant acquis avec sa concubine un bien en indivision avant leur mariage peut, s’ils divorcent ultérieurement, solliciter l’attribution préférentielle du bien en tant que conjoint divorcé.
    • En effet, le changement de statut du couple entraîne un basculement dans le régime de l’attribution préférentielle des époux, le demandeur pouvant alors fonder sa prétention sur sa qualité de conjoint et de copropriétaire (Cass. 1re civ., 7 juin 1988, n°86-15.090).
  • L’existence d’une société de fait
    • Dans certaines circonstances, la reconnaissance d’une société de fait entre concubins peut leur permettre d’accéder à un mécanisme proche de l’attribution préférentielle. 
    • La Cour de cassation a ainsi censuré une décision qui avait refusé d’examiner l’existence d’une telle société entre concubins ayant acquis ensemble un immeuble et ayant organisé entre eux les modalités de remboursement.
    • Elle a estimé que les juges du fond auraient dû vérifier si la situation ne relevait pas du régime des sociétés de fait, auquel cas le partage aurait obéi aux règles des sociétés, notamment celles relatives à la répartition des actifs en cas de dissolution (Cass. 1re civ., 20 mars 1989, n° 87-15.818).
    • Toutefois, la jurisprudence se montre extrêmement rigoureuse dans l’admission de telles sociétés, exigeant que soit démontrée l’existence d’un réel affectio societatis, c’est-à-dire une volonté commune de collaborer dans une entreprise à but lucratif. 
    • À défaut, la société de fait ne sera pas reconnue et le concubin restera soumis au régime de l’indivision ordinaire, sans possibilité de revendiquer une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 20 janv. 2010, n° 08-13.200).

vi. Les associés dans le cadre du partage d’une société

L’attribution préférentielle ne se limite pas aux partages successoraux ou matrimoniaux ; elle trouve également à s’appliquer dans le cadre du partage de l’actif social d’une société en liquidation. L’article 1844-9 du Code civil consacre cette possibilité en prévoyant que « les règles concernant le partage des successions, y compris l’attribution préférentielle, s’appliquent aux partages entre associés. »

Toutefois, ce droit demeure encadré par des principes spécifiques au droit des sociétés. En premier lieu, le partage ne peut intervenir qu’après le paiement des dettes et le remboursement du capital social. Ce n’est qu’une fois ces obligations satisfaites que les associés peuvent prétendre au partage du solde de l’actif, en principe proportionnellement à leur participation aux bénéfices, sauf disposition contraire des statuts ou accord spécifique des associés.

En second lieu, l’attribution préférentielle est subordonnée à l’exercice des prérogatives prioritaires expressément prévues par l’alinéa 3 de l’article 1844-9 du Code civil. Ce texte confère en effet une priorité absolue à l’associé ayant effectué un apport en nature : si le bien apporté figure toujours dans l’actif social au moment du partage, il peut, sur simple demande, en obtenir l’attribution à charge de soulte si nécessaire. Ce droit prime toute autre demande d’attribution préférentielle et s’exerce avant toute autre répartition de l’actif.

En l’absence d’apport en nature identifiable, l’attribution préférentielle peut néanmoins être sollicitée par un associé sur tout bien répondant aux conditions définies aux articles 831 et 831-2 du Code civil. Autrement dit, un associé peut prétendre à l’attribution d’un actif social qui lui est nécessaire pour poursuivre une activité professionnelle, ou encore d’un bien immobilier servant d’habitation, à condition qu’il remplisse les exigences requises par le droit commun de l’attribution préférentielle.

La Cour de cassation a eu l’occasion d’appliquer ces principes dans une affaire impliquant le partage de l’actif social d’une société créée de fait entre concubins. Ceux-ci exploitaient ensemble un centre d’hébergement touristique et de loisirs, au sein duquel l’un des associés avait réalisé plusieurs tapisseries dans le cadre des activités artisanales développées par la société. La Cour d’appel avait jugé que ces œuvres, représentant l’apport en industrie de leur créateur, faisaient partie de l’actif social et devaient être intégrées à la masse à partager après liquidation du passif.

Confirmant cette analyse, la Cour de cassation a retenu que ces biens, relevant de l’activité de la société et se retrouvant en nature dans l’actif social, ouvraient droit à une attribution préférentielle au profit de leur auteur, sous réserve du versement d’une soulte aux autres associés, en application de l’article 1844-9 du Code civil (Cass. 1re civ., 30 mai 2006, n° 04-14.749). Ainsi, la haute juridiction a rappelé que lorsqu’un bien, résultant d’un apport en industrie, demeure en nature au sein du patrimoine social au moment de la liquidation, l’associé à l’origine de cet apport peut en solliciter l’attribution préférentielle dans le cadre du partage de l’actif.

2. La titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété

L’attribution préférentielle, en tant que modalité du partage successoral, suppose la détention d’un droit réel sur le bien indivis. Toutefois, si les héritiers titulaires d’un droit en pleine propriété ou en nue-propriété peuvent prétendre à cette faculté, les usufruitiers en sont expressément exclus. Cette distinction, qui repose sur la nature même des droits en cause, mérite d’être examinée à travers deux axes complémentaires : d’une part, l’exigence de titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété, et, d’autre part, l’exclusion des titulaires d’un droit d’usufruit.

a. L’exigence de titularité d’un droit en propriété ou en nue-propriété

L’attribution préférentielle, en tant que modalité du partage successoral, suppose que le demandeur détienne un droit en indivision sur le bien concerné. À ce titre, seuls les titulaires de droits en pleine propriété ou en nue-propriété peuvent valablement en solliciter le bénéfice. Cette exigence, consacrée par l’article 831 du Code civil, trouve sa justification dans le principe selon lequel le partage ne peut porter que sur les biens relevant de l’indivision, à l’exclusion de ceux qui appartiennent à des tiers.

Originellement, la jurisprudence interprétait de manière rigoureuse cette exigence de copropriété, réservant l’attribution préférentielle aux seuls titulaires d’un droit en pleine propriété. Dans un arrêt du 8 novembre 1965, la Cour de cassation avait ainsi retenu l’exclusion des nus-propriétaires, considérant que la nue-propriété, en ce qu’elle constitue un droit de propriété démembré, ne conférait pas une maîtrise suffisante du bien pour justifier une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 8 nov. 1965).

Cette position s’est révélée particulièrement sévère dans les hypothèses où le conjoint survivant recueillait l’usufruit universel des biens successoraux, reléguant les héritiers à la seule nue-propriété, sans possibilité d’obtenir l’attribution préférentielle des biens nécessaires à la poursuite d’une activité professionnelle ou à la conservation du patrimoine familial. Une telle rigueur a suscité d’importantes critiques doctrinales, dénonçant une application excessivement formaliste du droit successoral, au détriment de l’objectif poursuivi par le mécanisme de l’attribution préférentielle.

Face aux incohérences pratiques générées par cette exclusion, le législateur a entendu remédier à cette situation en adoptant la loi du 23 décembre 1970, introduisant l’article 832-4 du Code civil, devenu l’article 833 depuis la réforme du 23 juin 2006. Cette réforme a marqué une avancée décisive en reconnaissant aux nus-propriétaires la faculté de solliciter l’attribution préférentielle d’un bien indivis, y compris lorsque celui-ci restait grevé d’un usufruit.

Désormais, le nu-propriétaire, au même titre que le titulaire d’un droit en pleine propriété, peut revendiquer l’attribution préférentielle, ce qui revêt une portée pratique considérable dans le cadre de la transmission d’entreprises ou de biens immobiliers à usage professionnel. Un enfant nu-propriétaire exploitant un fonds de commerce ou une exploitation agricole peut ainsi prétendre à l’attribution préférentielle du bien, sous réserve de justifier d’une participation effective à son exploitation (Cass. 1ere civ., 2 déc. 2015, n°14-25.622). Cette évolution contribue à assurer la pérennité des entreprises familiales et à éviter que l’usufruit détenu par un conjoint survivant ne constitue un frein à la continuité de l’exploitation.

Toutefois, cette ouverture ne s’étend pas aux légataires à titre particulier. En effet, ces derniers ne disposent pas de la qualité d’héritier et, partant, ne peuvent se prévaloir du mécanisme de l’attribution préférentielle, sauf dans l’hypothèse où la libéralité consentie a été réduite en nature, les plaçant alors en indivision avec les autres cohéritiers. Cette exclusion s’explique par la volonté du législateur de réserver ce dispositif aux successions ab intestat ou aux situations où un bien demeure en indivision entre les successibles.

b. L’exclusion des titulaires d’un droit d’usufruit

Si la reconnaissance du droit des nus-propriétaires à solliciter une attribution préférentielle constitue une avancée significative du droit successoral, il n’en demeure pas moins que les usufruitiers en sont, quant à eux, formellement exclus. Cette exclusion procède de la nature même de l’usufruit, qui ne confère qu’un droit de jouissance temporaire, tandis que l’attribution préférentielle implique un transfert de propriété, incompatible avec les prérogatives limitées de l’usufruitier.

Ainsi, la Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises que l’usufruitier ne peut, en aucun cas, prétendre à une attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 27 juin 2000, n° 98-17.177). Une telle demande reviendrait, en effet, à transformer un droit temporaire de jouissance en un droit de propriété définitif, ce que la loi prohibe expressément. L’attribution préférentielle étant une simple modalité du partage, elle ne peut en aucun cas constituer un moyen détourné d’accroître les droits de l’usufruitier au détriment des autres héritiers.

Cette exclusion trouve une justification dans la distinction fondamentale entre l’usufruit et la pleine propriété. L’usufruitier n’a, par définition, ni la maîtrise intégrale du bien, ni la faculté de le disposer librement. Or, le mécanisme de l’attribution préférentielle suppose, au contraire, une appropriation totale et définitive du bien, assortie, le cas échéant, du versement d’une soulte aux coindivisaires. Dans ces conditions, l’usufruitier ne saurait revendiquer une attribution préférentielle, pas même sous la forme d’un usufruit viager sur le bien litigieux.

Avant la réforme du 3 décembre 2001, cette exclusion de l’usufruitier s’est révélée particulièrement préjudiciable au conjoint survivant. En présence de descendants, ce dernier ne recueillait bien souvent que l’usufruit légal du quart de la succession et ne pouvait, en conséquence, obtenir l’attribution préférentielle du logement conjugal indivis (Cass. 1re civ., 10 mai 1966). En raison de l’absence de copropriété en pleine propriété, condition alors strictement exigée, le conjoint survivant usufruitier était privé de toute possibilité de sécuriser son maintien dans le logement.

Face aux difficultés pratiques engendrées par cette rigueur juridique, le législateur est intervenu par la loi du 3 décembre 2001, instaurant un droit viager au logement au profit du conjoint survivant (art. 764 C. civ.). Ce dispositif vise à assurer la protection du logement conjugal en permettant au conjoint survivant d’y demeurer jusqu’à son décès, à condition que ce bien ait constitué sa résidence principale au jour du décès du défunt.

Toutefois, ce droit viager ne saurait être assimilé à une attribution préférentielle. Contrairement à cette dernière, qui conduit à l’acquisition définitive du bien en propriété, le droit viager au logement se borne à conférer au conjoint survivant un droit d’usage et d’habitation, insusceptible de mutation ou de cession. Il s’agit d’une mesure de protection d’ordre public, s’imposant aux héritiers sans qu’aucune contrepartie financière ne leur soit due. De ce fait, si le conjoint survivant peut bénéficier d’une jouissance prolongée du logement conjugal, il demeure exclu du champ de l’attribution préférentielle, dont la vocation est résolument patrimoniale.

Cette distinction est d’autant plus importante que le droit viager au logement s’exerce indépendamment des règles successorales classiques. Il ne suppose pas l’indivision du bien et peut s’appliquer même si les héritiers entendent procéder à un partage immédiat de la succession. En revanche, l’attribution préférentielle reste subordonnée à l’existence d’une indivision successorale, ce qui en limite la portée au cadre du partage.

c. La situation particulière du titulaire d’un droit au bail

Si l’usufruitier demeure exclu du bénéfice de l’attribution préférentielle, le législateur a néanmoins aménagé une protection spécifique en matière de droit au bail, reconnaissant au conjoint survivant un droit préférentiel lui permettant de solliciter l’attribution du droit au bail du logement commun.

Cette avancée a été introduite par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, laquelle a inséré l’article 1751-1 du Code civil. Ce texte autorise désormais le conjoint survivant à demander l’attribution du droit au bail du logement conjugal, sous réserve de l’appréciation des intérêts en présence par le juge. Ce dernier devra notamment tenir compte des besoins du conjoint survivant et de ceux des autres héritiers pour statuer sur la demande.

Cette protection constitue une réponse aux difficultés que rencontrait le conjoint survivant en cas de logement pris à bail. Avant cette réforme, la question du devenir du contrat de location en cas de décès du locataire était source d’incertitudes. Si la jurisprudence avait admis que le conjoint survivant pouvait se voir reconnaître un droit exclusif sur le bail en cas de nécessité manifeste, cette solution demeurait incertaine et soumise aux appréciations des juges du fond. L’introduction de l’article 1751-1 du Code civil a donc eu pour effet de sécuriser la situation du conjoint survivant, en lui conférant un véritable droit préférentiel, opposable aux autres héritiers.

Toutefois, il est essentiel de souligner que ce droit préférentiel en matière de bail ne remet pas en cause l’exclusion du conjoint survivant du bénéfice de l’attribution préférentielle en pleine propriété. En effet, ce dispositif ne lui permet pas d’acquérir la propriété du logement, mais simplement d’en préserver la jouissance en cas de décès de son conjoint. Il constitue ainsi une mesure de protection renforcée du logement, sans pour autant emporter les effets patrimoniaux attachés à l’attribution préférentielle.

3. L’existence d’un intérêt légitime à l’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle ne saurait être accordée sans la démonstration d’un intérêt légitime du postulant. Cette exigence, qui découle de l’article 831 du Code civil, se justifie par le fait que l’attribution constitue une modalité particulière du partage successoral, dérogeant au principe d’égalité entre coindivisaires. L’intérêt légitime s’apprécie au regard de la nature du bien sollicité et des circonstances propres à chaque demande.

a. L’attribution d’une entreprise agricole, commerciale, artisanale, industrielle ou libérale

L’attribution préférentielle d’une entreprise implique que le demandeur justifie d’une participation effective à son exploitation, conformément aux dispositions de l’article 831, alinéa 1 du Code civil. Cette participation peut être directe (gestion, exploitation active) ou indirecte (collaboration étroite, implication dans la valorisation de l’activité).

Ainsi, la jurisprudence reconnaît qu’un héritier peut prétendre à l’attribution préférentielle s’il a exercé une activité en lien avec l’exploitation concernée, même si cette activité n’était pas continue. Il n’est pas exigé que la participation ait perduré jusqu’à l’ouverture de la succession, il suffit qu’elle ait existé à un moment pertinent et qu’elle soit démontrée de manière tangible.

Par exemple, la Cour de cassation a jugé qu’un enfant ayant participé à l’exploitation d’un fonds de commerce familial, fût-ce de manière ponctuelle, pouvait se voir attribuer préférentiellement le bien, dès lors qu’il démontrait une intention de poursuivre l’activité (Cass. 1ere civ., 2 déc. 2015, n° 14-25.622). Cette souplesse vise à éviter une déstabilisation excessive des entreprises familiales lors du règlement successoral.

En matière agricole, l’attribution préférentielle peut être facilitée lorsque l’héritier exploite déjà le bien en qualité de fermier ou de métayer. Cette situation permet au juge de constater une continuité de l’exploitation et d’accorder l’attribution au regard de l’intérêt économique généralre.

Cependant, une stricte appréciation des critères demeure de mise : une simple intention déclarative de reprendre l’exploitation ne suffit pas, la preuve d’un engagement antérieur ou d’une compétence spécifique est requise.

b. L’attribution du local d’habitation ou professionnel

Lorsqu’elle porte sur un bien immobilier, l’attribution préférentielle repose sur des critères d’occupation effective et de nécessité.

S’agissant des locaux à usage d’habitation, l’article 831-2 du Code civil impose que le demandeur y ait résidé de manière stable avant l’ouverture de la succession et qu’il justifie d’un besoin réel de s’y maintenir. La Cour de cassation a ainsi rappelé que l’attribution ne saurait être accordée à un indivisaire qui ne justifie pas d’une occupation antérieure ou d’un projet de maintien dans le logement familial (Cass. 1re civ., 15 janv. 2014, n° 12-25.322).

Concernant les locaux professionnels, l’exigence porte non sur une occupation antérieure, mais sur l’exercice effectif d’une activité à la date de la demande (art. 831-2, 2° C. civ.). Cette condition vise à éviter qu’un indivisaire ne sollicite l’attribution à des fins spéculatives sans réel projet d’exploitation. Dès lors, un héritier qui exerce déjà une profession libérale dans un immeuble appartenant à l’indivision aura un intérêt légitime à en solliciter l’attribution.

c. L’attribution des éléments mobiliers affectés à l’exploitation

L’attribution préférentielle peut également s’étendre aux biens mobiliers nécessaires à l’exploitation d’un fonds professionnel ou agricole (art. 831-2, 3° C. civ.). Cette extension permet au bénéficiaire de poursuivre l’activité économique dans des conditions optimales.

Là encore, la notion d’intérêt légitime suppose la démonstration d’un usage effectif du matériel concerné. Ainsi, un médecin succédant à une clinique familiale pourra solliciter l’attribution préférentielle du matériel médical s’il entend poursuivre l’exercice de la profession dans les lieux. De même, un exploitant agricole héritant du cheptel de son prédécesseur pourra prétendre à son attribution dès lors qu’il démontre son utilité pour la continuité de l’exploitation.

La jurisprudence a admis que la continuité d’exploitation pouvait être assurée par l’attributaire lui-même ou par un membre de sa famille exerçant l’activité sous sa responsabilité (Cass. 1ere civ., 10 juin 1987, n°85-17.000). En revanche, une attribution préférentielle visant un matériel d’exploitation sans lien avéré avec l’activité du demandeur serait rejetée.

C) Conditions tenant aux volontés exprimées par le défunt et aux choix des copartageants

L’attribution préférentielle, en tant que simple modalité du partage successoral, se trouve naturellement soumise à la volonté du défunt et des copartageants. Loin d’être un droit absolu, elle demeure tributaire des dispositions prises de son vivant par le de cujus et des choix exprimés par les indivisaires lors du partage. Son application obéit ainsi à un double contrôle : d’une part, celui du testateur, dont les dispositions peuvent entraver ou exclure l’attribution préférentielle ; d’autre part, celui des copartageants, qui peuvent en contester la mise en œuvre sous certaines conditions.

1. L’influence de la volonté du défunt

==>La faculté d’exclure l’attribution préférentielle

Le défunt conserve une large latitude pour organiser la transmission de ses biens et, partant, restreindre ou empêcher l’attribution préférentielle. Ce pouvoir découle du principe selon lequel les dispositions testamentaires priment sur les règles supplétives du Code civil. Ainsi, plusieurs mécanismes peuvent être mis en œuvre pour priver les héritiers de la possibilité d’obtenir une attribution préférentielle :

  • L’exclusion par legs ou donation : un bien légué à titre particulier sort du patrimoine successoral et échappe de ce fait à l’attribution préférentielle. La jurisprudence l’a affirmé de manière constante, admettant que l’institution d’un légataire emporte de plein droit l’exclusion de la répartition successorale classique et donc de l’attribution préférentielle (Cass. 1re civ., 8 juill. 1958).
  • Le recours aux libéralités-partages : de même, lorsqu’un bien est attribué dans le cadre d’une donation-partage, il échappe définitivement aux opérations de partage et à toute revendication au titre de l’attribution préférentielle.
  • Les clauses testamentaires excluant le partage en nature : un testateur peut stipuler une disposition imposant un partage en nature ou interdisant une attribution préférentielle sur certains biens spécifiques (Cass. 1re civ., 3 févr. 1959). Une telle clause prime sur la demande d’attribution, sauf fraude manifeste ou contradiction avec des dispositions impératives.

==>Les limites de la volonté du défunt

Si le de cujus dispose d’un pouvoir d’organisation de sa succession, encore faut-il que sa volonté soit formelle et non équivoque. En effet, une simple disposition ambiguë ne saurait suffire à écarter le droit d’attribution préférentielle. La jurisprudence a ainsi précisé que l’exclusion de ce mécanisme ne peut résulter que d’une stipulation expresse, par exemple une clause testamentaire affirmant clairement la volonté d’un partage en nature ou d’une répartition spécifique du patrimoine (Cass. 1re civ., 30 oct. 1962).

Par ailleurs, la réduction des libéralités pour atteinte à la réserve ne réintroduit pas l’attribution préférentielle. En effet, lorsque le legs est réductible en valeur mais non en nature, le bien concerné ne revient pas dans la masse successorale et ne peut donc faire l’objet d’une attribution préférentielle.

2. L’influence de la volonté des copartageants

==>La nécessité d’une demande expresse

L’attribution préférentielle ne joue qu’à la condition d’être demandée. Elle ne peut être présumée ni imposée d’office par le juge. Cette demande peut être introduite dès l’ouverture de la succession et jusqu’à la clôture des opérations de partage, sauf prescription ou chose jugée (Cass. 1re civ., 19 déc. 1977).

L’absence de demande ou une renonciation, même tacite mais certaine, empêche son octroi (Cass. civ., 14 janv. 1947).

Un héritier peut donc renoncer volontairement à l’attribution préférentielle, que ce soit dans le cadre d’un accord amiable ou par un comportement implicite mais sans équivoque.

==>Les demandes concurrentes et leur règlement

Lorsque plusieurs copartageants remplissent les conditions pour obtenir l’attribution préférentielle d’un même bien, deux issues sont envisageables :

  • Une demande conjointe : les héritiers peuvent solliciter une attribution indivise, ce qui permet de répartir entre eux la charge éventuelle d’une soulte et d’assurer la conservation du bien dans le cadre familial?
  • Des demandes exclusives concurrentes : en cas de conflit entre plusieurs prétendants, il appartient au juge d’arbitrer en tenant compte des intérêts en présence et de l’aptitude de chaque postulant à assumer la charge de l’attribution. La jurisprudence impose notamment au juge d’apprécier la durée et l’intensité de l’implication du demandeur dans l’exploitation du bien convoité?

==>L’opposition des autres copartageants

Les autres copartageants peuvent-ils s’opposer à une demande d’attribution préférentielle qu’ils jugeraient préjudiciable à leurs intérêts ? La réponse dépend du caractère facultatif ou impératif de l’attribution :

  • Attribution préférentielle facultative : les autres copartageants peuvent faire valoir leurs propres intérêts pour s’y opposer. Toutefois, leur opposition ne constitue pas un veto absolu : le juge statue en fonction des circonstances et des éléments de fond, comme l’utilité du bien pour le demandeur et sa capacité à honorer une éventuelle soulte.
  • Attribution préférentielle de droit : lorsque la loi confère un droit automatique à l’attribution (comme dans le cas d’une petite exploitation agricole ou d’un local d’habitation principal), les coindivisaires ne peuvent s’y opposer que dans des circonstances très exceptionnelles, notamment en cas d’insolvabilité manifeste du demandeur (Cass. 1re civ., 17 mars 1987).

Opérations de partage: l’établissement des comptes entre indivisaires

L’établissement des comptes entre indivisaires constitue une étape cruciale dans le processus de liquidation de l’indivision, permettant de rétablir un équilibre financier au sein de la communauté indivise.

En tenant compte des créances et des dettes de chaque indivisaire vis-à-vis de la masse commune, cette opération vise à corriger les disparités nées de la gestion ou de la jouissance des biens indivis et à garantir une répartition équitable de la masse partageable.

À cet égard, Michel Grimaldi rappelle avec justesse que « l’établissement des comptes entre indivisaires assure une liquidation juste et équilibrée, en prenant en considération tant les contributions apportées que les prélèvements opérés par chacun sur le patrimoine commun »[10].

I) L’obligation de tenir un état des créances et des dettes

En application de l’article 815-8 du Code civil, toute personne percevant des revenus ou engageant des dépenses pour le compte de l’indivision est tenue de tenir un état des créances et des dettes.

Cette obligation s’étend non seulement aux indivisaires eux-mêmes, mais également à toute personne impliquée dans la gestion des biens indivis, qu’il s’agisse d’un mandataire désigné par les indivisaires ou d’une personne nommée par voie judiciaire.

L’état des créances et des dettes, couramment rédigé par un notaire, constitue un document essentiel à la gestion de l’indivision. Il doit être mis à la disposition des indivisaires et contenir un récapitulatif précis des recettes perçues et des dépenses engagées pour le compte de la collectivité indivise.

Ce document ne se limite pas à un simple état descriptif ; il est un véritable compte de gestion, destiné à permettre aux indivisaires de suivre de manière claire l’évolution financière de l’indivision. Il assure également la transparence quant à la répartition équitable des charges et des bénéfices entre les co-indivisaires.

Dans le cadre d’une succession, le rôle du notaire liquidateur devient primordial. Ce dernier est chargé de tenir un compte d’administration de l’indivision, qui centralise toutes les opérations financières effectuées au nom de la masse indivise.

Ce compte inclut non seulement les revenus perçus, tels que les loyers ou les produits de cession d’actifs indivis, mais également les dépenses nécessaires à la gestion des biens indivis, comme le paiement des taxes ou les frais d’entretien.

Bien que distinct du compte d’indivision proprement dit, ce compte d’administration joue un rôle essentiel. Il permet, en effet, d’établir les créances et les dettes de chaque indivisaire vis-à-vis de l’indivision et d’assurer une liquidation transparente au moment du partage.

II) La finalité des comptes entre indivisaires

L’établissement des comptes entre indivisaires répond à une nécessité impérieuse de régularisation des déséquilibres financiers nés au cours de la gestion de l’indivision. En effet, les relations entre indivisaires, loin d’être figées, évoluent au gré des apports, des dépenses et des bénéfices réalisés par chacun, rendant indispensable une clarification des droits et obligations respectifs avant tout partage définitif.

Les déséquilibres susceptibles de résulter de la gestion de l’indivision revêtent des formes variées. Ils peuvent résulter :

  • De dépenses engagées par certains indivisaires pour le compte de la collectivité indivise, telles que des frais d’entretien, des travaux de conservation ou encore des primes d’assurance. Ces dépenses, nécessaires à la préservation du patrimoine commun, doivent être prises en compte afin d’éviter qu’un seul indivisaire supporte des charges qui bénéficient à l’ensemble.
  • De la jouissance privative d’un bien indivis par un indivisaire, lorsque celui-ci occupe seul un immeuble indivis, privant ainsi les autres indivisaires de leur droit à la jouissance commune. Cette occupation exclusive engendre une dette à l’égard de la masse indivise, sous forme d’une indemnité d’occupation, destinée à rétablir l’équilibre entre les co-indivisaires.
  • De la perception exclusive de fruits ou de revenus issus des biens indivis par un indivisaire, par exemple lorsqu’un indivisaire perçoit seul les loyers d’un immeuble indivis sans en reverser la part revenant aux autres. Cette situation doit être régularisée pour garantir une répartition équitable des fruits entre tous les co-indivisaires.

Ces situations, bien que fréquentes, ne sauraient demeurer sans régularisation au risque de compromettre l’égalité qui doit présider au partage des biens indivis. L’objectif des comptes entre indivisaires est précisément de restaurer cet équilibre en tenant compte des créances et des dettes de chacun vis-à-vis de la masse indivise. Ils permettent d’éviter que certains indivisaires ne se trouvent avantagés au détriment des autres, notamment lorsque des dépenses ont été avancées ou des bénéfices perçus de manière inégale.

Comme le rappelle la doctrine, le compte d’indivision « se situe au carrefour des contributions financières et des droits patrimoniaux des indivisaires, visant à solder les relations économiques nées au cours de la gestion commune, afin d’assurer une liquidation juste et équitable »[11]. Il en résulte que les comptes entre indivisaires doivent être établis avec rigueur afin de garantir une répartition équitable des charges et des bénéfices.

Cette exigence de rigueur s’explique par le fait que l’établissement des comptes conditionne directement le partage. Un compte mal tenu ou incomplet pourrait fausser la liquidation de l’indivision, au risque d’engendrer de nouvelles contestations entre indivisaires. Dès lors, le rôle du notaire chargé de la liquidation apparaît primordial, ce dernier étant tenu de dresser un état précis des créances et des dettes de chacun, comme le prescrit l’article 1368 du Code de procédure civile.

Exemple pratique :

Un indivisaire finance seul des travaux de rénovation sur un immeuble indivis afin d’en préserver la valeur. Par ailleurs, un autre indivisaire perçoit les loyers générés par cet immeuble sans en reverser la part revenant aux autres. Ces situations doivent être régularisées lors de l’établissement des comptes, afin que le premier indivisaire puisse obtenir remboursement de sa créance et que le second soit redevable d’une indemnité correspondant aux loyers indûment perçus.

Ainsi, l’établissement des comptes d’indivision permet de dégager un solde global pour chaque indivisaire, qui sera imputé sur sa part dans la masse partageable. Si un indivisaire est créancier de la masse, il pourra prélever ce solde sur les biens indivis avant le partage. À l’inverse, si un indivisaire est débiteur, sa dette sera imputée sur sa part de l’actif net, garantissant ainsi une répartition équitable entre les co-indivisaires.

Aussi, les comptes d’indivision constituent l’ultime étape permettant de solder les relations entre indivisaires avant le partage. Leur rôle est de restaurer un équilibre entre les contributions financières de chacun et les bénéfices tirés de l’indivision, afin d’assurer une liquidation sereine.

III) La nature du compte d’indivision

==>Termes du débat

La nature juridique du compte d’indivision fait l’objet d’une controverse doctrinale importante. Deux courants principaux s’opposent sur cette question.

  • Première thèse
    • Un premier courant doctrinal voit dans le compte d’indivision un véritable compte juridique, comparable à celui des récompenses dans la liquidation d’une communauté.
    • Selon cette conception, le compte d’indivision est bien plus qu’un simple état descriptif des flux financiers entre les indivisaires et l’indivision.
    • Il constitue un mécanisme juridique ce qui entraîne des effets juridiques immédiats dès l’inscription des créances.
    • En effet, dès que les créances et dettes sont inscrites au compte d’indivision, elles perdent leur individualité pour constituer un « bloc indivisible ».
    • Ce bloc est constitué de la totalité des créances et des dettes inscrites, qui se fondent ensemble pour former un solde unique.
    • Ainsi, les créances et les dettes disparaissent dans leur forme originelle et sont absorbées dans ce bloc indivisible, qui devient constitutif du solde du compte.
    • Ce mécanisme présente l’avantage de simplifier considérablement les relations financières au sein de l’indivision.
    • En effet, au lieu de procéder à des règlements individuels de créances ou de dettes pendant la durée de l’indivision, toutes les créances et dettes inscrites dans le compte s’annulent réciproquement, créant ainsi un solde net qui sera établi lors de la clôture du compte.
    • Ce solde est alors soumis à un règlement unitaire, qui n’interviendra qu’au moment du partage définitif.
    • Autrement dit, ce compte ne permet pas aux indivisaires de revendiquer individuellement l’exigibilité de leurs créances avant le partage.
    • Ce n’est qu’à la clôture du compte, c’est-à-dire au moment du partage de l’indivision, que le solde final sera calculé et réglé entre les indivisaires.
    • Cette conception s’inspire en partie de la théorie de la novation, selon laquelle l’inscription des créances dans le compte d’indivision entraîne leur transformation en simples articles de compte.
    • Ces articles perdent leur individualité juridique et sont soumis aux règles propres au compte, incluant notamment des mécanismes de compensation automatique.
    • Ainsi, ce solde unique résultant du compte d’indivision est opposable à tous les indivisaires au moment du partage, créant une liquidation simplifiée et homogène des créances et des dettes.
    • Les créances ne peuvent plus être exigées individuellement avant cette clôture, et elles ne redeviennent exigibles qu’au moment où le solde global est calculé lors du partage.
    • Ce fonctionnement unitaire garantit donc une gestion financière plus fluide, en évitant des contestations sur l’exigibilité des créances en cours d’indivision.
  • Seconde thèse
    • Les partisans du second courant doctrinal, parmi lesquels figure notamment Michel Grimaldi, adoptent une approche plus circonspecte quant à la qualification juridique du compte d’indivision.
    • Selon cette vision, le compte d’indivision s’apparente à un simple instrument de nature arithmétique, ayant pour seul objet de répertorier les mouvements financiers entre les indivisaires et l’indivision elle-même.
    • Il ne s’agit donc pas, selon cette conception, d’un compte juridiquement structuré, mais plutôt d’un registre destiné à faciliter le règlement comptable lors du partage final.
    • Autrement dit, le compte n’a pas pour effet de modifier la nature des créances et dettes qui y sont inscrites.
    • Chaque élément inscrit au compte conserve son individualité et demeure isolé.
    • Contrairement à la thèse opposée, qui envisage la fusion des créances et des dettes dans un « bloc indivisible », les défenseurs de cette approche soutiennent que le compte d’indivision ne joue qu’un rôle descriptif et informatif.
    • Il se contente de répertorier de manière précise et détaillée les créances et dettes de chaque indivisaire, sans entraîner de novation ou de transformation de la nature juridique de ces créances et dettes.
    • Ainsi, la fonction première du compte d’indivision, selon cette thèse, est de fournir un état détaillé des flux financiers, dans le but d’en simplifier le calcul au moment du règlement final.
    • Chaque créance ou dette est inscrite individuellement, avec son montant exact, et sans qu’il y ait fusion ou compensation entre elles avant le partage.

==>Thèse privilégiée

Entre les deux thèses en présence, la doctrine majoritaire tend à privilégier la première, en raison des particularités qui régissent le fonctionnement du compte d’indivision.

Tout d’abord, il convient de souligner que dès l’inscription des créances au sein du compte, celles-ci perdent leur individualité pour être fusionnées dans un « bloc indivisible ».

Ce solde global, regroupant créances et dettes, ne sera liquidé qu’au moment du partage définitif, instant précis où les droits et obligations des indivisaires seront également réglés. Cette fusion des créances démontre que le compte d’indivision dépasse le simple cadre d’un relevé comptable.

De plus, l’entrée des créances et des dettes dans le compte interrompt le cours de la prescription. Ce seul élément confère une portée juridique immédiate au compte, garantissant que les créances, loin de s’éteindre sous l’effet du temps, demeurent exigibles lors du partage.

Par conséquent, le compte ne se limite pas à fournir une information sur la situation financière de l’indivision, mais joue un rôle actif dans la préservation des droits des indivisaires.

Une autre différence majeure entre le compte d’indivision et un simple outil de gestion comptable réside dans l’absence de mécanisme de compensation.

Contrairement à la compensation, qui ne s’applique qu’à des dettes exigibles entre créanciers et débiteurs réciproques, le compte d’indivision prend en compte des créances et dettes qui ne sont pas forcément exigibles avant le partage.

De surcroît, il régit exclusivement les relations entre chaque indivisaire et la masse indivise, sans inclure les créances entre indivisaires eux-mêmes, ce qui souligne encore une fois sa vocation à gérer la relation globale au sein de l’indivision.

Par ailleurs, le but ultime du compte d’indivision est d’établir un solde unique à la clôture de l’indivision. Ce solde, qu’il soit positif ou négatif, est imputé sur les droits de l’indivisaire dans la masse indivise.

Ainsi, si un indivisaire se trouve créancier au moment du partage, il sera réglé par prélèvement sur la masse. À l’inverse, s’il est débiteur, sa dette sera imputée avant l’attribution de ses droits, protégeant ainsi les autres indivisaires contre les risques d’insolvabilité.

Au total, au regard de ces différentes règles et mécanismes, il apparaît que le compte d’indivision s’éloigne du simple outil de gestion comptable pour s’inscrire véritablement dans la catégorie des comptes juridiques.

Par la fusion des créances, la protection des droits, et l’imputation sur la masse indivise, il présente toutes les caractéristiques d’un compte juridique structuré, davantage que d’un simple registre descriptif.

IV) La méthodologie d’établissement des comptes

Comme vu précédemment, l’article 1368 du Code de procédure civile impose au notaire commis à la liquidation de dresser un état liquidatif des comptes entre les indivisaires. Cet état se matérialise par la constitution de comptes individuels au nom de chaque indivisaire, dans lesquels sont inscrites les créances et les dettes de chacun vis-à-vis de l’indivision. L’objectif est de clarifier les droits de chacun sur la masse partageable en prenant en compte les apports financiers, les bénéfices perçus et les dettes contractées pendant la période d’indivision.

A cet égard, chaque compte individuel retrace les flux financiers intervenus au profit ou à la charge de l’indivisaire, qu’il s’agisse :

  • Des créances que l’indivisaire détient sur la masse indivise, par exemple pour des dépenses engagées dans l’intérêt commun ;
  • Des dettes qu’il doit à la masse indivise, notamment en cas de jouissance privative d’un bien indivis ou de perception exclusive de revenus issus de l’indivision.

L’établissement du compte individuel permet de dégager un solde final, qui peut être :

  • Positif : l’indivisaire est créancier de la masse indivise. Il pourra prélever le montant de sa créance sur les biens ou les liquidités disponibles avant le partage.
  • Négatif : l’indivisaire est débiteur envers la masse indivise. Sa dette sera imputée sur la valeur des biens qui lui seront attribués lors du partage, selon le mécanisme du rapport en moins prenant prévu par l’article 864 du Code civil.

Ce solde final conditionne directement les droits de chaque indivisaire lors du partage. En effet, le compte d’indivision permet d’imputer les créances et les dettes sur la masse partageable, garantissant ainsi une répartition équitable des biens indivis entre les indivisaires.

Exemple pratique :

Un indivisaire finance à ses frais la réfection de la toiture d’un immeuble indivis pour éviter une dégradation majeure. Cette dépense, engagée dans l’intérêt commun, constitue une créance inscrite à l’actif de son compte individuel. À l’inverse, si un autre indivisaire occupe seul cet immeuble sans indemniser les autres indivisaires, il devra une indemnité d’occupation, inscrite au passif de son compte. Au moment du partage, ces créances et dettes seront prises en compte pour déterminer la part nette revenant à chaque indivisaire.

V) Les éléments composant les comptes d’indivision

Le compte d’indivision regroupe les créances et les dettes nées durant la période d’indivision, permettant ainsi de centraliser toutes les opérations financières effectuées au profit ou à la charge de la masse indivise.

Il peut être observé que l’inscription des créances et dettes dans le compte d’indivision présente un caractère essentiellement facultatif, laissant aux indivisaires une marge de manœuvre quant à la gestion de leurs créances et dettes vis-à-vis de la masse indivise.

En effet, chaque indivisaire, qu’il soit créancier ou débiteur, conserve une certaine liberté dans la décision d’inscrire ou non ses créances au compte d’indivision.

Par ailleurs, un indivisaire créancier, en vertu de l’article 815-17 du Code civil, peut, selon son intérêt, soit exiger immédiatement le règlement de sa créance, soit en reporter l’inscription jusqu’au moment du partage.

Cette faculté permet à l’indivisaire de moduler le moment où il souhaite récupérer les fonds investis dans la gestion de l’indivision, tout en évitant une exigibilité immédiate de créances qui pourraient mettre en péril la stabilité financière de l’ensemble indivis.

Cette flexibilité quant à l’inscription en compte n’est toutefois pas sans soulever des interrogations dans la doctrine.

Certains auteurs préconisent de distinguer la faculté d’inscription des créances selon la cause de la créance en question :

  • D’un côté, pour les dépenses strictement nécessaires à la conservation du bien indivis ou celles validées par tous les indivisaires, l’indivisaire créancier aurait le choix entre un paiement immédiat ou l’inscription en compte avec règlement au partage, assurant ainsi une revalorisation de sa créance pour garantir une répartition équitable entre les coïndivisaires.
  • D’un autre côté, pour les créances nées de dépenses non essentielles, la doctrine majoritaire estime que la créance devrait nécessairement être inscrite en compte et être régularisée lors du partage, afin d’éviter tout déséquilibre dans la jouissance et l’administration des biens indivis.

A) La détermination des créances et dettes pouvant être inscrites dans le compte d’indivision

1. Les créances et dettes pouvant être inscrites dans le compte d’indivision

a. Les créances

Le compte d’indivision regroupe diverses créances nées pendant la période d’indivision.

==>Dépenses de gestion et de conservation des biens indivis

Tout indivisaire qui engage des dépenses nécessaires à la gestion ou à la conservation des biens indivis peut inscrire cette créance dans le compte d’indivision.

Ces frais peuvent inclure des dépenses courantes telles que les réparations urgentes pour préserver la valeur du bien ou la mise en conformité avec les normes de sécurité,

Ces frais sont essentiels au maintien du bien en bon état, et l’indivisaire qui les prend en charge a droit à une créance équivalente sur l’indivision.

==>Amélioration du bien indivis

Les dépenses engagées pour améliorer le bien indivis, par exemple des travaux de rénovation, peuvent également être inscrites comme créances dans le compte d’indivision. Ces améliorations augmentent la valeur du bien et bénéficient à tous les indivisaires.

L’indivisaire qui finance ces améliorations peut demander une compensation au moment du partage en raison de l’augmentation de la valeur du bien (Cass. 1ère civ., 20 février 2001, n°98-13.006). Toutefois, ces créances ne seront liquidées qu’au moment du partage.

==>Prise en charge des impôts et taxes

Les indivisaires sont solidairement responsables du paiement des impôts et taxes relatifs aux biens indivis, tels que la taxe foncière ou les frais d’assurance.

Si un indivisaire avance ces frais pour le compte de l’indivision, il peut inscrire cette somme au compte d’indivision en tant que créance. Cette créance sera prise en compte lors du partage, garantissant à l’indivisaire le remboursement de sa contribution.

==>Rémunération du gérant

Si l’un des indivisaires est désigné gérant de l’indivision, il peut inscrire sa rémunération au compte d’indivision, même si cette créance peut parfois être payée immédiatement (Cass. 1ère civ., 10 mai 2006, n°04-12.473). Cette rémunération peut être déduite des produits de la gestion avant le partage final, garantissant au gérant une compensation pour son travail de gestion quotidienne.

b. Les dettes

Certaines dettes peuvent également être inscrites dans le compte d’indivision, représentant les obligations financières des indivisaires envers la masse indivise. Voici les principales dettes pouvant être inscrites au compte d’indivision :

==>Indemnité d’occupation privative

Lorsqu’un indivisaire occupe privativement un bien indivis, il doit indemniser l’indivision pour l’usage exclusif qu’il en fait.

Cette indemnité d’occupation est inscrite dans le compte d’indivision comme une dette à l’encontre de l’indivisaire occupant (C. civ., art. 815-9). Cette dette sera prise en compte lors du partage, l’indivisaire concerné devant compenser les autres indivisaires pour l’usage exclusif du bien.

==>Perception de fruits indivis

Si un indivisaire perçoit des fruits ou des revenus issus du bien indivis (par exemple, des loyers) sans les reverser à la masse indivise, il devient débiteur envers l’indivision (C. civ., art. 815-10).

Ces montants peuvent être inscrits au compte d’indivision en tant que dette et seront pris en compte lors du partage. Ce mécanisme garantit que les bénéfices du bien indivis soient répartis équitablement entre tous les indivisaires.

==>Détérioration ou négligence concernant un bien indivis

Si un indivisaire cause une détérioration au bien indivis par négligence ou non-respect de ses obligations de conservation, il peut être tenu de réparer cette détérioration.

Cette obligation peut être inscrite au compte d’indivision comme une dette à l’encontre de l’indivisaire fautif. Cette dette sera liquidée lors du partage.

2. Les créances et dettes exclues du compte d’indivision

Certaines créances ou dettes ne peuvent pas être inscrites au compte d’indivision, car elles ne sont pas directement liées à la gestion ou à la conservation du bien indivis, ou elles ne concernent que les relations entre les indivisaires eux-mêmes, et non avec l’indivision.

==>Créances entre indivisaires

Les créances personnelles entre indivisaires, telles que des prêts consentis entre eux, ne peuvent pas être inscrites dans le compte d’indivision.

Le compte d’indivision ne régit que les relations entre chaque indivisaire et la masse indivise, et non les relations personnelles entre indivisaires. Ces créances doivent être réglées séparément des opérations de l’indivision.

==>Avances en capital

Si un indivisaire a effectué une avance en capital dans l’indivision, cette avance n’est pas automatiquement inscrite au compte d’indivision.

Elle peut faire l’objet d’un accord distinct, et il appartient à l’indivisaire créancier de demander le paiement de cette avance avant le partage s’il le souhaite.

B) La preuve des créances et dettes pouvant être inscrites dans le compte d’indivision

La preuve des éléments inscrits dans le compte d’indivision repose sur les exigences énoncées à l’article 815-8 du Code civil, qui impose aux indivisaires une obligation de tenir un état dans deux situations bien distinctes :

  • L’indivisaire perçoit des revenus pour le compte de l’indivision
  • L’indivisaire expose des frais pour le compte de l’indivision

Dans le premier cas, l’indivisaire qui perçoit des fruits ou revenus provenant des biens indivis – qu’il soit détenteur d’un mandat explicite ou qu’il agisse en qualité de gérant de fait, voire dans le cadre d’une gestion d’affaires – est tenu de consigner ces recettes de manière rigoureuse.

Cette obligation n’est pas simplement une formalité administrative ; elle vise à garantir que chaque somme perçue pour le compte de l’indivision est comptabilisée de façon fidèle et rendue accessible aux autres indivisaires.

Ce relevé des revenus perçus permet ainsi de préserver l’équité entre les indivisaires, en évitant que l’un d’eux ne dispose, à titre individuel, de fonds qui devraient bénéficier à l’ensemble des co-indivisaires.

Dans un arrêt du 6 décembre 2005, la Cour de cassation a rappelé l’importance de cette obligation en censurant une décision qui n’avait pas vérifié que les revenus, en l’occurrence des loyers, avaient effectivement été perçus pour le compte de l’indivision (Cass. 1ère civ., 6 déc. 2005, n° 03-11.489).

Il ressort de cette décision que l’état des revenus perçus doit revêtir un caractère concret, appuyé par des preuves sérieuses, et ne saurait se fonder sur de simples évaluations ou conjectures.

Le second cas concerne les frais exposés pour le compte de l’indivision. Dans cette hypothèse, l’indivisaire qui avance des fonds pour des dépenses nécessaires, telles que des frais d’entretien, des mesures conservatoires ou des travaux d’amélioration, peut inscrire ces dépenses en tant que créance sur l’indivision.

Par exemple, un indivisaire qui finance des réparations urgentes sur un bien indivis ou qui règle des impôts fonciers dans l’intérêt de tous les indivisaires est en droit d’inscrire cette somme au compte d’indivision.

Cet enregistrement des dépenses, bien qu’il ne donne pas nécessairement lieu à un remboursement immédiat, assure que l’indivisaire concerné pourra faire valoir sa créance au moment du partage.

En ce sens, il ne s’agit pas uniquement d’une obligation de transparence, mais d’une garantie pour l’indivisaire contributeur d’être remboursé des frais exposés pour le compte de l’indivision.

L’obligation de tenir un « état » des opérations, qu’il s’agisse de revenus perçus ou de dépenses engagées, est volontairement imprécise dans son expression.

L’article 815-8 fait référence à la notion d’« état », sans définir la forme exacte que ce document doit revêtir.

En pratique, cet état prend la forme d’un relevé chronologique et détaillé, rendant compte des sommes perçues ou dépensées et accompagné des justificatifs nécessaires pour attester de la réalité de chaque transaction. Cette flexibilité permet une adaptation aux circonstances propres de chaque indivision, tout en respectant le principe de traçabilité.

A cet égard, dans son arrêt du 6 décembre 2005 cité précédemment, la Cour de cassation, a confirmé que ce document devait refléter des montants précis et effectivement perçus ou déboursés, plutôt que des valeurs hypothétiques ou non vérifiées.

L’état ainsi tenu doit être suffisamment détaillé pour permettre aux co-indivisaires de comprendre les flux financiers intervenus au sein de l’indivision et d’assurer ainsi une transparence totale sur les contributions respectives.

Dans certains cas spécifiques, tels que la gestion d’une activité commerciale ou agricole par un indivisaire pour le compte de l’indivision, les exigences en matière de preuve se renforcent.

La gestion de ces activités nécessite une comptabilité plus élaborée, intégrant des comptes précis et complets pour documenter les entrées et sorties de fonds liés à l’activité.

Ces circonstances imposent ainsi une adaptation du niveau de preuve, en raison des enjeux financiers souvent plus conséquents et de la nécessité d’assurer une équité entre les indivisaires.

VI) Le règlement des comptes d’indivision

==>L’inscription en compte des créances et des dettes

Le fonctionnement du compte d’indivision repose sur un système d’inscription des créances et des dettes, qui sont consignées au fur et à mesure qu’elles se créent.

Ce système vise non seulement à différer l’exigibilité des créances jusqu’au moment du partage, mais aussi à maintenir une transparence absolue sur les flux financiers relatifs aux biens indivis.

Chaque opération est inscrite en compte, ce qui permet tracer les relations financières intervenant entre les indivisaires et la masse indivise.

L’enregistrement des créances et des dettes emporte transformation juridique de ces dernières en articles de compte. Une fois inscrites, elles perdent, en effet, leur individualité pour se fondre dans un ensemble unique d’où il résulte ce que l’on appelle un solde.

Ainsi, les dettes à terme, bien qu’elles ne soient pas immédiatement exigibles, sont intégrées au débit du compte, garantissant qu’un indivisaire ne puisse percevoir l’intégralité de sa part sans avoir honoré ses obligations envers l’indivision.

==>Compte d’indivision et compensation

Le compte d’indivision se distingue fondamentalement du mécanisme de compensation, car l’indivisaire n’est pas obligé directement envers chacun de ses coïndivisaires, mais bien à l’égard de la masse indivise.

Aussi, le compte d’indivision ne peut-il pas donner lieu à une compensation automatique des créances et dettes, laquelle suppose une exigibilité immédiate des obligations entre parties qui se trouvent mutuellement créancières et débitrices.

Dans le cadre de l’indivision, en revanche, le solde est établi en prenant en compte l’ensemble des créances et dettes, qu’elles soient ou non échues.

Par ailleurs, la notion même de compensation est inapplicable dans le contexte de l’indivision, car elle repose sur un principe de réciprocité qui n’existe pas ici : l’indivision n’est pas une personne morale, et les indivisaires n’agissent pas en tant que créanciers et débiteurs directs entre eux dans ce cadre.

De plus, la balance du compte d’indivision peut être réalisée même en cas de redressement ou de liquidation judiciaire d’un indivisaire, préservant ainsi les droits de l’ensemble des coïndivisaires sans porter atteinte aux créanciers personnels de l’indivisaire concerné.

==>L’imputation des créances et des dettes

S’agissant de l’imputation des créances et dettes inscrites dans le compte d’indivision, elle s’opère uniquement lors de l’établissement du solde final au moment du partage.

Si un indivisaire présente un solde créditeur, il pourra prélever la somme correspondante sur la masse indivise.

À l’inverse, si le solde est débiteur, cet indivisaire devra effectuer un rapport de dette.

Cette règle d’imputation protège les autres indivisaires contre l’insolvabilité éventuelle d’un indivisaire débiteur en permettant d’amortir sa dette sur la part qui lui revient au sein de la masse indivise.

Cette méthode d’allocation réduit les risques financiers pour la communauté, notamment dans les cas où les dettes personnelles d’un indivisaire excéderaient sa part dans l’indivision (Cass. civ., 11 janv. 1937).

En tout état de cause, les créances et les dettes inscrites dans le compte d’indivision produisent des intérêts au taux légal dès leur entrée en compte et jusqu’à la date du partage.

Ce mécanisme de valorisation continue assure que les créanciers ne voient pas leurs droits dévalorisés sous l’effet du temps, garantissant ainsi une juste compensation pour les indivisaires ayant avancé des fonds ou supporté des frais pour la préservation des biens indivis.

 

 

  1. Baudry-Lacantinerie et Wahl, Traité théorique et pratique de droit civil, t. 3, n° 2451. ?
  2. Ripert et Boulanger, Droit civil, t. 4, n° 3069. ?
  3. P. Hébraud, L’instabilité monétaire et les règlements d’intérêt familial, Études Ripert, t. 1, p. 499. ?
  4. J. Flour, Plus-values et fruits de biens indivis, JCP 1943.I.336. ?
  5. G. Champenois, Note sous Civ. 11 janv. 1937, DH 1937, p. 101 ?
  6. J. Patarin, RTD civ. 1982, p. 638 ?
  7. P. Catala, Les règlements successoraux depuis les réformes de 1938 et l’instabilité monétaire, thèse, Montpellier, 1954 ?
  8. P. Hébraud, Le partage des successions, p. 502 ?
  9. G. Champenois, obs. RTD civ. 1980, p. 811. ?
  10. M. Grimaldi, Droit des successions, 13e éd., LGDJ, 2023, p. 522 ?
  11. A. Chavanes, L’établissement des comptes d’indivision, Defrénois, 2010, p. 874. ?

Opérations de partage: le règlement des dettes et charges pesant sur l’indivision

L’indivision, par nature, impose une gestion concertée des actifs et passifs qui la composent. La question du règlement des dettes indivises occupe dès lors une place centrale dans l’administration de ce régime, en ce qu’elle conditionne la préservation du patrimoine commun et l’équilibre des intérêts des coindivisaires. Loin d’être une problématique accessoire, la prise en charge des charges et créances pesant sur l’indivision nécessite l’adoption de solutions adaptées, conciliant impératifs financiers et respect des droits de chacun.

Face aux difficultés inhérentes à toute indivision – notamment le risque de blocage en l’absence de consensus unanime –, le législateur a prévu divers mécanismes permettant d’apurer le passif. Avant d’envisager la cession de biens indivis pour faire face aux obligations financières, il est d’usage de mobiliser en priorité les liquidités disponibles. Cette démarche présente un double avantage : d’une part, elle préserve l’intégrité du patrimoine en évitant une aliénation précipitée ; d’autre part, elle permet une gestion plus souple des finances de l’indivision, sans nécessiter de recours systématique au juge.

Toutefois, l’affectation des ressources liquides à l’apurement des dettes indivises n’est pas sans limites. La décision d’utiliser les fonds disponibles pour solder les créances fait l’objet d’un encadrement strict, tant en ce qui concerne les règles de majorité applicables que les modalités d’intervention du gérant de l’indivision. Lorsqu’une insuffisance de trésorerie empêche le règlement du passif par ce biais, la vente de biens indivis devient alors une alternative incontournable, soit à l’initiative des indivisaires, soit sous la contrainte des créanciers.

Dès lors, il convient d’examiner successivement les deux principales voies de règlement des dettes indivises : le paiement au moyen des liquidités disponibles (A) et, en cas d’insuffisance, le recours à la vente de biens indivis (B).

A) Le règlement des dettes au moyen des liquidités disponibles dans l’indivision

Avant d’envisager la vente des biens indivis, les indivisaires peuvent décider d’affecter les liquidités disponibles — qu’il s’agisse des revenus générés par les biens indivis ou des sommes déjà présentes dans la masse — au paiement des dettes et charges.

Cette solution est généralement privilégiée, car elle permet de préserver l’intégrité du patrimoine indivis tout en désintéressant les créanciers.

1. Les règles de majorité applicables pour affecter les liquidités au paiement des dettes

L’article 815-3 du Code civil permet aux indivisaires représentant au moins deux tiers des droits indivis de prendre certaines décisions de gestion, notamment celle d’affecter les liquidités disponibles au règlement des dettes pesant sur l’indivision.

Les liquidités peuvent provenir de différentes sources :

  • Les loyers perçus sur les biens indivis loués ;
  • Les dividendes versés par une société dans laquelle l’indivision détient des parts sociales ;
  • Les sommes disponibles sur un compte bancaire détenu au nom de l’indivision ;
  • Les avances de fonds réalisées par un ou plusieurs indivisaires.

Exemple pratique :

Si un immeuble indivis est loué et génère des loyers, ou si l’indivision dispose d’un compte bancaire créditeur, les indivisaires majoritaires peuvent décider d’utiliser ces ressources pour payer la taxe foncière, régler les charges de copropriété, ou rembourser un emprunt contracté pour la rénovation du bien.

Cette décision, bien qu’importante, n’exige pas l’unanimité des indivisaires. Toutefois, elle suppose que les indivisaires minoritaires soient préalablement informés de la décision et que cette dernière soit prise dans l’intérêt commun de l’indivision.

Certaines décisions impliquant le paiement de dettes par le biais des liquidités disponibles nécessitent cependant l’accord unanime des indivisaires, notamment lorsqu’il s’agit de dettes contractées conjointement par tous les indivisaires ou de dettes dont le montant dépasse les ressources courantes de l’indivision.

Distinction importante :

  • Les décisions d’administration courante, comme le paiement des charges récurrentes (taxe foncière, primes d’assurance), peuvent être prises à la majorité des deux tiers.
  • Les décisions plus engageantes, telles que le remboursement anticipé d’un emprunt ou la souscription d’un nouvel emprunt, requièrent l’unanimité.

Cette distinction vise à préserver l’équilibre entre les droits des indivisaires minoritaires et la nécessité de gérer efficacement le patrimoine commun.

2. La gestion des dettes par le gérant de l’indivision

Lorsque les indivisaires désignent un gérant pour administrer les biens indivis, ce dernier est habilité à gérer les ressources financières disponibles dans l’indivision et à les affecter au règlement des dettes. Cette gestion doit toutefois respecter les règles de majorité prévues par l’article 815-3 du Code civil.

Le gérant peut ainsi, sans obtenir l’accord unanime des indivisaires :

  • Utiliser les loyers perçus pour payer les taxes et charges liées aux biens indivis ;
  • Affecter les liquidités présentes sur un compte bancaire indivis au règlement des dettes.

Exemple pratique :

Dans le cadre d’une indivision successorale portant sur un immeuble locatif, le gérant désigné peut décider d’affecter les loyers perçus au paiement des charges de copropriété et des travaux d’entretien, sans avoir besoin de l’accord unanime des indivisaires.

Cependant, en cas de désaccord entre les indivisaires sur l’affectation des ressources disponibles ou si le gérant prend des décisions jugées contraires aux intérêts de certains indivisaires, ces derniers peuvent contester la gestion du gérant devant le tribunal judiciaire.

B) Le règlement des dettes au moyen du produit de l’aliénation de biens indivis

Lorsque les liquidités disponibles au sein de l’indivision sont insuffisantes pour apurer le passif, il peut être nécessaire de procéder à la vente de certains biens indivis afin de générer les ressources financières nécessaires au règlement des créanciers.

Cette vente peut être décidée à l’initiative des indivisaires ou imposée par les créanciers, qui disposent d’un droit de gage sur les biens indivis.

1. La vente de meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision

Le règlement des dettes et charges pesant sur l’indivision constitue l’un des principaux motifs justifiant la vente de biens indivis. Deux mécanismes permettent d’y procéder : la vente à l’initiative des indivisaires, décidée à la majorité qualifiée, et la vente à l’instigation des créanciers de l’indivision. Ces dispositifs, bien que distincts dans leur mise en œuvre, visent à surmonter les blocages susceptibles d’entraver le paiement des créances, tout en encadrant les droits des indivisaires et des créanciers.

a. La vente décidée par les indivisaires à la majorité qualifiée

Sous l’empire du droit ancien, l’article 826 du Code civil autorisait la majorité des cohéritiers à décider de la vente publique des meubles, dès lors que celle-ci était jugée nécessaire pour apurer les dettes et charges de la succession. Cette dérogation au principe d’unanimité visait à prévenir les situations de blocage susceptibles d’empêcher le règlement du passif. Elle permettait ainsi d’éviter qu’un indivisaire minoritaire ne fasse obstacle au bon déroulement des opérations successorales, au risque de compromettre la liquidation du patrimoine commun.

Toutefois, cette disposition spécifique n’a pas été réintroduite dans le cadre de la réforme de l’indivision opérée par la loi du 23 juin 2006. À sa place, le législateur a préféré instaurer un dispositif plus souple mais également plus exigeant. Désormais, l’article 815-3, alinéa 1er, 3°, du Code civil confère aux indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis la faculté de procéder à la vente des meubles indivis en vue de régler les dettes et charges pesant sur l’indivision.

Ce dispositif rompt avec le droit antérieur en substituant au décompte par tête un calcul fondé sur les droits indivis détenus. Il vise ainsi à faciliter les ventes de biens meubles indispensables au règlement des dettes et charges, tout en prévenant les abus susceptibles de léser les indivisaires minoritaires.

==>Domaine

La règle énoncée à l’article 815-3, alinéa 1er, 3° vise la seule vente de meubles indivis, qu’ils soient corporels (mobilier, équipements, œuvres d’art) ou incorporels (parts sociales, créances).

Cette restriction reflète la volonté du législateur de réserver la majorité qualifiée à des biens facilement aliénables, tout en laissant aux indivisaires la possibilité de contester la pertinence de telles ventes si elles ne respectent pas les critères fixés par la loi.

Ainsi, tout bien meuble indivis peut être vendu dès lors que la finalité de la cession est de régler les dettes ou charges de l’indivision.

Par exemple, des parts sociales représentant une société civile immobilière ou des œuvres d’art indivises pourraient être cédées si les indivisaires majoritaires justifient que cette vente est nécessaire pour couvrir les frais afférents à l’indivision.

==>Conditions

La vente de meubles indivis ne peut être envisagée que pour des raisons spécifiques et impérieuses : le paiement des dettes et charges de l’indivision.

Ces charges comprennent notamment :

  • Les frais d’entretien ou de réparation nécessaires à la préservation du patrimoine indivis, comme des travaux de rénovation ou d’aménagement?;
  • Les taxes et impôts liés au bien indivis, tels que la taxe foncière ou les taxes locales?;
  • Les dépenses courantes liées à l’exploitation du bien, telles que les frais de gestion locative ou les coûts d’assurance.

En revanche, toute vente motivée par des considérations étrangères à ces impératifs, comme la volonté de se débarrasser d’un meuble jugé encombrant ou inutile, excède le cadre légal.

De telles opérations nécessiteraient alors soit l’unanimité des indivisaires, soit le recours à des mesures conservatoires ou à une autorisation judiciaire prévue par l’article 815-5-1 du Code civil.

==>La majorité qualifiée

Pour qu’une vente soit réalisée, les indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis doivent se prononcer en faveur de la cession.

Cette majorité, calculée en fonction des parts indivises et non du nombre d’indivisaires, permet d’assurer une certaine flexibilité tout en évitant qu’un indivisaire minoritaire puisse s’opposer de manière systématique à une opération indispensable.

Cependant, les indivisaires minoritaires conservent un droit de contrôle sur ces décisions.

Ils peuvent contester la vente si celle-ci excède le cadre de l’exploitation normale des biens indivis ou si elle ne respecte pas les critères légaux, notamment en termes de nécessité et de proportionnalité.

==>Procédure

La vente de meubles indivis en application de l’article 815-3 ne nécessite pas, en principe, l’intervention du juge.

Elle peut être réalisée à l’amiable, à condition que les indivisaires majoritaires respectent les obligations procédurales, notamment :

  • L’information préalable des indivisaires minoritaires?: selon l’article 815-3, alinéa 2, les indivisaires majoritaires sont tenus d’informer les autres indivisaires de la décision de vendre. Cette obligation garantit la transparence et permet aux indivisaires non consultés de contester l’opportunité de la vente si nécessaire.
  • Le respect du critère de proportionnalité : la vente ne doit porter que sur le montant strictement nécessaire au règlement des dettes et charges identifiées. Toute aliénation excédant ce besoin immédiat pourrait être remise en cause par les indivisaires minoritaires.

En permettant la vente de meubles indivis à la majorité qualifiée des deux tiers, l’article 815-3, alinéa 1er, 3° du Code civil introduit une souplesse bienvenue dans la gestion de l’indivision, tout en préservant les droits des indivisaires minoritaires grâce à des garanties procédurales et juridiques. Ce mécanisme, bien qu’exceptionnel, illustre une volonté de concilier efficacité et sécurité juridique dans un domaine marqué par des risques fréquents de blocage.

Cependant, cette faculté doit être exercée avec prudence. Une application abusive ou détournée de cette règle pourrait compromettre l’équilibre fragile entre les droits des indivisaires et la nécessité de gérer l’indivision de manière pragmatique et équitable.

b. La vente à l’initiative des créanciers de l’indivision

L’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil confère aux créanciers de l’indivision un droit de saisie et de vente des biens indivis, qu’ils soient meubles ou immeubles, indépendamment des opérations de partage. Cette prérogative, distincte du droit de prélèvement sur l’actif indivis, leur permet de se faire payer sur le produit de la vente des biens indivis, garantissant ainsi l’effectivité de leurs créances, malgré l’absence de partage.

Sous l’empire du droit ancien, l’article 826 du Code civil, complété par l’article 945 de l’ancien Code de procédure civile, prévoyait la vente publique des meubles successoraux à l’initiative des créanciers saisissants ou d’opposants, ou lorsque la majorité des cohéritiers jugeait la vente nécessaire pour acquitter le passif. La procédure suivait alors les règles des saisies-exécutions fixées par la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 et le décret n° 92-755 du 31 juillet 1992, offrant ainsi aux créanciers une voie d’exécution sûre et encadrée.

Bien que ces dispositions aient été abrogées par la réforme de 2006, la possibilité pour les créanciers de provoquer la vente des biens indivis demeure. La jurisprudence a clairement confirmé ce droit. La Cour de cassation, notamment dans des arrêts rendus avant et après la réforme, a rappelé que les créanciers peuvent poursuivre la saisie des biens indivis tant que ceux-ci n’ont pas été attribués à un indivisaire dans le cadre d’un partage définitif (Cass. 1re civ., 15 juill. 1999, n° 97-14.361).

Ce droit de saisie des biens indivis constitue ainsi une garantie fondamentale pour les créanciers, en leur permettant d’échapper aux éventuels blocages liés au régime de l’indivision. Il leur offre une faculté d’exécution directe, qui se maintient tant que les biens concernés demeurent dans le périmètre indivis.

==>La prérogative de saisie des biens indivis

Les créanciers de l’indivision, contrairement aux créanciers personnels des indivisaires, bénéficient d’un droit spécifique leur permettant de poursuivre la saisie et la vente judiciaire des biens indivis.

Ces biens incluent non seulement ceux présents au moment de la formation de l’indivision, mais également ceux qui y sont intégrés ultérieurement par subrogation réelle, tels que les fruits et revenus produits par les biens indivis.

Toutefois, la sécurité des créanciers peut être affectée dans certaines situations. Par exemple, un immeuble acquis par un indivisaire en son nom propre avec des fonds indivis pourrait échapper au gage des créanciers de l’indivision, ceux-ci ne pouvant s’opposer aux droits du créancier personnel de cet indivisaire. Cette difficulté souligne l’importance de définir précisément l’assiette des biens indivis soumis au droit de saisie.

==>Modalités de la saisie et de la vente

La saisie des biens indivis doit être dirigée contre chaque indivisaire individuellement en raison de l’absence de personnalité juridique de l’indivision.

Les créanciers ne peuvent donc engager d’action contre « l’indivision » en tant qu’entité autonome.

La saisie peut viser des biens meubles ou immeubles, ainsi que des créances indivises. La vente s’effectue généralement par voie de licitation, sauf accord contraire entre les parties (Cass. 1re civ., 29 nov. 1994, n° 93-11.317).

==>La portée et les limites du droit de saisie

Le droit de saisie des créanciers de l’indivision s’applique jusqu’au moment du partage définitif.

Une fois les biens indivis aliénés ou attribués à des indivisaires dans le cadre d’un partage, ils cessent de faire partie du gage des créanciers de l’indivision et deviennent soumis aux droits des créanciers personnels des indivisaires concernés.

Toutefois, l’effet déclaratif du partage n’altère pas les droits acquis par les créanciers de l’indivision avant le partage. Ces derniers conservent leur capacité à poursuivre la réalisation des biens indivis tant que ces biens font partie de la masse indivise.

Il convient également de noter que ce droit de saisie ne confère pas au créancier un droit exclusif sur les biens indivis. Les créanciers doivent partager leur gage avec les autres créanciers de l’indivision et se conformer aux priorités fixées par la loi, notamment lorsque plusieurs créanciers revendiquent des droits concurrents sur le même bien.

==>Extinction du droit de saisie et de vente des biens indivis

Le droit de saisie des créanciers trouve ses limites dans deux circonstances principales : le partage définitif et l’aliénation des biens indivis.

  • Le partage définitif
    • Principe
      • Le partage constitue l’acte par lequel l’indivision prend fin et les biens indivis sont attribués en pleine propriété à chacun des indivisaires, selon leurs droits respectifs.
      • Dès lors qu’un partage définitif intervient, les biens sortent du régime de l’indivision et, par conséquent, des mécanismes spécifiques prévus par l’article 815-17 du Code civil, qui confèrent aux créanciers la possibilité de saisir les biens indivis.
      • Il en résulte que, une fois le partage réalisé, les biens indivis cessent de constituer le gage commun des créanciers de l’indivision.
      • Les créanciers ne peuvent plus exercer leurs droits sur l’ensemble des biens indivis, mais uniquement sur ceux attribués à l’indivisaire débiteur.
      • Par ailleurs, en vertu de l’article 883 du Code civil, le partage est censé rétroagir à la date d’ouverture de l’indivision.
      • Cela signifie que chaque indivisaire est réputé avoir toujours été propriétaire exclusif des biens qui lui sont attribués, ce qui peut compliquer la position des créanciers pour les actions intentées avant le partage.
    • Exception
      • Un partage provisionnel, qui organise simplement la jouissance des biens sans en modifier la propriété, ne constitue pas une véritable dissolution de l’indivision.
      • Dans ce cas, les créanciers conservent leur droit de saisie sur les biens indivis.
      • Par exemple, une convention attribuant temporairement la jouissance d’un immeuble indivis à l’un des indivisaires n’empêche pas les créanciers de poursuivre la saisie de ce bien.
  • L’aliénation des biens indivis
    • Lorsqu’un bien indivis est vendu ou transféré à un tiers, il sort du patrimoine indivis et, par conséquent, du gage commun des créanciers de l’indivision.
    • Les créanciers ne peuvent alors plus exercer leur droit de poursuite sur ce bien, sauf exceptions prévues par le droit commun.
    • La Cour de cassation a confirmé ce principe dans un arrêt du 15 mai 2002 aux termes duquel elle a jugé que les biens indivis transférés à des tiers ne peuvent plus être saisis par les créanciers de l’indivision (Cass. 1ère civ., 15 mai 2002, n°00-18.798).
    • Ces derniers doivent alors engager leurs poursuites contre les nouveaux propriétaires du bien ou contre le débiteur initial, mais sans bénéficier des mécanismes propres à l’indivision.
    • La conséquence pour les créanciers est alors double
      • Premier effet
        • Une fois le bien vendu, les créanciers doivent se tourner vers le produit de la vente si celui-ci est resté dans le patrimoine indivis, ou exercer leurs droits sur d’autres biens de l’indivision ou sur le patrimoine propre de l’indivisaire débiteur.
      • Second effet
        • Contrairement à certaines hypothèses en droit des sûretés, les créanciers ne disposent pas de mécanismes spécifiques pour revendiquer un bien indivis aliéné à un tiers, sauf si l’aliénation a été réalisée en fraude de leurs droits, auquel cas une action paulienne peut être envisagée (article 1341-2 du Code civil).

==>Cas particuliers

  • Le cas particulier des créanciers hypothécaires
    • Les créanciers hypothécaires jouissent d’un régime particulier lorsqu’ils ont consenti leur hypothèque sur des biens indivis.
    • L’hypothèque, quelle que soit sa nature (conventionnelle, judiciaire ou légale), échappe à l’effet déclaratif du partage.
    • Elle conserve ainsi sa pleine efficacité, même après l’attribution du bien grevé à un indivisaire spécifique ou sa licitation au profit d’un tiers.
    • Cela garantit au créancier hypothécaire une sécurité renforcée, bien que sa situation puisse différer de celle des créanciers de l’indivision selon les modalités de l’hypothèque.
  • Le cas particulier de l’attribution éliminatoire
    • L’attribution éliminatoire, qui permet à un indivisaire de prélever un bien précis en contrepartie d’une indemnité destinée à couvrir les droits des autres indivisaires, n’a pas pour effet de limiter le gage des créanciers sur les biens restant dans l’indivision.
    • La doctrine et la jurisprudence s’accordent à considérer que cette attribution n’affecte pas les droits des créanciers de l’indivision.
    • Aussi, les biens restant dans l’indivision continuent de constituer un gage pour les créanciers, préservant ainsi leurs droits sur l’ensemble des actifs indivis subsistants.

2. La vente des biens indivis par voie d’autorisation judiciaire

Historiquement, la possibilité de vendre des biens indivis sans l’accord unanime des copartageants était étroitement limitée. Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 826 du Code civil n’envisageait que deux hypothèses de vente forcée, strictement encadrées et exclusivement liées au règlement du passif successoral. En dehors de ces cas spécifiques, toute aliénation de biens indivis nécessitait le consentement unanime des indivisaires. Ce principe rigoureux, ancré dans l’idéal de l’égalité en nature dans le partage, empêchait même le juge d’imposer une vente, quelle que soit l’opportunité économique qu’elle pouvait représenter.

Cependant, la jurisprudence a progressivement assoupli cette exigence d’unanimité, notamment pour les biens meubles sujets à dépérissement. Dès 1871, la Cour d’appel de Rouen avait ainsi jugé que la vente de tels biens pouvait être ordonnée à la demande d’un ou plusieurs indivisaires, malgré l’opposition des autres (CA Rouen, 16 mars 1871). Cette solution, dictée par des considérations pratiques et économiques, visait à éviter une perte irrémédiable de valeur ou des charges de conservation disproportionnées qui auraient compromis l’intérêt commun.

Cette jurisprudence a trouvé une consécration législative dans la réforme de 2006, qui a introduit la notion d’acte conservatoire. Désormais, l’article 784, 2° du Code civil autorise les indivisaires à prendre toute mesure nécessaire à la préservation du patrimoine indivis, incluant la vente de biens périssables ou dont le coût de conservation serait déraisonnable. Comme le souligne Jean Patarin, « la qualification d’acte conservatoire légitime une vente rapide pour éviter la perte de valeur du bien ou les coûts inutiles de conservation ».

Cette faculté de solliciter l’adoption de mesures conservatoires a, par suite, été complétée par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, qui a introduit l’article 815-5-1 du Code civil. Contrairement aux mesures conservatoires, cette disposition confère aux indivisaires réunissant au moins deux tiers des droits indivis la faculté de solliciter une autorisation judiciaire pour aliéner un bien indivis, qu’il soit meuble ou immeuble. Cette demande peut être formulée lorsque le bien ne peut être commodément partagé ou lorsque sa conservation génère des charges disproportionnées. Ce mécanisme constitue une avancée majeure par rapport à l’article 815-5, car il n’exige pas de démontrer un péril imminent menaçant l’intérêt commun.

L’intervention judiciaire prévue par l’article 815-5-1 tend ainsi à donner effet à la volonté des indivisaires majoritaires, tout en encadrant cette prérogative par un contrôle juridictionnel rigoureux. L’objectif affiché est de surmonter les situations de blocage en adaptant la gestion de l’indivision aux contraintes économiques. La doctrine considère d’ailleurs que cette disposition marque une rupture avec le droit antérieur, en favorisant une gestion plus pragmatique de l’indivision.

a. Les conditions d’application

==>Conditions négatives

L’autorisation judiciaire prévue à l’article 815-5-1 du Code civil est strictement encadrée par deux conditions négatives, qui visent à protéger des situations spécifiques où les droits ou intérêts de certains indivisaires pourraient être compromis.

Ces restrictions traduisent une volonté d’équilibre entre l’efficacité de la gestion des biens indivis et la sauvegarde des droits des parties les plus vulnérables.

  • L’exclusion en cas de démembrement de propriété
    • Le texte exclut toute application de l’article 815-5-1 lorsqu’un bien indivis est grevé d’un démembrement de propriété, tel que l’usufruit ou la nue-propriété.
    • Cette interdiction repose sur une préoccupation fondamentale : préserver les droits de l’usufruitier, dont la jouissance effective du bien pourrait être mise en péril par une vente imposée.
    • En effet, dans le cadre d’un démembrement, la propriété se scinde en droits distincts et complémentaires — l’usufruit et la nue-propriété —, dont les titulaires ne partagent pas les mêmes intérêts ni obligations.
    • L’aliénation forcée de la pleine propriété, bien qu’initiée par les nus-propriétaires majoritaires, risquerait d’emporter des conséquences disproportionnées pour l’usufruitier.
    • Celui-ci, souvent désigné en raison de sa situation personnelle (par exemple, un conjoint survivant jouissant du logement familial), se verrait contraint de renoncer à un droit essentiel, sa jouissance, sans possibilité de s’y opposer pleinement.
    • Ainsi, cette restriction constitue un garde-fou pour éviter que les équilibres inhérents au démembrement ne soient rompus au détriment des parties les plus exposées.
  • L’exclusion en présence d’un indivisaire protégé ou éloigné
    • La seconde limitation, tout aussi significative, interdit le recours à l’article 815-5-1 lorsque l’un des indivisaires se trouve dans l’une des situations énoncées à l’article 836 du Code civil :
      • Présomption d’absence,
      • Impossibilité de manifester sa volonté en raison d’un éloignement,
      • Placement sous un régime de protection juridique.
    • Cette disposition vise à garantir que les indivisaires les plus vulnérables, incapables d’exprimer leur consentement ou de défendre leurs intérêts, ne soient pas lésés par une décision prise en leur absence.
    • Le législateur a ainsi voulu prévenir le risque d’abus ou d’iniquité, notamment dans des contextes où les autres indivisaires pourraient exploiter une telle situation pour imposer une aliénation.
    • Cependant, cette condition négative, si elle protège les droits des indivisaires concernés, peut également engendrer des blocages prolongés.
    • Par exemple, la vente d’un bien indivis pourrait être retardée pendant plusieurs années en cas de présomption d’absence, au détriment de l’intérêt collectif.
    • De même, un indivisaire sous protection juridique pourrait, malgré la présence d’un curateur ou d’un tuteur, faire obstacle à une aliénation pourtant bénéfique à tous.

==>Conditions positives

Pour que l’autorisation judiciaire prévue à l’article 815-5-1 du Code civil puisse être délivrée, deux conditions positives doivent être simultanément réunies. Ces critères, à la fois pragmatiques et protecteurs, visent à concilier la volonté des indivisaires majoritaires avec le respect des droits des minoritaires.

  • Majorité des deux tiers des droits indivis : la prééminence de la majorité économique
    • La première condition impose que la demande d’autorisation émane d’un ou plusieurs indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis.
    • Ce seuil, établi sur la proportion des droits et non sur le nombre d’indivisaires, consacre la prédominance de la majorité économique.
    • Ainsi, un indivisaire unique possédant plus des deux tiers des droits peut, à lui seul, initier la procédure, même si les autres indivisaires sont numériquement supérieurs.
    • Cette règle, inspirée des mécanismes propres aux entités dotées de personnalité morale, introduit une forme de gouvernance majoritaire dans le cadre de l’indivision.
    • Elle vise à limiter les blocages, en permettant aux indivisaires majoritaires de surmonter l’opposition d’une minorité.
    • Toutefois, cette prééminence de la majorité économique interroge sur son adéquation avec les principes fondamentaux du droit de propriété.
    • En effet, l’article 815-5-1 confère aux indivisaires majoritaires le pouvoir d’imposer une aliénation, potentiellement contraire à la volonté des minoritaires, ce qui peut apparaître comme une forme d’expropriation privée.
    • Si cette disposition a été jugée conforme aux exigences constitutionnelles, elle n’en demeure pas moins sujette à débat, notamment en ce qu’elle remet en question l’unanimité comme garantie traditionnelle des droits de chacun.
  • Absence d’atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires : une protection nuancée
    • La seconde condition impose que l’aliénation envisagée ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires.
    • Ce critère, d’apparence simple, recèle une complexité d’interprétation qui en limite la portée pratique.
      • Une approche subjective : le préjudice moral ou affectif
        • Une lecture subjective de l’atteinte excessive pourrait conduire le juge à examiner l’impact moral ou affectif de l’aliénation sur les indivisaires minoritaires.
        • Cette approche pourrait, par exemple, tenir compte de l’attachement personnel à un bien familial ou des conséquences psychologiques d’une vente forcée.
        • Toutefois, une telle interprétation risque de priver d’effectivité le mécanisme de l’article 815-5-1, dans la mesure où toute opposition des minoritaires repose, par hypothèse, sur des raisons personnelles.
      • Une approche objective : le respect des garanties procédurales
        • À l’inverse, une lecture objective de la notion d’atteinte excessive pourrait limiter l’examen du juge aux seules garanties procédurales, telles que la régularité de la procédure ou l’équité dans la répartition des fruits de la vente.
        • Si cette approche permet de préserver l’efficacité du dispositif, elle réduit toutefois considérablement la protection offerte aux indivisaires minoritaires, en négligeant les dimensions émotionnelles et sociales de leur opposition.
    • En définitive, le juge doit trouver un équilibre délicat entre ces deux approches, afin de garantir une application à la fois efficace et équitable de l’article 815-5-1.
    • Ce critère, bien que fondamental pour préserver les droits des minoritaires, reflète les tensions inhérentes à toute tentative de concilier les intérêts divergents au sein d’une indivision.

b. La procédure d’autorisation

L’article 815-5-1 du Code civil, issu de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, instaure une procédure dérogatoire à la règle de l’unanimité en matière d’indivision.

Ce texte permet à un ou plusieurs indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis de demander l’autorisation judiciaire de vendre un bien indivis, même en cas d’opposition des indivisaires minoritaires.

Cette procédure se déploie en deux phases distinctes, chacune encadrée par des règles spécifiques.

==>La phase devant notaire

La procédure débute obligatoirement devant notaire, dont le rôle est central dans la mise en œuvre du mécanisme d’aliénation.

  • Déclaration d’intention d’aliéner par les indivisaires majoritaires
    • Selon l’alinéa 2 de l’article 815-5-1, les indivisaires majoritaires doivent exprimer devant notaire leur intention de procéder à l’aliénation du bien indivis.
    • Cette déclaration, formalisée dans un acte notarié, constitue le point de départ de la procédure et marque la volonté des majoritaires de passer outre l’opposition des minoritaires.
  • Notification aux indivisaires minoritaires
    • L’alinéa 3 de l’article 815-5-1 impose au notaire de notifier cette déclaration aux indivisaires minoritaires dans un délai d’un mois.
    • La notification, effectuée par ministère d’huissier, informe les minoritaires de l’intention d’aliéner et leur ouvre un délai pour réagir.
  • Réponse des indivisaires minoritaires
    • À compter de la notification, les indivisaires minoritaires disposent d’un délai de trois mois pour manifester leur opposition ou donner leur consentement à l’aliénation, conformément à l’alinéa 4 de l’article 815-5-1. Le silence des minoritaires vaut opposition implicite, renforçant ainsi leur droit de ne pas se prononcer activement.
  • Procès-verbal de difficultés
    • Si une opposition est exprimée ou si les indivisaires minoritaires demeurent silencieux, le notaire dresse un procès-verbal de difficultés.
    • Ce document consigne les désaccords ou l’absence de réponse, formalisant ainsi l’échec de la phase notariale.
    • Ce procès-verbal est indispensable pour initier la phase judiciaire.

==>La phase devant le juge

Lorsque l’opposition persiste, la procédure se poursuit devant le tribunal judiciaire, conformément à l’alinéa 5 de l’article 815-5-1.

  • Saisine du tribunal
    • Les indivisaires majoritaires, disposant du procès-verbal de difficultés, saisissent le tribunal judiciaire pour obtenir une autorisation d’aliéner le bien indivis.
    • Cette saisine déclenche l’examen juridictionnel des conditions posées par la loi.
  • Examen des conditions par le juge
    • Aux termes de l’alinéa 5 de l’article 815-5-1, le tribunal doit s’assurer que :
      • Les demandeurs détiennent au moins deux tiers des droits indivis.
      • L’aliénation ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires.
    • Le tribunal peut également tenir compte des circonstances particulières de l’affaire, telles que les motifs d’opposition des minoritaires ou l’intérêt collectif à l’aliénation.
  • Autorisation et licitation
    • Si les conditions légales sont remplies, le tribunal autorise la vente, qui doit s’effectuer par voie de licitation, conformément à l’alinéa 6 de l’article 815-5-1.
    • Ce mode de vente garantit la transparence et l’égalité de traitement entre les indivisaires, en attribuant le bien au plus offrant lors d’une vente aux enchères.
  • Opposabilité de la décision
    • Une fois l’autorisation délivrée, l’aliénation devient opposable à tous les indivisaires, y compris à ceux ayant exprimé leur opposition.
    • L’alinéa 7 de l’article 815-5-1 précise que cette opposabilité s’étend également aux indivisaires qui n’auraient pas été formellement notifiés, sous réserve du respect des conditions procédurales.

c. Les effets de l’autorisation judiciaire

==>À l’égard des indivisaires

L’autorisation délivrée par le tribunal s’impose à tous les indivisaires, qu’ils aient donné leur consentement ou exprimé leur opposition à la vente. En vertu de l’alinéa 7 de l’article 815-5-1, cette décision rend l’aliénation opposable à chacun d’eux, ce qui signifie que le transfert de propriété s’opère comme si tous avaient consenti à l’acte.

Cependant, cette opposabilité ne crée pas d’obligation personnelle pour les indivisaires minoritaires.

En d’autres termes, ces derniers ne sont pas considérés comme parties à l’acte de vente et ne peuvent être tenus responsables, par exemple, des garanties attachées à la chose vendue (telle que la garantie des vices cachés).

Ils demeurent juridiquement tiers à l’acte, même s’ils doivent en supporter les conséquences pratiques, notamment la perte de leurs droits sur le bien vendu.

==>À l’égard des tiers

Pour les tiers acquéreurs, l’autorisation judiciaire constitue une garantie essentielle de sécurité juridique.

Elle certifie que la vente est opposable à tous les indivisaires, qu’ils aient consenti ou non à l’aliénation. Cette opposabilité protège les tiers contre toute contestation ultérieure pouvant émaner des indivisaires minoritaires.

En pratique, cela signifie que le tiers acquéreur peut être certain de la validité de son titre de propriété et de l’impossibilité pour les indivisaires minoritaires de remettre en cause la vente.

Cette sécurité renforce l’attractivité économique du bien, en favorisant des ventes rapides et à des conditions avantageuses, tout en évitant les litiges postérieurs à l’aliénation.

==>Sur le produit de la vente

L’autorisation judiciaire ne met pas un terme à l’indivision, mais transforme le bien vendu en une somme d’argent répartie entre les indivisaires selon leurs droits respectifs, conformément à l’alinéa 6 de l’article 815-5-1.

Ce mécanisme de subrogation permet de maintenir l’équilibre des droits de chaque indivisaire, tout en facilitant la gestion du produit de la vente.

  • Répartition entre les indivisaires
    • Le prix obtenu est réparti proportionnellement aux droits indivis de chacun.
    • Cette répartition reflète les parts initiales détenues dans l’indivision et garantit une juste compensation pour chaque indivisaire, qu’il ait consenti ou non à la vente.
  • Interdiction du remploi pour une nouvelle indivision
    • Afin d’éviter la reconstitution des blocages qui avaient motivé l’aliénation, l’article 815-5-1 prohibe le remploi des fonds pour l’acquisition d’un nouveau bien indivis.
    • Cette interdiction vise à encourager les indivisaires à sortir définitivement de l’indivision et à privilégier des solutions individuelles.
  • Paiement des dettes et charges
    • Une exception à l’interdiction de remploi est toutefois prévue pour le règlement des dettes et charges liées à l’indivision.
    • Cette obligation qui pèse sur les indivisaires permet de solder les dettes communes avant la distribution du reliquat entre les indivisaires, renforçant ainsi la sécurité juridique et financière de l’opération.

Opérations de partage: le recensement des dettes et charges pesant sur l’indivision

Le recensement des dettes et charges pesant sur l’indivision constitue une étape indispensable avant toute opération de partage. Il s’agit d’identifier précisément les obligations financières qui grèvent la masse indivise afin de garantir une liquidation équitable et d’éviter toute contestation ultérieure. Ce recensement, souvent effectué par le notaire commis à la liquidation, doit être exhaustif et précis. Il concerne aussi bien les dettes externes, dues à des créanciers tiers, que les dettes internes, résultant des relations financières entre les indivisaires.

Le Code civil, à travers l’article 815-8, impose une obligation de transparence dans la gestion de l’indivision. Toute personne percevant des revenus ou engageant des dépenses pour le compte de l’indivision est tenue d’en tenir un état détaillé, comprenant les dettes contractées et les charges nécessaires à la conservation des biens indivis.

A) Les créances des tiers sur l’indivision

Les dettes externes concernent les obligations financières que l’indivision doit à des tiers, notamment les créanciers fiscaux, les établissements de crédit ou les copropriétés. Ces créances doivent être réglées en priorité, sous peine de poursuites contre la masse indivise.

1. Les dettes fiscales

Les biens indivis sont naturellement grevés d’obligations fiscales, dont le paiement incombe directement aux indivisaires. Ces dettes doivent impérativement être apurées avant toute opération de partage, sous peine de voir les créanciers fiscaux exercer des poursuites sur la masse indivise.

En effet, l’administration fiscale dispose de prérogatives spécifiques lui permettant de garantir le recouvrement de ses créances, notamment par le biais d’une hypothèque légale inscrite sur les biens indivis en application de l’article 1929-1 du Code général des impôts.

==>La taxe foncière

La taxe foncière est une imposition annuelle qui frappe la propriété immobilière, indépendamment de son usage ou de sa jouissance. En matière d’indivision, la jurisprudence a confirmé que cette taxe doit être répartie entre les indivisaires proportionnellement à leurs droits, en tant que dépense nécessaire à la conservation des biens indivis.

Ainsi, même si un indivisaire occupe seul le bien indivis, cela ne le dispense pas de partager la charge de la taxe foncière avec les autres indivisaires. Cette imposition est directement liée à la propriété du bien, et non à son occupation.

Exemple pratique :

Dans un arrêt du 16 avril 2008, la Cour de cassation a jugé que la taxe foncière devait être supportée par tous les indivisaires, y compris lorsque le bien est occupé à titre privatif par l’un d’entre eux (Cass. 1re civ., 16 avr. 2008, n° 07-12.224).

==>La taxe d’habitation

Avant sa suppression progressive depuis 2021 pour les résidences principales, la taxe d’habitation était due par le résident occupant le bien au 1er janvier de l’année d’imposition. Contrairement à la taxe foncière, cette taxe repose sur la jouissance effective du bien et pèse exclusivement sur celui qui l’occupe à titre privatif.

Dans un arrêt du 5 décembre 2018, la Cour de cassation a précisé que la taxe d’habitation devait être supportée par l’indivisaire occupant le bien, à moins qu’un accord entre les indivisaires n’en dispose autrement (Cass. 3e civ., 5 déc. 2018, n° 17-31.189).

Exemple pratique :

Si un indivisaire occupe seul un appartement indivis à titre de résidence principale, la taxe d’habitation due au 1er janvier de l’année sera entièrement à sa charge. Toutefois, un accord entre les indivisaires peut prévoir une répartition différente.

==>Les droits de succession

Dans le cadre d’une indivision successorale, les droits de succession constituent une dette prioritaire que les héritiers doivent régler avant toute opération de partage ou d’aliénation des biens indivis.

L’article 1929-1 du Code général des impôts confère à l’administration fiscale le droit d’inscrire une hypothèque légale sur les biens indivis en garantie du paiement des droits de succession. Cette hypothèque peut bloquer toute vente ou partage du bien jusqu’au règlement intégral de la créance fiscale.

Exemple pratique :

Un immeuble indivis, évalué à 500 000 €, est grevé de droits de succession s’élevant à 50 000 €. Si les héritiers n’acquittent pas ces droits, l’administration fiscale peut inscrire une hypothèque légale sur l’immeuble. Cette hypothèque rend impossible toute cession du bien sans que le fisc soit préalablement désintéressé.

Dans un arrêt du 10 mai 2011, la Cour de cassation a rappelé que les créances fiscales disposent d’un rang prioritaire, et que leur non-paiement peut justifier une vente judiciaire des biens indivis pour apurer le passif (Cass. com., 10 mai 2011, n°10-14.101).

2. Les emprunts contractés au bénéfice de l’indivision

Les biens indivis peuvent nécessiter des financements spécifiques, notamment pour leur acquisition ou leur conservation. À cette fin, les indivisaires peuvent être amenés à souscrire des emprunts collectifs, qui constituent des dettes communes devant être apurées avant tout partage. Bien que l’indivision elle-même ne puisse contracter un emprunt, en l’absence de personnalité morale, les indivisaires peuvent s’engager conjointement auprès d’un créancier pour les besoins de la masse indivise.

Les emprunts contractés par les indivisaires peuvent être regroupés en deux grandes catégories selon leur moment de souscription :

  • Les emprunts souscrits avant l’ouverture de l’indivision
    • Ces emprunts concernent généralement les dettes successorales, telles que les prêts immobiliers contractés par le défunt avant son décès.
    • À l’ouverture de la succession, ces dettes se transmettent aux héritiers, qui deviennent débiteurs du solde restant dû.
    • Chaque indivisaire est alors tenu au remboursement de l’emprunt, à proportion de sa quote-part successorale.
    • Cette répartition est essentielle pour éviter tout déséquilibre entre les cohéritiers.
      • Exemple pratique :
        • Un défunt laisse un immeuble grevé d’un prêt immobilier. À l’ouverture de la succession, les héritiers doivent poursuivre le remboursement de ce prêt, proportionnellement à leurs parts dans la masse successorale.
        • Si l’un d’eux refuse de payer, les autres héritiers devront régler les échéances pour éviter tout contentieux avec la banque, mais pourront demander une compensation lors du partage.
  • Les emprunts contractés pendant l’indivision
    • Les indivisaires peuvent également souscrire un emprunt après l’ouverture de l’indivision, par exemple pour financer des travaux de conservation ou d’amélioration d’un bien indivis.
    • Ces emprunts doivent être souscrits avec l’accord des indivisaires majoritaires, conformément à l’article 815-3 du Code civil, qui encadre les actes d’administration.
    • Dans ce cas, chaque indivisaire devient personnellement tenu du remboursement envers le créancier, proportionnellement à ses droits dans l’indivision.
    • Toutefois, la responsabilité des indivisaires peut être solidaire, en fonction des termes du contrat de prêt.
      • Exemple pratique :
        • Dans le cadre d’une indivision successorale portant sur un immeuble nécessitant des travaux de rénovation, les indivisaires décident de contracter un emprunt collectif.
        • Chaque indivisaire est alors tenu de rembourser une part de cet emprunt, à proportion de ses droits dans l’indivision.
        • Si l’un des indivisaires fait défaut, les autres indivisaires doivent couvrir les échéances impayées, mais pourront demander une compensation lors du partage.

Lorsqu’un emprunt est contracté au bénéfice de l’indivision, le créancier conserve la possibilité de poursuivre chacun des indivisaires pour l’intégralité de la dette, sauf stipulation contraire dans le contrat. Cette solidarité emporte des conséquences importantes :

  • Le créancier peut exiger le remboursement total auprès d’un seul indivisaire ;
  • L’indivisaire ayant réglé la totalité de la dette peut exercer un recours contre les autres co-emprunteurs, afin de récupérer leur part de la dette.

Dans un arrêt du 23 janvier 2001, la Cour de cassation a rappelé que l’indivisaire qui prend en charge les dépenses nécessaires à la conservation du bien indivis dispose d’une créance sur la masse indivise (Cass. 1ère civ. 23 janv. 2001, n° 98-22.937). Ce principe peut être appliqué aux emprunts souscrits pour financer de tels travaux, permettant à l’indivisaire ayant réglé les échéances de demander une compensation lors du partage.

Si un indivisaire ne s’acquitte pas de sa part des échéances d’un emprunt collectif, le créancier peut poursuivre l’ensemble des co-emprunteurs. Cette situation peut créer un déséquilibre financier au sein de l’indivision, notamment si les indivisaires solvables doivent couvrir les impayés de l’indivisaire défaillant.

Cependant, ces indivisaires peuvent ensuite se retourner contre l’indivisaire défaillant, notamment en demandant l’imputation de la dette sur sa part lors du partage final. Ce mécanisme permet de préserver l’équité entre les indivisaires.

Exemple pratique :

Un héritier refuse de contribuer au remboursement d’un prêt souscrit pour rénover un immeuble indivis. Les autres indivisaires prennent en charge les échéances pour éviter un défaut de paiement auprès de la banque. Lors du partage, ils demanderont que le montant de la dette soit imputé sur la part de l’indivisaire défaillant.

3. Les charges d’entretien et de copropriété

La gestion des biens indivis implique nécessairement l’acquittement de charges d’entretien et de gestion courante. Ces dépenses, indispensables à la préservation du patrimoine commun, constituent des obligations incontournables pour les indivisaires. Toutefois, elles peuvent rapidement devenir une source de discordes, notamment en cas de défaut de contribution de certains indivisaires ou lorsqu’un indivisaire occupe privativement le bien sans assumer les frais afférents.

Ces charges, qui grèvent directement la masse indivise, se répartissent en plusieurs catégories distinctes, chacune répondant à des besoins spécifiques en matière de conservation et de gestion des biens.

  • Les frais d’entretien courant
    • Les biens indivis, qu’il s’agisse d’immeubles ou de meubles, nécessitent des dépenses régulières pour maintenir leur valeur et éviter leur dégradation. Ces frais incluent notamment :
      • Les réparations urgentes, destinées à prévenir des dommages susceptibles d’affecter durablement le bien ;
      • Les travaux de rénovation, visant à mettre le bien en conformité avec les normes en vigueur ou à améliorer son état général ;
      • Les frais de gestion courante, tels que les prestations d’entretien ou les honoraires de gestion locative.
    • Ces dépenses bénéficient à l’ensemble des indivisaires, puisqu’elles préservent ou augmentent la valeur du bien indivis. En conséquence, elles doivent être prises en charge proportionnellement aux droits de chacun dans l’indivision.
    • Conformément à l’article 815-13 du Code civil, l’indivisaire qui a engagé des frais nécessaires à la conservation du bien peut obtenir le remboursement de ses dépenses lors du partage, sous réserve de prouver leur caractère utile et nécessaire.
      • Exemple pratique :
        • Si la toiture d’un immeuble indivis est endommagée, un indivisaire peut décider d’engager les travaux nécessaires pour éviter une dégradation supplémentaire du bien. Lors du partage, il pourra demander à ce que les frais engagés soient inscrits à son actif dans le compte d’indivision, afin d’obtenir une compensation financière.
  • Les charges de copropriété
    • Lorsque le bien indivis est situé dans une résidence soumise au régime de la copropriété, les indivisaires doivent participer au paiement des charges de copropriété, proportionnellement à leurs droits.
    • Ces charges incluent :
      • Les frais d’entretien des parties communes, tels que l’entretien des ascenseurs, des jardins ou des couloirs ;
      • Les frais de gestion administrative, comprenant les honoraires du syndic et les assurances souscrites par la copropriété ;
      • Les appels de fonds exceptionnels, destinés à financer des travaux votés en assemblée générale.
    • En cas de défaillance dans le paiement de ces charges, le syndic peut engager des poursuites contre l’ensemble des indivisaires, conformément aux dispositions de l’article 1200 du Code civil, qui régit la solidarité passive des débiteurs.
      • Exemple pratique :
        • Un appartement indivis situé dans une copropriété fait l’objet d’une réhabilitation des parties communes, votée en assemblée générale.
        • Chaque indivisaire doit contribuer au règlement des appels de fonds, proportionnellement à ses droits.
        • Si certains indivisaires refusent de payer, le syndic peut assigner l’indivision dans son ensemble devant le tribunal et demander l’inscription d’une hypothèque légale sur le bien indivis, en application de l’article 19-1 de la loi du 10 juillet 1965.
  • Les primes d’assurance
    • Les biens indivis doivent être assurés afin de prévenir les risques liés aux sinistres, tels que les incendies, les dégâts des eaux ou encore les vols.
    • Les indivisaires doivent souscrire une assurance multirisque habitation couvrant les biens indivis et répartir le coût de la prime en fonction de leurs droits respectifs.
    • L’absence d’assurance expose les indivisaires à des risques considérables, notamment en cas de sinistre non couvert.
    • Le créancier (compagnie d’assurance) peut alors se retourner contre la masse indivise pour obtenir le remboursement des sommes dues.
      • Exemple pratique :
        • Si un immeuble indivis est détruit par un incendie et qu’aucune assurance n’a été souscrite, les pertes seront supportées par l’ensemble des indivisaires, sans possibilité d’indemnisation.
        • À l’inverse, si une assurance a été contractée, l’indemnisation versée par l’assureur sera répartie entre les indivisaires selon leurs droits.

Les frais d’entretien, les charges de copropriété ou les primes d’assurance afférentes aux biens indivis constituent des dépenses récurrentes, indispensables à la préservation du patrimoine commun. Ces obligations financières, essentielles au bon fonctionnement de l’indivision, exposent néanmoins les indivisaires à au mécanisme de la solidarité passive, permettant aux créanciers d’exiger le paiement intégral de la dette auprès de l’un quelconque d’entre eux.

Ces dépenses, indispensables à la préservation et à la valorisation des biens indivis, pèsent sur l’ensemble des indivisaires, proportionnellement à leurs droits dans l’indivision. Toutefois, leur prise en charge peut susciter des difficultés pratiques, notamment en cas de défaillance d’un ou plusieurs indivisaires. Pour garantir le règlement des sommes dues, les créanciers bénéficient d’un régime de solidarité passive, qui leur permet de poursuivre l’un quelconque des indivisaires pour le paiement intégral de la dette.

Cette règle, avantageuse pour les créanciers, peut toutefois engendrer des tensions au sein de l’indivision. En effet, les indivisaires solvables peuvent être contraints de supporter les impayés des indivisaires défaillants, créant ainsi un déséquilibre financier. Afin de rétablir l’équité, ceux qui ont payé au-delà de leur quote-part peuvent exercer un recours contre les indivisaires défaillants, en demandant l’imputation des sommes avancées lors de la liquidation finale.

Pour les charges de copropriété, la solidarité passive a été instituée par la jurisprudence. Dans un arrêt du 9 février 1970, la Cour de cassation a rappelé que le syndic de copropriété peut poursuivre l’ensemble des indivisaires pour le paiement des charges impayées, et ce, indépendamment de leur participation réelle aux décisions prises en assemblée générale (Cass. 3e civ. 9 févr. 1970, n° 68-13.306).

Ce principe permet au créancier d’exiger le paiement intégral de la créance auprès de l’un quelconque des co-indivisaires, lequel devra ensuite se retourner contre les débiteurs défaillants pour obtenir le remboursement des sommes avancées.

Exemple pratique :

Un appartement indivis, situé dans une copropriété, fait l’objet de travaux de rénovation votés en assemblée générale. Si certains indivisaires refusent de régler leur part des appels de fonds, le syndic peut assigner l’indivision dans son ensemble et demander la saisie des biens indivis pour garantir le recouvrement des sommes dues. L’indivisaire poursuivi pourra ensuite, au moment du partage, demander que les sommes qu’il a avancées soient imputées sur la part des indivisaires défaillants.

Ce mécanisme, bien que protecteur pour les créanciers, peut s’avérer particulièrement contraignant pour les indivisaires qui se retrouvent tenus de payer des dettes dépassant leur propre quote-part. Cette situation peut notamment se produire dans les cas suivants :

  • Frais d’entretien courant : un indivisaire avance les frais de réparation d’urgence d’un bien indivis, comme le remplacement d’une toiture endommagée. À défaut de participation des autres indivisaires, il peut se voir contraint d’assumer seul la dépense.
  • Charges de copropriété : les charges liées à l’entretien des parties communes ou aux travaux votés en assemblée générale doivent être réglées, même si certains indivisaires refusent de contribuer. En cas de défaillance, le syndic peut engager des poursuites contre l’ensemble des indivisaires.
  • Primes d’assurance : les biens indivis doivent être couverts par une assurance adéquate. Si l’un des indivisaires refuse de participer au règlement des primes d’assurance, les autres indivisaires devront pallier son défaut de paiement pour éviter de mettre en péril la couverture assurantielle.

Exemple pratique :

Si un immeuble indivis est détruit par un incendie, les indivisaires pourront prétendre à une indemnisation de la part de l’assureur, sous réserve que les primes aient été intégralement réglées. À défaut de paiement des primes, l’ensemble des indivisaires subira une perte définitive, sans possibilité de compensation. Celui qui aurait assumé seul le paiement des primes pourra demander à ce que les sommes avancées soient imputées sur les parts des autres indivisaires.

Pour éviter les déséquilibres financiers et les litiges liés à la solidarité passive, il est primordial de tenir un compte d’indivision précis, récapitulant les contributions de chaque indivisaire. Ce compte permettra de régulariser les avances de fonds et les impayés au moment de la liquidation, en imputant les créances sur les parts des indivisaires défaillants.

La Cour de cassation a rappelé, dans plusieurs décisions, que les comptes entre indivisaires doivent être établis avec une rigueur particulière, afin d’éviter que les charges pesant sur l’indivision ne soient supportées de manière disproportionnée par certains indivisaires (Cass. 1re civ., 20 févr. 2001, n° 98-13.006).

B) Les créances entre indivisaires

Outre les dettes externes contractées envers des créanciers tiers, l’indivision génère des dettes internes, résultant des relations financières entre les indivisaires eux-mêmes. Ces dettes trouvent leur origine dans les dépenses engagées par certains indivisaires pour la gestion ou la préservation du patrimoine indivis, ainsi que dans la jouissance privative de certains biens indivis par un ou plusieurs d’entre eux.

L’établissement de ces comptes internes, souvent confié au notaire lors des opérations de liquidation, vise à assurer une répartition équitable des charges et des bénéfices au sein de l’indivision.

==>Les avances de fonds pour la gestion et la conservation des biens indivis

Lorsqu’un indivisaire engage des dépenses nécessaires à la gestion, à la conservation ou à l’amélioration des biens indivis — telles que des travaux de réparation, le paiement des primes d’assurance, ou encore le règlement des charges de copropriété —, il est en droit de demander le remboursement de ces sommes par la masse indivise.

Ces avances de fonds constituent des créances inscrites à l’actif de l’indivisaire au moment de la reddition des comptes. Toutefois, pour être indemnisé, l’indivisaire devra démontrer que les dépenses engagées étaient nécessaires à la préservation du bien indivis.

Exemple pratique :

Si un indivisaire finance la réfection de la toiture d’un immeuble indivis pour éviter une dégradation du bien, il pourra demander à ce que les frais engagés soient inscrits comme créance à son bénéfice lors du partage.

Dans ce cas, les autres indivisaires devront contribuer au remboursement de cette créance, proportionnellement à leurs droits dans l’indivision.

==>Les indemnités d’occupation pour jouissance privative

Selon les termes de l’article 815-9 du Code civil, tout indivisaire qui occupe privativement un bien indivis doit une indemnité d’occupation à la masse indivise, dès lors que cette occupation empêche les autres indivisaires d’exercer leur droit à la jouissance commune.

Cette indemnité est destinée à compenser l’exclusion des autres indivisaires et est calculée sur la base de la valeur locative du bien. Elle constitue une dette inscrite au passif de l’indivisaire occupant lors de la liquidation.

Exemple pratique :

Si un indivisaire utilise seul un appartement indivis comme résidence principale, sans verser de compensation aux autres co-indivisaires, il sera tenu de régler une indemnité d’occupation au profit de la masse. Cette somme viendra réduire sa part dans le produit de la liquidation.

La jurisprudence a reconnu à plusieurs reprises le caractère automatique de cette indemnité d’occupation, dès lors que l’occupation privative est exercée sans accord des autres indivisaires (par ex. CA Lyon, 23 nov. 2017, n° 15/04545).

==>Les créances de gestion : rémunération d’un indivisaire désigné gérant

Lorsqu’un indivisaire est mandaté pour administrer les biens indivis, il peut prétendre à une rémunération pour sa gestion. Cette gestion peut inclure des missions telles que :

  • La perception des loyers issus des biens indivis mis en location ;
  • La supervision des travaux ou des démarches administratives ;
  • Le paiement des charges courantes (impôts, assurances, etc.).

Si cette rémunération n’a pas été réglée au cours de l’indivision, elle constitue une créance inscrite à l’actif de l’indivisaire gérant lors du partage.

Exemple pratique :

Un indivisaire est chargé de gérer un immeuble locatif indivis, percevant les loyers et assurant le paiement des charges de copropriété. S’il n’a pas été rémunéré pour cette gestion, il pourra réclamer une indemnisation lors de la liquidation des comptes, correspondant aux services rendus.

Opérations de partage: la prise en compte du passif de l’indivision

Le partage d’une indivision ne peut être envisagé sans une préalable détermination précise de la masse partageable. Avant de répartir les biens entre les indivisaires, il est indispensable de connaître l’étendue du patrimoine commun, d’identifier les dettes grevant ce patrimoine et de régulariser les comptes entre les co-indivisaires. Cette étape de liquidation est essentielle pour garantir un partage équitable, fondé sur une vision claire et exhaustive des droits et obligations de chacun.

La détermination de la masse partageable repose ainsi sur trois opérations successives :

  • L’inventaire des biens existants, permettant d’établir la consistance matérielle et juridique du patrimoine indivis ;
  • La prise en compte du passif de l’indivision, incluant tant les dettes externes que les créances internes nées des relations entre indivisaires ;
  • L’établissement des comptes entre indivisaires, destiné à régulariser les déséquilibres financiers survenus au cours de la gestion de l’indivision.

Nous nous focaliserons ici sur la deuxième étape: la prise en compte du passif de l’indivision.

Le recensement des dettes et charges pesant sur l’indivision constitue une étape indispensable avant toute opération de partage. Il s’agit d’identifier précisément les obligations financières qui grèvent la masse indivise afin de garantir une liquidation équitable et d’éviter toute contestation ultérieure. Ce recensement, souvent effectué par le notaire commis à la liquidation, doit être exhaustif et précis. Il concerne aussi bien les dettes externes, dues à des créanciers tiers, que les dettes internes, résultant des relations financières entre les indivisaires.

Le Code civil, à travers l’article 815-8, impose une obligation de transparence dans la gestion de l’indivision. Toute personne percevant des revenus ou engageant des dépenses pour le compte de l’indivision est tenue d’en tenir un état détaillé, comprenant les dettes contractées et les charges nécessaires à la conservation des biens indivis.

A) Les créances des tiers sur l’indivision

Les dettes externes concernent les obligations financières que l’indivision doit à des tiers, notamment les créanciers fiscaux, les établissements de crédit ou les copropriétés. Ces créances doivent être réglées en priorité, sous peine de poursuites contre la masse indivise.

1. Les dettes fiscales

Les biens indivis sont naturellement grevés d’obligations fiscales, dont le paiement incombe directement aux indivisaires. Ces dettes doivent impérativement être apurées avant toute opération de partage, sous peine de voir les créanciers fiscaux exercer des poursuites sur la masse indivise.

En effet, l’administration fiscale dispose de prérogatives spécifiques lui permettant de garantir le recouvrement de ses créances, notamment par le biais d’une hypothèque légale inscrite sur les biens indivis en application de l’article 1929-1 du Code général des impôts.

==>La taxe foncière

La taxe foncière est une imposition annuelle qui frappe la propriété immobilière, indépendamment de son usage ou de sa jouissance. En matière d’indivision, la jurisprudence a confirmé que cette taxe doit être répartie entre les indivisaires proportionnellement à leurs droits, en tant que dépense nécessaire à la conservation des biens indivis.

Ainsi, même si un indivisaire occupe seul le bien indivis, cela ne le dispense pas de partager la charge de la taxe foncière avec les autres indivisaires. Cette imposition est directement liée à la propriété du bien, et non à son occupation.

Exemple pratique :

Dans un arrêt du 16 avril 2008, la Cour de cassation a jugé que la taxe foncière devait être supportée par tous les indivisaires, y compris lorsque le bien est occupé à titre privatif par l’un d’entre eux (Cass. 1re civ., 16 avr. 2008, n° 07-12.224).

==>La taxe d’habitation

Avant sa suppression progressive depuis 2021 pour les résidences principales, la taxe d’habitation était due par le résident occupant le bien au 1er janvier de l’année d’imposition. Contrairement à la taxe foncière, cette taxe repose sur la jouissance effective du bien et pèse exclusivement sur celui qui l’occupe à titre privatif.

Dans un arrêt du 5 décembre 2018, la Cour de cassation a précisé que la taxe d’habitation devait être supportée par l’indivisaire occupant le bien, à moins qu’un accord entre les indivisaires n’en dispose autrement (Cass. 3e civ., 5 déc. 2018, n° 17-31.189).

Exemple pratique :

Si un indivisaire occupe seul un appartement indivis à titre de résidence principale, la taxe d’habitation due au 1er janvier de l’année sera entièrement à sa charge. Toutefois, un accord entre les indivisaires peut prévoir une répartition différente.

==>Les droits de succession

Dans le cadre d’une indivision successorale, les droits de succession constituent une dette prioritaire que les héritiers doivent régler avant toute opération de partage ou d’aliénation des biens indivis.

L’article 1929-1 du Code général des impôts confère à l’administration fiscale le droit d’inscrire une hypothèque légale sur les biens indivis en garantie du paiement des droits de succession. Cette hypothèque peut bloquer toute vente ou partage du bien jusqu’au règlement intégral de la créance fiscale.

Exemple pratique :

Un immeuble indivis, évalué à 500 000 €, est grevé de droits de succession s’élevant à 50 000 €. Si les héritiers n’acquittent pas ces droits, l’administration fiscale peut inscrire une hypothèque légale sur l’immeuble. Cette hypothèque rend impossible toute cession du bien sans que le fisc soit préalablement désintéressé.

Dans un arrêt du 10 mai 2011, la Cour de cassation a rappelé que les créances fiscales disposent d’un rang prioritaire, et que leur non-paiement peut justifier une vente judiciaire des biens indivis pour apurer le passif (Cass. com., 10 mai 2011, n°10-14.101).

2. Les emprunts contractés au bénéfice de l’indivision

Les biens indivis peuvent nécessiter des financements spécifiques, notamment pour leur acquisition ou leur conservation. À cette fin, les indivisaires peuvent être amenés à souscrire des emprunts collectifs, qui constituent des dettes communes devant être apurées avant tout partage. Bien que l’indivision elle-même ne puisse contracter un emprunt, en l’absence de personnalité morale, les indivisaires peuvent s’engager conjointement auprès d’un créancier pour les besoins de la masse indivise.

Les emprunts contractés par les indivisaires peuvent être regroupés en deux grandes catégories selon leur moment de souscription :

  • Les emprunts souscrits avant l’ouverture de l’indivision
    • Ces emprunts concernent généralement les dettes successorales, telles que les prêts immobiliers contractés par le défunt avant son décès.
    • À l’ouverture de la succession, ces dettes se transmettent aux héritiers, qui deviennent débiteurs du solde restant dû.
    • Chaque indivisaire est alors tenu au remboursement de l’emprunt, à proportion de sa quote-part successorale.
    • Cette répartition est essentielle pour éviter tout déséquilibre entre les cohéritiers.
      • Exemple pratique :
        • Un défunt laisse un immeuble grevé d’un prêt immobilier. À l’ouverture de la succession, les héritiers doivent poursuivre le remboursement de ce prêt, proportionnellement à leurs parts dans la masse successorale.
        • Si l’un d’eux refuse de payer, les autres héritiers devront régler les échéances pour éviter tout contentieux avec la banque, mais pourront demander une compensation lors du partage.
  • Les emprunts contractés pendant l’indivision
    • Les indivisaires peuvent également souscrire un emprunt après l’ouverture de l’indivision, par exemple pour financer des travaux de conservation ou d’amélioration d’un bien indivis.
    • Ces emprunts doivent être souscrits avec l’accord des indivisaires majoritaires, conformément à l’article 815-3 du Code civil, qui encadre les actes d’administration.
    • Dans ce cas, chaque indivisaire devient personnellement tenu du remboursement envers le créancier, proportionnellement à ses droits dans l’indivision.
    • Toutefois, la responsabilité des indivisaires peut être solidaire, en fonction des termes du contrat de prêt.
      • Exemple pratique :
        • Dans le cadre d’une indivision successorale portant sur un immeuble nécessitant des travaux de rénovation, les indivisaires décident de contracter un emprunt collectif.
        • Chaque indivisaire est alors tenu de rembourser une part de cet emprunt, à proportion de ses droits dans l’indivision.
        • Si l’un des indivisaires fait défaut, les autres indivisaires doivent couvrir les échéances impayées, mais pourront demander une compensation lors du partage.

Lorsqu’un emprunt est contracté au bénéfice de l’indivision, le créancier conserve la possibilité de poursuivre chacun des indivisaires pour l’intégralité de la dette, sauf stipulation contraire dans le contrat. Cette solidarité emporte des conséquences importantes :

  • Le créancier peut exiger le remboursement total auprès d’un seul indivisaire ;
  • L’indivisaire ayant réglé la totalité de la dette peut exercer un recours contre les autres co-emprunteurs, afin de récupérer leur part de la dette.

Dans un arrêt du 23 janvier 2001, la Cour de cassation a rappelé que l’indivisaire qui prend en charge les dépenses nécessaires à la conservation du bien indivis dispose d’une créance sur la masse indivise (Cass. 1ère civ. 23 janv. 2001, n° 98-22.937). Ce principe peut être appliqué aux emprunts souscrits pour financer de tels travaux, permettant à l’indivisaire ayant réglé les échéances de demander une compensation lors du partage.

Si un indivisaire ne s’acquitte pas de sa part des échéances d’un emprunt collectif, le créancier peut poursuivre l’ensemble des co-emprunteurs. Cette situation peut créer un déséquilibre financier au sein de l’indivision, notamment si les indivisaires solvables doivent couvrir les impayés de l’indivisaire défaillant.

Cependant, ces indivisaires peuvent ensuite se retourner contre l’indivisaire défaillant, notamment en demandant l’imputation de la dette sur sa part lors du partage final. Ce mécanisme permet de préserver l’équité entre les indivisaires.

Exemple pratique :

Un héritier refuse de contribuer au remboursement d’un prêt souscrit pour rénover un immeuble indivis. Les autres indivisaires prennent en charge les échéances pour éviter un défaut de paiement auprès de la banque. Lors du partage, ils demanderont que le montant de la dette soit imputé sur la part de l’indivisaire défaillant.

3. Les charges d’entretien et de copropriété

La gestion des biens indivis implique nécessairement l’acquittement de charges d’entretien et de gestion courante. Ces dépenses, indispensables à la préservation du patrimoine commun, constituent des obligations incontournables pour les indivisaires. Toutefois, elles peuvent rapidement devenir une source de discordes, notamment en cas de défaut de contribution de certains indivisaires ou lorsqu’un indivisaire occupe privativement le bien sans assumer les frais afférents.

Ces charges, qui grèvent directement la masse indivise, se répartissent en plusieurs catégories distinctes, chacune répondant à des besoins spécifiques en matière de conservation et de gestion des biens.

  • Les frais d’entretien courant
    • Les biens indivis, qu’il s’agisse d’immeubles ou de meubles, nécessitent des dépenses régulières pour maintenir leur valeur et éviter leur dégradation. Ces frais incluent notamment :
      • Les réparations urgentes, destinées à prévenir des dommages susceptibles d’affecter durablement le bien ;
      • Les travaux de rénovation, visant à mettre le bien en conformité avec les normes en vigueur ou à améliorer son état général ;
      • Les frais de gestion courante, tels que les prestations d’entretien ou les honoraires de gestion locative.
    • Ces dépenses bénéficient à l’ensemble des indivisaires, puisqu’elles préservent ou augmentent la valeur du bien indivis. En conséquence, elles doivent être prises en charge proportionnellement aux droits de chacun dans l’indivision.
    • Conformément à l’article 815-13 du Code civil, l’indivisaire qui a engagé des frais nécessaires à la conservation du bien peut obtenir le remboursement de ses dépenses lors du partage, sous réserve de prouver leur caractère utile et nécessaire.
      • Exemple pratique :
        • Si la toiture d’un immeuble indivis est endommagée, un indivisaire peut décider d’engager les travaux nécessaires pour éviter une dégradation supplémentaire du bien. Lors du partage, il pourra demander à ce que les frais engagés soient inscrits à son actif dans le compte d’indivision, afin d’obtenir une compensation financière.
  • Les charges de copropriété
    • Lorsque le bien indivis est situé dans une résidence soumise au régime de la copropriété, les indivisaires doivent participer au paiement des charges de copropriété, proportionnellement à leurs droits.
    • Ces charges incluent :
      • Les frais d’entretien des parties communes, tels que l’entretien des ascenseurs, des jardins ou des couloirs ;
      • Les frais de gestion administrative, comprenant les honoraires du syndic et les assurances souscrites par la copropriété ;
      • Les appels de fonds exceptionnels, destinés à financer des travaux votés en assemblée générale.
    • En cas de défaillance dans le paiement de ces charges, le syndic peut engager des poursuites contre l’ensemble des indivisaires, conformément aux dispositions de l’article 1200 du Code civil, qui régit la solidarité passive des débiteurs.
      • Exemple pratique :
        • Un appartement indivis situé dans une copropriété fait l’objet d’une réhabilitation des parties communes, votée en assemblée générale.
        • Chaque indivisaire doit contribuer au règlement des appels de fonds, proportionnellement à ses droits.
        • Si certains indivisaires refusent de payer, le syndic peut assigner l’indivision dans son ensemble devant le tribunal et demander l’inscription d’une hypothèque légale sur le bien indivis, en application de l’article 19-1 de la loi du 10 juillet 1965.
  • Les primes d’assurance
    • Les biens indivis doivent être assurés afin de prévenir les risques liés aux sinistres, tels que les incendies, les dégâts des eaux ou encore les vols.
    • Les indivisaires doivent souscrire une assurance multirisque habitation couvrant les biens indivis et répartir le coût de la prime en fonction de leurs droits respectifs.
    • L’absence d’assurance expose les indivisaires à des risques considérables, notamment en cas de sinistre non couvert.
    • Le créancier (compagnie d’assurance) peut alors se retourner contre la masse indivise pour obtenir le remboursement des sommes dues.
      • Exemple pratique :
        • Si un immeuble indivis est détruit par un incendie et qu’aucune assurance n’a été souscrite, les pertes seront supportées par l’ensemble des indivisaires, sans possibilité d’indemnisation.
        • À l’inverse, si une assurance a été contractée, l’indemnisation versée par l’assureur sera répartie entre les indivisaires selon leurs droits.

Les frais d’entretien, les charges de copropriété ou les primes d’assurance afférentes aux biens indivis constituent des dépenses récurrentes, indispensables à la préservation du patrimoine commun. Ces obligations financières, essentielles au bon fonctionnement de l’indivision, exposent néanmoins les indivisaires à au mécanisme de la solidarité passive, permettant aux créanciers d’exiger le paiement intégral de la dette auprès de l’un quelconque d’entre eux.

Ces dépenses, indispensables à la préservation et à la valorisation des biens indivis, pèsent sur l’ensemble des indivisaires, proportionnellement à leurs droits dans l’indivision. Toutefois, leur prise en charge peut susciter des difficultés pratiques, notamment en cas de défaillance d’un ou plusieurs indivisaires. Pour garantir le règlement des sommes dues, les créanciers bénéficient d’un régime de solidarité passive, qui leur permet de poursuivre l’un quelconque des indivisaires pour le paiement intégral de la dette.

Cette règle, avantageuse pour les créanciers, peut toutefois engendrer des tensions au sein de l’indivision. En effet, les indivisaires solvables peuvent être contraints de supporter les impayés des indivisaires défaillants, créant ainsi un déséquilibre financier. Afin de rétablir l’équité, ceux qui ont payé au-delà de leur quote-part peuvent exercer un recours contre les indivisaires défaillants, en demandant l’imputation des sommes avancées lors de la liquidation finale.

Pour les charges de copropriété, la solidarité passive a été instituée par la jurisprudence. Dans un arrêt du 9 février 1970, la Cour de cassation a rappelé que le syndic de copropriété peut poursuivre l’ensemble des indivisaires pour le paiement des charges impayées, et ce, indépendamment de leur participation réelle aux décisions prises en assemblée générale (Cass. 3e civ. 9 févr. 1970, n° 68-13.306).

Ce principe permet au créancier d’exiger le paiement intégral de la créance auprès de l’un quelconque des co-indivisaires, lequel devra ensuite se retourner contre les débiteurs défaillants pour obtenir le remboursement des sommes avancées.

Exemple pratique :

Un appartement indivis, situé dans une copropriété, fait l’objet de travaux de rénovation votés en assemblée générale. Si certains indivisaires refusent de régler leur part des appels de fonds, le syndic peut assigner l’indivision dans son ensemble et demander la saisie des biens indivis pour garantir le recouvrement des sommes dues. L’indivisaire poursuivi pourra ensuite, au moment du partage, demander que les sommes qu’il a avancées soient imputées sur la part des indivisaires défaillants.

Ce mécanisme, bien que protecteur pour les créanciers, peut s’avérer particulièrement contraignant pour les indivisaires qui se retrouvent tenus de payer des dettes dépassant leur propre quote-part. Cette situation peut notamment se produire dans les cas suivants :

  • Frais d’entretien courant : un indivisaire avance les frais de réparation d’urgence d’un bien indivis, comme le remplacement d’une toiture endommagée. À défaut de participation des autres indivisaires, il peut se voir contraint d’assumer seul la dépense.
  • Charges de copropriété : les charges liées à l’entretien des parties communes ou aux travaux votés en assemblée générale doivent être réglées, même si certains indivisaires refusent de contribuer. En cas de défaillance, le syndic peut engager des poursuites contre l’ensemble des indivisaires.
  • Primes d’assurance : les biens indivis doivent être couverts par une assurance adéquate. Si l’un des indivisaires refuse de participer au règlement des primes d’assurance, les autres indivisaires devront pallier son défaut de paiement pour éviter de mettre en péril la couverture assurantielle.

Exemple pratique :

Si un immeuble indivis est détruit par un incendie, les indivisaires pourront prétendre à une indemnisation de la part de l’assureur, sous réserve que les primes aient été intégralement réglées. À défaut de paiement des primes, l’ensemble des indivisaires subira une perte définitive, sans possibilité de compensation. Celui qui aurait assumé seul le paiement des primes pourra demander à ce que les sommes avancées soient imputées sur les parts des autres indivisaires.

Pour éviter les déséquilibres financiers et les litiges liés à la solidarité passive, il est primordial de tenir un compte d’indivision précis, récapitulant les contributions de chaque indivisaire. Ce compte permettra de régulariser les avances de fonds et les impayés au moment de la liquidation, en imputant les créances sur les parts des indivisaires défaillants.

La Cour de cassation a rappelé, dans plusieurs décisions, que les comptes entre indivisaires doivent être établis avec une rigueur particulière, afin d’éviter que les charges pesant sur l’indivision ne soient supportées de manière disproportionnée par certains indivisaires (Cass. 1re civ., 20 févr. 2001, n° 98-13.006).

B) Les créances entre indivisaires

Outre les dettes externes contractées envers des créanciers tiers, l’indivision génère des dettes internes, résultant des relations financières entre les indivisaires eux-mêmes. Ces dettes trouvent leur origine dans les dépenses engagées par certains indivisaires pour la gestion ou la préservation du patrimoine indivis, ainsi que dans la jouissance privative de certains biens indivis par un ou plusieurs d’entre eux.

L’établissement de ces comptes internes, souvent confié au notaire lors des opérations de liquidation, vise à assurer une répartition équitable des charges et des bénéfices au sein de l’indivision.

==>Les avances de fonds pour la gestion et la conservation des biens indivis

Lorsqu’un indivisaire engage des dépenses nécessaires à la gestion, à la conservation ou à l’amélioration des biens indivis — telles que des travaux de réparation, le paiement des primes d’assurance, ou encore le règlement des charges de copropriété —, il est en droit de demander le remboursement de ces sommes par la masse indivise.

Ces avances de fonds constituent des créances inscrites à l’actif de l’indivisaire au moment de la reddition des comptes. Toutefois, pour être indemnisé, l’indivisaire devra démontrer que les dépenses engagées étaient nécessaires à la préservation du bien indivis.

Exemple pratique :

Si un indivisaire finance la réfection de la toiture d’un immeuble indivis pour éviter une dégradation du bien, il pourra demander à ce que les frais engagés soient inscrits comme créance à son bénéfice lors du partage.

Dans ce cas, les autres indivisaires devront contribuer au remboursement de cette créance, proportionnellement à leurs droits dans l’indivision.

==>Les indemnités d’occupation pour jouissance privative

Selon les termes de l’article 815-9 du Code civil, tout indivisaire qui occupe privativement un bien indivis doit une indemnité d’occupation à la masse indivise, dès lors que cette occupation empêche les autres indivisaires d’exercer leur droit à la jouissance commune.

Cette indemnité est destinée à compenser l’exclusion des autres indivisaires et est calculée sur la base de la valeur locative du bien. Elle constitue une dette inscrite au passif de l’indivisaire occupant lors de la liquidation.

Exemple pratique :

Si un indivisaire utilise seul un appartement indivis comme résidence principale, sans verser de compensation aux autres co-indivisaires, il sera tenu de régler une indemnité d’occupation au profit de la masse. Cette somme viendra réduire sa part dans le produit de la liquidation.

La jurisprudence a reconnu à plusieurs reprises le caractère automatique de cette indemnité d’occupation, dès lors que l’occupation privative est exercée sans accord des autres indivisaires (par ex. CA Lyon, 23 nov. 2017, n° 15/04545).

==>Les créances de gestion : rémunération d’un indivisaire désigné gérant

Lorsqu’un indivisaire est mandaté pour administrer les biens indivis, il peut prétendre à une rémunération pour sa gestion. Cette gestion peut inclure des missions telles que :

  • La perception des loyers issus des biens indivis mis en location ;
  • La supervision des travaux ou des démarches administratives ;
  • Le paiement des charges courantes (impôts, assurances, etc.).

Si cette rémunération n’a pas été réglée au cours de l’indivision, elle constitue une créance inscrite à l’actif de l’indivisaire gérant lors du partage.

Exemple pratique :

Un indivisaire est chargé de gérer un immeuble locatif indivis, percevant les loyers et assurant le paiement des charges de copropriété. S’il n’a pas été rémunéré pour cette gestion, il pourra réclamer une indemnisation lors de la liquidation des comptes, correspondant aux services rendus.

II) Le règlement des dettes et charges pesant sur l’indivision

A) Le règlement des dettes au moyen des liquidités disponibles dans l’indivision

Avant d’envisager la vente des biens indivis, les indivisaires peuvent décider d’affecter les liquidités disponibles — qu’il s’agisse des revenus générés par les biens indivis ou des sommes déjà présentes dans la masse — au paiement des dettes et charges.

Cette solution est généralement privilégiée, car elle permet de préserver l’intégrité du patrimoine indivis tout en désintéressant les créanciers.

1. Les règles de majorité applicables pour affecter les liquidités au paiement des dettes

L’article 815-3 du Code civil permet aux indivisaires représentant au moins deux tiers des droits indivis de prendre certaines décisions de gestion, notamment celle d’affecter les liquidités disponibles au règlement des dettes pesant sur l’indivision.

Les liquidités peuvent provenir de différentes sources :

  • Les loyers perçus sur les biens indivis loués ;
  • Les dividendes versés par une société dans laquelle l’indivision détient des parts sociales ;
  • Les sommes disponibles sur un compte bancaire détenu au nom de l’indivision ;
  • Les avances de fonds réalisées par un ou plusieurs indivisaires.

Exemple pratique :

Si un immeuble indivis est loué et génère des loyers, ou si l’indivision dispose d’un compte bancaire créditeur, les indivisaires majoritaires peuvent décider d’utiliser ces ressources pour payer la taxe foncière, régler les charges de copropriété, ou rembourser un emprunt contracté pour la rénovation du bien.

Cette décision, bien qu’importante, n’exige pas l’unanimité des indivisaires. Toutefois, elle suppose que les indivisaires minoritaires soient préalablement informés de la décision et que cette dernière soit prise dans l’intérêt commun de l’indivision.

Certaines décisions impliquant le paiement de dettes par le biais des liquidités disponibles nécessitent cependant l’accord unanime des indivisaires, notamment lorsqu’il s’agit de dettes contractées conjointement par tous les indivisaires ou de dettes dont le montant dépasse les ressources courantes de l’indivision.

Distinction importante :

  • Les décisions d’administration courante, comme le paiement des charges récurrentes (taxe foncière, primes d’assurance), peuvent être prises à la majorité des deux tiers.
  • Les décisions plus engageantes, telles que le remboursement anticipé d’un emprunt ou la souscription d’un nouvel emprunt, requièrent l’unanimité.

Cette distinction vise à préserver l’équilibre entre les droits des indivisaires minoritaires et la nécessité de gérer efficacement le patrimoine commun.

2. La gestion des dettes par le gérant de l’indivision

Lorsque les indivisaires désignent un gérant pour administrer les biens indivis, ce dernier est habilité à gérer les ressources financières disponibles dans l’indivision et à les affecter au règlement des dettes. Cette gestion doit toutefois respecter les règles de majorité prévues par l’article 815-3 du Code civil.

Le gérant peut ainsi, sans obtenir l’accord unanime des indivisaires :

  • Utiliser les loyers perçus pour payer les taxes et charges liées aux biens indivis ;
  • Affecter les liquidités présentes sur un compte bancaire indivis au règlement des dettes.

Exemple pratique :

Dans le cadre d’une indivision successorale portant sur un immeuble locatif, le gérant désigné peut décider d’affecter les loyers perçus au paiement des charges de copropriété et des travaux d’entretien, sans avoir besoin de l’accord unanime des indivisaires.

Cependant, en cas de désaccord entre les indivisaires sur l’affectation des ressources disponibles ou si le gérant prend des décisions jugées contraires aux intérêts de certains indivisaires, ces derniers peuvent contester la gestion du gérant devant le tribunal judiciaire.

B) Le règlement des dettes au moyen du produit de l’aliénation de biens indivis

Lorsque les liquidités disponibles au sein de l’indivision sont insuffisantes pour apurer le passif, il peut être nécessaire de procéder à la vente de certains biens indivis afin de générer les ressources financières nécessaires au règlement des créanciers.

Cette vente peut être décidée à l’initiative des indivisaires ou imposée par les créanciers, qui disposent d’un droit de gage sur les biens indivis.

1. La vente de meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision

Le règlement des dettes et charges pesant sur l’indivision constitue l’un des principaux motifs justifiant la vente de biens indivis. Deux mécanismes permettent d’y procéder : la vente à l’initiative des indivisaires, décidée à la majorité qualifiée, et la vente à l’instigation des créanciers de l’indivision. Ces dispositifs, bien que distincts dans leur mise en œuvre, visent à surmonter les blocages susceptibles d’entraver le paiement des créances, tout en encadrant les droits des indivisaires et des créanciers.

a. La vente décidée par les indivisaires à la majorité qualifiée

Sous l’empire du droit ancien, l’article 826 du Code civil autorisait la majorité des cohéritiers à décider de la vente publique des meubles, dès lors que celle-ci était jugée nécessaire pour apurer les dettes et charges de la succession. Cette dérogation au principe d’unanimité visait à prévenir les situations de blocage susceptibles d’empêcher le règlement du passif. Elle permettait ainsi d’éviter qu’un indivisaire minoritaire ne fasse obstacle au bon déroulement des opérations successorales, au risque de compromettre la liquidation du patrimoine commun.

Toutefois, cette disposition spécifique n’a pas été réintroduite dans le cadre de la réforme de l’indivision opérée par la loi du 23 juin 2006. À sa place, le législateur a préféré instaurer un dispositif plus souple mais également plus exigeant. Désormais, l’article 815-3, alinéa 1er, 3°, du Code civil confère aux indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis la faculté de procéder à la vente des meubles indivis en vue de régler les dettes et charges pesant sur l’indivision.

Ce dispositif rompt avec le droit antérieur en substituant au décompte par tête un calcul fondé sur les droits indivis détenus. Il vise ainsi à faciliter les ventes de biens meubles indispensables au règlement des dettes et charges, tout en prévenant les abus susceptibles de léser les indivisaires minoritaires.

==>Domaine

La règle énoncée à l’article 815-3, alinéa 1er, 3° vise la seule vente de meubles indivis, qu’ils soient corporels (mobilier, équipements, œuvres d’art) ou incorporels (parts sociales, créances).

Cette restriction reflète la volonté du législateur de réserver la majorité qualifiée à des biens facilement aliénables, tout en laissant aux indivisaires la possibilité de contester la pertinence de telles ventes si elles ne respectent pas les critères fixés par la loi.

Ainsi, tout bien meuble indivis peut être vendu dès lors que la finalité de la cession est de régler les dettes ou charges de l’indivision.

Par exemple, des parts sociales représentant une société civile immobilière ou des œuvres d’art indivises pourraient être cédées si les indivisaires majoritaires justifient que cette vente est nécessaire pour couvrir les frais afférents à l’indivision.

==>Conditions

La vente de meubles indivis ne peut être envisagée que pour des raisons spécifiques et impérieuses : le paiement des dettes et charges de l’indivision.

Ces charges comprennent notamment :

  • Les frais d’entretien ou de réparation nécessaires à la préservation du patrimoine indivis, comme des travaux de rénovation ou d’aménagement?;
  • Les taxes et impôts liés au bien indivis, tels que la taxe foncière ou les taxes locales?;
  • Les dépenses courantes liées à l’exploitation du bien, telles que les frais de gestion locative ou les coûts d’assurance.

En revanche, toute vente motivée par des considérations étrangères à ces impératifs, comme la volonté de se débarrasser d’un meuble jugé encombrant ou inutile, excède le cadre légal.

De telles opérations nécessiteraient alors soit l’unanimité des indivisaires, soit le recours à des mesures conservatoires ou à une autorisation judiciaire prévue par l’article 815-5-1 du Code civil.

==>La majorité qualifiée

Pour qu’une vente soit réalisée, les indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis doivent se prononcer en faveur de la cession.

Cette majorité, calculée en fonction des parts indivises et non du nombre d’indivisaires, permet d’assurer une certaine flexibilité tout en évitant qu’un indivisaire minoritaire puisse s’opposer de manière systématique à une opération indispensable.

Cependant, les indivisaires minoritaires conservent un droit de contrôle sur ces décisions.

Ils peuvent contester la vente si celle-ci excède le cadre de l’exploitation normale des biens indivis ou si elle ne respecte pas les critères légaux, notamment en termes de nécessité et de proportionnalité.

==>Procédure

La vente de meubles indivis en application de l’article 815-3 ne nécessite pas, en principe, l’intervention du juge.

Elle peut être réalisée à l’amiable, à condition que les indivisaires majoritaires respectent les obligations procédurales, notamment :

  • L’information préalable des indivisaires minoritaires?: selon l’article 815-3, alinéa 2, les indivisaires majoritaires sont tenus d’informer les autres indivisaires de la décision de vendre. Cette obligation garantit la transparence et permet aux indivisaires non consultés de contester l’opportunité de la vente si nécessaire.
  • Le respect du critère de proportionnalité : la vente ne doit porter que sur le montant strictement nécessaire au règlement des dettes et charges identifiées. Toute aliénation excédant ce besoin immédiat pourrait être remise en cause par les indivisaires minoritaires.

En permettant la vente de meubles indivis à la majorité qualifiée des deux tiers, l’article 815-3, alinéa 1er, 3° du Code civil introduit une souplesse bienvenue dans la gestion de l’indivision, tout en préservant les droits des indivisaires minoritaires grâce à des garanties procédurales et juridiques. Ce mécanisme, bien qu’exceptionnel, illustre une volonté de concilier efficacité et sécurité juridique dans un domaine marqué par des risques fréquents de blocage.

Cependant, cette faculté doit être exercée avec prudence. Une application abusive ou détournée de cette règle pourrait compromettre l’équilibre fragile entre les droits des indivisaires et la nécessité de gérer l’indivision de manière pragmatique et équitable.

b. La vente à l’initiative des créanciers de l’indivision

L’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil confère aux créanciers de l’indivision un droit de saisie et de vente des biens indivis, qu’ils soient meubles ou immeubles, indépendamment des opérations de partage. Cette prérogative, distincte du droit de prélèvement sur l’actif indivis, leur permet de se faire payer sur le produit de la vente des biens indivis, garantissant ainsi l’effectivité de leurs créances, malgré l’absence de partage.

Sous l’empire du droit ancien, l’article 826 du Code civil, complété par l’article 945 de l’ancien Code de procédure civile, prévoyait la vente publique des meubles successoraux à l’initiative des créanciers saisissants ou d’opposants, ou lorsque la majorité des cohéritiers jugeait la vente nécessaire pour acquitter le passif. La procédure suivait alors les règles des saisies-exécutions fixées par la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 et le décret n° 92-755 du 31 juillet 1992, offrant ainsi aux créanciers une voie d’exécution sûre et encadrée.

Bien que ces dispositions aient été abrogées par la réforme de 2006, la possibilité pour les créanciers de provoquer la vente des biens indivis demeure. La jurisprudence a clairement confirmé ce droit. La Cour de cassation, notamment dans des arrêts rendus avant et après la réforme, a rappelé que les créanciers peuvent poursuivre la saisie des biens indivis tant que ceux-ci n’ont pas été attribués à un indivisaire dans le cadre d’un partage définitif (Cass. 1re civ., 15 juill. 1999, n° 97-14.361).

Ce droit de saisie des biens indivis constitue ainsi une garantie fondamentale pour les créanciers, en leur permettant d’échapper aux éventuels blocages liés au régime de l’indivision. Il leur offre une faculté d’exécution directe, qui se maintient tant que les biens concernés demeurent dans le périmètre indivis.

==>La prérogative de saisie des biens indivis

Les créanciers de l’indivision, contrairement aux créanciers personnels des indivisaires, bénéficient d’un droit spécifique leur permettant de poursuivre la saisie et la vente judiciaire des biens indivis.

Ces biens incluent non seulement ceux présents au moment de la formation de l’indivision, mais également ceux qui y sont intégrés ultérieurement par subrogation réelle, tels que les fruits et revenus produits par les biens indivis.

Toutefois, la sécurité des créanciers peut être affectée dans certaines situations. Par exemple, un immeuble acquis par un indivisaire en son nom propre avec des fonds indivis pourrait échapper au gage des créanciers de l’indivision, ceux-ci ne pouvant s’opposer aux droits du créancier personnel de cet indivisaire. Cette difficulté souligne l’importance de définir précisément l’assiette des biens indivis soumis au droit de saisie.

==>Modalités de la saisie et de la vente

La saisie des biens indivis doit être dirigée contre chaque indivisaire individuellement en raison de l’absence de personnalité juridique de l’indivision.

Les créanciers ne peuvent donc engager d’action contre « l’indivision » en tant qu’entité autonome.

La saisie peut viser des biens meubles ou immeubles, ainsi que des créances indivises. La vente s’effectue généralement par voie de licitation, sauf accord contraire entre les parties (Cass. 1re civ., 29 nov. 1994, n° 93-11.317).

==>La portée et les limites du droit de saisie

Le droit de saisie des créanciers de l’indivision s’applique jusqu’au moment du partage définitif.

Une fois les biens indivis aliénés ou attribués à des indivisaires dans le cadre d’un partage, ils cessent de faire partie du gage des créanciers de l’indivision et deviennent soumis aux droits des créanciers personnels des indivisaires concernés.

Toutefois, l’effet déclaratif du partage n’altère pas les droits acquis par les créanciers de l’indivision avant le partage. Ces derniers conservent leur capacité à poursuivre la réalisation des biens indivis tant que ces biens font partie de la masse indivise.

Il convient également de noter que ce droit de saisie ne confère pas au créancier un droit exclusif sur les biens indivis. Les créanciers doivent partager leur gage avec les autres créanciers de l’indivision et se conformer aux priorités fixées par la loi, notamment lorsque plusieurs créanciers revendiquent des droits concurrents sur le même bien.

==>Extinction du droit de saisie et de vente des biens indivis

Le droit de saisie des créanciers trouve ses limites dans deux circonstances principales : le partage définitif et l’aliénation des biens indivis.

  • Le partage définitif
    • Principe
      • Le partage constitue l’acte par lequel l’indivision prend fin et les biens indivis sont attribués en pleine propriété à chacun des indivisaires, selon leurs droits respectifs.
      • Dès lors qu’un partage définitif intervient, les biens sortent du régime de l’indivision et, par conséquent, des mécanismes spécifiques prévus par l’article 815-17 du Code civil, qui confèrent aux créanciers la possibilité de saisir les biens indivis.
      • Il en résulte que, une fois le partage réalisé, les biens indivis cessent de constituer le gage commun des créanciers de l’indivision.
      • Les créanciers ne peuvent plus exercer leurs droits sur l’ensemble des biens indivis, mais uniquement sur ceux attribués à l’indivisaire débiteur.
      • Par ailleurs, en vertu de l’article 883 du Code civil, le partage est censé rétroagir à la date d’ouverture de l’indivision.
      • Cela signifie que chaque indivisaire est réputé avoir toujours été propriétaire exclusif des biens qui lui sont attribués, ce qui peut compliquer la position des créanciers pour les actions intentées avant le partage.
    • Exception
      • Un partage provisionnel, qui organise simplement la jouissance des biens sans en modifier la propriété, ne constitue pas une véritable dissolution de l’indivision.
      • Dans ce cas, les créanciers conservent leur droit de saisie sur les biens indivis.
      • Par exemple, une convention attribuant temporairement la jouissance d’un immeuble indivis à l’un des indivisaires n’empêche pas les créanciers de poursuivre la saisie de ce bien.
  • L’aliénation des biens indivis
    • Lorsqu’un bien indivis est vendu ou transféré à un tiers, il sort du patrimoine indivis et, par conséquent, du gage commun des créanciers de l’indivision.
    • Les créanciers ne peuvent alors plus exercer leur droit de poursuite sur ce bien, sauf exceptions prévues par le droit commun.
    • La Cour de cassation a confirmé ce principe dans un arrêt du 15 mai 2002 aux termes duquel elle a jugé que les biens indivis transférés à des tiers ne peuvent plus être saisis par les créanciers de l’indivision (Cass. 1ère civ., 15 mai 2002, n°00-18.798).
    • Ces derniers doivent alors engager leurs poursuites contre les nouveaux propriétaires du bien ou contre le débiteur initial, mais sans bénéficier des mécanismes propres à l’indivision.
    • La conséquence pour les créanciers est alors double
      • Premier effet
        • Une fois le bien vendu, les créanciers doivent se tourner vers le produit de la vente si celui-ci est resté dans le patrimoine indivis, ou exercer leurs droits sur d’autres biens de l’indivision ou sur le patrimoine propre de l’indivisaire débiteur.
      • Second effet
        • Contrairement à certaines hypothèses en droit des sûretés, les créanciers ne disposent pas de mécanismes spécifiques pour revendiquer un bien indivis aliéné à un tiers, sauf si l’aliénation a été réalisée en fraude de leurs droits, auquel cas une action paulienne peut être envisagée (article 1341-2 du Code civil).

==>Cas particuliers

  • Le cas particulier des créanciers hypothécaires
    • Les créanciers hypothécaires jouissent d’un régime particulier lorsqu’ils ont consenti leur hypothèque sur des biens indivis.
    • L’hypothèque, quelle que soit sa nature (conventionnelle, judiciaire ou légale), échappe à l’effet déclaratif du partage.
    • Elle conserve ainsi sa pleine efficacité, même après l’attribution du bien grevé à un indivisaire spécifique ou sa licitation au profit d’un tiers.
    • Cela garantit au créancier hypothécaire une sécurité renforcée, bien que sa situation puisse différer de celle des créanciers de l’indivision selon les modalités de l’hypothèque.
  • Le cas particulier de l’attribution éliminatoire
    • L’attribution éliminatoire, qui permet à un indivisaire de prélever un bien précis en contrepartie d’une indemnité destinée à couvrir les droits des autres indivisaires, n’a pas pour effet de limiter le gage des créanciers sur les biens restant dans l’indivision.
    • La doctrine et la jurisprudence s’accordent à considérer que cette attribution n’affecte pas les droits des créanciers de l’indivision.
    • Aussi, les biens restant dans l’indivision continuent de constituer un gage pour les créanciers, préservant ainsi leurs droits sur l’ensemble des actifs indivis subsistants.

2. La vente des biens indivis par voie d’autorisation judiciaire

Historiquement, la possibilité de vendre des biens indivis sans l’accord unanime des copartageants était étroitement limitée. Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 826 du Code civil n’envisageait que deux hypothèses de vente forcée, strictement encadrées et exclusivement liées au règlement du passif successoral. En dehors de ces cas spécifiques, toute aliénation de biens indivis nécessitait le consentement unanime des indivisaires. Ce principe rigoureux, ancré dans l’idéal de l’égalité en nature dans le partage, empêchait même le juge d’imposer une vente, quelle que soit l’opportunité économique qu’elle pouvait représenter.

Cependant, la jurisprudence a progressivement assoupli cette exigence d’unanimité, notamment pour les biens meubles sujets à dépérissement. Dès 1871, la Cour d’appel de Rouen avait ainsi jugé que la vente de tels biens pouvait être ordonnée à la demande d’un ou plusieurs indivisaires, malgré l’opposition des autres (CA Rouen, 16 mars 1871). Cette solution, dictée par des considérations pratiques et économiques, visait à éviter une perte irrémédiable de valeur ou des charges de conservation disproportionnées qui auraient compromis l’intérêt commun.

Cette jurisprudence a trouvé une consécration législative dans la réforme de 2006, qui a introduit la notion d’acte conservatoire. Désormais, l’article 784, 2° du Code civil autorise les indivisaires à prendre toute mesure nécessaire à la préservation du patrimoine indivis, incluant la vente de biens périssables ou dont le coût de conservation serait déraisonnable. Comme le souligne Jean Patarin, « la qualification d’acte conservatoire légitime une vente rapide pour éviter la perte de valeur du bien ou les coûts inutiles de conservation ».

Cette faculté de solliciter l’adoption de mesures conservatoires a, par suite, été complétée par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, qui a introduit l’article 815-5-1 du Code civil. Contrairement aux mesures conservatoires, cette disposition confère aux indivisaires réunissant au moins deux tiers des droits indivis la faculté de solliciter une autorisation judiciaire pour aliéner un bien indivis, qu’il soit meuble ou immeuble. Cette demande peut être formulée lorsque le bien ne peut être commodément partagé ou lorsque sa conservation génère des charges disproportionnées. Ce mécanisme constitue une avancée majeure par rapport à l’article 815-5, car il n’exige pas de démontrer un péril imminent menaçant l’intérêt commun.

L’intervention judiciaire prévue par l’article 815-5-1 tend ainsi à donner effet à la volonté des indivisaires majoritaires, tout en encadrant cette prérogative par un contrôle juridictionnel rigoureux. L’objectif affiché est de surmonter les situations de blocage en adaptant la gestion de l’indivision aux contraintes économiques. La doctrine considère d’ailleurs que cette disposition marque une rupture avec le droit antérieur, en favorisant une gestion plus pragmatique de l’indivision.

a. Les conditions d’application

==>Conditions négatives

L’autorisation judiciaire prévue à l’article 815-5-1 du Code civil est strictement encadrée par deux conditions négatives, qui visent à protéger des situations spécifiques où les droits ou intérêts de certains indivisaires pourraient être compromis.

Ces restrictions traduisent une volonté d’équilibre entre l’efficacité de la gestion des biens indivis et la sauvegarde des droits des parties les plus vulnérables.

  • L’exclusion en cas de démembrement de propriété
    • Le texte exclut toute application de l’article 815-5-1 lorsqu’un bien indivis est grevé d’un démembrement de propriété, tel que l’usufruit ou la nue-propriété.
    • Cette interdiction repose sur une préoccupation fondamentale : préserver les droits de l’usufruitier, dont la jouissance effective du bien pourrait être mise en péril par une vente imposée.
    • En effet, dans le cadre d’un démembrement, la propriété se scinde en droits distincts et complémentaires — l’usufruit et la nue-propriété —, dont les titulaires ne partagent pas les mêmes intérêts ni obligations.
    • L’aliénation forcée de la pleine propriété, bien qu’initiée par les nus-propriétaires majoritaires, risquerait d’emporter des conséquences disproportionnées pour l’usufruitier.
    • Celui-ci, souvent désigné en raison de sa situation personnelle (par exemple, un conjoint survivant jouissant du logement familial), se verrait contraint de renoncer à un droit essentiel, sa jouissance, sans possibilité de s’y opposer pleinement.
    • Ainsi, cette restriction constitue un garde-fou pour éviter que les équilibres inhérents au démembrement ne soient rompus au détriment des parties les plus exposées.
  • L’exclusion en présence d’un indivisaire protégé ou éloigné
    • La seconde limitation, tout aussi significative, interdit le recours à l’article 815-5-1 lorsque l’un des indivisaires se trouve dans l’une des situations énoncées à l’article 836 du Code civil :
      • Présomption d’absence,
      • Impossibilité de manifester sa volonté en raison d’un éloignement,
      • Placement sous un régime de protection juridique.
    • Cette disposition vise à garantir que les indivisaires les plus vulnérables, incapables d’exprimer leur consentement ou de défendre leurs intérêts, ne soient pas lésés par une décision prise en leur absence.
    • Le législateur a ainsi voulu prévenir le risque d’abus ou d’iniquité, notamment dans des contextes où les autres indivisaires pourraient exploiter une telle situation pour imposer une aliénation.
    • Cependant, cette condition négative, si elle protège les droits des indivisaires concernés, peut également engendrer des blocages prolongés.
    • Par exemple, la vente d’un bien indivis pourrait être retardée pendant plusieurs années en cas de présomption d’absence, au détriment de l’intérêt collectif.
    • De même, un indivisaire sous protection juridique pourrait, malgré la présence d’un curateur ou d’un tuteur, faire obstacle à une aliénation pourtant bénéfique à tous.

==>Conditions positives

Pour que l’autorisation judiciaire prévue à l’article 815-5-1 du Code civil puisse être délivrée, deux conditions positives doivent être simultanément réunies. Ces critères, à la fois pragmatiques et protecteurs, visent à concilier la volonté des indivisaires majoritaires avec le respect des droits des minoritaires.

  • Majorité des deux tiers des droits indivis : la prééminence de la majorité économique
    • La première condition impose que la demande d’autorisation émane d’un ou plusieurs indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis.
    • Ce seuil, établi sur la proportion des droits et non sur le nombre d’indivisaires, consacre la prédominance de la majorité économique.
    • Ainsi, un indivisaire unique possédant plus des deux tiers des droits peut, à lui seul, initier la procédure, même si les autres indivisaires sont numériquement supérieurs.
    • Cette règle, inspirée des mécanismes propres aux entités dotées de personnalité morale, introduit une forme de gouvernance majoritaire dans le cadre de l’indivision.
    • Elle vise à limiter les blocages, en permettant aux indivisaires majoritaires de surmonter l’opposition d’une minorité.
    • Toutefois, cette prééminence de la majorité économique interroge sur son adéquation avec les principes fondamentaux du droit de propriété.
    • En effet, l’article 815-5-1 confère aux indivisaires majoritaires le pouvoir d’imposer une aliénation, potentiellement contraire à la volonté des minoritaires, ce qui peut apparaître comme une forme d’expropriation privée.
    • Si cette disposition a été jugée conforme aux exigences constitutionnelles, elle n’en demeure pas moins sujette à débat, notamment en ce qu’elle remet en question l’unanimité comme garantie traditionnelle des droits de chacun.
  • Absence d’atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires : une protection nuancée
    • La seconde condition impose que l’aliénation envisagée ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires.
    • Ce critère, d’apparence simple, recèle une complexité d’interprétation qui en limite la portée pratique.
      • Une approche subjective : le préjudice moral ou affectif
        • Une lecture subjective de l’atteinte excessive pourrait conduire le juge à examiner l’impact moral ou affectif de l’aliénation sur les indivisaires minoritaires.
        • Cette approche pourrait, par exemple, tenir compte de l’attachement personnel à un bien familial ou des conséquences psychologiques d’une vente forcée.
        • Toutefois, une telle interprétation risque de priver d’effectivité le mécanisme de l’article 815-5-1, dans la mesure où toute opposition des minoritaires repose, par hypothèse, sur des raisons personnelles.
      • Une approche objective : le respect des garanties procédurales
        • À l’inverse, une lecture objective de la notion d’atteinte excessive pourrait limiter l’examen du juge aux seules garanties procédurales, telles que la régularité de la procédure ou l’équité dans la répartition des fruits de la vente.
        • Si cette approche permet de préserver l’efficacité du dispositif, elle réduit toutefois considérablement la protection offerte aux indivisaires minoritaires, en négligeant les dimensions émotionnelles et sociales de leur opposition.
    • En définitive, le juge doit trouver un équilibre délicat entre ces deux approches, afin de garantir une application à la fois efficace et équitable de l’article 815-5-1.
    • Ce critère, bien que fondamental pour préserver les droits des minoritaires, reflète les tensions inhérentes à toute tentative de concilier les intérêts divergents au sein d’une indivision.

b. La procédure d’autorisation

L’article 815-5-1 du Code civil, issu de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, instaure une procédure dérogatoire à la règle de l’unanimité en matière d’indivision.

Ce texte permet à un ou plusieurs indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis de demander l’autorisation judiciaire de vendre un bien indivis, même en cas d’opposition des indivisaires minoritaires.

Cette procédure se déploie en deux phases distinctes, chacune encadrée par des règles spécifiques.

==>La phase devant notaire

La procédure débute obligatoirement devant notaire, dont le rôle est central dans la mise en œuvre du mécanisme d’aliénation.

  • Déclaration d’intention d’aliéner par les indivisaires majoritaires
    • Selon l’alinéa 2 de l’article 815-5-1, les indivisaires majoritaires doivent exprimer devant notaire leur intention de procéder à l’aliénation du bien indivis.
    • Cette déclaration, formalisée dans un acte notarié, constitue le point de départ de la procédure et marque la volonté des majoritaires de passer outre l’opposition des minoritaires.
  • Notification aux indivisaires minoritaires
    • L’alinéa 3 de l’article 815-5-1 impose au notaire de notifier cette déclaration aux indivisaires minoritaires dans un délai d’un mois.
    • La notification, effectuée par ministère d’huissier, informe les minoritaires de l’intention d’aliéner et leur ouvre un délai pour réagir.
  • Réponse des indivisaires minoritaires
    • À compter de la notification, les indivisaires minoritaires disposent d’un délai de trois mois pour manifester leur opposition ou donner leur consentement à l’aliénation, conformément à l’alinéa 4 de l’article 815-5-1. Le silence des minoritaires vaut opposition implicite, renforçant ainsi leur droit de ne pas se prononcer activement.
  • Procès-verbal de difficultés
    • Si une opposition est exprimée ou si les indivisaires minoritaires demeurent silencieux, le notaire dresse un procès-verbal de difficultés.
    • Ce document consigne les désaccords ou l’absence de réponse, formalisant ainsi l’échec de la phase notariale.
    • Ce procès-verbal est indispensable pour initier la phase judiciaire.

==>La phase devant le juge

Lorsque l’opposition persiste, la procédure se poursuit devant le tribunal judiciaire, conformément à l’alinéa 5 de l’article 815-5-1.

  • Saisine du tribunal
    • Les indivisaires majoritaires, disposant du procès-verbal de difficultés, saisissent le tribunal judiciaire pour obtenir une autorisation d’aliéner le bien indivis.
    • Cette saisine déclenche l’examen juridictionnel des conditions posées par la loi.
  • Examen des conditions par le juge
    • Aux termes de l’alinéa 5 de l’article 815-5-1, le tribunal doit s’assurer que :
      • Les demandeurs détiennent au moins deux tiers des droits indivis.
      • L’aliénation ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires.
    • Le tribunal peut également tenir compte des circonstances particulières de l’affaire, telles que les motifs d’opposition des minoritaires ou l’intérêt collectif à l’aliénation.
  • Autorisation et licitation
    • Si les conditions légales sont remplies, le tribunal autorise la vente, qui doit s’effectuer par voie de licitation, conformément à l’alinéa 6 de l’article 815-5-1.
    • Ce mode de vente garantit la transparence et l’égalité de traitement entre les indivisaires, en attribuant le bien au plus offrant lors d’une vente aux enchères.
  • Opposabilité de la décision
    • Une fois l’autorisation délivrée, l’aliénation devient opposable à tous les indivisaires, y compris à ceux ayant exprimé leur opposition.
    • L’alinéa 7 de l’article 815-5-1 précise que cette opposabilité s’étend également aux indivisaires qui n’auraient pas été formellement notifiés, sous réserve du respect des conditions procédurales.

c. Les effets de l’autorisation judiciaire

==>À l’égard des indivisaires

L’autorisation délivrée par le tribunal s’impose à tous les indivisaires, qu’ils aient donné leur consentement ou exprimé leur opposition à la vente. En vertu de l’alinéa 7 de l’article 815-5-1, cette décision rend l’aliénation opposable à chacun d’eux, ce qui signifie que le transfert de propriété s’opère comme si tous avaient consenti à l’acte.

Cependant, cette opposabilité ne crée pas d’obligation personnelle pour les indivisaires minoritaires.

En d’autres termes, ces derniers ne sont pas considérés comme parties à l’acte de vente et ne peuvent être tenus responsables, par exemple, des garanties attachées à la chose vendue (telle que la garantie des vices cachés).

Ils demeurent juridiquement tiers à l’acte, même s’ils doivent en supporter les conséquences pratiques, notamment la perte de leurs droits sur le bien vendu.

==>À l’égard des tiers

Pour les tiers acquéreurs, l’autorisation judiciaire constitue une garantie essentielle de sécurité juridique.

Elle certifie que la vente est opposable à tous les indivisaires, qu’ils aient consenti ou non à l’aliénation. Cette opposabilité protège les tiers contre toute contestation ultérieure pouvant émaner des indivisaires minoritaires.

En pratique, cela signifie que le tiers acquéreur peut être certain de la validité de son titre de propriété et de l’impossibilité pour les indivisaires minoritaires de remettre en cause la vente.

Cette sécurité renforce l’attractivité économique du bien, en favorisant des ventes rapides et à des conditions avantageuses, tout en évitant les litiges postérieurs à l’aliénation.

==>Sur le produit de la vente

L’autorisation judiciaire ne met pas un terme à l’indivision, mais transforme le bien vendu en une somme d’argent répartie entre les indivisaires selon leurs droits respectifs, conformément à l’alinéa 6 de l’article 815-5-1.

Ce mécanisme de subrogation permet de maintenir l’équilibre des droits de chaque indivisaire, tout en facilitant la gestion du produit de la vente.

  • Répartition entre les indivisaires
    • Le prix obtenu est réparti proportionnellement aux droits indivis de chacun.
    • Cette répartition reflète les parts initiales détenues dans l’indivision et garantit une juste compensation pour chaque indivisaire, qu’il ait consenti ou non à la vente.
  • Interdiction du remploi pour une nouvelle indivision
    • Afin d’éviter la reconstitution des blocages qui avaient motivé l’aliénation, l’article 815-5-1 prohibe le remploi des fonds pour l’acquisition d’un nouveau bien indivis.
    • Cette interdiction vise à encourager les indivisaires à sortir définitivement de l’indivision et à privilégier des solutions individuelles.
  • Paiement des dettes et charges
    • Une exception à l’interdiction de remploi est toutefois prévue pour le règlement des dettes et charges liées à l’indivision.
    • Cette obligation qui pèse sur les indivisaires permet de solder les dettes communes avant la distribution du reliquat entre les indivisaires, renforçant ainsi la sécurité juridique et financière de l’opération.

Opérations de partage: l’estimation des biens à partager

L’évaluation des biens corporels constitue une étape absolument fondamentale dans le processus de partage, qu’il s’agisse de la liquidation d’une succession, de la dissolution d’une indivision ou d’un partage d’actifs dans un cadre plus large. Cette opération revêt une importance décisive, car elle détermine la valeur de la masse partageable et conditionne l’équilibre des attributions entre les copartageants. Une estimation rigoureuse des biens permet d’assurer la justice et l’équité du partage, en évitant toute distorsion préjudiciable à l’un des indivisaires.

Si, en théorie, l’évaluation des biens pourrait sembler une opération purement technique, elle se heurte en pratique à de multiples difficultés tenant à la nature des biens, aux fluctuations du marché et aux intérêts divergents des copartageants. La détermination de la valeur vénale des biens implique dès lors de recourir à des critères précis et à des méthodes éprouvées, qu’elles soient conventionnelles, notariales ou judiciaires.

Le droit français a progressivement précisé les modalités d’estimation des biens corporels, en encadrant le recours aux experts et en conférant au notaire un rôle central dans cette opération. Toutefois, en l’absence d’accord entre les copartageants, l’intervention du juge demeure nécessaire, notamment lorsque l’estimation des biens soulève des contestations ou nécessite des mesures d’instruction spécifiques.

L’enjeu est double : d’une part, garantir une évaluation au plus près de la réalité économique des biens, en tenant compte de leur état matériel, de leur situation juridique et des contraintes du marché ; d’autre part, assurer la stabilité des opérations de partage, en évitant des réévaluations intempestives qui viendraient fragiliser les droits acquis.

Dès lors, l’analyse des règles régissant l’estimation des biens corporels implique d’examiner, d’une part, les modes d’évaluation applicables à ces biens, qu’ils soient établis à l’amiable ou sous l’autorité du juge, et, d’autre part, les critères qui président à la fixation de leur valeur, en veillant à concilier exigence d’objectivité et impératif d’équité entre les copartageants.

A) Estimation des biens corporels

1. Modes d’estimation

L’estimation des biens à partager constitue une étape importante sinon déterminante dans l’établissement de la masse partageable. Elle vise à garantir une répartition équitable entre les indivisaires, en tenant compte de la valeur des biens à partager. Dans le cadre d’un partage amiable, les parties peuvent convenir elles-mêmes de l’évaluation des biens. En revanche, en l’absence d’accord, elle est assurée par le juge.

En effet, à défaut d’accord entre les copartageants, l’estimation des biens incombe au tribunal. Celui-ci se fonde sur le projet d’état liquidatif établi par le notaire et, le cas échéant, sur l’expertise judiciaire ordonnée à cette fin. Ce rôle du juge, anciennement empreint de rigidité, s’est considérablement assoupli au fil des réformes.

Historiquement, les articles 466 et 824 du Code civil, ainsi que les dispositions de l’ancien Code de procédure civile, imposaient une expertise obligatoire pour l’estimation des immeubles. La loi du 2 juin 1841 et ses évolutions ultérieures ont toutefois conféré au juge une liberté discrétionnaire dans le recours à cette mesure. Désormais, l’expertise immobilière est facultative, même en présence d’incapables, une solution également retenue pour les meubles (Cass. 1ère civ., 28 avril 1964).

La réforme opérée par la loi du 23 juin 2006 a renforcé le rôle du notaire dans les opérations de partage. Alors que l’ancien article 828 du Code civil limitait ses fonctions à l’établissement des comptes et à la composition des lots, le notaire peut désormais procéder à l’estimation des biens mobiliers et immobiliers. Cette compétence élargie, prévue par l’article 1364 du Code de procédure civile, vise à simplifier et accélérer les procédures de partage.

En pratique, le notaire peut s’adjoindre un expert en cas de complexité particulière, notamment pour des biens dont la valeur ou la consistance est difficile à établir. À titre d’exemple, un notaire commis dans une succession comprenant une collection d’art pourrait solliciter un expert pour évaluer précisément les œuvres, une tâche nécessitant une expertise spécialisée.

Lorsque l’intervention d’un expert est requise, celle-ci peut être décidée soit par le notaire, soit directement par le tribunal. Conformément à l’article 232 du Code de procédure civile, les parties peuvent proposer un expert de leur choix. À défaut d’accord, le tribunal désigne un technicien, qui agit dans le cadre des règles applicables aux mesures d’instruction (art. 232 à 248 et 263 à 284 CPC).

Il est également possible de recourir à une mesure d’instruction in futurum (art. 145 CPC), permettant d’anticiper l’évaluation des biens avant même l’introduction d’une demande en partage. Cette solution se révèle particulièrement utile dans les situations urgentes, comme l’évaluation d’un bien risquant de se dégrader.

Certains biens nécessitent des modalités d’estimation particulières. Par exemple, dans le cas des biens de famille insaisissables, leur évaluation devait, sous l’empire de la loi du 12 juillet 1909, être confiée à l’Office agricole du département et homologuée par le juge d’instance.

Par ailleurs, pour garantir une estimation précise, le tribunal peut enjoindre aux parties de communiquer aux experts tous les documents pertinents. À titre d’illustration, dans une affaire où les actions d’une société figurent parmi les actifs, les juges peuvent contraindre la société à fournir des documents financiers non accessibles aux actionnaires (Cass. com., 10 février 1969).

Le juge commis joue un rôle de supervision tout au long de la mesure d’expertise. Il peut notamment adapter la mission de l’expert, gérer les délais, ou encore procéder à son remplacement en cas de défaillance. Ces prérogatives, prévues par les articles 234, 236, 241 et 279 du Code de procédure civile, garantissent la bonne exécution de la mission confiée.

2. Critères d’estimation

L’estimation des biens à partager doit refléter la valeur vénale des biens, tout en tenant compte de leurs caractéristiques matérielles et juridiques. Cette évaluation, destinée à garantir une répartition équitable entre les indivisaires, obéit à des critères rigoureux que le notaire ou l’expert désigné devra scrupuleusement respecter.

Historiquement, l’article 825 du Code civil imposait que l’estimation des biens soit réalisée « à juste prix et sans crue », une précision devenue aujourd’hui inutile tant il est évident que l’évaluation doit refléter la juste valeur marchande. Ce principe, destiné à prévenir les sous-estimations ou les surévaluations arbitraires, constitue le fondement de toute estimation dans le cadre des opérations de partage. Il garantit une base équitable sur laquelle s’appuient les indivisaires et le tribunal.

Pour déterminer leur juste valeur, il est essentiel d’évaluer les biens en tenant compte de leur état, entendu comme l’ensemble de leurs caractéristiques matérielles et juridiques. Cela implique d’examiner des éléments tels que leur consistance, leur localisation, leur état de conservation, ainsi que les droits réels ou les charges qui les affectent. Ces aspects, qui influencent directement la valeur vénale, doivent être scrupuleusement pris en compte.

Ainsi, un bien immobilier situé dans une zone urbaine recherchée ou bénéficiant d’une desserte optimale verra sa valeur significativement accrue. En revanche, un bien grevé d’un bail commercial ou frappé d’une hypothèque sera nécessairement déprécié. Par exemple, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 17 mars 1987 qu’un immeuble loué devait être évalué en tenant compte de la dépréciation résultant du bail en cours, sauf si l’attributaire du bien est également le locataire, auquel cas l’évaluation se fait comme si le bien était libre (Cass. 1ère civ. 1re, 17 mars 1987, n°85-15.700).

Dans cette affaire, un domaine agricole grevé d’un bail à ferme avait été attribué à titre préférentiel au preneur, en l’occurrence l’un des héritiers. La Cour d’appel avait initialement suivi l’expertise, qui proposait une réduction de 20 % de la valeur du bien pour tenir compte du bail. Toutefois, elle avait ensuite estimé, à juste titre selon la Cour de cassation, que ce bail devait être considéré comme éteint du fait de la réunion sur la tête de l’attributaire des qualités de propriétaire et de fermier. Cette confusion des qualités, engendrée par l’attribution préférentielle, rendait donc l’abattement inopérant.

La Cour de cassation a ainsi confirmé que l’évaluation d’un bien grevé d’un bail devait, en cas d’attribution au locataire, être réalisée comme si le bien était libre, car l’attributaire recueillait en réalité une pleine propriété, dénuée de toute occupation locative.

En matière immobilière, les critères d’estimation incluent non seulement les caractéristiques intrinsèques du bien, mais également son potentiel futur. La consistance du bien, sa situation géographique, sa constructibilité, ainsi que les perspectives offertes par son classement en zone constructible ou urbanisable sont autant de facteurs à considérer. Les juges, lorsqu’ils évaluent une parcelle de terrain, peuvent tenir compte de la valeur qu’elle prendrait en raison de sa qualité de terrain à bâtir, y compris lorsque cette qualité repose sur des perspectives d’urbanisation futures. Dans un arrêt du 9 juillet 1985, la Cour de cassation a jugé en ce sens que la valeur actuelle d’un bien peut être appréciée en fonction d’un élément futur, dès lors que cet élément est pertinent pour déterminer les intérêts en présence.

En l’espèce, une parcelle cadastrée a été évaluée en tenant compte de l’éventuelle valeur qu’elle prendrait si elle obtenait la qualité de terrain constructible, perspective jugée suffisamment tangible pour justifier cette prise en considération. La Haute juridiction a confirmé que cette méthode, fondée sur une appréciation souveraine des juges du fond, ne violait pas la loi et pouvait être retenue pour refléter la réalité économique au jour du partage (Cass. 1ère civ., 9 juillet 1985, n°84-12.478).

En outre, l’existence d’un bail ou d’une autre forme d’occupation impacte nécessairement la valeur d’un bien lors de son évaluation dans le cadre d’un partage. Lorsqu’un domaine agricole grevé d’un bail rural est attribué à titre préférentiel, la Cour de cassation a jugé que la valeur du bien devait intégrer la dépréciation induite par ce bail, car celui-ci, strictement personnel au preneur, ne s’éteint pas du fait du partage (Cass. 1ère civ., 21 novembre 1995, n°93-17.719).

Dans cette affaire, un domaine agricole avait été attribué à titre préférentiel à une héritière, dont le mari était titulaire d’un bail rural sur cette exploitation. Un abattement de 30 % avait été proposé par l’expert en raison de l’existence de ce bail. La sœur de l’attributaire contestait cette évaluation, soutenant que le bien devait être estimé comme s’il était libre, au motif que la condition de participation à la mise en valeur de l’exploitation, exigée pour l’attribution préférentielle, avait été remplie par le mari preneur.

La Cour de cassation, confirmant la décision de la cour d’appel, a rejeté cet argument en précisant que le bail rural, étant un droit strictement personnel au preneur, ne tombait pas en communauté et continuait donc de grever le bien attribué. Elle a souligné que la règle de l’égalité du partage imposait que le bien soit évalué en tenant compte de cette charge, malgré l’attribution préférentielle. La condition de participation à la mise en valeur de l’exploitation, bien que remplie par le conjoint preneur, n’avait pas pour effet de rendre le bien libre de toute occupation.

S’agissant des biens meubles, bien que répondant aux mêmes principes, ils requièrent l’utilisation d’une méthode d’évaluation adaptée à leur nature. Pour les meubles courants, l’évaluation repose généralement sur leur valeur marchande, déterminée par comparaison avec des biens similaires. Pour les biens spécifiques, tels que des œuvres d’art ou des valeurs mobilières non cotées, il peut être nécessaire de recourir à une expertise spécialisée. Ainsi, une collection d’art devra être évaluée en tenant compte de la cote des artistes et des tendances du marché, une tâche exigeant une compétence technique particulière.

L’évaluation des biens, qu’ils soient immobiliers ou meubles, s’appuie souvent sur la méthode comparative, qui consiste à confronter le bien à des références similaires sur le marché. Cette approche, utilisée notamment pour les terrains ou les exploitations agricoles, permet de garantir une estimation précise et objective. Les notaires ou experts peuvent s’appuyer sur les données fournies par des organismes spécialisés tels que les chambres notariales ou la SAFER, qui offrent des points de référence fiables.

En cas de litige sur la valeur d’un bien, les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain pour déterminer les bases de l’évaluation. Ils peuvent fonder leur estimation sur des critères économiques ou patrimoniaux propres au bien en cause, en s’appuyant sur les usages du secteur concerné. Par exemple, dans un arrêt rendu le 24 novembre 1969, la Cour de cassation a confirmé qu’un fonds de commerce devait être évalué selon les bénéfices réalisés lors des deux dernières années, conformément aux pratiques du commerce concerné (Cass. 1ère civ., 24 nov. 1969).

Dans cette affaire, un fonds de commerce d’imprimerie, légué par testament, faisait l’objet de contestations quant à son évaluation dans le cadre de la liquidation successorale. La Cour d’appel avait estimé la valeur des éléments incorporels du fonds en retenant les bénéfices des deux dernières années, après avoir pris en considération la situation des locaux où l’imprimerie était exploitée. La Cour de cassation a validé cette approche, rappelant que les juges du fond, après avoir exposé leurs motifs, exercent une appréciation souveraine sur la méthode d’évaluation, pourvu qu’elle repose sur des éléments rationnels et cohérents avec les usages du commerce.

Cette solution illustre la marge de manœuvre accordée au juge pour établir une évaluation réaliste et équitable des biens en litige, tout en respectant les spécificités économiques du bien évalué. Elle met en lumière l’importance des données sectorielles et des pratiques professionnelles pour déterminer la juste valeur d’un fonds de commerce ou d’autres actifs comparables.

3. Moment de l’estimation

L’établissement de la masse partageable, dans le cadre d’une succession ou d’une indivision, repose sur une évaluation précise et équitable des biens. L’article 829 du Code civil consacre la règle selon laquelle ces biens doivent être estimés à leur valeur à la date dite de la jouissance divise, laquelle correspond à un moment proche de la réalisation du partage.

Si ce principe semble limpide, son application exige parfois des aménagements pour répondre à des situations particulières ou pour préserver l’équilibre entre les copartageants.

i. Principe

==>Evolution jurisprudentielle

Longtemps, la détermination de la date d’évaluation des biens composant la masse partageable a suscité d’intenses débats doctrinaux et jurisprudentiels, oscillant entre tradition formaliste et pragmatisme économique.

Dans les premiers temps, la jurisprudence semblait privilégier une approche fondée sur l’effet déclaratif du partage, selon laquelle les héritiers sont réputés propriétaires des biens qui leur sont attribués dès l’ouverture de la succession. Cette orientation conduisait naturellement à retenir, comme référence pour l’évaluation des biens, la date du décès du de cujus.

Ainsi, plusieurs arrêts de la Cour de cassation, rendus au cours du XIXe siècle, avaient consacré cette solution, notamment en matière successorale (Cass. req. 23 juin 1873, DP 1874.1.173) ainsi qu’en matière de communauté conjugale, où la dissolution du régime matrimonial marquait le point de départ de l’évaluation (Cass. req. 8 juin 1868, DP 1871.1.224).

Cette approche trouvait un certain écho dans la doctrine classique, attachée au respect de l’effet rétroactif du partage et à la logique patrimoniale de continuité des droits. Comme le notait déjà Gabriel Baudry-Lacantinerie, « l’évaluation à la date du décès se justifie par la continuité des droits successoraux, l’héritier étant censé propriétaire des biens dès cette date »[1].

Cependant, cette solution ne tarda pas à être remise en question par la pratique notariale, plus soucieuse de refléter la réalité économique des biens au moment où ils sont effectivement attribués aux copartageants. Il devenait en effet manifeste que, dans nombre d’hypothèses, un intervalle significatif s’écoulait entre la naissance de l’indivision et sa liquidation, exposant ainsi les biens à d’importantes variations de valeur. Or, une évaluation figée à la date de l’ouverture de la succession, sans tenir compte de ces fluctuations, risquait de fausser gravement l’équilibre entre les copartageants.

Ce constat, déjà perceptible dans la pratique des professionnels du droit, prit une dimension majeure dans le contexte de la dépréciation monétaire consécutive à la Première Guerre mondiale. À cet égard, le professeur Ripert relevait avec lucidité que « l’instabilité monétaire a bouleversé les règles applicables au partage des successions, rendant inacceptable toute évaluation des biens antérieure à leur répartition effective »[2]. Les biens immobiliers, les valeurs mobilières et les créances, soumis aux aléas économiques, pouvaient connaître des plus-values ou des moins-values substantielles, remettant en cause l’égalité des lots et, par conséquent, la justice même du partage.

Face à cette réalité économique, la pratique notariale s’est donc orientée vers une estimation au jour du partage, seule à même d’assurer une répartition équitable des biens, quelles que soient les évolutions intervenues pendant la durée de l’indivision.

La doctrine a rapidement pris acte de cette pratique professionnelle commandée par le pragmatisme. Pierre Hébraud notait ainsi que « la fixation de la date d’évaluation des biens au jour du partage est un impératif économique et social, car elle seule permet d’assurer une stricte égalité entre les copartageants »[3]. De manière similaire, Jacques Flour relevait que « toute évaluation des biens à une date antérieure à celle du partage aboutirait à des inégalités criantes, favorisant ou pénalisant certains héritiers de manière arbitraire, en fonction de l’évolution des marchés »[4].

La jurisprudence, initialement réticente à cette approche pragmatique, évolua progressivement sous l’influence de la doctrine et des besoins pratiques. C’est ainsi que, dès l’entre-deux-guerres, la Cour de cassation, consciente des enjeux posés par les fluctuations monétaires, se rallia au principe de l’évaluation des biens à la date la plus proche possible de la répartition effective.

Un arrêt rendu le 20 avril 1928 par la Cour de cassation constitue un jalon important dans cette évolution jurisprudentielle (Cass. civ. 20 avr. 1928). La Haute juridiction y reconnaît que, pour garantir l’égalité entre les copartageants, il est nécessaire de procéder à l’estimation des biens à une date reflétant leur valeur réelle au moment où ils sont attribués, afin de répartir équitablement les plus-values ou les moins-values intervenues durant la période d’indivision.

Cette orientation sera confirmée par un arrêt de principe rendu le 11 janvier 1937 aux termes duquel la Cour de cassation affirme très clairement que les biens doivent être évalués au jour du partage et non à celui du décès (Cass. civ. 11 janv. 1937). Comme a pu le souligner à ce sujet Gérard Champenois, « l’arrêt de 1937 marque une véritable rupture dans la jurisprudence française, en ce qu’il consacre la primauté de l’évaluation au jour du partage, mettant fin aux incertitudes antérieures sur la date de référence »[5].

La motivation sous-jacente à cette solution réside dans l’idée que, tant que le partage n’a pas été effectué, les biens demeurent indivis et chaque indivisaire doit, en toute logique, profiter des plus-values ou supporter les moins-values liées à leur évolution. Ainsi, Jean Patarin observe avec justesse que « le maintien de l’évaluation à la date du décès reviendrait à ignorer la réalité économique, en figeant des valeurs qui ne correspondent plus aux circonstances réelles du partage »[6]. Cette jurisprudence, qui consacre définitivement le principe de l’évaluation au jour du partage, fut rapidement accueillie favorablement par la doctrine, au point de devenir une référence incontournable dans les règlements successoraux.

En somme, avant même d’être consacrée par la loi, la solution de l’évaluation au jour du partage s’était imposée dans la pratique et la jurisprudence comme une nécessité économique et juridique, permettant de garantir une répartition équitable des biens entre les copartageants. A cet égard, comme l’a justement écrit Pierre Catala, « le choix de la date d’évaluation n’est pas un simple détail technique : il touche au cœur même de l’équité successorale, en déterminant si le partage sera juste ou inique »[7].

==>Le choix de l’estimation au jour du partage

À l’origine, le Code civil de 1804 était silencieux sur la date d’estimation des biens à partager. Le seul article faisant référence à cette question était l’article 890, lequel se limitait à poser une règle spécifique se rapportant à la lésion. Ce texte, dans sa version initiale, disposait que « pour juger s’il y a eu lésion, on estime les objets suivant leur valeur à l’époque du partage ». Cette disposition traduisait une volonté de garantir que les lots constitués lors du partage reflètent les valeurs réelles des biens au moment de leur répartition, afin d’éviter qu’un copartageant, lésé par des fluctuations de valeur, ne soit désavantagé. Toutefois, cet article ne concernait que l’hypothèse particulière de la lésion, sans offrir de cadre général pour l’estimation des biens dans toutes les opérations de partage.

La première étape vers une généralisation de ce principe fut franchie avec la loi n°61-1378 du 19 décembre 1961, qui a modifié l’ancien article 832 du Code civil. Ce texte a introduit l’exigence selon laquelle les biens faisant l’objet d’une attribution préférentielle, tels que les immeubles ou les fonds de commerce, devaient être estimés à leur valeur au jour du partage. Cette réforme visait à prévenir les déséquilibres pouvant naître d’une évaluation figée à une date antérieure, notamment à la dissolution de la communauté matrimoniale ou à l’ouverture de la succession. En effet, des biens attribués à un copartageant sur la base d’une valeur obsolète auraient pu entraîner des distorsions importantes entre les lots, compte tenu des fluctuations de marché. La réforme de 1961 marquait ainsi une prise de conscience du législateur de la nécessité d’actualiser les estimations des biens pour préserver l’équité entre copartageants.

Cette orientation a été confirmée et élargie par la loi n° 71-523 du 3 juillet 1971, qui a introduit des dispositions relatives au calcul des rapports et des réductions en valeur. Les articles 860 et 868 du Code civil, dans leur rédaction issue de cette réforme, prévoyaient que les opérations de rapport et de réduction devaient être réalisées sur la base des valeurs actualisées au jour du partage. Ce choix législatif traduisait une volonté claire de ne pas figer les valeurs des biens à des dates antérieures, mais de tenir compte des évolutions économiques survenues pendant la période d’indivision. À cet égard, Jacques Flour soulignait que « toute évaluation des biens à une date antérieure à celle du partage risquerait de créer des déséquilibres flagrants, en fonction des fluctuations de valeur intervenues entre la dissolution de l’indivision et sa liquidation ».

La consécration du principe d’estimation des biens à partager à la date du partage, qui avait été posé par la jurisprudence dès 1937, est intervenue avec la loi du 23 juin 2006, laquelle a introduit dans le Code civil l’actuel article 829. Cet article dispose en ce sens que « les biens sont estimés à leur valeur à la date de la jouissance divise telle qu’elle est fixée par l’acte de partage, en tenant compte, s’il y a lieu, des charges les grevant ». Cette date doit être « la plus proche possible du partage » afin de refléter fidèlement la réalité économique des biens au moment de leur répartition. L’article prévoit également, à son alinéa 3, la possibilité d’une modulation de la date d’estimation, en permettant au juge de fixer une date d’évaluation antérieure lorsque cela apparaît nécessaire pour rétablir l’égalité entre les copartageants. Ce mécanisme permet notamment de prévenir les inégalités susceptibles de naître d’un retard prolongé dans les opérations de partage, ou lorsque les biens indivis ont subi des variations de valeur significatives pendant la période d’indivision.

==>Principe de l’unicité de la date d’estimation

Outre l’exigence de fixer l’estimation des biens à partager à la date la plus proche possible du partage effectif, l’évaluation des actifs composant la masse partageable répond à un autre impératif fondamental : celui de l’unicité de la date d’estimation. Ce principe, qui découle directement de l’objectif d’égalité entre copartageants, impose que tous les biens soient évalués simultanément, à une même date, afin de garantir une répartition équilibrée des lots. Il ne saurait être question de privilégier l’un des copartageants en tenant compte de fluctuations de valeur intervenues postérieurement à une première évaluation partielle, au risque de compromettre l’équité des opérations de partage.

Cette exigence d’unité s’explique par la nature même des biens indivis. Chaque bien, qu’il s’agisse d’un immeuble, de valeurs mobilières ou d’une créance, est susceptible de connaître une évolution distincte de sa valeur au fil du temps. Une estimation à des dates différentes pourrait dès lors entraîner des distorsions considérables dans la répartition des lots. Comme le relevait déjà la doctrine classique, « il importe que les biens soient estimés dans un cadre temporel identique, de manière à éviter que les variations de leur valeur ne viennent fausser l’équilibre recherché lors du partage »[8]. La Cour de cassation a, par une jurisprudence constante, rappelé que l’unicité de la date d’estimation constitue une exigence essentielle à la réalisation d’un partage juste et équilibré (Cass. 1re civ., 1er déc. 1965).

L’unité de la date d’évaluation permet également d’éviter les débats interminables quant à l’évolution des biens entre deux dates successives. Si chaque bien devait être évalué à un moment distinct, les contestations risqueraient d’être nombreuses, les copartageants pouvant chacun faire valoir que certaines évolutions leur sont préjudiciables ou, au contraire, profitables. La règle de l’unicité écarte ces difficultés en fixant un cadre temporel unique pour l’ensemble des estimations, ce qui permet de clore les débats sur la valeur des biens au jour du partage. À cet égard, Jacques Flour rappelait que « la simultanéité des évaluations est la clé de voûte des opérations de partage : elle neutralise les aléas des marchés et replace les copartageants dans une situation d’égalité parfaite ».

Enfin, il convient de noter que l’unicité de la date d’évaluation ne se limite pas à une simple exigence technique. Elle traduit une véritable exigence de justice successorale. En fixant un moment unique pour apprécier la valeur des biens, le partage reflète une photographie économique figée, garantissant que chaque copartageant reçoit un lot correspondant à une valeur réelle et non à une valeur affectée par des variations postérieures. Comme le souligne Gérard Champenois, « l’unicité de la date d’estimation est le prolongement naturel du principe d’égalité qui gouverne les opérations de partage. Elle permet d’assurer une stricte équité en neutralisant les effets des évolutions économiques imprévisibles »[9].

ii. Mise en œuvre

==>La fixation de la date de la date de la jouissance divise

La détermination de la date de jouissance divise constitue une étape essentielle dans les opérations de liquidation et de partage. Elle marque le moment à partir duquel chaque copartageant devient propriétaire des biens qui lui sont attribués, y compris des fruits et revenus produits par ces derniers. Cette date, retenue par l’article 829 du Code civil, est fixée par l’acte de partage ou arrêtée par le juge en cas de partage judiciaire. Sa détermination joue un rôle central dans l’évaluation des biens indivis et garantit une répartition équitable des droits entre les copartageants.

Dans le cadre de partages amiables, le notaire chargé de conduire les opérations de la liquidation insère habituellement une clause de jouissance divise dans l’acte de partage. Cette clause fixe la date à laquelle les estimations des biens doivent être réalisées, en veillant à ce que cette date soit « la plus proche possible du partage », conformément à l’exigence posée par l’article 829, alinéa 2. Ce choix vise à tenir compte des fluctuations économiques susceptibles d’affecter la valeur des biens durant la période d’indivision, afin que chaque copartageant reçoive une part équitable en fonction de la valeur réelle des biens au moment de leur attribution.

Lorsque le partage prend une tournure judiciaire, la fixation de la date de la jouissance divise relève du pouvoir souverain des juges du fond. Ces derniers doivent apprécier la date la plus proche possible du partage, en tenant compte des circonstances particulières de l’affaire et de la nécessité de préserver l’égalité entre les copartageants (Cass. 1ère civ., 3 oct. 2019, n°18-20.827). À défaut d’une date explicitement fixée, la décision judiciaire pourrait être dépourvue de toute autorité de la chose jugée quant à la valeur des biens évalués. La Cour de cassation a ainsi jugé qu’une décision qui statue sur la valeur d’un bien sans préciser la date de jouissance divise n’a pas l’autorité de la chose jugée quant à cette évaluation (Cass. 1ère civ., 8 avr. 2009, n°07-21.561). Cependant, il est admis que cette date puisse être déduite implicitement des termes du jugement, pourvu que les énonciations permettent de l’identifier sans ambiguïté. Dans un arrêt du 4 janvier 1980, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que, lorsque le dispositif d’un jugement n’aurait aucun sens sans référence à une date d’évaluation précise, celle-ci peut être déduite des motifs, dès lors qu’ils rappellent expressément la règle applicable (Cass. 1ère civ., 4 janv. 1980, n°78-13.596).

L’affaire concernait la liquidation des successions d’un couple décédé respectivement en 1945 et 1964, laissant pour héritiers leurs trois enfants. À la demande de deux indivisaires, le tribunal avait ordonné le partage judiciaire de la communauté réduite aux acquêts ayant existé entre les époux et de leurs successions, désignant un indivisaire comme bénéficiaire d’une attribution préférentielle de biens ruraux. Par un jugement rendu en 1975, le tribunal avait fixé la valeur des biens ainsi que les soultes dues aux autres indivisaires, en précisant que l’évaluation devait être effectuée « au jour le plus proche possible du partage ». Cependant, aucune date de jouissance divise n’avait été expressément arrêtée dans le dispositif.

L’un des indivisaires contesta par la suite le projet d’état liquidatif, estimant nécessaire de réactualiser la valeur des biens. Ce dernier soutenait que le jugement de 1975 n’avait pas fixé la date de la jouissance divise, et qu’en l’absence d’une telle précision, les biens devaient être réévalués au jour du partage effectif. La Cour d’appel, saisie de cette difficulté, rejeta cette demande en considérant que le jugement initial avait implicitement fixé la date d’évaluation des biens à la date de son prononcé. La cour releva que les motifs rappelaient clairement la règle selon laquelle l’évaluation devait se faire au jour le plus proche du partage et que, dès lors, la référence temporelle retenue devait être celle du jugement lui-même.

Le pourvoi formé contre cet arrêt critiquait cette interprétation, affirmant que l’autorité de la chose jugée ne pouvait s’attacher qu’aux dispositions expressément énoncées dans le dispositif d’une décision, et non aux motifs. Cependant, la Cour de cassation rejeta ce moyen. Elle jugea que le dispositif d’un jugement « n’aurait pas de sens s’il ne se référait pas à une date d’évaluation des biens », ajoutant que le dispositif pouvait être éclairé par les motifs dès lors que ceux-ci établissaient sans ambiguïté la date retenue. La Haute juridiction conclut que le jugement rendu par les premiers juges avait, en se référant à la règle d’évaluation au jour du partage, « évalué à sa date les biens attribués par préférence ainsi que les soultes », conférant ainsi à cette décision une autorité de chose jugée sur ce point.

Cette décision, saluée par la doctrine, témoigne d’un pragmatisme juridique nécessaire pour sécuriser les opérations de partage. En effet, comme l’observe Gérard Champenois, « admettre que la date de jouissance divise puisse être déduite implicitement des motifs d’un jugement évite que les opérations de liquidation soient continuellement remises en cause, tout en garantissant une répartition équitable des biens ». La solution adoptée par la Cour de cassation permet ainsi de préserver l’équilibre entre les impératifs d’équité entre les indivisaires et la sécurité juridique des partages judiciaires.

La fixation de la date de jouissance divise revêt une importance particulière dans le cadre d’un partage partiel, où certains biens indivis sont détachés de la masse avant le partage global. Dans ces hypothèses, la règle veut que les biens soient évalués à la date de leur attribution et non lors du partage final. Cette approche se justifie par la nécessité de refléter la valeur réelle des biens au moment où ils sortent de l’indivision, évitant ainsi que les copartageants ne soient affectés par des fluctuations économiques ultérieures.

Toutefois, pour que cette règle trouve à s’appliquer, il est impératif que le partage partiel soit véritable et effectif. La jurisprudence a précisé que l’attribution d’un bien à titre préférentiel par le juge, sans fixation explicite de la date de jouissance divise, ne constitue pas un partage définitif. Dans une telle situation, le bien en question doit être évalué à la date du partage global, car il demeure juridiquement indivis jusqu’à la réalisation complète des opérations de partage (Cass. 1ère civ., 20 nov. 1990).

Ainsi, un jugement faisant droit à une demande d’attribution préférentielle ne suffit pas, à lui seul, à opérer le détachement définitif du bien concerné de la masse indivise. Dans le cadre d’une demande d’attribution préférentielle, le juge ne procède pas à l’attribution définitive du bien. Il se borne à en ordonner l’attribution dans le partage à intervenir, de sorte que l’évaluation du bien devra nécessairement se faire au moment où le partage global sera réalisé. Comme l’a précisé la Cour de cassation dans un arrêt du 30 juin 1993, tant que la date de jouissance divise n’a pas été fixée et que les droits des indivisaires n’ont pas été déterminés de manière définitive, le bien demeure dans la masse indivise et doit être évalué à l’époque du partage effectif (Cass. 1ère civ., 30 juin 1993, n°91-17.804).

==>Les modulations permises

Le principe de l’évaluation des biens au jour du partage, bien que général, n’est pas rigide.

En premier lieu, l’article 829 du Code civil autorise des ajustements puisqu’il est admis que le juge puisse retenir une date antérieure à l’achèvement du partage, dès lors que cela apparaît nécessaire pour préserver l’égalité entre les copartageants (al. 3). Cette faculté de modulation répond à une exigence pratique : elle permet d’éviter que des retards prolongés dans les opérations de partage n’entraînent des déséquilibres significatifs, en particulier lorsque certains biens indivis subissent des dépréciations importantes ou, au contraire, connaissent des plus-values latentes.

La jurisprudence admet ainsi que le juge puisse fixer une date antérieure lorsque les circonstances le justifient. Par exemple, si le partage s’étend sur plusieurs années en raison de litiges ou de recours successifs, une évaluation à une date plus ancienne permet d’éviter qu’un copartageant ne profite indûment des retards pour bénéficier seul d’une plus-value intervenant après la dissolution de l’indivision (Cass. 1ère civ. 1re, 16 mars 1982, n°80-17.244). Gérard Champenois souligne à cet égard que « la faculté laissée au juge de moduler la date d’évaluation constitue une garantie précieuse d’équité, permettant de s’adapter aux réalités économiques tout en préservant les droits des copartageants ».

En deuxième lieu, la jurisprudence admet que l’évaluation des biens à partager puisse être actualisée par le recours à des indices économiques, à condition que ces derniers reflètent fidèlement l’évolution du marché et soient adaptés aux biens concernés. La Cour de cassation s’est prononcée en ce sens dans un arrêt du 25 juin 2008, validant l’utilisation de l’indice trimestriel du coût de la construction pour ajuster la valeur des immeubles composant la masse à partager, lorsque la date de l’expertise initiale est éloignée de celle du partage effectif (Cass. 1ère civ., 25 juin 2008, n°07-17.766).

Dans cette affaire, un indivisaire contestait la réactualisation des évaluations réalisées quatre ans auparavant, estimant que l’application d’un indice générique ne permettait pas de respecter le principe d’évaluation à la date la plus proche du partage. La cour d’appel avait pourtant homologué le rapport d’expertise initial, en précisant que les valeurs estimées seraient majorées en fonction de la variation de l’indice du coût de la construction jusqu’à la date du procès-verbal de liquidation de la succession.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cette décision, considérant que la cour d’appel avait souverainement apprécié que les attestations produites ne démontraient pas une sous-évaluation des biens par l’expert. Elle a relevé que la croissance du marché immobilier était de nature à affecter les estimations, justifiant ainsi l’ajustement opéré. En outre, il n’était pas soutenu que les caractéristiques spécifiques des biens s’étaient modifiées depuis l’expertise initiale. La Haute juridiction en a déduit que l’actualisation des évaluations par le biais de l’indice retenu pouvait être admise, à condition qu’elle repose sur une constatation précise de l’évolution du marché et que l’indice soit pertinent par rapport aux biens concernés.

Cette solution s’inscrit dans une démarche pragmatique visant à éviter le recours à des expertises successives lorsque le partage s’étend sur une période prolongée. Toutefois, comme le souligne Jacques Flour, « le recours à l’indexation n’est envisageable que dans la mesure où il permet d’éviter une distorsion entre la valeur théorique et la réalité économique des biens à partager ». L’utilisation d’un indice doit donc être justifiée par des éléments concrets démontrant un lien direct entre l’évolution de cet indice et celle de la valeur réelle du bien concerné. À défaut, la décision pourrait être jugée dépourvue de base légale.

En définitive, si la jurisprudence admet le recours à une réévaluation indiciaire, elle en encadre strictement les conditions. L’indexation ne doit pas être utilisée de manière systématique ou abstraite, mais doit refléter les fluctuations réelles du marché, afin de garantir une répartition juste et équilibrée des biens entre les copartageants.

En dernier lieu, il convient de souligner que la règle de l’unicité de la date d’évaluation des biens, bien qu’elle soit un corollaire naturel du principe d’égalité entre copartageants, ne revêt pas un caractère absolu. Il est admis que les copartageants puissent convenir de fixer des dates distinctes d’évaluation pour certains biens, à condition que l’équilibre des lots soit préservé et que l’objectif d’une répartition équitable ne soit pas compromis. Cette tolérance trouve son fondement dans une jurisprudence constante, qui a progressivement ouvert la voie à des aménagements pragmatiques, adaptés aux réalités de chaque situation successorale.

L’arrêt rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 22 avril 2005 illustre parfaitement cette approche. En l’espèce, à la suite du divorce de deux époux soumis au régime de la communauté, le juge chargé de la surveillance du partage avait constaté leur accord pour attribuer à l’épouse un bien immobilier évalué à 500 000 francs, tandis qu’un autre bien revenait à l’ex-époux. Toutefois, avant que cet accord ne soit homologué, l’immeuble attribué à l’épouse fut vendu pour un montant de 650 000 francs. Le copartageant demanda alors que cette nouvelle valeur soit prise en compte dans les opérations de liquidation-partage, invoquant le principe selon lequel les biens doivent être évalués à la date la plus proche du partage effectif.

La Cour de cassation rejeta cette demande en affirmant que les copartageants avaient librement convenu d’une évaluation différente, laquelle avait été entérinée par une décision judiciaire devenue définitive. La Haute juridiction précisa qu’« il appartient aux copartageants de convenir d’en évaluer certains biens à une date distincte », dès lors que cette dérogation garantit un partage équilibré (Cass., ass. plén., 22 avr. 2005, n°02-15.180). En l’occurrence, la cour d’appel avait relevé que l’accord conclu entre les parties assurait une stricte égalité des lots et que la vente ultérieure du bien à un prix supérieur n’avait pas modifié les attributions initiales ni les intentions des parties.

Cette solution, saluée par la doctrine, traduit une volonté de préserver la sécurité juridique des opérations de partage, tout en introduisant une flexibilité nécessaire pour éviter des contentieux interminables sur la valeur des biens. Comme l’a justement observé Philippe Simler, « la possibilité laissée aux copartageants de fixer des dates d’évaluation distinctes permet d’adapter le partage aux spécificités de certains biens, tout en respectant le principe fondamental d’égalité ». Cette souplesse est particulièrement utile dans les situations où la jouissance privative d’un bien par l’un des indivisaires vient compenser un écart de valeur entre les lots. Par exemple, un immeuble occupé par un copartageant pendant l’indivision peut être évalué à une date antérieure afin de tenir compte de l’avantage tiré de cette jouissance.

Toutefois, cette faculté de modulation demeure encadrée. La Cour de cassation a rappelé que la fixation de dates d’évaluation distinctes doit avoir pour finalité de préserver l’équilibre global du partage et ne saurait aboutir à rompre l’égalité entre les copartageants. Ainsi, dans une affaire ultérieure, la première chambre civile a censuré une cour d’appel qui avait fixé des dates différentes sans démontrer que cette différenciation garantissait l’équilibre des lots (Cass. 1ère civ., 30 oct. 2006, n°04-19.356).

==>Les modulations interdites

Tout d’abord, bien que la jurisprudence admette certaines modulations dans le choix de la date d’évaluation, elle impose également des limites strictes. En particulier, la Cour de cassation exclut toute réévaluation automatique des biens par voie d’indexation abstraite. Cette interdiction vise à prévenir les risques d’erreur ou d’arbitraire, liés à une actualisation purement mécanique des valeurs, qui ne tiendrait pas compte des caractéristiques propres des biens concernés.

Ainsi, dans un arrêt du 14 novembre 2006, la Cour de cassation a fermement rappelé que toute réévaluation fondée sur un indice économique doit être justifiée par des éléments précis établissant un lien direct entre l’évolution de cet indice et celle de la valeur réelle des biens indivis (Cass. 1re civ., 14 nov. 2006, n° 04-18.879). En l’espèce, la cour d’appel avait décidé de retenir les estimations d’un expert immobilier réalisées plusieurs années avant le partage, tout en les actualisant à l’aide de l’indice trimestriel du coût de la construction. Cette méthode visait à tenir compte de la forte croissance du marché immobilier constatée entre la date de l’expertise et celle du partage effectif.

Cependant, la Haute juridiction a censuré cette décision, au motif que la cour d’appel n’avait pas précisé en quoi l’évolution de l’indice retenu pouvait correspondre à celle des biens en question. La Cour de cassation a ainsi reproché aux juges du fond d’avoir adopté une réévaluation purement abstraite, déconnectée des caractéristiques concrètes des biens immobiliers concernés. Elle a souligné que l’indexation ne saurait être admise que si elle reflète fidèlement les variations réelles de valeur des biens objets du partage, et non une simple évolution générale du marché de la construction.

Cette décision illustre l’exigence d’une justification circonstanciée pour toute actualisation basée sur des indices économiques. Comme le relève la doctrine, une indexation systématique et aveugle serait contraire au principe d’équité qui doit présider aux opérations de partage. L’arrêt du 14 novembre 2006 s’inscrit ainsi dans une ligne jurisprudentielle constante, rappelant que le juge doit éviter toute approximation dans l’évaluation des biens, sous peine de priver sa décision de base légale.

Ensuite, il est interdit au juge de déléguer au notaire liquidateur le pouvoir de fixer la date d’évaluation des biens. Cette interdiction repose sur le principe selon lequel les décisions concernant la valeur des biens doivent relever exclusivement du pouvoir juridictionnel, afin de garantir l’autorité de la chose jugée. Dans un arrêt rendu le 8 décembre 1993, la Cour de cassation a fermement rappelé qu’il est interdit au juge de déléguer au notaire liquidateur le pouvoir de fixer la date d’évaluation des biens à partager (Cass. 1ère civ., 8 déc. 1993, n°91-19.846).

En l’espèce, à la suite d’un divorce, la cour d’appel avait attribué préférentiellement un immeuble commun à l’un des époux, en retenant la valeur estimée par un expert judiciaire. Toutefois, elle avait également décidé que l’actualisation de cette évaluation serait effectuée par le notaire chargé de la liquidation des comptes entre les parties. La Cour de cassation a censuré cette délégation au motif que le juge doit lui-même fixer la valeur des biens à la date du partage et ne peut confier cette tâche à un officier public, fût-il un notaire.

La Haute juridiction a ainsi souligné que la détermination de la date d’évaluation des biens constitue une prérogative relevant de l’office exclusif du juge. Ce pouvoir ne saurait être abandonné au notaire liquidateur, car une telle délégation priverait la décision judiciaire de son autorité et ferait peser un risque d’insécurité juridique sur les opérations de partage.

Cette décision illustre l’importance du rôle du juge dans les opérations de liquidation-partage. En fixant lui-même la valeur des biens au jour du partage, le juge s’assure que les droits des parties sont protégés et que les principes d’équité et d’impartialité sont respectés. Toute délégation à un tiers, même à un notaire, compromettrait cette exigence fondamentale et risquerait de créer des situations d’incertitude préjudiciables à la stabilité des relations patrimoniales.

Enfin, Outre l’exigence de fixer une date unique pour l’évaluation des biens à partager, le respect de la stabilité des opérations successorales implique que cette date, une fois arrêtée, bénéficie de l’autorité de la chose jugée. En effet, la fixation de la date de la jouissance divise constitue une étape décisive dans la liquidation de l’indivision, dès lors qu’elle détermine la valeur des biens indivis à prendre en compte dans le partage. Par conséquent, il est en principe exclu de revenir sur cette date une fois les opérations de partage devenues définitives.

Aussi, la Cour de cassation a réaffirmé à plusieurs reprises que l’autorité de la chose jugée interdit de demander une nouvelle évaluation des biens après l’homologation du partage, sous peine de compromettre la sécurité juridique des héritiers. Dans un arrêt du 24 octobre 1972, la Haute juridiction a censuré une demande tendant à modifier la date de la jouissance divise au motif que cette date avait déjà été fixée dans une décision irrévocable, précisant que la stabilité des opérations de partage exige que les valeurs arrêtées ne soient pas remises en cause, sauf à fragiliser l’ensemble des droits des copartageants (Cass. 1ère civ., 24 oct. 1972, n°71-11.883).

En l’espèce, le partage d’une communauté post-divorce avait donné lieu à l’établissement d’un état liquidatif par un notaire, lequel avait fixé la date de la jouissance divise au 1er septembre 1948. Ce partage avait été entériné par un jugement du 2 novembre 1950, confirmé par un arrêt rendu le 6 mai 1952, devenu irrévocable. Toutefois, plusieurs années plus tard, l’un des copartageants a sollicité une nouvelle évaluation des biens sur la base d’une jouissance divise à fixer à une date plus récente, invoquant les dispositions issues de la loi du 13 juillet 1965, notamment l’article 1469 du Code civil relatif au calcul des récompenses.

La Cour de cassation a fermement rejeté cette demande, rappelant que la fixation de la date de la jouissance divise par une décision définitive interdit toute réévaluation ultérieure, sauf circonstances exceptionnelles. La Haute juridiction a insisté sur le fait que les décisions judiciaires fixant la date de la jouissance divise bénéficient de l’autorité de la chose jugée, laquelle s’étend non seulement à la valeur des biens, mais aussi à la date à laquelle ces valeurs doivent être appréciées. En modifiant cette date, les juges d’appel auraient violé ce principe fondamental, portant ainsi atteinte à la sécurité juridique des opérations de partage.

Cependant, la Cour de cassation a précisé que l’autorité de la chose jugée relative à la fixation de la jouissance divise est provisoire, et non absolue. Une révision de cette date peut être envisagée dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque des retards considérables dans les opérations de partage rendent la date initialement retenue inappropriée au regard de l’objectif d’égalité entre les copartageants.

Dans l’arrêt précité du 24 octobre 1972, la Haute juridiction a ainsi admis qu’un retard substantiel pouvait légitimer la fixation d’une nouvelle date de jouissance divise, dès lors que le maintien de la date initiale compromettrait l’équilibre des lots. Cette possibilité, toutefois strictement encadrée, ne peut être admise que si elle répond à une nécessité impérieuse dictée par les circonstances de la cause. Loin de constituer un ajustement opportuniste, elle vise à éviter que l’application rigide d’une date devenue obsolète n’entraîne des déséquilibres préjudiciables, tout en assurant la stabilité des opérations successorales.

Cette solution jurisprudentielle souligne l’importance de concilier sécurité juridique et équité entre copartageants. Si la fixation d’une date de jouissance divise ne saurait être modifiée sans justification sérieuse, il est également impératif que cette date reste pertinente par rapport à la réalité économique au moment du partage. En d’autres termes, l’autorité de la chose jugée ne doit pas se transformer en un obstacle rigide, empêchant les juges de s’adapter aux situations particulières lorsque l’intérêt des copartageants l’exige.

En revanche, la jurisprudence exclut toute révision de la date de la jouissance divise lorsque celle-ci a été expressément fixée par une décision irrévocable et que le partage a été définitivement homologué. Cette règle vise à éviter que les valeurs arrêtées lors du partage ne soient remises en cause de manière intempestive, ce qui risquerait de fragiliser les droits acquis par les copartageants et de générer des contentieux incessants. Comme l’a justement observé Pierre Catala, « l’autorité de la chose jugée en matière de partage est une garantie essentielle de stabilité et de sécurité juridique, qui interdit toute remise en cause des valeurs arrêtées, sauf circonstances exceptionnelles ».

Toutefois, pour que l’autorité de la chose jugée puisse pleinement s’appliquer, il est indispensable que la date de la jouissance divise ait été expressément fixée par le juge. À défaut, les évaluations des biens pourraient être contestées ultérieurement, créant une incertitude juridique préjudiciable aux indivisaires. La Cour de cassation a ainsi rappelé, dans un arrêt du 8 avril 2009, que la fixation implicite d’une date de jouissance divise ne suffit pas à garantir la stabilité des opérations de partage (Cass. 1ère civ., 8 avr. 2009, n°07-21.561).

Enfin, il convient de souligner que le tribunal peut choisir de maintenir une date d’évaluation fixée dans une décision antérieure, à condition que cette décision ne soit pas trop éloignée dans le temps et que ce maintien soit conforme à l’intérêt des copartageants. Cependant, cette stabilité doit nécessairement s’accompagner d’une précision absolue quant à la date retenue. Comme souligné par Gérard Champenois, « l’autorité de la chose jugée ne saurait être invoquée pour des décisions imprécises ou ambiguës quant à la date d’évaluation des biens, au risque de compromettre l’équité du partage ».

En définitive, le principe d’autorité de la chose jugée relatif à la fixation de la date de la jouissance divise repose sur un équilibre délicat entre stabilité et souplesse. Si la date fixée doit être considérée comme définitive pour garantir la sécurité des opérations de partage, des ajustements restent possibles dans des cas exceptionnels, lorsque le maintien de la date initiale s’avérerait manifestement inéquitable. La jurisprudence, en encadrant rigoureusement ces exceptions, s’attache à préserver tant la sécurité juridique des opérations de partage que l’équité entre les copartageants.

B) Estimation des créances

L’estimation des créances dans le cadre des opérations de partage successoral ou d’indivision obéit à des règles spécifiques, qui varient en fonction de la nature de la créance et de son mode de liquidation. Il convient de distinguer entre l’évaluation du capital de la créance et celle des intérêts qu’elle produit, en tenant compte des particularités attachées à certaines créances de valeur. Cette distinction est essentielle pour assurer une répartition équitable de l’actif successoral et garantir la stabilité des opérations de partage.

En effet, comme l’a souligné Gérard Champenois, « les créances, bien que par nature immatérielles, n’en demeurent pas moins des éléments d’actif susceptibles d’influer sur l’équilibre des lots. Leur évaluation requiert une attention particulière, car elle peut, en cas d’imprécision, engendrer des déséquilibres durables entre les copartageants ».

1. Estimation du capital

a. Principe du nominalisme monétaire

==>Problématique

Lorsque le débiteur d’une obligation de somme d’argent doit s’acquitter de sa dette, la question se pose de savoir s’il doit verser le montant nominal stipulé à l’origine ou un montant ajusté pour tenir compte des fluctuations monétaires survenues entre la naissance de la créance et son recouvrement. Cette interrogation, particulièrement pertinente dans le cadre des opérations de partage, prend tout son sens face au facteur temporel qui sépare le moment du fait générateur de la créance et celui de son exigibilité. Entre ces deux bornes, il peut s’écouler un laps de temps plus ou moins long, rendant d’autant plus incertain le maintien de la valeur réelle de la somme due.

C’est précisément lorsque cet intervalle temporel s’étire que la question de la fluctuation monétaire présente un enjeu crucial. La monnaie, en tant qu’unité de compte et instrument de paiement, ne conserve pas nécessairement une valeur constante dans le temps. L’inflation, la dépréciation monétaire ou les fluctuations des marchés financiers peuvent affecter le pouvoir d’achat de la somme inscrite dans le titre constitutif de la créance. Une somme d’argent stipulée à un moment donné peut ainsi ne plus représenter la même valeur économique au moment de son recouvrement, introduisant un risque de déséquilibre entre les parties.

Face à cette problématique, deux approches théoriques peuvent être envisagées. La première, le nominalisme monétaire, impose de figer la dette au montant nominal prévu lors de la naissance de l’obligation. Selon cette approche, le débiteur se libère de son obligation en versant le nombre d’unités monétaires stipulé dans le titre, indépendamment des fluctuations économiques. Autrement dit, une créance de 50 000 euros due au décès d’un indivisaire sera inscrite à ce montant exact dans la masse partageable, même si la valeur réelle de cette somme a diminué ou augmenté entre le décès et le partage.

Cette approche présente l’avantage majeur de garantir la prévisibilité des évaluations patrimoniales, tout en évitant des litiges interminables sur la valeur actualisée des créances. Comme le rappelle François Terré, « le nominalisme monétaire assure une sécurité indispensable dans les opérations patrimoniales, notamment en matière de partage, où la stabilité des évaluations constitue une garantie d’équilibre entre les héritiers ».

La seconde approche, celle du valorisme monétaire, consisterait à ajuster la dette en fonction des variations monétaires survenues entre la naissance de l’obligation et son exécution. Cette méthode, qui pourrait sembler plus équitable dans un contexte économique instable, présente néanmoins des risques importants d’insécurité juridique. Elle ouvrirait la porte à des contestations sur la méthode d’actualisation retenue, la période de référence ou les indices utilisés, complexifiant ainsi les opérations de partage et prolongeant indûment les indivisions.

Entre ces deux approches, le législateur français a fait un choix clair en faveur du nominalisme monétaire, considérant que la stabilité juridique devait primer sur les aléas économiques. Mais ce principe, loin d’être une innovation récente, puise ses racines dans une construction jurisprudentielle qui remonte à plus d’un siècle. Dès le XIXe siècle, le nominalisme monétaire a été consacré en droit français, à commencer par l’article 1895 du Code civil. Ce texte fondateur, bien que limité à l’origine au prêt de consommation, a progressivement acquis une portée générale à travers l’interprétation qu’en a donnée la jurisprudence. Pour comprendre les enjeux actuels de ce principe, il convient d’en retracer les origines et d’analyser les étapes majeures de son extension.

==>Origines du nominalisme monétaire

Le nominalisme monétaire trouve donc ses origines dans l’article 1895 du Code civil, qui dispose que « l’obligation qui résulte d’un prêt en argent n’est toujours que de la somme énoncée au contrat ». Cette disposition traduit l’idée que la monnaie, au-delà de sa simple fonction de paiement, constitue également une unité de mesure, destinée à apprécier la valeur des biens et des services. Contrairement aux unités de mesure utilisées dans les sciences, la monnaie présente cependant un caractère instable, car sa valeur dépend d’un cours susceptible de varier avec le temps. Ces variations, qu’elles soient liées à l’inflation ou à la dépréciation monétaire, peuvent perturber l’évaluation des créances sur une longue période.

L’article 1895 a été rédigé dans un contexte économique marqué par une certaine stabilité monétaire, notamment grâce à l’étalon-or, qui limitait les risques de dépréciation de la monnaie. Dans ce cadre, le nominalisme monétaire apparaissait comme une solution simple et efficace pour éviter les litiges liés à la valeur de la monnaie au moment de l’exécution des obligations. Comme le souligne Henri Capitant, « le nominalisme repose sur une exigence de sécurité juridique, en permettant au débiteur de connaître dès l’origine le montant exact de sa dette, indépendamment des aléas économiques ».

Cependant, cette règle, initialement cantonnée au prêt de consommation, a rapidement été étendue par la jurisprudence à l’ensemble des obligations de somme d’argent. Cette évolution jurisprudentielle a été amorcée dès la fin du XIXe siècle, notamment avec un arrêt de principe rendu par la Cour de cassation le 25 février 1929 (Cass. req., 25 févr. 1929). Dans cette décision, la Haute juridiction a affirmé que le nominalisme monétaire s’appliquait à toutes les obligations pécuniaires, qu’elles soient issues d’un contrat de prêt ou de toute autre source d’obligation.

L’arrêt de 1929 marque un tournant décisif en posant le nominalisme monétaire comme un principe général du droit des obligations. Selon la Cour de cassation, le montant nominal d’une dette d’argent doit être respecté, quelles que soient les variations de la valeur de la monnaie entre la naissance de l’obligation et son exécution. Cette solution visait à préserver la sécurité juridique des relations patrimoniales en assurant une prévisibilité quant au montant des créances inscrites à l’actif.

Selon René Savatier, « l’extension jurisprudentielle du nominalisme monétaire a permis d’unifier le régime des obligations de somme d’argent, en garantissant aux créanciers qu’ils seraient toujours remboursés pour le montant exact stipulé dans le contrat, sans tenir compte des fluctuations économiques ».

Cette orientation a été confirmée à plusieurs reprises. Dans un arrêt du 29 juin 1994, la Cour de cassation a rappelé que le nominalisme monétaire s’appliquait également lorsqu’une créance figurait à l’actif d’une masse partageable, qu’elle soit due par un tiers ou par l’un des copartageants (Cass. 1re civ., 29 juin 1994, n°92-15.253).

==>Consécration légale du nominalisme monétaire

Malgré sa consécration jurisprudentielle, le nominalisme monétaire n’était pas expressément prévu dans les textes avant la réforme du droit des obligations. Afin de lever toute ambiguïté et de garantir la sécurité juridique des créances de somme d’argent, le législateur a choisi de consacrer ce principe de manière explicite lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du régime général des obligations.

Aussi, l’article 1343 du Code civil, issu de cette réforme, dispose désormais que « le débiteur d’une obligation de somme d’argent se libère par le versement de son montant nominal ». Cette disposition met fin à tout débat sur la portée du nominalisme monétaire, en confirmant qu’il s’applique à l’ensemble des obligations pécuniaires, y compris celles inscrites à l’actif d’une masse successorale.

Selon Michel Grimaldi, « la consécration législative du nominalisme monétaire traduit une volonté de stabiliser les règles applicables aux obligations de somme d’argent, afin de garantir la sécurité des transactions patrimoniales, en particulier dans les opérations de partage successoral ».

L’application du principe du nominalisme monétaire aux créances inscrites à l’actif de la masse partageable offre aux copartageants une précieuse garantie de stabilité et de sécurité juridique. Dans le cadre des opérations de partage, il s’agit de figer la valeur des créances au montant stipulé dans le titre constitutif, sans que les variations monétaires intervenues entre la naissance de la créance et le partage n’en altèrent l’évaluation. Cette approche permet de neutraliser l’impact des aléas économiques sur la composition de la masse partageable, tout en assurant une prévisibilité indispensable à la répartition des biens entre les copartageants.

Par exemple, supposons qu’un héritier détienne une créance de 100 000 euros sur un tiers, contractée dix ans avant le décès du de cujus. Entre la naissance de cette créance et le moment du partage, une inflation importante a diminué le pouvoir d’achat de cette somme, de sorte que les 100 000 euros d’origine ne représentent plus la même valeur économique au jour du partage. Malgré cette dépréciation monétaire, la créance doit être inscrite à l’actif de la masse partageable pour son montant nominal de 100 000 euros, conformément au principe du nominalisme monétaire. Cette évaluation fixe empêche que des ajustements liés à l’inflation ou à d’autres indices économiques viennent perturber la stabilité des opérations de partage.

Ainsi, lorsqu’une créance de somme d’argent est due à l’indivision, elle doit être évaluée pour son montant nominal, qu’il s’agisse d’une créance contractée avant le décès ou d’une créance née pendant l’indivision. Cette règle est applicable que le débiteur soit un tiers ou l’un des copartageants eux-mêmes. La jurisprudence, constante sur ce point, a rappelé que les créances doivent être inscrites à leur valeur nominale, indépendamment des évolutions du pouvoir d’achat ou des fluctuations économiques susceptibles d’intervenir au fil du temps (Cass. 1re civ., 29 juin 1994, n°92-15.253).

Cette position s’explique par la volonté de préserver l’équilibre entre les copartageants et d’éviter les contestations qui pourraient découler de la réévaluation des créances en fonction d’indices monétaires. En effet, admettre une actualisation des créances inscrites à l’actif introduirait un facteur d’incertitude dans les opérations de partage, compromettant ainsi la stabilité des rapports entre copartageants. Comme le souligne Gérard Cornu, « le nominalisme monétaire est une réponse juridique aux fluctuations économiques, garantissant la sécurité des évaluations et préservant l’intégrité des opérations de partage ».

En outre, cette règle permet de prévenir les conflits potentiels entre les copartageants, qui pourraient être tentés de demander une révision des évaluations en fonction des évolutions économiques, prolongeant ainsi les opérations de partage. Par exemple, si un héritier réclamait une réévaluation d’une créance sur la base d’un indice d’inflation, d’autres indivisaires pourraient exiger des révisions similaires pour d’autres éléments de l’actif successoral, engendrant une insécurité juridique et compliquant la clôture de l’indivision.

b. Limites

==>Prise en compte du risque de non-recouvrement

Le nominalisme monétaire, bien qu’essentiel pour garantir la stabilité des opérations de partage, peut se heurter à la réalité économique, notamment lorsque le recouvrement de certaines créances s’avère incertain. La jurisprudence a admis que la créance peut être inscrite pour une valeur inférieure à son montant nominal lorsqu’il existe un risque sérieux de non-recouvrement. En effet, la valeur réelle d’une créance dépend de la capacité du débiteur à honorer sa dette, et il serait artificiel d’inclure dans la masse partageable une créance que l’on sait irrécouvrable.

Dans un arrêt du 9 juillet 1985, la Cour de cassation a jugé en ce sens qu’une créance pouvait être prise en compte pour un montant inférieur à son montant nominal, si le débiteur présentait des difficultés financières importantes rendant incertain son remboursement (Cass. 1ère civ., 9 juill. 1985). Cette solution permet d’éviter que la masse partageable ne soit artificiellement gonflée par des créances douteuses, créant ainsi un déséquilibre entre les héritiers. Comme le souligne Jacques Flour, « il ne faut pas confondre le montant nominal de la créance, qui constitue une obligation juridique, avec sa valeur économique, qui dépend des chances effectives de recouvrement. Cette distinction est essentielle en matière de partage, pour éviter que des créances fictives ne créent des déséquilibres injustes entre les héritiers ».

==>Les créances indexées et libellées en monnaie étrangère

Une autre limite au nominalisme monétaire réside dans les créances indexées ou libellées en monnaie étrangère. Dans de tels cas, leur évaluation doit tenir compte des fluctuations de l’indice ou du taux de change. Conformément au principe général d’évaluation des actifs de la masse partageable, ces créances doivent être liquidées au jour du partage, afin de refléter leur valeur réelle à cette date. Dans un arrêt du 10 juin 1976, la Cour de cassation a jugé que la conversion d’une créance libellée en dollars américains devait être effectuée au taux de change applicable au jour du partage, et non à la date de constitution de la créance (Cass. 1re civ., 10 juin 1976, 75-10.798). Cette solution permet de garantir une évaluation juste et conforme à la réalité économique.

==>Créances ordinaires et créances de valeur

Enfin, il convient de distinguer les créances ordinaires des créances de valeur. Les premières sont évaluées à leur montant nominal, tandis que les secondes, telles que les indemnités de rapport (article 860 du Code civil) ou les indemnités de réduction (article 924-2 du Code civil), doivent être évaluées en fonction de leur valeur réelle au jour du partage. Cette distinction est importante pour éviter que certaines créances, notamment celles résultant de dégradations ou d’améliorations des biens indivis, ne soient surévaluées ou sous-évaluées, compromettant ainsi l’équité entre les héritiers.

Comme le rappelle Laurent Aynès, « la distinction entre créances ordinaires et créances de valeur permet d’adapter le principe du nominalisme aux réalités économiques, tout en garantissant l’équilibre entre les héritiers. Le nominalisme monétaire ne saurait être appliqué de manière rigide, au risque de produire des situations injustes ».

2. Estimation des intérêts

L’évaluation des créances de somme d’argent dans le cadre des opérations de partage ne se limite pas à leur capital nominal. Elle inclut également les intérêts produits par ces créances, dont le régime diffère selon que le débiteur est un tiers ou un indivisaire. La question des intérêts est cruciale en vue d’assurer une répartition équitable entre les indivisaires et éviter que certains ne tirent un avantage indu du retard des opérations de partage.

==>Les intérêts des créances sur les tiers débiteurs

Lorsque la créance est détenue à l’encontre d’un tiers débiteur, le régime applicable est celui du droit commun des obligations. Les articles 1231-6, 1344 et 1344-1 du Code civil fixent les conditions de production des intérêts moratoires, qui commencent à courir soit après une mise en demeure du débiteur, soit dès l’exigibilité de la dette si le contrat le prévoit expressément.

Ainsi, en l’absence de stipulation particulière, les intérêts moratoires ne peuvent être réclamés qu’après que le débiteur ait été formellement mis en demeure de s’exécuter. Cette exigence de mise en demeure vise à protéger le débiteur contre une pénalisation injuste en cas de retard non imputable à sa faute. Selon Jean Carbonnier, « la règle selon laquelle les intérêts courent à partir de la mise en demeure vise à éviter que le débiteur ne soit pénalisé par des retards dont il n’est pas responsable, tout en protégeant le créancier contre l’inertie du débiteur ».

Par exemple, si l’indivision détient une créance de 30 000 euros à l’encontre d’un locataire tiers pour des loyers impayés, les intérêts moratoires ne commenceront à courir qu’à compter de la mise en demeure du locataire. Ces intérêts seront calculés au taux légal, sauf convention contraire.

==>Les intérêts des créances sur les indivisaires débiteurs

Le régime applicable aux intérêts des créances lorsque le débiteur est un indivisaire présente des spécificités par rapport aux règles générales du droit commun. L’article 866 du Code civil prévoit que les créances entre indivisaires produisent des intérêts de plein droit, sans qu’une mise en demeure ne soit nécessaire.

Deux cas de figure doivent être distingués quant au point de départ des intérêts :

  • Si la créance existait avant l’entrée en indivision, les intérêts courent à compter de la constitution de l’indivision ou de l’événement générateur de celle-ci (ouverture de la succession, dissolution de communauté, etc.).
  • Si la créance est née au cours de l’indivision, les intérêts courent à compter de la date d’exigibilité de la créance.

Prenons un exemple concret : deux personnes acquièrent ensemble un immeuble destiné à la location. Par la suite, l’un des indivisaires avance une somme importante pour réaliser des travaux de rénovation indispensables à la conservation du bien. Cette créance, dès lors qu’elle est exigible, produit des intérêts de plein droit, garantissant que l’indivisaire créancier ne soit pas pénalisé par le temps nécessaire à l’accord des parties ou à la dissolution de l’indivision. Comme le rappelle Laurent Aynès, « l’automaticité des intérêts sur les créances entre indivisaires vise à éviter qu’un indivisaire débiteur ne tire profit du retard dans la liquidation de l’indivision ».

Cependant, il convient de distinguer les créances ordinaires des créances de valeur. Les créances ordinaires, telles que les avances de fonds pour des travaux ou le remboursement de charges payées par un indivisaire, produisent des intérêts dès leur exigibilité. En revanche, les créances de valeur — c’est-à-dire celles dont le montant doit être déterminé lors du partage — ne produisent des intérêts qu’à compter de leur liquidation effective.

Par exemple, si un indivisaire réclame une indemnité d’occupation au titre de l’usage privatif d’un bien indivis, le montant de cette indemnité doit d’abord être fixé de manière définitive avant que des intérêts ne soient calculés. Cela garantit que le débiteur de la créance ne soit pas pénalisé par des intérêts sur un montant susceptible d’être contesté ou réévalué au cours des opérations de partage.

Comme le souligne Philippe Malaurie, « la fixation des intérêts sur les créances de valeur après leur liquidation préserve un équilibre entre la protection du créancier et la sécurité du débiteur, en évitant des calculs prématurés sur des montants incertains ».

Cette distinction s’inscrit dans une logique de prévisibilité des obligations pécuniaires au sein de l’indivision. Les créances ordinaires, dont le montant est connu dès l’origine, produisent des intérêts dès leur exigibilité. En revanche, les créances de valeur, par nature plus incertaines, attendent leur liquidation pour produire des intérêts. Cette règle permet de préserver la sécurité des relations entre indivisaires, tout en évitant des litiges prolongés liés à l’incertitude des montants en jeu.

Opérations de partage: la composition de la masse partageable

L’article 825 du Code civil prévoit que « la masse partageable comprend les biens existant à l’ouverture de la succession, ou ceux qui leur ont été subrogés, et dont le défunt n’a pas disposé à cause de mort, ainsi que les fruits y afférents. Elle est augmentée des valeurs soumises à rapport ou à réduction, ainsi que des dettes des copartageants envers le défunt ou envers l’indivision. »

Il s’infère de cette disposition, dont l’application ne se limite pas aux indivisions successorales puisque s’appliquant mutatis mutandis aux autres indivisions, que la masse partageable comprend divers éléments.

Pour des raisons de clarté et pour une meilleure compréhension de la consistance de la masse partageable, nous aborderons les éléments qui la composent en les regroupant dans les catégories suivantes :

  • Les biens existants, qui forment le socle initial de la masse partageable.
  • Les créances, qui incluent les droits indivis contre des tiers.
  • Les biens subrogés, résultant de la substitution d’un bien par un autre.
  • Les biens à caractère personnel, dont seule la valeur patrimoniale est partageable.
  • Les fruits et revenus, produits par les biens indivis au cours de l’indivision.
  • Les plus-values et moins-values, résultant des fluctuations ou de la gestion des biens indivis.

A) Les biens existants

Les biens existants forment la base essentielle de toute masse partageable, qu’elle résulte d’une indivision successorale, conventionnelle ou légale.

Dans le cadre d’une indivision successorale, ces biens comprennent l’intégralité des éléments patrimoniaux ayant appartenu au de cujus et demeurant dans la succession au jour du partage.

1. Notion et délimitation des biens existants

==>Les biens ordinaires

Les biens existants sont ceux qui appartiennent à l’indivision au moment de l’ouverture de celle-ci et qui n’ont pas été cédés, consommés ou aliénés avant la clôture des opérations de partage.

Ces biens peuvent revêtir différentes formes, au nombre desquels figurent :

  • Les biens immobiliers : terrains, maisons, appartements, immeubles de rapport, qui constituent souvent une partie substantielle de la masse indivise.
  • Les biens mobiliers : meubles corporels tels que les objets d’art, les véhicules, les meubles d’ameublement, ainsi que les biens mobiliers incorporels comme les valeurs mobilières, les comptes bancaires ou les titres de créances.
  • Les parts sociales et actions : dans les sociétés civiles ou commerciales, les parts détenues par le défunt, tant qu’elles n’ont pas été transmises par cession, restent dans la masse indivise.
  • Les droits patrimoniaux : droits de créance, droits d’exploitation d’une entreprise individuelle ou droits attachés à des propriétés intellectuelles.

Le partage de ces biens dépend de leur existence au jour du partage. Dans un arrêt du 9 mai 9178, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « le partage ne peut porter que sur les biens qui existent encore à la date du partage » (Cass. 1ère civ., 9 mai 1978, n°76-12.646), soulignant ainsi la nécessité d’exclure les biens qui ont disparu de la masse successorale avant cette date, que ce soit par aliénation, consommation ou destruction.

==>Les libéralités rapportées ou réduites

En sus des biens existants au sens strict, les libéralités consenties à certains héritiers peuvent également entrer dans la masse à partager sous réserve de certaines conditions.

En effet, ces libéralités sont susceptibles d’être rapportées à la masse indivise ou réduites si elles excèdent la quotité disponible et portent atteinte à la réserve héréditaire.

L’article 843 du Code civil prévoit en ce sens que les héritiers réservataires sont tenus de rapporter à la masse successorale les biens dont ils ont pu bénéficier à titre de donation ou d’avantage indirect.

Deux situations sont à envisager :

  • Le rapport des libéralités
    • Il s’agit de remettre fictivement dans la masse successorale les biens reçus par un héritier en avance sur sa part d’héritage.
    • Ces biens peuvent être rapportés en nature (si le bien est resté dans le patrimoine de l’héritier) ou en valeur.
    • Le but est ici de préserver l’égalité entre les héritiers.
  • La réduction des libéralités
    • Si les donations ou legs consentis par le défunt dépassent la quotité disponible, ils peuvent être réduits pour protéger les droits des héritiers réservataires.
    • La réduction s’effectue en valeur ou en nature selon les modalités prévues par les articles 924 et suivants du Code civil.

Dans ces cas, même si les biens en question ont été donnés avant l’ouverture de la succession, leur valeur est réintégrée dans la masse à partager pour préserver l’égalité entre les cohéritiers.

2. L’évolution de la masse indivise jusqu’au partage

Il convient de souligner que la masse indivise à partager n’est pas figée. Elle peut évoluer entre l’ouverture de l’indivision et le partage définitif.

Pendant cette période, les biens peuvent être vendus, dégradés ou augmenter de valeur.

Par exemple, les immeubles indivis peuvent prendre de la valeur sur le marché immobilier ou au contraire subir une dépréciation en fonction des conditions économiques.

L’article 822 du Code civil précise que l’évaluation des biens indivis se fait à la date la plus proche du partage afin de tenir compte de ces fluctuations.

En cas d’augmentation de la valeur des biens, celle-ci bénéficie à l’ensemble des indivisaires.

De la même manière, toute dépréciation impacte collectivement les indivisaires. Les plus-values réalisées, par exemple en cas de gestion ou d’améliorations apportées aux biens indivis par un des cohéritiers, sont elles aussi réparties au prorata des droits indivisaires, sauf demande de remboursement pour les investissements réalisés (Cass. 1ère civ., 29 mai 1996, n°94-14.632).

3. L’importance d’une évaluation exhaustive des biens existants

Il est essentiel de procéder à une évaluation complète et précise de l’ensemble des biens existants au jour du partage.

L’omission d’un bien dans la masse indivise peut entraîner un partage complémentaire, quand bien même la valeur du bien omis est minime.

Dans d’une décision du 15 mai 2008, la Cour de cassation a rappelé en ce sens que « lorsqu’un bien est omis lors du partage, cela impose la réalisation d’un partage complémentaire, quelle que soit la valeur du bien omis » (Cass. 1ère civ., 15 mai 2008, n°06-19.416).

Cette règle vise à garantir que tous les biens constituant la masse successorale soient effectivement répartis entre les cohéritiers, protégeant ainsi les droits de chacun.

Aussi, sauf renonciation expresse d’un indivisaire à ses droits, l’omission d’un bien ne saurait priver un indivisaire de sa part dans ce bien. Le fait de ne pas avoir mentionné un bien dans le partage initial n’éteint donc pas les droits des indivisaires sur ce bien.

B) Les créances

Les créances indivises peuvent constituer une composante importante de l’actif à partager, car elles représentent des droits que l’indivision détient contre des tiers.

Elles peuvent prendre différentes formes : créances de nature contractuelle, créances liées à des droits de propriété, ou encore créances issues de la gestion des biens indivis.

Leur gestion au sein de l’indivision est encadrée par des principes stricts de répartition entre les indivisaires.

1. Le principe de division des créances

==>Énoncé du principe

En application de l’article 1309, al. 1er du Code civil, dès l’ouverture de l’indivision, les créances se divisent de plein droit entre les indivisaires, au prorata de leurs parts dans la succession.

Ce principe est applicable aussi bien en cas d’indivision successorale qu’en cas d’indivision conventionnelle. Cela signifie que chaque indivisaire devient titulaire de la fraction de la créance correspondant à sa quote-part dans l’indivision.

En pratique, cela permet à chaque indivisaire de réclamer directement sa part de la créance à un tiers débiteur. Cette règle vise à simplifier le recouvrement des créances tout en respectant les droits proportionnels de chacun des indivisaires.

==>Mise en œuvre du principe

Lorsqu’une créance indivise est recouvrée par un indivisaire, ce dernier doit s’assurer de ne percevoir que sa part proportionnelle.

Si un indivisaire reçoit un montant supérieur à sa quote-part dans la créance, il est tenu de rembourser l’excédent à ses coindivisaires. Cette obligation découle du principe d’équité qui régit l’indivision.

L’effet déclaratif du partage, prévu par l’article 883 du Code civil, joue un rôle important ici.

Lors du partage de l’indivision, chaque indivisaire est considéré comme ayant toujours été propriétaire exclusif des biens qui lui sont attribués depuis l’origine de l’indivision.

Cela signifie qu’une créance qui est partagée ne fait l’objet d’un transfert qu’au moment du partage, ce qui peut avoir des conséquences sur les paiements effectués avant le partage.

Si, par exemple, une créance successorale est cédée par un indivisaire avant le partage, cette cession pourrait être annulée si, au moment du partage, la créance est attribuée à un autre indivisaire.

Cela a été confirmé par la jurisprudence dans un arrêt ancien, mais encore souvent cité : Cass. req., 13 janv. 1909, qui rappelle que la cession d’une créance par un indivisaire avant partage est nulle si celui-ci n’en est pas attributaire lors du partage.

Dans cette affaire, un indivisaire avait cédé une créance successorale avant le partage de la succession.

Toutefois, au moment du partage, cette créance n’avait pas été attribuée au cédant, mais à un autre héritier. La Cour de cassation a jugé que cette cession était nulle, car l’indivisaire cédant n’avait pas été attributaire de la créance au moment du partage.

Il ressort de cette jurisprudence que, jusqu’au partage, l’indivisaire ne saurait valablement céder une créance indivise, car l’effet déclaratif du partage signifie qu’il n’est considéré comme ayant eu un droit exclusif sur cette créance qu’à partir du moment où elle lui est attribuée définitivement lors du partage.

En effet, l’effet déclaratif du partage, consacré par l’article 883 du Code civil, signifie que le partage ne fait que constater et déclarer des droits qui existaient depuis l’ouverture de la succession, mais que chaque héritier est censé avoir eu de manière exclusive sur les biens qui lui sont attribués.

Avant le partage, les biens de la succession sont indivis, et chaque indivisaire est copropriétaire de la totalité des biens à hauteur de sa quote-part. Un indivisaire ne peut donc céder un bien ou une créance tant que celui-ci n’a pas été précisément attribué à lui lors du partage.

Cette règle vise à préserver l’intégrité de la masse successorale jusqu’au partage et d’éviter des complications liées à des cessions de biens indivis avant leur attribution définitive.

2. Exception : les créances indivisibles

Toutes les créances ne sont pas divisibles entre les indivisaires. Certaines créances, en raison de leur nature, sont considérées comme indivisibles et doivent être recouvrées et partagées dans leur totalité par l’ensemble des indivisaires.

Un exemple typique est celui des indemnités d’expropriation, que la jurisprudence a qualifiées de créances indivisibles.

Dans une décision importante, la Cour de cassation a jugé que ces indemnités ne pouvaient pas être divisées entre les indivisaires, et devaient donc être partagées dans leur ensemble (Cass. 3e civ., 13 déc. 1995, n°94-86.191).

Dans cette affaire, une indemnité d’expropriation avait été accordée pour un bien appartenant à une indivision.

Le problème portait sur la manière dont cette indemnité devait être traitée et répartie entre les indivisaires, certains d’entre eux contestant les modalités de la répartition.

Plus précisément, la question soulevée était de savoir si une indemnité d’expropriation, touchant un bien indivis, pouvait être divisée entre les indivisaires ou si elle devait être considérée comme indivisible.

La Cour de cassation a jugé que l’indemnité d’expropriation d’un bien indivis est indivisible, confirmant ainsi que cette indemnité devait être partagée entre tous les indivisaires de manière globale.

Elle ne pouvait donc pas, en d’autres termes, être divisée et recouvrée séparément par chaque indivisaire en fonction de sa quote-part dans l’indivision.

Il s’en déduit qu’une créance liée à l’indemnité d’expropriation d’un bien indivis est insusceptible de faire l’objet d’une division proportionnelle comme les autres créances ordinaires de l’indivision.

La raison en est que l’indivisibilité de l’indemnité d’expropriation repose sur la nature même de cette indemnité, qui est censée compenser la perte d’un bien indivis dans son ensemble.

Le bien étant indivis, l’indemnité qui le remplace doit également être considérée comme indivise et répartie globalement entre les co-indivisaires au moment du partage.

La jurisprudence justifie cette position par la nécessité de maintenir la cohérence de l’indemnisation en cas d’expropriation d’un bien indivis.

Puisque le bien appartient en commun à tous les indivisaires, l’indemnité accordée par les autorités expropriantes est considérée comme une créance unique et indivisible, à répartir seulement après avoir été reçue globalement par l’indivision.

Il peut être observé que le caractère indivisible d’une créance peut également se retrouver dans d’autres situations, notamment lorsque la nature même de l’obligation le rend impossible. Cela peut notamment concerner des créances liées à des préjudices moraux, ou des obligations contractuelles spécifiques.

C) Les biens subrogés

La subrogation réelle consiste à substituer dans un patrimoine une chose par une autre.

Il en va ainsi lorsqu’un bien mobilier ou immobilier dont est propriétaire une personne est remplacé par une somme d’argent correspondant à la valeur du bien remplacé.

Cette somme d’argent peut consister en un prix de vente, à une indemnité d’assurance ou encore à une indemnité d’expropriation.

La particularité de la subrogation réelle est donc qu’elle opère le remplacement dans un bien par un autre, sans pour autant modifier le rapport de propriété préexistant liant le propriétaire à la chose.

C’est là le sens de l’adage subrogatum capit naturam subrogi, soit ce qui est subrogé prend la nature de ce à quoi il est subrogé.

La conséquence en est que la subrogation n’affecte pas le droit réel exercé par le propriétaire ; elle substitue seulement son objet.

A cet égard, le mécanisme de la subrogation réelle trouve une application dans le régime des indivisions, particulièrement lorsque des biens sont vendus, détruits ou remplacés.

La subrogation permet ainsi d’assurer la continuité de la masse indivise, en substituant à un bien disparu un équivalent en nature ou en valeur (prix de vente, indemnité, créance, etc.). L’objectif est de préserver les droits des indivisaires et de maintenir la cohérence de l’actif indivis jusqu’au partage.

En pratique, cela signifie que le bien subrogé, bien qu’il diffère dans sa forme ou sa valeur, continue à appartenir à la masse indivise et reste soumis aux règles qui gouvernent le partage.

Le principe de la subrogation réelle est issu de l’arrêt Chollet-Dumoulin rendu par les chambres réunies de la Cour de cassation le 5 décembre 1907 (Cass. ch. Réunies, 5 déc. 1907).

Dans cette affaire, les indivisaires avaient vendu un bien immobilier indivis et une contestation était née quant à la répartition du prix de vente.

La question portait sur le fait de savoir si le prix de vente devait être considéré comme faisant partie de la succession et partagé entre les indivisaires, ou s’il pouvait être exclu de la masse indivise.

La Cour de cassation a tranché en faveur de l’intégration du prix de vente à la masse indivise, affirmant que le produit de la vente d’un bien indivis devait être considéré comme un « effet de succession ».

Le prix de vente remplace donc le bien vendu et devient un bien subrogé à répartir entre les indivisaires de la même manière que le bien lui-même aurait été partagé. Cet arrêt a posé le fondement de la subrogation réelle, garantissant ainsi que la vente d’un bien indivis n’entraîne pas la perte de valeur pour les indivisaires mais simplement son transfert sur une somme d’argent.

Dès lors, la subrogation réelle peut intervenir selon deux modalités principales :

  • La subrogation automatique
    • Lorsqu’elle est automatique, la subrogation réelle joue de plein droit.
    • Ce mécanisme est mise en oeuvre dès lors qu’un bien indivis est aliéné ou détruit, sans nécessiter l’accord des indivisaires.
    • Par exemple, le prix de vente d’un bien indivis ou une indemnité d’assurance en cas de destruction entre automatiquement dans la masse indivise.
    • Ce principe de subrogation automatique assure que les droits des indivisaires sur les biens aliénés sont préservés et reportés sur la somme obtenue en contrepartie.
  • La subrogation volontaire
    • Il est des cas où pour produire ses effets, la subrogation requiert le consentement des indivisaires, notamment en matière d’emploi ou de remploi de biens indivis.
    • Ici, le produit de la vente d’un bien indivis peut être réinvesti dans l’acquisition d’un nouveau bien, à condition que tous les indivisaires y consentent.
    • Ce nouveau bien deviendra alors lui-même indivis, mais seulement si les cohéritiers acceptent explicitement cette opération.

1. La subrogation automatique : un principe général

La subrogation réelle est, en principe, automatique et s’applique de plein droit dès lors qu’un bien indivis est aliéné ou détruit.

Ce principe est consacré par l’article 815-10 du Code civil, qui prévoit que les créances et indemnités venant remplacer des biens indivis entrent automatiquement dans la masse indivise.

Ainsi, les indivisaires conservent-ils leurs droits, non plus sur le bien initial, mais sur la somme ou l’indemnité qui le remplace.

La subrogation automatique est susceptible de jouer dans plusieurs situations :

  • Vente d’un bien indivis : le prix de vente comme bien subrogé
    • Lorsqu’un bien indivis est vendu, le prix de vente se substitue automatiquement au bien vendu et intègre la masse indivise.
    • Cette subrogation a pour effet de remplacer le bien physique par une créance pécuniaire, qui est alors partagée entre les indivisaires selon leurs droits dans l’indivision.
    • Ainsi, les indivisaires conservent une quote-part dans le produit de la vente.
    • C’est ce principe que l’arrêt Chollet-Dumoulin est venu consacrer (Cass. ch. Réunies, 5 déc. 1907).
    • Ce principe garantit que la vente d’un bien indivis ne prive pas les indivisaires de leurs droits, mais simplement les reporte sur une somme d’argent.
  • Indemnité d’assurance : subrogation en cas de destruction d’un bien
    • En cas de destruction d’un bien indivis, par exemple à la suite d’un sinistre, l’indemnité d’assurance versée en réparation du dommage se substitue automatiquement au bien détruit.
    • Cette indemnité est intégrée dans la masse indivise et se partage entre les indivisaires selon leurs parts respectives.
    • Ce principe a été confirmé par l’arrêt Cass. 1re civ., 19 mars 2014, dans lequel la Cour de cassation a jugé que l’indemnité d’assurance subrogée à un bien indivis détruit doit être intégrée à l’indivision, même si son montant dépasse la valeur initiale du bien détruit.
    • Le juge du partage n’a aucun pouvoir pour discuter le montant de l’indemnité ; il doit l’intégrer intégralement à l’actif indivis (Cass. 1ère civ. 19 mars 2014, n° 13-12.578).
  • Créances successorales : annulation des cessions avant partage
    • Un autre exemple de subrogation réelle se retrouve dans le cas des créances successorales.
    • Si un indivisaire cède une créance avant le partage et que cette créance n’est finalement pas attribuée à cet indivisaire au moment du partage, la cession est annulée.
    • C’est le principe de l’effet déclaratif du partage qui est à l’œuvre ici, comme l’a affirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 13 janvier 1909 (Cass. req., 13 janvier 1909).
    • Dans cette affaire, un indivisaire avait cédé une créance successorale avant le partage.
    • Toutefois, au moment du partage, cette créance n’avait pas été attribuée au cédant, mais à un autre héritier.
    • La Cour de cassation a jugé que la cession de cette créance était nulle, car l’indivisaire cédant n’était pas devenu propriétaire exclusif de la créance avant le partage.
    • Cet arrêt confirme que, tant que le partage n’a pas eu lieu, les droits des indivisaires sur les biens de la succession sont indivis et ne peuvent pas faire l’objet d’une cession indépendante par un seul co-indivisaire.
    • Ce principe s’infère de l’article 883 du Code civil, selon lequel le partage a un effet déclaratif : il ne crée pas de nouveaux droits mais attribue à chaque indivisaire la portion de biens à laquelle il avait déjà droit depuis l’ouverture de la succession.
    • Ainsi, la cession d’un bien indivis avant le partage n’est valable que si le bien est effectivement attribué à l’indivisaire cédant au moment du partage.

2. La subrogation volontaire : emploi et remploi des biens indivis

Par exception, certaines situations de subrogation réelle ne sont pas automatiques et requièrent le consentement des indivisaires.

Cela concerne principalement les cas d’emploi et de remploi, où le prix de vente d’un bien indivis ou une indemnité est réinvesti dans un nouveau bien. Cette forme de subrogation est dite volontaire, car elle requiert l’accord unanime des indivisaires.

En effet, l’emploi et le remploi sont des mécanismes qui permettent de réinvestir les sommes issues de la vente d’un bien indivis dans l’acquisition d’un nouveau bien.

Ce nouveau bien devient alors indivis, à condition que tous les indivisaires aient donné leur consentement.

L’article 815-10 du Code civil précise en ce sens que les biens acquis en emploi ou en remploi de biens indivis ne peuvent être eux-mêmes indivis que si tous les indivisaires ont consenti à cette opération.

Ce consentement est indispensable pour éviter que l’un des indivisaires ne soit contraint d’accepter l’acquisition d’un nouveau bien en indivision contre son gré. En l’absence d’accord unanime, seul le prix de vente ou l’indemnité d’assurance reste dans la masse indivise, mais aucun nouveau bien ne peut être intégré à l’indivision.

La jurisprudence a confirmé à plusieurs reprises le caractère volontaire de l’emploi et du remploi, notamment à travers d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 février 1996 (Cass. 1ère civ., 20 févr. 1996, 93-21.141)

Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si les opérations de gestion effectuées par le gérant d’une indivision, en utilisant des fonds indivis pour acquérir de nouveaux biens, pouvaient être considérées comme ayant été réalisées au profit de l’indivision.

L’époux, qui était le gérant de l’indivision post-communautaire, avait effectué des achats avec les deniers indivis. Le litige portait sur la question de savoir si ces biens nouvellement acquis devaient être considérés comme des biens indivis, au titre de la subrogation réelle.

La Cour de cassation a confirmé que les opérations de remploi effectuées par le gérant d’une indivision post-communautaire étaient valables, sous réserve que ces opérations aient été réalisées avec le consentement des indivisaires ou, à défaut, dans l’intérêt de l’indivision.

En l’espèce, la Cour a jugé que toutes les acquisitions réalisées par le gérant avec des deniers indivis l’avaient été volontairement pour le compte de l’indivision, car il avait agi dans l’intérêt de celle-ci et avec l’accord implicite des autres indivisaires.

Ainsi, la simple utilisation de deniers indivis ne suffit donc pas à opérer une subrogation ; il faut également une intention manifeste d’acquérir pour le compte de l’indivision.

En revanche, si l’emploi ou le remploi a lieu sans le consentement de tous les indivisaires, la subrogation ne pourra pas être imposée. Dans ce cas, seule la somme d’argent, comme le prix de vente ou l’indemnité, restera dans la masse indivise.

En cas de désaccord entre les indivisaires sur la question du remploi, il est possible de demander l’intervention du juge.

L’article 815-6 du Code civil permet au tribunal judiciaire de prendre des mesures urgentes pour protéger les intérêts de l’indivision, notamment en autorisant une opération de remploi en l’absence d’accord unanime.

De même, l’article 815-5 du Code civil permet à un indivisaire d’agir seul en cas de gestion d’affaires, à condition que cela soit dans l’intérêt commun et justifié par l’urgence ou la conservation du bien.

D) Les biens à caractère personnel

Certains biens, bien qu’ayant un caractère personnel, peuvent être inclus dans la masse partageable de l’indivision, mais sous certaines conditions particulières.

La jurisprudence a établi une distinction essentielle entre la titularité (ou le titre) de ces biens, qui reste personnelle et intransmissible, et leur valeur économique, qui, elle, peut être intégrée à la masse indivise et partagée entre les coindivisaires.

Ce principe de distinction entre le titre et la valeur permet de concilier le caractère personnel de certains biens avec la nécessité de partager leur valeur économique dans une indivision. Il trouve son origine dans la gestion des offices ministériels et a ensuite été transposé à d’autres types de biens présentant des caractéristiques similaires, comme les parts sociales ou les clientèles professionnelles.

1. Origine de la distinction entre le titre et la finance

Les offices ministériels (notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs, etc.) illustrent bien la distinction entre le titre et la finance car ils se caractérisent par deux aspects distincts :

  • Le titre, qui confère à son titulaire l’autorisation d’exercer une mission de service public. Ce titre, octroyé par l’État, est strictement personnel, car il repose sur des qualifications spécifiques et des agréments particuliers liés à la personne du titulaire. En raison de ce caractère personnel, la titularité d’un office ne peut être cédée ou partagée dans le cadre d’une indivision.
  • La finance, ou la valeur économique de l’office, est en revanche patrimoniale. Cette valeur correspond au prix de marché de l’office et peut être partagée, notamment lors d’une succession ou d’un partage. Ainsi, même si le titre reste propre au titulaire, la valeur patrimoniale de l’office (appelée finance) peut être incluse dans la masse indivise et partagée entre les indivisaires.

Cette distinction a été consacré par la jurisprudence, notamment pour éviter que les coindivisaires ou le conjoint d’un titulaire d’office ne puissent revendiquer la titularité de l’office, tout en leur permettant de bénéficier de la valeur économique qu’il représente.

2. Extension de la distinction à d’autres biens à caractère personnel

Au fil du temps, cette distinction entre le titre et la valeur a été transposée à d’autres biens à caractère personnel, tels que les parts sociales dans des sociétés de personnes, les clientèles professionnelles, ou encore certaines concessions administratives.

==>Les parts dans des sociétés de personnes

Dans les sociétés de personnes, comme les sociétés civiles ou les SNC (Société en Nom Collectif), la qualité d’associé repose sur une relation de confiance (intuitu personae) entre les associés.

La titularité des parts sociales est donc strictement personnelle et intransmissible sans l’accord des autres associés.

Cependant, la valeur patrimoniale de ces parts peut entrer dans la masse indivise et être partagée entre les indivisaires au moment du partage.

==>Les clientèles professionnelles

La clientèle d’un professionnel (médecin, avocat, notaire) repose sur une relation de confiance personnelle avec les clients, ce qui la rend intransmissible.

Toutefois, la valeur économique de cette clientèle peut être incluse dans l’actif indivis.

Par exemple, lors de la liquidation d’une indivision post-communautaire, la valeur patrimoniale de la clientèle peut être évaluée et partagée entre les indivisaires, bien que la titularité de la clientèle reste propre au professionnel.

==>Les concessions administratives

Un autre exemple de cette distinction peut être trouvé dans les concessions administratives, telles que les concessions de parcs à huîtres.

Dans un arrêt du 8 décembre 1987, la Cour de cassation a jugé que la concession, en tant que droit personnel, était intransmissible. Toutefois, la valeur patrimoniale de cette concession pouvait entrer dans la masse commune ou indivise, permettant ainsi de protéger l’intérêt économique des indivisaires ou du conjoint (Cass. 1ère civ. 8 déc. 1987, n°86-12426).

3. Application de la distinction dans le cadre de l’indivision

La distinction entre le titre et la finance s’applique donc dans plusieurs cas où le bien est personnel, mais présente une valeur patrimoniale importante. Elle permet de protéger l’aspect personnel du bien, tout en offrant aux indivisaires la possibilité de partager la valeur économique de ce bien.

La jurisprudence est claire : la titularité de certains biens à caractère personnel (parts sociales, offices ministériels, clientèles professionnelles) reste strictement attachée à la personne du titulaire.

Cette intransmissibilité s’explique par les qualités spécifiques requises pour exercer certains droits ou fonctions, ou encore par la relation de confiance personnelle qui caractérise certains types de biens.

En revanche, même si la titularité ne peut être partagée, la valeur économique du bien peut entrer dans la masse indivise. Cela permet d’assurer une équité entre les indivisaires, notamment lorsque le bien représente une part significative du patrimoine indivis. Lors du partage, la valeur de marché du bien est évaluée et incluse dans la masse à partager.

L’évaluation des biens à caractère personnel pour leur intégration dans la masse indivise se fait généralement au moment du partage. Leur valeur marchande est déterminée lors des opérations de liquidation et de partage de l’indivision, et cette valeur est répartie entre les indivisaires proportionnellement à leurs parts.

E) Les fruits et revenus

Les fruits et revenus générés par les biens indivis, tels que les loyers, les dividendes, les intérêts ou d’autres produits, sont des éléments essentiels susceptibles de faire l’objet d’un partage entre les indivisaires. Ces derniers, en s’ajoutant à la masse indivise, augmentent l’actif partageable et garantissent une répartition équitable entre les coindivisaires.

Ce principe est énoncé par l’article 815-10 du Code civil qui prévoit que « les fruits et les revenus des biens indivis accroissent à l’indivision ». Selon cette règle, les fruits et revenus bénéficient donc à l’ensemble des indivisaires, évitant qu’un seul ne tire un avantage exclusif des fruits générés par les biens communs.

1. Le principe d’accroissement de la masse indivise

L’objectif de cette règle est d’éviter qu’un indivisaire ne tire un bénéfice personnel des fruits produits par un bien indivis avant le partage, au détriment des autres indivisaires.

Ainsi, les fruits et revenus produits par les biens indivis ne reviennent pas directement à celui qui en a la gestion ou la jouissance temporaire, mais sont intégrés dans la masse indivise pour être partagés lors de la liquidation ou du partage de l’indivision.

Cet équilibre est particulièrement important dans le cadre des successions, où certains héritiers pourraient autrement profiter d’un bien frugifère (comme un immeuble locatif) avant le partage, alors que d’autres ne recevraient qu’un bien non frugifère.

Le fait que les fruits soient inclus dans la masse indivise permet de garantir une égalité entre les héritiers et de compenser les écarts liés à la nature des biens attribués lors du partage.

Ce principe a été consacré depuis longtemps par la jurisprudence, notamment par un arrêt de la Cour de cassation du 20 juillet 1858, qui reprend l’adage latin « fructus augent hereditatem », soit les fruits augmentent l’héritage (Cass. civ. 20 juill. 1858).

Ce principe veut que tous les fruits et revenus générés par les biens indivis bénéficient à l’ensemble des indivisaires et non à un seul.

2. Typologie des fruits et revenus

Les fruits et revenus des biens indivis peuvent prendre plusieurs formes :

  • Les fruits naturels
    • Les fruits naturels sont les produits qui proviennent des biens immobiliers sans intervention humaine excessive.
    • On compte dans cette catégorie notamment :
      • Les récoltes agricoles issues de terrains indivis utilisés pour l’agriculture.
      • Les produits forestiers comme le bois provenant de forêts indivises, ou encore la résine et autres produits naturels exploitables.
    • Les fruits naturels se distinguent par le fait qu’ils sont directement générés par la nature et peuvent être récoltés régulièrement sans affecter la substance du bien d’origine (par exemple, couper du bois dans une forêt sans détruire le terrain). Ces revenus doivent être répartis entre les coindivisaires au moment du partage, sauf si une convention ou un accord a prévu une répartition antérieure.
  • Les fruits civils
    • Les fruits civils représentent les produits réguliers résultant de l’exploitation de biens indivis, souvent en vertu de contrats conclus avec des tiers. Contrairement aux fruits naturels, les fruits civils nécessitent une gestion active du bien pour en percevoir les revenus.
    • Ils incluent notamment :
      • Les loyers perçus d’un bien immobilier indivis mis en location. Les revenus locatifs sont considérés comme des fruits civils qui s’ajoutent à la masse indivise.
      • Les dividendes provenant de parts sociales ou d’actions détenues en indivision. Si les indivisaires détiennent des titres financiers indivis, les dividendes versés par la société émettrice sont également intégrés à l’actif indivis.
      • Les redevances issues de contrats de concession ou d’exploitation, comme la gestion d’un fonds de commerce indivis ou la mise en valeur de propriétés intellectuelles détenues en indivision.
    • Les fruits civils sont souvent générés sur une base contractuelle et impliquent une perception périodique (mensuelle, trimestrielle, annuelle, etc.).
    • Ces revenus, comme les loyers ou dividendes, doivent être partagés entre les indivisaires en fonction de leurs parts dans l’indivision.
    • Si un indivisaire a géré seul un bien et perçu des loyers ou des dividendes, il est tenu de les partager avec les autres, sous peine de devoir indemniser l’indivision.
  • Les intérêts
    • Les intérêts perçus dans le cadre d’une indivision résultent de placements financiers ou de créances indivises.
    • Ces revenus peuvent provenir de différentes sources, telles que :
      • Les créances indivises qui génèrent des intérêts, comme un prêt consenti par l’indivision à un tiers. Dans ce cas, les intérêts perçus doivent être répartis entre les indivisaires.
      • Les placements financiers, comme des comptes bancaires, des livrets d’épargne ou des obligations détenues par l’indivision. Les intérêts générés par ces placements viennent également augmenter la masse indivise.
    • Les intérêts, qu’ils soient issus de créances ou de placements financiers, sont des revenus passifs, ne nécessitant pas une gestion active mais dépendant du temps et des conditions contractuelles.
    • Ils sont perçus à échéances régulières et augmentent la masse à partager au moment de la liquidation de l’indivision.

Tous ces revenus, qu’ils proviennent de fruits naturels, de fruits civils ou encore d’intérêts, augmentent donc systématiquement la masse indivise et doivent être partagés entre les indivisaires lors de la liquidation de l’indivision.

Leur répartition se fait en fonction des parts respectives de chaque indivisaire dans l’indivision.

Ce mécanisme permet d’éviter qu’un indivisaire ne bénéficie exclusivement des produits générés par le bien indivis avant le partage, ce qui pourrait entraîner des situations inéquitables.

En pratique, les revenus sont généralement conservés ou placés sur un compte commun au nom de l’indivision jusqu’au partage.

Si un indivisaire a perçu des fruits ou revenus sans les partager, il est tenu de restituer l’excédent aux autres indivisaires. Ce mécanisme vise à garantir l’équité entre les coindivisaires et à préserver les intérêts de chacun.

F) Les plus-values et moins-values

Dans le cadre d’une indivision, les plus-values et les moins-values réalisées sur les biens indivis constituent des éléments susceptibles d’être intégrés au partage. Ces variations de valeur, qu’elles résultent d’évolutions économiques, d’investissements ou encore de la gestion active des biens par l’un des indivisaires, influencent directement l’équilibre patrimonial au sein de l’indivision.

Le partage de ces fluctuations vise à garantir que chaque indivisaire bénéficie ou supporte les effets des changements affectant la valeur des biens indivis, conformément à ses droits dans l’indivision. Ce mécanisme assure une répartition équitable, tenant compte des enrichissements ou des diminutions de valeur intervenus pendant la période indivise.

Lors de la liquidation de l’indivision, les plus-values et moins-values sont évaluées au moment du partage, permettant une prise en compte actualisée des biens indivis. Ainsi, ces variations s’intègrent dans la répartition, traduisant une juste répartition des bénéfices ou pertes accumulés au cours de la gestion collective.

1. Les plus-values dans l’indivision

Les plus-values réalisées sur les biens indivis constituent des éléments importants pouvant faire l’objet d’un partage. Ces plus-values peuvent résulter de plusieurs facteurs :

  • L’évolution naturelle des prix du marché immobilier ou financier. Par exemple, une augmentation du prix de l’immobilier peut générer une plus-value sur un immeuble détenu en indivision.
  • Les investissements réalisés sur les biens indivis, tels que des travaux d’amélioration ou de rénovation, qui augmentent la valeur des biens. Ces investissements peuvent être réalisés soit par l’ensemble des indivisaires, soit par un seul indivisaire.

Lorsqu’une plus-value est constatée, elle bénéficie à l’ensemble des indivisaires, indépendamment de celui qui aurait initié les travaux ou géré le bien. Conformément au principe d’équité, toute augmentation de la valeur des biens indivis est répartie proportionnellement entre les indivisaires, chacun percevant une part en fonction de ses droits dans l’indivision.

Cependant, lorsqu’une plus-value est le résultat direct de la gestion active d’un bien indivis par un indivisaire (par exemple, dans le cadre de la gestion d’un fonds de commerce indivis), cet indivisaire a la possibilité de réclamer une rémunération pour sa gestion.

Cette règle a été consacrée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 29 mai 1996 aux termes duquel elle a reconnu que la plus-value résultant de la gestion par un indivisaire accroît l’actif indivis, mais que cet indivisaire peut être indemnisé pour son activité de gestion (Cass. 1re civ., 29 mai 1996, n°94-14.632).

Dans cette affaire, un époux avait continué à gérer un fonds de commerce après la dissolution de la communauté post-communautaire, mais alors que les biens étaient encore en indivision.

Sa gestion avait permis une augmentation de la valeur du fonds de commerce, générant ainsi une plus-value.

Le litige portait sur la question de savoir si cette plus-value devait revenir uniquement à l’époux ayant géré le fonds, ou si elle devait être partagée entre les autres indivisaires.

La Cour de cassation a jugé que la plus-value résultant de la gestion d’un indivisaire sur un bien indivis accrue à l’indivision, c’est-à-dire qu’elle devait bénéficier à tous les indivisaires.

Cependant, la Cour a également précisé que l’indivisaire ayant géré le fonds pouvait demander une rémunération pour sa gestion, sous réserve que cette gestion ait été dans l’intérêt commun de l’indivision.

L’octroi de cette rémunération permet de compenser l’effort de gestion tout en préservant le principe que les fruits de l’indivision doivent être partagés.

La rémunération accordée à l’indivisaire peut prendre plusieurs formes, comme une indemnité de gestion ou une participation aux bénéfices générés par le bien. Cette indemnisation est soumise à l’approbation des autres indivisaires ou, à défaut, à une décision judiciaire en cas de désaccord.

2. Les pertes dans l’indivision

Les pertes subies par les biens indivis peuvent également faire l’objet d’un partage entre les indivisaires, conformément au principe de proportionnalité des droits dans l’indivision.

Ces pertes, qu’elles soient liées à des circonstances économiques, des incidents ou une gestion déficiente, impactent collectivement la masse partageable au moment de la liquidation de l’indivision.

Ces pertes peuvent être dues à plusieurs facteurs, tels que :

  • Des dépréciations économiques : une baisse du marché immobilier, par exemple, peut entraîner une diminution de la valeur des biens indivis, affectant ainsi la masse partageable lors de la liquidation.
  • Des incidents ou sinistres : un bien indivis endommagé par un sinistre (incendie, inondation, etc.) peut entraîner des pertes financières, à moins qu’une indemnité d’assurance ne compense cette perte.
  • La mauvaise gestion des biens indivis : si les biens indivis sont mal entretenus ou sous-exploités, leur valeur peut diminuer, entraînant une perte pour l’ensemble des indivisaires.

Cependant, la jurisprudence prévoit une exception importante : si les pertes sont imputables à la faute ou à la négligence d’un indivisaire, celui-ci peut être tenu pour responsable personnellement de ces pertes.

Par exemple, si un indivisaire, en tant que gérant des biens indivis, a pris des décisions qui ont causé une dégradation importante de la valeur des biens ou des pertes financières injustifiées, il pourrait être tenu de compenser ces pertes au bénéfice des autres indivisaires.

Cette responsabilité est souvent invoquée dans les cas où un indivisaire gère un bien indivis de manière négligente ou en ne tenant pas compte de l’intérêt commun de tous les coindivisaires.

Opérations de partage: l’inventaire des biens existants

Le partage d’une indivision ne peut être envisagé sans une préalable détermination précise de la masse partageable. Avant de répartir les biens entre les indivisaires, il est indispensable de connaître l’étendue du patrimoine commun, d’identifier les dettes grevant ce patrimoine et de régulariser les comptes entre les co-indivisaires. Cette étape de liquidation est essentielle pour garantir un partage équitable, fondé sur une vision claire et exhaustive des droits et obligations de chacun.

La détermination de la masse partageable repose ainsi sur trois opérations successives :

  • L’inventaire des biens existants, permettant d’établir la consistance matérielle et juridique du patrimoine indivis ;
  • La prise en compte du passif de l’indivision, incluant tant les dettes externes que les créances internes nées des relations entre indivisaires ;
  • L’établissement des comptes entre indivisaires, destiné à régulariser les déséquilibres financiers survenus au cours de la gestion de l’indivision.

Nous nous focaliserons ici sur la première étape: l’inventaire des biens existants.

I) Composition de la masse partageable

L’article 825 du Code civil prévoit que « la masse partageable comprend les biens existant à l’ouverture de la succession, ou ceux qui leur ont été subrogés, et dont le défunt n’a pas disposé à cause de mort, ainsi que les fruits y afférents. Elle est augmentée des valeurs soumises à rapport ou à réduction, ainsi que des dettes des copartageants envers le défunt ou envers l’indivision. »

Il s’infère de cette disposition, dont l’application ne se limite pas aux indivisions successorales puisque s’appliquant mutatis mutandis aux autres indivisions, que la masse partageable comprend divers éléments.

Pour des raisons de clarté et pour une meilleure compréhension de la consistance de la masse partageable, nous aborderons les éléments qui la composent en les regroupant dans les catégories suivantes :

  • Les biens existants, qui forment le socle initial de la masse partageable.
  • Les créances, qui incluent les droits indivis contre des tiers.
  • Les biens subrogés, résultant de la substitution d’un bien par un autre.
  • Les biens à caractère personnel, dont seule la valeur patrimoniale est partageable.
  • Les fruits et revenus, produits par les biens indivis au cours de l’indivision.
  • Les plus-values et moins-values, résultant des fluctuations ou de la gestion des biens indivis.

A) Les biens existants

Les biens existants forment la base essentielle de toute masse partageable, qu’elle résulte d’une indivision successorale, conventionnelle ou légale.

Dans le cadre d’une indivision successorale, ces biens comprennent l’intégralité des éléments patrimoniaux ayant appartenu au de cujus et demeurant dans la succession au jour du partage.

1. Notion et délimitation des biens existants

==>Les biens ordinaires

Les biens existants sont ceux qui appartiennent à l’indivision au moment de l’ouverture de celle-ci et qui n’ont pas été cédés, consommés ou aliénés avant la clôture des opérations de partage.

Ces biens peuvent revêtir différentes formes, au nombre desquels figurent :

  • Les biens immobiliers : terrains, maisons, appartements, immeubles de rapport, qui constituent souvent une partie substantielle de la masse indivise.
  • Les biens mobiliers : meubles corporels tels que les objets d’art, les véhicules, les meubles d’ameublement, ainsi que les biens mobiliers incorporels comme les valeurs mobilières, les comptes bancaires ou les titres de créances.
  • Les parts sociales et actions : dans les sociétés civiles ou commerciales, les parts détenues par le défunt, tant qu’elles n’ont pas été transmises par cession, restent dans la masse indivise.
  • Les droits patrimoniaux : droits de créance, droits d’exploitation d’une entreprise individuelle ou droits attachés à des propriétés intellectuelles.

Le partage de ces biens dépend de leur existence au jour du partage. Dans un arrêt du 9 mai 9178, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « le partage ne peut porter que sur les biens qui existent encore à la date du partage » (Cass. 1ère civ., 9 mai 1978, n°76-12.646), soulignant ainsi la nécessité d’exclure les biens qui ont disparu de la masse successorale avant cette date, que ce soit par aliénation, consommation ou destruction.

==>Les libéralités rapportées ou réduites

En sus des biens existants au sens strict, les libéralités consenties à certains héritiers peuvent également entrer dans la masse à partager sous réserve de certaines conditions.

En effet, ces libéralités sont susceptibles d’être rapportées à la masse indivise ou réduites si elles excèdent la quotité disponible et portent atteinte à la réserve héréditaire.

L’article 843 du Code civil prévoit en ce sens que les héritiers réservataires sont tenus de rapporter à la masse successorale les biens dont ils ont pu bénéficier à titre de donation ou d’avantage indirect.

Deux situations sont à envisager :

  • Le rapport des libéralités
    • Il s’agit de remettre fictivement dans la masse successorale les biens reçus par un héritier en avance sur sa part d’héritage.
    • Ces biens peuvent être rapportés en nature (si le bien est resté dans le patrimoine de l’héritier) ou en valeur.
    • Le but est ici de préserver l’égalité entre les héritiers.
  • La réduction des libéralités
    • Si les donations ou legs consentis par le défunt dépassent la quotité disponible, ils peuvent être réduits pour protéger les droits des héritiers réservataires.
    • La réduction s’effectue en valeur ou en nature selon les modalités prévues par les articles 924 et suivants du Code civil.

Dans ces cas, même si les biens en question ont été donnés avant l’ouverture de la succession, leur valeur est réintégrée dans la masse à partager pour préserver l’égalité entre les cohéritiers.

2. L’évolution de la masse indivise jusqu’au partage

Il convient de souligner que la masse indivise à partager n’est pas figée. Elle peut évoluer entre l’ouverture de l’indivision et le partage définitif.

Pendant cette période, les biens peuvent être vendus, dégradés ou augmenter de valeur.

Par exemple, les immeubles indivis peuvent prendre de la valeur sur le marché immobilier ou au contraire subir une dépréciation en fonction des conditions économiques.

L’article 822 du Code civil précise que l’évaluation des biens indivis se fait à la date la plus proche du partage afin de tenir compte de ces fluctuations.

En cas d’augmentation de la valeur des biens, celle-ci bénéficie à l’ensemble des indivisaires.

De la même manière, toute dépréciation impacte collectivement les indivisaires. Les plus-values réalisées, par exemple en cas de gestion ou d’améliorations apportées aux biens indivis par un des cohéritiers, sont elles aussi réparties au prorata des droits indivisaires, sauf demande de remboursement pour les investissements réalisés (Cass. 1ère civ., 29 mai 1996, n°94-14.632).

3. L’importance d’une évaluation exhaustive des biens existants

Il est essentiel de procéder à une évaluation complète et précise de l’ensemble des biens existants au jour du partage.

L’omission d’un bien dans la masse indivise peut entraîner un partage complémentaire, quand bien même la valeur du bien omis est minime.

Dans d’une décision du 15 mai 2008, la Cour de cassation a rappelé en ce sens que « lorsqu’un bien est omis lors du partage, cela impose la réalisation d’un partage complémentaire, quelle que soit la valeur du bien omis » (Cass. 1ère civ., 15 mai 2008, n°06-19.416).

Cette règle vise à garantir que tous les biens constituant la masse successorale soient effectivement répartis entre les cohéritiers, protégeant ainsi les droits de chacun.

Aussi, sauf renonciation expresse d’un indivisaire à ses droits, l’omission d’un bien ne saurait priver un indivisaire de sa part dans ce bien. Le fait de ne pas avoir mentionné un bien dans le partage initial n’éteint donc pas les droits des indivisaires sur ce bien.

B) Les créances

Les créances indivises peuvent constituer une composante importante de l’actif à partager, car elles représentent des droits que l’indivision détient contre des tiers.

Elles peuvent prendre différentes formes : créances de nature contractuelle, créances liées à des droits de propriété, ou encore créances issues de la gestion des biens indivis.

Leur gestion au sein de l’indivision est encadrée par des principes stricts de répartition entre les indivisaires.

1. Le principe de division des créances

==>Énoncé du principe

En application de l’article 1309, al. 1er du Code civil, dès l’ouverture de l’indivision, les créances se divisent de plein droit entre les indivisaires, au prorata de leurs parts dans la succession.

Ce principe est applicable aussi bien en cas d’indivision successorale qu’en cas d’indivision conventionnelle. Cela signifie que chaque indivisaire devient titulaire de la fraction de la créance correspondant à sa quote-part dans l’indivision.

En pratique, cela permet à chaque indivisaire de réclamer directement sa part de la créance à un tiers débiteur. Cette règle vise à simplifier le recouvrement des créances tout en respectant les droits proportionnels de chacun des indivisaires.

==>Mise en œuvre du principe

Lorsqu’une créance indivise est recouvrée par un indivisaire, ce dernier doit s’assurer de ne percevoir que sa part proportionnelle.

Si un indivisaire reçoit un montant supérieur à sa quote-part dans la créance, il est tenu de rembourser l’excédent à ses coindivisaires. Cette obligation découle du principe d’équité qui régit l’indivision.

L’effet déclaratif du partage, prévu par l’article 883 du Code civil, joue un rôle important ici.

Lors du partage de l’indivision, chaque indivisaire est considéré comme ayant toujours été propriétaire exclusif des biens qui lui sont attribués depuis l’origine de l’indivision.

Cela signifie qu’une créance qui est partagée ne fait l’objet d’un transfert qu’au moment du partage, ce qui peut avoir des conséquences sur les paiements effectués avant le partage.

Si, par exemple, une créance successorale est cédée par un indivisaire avant le partage, cette cession pourrait être annulée si, au moment du partage, la créance est attribuée à un autre indivisaire.

Cela a été confirmé par la jurisprudence dans un arrêt ancien, mais encore souvent cité : Cass. req., 13 janv. 1909, qui rappelle que la cession d’une créance par un indivisaire avant partage est nulle si celui-ci n’en est pas attributaire lors du partage.

Dans cette affaire, un indivisaire avait cédé une créance successorale avant le partage de la succession.

Toutefois, au moment du partage, cette créance n’avait pas été attribuée au cédant, mais à un autre héritier. La Cour de cassation a jugé que cette cession était nulle, car l’indivisaire cédant n’avait pas été attributaire de la créance au moment du partage.

Il ressort de cette jurisprudence que, jusqu’au partage, l’indivisaire ne saurait valablement céder une créance indivise, car l’effet déclaratif du partage signifie qu’il n’est considéré comme ayant eu un droit exclusif sur cette créance qu’à partir du moment où elle lui est attribuée définitivement lors du partage.

En effet, l’effet déclaratif du partage, consacré par l’article 883 du Code civil, signifie que le partage ne fait que constater et déclarer des droits qui existaient depuis l’ouverture de la succession, mais que chaque héritier est censé avoir eu de manière exclusive sur les biens qui lui sont attribués.

Avant le partage, les biens de la succession sont indivis, et chaque indivisaire est copropriétaire de la totalité des biens à hauteur de sa quote-part. Un indivisaire ne peut donc céder un bien ou une créance tant que celui-ci n’a pas été précisément attribué à lui lors du partage.

Cette règle vise à préserver l’intégrité de la masse successorale jusqu’au partage et d’éviter des complications liées à des cessions de biens indivis avant leur attribution définitive.

2. Exception : les créances indivisibles

Toutes les créances ne sont pas divisibles entre les indivisaires. Certaines créances, en raison de leur nature, sont considérées comme indivisibles et doivent être recouvrées et partagées dans leur totalité par l’ensemble des indivisaires.

Un exemple typique est celui des indemnités d’expropriation, que la jurisprudence a qualifiées de créances indivisibles.

Dans une décision importante, la Cour de cassation a jugé que ces indemnités ne pouvaient pas être divisées entre les indivisaires, et devaient donc être partagées dans leur ensemble (Cass. 3e civ., 13 déc. 1995, n°94-86.191).

Dans cette affaire, une indemnité d’expropriation avait été accordée pour un bien appartenant à une indivision.

Le problème portait sur la manière dont cette indemnité devait être traitée et répartie entre les indivisaires, certains d’entre eux contestant les modalités de la répartition.

Plus précisément, la question soulevée était de savoir si une indemnité d’expropriation, touchant un bien indivis, pouvait être divisée entre les indivisaires ou si elle devait être considérée comme indivisible.

La Cour de cassation a jugé que l’indemnité d’expropriation d’un bien indivis est indivisible, confirmant ainsi que cette indemnité devait être partagée entre tous les indivisaires de manière globale.

Elle ne pouvait donc pas, en d’autres termes, être divisée et recouvrée séparément par chaque indivisaire en fonction de sa quote-part dans l’indivision.

Il s’en déduit qu’une créance liée à l’indemnité d’expropriation d’un bien indivis est insusceptible de faire l’objet d’une division proportionnelle comme les autres créances ordinaires de l’indivision.

La raison en est que l’indivisibilité de l’indemnité d’expropriation repose sur la nature même de cette indemnité, qui est censée compenser la perte d’un bien indivis dans son ensemble.

Le bien étant indivis, l’indemnité qui le remplace doit également être considérée comme indivise et répartie globalement entre les co-indivisaires au moment du partage.

La jurisprudence justifie cette position par la nécessité de maintenir la cohérence de l’indemnisation en cas d’expropriation d’un bien indivis.

Puisque le bien appartient en commun à tous les indivisaires, l’indemnité accordée par les autorités expropriantes est considérée comme une créance unique et indivisible, à répartir seulement après avoir été reçue globalement par l’indivision.

Il peut être observé que le caractère indivisible d’une créance peut également se retrouver dans d’autres situations, notamment lorsque la nature même de l’obligation le rend impossible. Cela peut notamment concerner des créances liées à des préjudices moraux, ou des obligations contractuelles spécifiques.

C) Les biens subrogés

La subrogation réelle consiste à substituer dans un patrimoine une chose par une autre.

Il en va ainsi lorsqu’un bien mobilier ou immobilier dont est propriétaire une personne est remplacé par une somme d’argent correspondant à la valeur du bien remplacé.

Cette somme d’argent peut consister en un prix de vente, à une indemnité d’assurance ou encore à une indemnité d’expropriation.

La particularité de la subrogation réelle est donc qu’elle opère le remplacement dans un bien par un autre, sans pour autant modifier le rapport de propriété préexistant liant le propriétaire à la chose.

C’est là le sens de l’adage subrogatum capit naturam subrogi, soit ce qui est subrogé prend la nature de ce à quoi il est subrogé.

La conséquence en est que la subrogation n’affecte pas le droit réel exercé par le propriétaire ; elle substitue seulement son objet.

A cet égard, le mécanisme de la subrogation réelle trouve une application dans le régime des indivisions, particulièrement lorsque des biens sont vendus, détruits ou remplacés.

La subrogation permet ainsi d’assurer la continuité de la masse indivise, en substituant à un bien disparu un équivalent en nature ou en valeur (prix de vente, indemnité, créance, etc.). L’objectif est de préserver les droits des indivisaires et de maintenir la cohérence de l’actif indivis jusqu’au partage.

En pratique, cela signifie que le bien subrogé, bien qu’il diffère dans sa forme ou sa valeur, continue à appartenir à la masse indivise et reste soumis aux règles qui gouvernent le partage.

Le principe de la subrogation réelle est issu de l’arrêt Chollet-Dumoulin rendu par les chambres réunies de la Cour de cassation le 5 décembre 1907 (Cass. ch. Réunies, 5 déc. 1907).

Dans cette affaire, les indivisaires avaient vendu un bien immobilier indivis et une contestation était née quant à la répartition du prix de vente.

La question portait sur le fait de savoir si le prix de vente devait être considéré comme faisant partie de la succession et partagé entre les indivisaires, ou s’il pouvait être exclu de la masse indivise.

La Cour de cassation a tranché en faveur de l’intégration du prix de vente à la masse indivise, affirmant que le produit de la vente d’un bien indivis devait être considéré comme un « effet de succession ».

Le prix de vente remplace donc le bien vendu et devient un bien subrogé à répartir entre les indivisaires de la même manière que le bien lui-même aurait été partagé. Cet arrêt a posé le fondement de la subrogation réelle, garantissant ainsi que la vente d’un bien indivis n’entraîne pas la perte de valeur pour les indivisaires mais simplement son transfert sur une somme d’argent.

Dès lors, la subrogation réelle peut intervenir selon deux modalités principales :

  • La subrogation automatique
    • Lorsqu’elle est automatique, la subrogation réelle joue de plein droit.
    • Ce mécanisme est mise en oeuvre dès lors qu’un bien indivis est aliéné ou détruit, sans nécessiter l’accord des indivisaires.
    • Par exemple, le prix de vente d’un bien indivis ou une indemnité d’assurance en cas de destruction entre automatiquement dans la masse indivise.
    • Ce principe de subrogation automatique assure que les droits des indivisaires sur les biens aliénés sont préservés et reportés sur la somme obtenue en contrepartie.
  • La subrogation volontaire
    • Il est des cas où pour produire ses effets, la subrogation requiert le consentement des indivisaires, notamment en matière d’emploi ou de remploi de biens indivis.
    • Ici, le produit de la vente d’un bien indivis peut être réinvesti dans l’acquisition d’un nouveau bien, à condition que tous les indivisaires y consentent.
    • Ce nouveau bien deviendra alors lui-même indivis, mais seulement si les cohéritiers acceptent explicitement cette opération.

1. La subrogation automatique : un principe général

La subrogation réelle est, en principe, automatique et s’applique de plein droit dès lors qu’un bien indivis est aliéné ou détruit.

Ce principe est consacré par l’article 815-10 du Code civil, qui prévoit que les créances et indemnités venant remplacer des biens indivis entrent automatiquement dans la masse indivise.

Ainsi, les indivisaires conservent-ils leurs droits, non plus sur le bien initial, mais sur la somme ou l’indemnité qui le remplace.

La subrogation automatique est susceptible de jouer dans plusieurs situations :

  • Vente d’un bien indivis : le prix de vente comme bien subrogé
    • Lorsqu’un bien indivis est vendu, le prix de vente se substitue automatiquement au bien vendu et intègre la masse indivise.
    • Cette subrogation a pour effet de remplacer le bien physique par une créance pécuniaire, qui est alors partagée entre les indivisaires selon leurs droits dans l’indivision.
    • Ainsi, les indivisaires conservent une quote-part dans le produit de la vente.
    • C’est ce principe que l’arrêt Chollet-Dumoulin est venu consacrer (Cass. ch. Réunies, 5 déc. 1907).
    • Ce principe garantit que la vente d’un bien indivis ne prive pas les indivisaires de leurs droits, mais simplement les reporte sur une somme d’argent.
  • Indemnité d’assurance : subrogation en cas de destruction d’un bien
    • En cas de destruction d’un bien indivis, par exemple à la suite d’un sinistre, l’indemnité d’assurance versée en réparation du dommage se substitue automatiquement au bien détruit.
    • Cette indemnité est intégrée dans la masse indivise et se partage entre les indivisaires selon leurs parts respectives.
    • Ce principe a été confirmé par l’arrêt Cass. 1re civ., 19 mars 2014, dans lequel la Cour de cassation a jugé que l’indemnité d’assurance subrogée à un bien indivis détruit doit être intégrée à l’indivision, même si son montant dépasse la valeur initiale du bien détruit.
    • Le juge du partage n’a aucun pouvoir pour discuter le montant de l’indemnité ; il doit l’intégrer intégralement à l’actif indivis (Cass. 1ère civ. 19 mars 2014, n° 13-12.578).
  • Créances successorales : annulation des cessions avant partage
    • Un autre exemple de subrogation réelle se retrouve dans le cas des créances successorales.
    • Si un indivisaire cède une créance avant le partage et que cette créance n’est finalement pas attribuée à cet indivisaire au moment du partage, la cession est annulée.
    • C’est le principe de l’effet déclaratif du partage qui est à l’œuvre ici, comme l’a affirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 13 janvier 1909 (Cass. req., 13 janvier 1909).
    • Dans cette affaire, un indivisaire avait cédé une créance successorale avant le partage.
    • Toutefois, au moment du partage, cette créance n’avait pas été attribuée au cédant, mais à un autre héritier.
    • La Cour de cassation a jugé que la cession de cette créance était nulle, car l’indivisaire cédant n’était pas devenu propriétaire exclusif de la créance avant le partage.
    • Cet arrêt confirme que, tant que le partage n’a pas eu lieu, les droits des indivisaires sur les biens de la succession sont indivis et ne peuvent pas faire l’objet d’une cession indépendante par un seul co-indivisaire.
    • Ce principe s’infère de l’article 883 du Code civil, selon lequel le partage a un effet déclaratif : il ne crée pas de nouveaux droits mais attribue à chaque indivisaire la portion de biens à laquelle il avait déjà droit depuis l’ouverture de la succession.
    • Ainsi, la cession d’un bien indivis avant le partage n’est valable que si le bien est effectivement attribué à l’indivisaire cédant au moment du partage.

2. La subrogation volontaire : emploi et remploi des biens indivis

Par exception, certaines situations de subrogation réelle ne sont pas automatiques et requièrent le consentement des indivisaires.

Cela concerne principalement les cas d’emploi et de remploi, où le prix de vente d’un bien indivis ou une indemnité est réinvesti dans un nouveau bien. Cette forme de subrogation est dite volontaire, car elle requiert l’accord unanime des indivisaires.

En effet, l’emploi et le remploi sont des mécanismes qui permettent de réinvestir les sommes issues de la vente d’un bien indivis dans l’acquisition d’un nouveau bien.

Ce nouveau bien devient alors indivis, à condition que tous les indivisaires aient donné leur consentement.

L’article 815-10 du Code civil précise en ce sens que les biens acquis en emploi ou en remploi de biens indivis ne peuvent être eux-mêmes indivis que si tous les indivisaires ont consenti à cette opération.

Ce consentement est indispensable pour éviter que l’un des indivisaires ne soit contraint d’accepter l’acquisition d’un nouveau bien en indivision contre son gré. En l’absence d’accord unanime, seul le prix de vente ou l’indemnité d’assurance reste dans la masse indivise, mais aucun nouveau bien ne peut être intégré à l’indivision.

La jurisprudence a confirmé à plusieurs reprises le caractère volontaire de l’emploi et du remploi, notamment à travers d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 février 1996 (Cass. 1ère civ., 20 févr. 1996, 93-21.141)

Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si les opérations de gestion effectuées par le gérant d’une indivision, en utilisant des fonds indivis pour acquérir de nouveaux biens, pouvaient être considérées comme ayant été réalisées au profit de l’indivision.

L’époux, qui était le gérant de l’indivision post-communautaire, avait effectué des achats avec les deniers indivis. Le litige portait sur la question de savoir si ces biens nouvellement acquis devaient être considérés comme des biens indivis, au titre de la subrogation réelle.

La Cour de cassation a confirmé que les opérations de remploi effectuées par le gérant d’une indivision post-communautaire étaient valables, sous réserve que ces opérations aient été réalisées avec le consentement des indivisaires ou, à défaut, dans l’intérêt de l’indivision.

En l’espèce, la Cour a jugé que toutes les acquisitions réalisées par le gérant avec des deniers indivis l’avaient été volontairement pour le compte de l’indivision, car il avait agi dans l’intérêt de celle-ci et avec l’accord implicite des autres indivisaires.

Ainsi, la simple utilisation de deniers indivis ne suffit donc pas à opérer une subrogation ; il faut également une intention manifeste d’acquérir pour le compte de l’indivision.

En revanche, si l’emploi ou le remploi a lieu sans le consentement de tous les indivisaires, la subrogation ne pourra pas être imposée. Dans ce cas, seule la somme d’argent, comme le prix de vente ou l’indemnité, restera dans la masse indivise.

En cas de désaccord entre les indivisaires sur la question du remploi, il est possible de demander l’intervention du juge.

L’article 815-6 du Code civil permet au tribunal judiciaire de prendre des mesures urgentes pour protéger les intérêts de l’indivision, notamment en autorisant une opération de remploi en l’absence d’accord unanime.

De même, l’article 815-5 du Code civil permet à un indivisaire d’agir seul en cas de gestion d’affaires, à condition que cela soit dans l’intérêt commun et justifié par l’urgence ou la conservation du bien.

D) Les biens à caractère personnel

Certains biens, bien qu’ayant un caractère personnel, peuvent être inclus dans la masse partageable de l’indivision, mais sous certaines conditions particulières.

La jurisprudence a établi une distinction essentielle entre la titularité (ou le titre) de ces biens, qui reste personnelle et intransmissible, et leur valeur économique, qui, elle, peut être intégrée à la masse indivise et partagée entre les coindivisaires.

Ce principe de distinction entre le titre et la valeur permet de concilier le caractère personnel de certains biens avec la nécessité de partager leur valeur économique dans une indivision. Il trouve son origine dans la gestion des offices ministériels et a ensuite été transposé à d’autres types de biens présentant des caractéristiques similaires, comme les parts sociales ou les clientèles professionnelles.

1. Origine de la distinction entre le titre et la finance

Les offices ministériels (notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs, etc.) illustrent bien la distinction entre le titre et la finance car ils se caractérisent par deux aspects distincts :

  • Le titre, qui confère à son titulaire l’autorisation d’exercer une mission de service public. Ce titre, octroyé par l’État, est strictement personnel, car il repose sur des qualifications spécifiques et des agréments particuliers liés à la personne du titulaire. En raison de ce caractère personnel, la titularité d’un office ne peut être cédée ou partagée dans le cadre d’une indivision.
  • La finance, ou la valeur économique de l’office, est en revanche patrimoniale. Cette valeur correspond au prix de marché de l’office et peut être partagée, notamment lors d’une succession ou d’un partage. Ainsi, même si le titre reste propre au titulaire, la valeur patrimoniale de l’office (appelée finance) peut être incluse dans la masse indivise et partagée entre les indivisaires.

Cette distinction a été consacré par la jurisprudence, notamment pour éviter que les coindivisaires ou le conjoint d’un titulaire d’office ne puissent revendiquer la titularité de l’office, tout en leur permettant de bénéficier de la valeur économique qu’il représente.

2. Extension de la distinction à d’autres biens à caractère personnel

Au fil du temps, cette distinction entre le titre et la valeur a été transposée à d’autres biens à caractère personnel, tels que les parts sociales dans des sociétés de personnes, les clientèles professionnelles, ou encore certaines concessions administratives.

==>Les parts dans des sociétés de personnes

Dans les sociétés de personnes, comme les sociétés civiles ou les SNC (Société en Nom Collectif), la qualité d’associé repose sur une relation de confiance (intuitu personae) entre les associés.

La titularité des parts sociales est donc strictement personnelle et intransmissible sans l’accord des autres associés.

Cependant, la valeur patrimoniale de ces parts peut entrer dans la masse indivise et être partagée entre les indivisaires au moment du partage.

==>Les clientèles professionnelles

La clientèle d’un professionnel (médecin, avocat, notaire) repose sur une relation de confiance personnelle avec les clients, ce qui la rend intransmissible.

Toutefois, la valeur économique de cette clientèle peut être incluse dans l’actif indivis.

Par exemple, lors de la liquidation d’une indivision post-communautaire, la valeur patrimoniale de la clientèle peut être évaluée et partagée entre les indivisaires, bien que la titularité de la clientèle reste propre au professionnel.

==>Les concessions administratives

Un autre exemple de cette distinction peut être trouvé dans les concessions administratives, telles que les concessions de parcs à huîtres.

Dans un arrêt du 8 décembre 1987, la Cour de cassation a jugé que la concession, en tant que droit personnel, était intransmissible. Toutefois, la valeur patrimoniale de cette concession pouvait entrer dans la masse commune ou indivise, permettant ainsi de protéger l’intérêt économique des indivisaires ou du conjoint (Cass. 1ère civ. 8 déc. 1987, n°86-12426).

3. Application de la distinction dans le cadre de l’indivision

La distinction entre le titre et la finance s’applique donc dans plusieurs cas où le bien est personnel, mais présente une valeur patrimoniale importante. Elle permet de protéger l’aspect personnel du bien, tout en offrant aux indivisaires la possibilité de partager la valeur économique de ce bien.

La jurisprudence est claire : la titularité de certains biens à caractère personnel (parts sociales, offices ministériels, clientèles professionnelles) reste strictement attachée à la personne du titulaire.

Cette intransmissibilité s’explique par les qualités spécifiques requises pour exercer certains droits ou fonctions, ou encore par la relation de confiance personnelle qui caractérise certains types de biens.

En revanche, même si la titularité ne peut être partagée, la valeur économique du bien peut entrer dans la masse indivise. Cela permet d’assurer une équité entre les indivisaires, notamment lorsque le bien représente une part significative du patrimoine indivis. Lors du partage, la valeur de marché du bien est évaluée et incluse dans la masse à partager.

L’évaluation des biens à caractère personnel pour leur intégration dans la masse indivise se fait généralement au moment du partage. Leur valeur marchande est déterminée lors des opérations de liquidation et de partage de l’indivision, et cette valeur est répartie entre les indivisaires proportionnellement à leurs parts.

E) Les fruits et revenus

Les fruits et revenus générés par les biens indivis, tels que les loyers, les dividendes, les intérêts ou d’autres produits, sont des éléments essentiels susceptibles de faire l’objet d’un partage entre les indivisaires. Ces derniers, en s’ajoutant à la masse indivise, augmentent l’actif partageable et garantissent une répartition équitable entre les coindivisaires.

Ce principe est énoncé par l’article 815-10 du Code civil qui prévoit que « les fruits et les revenus des biens indivis accroissent à l’indivision ». Selon cette règle, les fruits et revenus bénéficient donc à l’ensemble des indivisaires, évitant qu’un seul ne tire un avantage exclusif des fruits générés par les biens communs.

1. Le principe d’accroissement de la masse indivise

L’objectif de cette règle est d’éviter qu’un indivisaire ne tire un bénéfice personnel des fruits produits par un bien indivis avant le partage, au détriment des autres indivisaires.

Ainsi, les fruits et revenus produits par les biens indivis ne reviennent pas directement à celui qui en a la gestion ou la jouissance temporaire, mais sont intégrés dans la masse indivise pour être partagés lors de la liquidation ou du partage de l’indivision.

Cet équilibre est particulièrement important dans le cadre des successions, où certains héritiers pourraient autrement profiter d’un bien frugifère (comme un immeuble locatif) avant le partage, alors que d’autres ne recevraient qu’un bien non frugifère.

Le fait que les fruits soient inclus dans la masse indivise permet de garantir une égalité entre les héritiers et de compenser les écarts liés à la nature des biens attribués lors du partage.

Ce principe a été consacré depuis longtemps par la jurisprudence, notamment par un arrêt de la Cour de cassation du 20 juillet 1858, qui reprend l’adage latin « fructus augent hereditatem », soit les fruits augmentent l’héritage (Cass. civ. 20 juill. 1858).

Ce principe veut que tous les fruits et revenus générés par les biens indivis bénéficient à l’ensemble des indivisaires et non à un seul.

2. Typologie des fruits et revenus

Les fruits et revenus des biens indivis peuvent prendre plusieurs formes :

  • Les fruits naturels
    • Les fruits naturels sont les produits qui proviennent des biens immobiliers sans intervention humaine excessive.
    • On compte dans cette catégorie notamment :
      • Les récoltes agricoles issues de terrains indivis utilisés pour l’agriculture.
      • Les produits forestiers comme le bois provenant de forêts indivises, ou encore la résine et autres produits naturels exploitables.
    • Les fruits naturels se distinguent par le fait qu’ils sont directement générés par la nature et peuvent être récoltés régulièrement sans affecter la substance du bien d’origine (par exemple, couper du bois dans une forêt sans détruire le terrain). Ces revenus doivent être répartis entre les coindivisaires au moment du partage, sauf si une convention ou un accord a prévu une répartition antérieure.
  • Les fruits civils
    • Les fruits civils représentent les produits réguliers résultant de l’exploitation de biens indivis, souvent en vertu de contrats conclus avec des tiers. Contrairement aux fruits naturels, les fruits civils nécessitent une gestion active du bien pour en percevoir les revenus.
    • Ils incluent notamment :
      • Les loyers perçus d’un bien immobilier indivis mis en location. Les revenus locatifs sont considérés comme des fruits civils qui s’ajoutent à la masse indivise.
      • Les dividendes provenant de parts sociales ou d’actions détenues en indivision. Si les indivisaires détiennent des titres financiers indivis, les dividendes versés par la société émettrice sont également intégrés à l’actif indivis.
      • Les redevances issues de contrats de concession ou d’exploitation, comme la gestion d’un fonds de commerce indivis ou la mise en valeur de propriétés intellectuelles détenues en indivision.
    • Les fruits civils sont souvent générés sur une base contractuelle et impliquent une perception périodique (mensuelle, trimestrielle, annuelle, etc.).
    • Ces revenus, comme les loyers ou dividendes, doivent être partagés entre les indivisaires en fonction de leurs parts dans l’indivision.
    • Si un indivisaire a géré seul un bien et perçu des loyers ou des dividendes, il est tenu de les partager avec les autres, sous peine de devoir indemniser l’indivision.
  • Les intérêts
    • Les intérêts perçus dans le cadre d’une indivision résultent de placements financiers ou de créances indivises.
    • Ces revenus peuvent provenir de différentes sources, telles que :
      • Les créances indivises qui génèrent des intérêts, comme un prêt consenti par l’indivision à un tiers. Dans ce cas, les intérêts perçus doivent être répartis entre les indivisaires.
      • Les placements financiers, comme des comptes bancaires, des livrets d’épargne ou des obligations détenues par l’indivision. Les intérêts générés par ces placements viennent également augmenter la masse indivise.
    • Les intérêts, qu’ils soient issus de créances ou de placements financiers, sont des revenus passifs, ne nécessitant pas une gestion active mais dépendant du temps et des conditions contractuelles.
    • Ils sont perçus à échéances régulières et augmentent la masse à partager au moment de la liquidation de l’indivision.

Tous ces revenus, qu’ils proviennent de fruits naturels, de fruits civils ou encore d’intérêts, augmentent donc systématiquement la masse indivise et doivent être partagés entre les indivisaires lors de la liquidation de l’indivision.

Leur répartition se fait en fonction des parts respectives de chaque indivisaire dans l’indivision.

Ce mécanisme permet d’éviter qu’un indivisaire ne bénéficie exclusivement des produits générés par le bien indivis avant le partage, ce qui pourrait entraîner des situations inéquitables.

En pratique, les revenus sont généralement conservés ou placés sur un compte commun au nom de l’indivision jusqu’au partage.

Si un indivisaire a perçu des fruits ou revenus sans les partager, il est tenu de restituer l’excédent aux autres indivisaires. Ce mécanisme vise à garantir l’équité entre les coindivisaires et à préserver les intérêts de chacun.

F) Les plus-values et moins-values

Dans le cadre d’une indivision, les plus-values et les moins-values réalisées sur les biens indivis constituent des éléments susceptibles d’être intégrés au partage. Ces variations de valeur, qu’elles résultent d’évolutions économiques, d’investissements ou encore de la gestion active des biens par l’un des indivisaires, influencent directement l’équilibre patrimonial au sein de l’indivision.

Le partage de ces fluctuations vise à garantir que chaque indivisaire bénéficie ou supporte les effets des changements affectant la valeur des biens indivis, conformément à ses droits dans l’indivision. Ce mécanisme assure une répartition équitable, tenant compte des enrichissements ou des diminutions de valeur intervenus pendant la période indivise.

Lors de la liquidation de l’indivision, les plus-values et moins-values sont évaluées au moment du partage, permettant une prise en compte actualisée des biens indivis. Ainsi, ces variations s’intègrent dans la répartition, traduisant une juste répartition des bénéfices ou pertes accumulés au cours de la gestion collective.

1. Les plus-values dans l’indivision

Les plus-values réalisées sur les biens indivis constituent des éléments importants pouvant faire l’objet d’un partage. Ces plus-values peuvent résulter de plusieurs facteurs :

  • L’évolution naturelle des prix du marché immobilier ou financier. Par exemple, une augmentation du prix de l’immobilier peut générer une plus-value sur un immeuble détenu en indivision.
  • Les investissements réalisés sur les biens indivis, tels que des travaux d’amélioration ou de rénovation, qui augmentent la valeur des biens. Ces investissements peuvent être réalisés soit par l’ensemble des indivisaires, soit par un seul indivisaire.

Lorsqu’une plus-value est constatée, elle bénéficie à l’ensemble des indivisaires, indépendamment de celui qui aurait initié les travaux ou géré le bien. Conformément au principe d’équité, toute augmentation de la valeur des biens indivis est répartie proportionnellement entre les indivisaires, chacun percevant une part en fonction de ses droits dans l’indivision.

Cependant, lorsqu’une plus-value est le résultat direct de la gestion active d’un bien indivis par un indivisaire (par exemple, dans le cadre de la gestion d’un fonds de commerce indivis), cet indivisaire a la possibilité de réclamer une rémunération pour sa gestion.

Cette règle a été consacrée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 29 mai 1996 aux termes duquel elle a reconnu que la plus-value résultant de la gestion par un indivisaire accroît l’actif indivis, mais que cet indivisaire peut être indemnisé pour son activité de gestion (Cass. 1re civ., 29 mai 1996, n°94-14.632).

Dans cette affaire, un époux avait continué à gérer un fonds de commerce après la dissolution de la communauté post-communautaire, mais alors que les biens étaient encore en indivision.

Sa gestion avait permis une augmentation de la valeur du fonds de commerce, générant ainsi une plus-value.

Le litige portait sur la question de savoir si cette plus-value devait revenir uniquement à l’époux ayant géré le fonds, ou si elle devait être partagée entre les autres indivisaires.

La Cour de cassation a jugé que la plus-value résultant de la gestion d’un indivisaire sur un bien indivis accrue à l’indivision, c’est-à-dire qu’elle devait bénéficier à tous les indivisaires.

Cependant, la Cour a également précisé que l’indivisaire ayant géré le fonds pouvait demander une rémunération pour sa gestion, sous réserve que cette gestion ait été dans l’intérêt commun de l’indivision.

L’octroi de cette rémunération permet de compenser l’effort de gestion tout en préservant le principe que les fruits de l’indivision doivent être partagés.

La rémunération accordée à l’indivisaire peut prendre plusieurs formes, comme une indemnité de gestion ou une participation aux bénéfices générés par le bien. Cette indemnisation est soumise à l’approbation des autres indivisaires ou, à défaut, à une décision judiciaire en cas de désaccord.

2. Les pertes dans l’indivision

Les pertes subies par les biens indivis peuvent également faire l’objet d’un partage entre les indivisaires, conformément au principe de proportionnalité des droits dans l’indivision.

Ces pertes, qu’elles soient liées à des circonstances économiques, des incidents ou une gestion déficiente, impactent collectivement la masse partageable au moment de la liquidation de l’indivision.

Ces pertes peuvent être dues à plusieurs facteurs, tels que :

  • Des dépréciations économiques : une baisse du marché immobilier, par exemple, peut entraîner une diminution de la valeur des biens indivis, affectant ainsi la masse partageable lors de la liquidation.
  • Des incidents ou sinistres : un bien indivis endommagé par un sinistre (incendie, inondation, etc.) peut entraîner des pertes financières, à moins qu’une indemnité d’assurance ne compense cette perte.
  • La mauvaise gestion des biens indivis : si les biens indivis sont mal entretenus ou sous-exploités, leur valeur peut diminuer, entraînant une perte pour l’ensemble des indivisaires.

Cependant, la jurisprudence prévoit une exception importante : si les pertes sont imputables à la faute ou à la négligence d’un indivisaire, celui-ci peut être tenu pour responsable personnellement de ces pertes.

Par exemple, si un indivisaire, en tant que gérant des biens indivis, a pris des décisions qui ont causé une dégradation importante de la valeur des biens ou des pertes financières injustifiées, il pourrait être tenu de compenser ces pertes au bénéfice des autres indivisaires.

Cette responsabilité est souvent invoquée dans les cas où un indivisaire gère un bien indivis de manière négligente ou en ne tenant pas compte de l’intérêt commun de tous les coindivisaires.

II) Estimation des biens à partager

A) Estimation des biens corporels

1. Modes d’estimation

L’estimation des biens à partager constitue une étape importante sinon déterminante dans l’établissement de la masse partageable. Elle vise à garantir une répartition équitable entre les indivisaires, en tenant compte de la valeur des biens à partager. Dans le cadre d’un partage amiable, les parties peuvent convenir elles-mêmes de l’évaluation des biens. En revanche, en l’absence d’accord, elle est assurée par le juge.

En effet, à défaut d’accord entre les copartageants, l’estimation des biens incombe au tribunal. Celui-ci se fonde sur le projet d’état liquidatif établi par le notaire et, le cas échéant, sur l’expertise judiciaire ordonnée à cette fin. Ce rôle du juge, anciennement empreint de rigidité, s’est considérablement assoupli au fil des réformes.

Historiquement, les articles 466 et 824 du Code civil, ainsi que les dispositions de l’ancien Code de procédure civile, imposaient une expertise obligatoire pour l’estimation des immeubles. La loi du 2 juin 1841 et ses évolutions ultérieures ont toutefois conféré au juge une liberté discrétionnaire dans le recours à cette mesure. Désormais, l’expertise immobilière est facultative, même en présence d’incapables, une solution également retenue pour les meubles (Cass. 1ère civ., 28 avril 1964).

La réforme opérée par la loi du 23 juin 2006 a renforcé le rôle du notaire dans les opérations de partage. Alors que l’ancien article 828 du Code civil limitait ses fonctions à l’établissement des comptes et à la composition des lots, le notaire peut désormais procéder à l’estimation des biens mobiliers et immobiliers. Cette compétence élargie, prévue par l’article 1364 du Code de procédure civile, vise à simplifier et accélérer les procédures de partage.

En pratique, le notaire peut s’adjoindre un expert en cas de complexité particulière, notamment pour des biens dont la valeur ou la consistance est difficile à établir. À titre d’exemple, un notaire commis dans une succession comprenant une collection d’art pourrait solliciter un expert pour évaluer précisément les œuvres, une tâche nécessitant une expertise spécialisée.

Lorsque l’intervention d’un expert est requise, celle-ci peut être décidée soit par le notaire, soit directement par le tribunal. Conformément à l’article 232 du Code de procédure civile, les parties peuvent proposer un expert de leur choix. À défaut d’accord, le tribunal désigne un technicien, qui agit dans le cadre des règles applicables aux mesures d’instruction (art. 232 à 248 et 263 à 284 CPC).

Il est également possible de recourir à une mesure d’instruction in futurum (art. 145 CPC), permettant d’anticiper l’évaluation des biens avant même l’introduction d’une demande en partage. Cette solution se révèle particulièrement utile dans les situations urgentes, comme l’évaluation d’un bien risquant de se dégrader.

Certains biens nécessitent des modalités d’estimation particulières. Par exemple, dans le cas des biens de famille insaisissables, leur évaluation devait, sous l’empire de la loi du 12 juillet 1909, être confiée à l’Office agricole du département et homologuée par le juge d’instance.

Par ailleurs, pour garantir une estimation précise, le tribunal peut enjoindre aux parties de communiquer aux experts tous les documents pertinents. À titre d’illustration, dans une affaire où les actions d’une société figurent parmi les actifs, les juges peuvent contraindre la société à fournir des documents financiers non accessibles aux actionnaires (Cass. com., 10 février 1969).

Le juge commis joue un rôle de supervision tout au long de la mesure d’expertise. Il peut notamment adapter la mission de l’expert, gérer les délais, ou encore procéder à son remplacement en cas de défaillance. Ces prérogatives, prévues par les articles 234, 236, 241 et 279 du Code de procédure civile, garantissent la bonne exécution de la mission confiée.

2. Critères d’estimation

L’estimation des biens à partager doit refléter la valeur vénale des biens, tout en tenant compte de leurs caractéristiques matérielles et juridiques. Cette évaluation, destinée à garantir une répartition équitable entre les indivisaires, obéit à des critères rigoureux que le notaire ou l’expert désigné devra scrupuleusement respecter.

Historiquement, l’article 825 du Code civil imposait que l’estimation des biens soit réalisée « à juste prix et sans crue », une précision devenue aujourd’hui inutile tant il est évident que l’évaluation doit refléter la juste valeur marchande. Ce principe, destiné à prévenir les sous-estimations ou les surévaluations arbitraires, constitue le fondement de toute estimation dans le cadre des opérations de partage. Il garantit une base équitable sur laquelle s’appuient les indivisaires et le tribunal.

Pour déterminer leur juste valeur, il est essentiel d’évaluer les biens en tenant compte de leur état, entendu comme l’ensemble de leurs caractéristiques matérielles et juridiques. Cela implique d’examiner des éléments tels que leur consistance, leur localisation, leur état de conservation, ainsi que les droits réels ou les charges qui les affectent. Ces aspects, qui influencent directement la valeur vénale, doivent être scrupuleusement pris en compte.

Ainsi, un bien immobilier situé dans une zone urbaine recherchée ou bénéficiant d’une desserte optimale verra sa valeur significativement accrue. En revanche, un bien grevé d’un bail commercial ou frappé d’une hypothèque sera nécessairement déprécié. Par exemple, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 17 mars 1987 qu’un immeuble loué devait être évalué en tenant compte de la dépréciation résultant du bail en cours, sauf si l’attributaire du bien est également le locataire, auquel cas l’évaluation se fait comme si le bien était libre (Cass. 1ère civ. 1re, 17 mars 1987, n°85-15.700).

Dans cette affaire, un domaine agricole grevé d’un bail à ferme avait été attribué à titre préférentiel au preneur, en l’occurrence l’un des héritiers. La Cour d’appel avait initialement suivi l’expertise, qui proposait une réduction de 20 % de la valeur du bien pour tenir compte du bail. Toutefois, elle avait ensuite estimé, à juste titre selon la Cour de cassation, que ce bail devait être considéré comme éteint du fait de la réunion sur la tête de l’attributaire des qualités de propriétaire et de fermier. Cette confusion des qualités, engendrée par l’attribution préférentielle, rendait donc l’abattement inopérant.

La Cour de cassation a ainsi confirmé que l’évaluation d’un bien grevé d’un bail devait, en cas d’attribution au locataire, être réalisée comme si le bien était libre, car l’attributaire recueillait en réalité une pleine propriété, dénuée de toute occupation locative.

En matière immobilière, les critères d’estimation incluent non seulement les caractéristiques intrinsèques du bien, mais également son potentiel futur. La consistance du bien, sa situation géographique, sa constructibilité, ainsi que les perspectives offertes par son classement en zone constructible ou urbanisable sont autant de facteurs à considérer. Les juges, lorsqu’ils évaluent une parcelle de terrain, peuvent tenir compte de la valeur qu’elle prendrait en raison de sa qualité de terrain à bâtir, y compris lorsque cette qualité repose sur des perspectives d’urbanisation futures. Dans un arrêt du 9 juillet 1985, la Cour de cassation a jugé en ce sens que la valeur actuelle d’un bien peut être appréciée en fonction d’un élément futur, dès lors que cet élément est pertinent pour déterminer les intérêts en présence.

En l’espèce, une parcelle cadastrée a été évaluée en tenant compte de l’éventuelle valeur qu’elle prendrait si elle obtenait la qualité de terrain constructible, perspective jugée suffisamment tangible pour justifier cette prise en considération. La Haute juridiction a confirmé que cette méthode, fondée sur une appréciation souveraine des juges du fond, ne violait pas la loi et pouvait être retenue pour refléter la réalité économique au jour du partage (Cass. 1ère civ., 9 juillet 1985, n°84-12.478).

En outre, l’existence d’un bail ou d’une autre forme d’occupation impacte nécessairement la valeur d’un bien lors de son évaluation dans le cadre d’un partage. Lorsqu’un domaine agricole grevé d’un bail rural est attribué à titre préférentiel, la Cour de cassation a jugé que la valeur du bien devait intégrer la dépréciation induite par ce bail, car celui-ci, strictement personnel au preneur, ne s’éteint pas du fait du partage (Cass. 1ère civ., 21 novembre 1995, n°93-17.719).

Dans cette affaire, un domaine agricole avait été attribué à titre préférentiel à une héritière, dont le mari était titulaire d’un bail rural sur cette exploitation. Un abattement de 30 % avait été proposé par l’expert en raison de l’existence de ce bail. La sœur de l’attributaire contestait cette évaluation, soutenant que le bien devait être estimé comme s’il était libre, au motif que la condition de participation à la mise en valeur de l’exploitation, exigée pour l’attribution préférentielle, avait été remplie par le mari preneur.

La Cour de cassation, confirmant la décision de la cour d’appel, a rejeté cet argument en précisant que le bail rural, étant un droit strictement personnel au preneur, ne tombait pas en communauté et continuait donc de grever le bien attribué. Elle a souligné que la règle de l’égalité du partage imposait que le bien soit évalué en tenant compte de cette charge, malgré l’attribution préférentielle. La condition de participation à la mise en valeur de l’exploitation, bien que remplie par le conjoint preneur, n’avait pas pour effet de rendre le bien libre de toute occupation.

S’agissant des biens meubles, bien que répondant aux mêmes principes, ils requièrent l’utilisation d’une méthode d’évaluation adaptée à leur nature. Pour les meubles courants, l’évaluation repose généralement sur leur valeur marchande, déterminée par comparaison avec des biens similaires. Pour les biens spécifiques, tels que des œuvres d’art ou des valeurs mobilières non cotées, il peut être nécessaire de recourir à une expertise spécialisée. Ainsi, une collection d’art devra être évaluée en tenant compte de la cote des artistes et des tendances du marché, une tâche exigeant une compétence technique particulière.

L’évaluation des biens, qu’ils soient immobiliers ou meubles, s’appuie souvent sur la méthode comparative, qui consiste à confronter le bien à des références similaires sur le marché. Cette approche, utilisée notamment pour les terrains ou les exploitations agricoles, permet de garantir une estimation précise et objective. Les notaires ou experts peuvent s’appuyer sur les données fournies par des organismes spécialisés tels que les chambres notariales ou la SAFER, qui offrent des points de référence fiables.

En cas de litige sur la valeur d’un bien, les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain pour déterminer les bases de l’évaluation. Ils peuvent fonder leur estimation sur des critères économiques ou patrimoniaux propres au bien en cause, en s’appuyant sur les usages du secteur concerné. Par exemple, dans un arrêt rendu le 24 novembre 1969, la Cour de cassation a confirmé qu’un fonds de commerce devait être évalué selon les bénéfices réalisés lors des deux dernières années, conformément aux pratiques du commerce concerné (Cass. 1ère civ., 24 nov. 1969).

Dans cette affaire, un fonds de commerce d’imprimerie, légué par testament, faisait l’objet de contestations quant à son évaluation dans le cadre de la liquidation successorale. La Cour d’appel avait estimé la valeur des éléments incorporels du fonds en retenant les bénéfices des deux dernières années, après avoir pris en considération la situation des locaux où l’imprimerie était exploitée. La Cour de cassation a validé cette approche, rappelant que les juges du fond, après avoir exposé leurs motifs, exercent une appréciation souveraine sur la méthode d’évaluation, pourvu qu’elle repose sur des éléments rationnels et cohérents avec les usages du commerce.

Cette solution illustre la marge de manœuvre accordée au juge pour établir une évaluation réaliste et équitable des biens en litige, tout en respectant les spécificités économiques du bien évalué. Elle met en lumière l’importance des données sectorielles et des pratiques professionnelles pour déterminer la juste valeur d’un fonds de commerce ou d’autres actifs comparables.

3. Moment de l’estimation

L’établissement de la masse partageable, dans le cadre d’une succession ou d’une indivision, repose sur une évaluation précise et équitable des biens. L’article 829 du Code civil consacre la règle selon laquelle ces biens doivent être estimés à leur valeur à la date dite de la jouissance divise, laquelle correspond à un moment proche de la réalisation du partage.

Si ce principe semble limpide, son application exige parfois des aménagements pour répondre à des situations particulières ou pour préserver l’équilibre entre les copartageants.

i. Principe

==>Evolution jurisprudentielle

Longtemps, la détermination de la date d’évaluation des biens composant la masse partageable a suscité d’intenses débats doctrinaux et jurisprudentiels, oscillant entre tradition formaliste et pragmatisme économique.

Dans les premiers temps, la jurisprudence semblait privilégier une approche fondée sur l’effet déclaratif du partage, selon laquelle les héritiers sont réputés propriétaires des biens qui leur sont attribués dès l’ouverture de la succession. Cette orientation conduisait naturellement à retenir, comme référence pour l’évaluation des biens, la date du décès du de cujus.

Ainsi, plusieurs arrêts de la Cour de cassation, rendus au cours du XIXe siècle, avaient consacré cette solution, notamment en matière successorale (Cass. req. 23 juin 1873, DP 1874.1.173) ainsi qu’en matière de communauté conjugale, où la dissolution du régime matrimonial marquait le point de départ de l’évaluation (Cass. req. 8 juin 1868, DP 1871.1.224).

Cette approche trouvait un certain écho dans la doctrine classique, attachée au respect de l’effet rétroactif du partage et à la logique patrimoniale de continuité des droits. Comme le notait déjà Gabriel Baudry-Lacantinerie, « l’évaluation à la date du décès se justifie par la continuité des droits successoraux, l’héritier étant censé propriétaire des biens dès cette date »[1].

Cependant, cette solution ne tarda pas à être remise en question par la pratique notariale, plus soucieuse de refléter la réalité économique des biens au moment où ils sont effectivement attribués aux copartageants. Il devenait en effet manifeste que, dans nombre d’hypothèses, un intervalle significatif s’écoulait entre la naissance de l’indivision et sa liquidation, exposant ainsi les biens à d’importantes variations de valeur. Or, une évaluation figée à la date de l’ouverture de la succession, sans tenir compte de ces fluctuations, risquait de fausser gravement l’équilibre entre les copartageants.

Ce constat, déjà perceptible dans la pratique des professionnels du droit, prit une dimension majeure dans le contexte de la dépréciation monétaire consécutive à la Première Guerre mondiale. À cet égard, le professeur Ripert relevait avec lucidité que « l’instabilité monétaire a bouleversé les règles applicables au partage des successions, rendant inacceptable toute évaluation des biens antérieure à leur répartition effective »[2]. Les biens immobiliers, les valeurs mobilières et les créances, soumis aux aléas économiques, pouvaient connaître des plus-values ou des moins-values substantielles, remettant en cause l’égalité des lots et, par conséquent, la justice même du partage.

Face à cette réalité économique, la pratique notariale s’est donc orientée vers une estimation au jour du partage, seule à même d’assurer une répartition équitable des biens, quelles que soient les évolutions intervenues pendant la durée de l’indivision.

La doctrine a rapidement pris acte de cette pratique professionnelle commandée par le pragmatisme. Pierre Hébraud notait ainsi que « la fixation de la date d’évaluation des biens au jour du partage est un impératif économique et social, car elle seule permet d’assurer une stricte égalité entre les copartageants »[3]. De manière similaire, Jacques Flour relevait que « toute évaluation des biens à une date antérieure à celle du partage aboutirait à des inégalités criantes, favorisant ou pénalisant certains héritiers de manière arbitraire, en fonction de l’évolution des marchés »[4].

La jurisprudence, initialement réticente à cette approche pragmatique, évolua progressivement sous l’influence de la doctrine et des besoins pratiques. C’est ainsi que, dès l’entre-deux-guerres, la Cour de cassation, consciente des enjeux posés par les fluctuations monétaires, se rallia au principe de l’évaluation des biens à la date la plus proche possible de la répartition effective.

Un arrêt rendu le 20 avril 1928 par la Cour de cassation constitue un jalon important dans cette évolution jurisprudentielle (Cass. civ. 20 avr. 1928). La Haute juridiction y reconnaît que, pour garantir l’égalité entre les copartageants, il est nécessaire de procéder à l’estimation des biens à une date reflétant leur valeur réelle au moment où ils sont attribués, afin de répartir équitablement les plus-values ou les moins-values intervenues durant la période d’indivision.

Cette orientation sera confirmée par un arrêt de principe rendu le 11 janvier 1937 aux termes duquel la Cour de cassation affirme très clairement que les biens doivent être évalués au jour du partage et non à celui du décès (Cass. civ. 11 janv. 1937). Comme a pu le souligner à ce sujet Gérard Champenois, « l’arrêt de 1937 marque une véritable rupture dans la jurisprudence française, en ce qu’il consacre la primauté de l’évaluation au jour du partage, mettant fin aux incertitudes antérieures sur la date de référence »[5].

La motivation sous-jacente à cette solution réside dans l’idée que, tant que le partage n’a pas été effectué, les biens demeurent indivis et chaque indivisaire doit, en toute logique, profiter des plus-values ou supporter les moins-values liées à leur évolution. Ainsi, Jean Patarin observe avec justesse que « le maintien de l’évaluation à la date du décès reviendrait à ignorer la réalité économique, en figeant des valeurs qui ne correspondent plus aux circonstances réelles du partage »[6]. Cette jurisprudence, qui consacre définitivement le principe de l’évaluation au jour du partage, fut rapidement accueillie favorablement par la doctrine, au point de devenir une référence incontournable dans les règlements successoraux.

En somme, avant même d’être consacrée par la loi, la solution de l’évaluation au jour du partage s’était imposée dans la pratique et la jurisprudence comme une nécessité économique et juridique, permettant de garantir une répartition équitable des biens entre les copartageants. A cet égard, comme l’a justement écrit Pierre Catala, « le choix de la date d’évaluation n’est pas un simple détail technique : il touche au cœur même de l’équité successorale, en déterminant si le partage sera juste ou inique »[7].

==>Le choix de l’estimation au jour du partage

À l’origine, le Code civil de 1804 était silencieux sur la date d’estimation des biens à partager. Le seul article faisant référence à cette question était l’article 890, lequel se limitait à poser une règle spécifique se rapportant à la lésion. Ce texte, dans sa version initiale, disposait que « pour juger s’il y a eu lésion, on estime les objets suivant leur valeur à l’époque du partage ». Cette disposition traduisait une volonté de garantir que les lots constitués lors du partage reflètent les valeurs réelles des biens au moment de leur répartition, afin d’éviter qu’un copartageant, lésé par des fluctuations de valeur, ne soit désavantagé. Toutefois, cet article ne concernait que l’hypothèse particulière de la lésion, sans offrir de cadre général pour l’estimation des biens dans toutes les opérations de partage.

La première étape vers une généralisation de ce principe fut franchie avec la loi n°61-1378 du 19 décembre 1961, qui a modifié l’ancien article 832 du Code civil. Ce texte a introduit l’exigence selon laquelle les biens faisant l’objet d’une attribution préférentielle, tels que les immeubles ou les fonds de commerce, devaient être estimés à leur valeur au jour du partage. Cette réforme visait à prévenir les déséquilibres pouvant naître d’une évaluation figée à une date antérieure, notamment à la dissolution de la communauté matrimoniale ou à l’ouverture de la succession. En effet, des biens attribués à un copartageant sur la base d’une valeur obsolète auraient pu entraîner des distorsions importantes entre les lots, compte tenu des fluctuations de marché. La réforme de 1961 marquait ainsi une prise de conscience du législateur de la nécessité d’actualiser les estimations des biens pour préserver l’équité entre copartageants.

Cette orientation a été confirmée et élargie par la loi n° 71-523 du 3 juillet 1971, qui a introduit des dispositions relatives au calcul des rapports et des réductions en valeur. Les articles 860 et 868 du Code civil, dans leur rédaction issue de cette réforme, prévoyaient que les opérations de rapport et de réduction devaient être réalisées sur la base des valeurs actualisées au jour du partage. Ce choix législatif traduisait une volonté claire de ne pas figer les valeurs des biens à des dates antérieures, mais de tenir compte des évolutions économiques survenues pendant la période d’indivision. À cet égard, Jacques Flour soulignait que « toute évaluation des biens à une date antérieure à celle du partage risquerait de créer des déséquilibres flagrants, en fonction des fluctuations de valeur intervenues entre la dissolution de l’indivision et sa liquidation ».

La consécration du principe d’estimation des biens à partager à la date du partage, qui avait été posé par la jurisprudence dès 1937, est intervenue avec la loi du 23 juin 2006, laquelle a introduit dans le Code civil l’actuel article 829. Cet article dispose en ce sens que « les biens sont estimés à leur valeur à la date de la jouissance divise telle qu’elle est fixée par l’acte de partage, en tenant compte, s’il y a lieu, des charges les grevant ». Cette date doit être « la plus proche possible du partage » afin de refléter fidèlement la réalité économique des biens au moment de leur répartition. L’article prévoit également, à son alinéa 3, la possibilité d’une modulation de la date d’estimation, en permettant au juge de fixer une date d’évaluation antérieure lorsque cela apparaît nécessaire pour rétablir l’égalité entre les copartageants. Ce mécanisme permet notamment de prévenir les inégalités susceptibles de naître d’un retard prolongé dans les opérations de partage, ou lorsque les biens indivis ont subi des variations de valeur significatives pendant la période d’indivision.

==>Principe de l’unicité de la date d’estimation

Outre l’exigence de fixer l’estimation des biens à partager à la date la plus proche possible du partage effectif, l’évaluation des actifs composant la masse partageable répond à un autre impératif fondamental : celui de l’unicité de la date d’estimation. Ce principe, qui découle directement de l’objectif d’égalité entre copartageants, impose que tous les biens soient évalués simultanément, à une même date, afin de garantir une répartition équilibrée des lots. Il ne saurait être question de privilégier l’un des copartageants en tenant compte de fluctuations de valeur intervenues postérieurement à une première évaluation partielle, au risque de compromettre l’équité des opérations de partage.

Cette exigence d’unité s’explique par la nature même des biens indivis. Chaque bien, qu’il s’agisse d’un immeuble, de valeurs mobilières ou d’une créance, est susceptible de connaître une évolution distincte de sa valeur au fil du temps. Une estimation à des dates différentes pourrait dès lors entraîner des distorsions considérables dans la répartition des lots. Comme le relevait déjà la doctrine classique, « il importe que les biens soient estimés dans un cadre temporel identique, de manière à éviter que les variations de leur valeur ne viennent fausser l’équilibre recherché lors du partage »[8]. La Cour de cassation a, par une jurisprudence constante, rappelé que l’unicité de la date d’estimation constitue une exigence essentielle à la réalisation d’un partage juste et équilibré (Cass. 1re civ., 1er déc. 1965).

L’unité de la date d’évaluation permet également d’éviter les débats interminables quant à l’évolution des biens entre deux dates successives. Si chaque bien devait être évalué à un moment distinct, les contestations risqueraient d’être nombreuses, les copartageants pouvant chacun faire valoir que certaines évolutions leur sont préjudiciables ou, au contraire, profitables. La règle de l’unicité écarte ces difficultés en fixant un cadre temporel unique pour l’ensemble des estimations, ce qui permet de clore les débats sur la valeur des biens au jour du partage. À cet égard, Jacques Flour rappelait que « la simultanéité des évaluations est la clé de voûte des opérations de partage : elle neutralise les aléas des marchés et replace les copartageants dans une situation d’égalité parfaite ».

Enfin, il convient de noter que l’unicité de la date d’évaluation ne se limite pas à une simple exigence technique. Elle traduit une véritable exigence de justice successorale. En fixant un moment unique pour apprécier la valeur des biens, le partage reflète une photographie économique figée, garantissant que chaque copartageant reçoit un lot correspondant à une valeur réelle et non à une valeur affectée par des variations postérieures. Comme le souligne Gérard Champenois, « l’unicité de la date d’estimation est le prolongement naturel du principe d’égalité qui gouverne les opérations de partage. Elle permet d’assurer une stricte équité en neutralisant les effets des évolutions économiques imprévisibles »[9].

ii. Mise en œuvre

==>La fixation de la date de la date de la jouissance divise

La détermination de la date de jouissance divise constitue une étape essentielle dans les opérations de liquidation et de partage. Elle marque le moment à partir duquel chaque copartageant devient propriétaire des biens qui lui sont attribués, y compris des fruits et revenus produits par ces derniers. Cette date, retenue par l’article 829 du Code civil, est fixée par l’acte de partage ou arrêtée par le juge en cas de partage judiciaire. Sa détermination joue un rôle central dans l’évaluation des biens indivis et garantit une répartition équitable des droits entre les copartageants.

Dans le cadre de partages amiables, le notaire chargé de conduire les opérations de la liquidation insère habituellement une clause de jouissance divise dans l’acte de partage. Cette clause fixe la date à laquelle les estimations des biens doivent être réalisées, en veillant à ce que cette date soit « la plus proche possible du partage », conformément à l’exigence posée par l’article 829, alinéa 2. Ce choix vise à tenir compte des fluctuations économiques susceptibles d’affecter la valeur des biens durant la période d’indivision, afin que chaque copartageant reçoive une part équitable en fonction de la valeur réelle des biens au moment de leur attribution.

Lorsque le partage prend une tournure judiciaire, la fixation de la date de la jouissance divise relève du pouvoir souverain des juges du fond. Ces derniers doivent apprécier la date la plus proche possible du partage, en tenant compte des circonstances particulières de l’affaire et de la nécessité de préserver l’égalité entre les copartageants (Cass. 1ère civ., 3 oct. 2019, n°18-20.827). À défaut d’une date explicitement fixée, la décision judiciaire pourrait être dépourvue de toute autorité de la chose jugée quant à la valeur des biens évalués. La Cour de cassation a ainsi jugé qu’une décision qui statue sur la valeur d’un bien sans préciser la date de jouissance divise n’a pas l’autorité de la chose jugée quant à cette évaluation (Cass. 1ère civ., 8 avr. 2009, n°07-21.561). Cependant, il est admis que cette date puisse être déduite implicitement des termes du jugement, pourvu que les énonciations permettent de l’identifier sans ambiguïté. Dans un arrêt du 4 janvier 1980, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que, lorsque le dispositif d’un jugement n’aurait aucun sens sans référence à une date d’évaluation précise, celle-ci peut être déduite des motifs, dès lors qu’ils rappellent expressément la règle applicable (Cass. 1ère civ., 4 janv. 1980, n°78-13.596).

L’affaire concernait la liquidation des successions d’un couple décédé respectivement en 1945 et 1964, laissant pour héritiers leurs trois enfants. À la demande de deux indivisaires, le tribunal avait ordonné le partage judiciaire de la communauté réduite aux acquêts ayant existé entre les époux et de leurs successions, désignant un indivisaire comme bénéficiaire d’une attribution préférentielle de biens ruraux. Par un jugement rendu en 1975, le tribunal avait fixé la valeur des biens ainsi que les soultes dues aux autres indivisaires, en précisant que l’évaluation devait être effectuée « au jour le plus proche possible du partage ». Cependant, aucune date de jouissance divise n’avait été expressément arrêtée dans le dispositif.

L’un des indivisaires contesta par la suite le projet d’état liquidatif, estimant nécessaire de réactualiser la valeur des biens. Ce dernier soutenait que le jugement de 1975 n’avait pas fixé la date de la jouissance divise, et qu’en l’absence d’une telle précision, les biens devaient être réévalués au jour du partage effectif. La Cour d’appel, saisie de cette difficulté, rejeta cette demande en considérant que le jugement initial avait implicitement fixé la date d’évaluation des biens à la date de son prononcé. La cour releva que les motifs rappelaient clairement la règle selon laquelle l’évaluation devait se faire au jour le plus proche du partage et que, dès lors, la référence temporelle retenue devait être celle du jugement lui-même.

Le pourvoi formé contre cet arrêt critiquait cette interprétation, affirmant que l’autorité de la chose jugée ne pouvait s’attacher qu’aux dispositions expressément énoncées dans le dispositif d’une décision, et non aux motifs. Cependant, la Cour de cassation rejeta ce moyen. Elle jugea que le dispositif d’un jugement « n’aurait pas de sens s’il ne se référait pas à une date d’évaluation des biens », ajoutant que le dispositif pouvait être éclairé par les motifs dès lors que ceux-ci établissaient sans ambiguïté la date retenue. La Haute juridiction conclut que le jugement rendu par les premiers juges avait, en se référant à la règle d’évaluation au jour du partage, « évalué à sa date les biens attribués par préférence ainsi que les soultes », conférant ainsi à cette décision une autorité de chose jugée sur ce point.

Cette décision, saluée par la doctrine, témoigne d’un pragmatisme juridique nécessaire pour sécuriser les opérations de partage. En effet, comme l’observe Gérard Champenois, « admettre que la date de jouissance divise puisse être déduite implicitement des motifs d’un jugement évite que les opérations de liquidation soient continuellement remises en cause, tout en garantissant une répartition équitable des biens ». La solution adoptée par la Cour de cassation permet ainsi de préserver l’équilibre entre les impératifs d’équité entre les indivisaires et la sécurité juridique des partages judiciaires.

La fixation de la date de jouissance divise revêt une importance particulière dans le cadre d’un partage partiel, où certains biens indivis sont détachés de la masse avant le partage global. Dans ces hypothèses, la règle veut que les biens soient évalués à la date de leur attribution et non lors du partage final. Cette approche se justifie par la nécessité de refléter la valeur réelle des biens au moment où ils sortent de l’indivision, évitant ainsi que les copartageants ne soient affectés par des fluctuations économiques ultérieures.

Toutefois, pour que cette règle trouve à s’appliquer, il est impératif que le partage partiel soit véritable et effectif. La jurisprudence a précisé que l’attribution d’un bien à titre préférentiel par le juge, sans fixation explicite de la date de jouissance divise, ne constitue pas un partage définitif. Dans une telle situation, le bien en question doit être évalué à la date du partage global, car il demeure juridiquement indivis jusqu’à la réalisation complète des opérations de partage (Cass. 1ère civ., 20 nov. 1990).

Ainsi, un jugement faisant droit à une demande d’attribution préférentielle ne suffit pas, à lui seul, à opérer le détachement définitif du bien concerné de la masse indivise. Dans le cadre d’une demande d’attribution préférentielle, le juge ne procède pas à l’attribution définitive du bien. Il se borne à en ordonner l’attribution dans le partage à intervenir, de sorte que l’évaluation du bien devra nécessairement se faire au moment où le partage global sera réalisé. Comme l’a précisé la Cour de cassation dans un arrêt du 30 juin 1993, tant que la date de jouissance divise n’a pas été fixée et que les droits des indivisaires n’ont pas été déterminés de manière définitive, le bien demeure dans la masse indivise et doit être évalué à l’époque du partage effectif (Cass. 1ère civ., 30 juin 1993, n°91-17.804).

==>Les modulations permises

Le principe de l’évaluation des biens au jour du partage, bien que général, n’est pas rigide.

En premier lieu, l’article 829 du Code civil autorise des ajustements puisqu’il est admis que le juge puisse retenir une date antérieure à l’achèvement du partage, dès lors que cela apparaît nécessaire pour préserver l’égalité entre les copartageants (al. 3). Cette faculté de modulation répond à une exigence pratique : elle permet d’éviter que des retards prolongés dans les opérations de partage n’entraînent des déséquilibres significatifs, en particulier lorsque certains biens indivis subissent des dépréciations importantes ou, au contraire, connaissent des plus-values latentes.

La jurisprudence admet ainsi que le juge puisse fixer une date antérieure lorsque les circonstances le justifient. Par exemple, si le partage s’étend sur plusieurs années en raison de litiges ou de recours successifs, une évaluation à une date plus ancienne permet d’éviter qu’un copartageant ne profite indûment des retards pour bénéficier seul d’une plus-value intervenant après la dissolution de l’indivision (Cass. 1ère civ. 1re, 16 mars 1982, n°80-17.244). Gérard Champenois souligne à cet égard que « la faculté laissée au juge de moduler la date d’évaluation constitue une garantie précieuse d’équité, permettant de s’adapter aux réalités économiques tout en préservant les droits des copartageants ».

En deuxième lieu, la jurisprudence admet que l’évaluation des biens à partager puisse être actualisée par le recours à des indices économiques, à condition que ces derniers reflètent fidèlement l’évolution du marché et soient adaptés aux biens concernés. La Cour de cassation s’est prononcée en ce sens dans un arrêt du 25 juin 2008, validant l’utilisation de l’indice trimestriel du coût de la construction pour ajuster la valeur des immeubles composant la masse à partager, lorsque la date de l’expertise initiale est éloignée de celle du partage effectif (Cass. 1ère civ., 25 juin 2008, n°07-17.766).

Dans cette affaire, un indivisaire contestait la réactualisation des évaluations réalisées quatre ans auparavant, estimant que l’application d’un indice générique ne permettait pas de respecter le principe d’évaluation à la date la plus proche du partage. La cour d’appel avait pourtant homologué le rapport d’expertise initial, en précisant que les valeurs estimées seraient majorées en fonction de la variation de l’indice du coût de la construction jusqu’à la date du procès-verbal de liquidation de la succession.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cette décision, considérant que la cour d’appel avait souverainement apprécié que les attestations produites ne démontraient pas une sous-évaluation des biens par l’expert. Elle a relevé que la croissance du marché immobilier était de nature à affecter les estimations, justifiant ainsi l’ajustement opéré. En outre, il n’était pas soutenu que les caractéristiques spécifiques des biens s’étaient modifiées depuis l’expertise initiale. La Haute juridiction en a déduit que l’actualisation des évaluations par le biais de l’indice retenu pouvait être admise, à condition qu’elle repose sur une constatation précise de l’évolution du marché et que l’indice soit pertinent par rapport aux biens concernés.

Cette solution s’inscrit dans une démarche pragmatique visant à éviter le recours à des expertises successives lorsque le partage s’étend sur une période prolongée. Toutefois, comme le souligne Jacques Flour, « le recours à l’indexation n’est envisageable que dans la mesure où il permet d’éviter une distorsion entre la valeur théorique et la réalité économique des biens à partager ». L’utilisation d’un indice doit donc être justifiée par des éléments concrets démontrant un lien direct entre l’évolution de cet indice et celle de la valeur réelle du bien concerné. À défaut, la décision pourrait être jugée dépourvue de base légale.

En définitive, si la jurisprudence admet le recours à une réévaluation indiciaire, elle en encadre strictement les conditions. L’indexation ne doit pas être utilisée de manière systématique ou abstraite, mais doit refléter les fluctuations réelles du marché, afin de garantir une répartition juste et équilibrée des biens entre les copartageants.

En dernier lieu, il convient de souligner que la règle de l’unicité de la date d’évaluation des biens, bien qu’elle soit un corollaire naturel du principe d’égalité entre copartageants, ne revêt pas un caractère absolu. Il est admis que les copartageants puissent convenir de fixer des dates distinctes d’évaluation pour certains biens, à condition que l’équilibre des lots soit préservé et que l’objectif d’une répartition équitable ne soit pas compromis. Cette tolérance trouve son fondement dans une jurisprudence constante, qui a progressivement ouvert la voie à des aménagements pragmatiques, adaptés aux réalités de chaque situation successorale.

L’arrêt rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 22 avril 2005 illustre parfaitement cette approche. En l’espèce, à la suite du divorce de deux époux soumis au régime de la communauté, le juge chargé de la surveillance du partage avait constaté leur accord pour attribuer à l’épouse un bien immobilier évalué à 500 000 francs, tandis qu’un autre bien revenait à l’ex-époux. Toutefois, avant que cet accord ne soit homologué, l’immeuble attribué à l’épouse fut vendu pour un montant de 650 000 francs. Le copartageant demanda alors que cette nouvelle valeur soit prise en compte dans les opérations de liquidation-partage, invoquant le principe selon lequel les biens doivent être évalués à la date la plus proche du partage effectif.

La Cour de cassation rejeta cette demande en affirmant que les copartageants avaient librement convenu d’une évaluation différente, laquelle avait été entérinée par une décision judiciaire devenue définitive. La Haute juridiction précisa qu’« il appartient aux copartageants de convenir d’en évaluer certains biens à une date distincte », dès lors que cette dérogation garantit un partage équilibré (Cass., ass. plén., 22 avr. 2005, n°02-15.180). En l’occurrence, la cour d’appel avait relevé que l’accord conclu entre les parties assurait une stricte égalité des lots et que la vente ultérieure du bien à un prix supérieur n’avait pas modifié les attributions initiales ni les intentions des parties.

Cette solution, saluée par la doctrine, traduit une volonté de préserver la sécurité juridique des opérations de partage, tout en introduisant une flexibilité nécessaire pour éviter des contentieux interminables sur la valeur des biens. Comme l’a justement observé Philippe Simler, « la possibilité laissée aux copartageants de fixer des dates d’évaluation distinctes permet d’adapter le partage aux spécificités de certains biens, tout en respectant le principe fondamental d’égalité ». Cette souplesse est particulièrement utile dans les situations où la jouissance privative d’un bien par l’un des indivisaires vient compenser un écart de valeur entre les lots. Par exemple, un immeuble occupé par un copartageant pendant l’indivision peut être évalué à une date antérieure afin de tenir compte de l’avantage tiré de cette jouissance.

Toutefois, cette faculté de modulation demeure encadrée. La Cour de cassation a rappelé que la fixation de dates d’évaluation distinctes doit avoir pour finalité de préserver l’équilibre global du partage et ne saurait aboutir à rompre l’égalité entre les copartageants. Ainsi, dans une affaire ultérieure, la première chambre civile a censuré une cour d’appel qui avait fixé des dates différentes sans démontrer que cette différenciation garantissait l’équilibre des lots (Cass. 1ère civ., 30 oct. 2006, n°04-19.356).

==>Les modulations interdites

Tout d’abord, bien que la jurisprudence admette certaines modulations dans le choix de la date d’évaluation, elle impose également des limites strictes. En particulier, la Cour de cassation exclut toute réévaluation automatique des biens par voie d’indexation abstraite. Cette interdiction vise à prévenir les risques d’erreur ou d’arbitraire, liés à une actualisation purement mécanique des valeurs, qui ne tiendrait pas compte des caractéristiques propres des biens concernés.

Ainsi, dans un arrêt du 14 novembre 2006, la Cour de cassation a fermement rappelé que toute réévaluation fondée sur un indice économique doit être justifiée par des éléments précis établissant un lien direct entre l’évolution de cet indice et celle de la valeur réelle des biens indivis (Cass. 1re civ., 14 nov. 2006, n° 04-18.879). En l’espèce, la cour d’appel avait décidé de retenir les estimations d’un expert immobilier réalisées plusieurs années avant le partage, tout en les actualisant à l’aide de l’indice trimestriel du coût de la construction. Cette méthode visait à tenir compte de la forte croissance du marché immobilier constatée entre la date de l’expertise et celle du partage effectif.

Cependant, la Haute juridiction a censuré cette décision, au motif que la cour d’appel n’avait pas précisé en quoi l’évolution de l’indice retenu pouvait correspondre à celle des biens en question. La Cour de cassation a ainsi reproché aux juges du fond d’avoir adopté une réévaluation purement abstraite, déconnectée des caractéristiques concrètes des biens immobiliers concernés. Elle a souligné que l’indexation ne saurait être admise que si elle reflète fidèlement les variations réelles de valeur des biens objets du partage, et non une simple évolution générale du marché de la construction.

Cette décision illustre l’exigence d’une justification circonstanciée pour toute actualisation basée sur des indices économiques. Comme le relève la doctrine, une indexation systématique et aveugle serait contraire au principe d’équité qui doit présider aux opérations de partage. L’arrêt du 14 novembre 2006 s’inscrit ainsi dans une ligne jurisprudentielle constante, rappelant que le juge doit éviter toute approximation dans l’évaluation des biens, sous peine de priver sa décision de base légale.

Ensuite, il est interdit au juge de déléguer au notaire liquidateur le pouvoir de fixer la date d’évaluation des biens. Cette interdiction repose sur le principe selon lequel les décisions concernant la valeur des biens doivent relever exclusivement du pouvoir juridictionnel, afin de garantir l’autorité de la chose jugée. Dans un arrêt rendu le 8 décembre 1993, la Cour de cassation a fermement rappelé qu’il est interdit au juge de déléguer au notaire liquidateur le pouvoir de fixer la date d’évaluation des biens à partager (Cass. 1ère civ., 8 déc. 1993, n°91-19.846).

En l’espèce, à la suite d’un divorce, la cour d’appel avait attribué préférentiellement un immeuble commun à l’un des époux, en retenant la valeur estimée par un expert judiciaire. Toutefois, elle avait également décidé que l’actualisation de cette évaluation serait effectuée par le notaire chargé de la liquidation des comptes entre les parties. La Cour de cassation a censuré cette délégation au motif que le juge doit lui-même fixer la valeur des biens à la date du partage et ne peut confier cette tâche à un officier public, fût-il un notaire.

La Haute juridiction a ainsi souligné que la détermination de la date d’évaluation des biens constitue une prérogative relevant de l’office exclusif du juge. Ce pouvoir ne saurait être abandonné au notaire liquidateur, car une telle délégation priverait la décision judiciaire de son autorité et ferait peser un risque d’insécurité juridique sur les opérations de partage.

Cette décision illustre l’importance du rôle du juge dans les opérations de liquidation-partage. En fixant lui-même la valeur des biens au jour du partage, le juge s’assure que les droits des parties sont protégés et que les principes d’équité et d’impartialité sont respectés. Toute délégation à un tiers, même à un notaire, compromettrait cette exigence fondamentale et risquerait de créer des situations d’incertitude préjudiciables à la stabilité des relations patrimoniales.

Enfin, Outre l’exigence de fixer une date unique pour l’évaluation des biens à partager, le respect de la stabilité des opérations successorales implique que cette date, une fois arrêtée, bénéficie de l’autorité de la chose jugée. En effet, la fixation de la date de la jouissance divise constitue une étape décisive dans la liquidation de l’indivision, dès lors qu’elle détermine la valeur des biens indivis à prendre en compte dans le partage. Par conséquent, il est en principe exclu de revenir sur cette date une fois les opérations de partage devenues définitives.

Aussi, la Cour de cassation a réaffirmé à plusieurs reprises que l’autorité de la chose jugée interdit de demander une nouvelle évaluation des biens après l’homologation du partage, sous peine de compromettre la sécurité juridique des héritiers. Dans un arrêt du 24 octobre 1972, la Haute juridiction a censuré une demande tendant à modifier la date de la jouissance divise au motif que cette date avait déjà été fixée dans une décision irrévocable, précisant que la stabilité des opérations de partage exige que les valeurs arrêtées ne soient pas remises en cause, sauf à fragiliser l’ensemble des droits des copartageants (Cass. 1ère civ., 24 oct. 1972, n°71-11.883).

En l’espèce, le partage d’une communauté post-divorce avait donné lieu à l’établissement d’un état liquidatif par un notaire, lequel avait fixé la date de la jouissance divise au 1er septembre 1948. Ce partage avait été entériné par un jugement du 2 novembre 1950, confirmé par un arrêt rendu le 6 mai 1952, devenu irrévocable. Toutefois, plusieurs années plus tard, l’un des copartageants a sollicité une nouvelle évaluation des biens sur la base d’une jouissance divise à fixer à une date plus récente, invoquant les dispositions issues de la loi du 13 juillet 1965, notamment l’article 1469 du Code civil relatif au calcul des récompenses.

La Cour de cassation a fermement rejeté cette demande, rappelant que la fixation de la date de la jouissance divise par une décision définitive interdit toute réévaluation ultérieure, sauf circonstances exceptionnelles. La Haute juridiction a insisté sur le fait que les décisions judiciaires fixant la date de la jouissance divise bénéficient de l’autorité de la chose jugée, laquelle s’étend non seulement à la valeur des biens, mais aussi à la date à laquelle ces valeurs doivent être appréciées. En modifiant cette date, les juges d’appel auraient violé ce principe fondamental, portant ainsi atteinte à la sécurité juridique des opérations de partage.

Cependant, la Cour de cassation a précisé que l’autorité de la chose jugée relative à la fixation de la jouissance divise est provisoire, et non absolue. Une révision de cette date peut être envisagée dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque des retards considérables dans les opérations de partage rendent la date initialement retenue inappropriée au regard de l’objectif d’égalité entre les copartageants.

Dans l’arrêt précité du 24 octobre 1972, la Haute juridiction a ainsi admis qu’un retard substantiel pouvait légitimer la fixation d’une nouvelle date de jouissance divise, dès lors que le maintien de la date initiale compromettrait l’équilibre des lots. Cette possibilité, toutefois strictement encadrée, ne peut être admise que si elle répond à une nécessité impérieuse dictée par les circonstances de la cause. Loin de constituer un ajustement opportuniste, elle vise à éviter que l’application rigide d’une date devenue obsolète n’entraîne des déséquilibres préjudiciables, tout en assurant la stabilité des opérations successorales.

Cette solution jurisprudentielle souligne l’importance de concilier sécurité juridique et équité entre copartageants. Si la fixation d’une date de jouissance divise ne saurait être modifiée sans justification sérieuse, il est également impératif que cette date reste pertinente par rapport à la réalité économique au moment du partage. En d’autres termes, l’autorité de la chose jugée ne doit pas se transformer en un obstacle rigide, empêchant les juges de s’adapter aux situations particulières lorsque l’intérêt des copartageants l’exige.

En revanche, la jurisprudence exclut toute révision de la date de la jouissance divise lorsque celle-ci a été expressément fixée par une décision irrévocable et que le partage a été définitivement homologué. Cette règle vise à éviter que les valeurs arrêtées lors du partage ne soient remises en cause de manière intempestive, ce qui risquerait de fragiliser les droits acquis par les copartageants et de générer des contentieux incessants. Comme l’a justement observé Pierre Catala, « l’autorité de la chose jugée en matière de partage est une garantie essentielle de stabilité et de sécurité juridique, qui interdit toute remise en cause des valeurs arrêtées, sauf circonstances exceptionnelles ».

Toutefois, pour que l’autorité de la chose jugée puisse pleinement s’appliquer, il est indispensable que la date de la jouissance divise ait été expressément fixée par le juge. À défaut, les évaluations des biens pourraient être contestées ultérieurement, créant une incertitude juridique préjudiciable aux indivisaires. La Cour de cassation a ainsi rappelé, dans un arrêt du 8 avril 2009, que la fixation implicite d’une date de jouissance divise ne suffit pas à garantir la stabilité des opérations de partage (Cass. 1ère civ., 8 avr. 2009, n°07-21.561).

Enfin, il convient de souligner que le tribunal peut choisir de maintenir une date d’évaluation fixée dans une décision antérieure, à condition que cette décision ne soit pas trop éloignée dans le temps et que ce maintien soit conforme à l’intérêt des copartageants. Cependant, cette stabilité doit nécessairement s’accompagner d’une précision absolue quant à la date retenue. Comme souligné par Gérard Champenois, « l’autorité de la chose jugée ne saurait être invoquée pour des décisions imprécises ou ambiguës quant à la date d’évaluation des biens, au risque de compromettre l’équité du partage ».

En définitive, le principe d’autorité de la chose jugée relatif à la fixation de la date de la jouissance divise repose sur un équilibre délicat entre stabilité et souplesse. Si la date fixée doit être considérée comme définitive pour garantir la sécurité des opérations de partage, des ajustements restent possibles dans des cas exceptionnels, lorsque le maintien de la date initiale s’avérerait manifestement inéquitable. La jurisprudence, en encadrant rigoureusement ces exceptions, s’attache à préserver tant la sécurité juridique des opérations de partage que l’équité entre les copartageants.

B) Estimation des créances

L’estimation des créances dans le cadre des opérations de partage successoral ou d’indivision obéit à des règles spécifiques, qui varient en fonction de la nature de la créance et de son mode de liquidation. Il convient de distinguer entre l’évaluation du capital de la créance et celle des intérêts qu’elle produit, en tenant compte des particularités attachées à certaines créances de valeur. Cette distinction est essentielle pour assurer une répartition équitable de l’actif successoral et garantir la stabilité des opérations de partage.

En effet, comme l’a souligné Gérard Champenois, « les créances, bien que par nature immatérielles, n’en demeurent pas moins des éléments d’actif susceptibles d’influer sur l’équilibre des lots. Leur évaluation requiert une attention particulière, car elle peut, en cas d’imprécision, engendrer des déséquilibres durables entre les copartageants ».

1. Estimation du capital

a. Principe du nominalisme monétaire

==>Problématique

Lorsque le débiteur d’une obligation de somme d’argent doit s’acquitter de sa dette, la question se pose de savoir s’il doit verser le montant nominal stipulé à l’origine ou un montant ajusté pour tenir compte des fluctuations monétaires survenues entre la naissance de la créance et son recouvrement. Cette interrogation, particulièrement pertinente dans le cadre des opérations de partage, prend tout son sens face au facteur temporel qui sépare le moment du fait générateur de la créance et celui de son exigibilité. Entre ces deux bornes, il peut s’écouler un laps de temps plus ou moins long, rendant d’autant plus incertain le maintien de la valeur réelle de la somme due.

C’est précisément lorsque cet intervalle temporel s’étire que la question de la fluctuation monétaire présente un enjeu crucial. La monnaie, en tant qu’unité de compte et instrument de paiement, ne conserve pas nécessairement une valeur constante dans le temps. L’inflation, la dépréciation monétaire ou les fluctuations des marchés financiers peuvent affecter le pouvoir d’achat de la somme inscrite dans le titre constitutif de la créance. Une somme d’argent stipulée à un moment donné peut ainsi ne plus représenter la même valeur économique au moment de son recouvrement, introduisant un risque de déséquilibre entre les parties.

Face à cette problématique, deux approches théoriques peuvent être envisagées. La première, le nominalisme monétaire, impose de figer la dette au montant nominal prévu lors de la naissance de l’obligation. Selon cette approche, le débiteur se libère de son obligation en versant le nombre d’unités monétaires stipulé dans le titre, indépendamment des fluctuations économiques. Autrement dit, une créance de 50 000 euros due au décès d’un indivisaire sera inscrite à ce montant exact dans la masse partageable, même si la valeur réelle de cette somme a diminué ou augmenté entre le décès et le partage.

Cette approche présente l’avantage majeur de garantir la prévisibilité des évaluations patrimoniales, tout en évitant des litiges interminables sur la valeur actualisée des créances. Comme le rappelle François Terré, « le nominalisme monétaire assure une sécurité indispensable dans les opérations patrimoniales, notamment en matière de partage, où la stabilité des évaluations constitue une garantie d’équilibre entre les héritiers ».

La seconde approche, celle du valorisme monétaire, consisterait à ajuster la dette en fonction des variations monétaires survenues entre la naissance de l’obligation et son exécution. Cette méthode, qui pourrait sembler plus équitable dans un contexte économique instable, présente néanmoins des risques importants d’insécurité juridique. Elle ouvrirait la porte à des contestations sur la méthode d’actualisation retenue, la période de référence ou les indices utilisés, complexifiant ainsi les opérations de partage et prolongeant indûment les indivisions.

Entre ces deux approches, le législateur français a fait un choix clair en faveur du nominalisme monétaire, considérant que la stabilité juridique devait primer sur les aléas économiques. Mais ce principe, loin d’être une innovation récente, puise ses racines dans une construction jurisprudentielle qui remonte à plus d’un siècle. Dès le XIXe siècle, le nominalisme monétaire a été consacré en droit français, à commencer par l’article 1895 du Code civil. Ce texte fondateur, bien que limité à l’origine au prêt de consommation, a progressivement acquis une portée générale à travers l’interprétation qu’en a donnée la jurisprudence. Pour comprendre les enjeux actuels de ce principe, il convient d’en retracer les origines et d’analyser les étapes majeures de son extension.

==>Origines du nominalisme monétaire

Le nominalisme monétaire trouve donc ses origines dans l’article 1895 du Code civil, qui dispose que « l’obligation qui résulte d’un prêt en argent n’est toujours que de la somme énoncée au contrat ». Cette disposition traduit l’idée que la monnaie, au-delà de sa simple fonction de paiement, constitue également une unité de mesure, destinée à apprécier la valeur des biens et des services. Contrairement aux unités de mesure utilisées dans les sciences, la monnaie présente cependant un caractère instable, car sa valeur dépend d’un cours susceptible de varier avec le temps. Ces variations, qu’elles soient liées à l’inflation ou à la dépréciation monétaire, peuvent perturber l’évaluation des créances sur une longue période.

L’article 1895 a été rédigé dans un contexte économique marqué par une certaine stabilité monétaire, notamment grâce à l’étalon-or, qui limitait les risques de dépréciation de la monnaie. Dans ce cadre, le nominalisme monétaire apparaissait comme une solution simple et efficace pour éviter les litiges liés à la valeur de la monnaie au moment de l’exécution des obligations. Comme le souligne Henri Capitant, « le nominalisme repose sur une exigence de sécurité juridique, en permettant au débiteur de connaître dès l’origine le montant exact de sa dette, indépendamment des aléas économiques ».

Cependant, cette règle, initialement cantonnée au prêt de consommation, a rapidement été étendue par la jurisprudence à l’ensemble des obligations de somme d’argent. Cette évolution jurisprudentielle a été amorcée dès la fin du XIXe siècle, notamment avec un arrêt de principe rendu par la Cour de cassation le 25 février 1929 (Cass. req., 25 févr. 1929). Dans cette décision, la Haute juridiction a affirmé que le nominalisme monétaire s’appliquait à toutes les obligations pécuniaires, qu’elles soient issues d’un contrat de prêt ou de toute autre source d’obligation.

L’arrêt de 1929 marque un tournant décisif en posant le nominalisme monétaire comme un principe général du droit des obligations. Selon la Cour de cassation, le montant nominal d’une dette d’argent doit être respecté, quelles que soient les variations de la valeur de la monnaie entre la naissance de l’obligation et son exécution. Cette solution visait à préserver la sécurité juridique des relations patrimoniales en assurant une prévisibilité quant au montant des créances inscrites à l’actif.

Selon René Savatier, « l’extension jurisprudentielle du nominalisme monétaire a permis d’unifier le régime des obligations de somme d’argent, en garantissant aux créanciers qu’ils seraient toujours remboursés pour le montant exact stipulé dans le contrat, sans tenir compte des fluctuations économiques ».

Cette orientation a été confirmée à plusieurs reprises. Dans un arrêt du 29 juin 1994, la Cour de cassation a rappelé que le nominalisme monétaire s’appliquait également lorsqu’une créance figurait à l’actif d’une masse partageable, qu’elle soit due par un tiers ou par l’un des copartageants (Cass. 1re civ., 29 juin 1994, n°92-15.253).

==>Consécration légale du nominalisme monétaire

Malgré sa consécration jurisprudentielle, le nominalisme monétaire n’était pas expressément prévu dans les textes avant la réforme du droit des obligations. Afin de lever toute ambiguïté et de garantir la sécurité juridique des créances de somme d’argent, le législateur a choisi de consacrer ce principe de manière explicite lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du régime général des obligations.

Aussi, l’article 1343 du Code civil, issu de cette réforme, dispose désormais que « le débiteur d’une obligation de somme d’argent se libère par le versement de son montant nominal ». Cette disposition met fin à tout débat sur la portée du nominalisme monétaire, en confirmant qu’il s’applique à l’ensemble des obligations pécuniaires, y compris celles inscrites à l’actif d’une masse successorale.

Selon Michel Grimaldi, « la consécration législative du nominalisme monétaire traduit une volonté de stabiliser les règles applicables aux obligations de somme d’argent, afin de garantir la sécurité des transactions patrimoniales, en particulier dans les opérations de partage successoral ».

L’application du principe du nominalisme monétaire aux créances inscrites à l’actif de la masse partageable offre aux copartageants une précieuse garantie de stabilité et de sécurité juridique. Dans le cadre des opérations de partage, il s’agit de figer la valeur des créances au montant stipulé dans le titre constitutif, sans que les variations monétaires intervenues entre la naissance de la créance et le partage n’en altèrent l’évaluation. Cette approche permet de neutraliser l’impact des aléas économiques sur la composition de la masse partageable, tout en assurant une prévisibilité indispensable à la répartition des biens entre les copartageants.

Par exemple, supposons qu’un héritier détienne une créance de 100 000 euros sur un tiers, contractée dix ans avant le décès du de cujus. Entre la naissance de cette créance et le moment du partage, une inflation importante a diminué le pouvoir d’achat de cette somme, de sorte que les 100 000 euros d’origine ne représentent plus la même valeur économique au jour du partage. Malgré cette dépréciation monétaire, la créance doit être inscrite à l’actif de la masse partageable pour son montant nominal de 100 000 euros, conformément au principe du nominalisme monétaire. Cette évaluation fixe empêche que des ajustements liés à l’inflation ou à d’autres indices économiques viennent perturber la stabilité des opérations de partage.

Ainsi, lorsqu’une créance de somme d’argent est due à l’indivision, elle doit être évaluée pour son montant nominal, qu’il s’agisse d’une créance contractée avant le décès ou d’une créance née pendant l’indivision. Cette règle est applicable que le débiteur soit un tiers ou l’un des copartageants eux-mêmes. La jurisprudence, constante sur ce point, a rappelé que les créances doivent être inscrites à leur valeur nominale, indépendamment des évolutions du pouvoir d’achat ou des fluctuations économiques susceptibles d’intervenir au fil du temps (Cass. 1re civ., 29 juin 1994, n°92-15.253).

Cette position s’explique par la volonté de préserver l’équilibre entre les copartageants et d’éviter les contestations qui pourraient découler de la réévaluation des créances en fonction d’indices monétaires. En effet, admettre une actualisation des créances inscrites à l’actif introduirait un facteur d’incertitude dans les opérations de partage, compromettant ainsi la stabilité des rapports entre copartageants. Comme le souligne Gérard Cornu, « le nominalisme monétaire est une réponse juridique aux fluctuations économiques, garantissant la sécurité des évaluations et préservant l’intégrité des opérations de partage ».

En outre, cette règle permet de prévenir les conflits potentiels entre les copartageants, qui pourraient être tentés de demander une révision des évaluations en fonction des évolutions économiques, prolongeant ainsi les opérations de partage. Par exemple, si un héritier réclamait une réévaluation d’une créance sur la base d’un indice d’inflation, d’autres indivisaires pourraient exiger des révisions similaires pour d’autres éléments de l’actif successoral, engendrant une insécurité juridique et compliquant la clôture de l’indivision.

b. Limites

==>Prise en compte du risque de non-recouvrement

Le nominalisme monétaire, bien qu’essentiel pour garantir la stabilité des opérations de partage, peut se heurter à la réalité économique, notamment lorsque le recouvrement de certaines créances s’avère incertain. La jurisprudence a admis que la créance peut être inscrite pour une valeur inférieure à son montant nominal lorsqu’il existe un risque sérieux de non-recouvrement. En effet, la valeur réelle d’une créance dépend de la capacité du débiteur à honorer sa dette, et il serait artificiel d’inclure dans la masse partageable une créance que l’on sait irrécouvrable.

Dans un arrêt du 9 juillet 1985, la Cour de cassation a jugé en ce sens qu’une créance pouvait être prise en compte pour un montant inférieur à son montant nominal, si le débiteur présentait des difficultés financières importantes rendant incertain son remboursement (Cass. 1ère civ., 9 juill. 1985). Cette solution permet d’éviter que la masse partageable ne soit artificiellement gonflée par des créances douteuses, créant ainsi un déséquilibre entre les héritiers. Comme le souligne Jacques Flour, « il ne faut pas confondre le montant nominal de la créance, qui constitue une obligation juridique, avec sa valeur économique, qui dépend des chances effectives de recouvrement. Cette distinction est essentielle en matière de partage, pour éviter que des créances fictives ne créent des déséquilibres injustes entre les héritiers ».

==>Les créances indexées et libellées en monnaie étrangère

Une autre limite au nominalisme monétaire réside dans les créances indexées ou libellées en monnaie étrangère. Dans de tels cas, leur évaluation doit tenir compte des fluctuations de l’indice ou du taux de change. Conformément au principe général d’évaluation des actifs de la masse partageable, ces créances doivent être liquidées au jour du partage, afin de refléter leur valeur réelle à cette date. Dans un arrêt du 10 juin 1976, la Cour de cassation a jugé que la conversion d’une créance libellée en dollars américains devait être effectuée au taux de change applicable au jour du partage, et non à la date de constitution de la créance (Cass. 1re civ., 10 juin 1976, 75-10.798). Cette solution permet de garantir une évaluation juste et conforme à la réalité économique.

==>Créances ordinaires et créances de valeur

Enfin, il convient de distinguer les créances ordinaires des créances de valeur. Les premières sont évaluées à leur montant nominal, tandis que les secondes, telles que les indemnités de rapport (article 860 du Code civil) ou les indemnités de réduction (article 924-2 du Code civil), doivent être évaluées en fonction de leur valeur réelle au jour du partage. Cette distinction est importante pour éviter que certaines créances, notamment celles résultant de dégradations ou d’améliorations des biens indivis, ne soient surévaluées ou sous-évaluées, compromettant ainsi l’équité entre les héritiers.

Comme le rappelle Laurent Aynès, « la distinction entre créances ordinaires et créances de valeur permet d’adapter le principe du nominalisme aux réalités économiques, tout en garantissant l’équilibre entre les héritiers. Le nominalisme monétaire ne saurait être appliqué de manière rigide, au risque de produire des situations injustes ».

2. Estimation des intérêts

L’évaluation des créances de somme d’argent dans le cadre des opérations de partage ne se limite pas à leur capital nominal. Elle inclut également les intérêts produits par ces créances, dont le régime diffère selon que le débiteur est un tiers ou un indivisaire. La question des intérêts est cruciale en vue d’assurer une répartition équitable entre les indivisaires et éviter que certains ne tirent un avantage indu du retard des opérations de partage.

==>Les intérêts des créances sur les tiers débiteurs

Lorsque la créance est détenue à l’encontre d’un tiers débiteur, le régime applicable est celui du droit commun des obligations. Les articles 1231-6, 1344 et 1344-1 du Code civil fixent les conditions de production des intérêts moratoires, qui commencent à courir soit après une mise en demeure du débiteur, soit dès l’exigibilité de la dette si le contrat le prévoit expressément.

Ainsi, en l’absence de stipulation particulière, les intérêts moratoires ne peuvent être réclamés qu’après que le débiteur ait été formellement mis en demeure de s’exécuter. Cette exigence de mise en demeure vise à protéger le débiteur contre une pénalisation injuste en cas de retard non imputable à sa faute. Selon Jean Carbonnier, « la règle selon laquelle les intérêts courent à partir de la mise en demeure vise à éviter que le débiteur ne soit pénalisé par des retards dont il n’est pas responsable, tout en protégeant le créancier contre l’inertie du débiteur ».

Par exemple, si l’indivision détient une créance de 30 000 euros à l’encontre d’un locataire tiers pour des loyers impayés, les intérêts moratoires ne commenceront à courir qu’à compter de la mise en demeure du locataire. Ces intérêts seront calculés au taux légal, sauf convention contraire.

==>Les intérêts des créances sur les indivisaires débiteurs

Le régime applicable aux intérêts des créances lorsque le débiteur est un indivisaire présente des spécificités par rapport aux règles générales du droit commun. L’article 866 du Code civil prévoit que les créances entre indivisaires produisent des intérêts de plein droit, sans qu’une mise en demeure ne soit nécessaire.

Deux cas de figure doivent être distingués quant au point de départ des intérêts :

  • Si la créance existait avant l’entrée en indivision, les intérêts courent à compter de la constitution de l’indivision ou de l’événement générateur de celle-ci (ouverture de la succession, dissolution de communauté, etc.).
  • Si la créance est née au cours de l’indivision, les intérêts courent à compter de la date d’exigibilité de la créance.

Prenons un exemple concret : deux personnes acquièrent ensemble un immeuble destiné à la location. Par la suite, l’un des indivisaires avance une somme importante pour réaliser des travaux de rénovation indispensables à la conservation du bien. Cette créance, dès lors qu’elle est exigible, produit des intérêts de plein droit, garantissant que l’indivisaire créancier ne soit pas pénalisé par le temps nécessaire à l’accord des parties ou à la dissolution de l’indivision. Comme le rappelle Laurent Aynès, « l’automaticité des intérêts sur les créances entre indivisaires vise à éviter qu’un indivisaire débiteur ne tire profit du retard dans la liquidation de l’indivision ».

Cependant, il convient de distinguer les créances ordinaires des créances de valeur. Les créances ordinaires, telles que les avances de fonds pour des travaux ou le remboursement de charges payées par un indivisaire, produisent des intérêts dès leur exigibilité. En revanche, les créances de valeur — c’est-à-dire celles dont le montant doit être déterminé lors du partage — ne produisent des intérêts qu’à compter de leur liquidation effective.

Par exemple, si un indivisaire réclame une indemnité d’occupation au titre de l’usage privatif d’un bien indivis, le montant de cette indemnité doit d’abord être fixé de manière définitive avant que des intérêts ne soient calculés. Cela garantit que le débiteur de la créance ne soit pas pénalisé par des intérêts sur un montant susceptible d’être contesté ou réévalué au cours des opérations de partage.

Comme le souligne Philippe Malaurie, « la fixation des intérêts sur les créances de valeur après leur liquidation préserve un équilibre entre la protection du créancier et la sécurité du débiteur, en évitant des calculs prématurés sur des montants incertains ».

Cette distinction s’inscrit dans une logique de prévisibilité des obligations pécuniaires au sein de l’indivision. Les créances ordinaires, dont le montant est connu dès l’origine, produisent des intérêts dès leur exigibilité. En revanche, les créances de valeur, par nature plus incertaines, attendent leur liquidation pour produire des intérêts. Cette règle permet de préserver la sécurité des relations entre indivisaires, tout en évitant des litiges prolongés liés à l’incertitude des montants en jeu.

Le droit de provoquer le partage à tout moment

L’un des principes cardinaux du droit de l’indivision réside dans le droit, pour tout indivisaire, de provoquer la fin de cette situation à tout moment, autrement dit, de solliciter le partage. Cette règle s’infère de l’article 815 du Code civil, lequel dispose, pour rappel, que « nul ne peut être contraint de demeurer dans l’indivision ». Ce droit, marqué par son caractère discrétionnaire et inconditionnel, incarne la nature transitoire et précaire de l’indivision, qui n’a jamais vocation à se maintenir indéfiniment.

Historiquement, les codificateurs de 1804 ont établi ce principe pour répondre à leur défiance envers l’indivision. Ils considéraient celle-ci comme un état économiquement néfaste, entravant la gestion dynamique des biens et créant des tensions entre indivisaires. L’exercice de droits concurrents sur un même bien, selon eux, ne pouvait qu’entraver son exploitation optimale. Ce postulat a conduit à l’inscription du droit au partage dans le Code civil comme un moyen de faciliter la transition vers une gestion individuelle et efficiente des patrimoines.

En effet, l’idée fondamentale sous-jacente au droit au partage est que l’indivision constitue une situation provisoire, destinée à évoluer vers une appropriation individuelle. Comme a pu le souligner Jean Carbonnier, « l’indivision n’est jamais une situation de stabilité, mais un passage temporaire vers la division et la propriété individuelle ».

L’indivision, bien qu’elle permette temporairement de partager la propriété d’un bien, reste donc un état transitoire. Les biens indivis sont appelés, tôt ou tard, à être divisés, attribués ou vendus pour permettre à chaque indivisaire d’exercer pleinement son droit de propriété. Comme l’a exprimé Christophe Albiges, cette précarité intrinsèque « confère à l’indivision un caractère fragile et sans pérennité ».

Ce caractère éphémère s’enracine dans la philosophie du droit de propriété, conçu comme un état pleinement exclusif. À ce titre, chaque indivisaire dispose d’un droit discrétionnaire au partage, qu’il peut exercer sans justification ni préavis, quel que soit le contexte.

Ce droit est une prérogative d’ordre public, étroitement liée au caractère imprescriptible du droit de propriété. Selon la doctrine le droit au partage procède du pouvoir d’exclusivité inhérent à la propriété, conférant ainsi à chaque indivisaire une liberté totale d’agir pour mettre fin à l’indivision. Ce principe universel s’applique indépendamment de l’origine ou de la durée de l’indivision.

C’est la raison pour laquelle l’article 815 du Code civil pose une règle claire et sans ambiguïté : le partage peut être demandé à tout moment. Cette disposition reflète l’idée que l’indivision ne doit pas entraver la pleine jouissance des droits de propriété de chaque indivisaire. Peu importe la nature des biens indivis ou les circonstances, le droit au partage s’exerce dans toutes les configurations.

Dans un arrêt de principe, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que les époux séparés de biens, tout comme d’autres indivisaires, peuvent solliciter le partage des biens indivis sans attendre une circonstance particulière, telle que la dissolution du mariage (Cass. 1ère civ., 14 nov. 2000, n°98-22.936).

Cette décision réaffirme ainsi que, même dans le cadre matrimonial, la précarité de l’indivision prime, en ce sens que la sortie de cette situation est toujours possible, indépendamment de la nature des biens indivis ou du contexte familial.

La vocation du régime de l’indivision est donc de conduire, tôt ou tard, à une appropriation individuelle des biens indivis.

Les modes de partage: principes généraux

Le partage peut s’opérer selon deux modalités distinctes : amiable ou judiciaire. Lorsque les indivisaires parviennent à s’accorder sur la répartition des biens, le partage amiable s’impose naturellement, privilégiant la souplesse, la rapidité et la maîtrise des coûts. Il repose sur le principe du consensualisme et permet aux parties de définir librement les modalités du partage, sous réserve du respect des règles de forme imposées par la nature des biens. Toutefois, lorsque l’unanimité fait défaut, qu’un indivisaire est empêché de consentir ou que des désaccords persistent quant à la composition des lots ou à la valeur des biens, le partage judiciaire devient inévitable. Placée sous le contrôle du juge, cette voie contentieuse assure l’équité entre les parties, mais au prix d’une procédure souvent longue et coûteuse. En tout état de cause, la loi privilégie le partage amiable, considérant le recours au juge comme une solution subsidiaire, réservée aux situations de blocage ou de conflit avéré.

I) Les variétés de modes de partage

Le partage, acte par lequel l’indivision prend fin pour attribuer à chaque indivisaire des droits exclusifs sur les biens concernés, constitue une étape essentielle en vue de liquider une succession, un régime matrimonial ou encore l’actif d’une personne morale.

Ce processus, destiné à mettre un terme à la copropriété indivise, peut être réalisé selon deux modes distincts : le partage amiable et le partage judiciaire. Ces deux formes traduisent des philosophies différentes, l’une valorisant le consensualisme, l’autre imposant l’intervention de l’autorité judiciaire.

==>Le partage amiable

Le partage amiable, favorisé par le législateur, repose sur l’accord unanime des indivisaires quant aux modalités de répartition des biens indivis. En vertu de l’article 835 du Code civil, dès lors que tous les indivisaires sont présents et capables, le partage peut intervenir dans les formes et selon les modalités librement définies par les parties. Il peut être formalisé par un acte sous seing privé ou un acte notarié, ce dernier étant obligatoire en présence de biens immobiliers pour garantir leur publicité foncière.

Ce mode de partage illustre la prééminence du consensualisme en présence d’une situation d’indivision. Sa rapidité, son faible coût et sa souplesse en font la solution privilégiée, particulièrement encouragée depuis la réforme de 2006. Même en cas de difficultés – présence d’un indivisaire protégé, présumé absent ou défaillant – des mécanismes spécifiques permettent de préserver le recours au partage amiable, moyennant autorisation ou représentation.

==>Le partage judiciaire

Lorsque l’accord entre les indivisaires fait défaut, que des désaccords surgissent sur la composition des lots ou que des indivisaires sont dans l’incapacité de consentir, le partage judiciaire s’impose comme une alternative incontournable. Encadré par l’article 840 du Code civil, ce mode de partage offre une solution dans les situations de blocage. La procédure, régie par les articles 1359 à 1378 du Code de procédure civile, implique la saisine du Tribunal judiciaire, lequel désignera alors un notaire liquidateur chargé de conduire les opérations de partage.

Le partage judiciaire est une procédure souvent longue et coûteuse, comprenant plusieurs étapes : l’établissement de l’état liquidatif, l’homologation des lots par le juge, et, en cas de désaccord persistant, le recours au tirage au sort ou à la licitation. Toutefois, cette procédure garantit l’équité entre les indivisaires et permet de trancher les litiges, assurant ainsi une répartition conforme à leurs droits respectifs.

Au bilan, Ces deux modes de partage traduisent un équilibre recherché par le législateur entre l’autonomie des parties et l’intervention de l’autorité judiciaire. Alors que le partage amiable favorise la liberté contractuelle et la rapidité, le partage judiciaire, bien qu’exceptionnel, demeure une garantie essentielle dans les situations conflictuelles. Il est d’ailleurs toujours possible pour les indivisaires, même après l’engagement d’une procédure judiciaire, de revenir à un partage amiable, conformément à l’article 842 du Code civil.

En définitive, cette dualité des modes de partage permet d’offrir une solution adaptée à chaque situation, conciliant souplesse, efficacité et respect des droits de chacun.

II) La détermination du mode de partage

Le partage des biens indivis constitue une étape décisive pour mettre fin à l’indivision, qu’elle résulte d’une succession, d’une séparation ou de toute autre situation juridique. Ce processus, bien que fondé sur le principe de la liberté contractuelle, est encadré par des règles destinées à garantir à la fois la protection des intérêts de chaque indivisaire et l’efficacité des opérations.

Le législateur, conscient des enjeux souvent émotionnels et financiers qui entourent le partage, privilégie le partage amiable comme mode principal. Cette voie consensuelle repose sur l’autonomie des indivisaires et leur capacité à s’accorder sur les modalités de répartition des biens. Toutefois, lorsque le consensus devient impossible ou que des circonstances particulières l’imposent, le partage judiciaire intervient en tant que solution subsidiaire, encadrée par des règles strictes pour préserver l’équité et la sécurité juridique.

A) Le partage amiable comme principe

Le partage amiable s’impose aujourd’hui comme la voie privilégiée pour mettre un terme à l’indivision. Il incarne l’autonomie des indivisaires et offre des avantages indéniables, alliant souplesse, efficacité et maîtrise des coûts.

Aux termes de l’article 835 du Code civil, le partage amiable repose sur la capacité juridique des indivisaires et leur présence effective, ou à défaut, leur représentation légale. Ce mécanisme exige également l’unanimité des parties, condition essentielle à sa mise en œuvre. En effet, les indivisaires doivent non seulement être capables de consentir au partage, mais également s’accorder sur les modalités du partage, qu’il s’agisse de l’évaluation des biens, de leur répartition ou de toute autre disposition.

La liberté qui caractérise le partage amiable permet aux indivisaires de personnaliser leurs accords, tout en respectant les exigences formelles imposées par la nature des biens. Par exemple, lorsque le partage porte sur des biens immobiliers, un acte notarié est requis conformément aux dispositions du décret du 4 janvier 1955, qui impose la publication foncière pour garantir la validité et l’opposabilité du partage.

La souplesse du partage amiable est tempérée par la nécessité de protéger les intérêts des indivisaires juridiquement incapables, tels que les mineurs ou les majeurs sous tutelle, ainsi que ceux des indivisaires absents. Dans de telles hypothèses, le législateur a prévu des mécanismes spécifiques visant à concilier la possibilité d’un partage amiable avec la protection des personnes vulnérables. L’article 836 du Code civil autorise ainsi un partage amiable sous réserve d’une autorisation préalable délivrée par le juge des tutelles ou, dans certains cas, par le conseil de famille.

Cette autorisation est essentielle pour garantir que les droits des indivisaires protégés soient scrupuleusement respectés. Le juge des tutelles ou le conseil de famille examine les modalités du partage, s’assurant notamment que l’état liquidatif ne lèse pas les intérêts des parties vulnérables. Ces mécanismes d’encadrement permettent de maintenir le principe du partage amiable, même lorsque tous les indivisaires ne peuvent y consentir directement.

Bien que le législateur encourage vivement le partage amiable, certaines situations peuvent rendre ce mode de règlement inapplicable. En cas de désaccord entre les indivisaires, sur les modalités du partage ou sur l’approbation de l’état liquidatif, l’unanimité requise fait défaut. De même, si le juge des tutelles refuse d’accorder l’autorisation nécessaire ou si les parties ne parviennent pas à un compromis, le partage amiable devient impraticable.

Dans ces cas, le recours au partage judiciaire s’impose. Ce mode, bien que subsidiaire, est encadré par des règles précises visant à garantir l’équité entre les parties. Toutefois, il s’accompagne de contraintes procédurales et économiques non négligeables : la demande en justice, l’intervention d’experts pour l’établissement de l’état liquidatif, les débats contradictoires et l’homologation par le tribunal engendrent des coûts et des délais significatifs. Ces inconvénients soulignent l’importance de privilégier le partage amiable chaque fois que cela est possible.

Le législateur, conscient des avantages du partage amiable, en fait aujourd’hui le principe, réservant le partage judiciaire aux situations où aucun autre moyen ne permet de mettre un terme à l’indivision. Cette promotion s’inscrit dans une logique de pacification des relations entre indivisaires, en encourageant la coopération et en limitant les conflits. Ainsi, même dans les cas complexes impliquant des personnes protégées ou absentes, le partage amiable demeure accessible, sous réserve de certaines adaptations procédurales.

B) Le partage judiciaire comme exception

Bien que le partage amiable constitue la règle, il arrive que les circonstances exigent une intervention judiciaire pour mettre fin à l’indivision. Dans de tels cas, le partage judiciaire, prévu par l’article 840 du Code civil, s’impose à titre subsidiaire, offrant une solution équitable lorsque le consensus des indivisaires est impossible ou inapproprié.

Lorsque l’unanimité fait défaut, le partage amiable ne peut prospérer. En cas de désaccord persistant entre les indivisaires, qu’il s’agisse de la répartition des biens, de leur évaluation ou des modalités de tirage au sort, le recours au juge devient inévitable. Cette intervention garantit que les opérations de partage se déroulent dans des conditions équitables pour tous.

De même, l’inertie ou le désintérêt volontaire d’un indivisaire peut également rendre nécessaire cette voie contentieuse. Dans de telles hypothèses, l’article 837 du Code civil impose qu’une mise en demeure soit préalablement adressée à l’indivisaire défaillant. Si ce dernier persiste dans son silence, le tribunal peut désigner un mandataire chargé de le représenter, mais le caractère judiciaire de la procédure demeure prédominant.

Certains biens indivis, en raison de leur complexité ou de leur nature particulière, requièrent l’intervention du juge pour que leur partage soit réalisé dans des conditions adéquates. Tel est le cas des biens immobiliers complexes ou indivisibles, lorsque les indivisaires ne parviennent pas à s’accorder sur leur valeur ou leur division matérielle. Dans de telles situations, la juridiction saisie peut ordonner une expertise ou, en dernier ressort, une vente judiciaire sous forme de licitation. De même, les biens grevés de droits spécifiques, tels que les sûretés réelles ou les mesures conservatoires, requièrent souvent une intervention judiciaire afin de lever les incertitudes juridiques et de permettre une répartition équitable.

La procédure de partage judiciaire se distingue par sa rigueur et son formalisme. Elle comprend des étapes bien définies, à commencer par la saisine du tribunal. Sous la direction d’un notaire désigné, un état liquidatif est établi, décrivant en détail la répartition projetée des biens. Cet état est ensuite soumis à l’homologation judiciaire, qui en garantit la conformité et la légalité. Enfin, dans les cas où la répartition ne peut être déterminée par un accord entre les parties, le tirage au sort des lots assure une allocation impartiale des biens. Bien que cette procédure puisse sembler contraignante, elle demeure essentielle pour préserver l’équité, notamment lorsque les relations entre les indivisaires sont conflictuelles ou que la nature des biens le requiert.

Malgré son importance dans les situations les plus complexes, le partage judiciaire reste une solution ultime et résiduelle. Le législateur, soucieux de promouvoir des solutions consensuelles, encourage une transition vers le partage amiable, même lorsqu’une procédure judiciaire est en cours. L’article 842 du Code civil permet ainsi aux parties, à tout moment, d’abandonner les voies judiciaires pour conclure un partage amiable, sous réserve d’un accord unanime. Cette disposition illustre la volonté de privilégier, autant que possible, une résolution autonome et harmonieuse des différends entre indivisaires.