Le règlement des comptes d’indivision

==>L’inscription en compte des créances et des dettes

Le fonctionnement du compte d’indivision repose sur un système d’inscription des créances et des dettes, qui sont consignées au fur et à mesure qu’elles se créent.

Ce système vise non seulement à différer l’exigibilité des créances jusqu’au moment du partage, mais aussi à maintenir une transparence absolue sur les flux financiers relatifs aux biens indivis.

Chaque opération est inscrite en compte, ce qui permet tracer les relations financières intervenant entre les indivisaires et la masse indivise.

L’enregistrement des créances et des dettes emporte transformation juridique de ces dernières en articles de compte. Une fois inscrites, elles perdent, en effet, leur individualité pour se fondre dans un ensemble unique d’où il résulte ce que l’on appelle un solde.

Ainsi, les dettes à terme, bien qu’elles ne soient pas immédiatement exigibles, sont intégrées au débit du compte, garantissant qu’un indivisaire ne puisse percevoir l’intégralité de sa part sans avoir honoré ses obligations envers l’indivision.

==>Compte d’indivision et compensation

Le compte d’indivision se distingue fondamentalement du mécanisme de compensation, car l’indivisaire n’est pas obligé directement envers chacun de ses coïndivisaires, mais bien à l’égard de la masse indivise.

Aussi, le compte d’indivision ne peut-il pas donner lieu à une compensation automatique des créances et dettes, laquelle suppose une exigibilité immédiate des obligations entre parties qui se trouvent mutuellement créancières et débitrices.

Dans le cadre de l’indivision, en revanche, le solde est établi en prenant en compte l’ensemble des créances et dettes, qu’elles soient ou non échues.

Par ailleurs, la notion même de compensation est inapplicable dans le contexte de l’indivision, car elle repose sur un principe de réciprocité qui n’existe pas ici : l’indivision n’est pas une personne morale, et les indivisaires n’agissent pas en tant que créanciers et débiteurs directs entre eux dans ce cadre.

De plus, la balance du compte d’indivision peut être réalisée même en cas de redressement ou de liquidation judiciaire d’un indivisaire, préservant ainsi les droits de l’ensemble des coïndivisaires sans porter atteinte aux créanciers personnels de l’indivisaire concerné.

==>L’imputation des créances et des dettes

S’agissant de l’imputation des créances et dettes inscrites dans le compte d’indivision, elle s’opère uniquement lors de l’établissement du solde final au moment du partage.

Si un indivisaire présente un solde créditeur, il pourra prélever la somme correspondante sur la masse indivise.

À l’inverse, si le solde est débiteur, cet indivisaire devra effectuer un rapport de dette.

Cette règle d’imputation protège les autres indivisaires contre l’insolvabilité éventuelle d’un indivisaire débiteur en permettant d’amortir sa dette sur la part qui lui revient au sein de la masse indivise.

Cette méthode d’allocation réduit les risques financiers pour la communauté, notamment dans les cas où les dettes personnelles d’un indivisaire excéderaient sa part dans l’indivision (Cass. civ., 11 janv. 1937).

En tout état de cause, les créances et les dettes inscrites dans le compte d’indivision produisent des intérêts au taux légal dès leur entrée en compte et jusqu’à la date du partage.

Ce mécanisme de valorisation continue assure que les créanciers ne voient pas leurs droits dévalorisés sous l’effet du temps, garantissant ainsi une juste compensation pour les indivisaires ayant avancé des fonds ou supporté des frais pour la préservation des biens indivis.

Les éléments composant les comptes d’indivision

Le compte d’indivision regroupe les créances et les dettes nées durant la période d’indivision, permettant ainsi de centraliser toutes les opérations financières effectuées au profit ou à la charge de la masse indivise.

Il peut être observé que l’inscription des créances et dettes dans le compte d’indivision présente un caractère essentiellement facultatif, laissant aux indivisaires une marge de manœuvre quant à la gestion de leurs créances et dettes vis-à-vis de la masse indivise.

En effet, chaque indivisaire, qu’il soit créancier ou débiteur, conserve une certaine liberté dans la décision d’inscrire ou non ses créances au compte d’indivision.

Par ailleurs, un indivisaire créancier, en vertu de l’article 815-17 du Code civil, peut, selon son intérêt, soit exiger immédiatement le règlement de sa créance, soit en reporter l’inscription jusqu’au moment du partage.

Cette faculté permet à l’indivisaire de moduler le moment où il souhaite récupérer les fonds investis dans la gestion de l’indivision, tout en évitant une exigibilité immédiate de créances qui pourraient mettre en péril la stabilité financière de l’ensemble indivis.

Cette flexibilité quant à l’inscription en compte n’est toutefois pas sans soulever des interrogations dans la doctrine.

Certains auteurs préconisent de distinguer la faculté d’inscription des créances selon la cause de la créance en question :

  • D’un côté, pour les dépenses strictement nécessaires à la conservation du bien indivis ou celles validées par tous les indivisaires, l’indivisaire créancier aurait le choix entre un paiement immédiat ou l’inscription en compte avec règlement au partage, assurant ainsi une revalorisation de sa créance pour garantir une répartition équitable entre les coïndivisaires.
  • D’un autre côté, pour les créances nées de dépenses non essentielles, la doctrine majoritaire estime que la créance devrait nécessairement être inscrite en compte et être régularisée lors du partage, afin d’éviter tout déséquilibre dans la jouissance et l’administration des biens indivis.

A) La détermination des créances et dettes pouvant être inscrites dans le compte d’indivision

1. Les créances et dettes pouvant être inscrites dans le compte d’indivision

a. Les créances

Le compte d’indivision regroupe diverses créances nées pendant la période d’indivision.

==>Dépenses de gestion et de conservation des biens indivis

Tout indivisaire qui engage des dépenses nécessaires à la gestion ou à la conservation des biens indivis peut inscrire cette créance dans le compte d’indivision.

Ces frais peuvent inclure des dépenses courantes telles que les réparations urgentes pour préserver la valeur du bien ou la mise en conformité avec les normes de sécurité,

Ces frais sont essentiels au maintien du bien en bon état, et l’indivisaire qui les prend en charge a droit à une créance équivalente sur l’indivision.

==>Amélioration du bien indivis

Les dépenses engagées pour améliorer le bien indivis, par exemple des travaux de rénovation, peuvent également être inscrites comme créances dans le compte d’indivision. Ces améliorations augmentent la valeur du bien et bénéficient à tous les indivisaires.

L’indivisaire qui finance ces améliorations peut demander une compensation au moment du partage en raison de l’augmentation de la valeur du bien (Cass. 1ère civ., 20 février 2001, n°98-13.006). Toutefois, ces créances ne seront liquidées qu’au moment du partage.

==>Prise en charge des impôts et taxes

Les indivisaires sont solidairement responsables du paiement des impôts et taxes relatifs aux biens indivis, tels que la taxe foncière ou les frais d’assurance.

Si un indivisaire avance ces frais pour le compte de l’indivision, il peut inscrire cette somme au compte d’indivision en tant que créance. Cette créance sera prise en compte lors du partage, garantissant à l’indivisaire le remboursement de sa contribution.

==>Rémunération du gérant

Si l’un des indivisaires est désigné gérant de l’indivision, il peut inscrire sa rémunération au compte d’indivision, même si cette créance peut parfois être payée immédiatement (Cass. 1ère civ., 10 mai 2006, n°04-12.473). Cette rémunération peut être déduite des produits de la gestion avant le partage final, garantissant au gérant une compensation pour son travail de gestion quotidienne.

b. Les dettes

Certaines dettes peuvent également être inscrites dans le compte d’indivision, représentant les obligations financières des indivisaires envers la masse indivise. Voici les principales dettes pouvant être inscrites au compte d’indivision :

==>Indemnité d’occupation privative

Lorsqu’un indivisaire occupe privativement un bien indivis, il doit indemniser l’indivision pour l’usage exclusif qu’il en fait.

Cette indemnité d’occupation est inscrite dans le compte d’indivision comme une dette à l’encontre de l’indivisaire occupant (C. civ., art. 815-9). Cette dette sera prise en compte lors du partage, l’indivisaire concerné devant compenser les autres indivisaires pour l’usage exclusif du bien.

==>Perception de fruits indivis

Si un indivisaire perçoit des fruits ou des revenus issus du bien indivis (par exemple, des loyers) sans les reverser à la masse indivise, il devient débiteur envers l’indivision (C. civ., art. 815-10).

Ces montants peuvent être inscrits au compte d’indivision en tant que dette et seront pris en compte lors du partage. Ce mécanisme garantit que les bénéfices du bien indivis soient répartis équitablement entre tous les indivisaires.

==>Détérioration ou négligence concernant un bien indivis

Si un indivisaire cause une détérioration au bien indivis par négligence ou non-respect de ses obligations de conservation, il peut être tenu de réparer cette détérioration.

Cette obligation peut être inscrite au compte d’indivision comme une dette à l’encontre de l’indivisaire fautif. Cette dette sera liquidée lors du partage.

2. Les créances et dettes exclues du compte d’indivision

Certaines créances ou dettes ne peuvent pas être inscrites au compte d’indivision, car elles ne sont pas directement liées à la gestion ou à la conservation du bien indivis, ou elles ne concernent que les relations entre les indivisaires eux-mêmes, et non avec l’indivision.

==>Créances entre indivisaires

Les créances personnelles entre indivisaires, telles que des prêts consentis entre eux, ne peuvent pas être inscrites dans le compte d’indivision.

Le compte d’indivision ne régit que les relations entre chaque indivisaire et la masse indivise, et non les relations personnelles entre indivisaires. Ces créances doivent être réglées séparément des opérations de l’indivision.

==>Avances en capital

Si un indivisaire a effectué une avance en capital dans l’indivision, cette avance n’est pas automatiquement inscrite au compte d’indivision.

Elle peut faire l’objet d’un accord distinct, et il appartient à l’indivisaire créancier de demander le paiement de cette avance avant le partage s’il le souhaite.

B) La preuve des créances et dettes pouvant être inscrites dans le compte d’indivision

La preuve des éléments inscrits dans le compte d’indivision repose sur les exigences énoncées à l’article 815-8 du Code civil, qui impose aux indivisaires une obligation de tenir un état dans deux situations bien distinctes :

  • L’indivisaire perçoit des revenus pour le compte de l’indivision
  • L’indivisaire expose des frais pour le compte de l’indivision

Dans le premier cas, l’indivisaire qui perçoit des fruits ou revenus provenant des biens indivis – qu’il soit détenteur d’un mandat explicite ou qu’il agisse en qualité de gérant de fait, voire dans le cadre d’une gestion d’affaires – est tenu de consigner ces recettes de manière rigoureuse.

Cette obligation n’est pas simplement une formalité administrative ; elle vise à garantir que chaque somme perçue pour le compte de l’indivision est comptabilisée de façon fidèle et rendue accessible aux autres indivisaires.

Ce relevé des revenus perçus permet ainsi de préserver l’équité entre les indivisaires, en évitant que l’un d’eux ne dispose, à titre individuel, de fonds qui devraient bénéficier à l’ensemble des co-indivisaires.

Dans un arrêt du 6 décembre 2005, la Cour de cassation a rappelé l’importance de cette obligation en censurant une décision qui n’avait pas vérifié que les revenus, en l’occurrence des loyers, avaient effectivement été perçus pour le compte de l’indivision (Cass. 1ère civ., 6 déc. 2005, n° 03-11.489).

Il ressort de cette décision que l’état des revenus perçus doit revêtir un caractère concret, appuyé par des preuves sérieuses, et ne saurait se fonder sur de simples évaluations ou conjectures.

Le second cas concerne les frais exposés pour le compte de l’indivision. Dans cette hypothèse, l’indivisaire qui avance des fonds pour des dépenses nécessaires, telles que des frais d’entretien, des mesures conservatoires ou des travaux d’amélioration, peut inscrire ces dépenses en tant que créance sur l’indivision.

Par exemple, un indivisaire qui finance des réparations urgentes sur un bien indivis ou qui règle des impôts fonciers dans l’intérêt de tous les indivisaires est en droit d’inscrire cette somme au compte d’indivision.

Cet enregistrement des dépenses, bien qu’il ne donne pas nécessairement lieu à un remboursement immédiat, assure que l’indivisaire concerné pourra faire valoir sa créance au moment du partage.

En ce sens, il ne s’agit pas uniquement d’une obligation de transparence, mais d’une garantie pour l’indivisaire contributeur d’être remboursé des frais exposés pour le compte de l’indivision.

L’obligation de tenir un « état » des opérations, qu’il s’agisse de revenus perçus ou de dépenses engagées, est volontairement imprécise dans son expression.

L’article 815-8 fait référence à la notion d’« état », sans définir la forme exacte que ce document doit revêtir.

En pratique, cet état prend la forme d’un relevé chronologique et détaillé, rendant compte des sommes perçues ou dépensées et accompagné des justificatifs nécessaires pour attester de la réalité de chaque transaction. Cette flexibilité permet une adaptation aux circonstances propres de chaque indivision, tout en respectant le principe de traçabilité.

A cet égard, dans son arrêt du 6 décembre 2005 cité précédemment, la Cour de cassation, a confirmé que ce document devait refléter des montants précis et effectivement perçus ou déboursés, plutôt que des valeurs hypothétiques ou non vérifiées.

L’état ainsi tenu doit être suffisamment détaillé pour permettre aux co-indivisaires de comprendre les flux financiers intervenus au sein de l’indivision et d’assurer ainsi une transparence totale sur les contributions respectives.

Dans certains cas spécifiques, tels que la gestion d’une activité commerciale ou agricole par un indivisaire pour le compte de l’indivision, les exigences en matière de preuve se renforcent.

La gestion de ces activités nécessite une comptabilité plus élaborée, intégrant des comptes précis et complets pour documenter les entrées et sorties de fonds liés à l’activité.

Ces circonstances imposent ainsi une adaptation du niveau de preuve, en raison des enjeux financiers souvent plus conséquents et de la nécessité d’assurer une équité entre les indivisaires.

La méthodologie d’établissement des comptes entre indivisaires

Comme vu précédemment, l’article 1368 du Code de procédure civile impose au notaire commis à la liquidation de dresser un état liquidatif des comptes entre les indivisaires. Cet état se matérialise par la constitution de comptes individuels au nom de chaque indivisaire, dans lesquels sont inscrites les créances et les dettes de chacun vis-à-vis de l’indivision. L’objectif est de clarifier les droits de chacun sur la masse partageable en prenant en compte les apports financiers, les bénéfices perçus et les dettes contractées pendant la période d’indivision.

A cet égard, chaque compte individuel retrace les flux financiers intervenus au profit ou à la charge de l’indivisaire, qu’il s’agisse :

  • Des créances que l’indivisaire détient sur la masse indivise, par exemple pour des dépenses engagées dans l’intérêt commun ;
  • Des dettes qu’il doit à la masse indivise, notamment en cas de jouissance privative d’un bien indivis ou de perception exclusive de revenus issus de l’indivision.

L’établissement du compte individuel permet de dégager un solde final, qui peut être :

  • Positif : l’indivisaire est créancier de la masse indivise. Il pourra prélever le montant de sa créance sur les biens ou les liquidités disponibles avant le partage.
  • Négatif : l’indivisaire est débiteur envers la masse indivise. Sa dette sera imputée sur la valeur des biens qui lui seront attribués lors du partage, selon le mécanisme du rapport en moins prenant prévu par l’article 864 du Code civil.

Ce solde final conditionne directement les droits de chaque indivisaire lors du partage. En effet, le compte d’indivision permet d’imputer les créances et les dettes sur la masse partageable, garantissant ainsi une répartition équitable des biens indivis entre les indivisaires.

Exemple pratique :

Un indivisaire finance à ses frais la réfection de la toiture d’un immeuble indivis pour éviter une dégradation majeure. Cette dépense, engagée dans l’intérêt commun, constitue une créance inscrite à l’actif de son compte individuel. À l’inverse, si un autre indivisaire occupe seul cet immeuble sans indemniser les autres indivisaires, il devra une indemnité d’occupation, inscrite au passif de son compte. Au moment du partage, ces créances et dettes seront prises en compte pour déterminer la part nette revenant à chaque indivisaire.

La nature du compte d’indivision

==>Termes du débat

La nature juridique du compte d’indivision fait l’objet d’une controverse doctrinale importante. Deux courants principaux s’opposent sur cette question.

  • Première thèse
    • Un premier courant doctrinal voit dans le compte d’indivision un véritable compte juridique, comparable à celui des récompenses dans la liquidation d’une communauté.
    • Selon cette conception, le compte d’indivision est bien plus qu’un simple état descriptif des flux financiers entre les indivisaires et l’indivision.
    • Il constitue un mécanisme juridique ce qui entraîne des effets juridiques immédiats dès l’inscription des créances.
    • En effet, dès que les créances et dettes sont inscrites au compte d’indivision, elles perdent leur individualité pour constituer un « bloc indivisible ».
    • Ce bloc est constitué de la totalité des créances et des dettes inscrites, qui se fondent ensemble pour former un solde unique.
    • Ainsi, les créances et les dettes disparaissent dans leur forme originelle et sont absorbées dans ce bloc indivisible, qui devient constitutif du solde du compte.
    • Ce mécanisme présente l’avantage de simplifier considérablement les relations financières au sein de l’indivision.
    • En effet, au lieu de procéder à des règlements individuels de créances ou de dettes pendant la durée de l’indivision, toutes les créances et dettes inscrites dans le compte s’annulent réciproquement, créant ainsi un solde net qui sera établi lors de la clôture du compte.
    • Ce solde est alors soumis à un règlement unitaire, qui n’interviendra qu’au moment du partage définitif.
    • Autrement dit, ce compte ne permet pas aux indivisaires de revendiquer individuellement l’exigibilité de leurs créances avant le partage.
    • Ce n’est qu’à la clôture du compte, c’est-à-dire au moment du partage de l’indivision, que le solde final sera calculé et réglé entre les indivisaires.
    • Cette conception s’inspire en partie de la théorie de la novation, selon laquelle l’inscription des créances dans le compte d’indivision entraîne leur transformation en simples articles de compte.
    • Ces articles perdent leur individualité juridique et sont soumis aux règles propres au compte, incluant notamment des mécanismes de compensation automatique.
    • Ainsi, ce solde unique résultant du compte d’indivision est opposable à tous les indivisaires au moment du partage, créant une liquidation simplifiée et homogène des créances et des dettes.
    • Les créances ne peuvent plus être exigées individuellement avant cette clôture, et elles ne redeviennent exigibles qu’au moment où le solde global est calculé lors du partage.
    • Ce fonctionnement unitaire garantit donc une gestion financière plus fluide, en évitant des contestations sur l’exigibilité des créances en cours d’indivision.
  • Seconde thèse
    • Les partisans du second courant doctrinal, parmi lesquels figure notamment Michel Grimaldi, adoptent une approche plus circonspecte quant à la qualification juridique du compte d’indivision.
    • Selon cette vision, le compte d’indivision s’apparente à un simple instrument de nature arithmétique, ayant pour seul objet de répertorier les mouvements financiers entre les indivisaires et l’indivision elle-même.
    • Il ne s’agit donc pas, selon cette conception, d’un compte juridiquement structuré, mais plutôt d’un registre destiné à faciliter le règlement comptable lors du partage final.
    • Autrement dit, le compte n’a pas pour effet de modifier la nature des créances et dettes qui y sont inscrites.
    • Chaque élément inscrit au compte conserve son individualité et demeure isolé.
    • Contrairement à la thèse opposée, qui envisage la fusion des créances et des dettes dans un « bloc indivisible », les défenseurs de cette approche soutiennent que le compte d’indivision ne joue qu’un rôle descriptif et informatif.
    • Il se contente de répertorier de manière précise et détaillée les créances et dettes de chaque indivisaire, sans entraîner de novation ou de transformation de la nature juridique de ces créances et dettes.
    • Ainsi, la fonction première du compte d’indivision, selon cette thèse, est de fournir un état détaillé des flux financiers, dans le but d’en simplifier le calcul au moment du règlement final.
    • Chaque créance ou dette est inscrite individuellement, avec son montant exact, et sans qu’il y ait fusion ou compensation entre elles avant le partage.

==>Thèse privilégiée

Entre les deux thèses en présence, la doctrine majoritaire tend à privilégier la première, en raison des particularités qui régissent le fonctionnement du compte d’indivision.

Tout d’abord, il convient de souligner que dès l’inscription des créances au sein du compte, celles-ci perdent leur individualité pour être fusionnées dans un « bloc indivisible ».

Ce solde global, regroupant créances et dettes, ne sera liquidé qu’au moment du partage définitif, instant précis où les droits et obligations des indivisaires seront également réglés. Cette fusion des créances démontre que le compte d’indivision dépasse le simple cadre d’un relevé comptable.

De plus, l’entrée des créances et des dettes dans le compte interrompt le cours de la prescription. Ce seul élément confère une portée juridique immédiate au compte, garantissant que les créances, loin de s’éteindre sous l’effet du temps, demeurent exigibles lors du partage.

Par conséquent, le compte ne se limite pas à fournir une information sur la situation financière de l’indivision, mais joue un rôle actif dans la préservation des droits des indivisaires.

Une autre différence majeure entre le compte d’indivision et un simple outil de gestion comptable réside dans l’absence de mécanisme de compensation.

Contrairement à la compensation, qui ne s’applique qu’à des dettes exigibles entre créanciers et débiteurs réciproques, le compte d’indivision prend en compte des créances et dettes qui ne sont pas forcément exigibles avant le partage.

De surcroît, il régit exclusivement les relations entre chaque indivisaire et la masse indivise, sans inclure les créances entre indivisaires eux-mêmes, ce qui souligne encore une fois sa vocation à gérer la relation globale au sein de l’indivision.

Par ailleurs, le but ultime du compte d’indivision est d’établir un solde unique à la clôture de l’indivision. Ce solde, qu’il soit positif ou négatif, est imputé sur les droits de l’indivisaire dans la masse indivise.

Ainsi, si un indivisaire se trouve créancier au moment du partage, il sera réglé par prélèvement sur la masse. À l’inverse, s’il est débiteur, sa dette sera imputée avant l’attribution de ses droits, protégeant ainsi les autres indivisaires contre les risques d’insolvabilité.

Au total, au regard de ces différentes règles et mécanismes, il apparaît que le compte d’indivision s’éloigne du simple outil de gestion comptable pour s’inscrire véritablement dans la catégorie des comptes juridiques.

Par la fusion des créances, la protection des droits, et l’imputation sur la masse indivise, il présente toutes les caractéristiques d’un compte juridique structuré, davantage que d’un simple registre descriptif.

La finalité des comptes entre indivisaires

L’établissement des comptes entre indivisaires répond à une nécessité impérieuse de régularisation des déséquilibres financiers nés au cours de la gestion de l’indivision. En effet, les relations entre indivisaires, loin d’être figées, évoluent au gré des apports, des dépenses et des bénéfices réalisés par chacun, rendant indispensable une clarification des droits et obligations respectifs avant tout partage définitif.

Les déséquilibres susceptibles de résulter de la gestion de l’indivision revêtent des formes variées. Ils peuvent résulter :

  • De dépenses engagées par certains indivisaires pour le compte de la collectivité indivise, telles que des frais d’entretien, des travaux de conservation ou encore des primes d’assurance. Ces dépenses, nécessaires à la préservation du patrimoine commun, doivent être prises en compte afin d’éviter qu’un seul indivisaire supporte des charges qui bénéficient à l’ensemble.
  • De la jouissance privative d’un bien indivis par un indivisaire, lorsque celui-ci occupe seul un immeuble indivis, privant ainsi les autres indivisaires de leur droit à la jouissance commune. Cette occupation exclusive engendre une dette à l’égard de la masse indivise, sous forme d’une indemnité d’occupation, destinée à rétablir l’équilibre entre les co-indivisaires.
  • De la perception exclusive de fruits ou de revenus issus des biens indivis par un indivisaire, par exemple lorsqu’un indivisaire perçoit seul les loyers d’un immeuble indivis sans en reverser la part revenant aux autres. Cette situation doit être régularisée pour garantir une répartition équitable des fruits entre tous les co-indivisaires.

Ces situations, bien que fréquentes, ne sauraient demeurer sans régularisation au risque de compromettre l’égalité qui doit présider au partage des biens indivis. L’objectif des comptes entre indivisaires est précisément de restaurer cet équilibre en tenant compte des créances et des dettes de chacun vis-à-vis de la masse indivise. Ils permettent d’éviter que certains indivisaires ne se trouvent avantagés au détriment des autres, notamment lorsque des dépenses ont été avancées ou des bénéfices perçus de manière inégale.

Comme le rappelle la doctrine, le compte d’indivision « se situe au carrefour des contributions financières et des droits patrimoniaux des indivisaires, visant à solder les relations économiques nées au cours de la gestion commune, afin d’assurer une liquidation juste et équitable »[11]. Il en résulte que les comptes entre indivisaires doivent être établis avec rigueur afin de garantir une répartition équitable des charges et des bénéfices.

Cette exigence de rigueur s’explique par le fait que l’établissement des comptes conditionne directement le partage. Un compte mal tenu ou incomplet pourrait fausser la liquidation de l’indivision, au risque d’engendrer de nouvelles contestations entre indivisaires. Dès lors, le rôle du notaire chargé de la liquidation apparaît primordial, ce dernier étant tenu de dresser un état précis des créances et des dettes de chacun, comme le prescrit l’article 1368 du Code de procédure civile.

Exemple pratique :

Un indivisaire finance seul des travaux de rénovation sur un immeuble indivis afin d’en préserver la valeur. Par ailleurs, un autre indivisaire perçoit les loyers générés par cet immeuble sans en reverser la part revenant aux autres. Ces situations doivent être régularisées lors de l’établissement des comptes, afin que le premier indivisaire puisse obtenir remboursement de sa créance et que le second soit redevable d’une indemnité correspondant aux loyers indûment perçus.

Ainsi, l’établissement des comptes d’indivision permet de dégager un solde global pour chaque indivisaire, qui sera imputé sur sa part dans la masse partageable. Si un indivisaire est créancier de la masse, il pourra prélever ce solde sur les biens indivis avant le partage. À l’inverse, si un indivisaire est débiteur, sa dette sera imputée sur sa part de l’actif net, garantissant ainsi une répartition équitable entre les co-indivisaires.

Aussi, les comptes d’indivision constituent l’ultime étape permettant de solder les relations entre indivisaires avant le partage. Leur rôle est de restaurer un équilibre entre les contributions financières de chacun et les bénéfices tirés de l’indivision, afin d’assurer une liquidation sereine.

Comptes entre indivisaires: l’obligation de tenir un état des créances et des dettes

L’établissement des comptes entre indivisaires constitue une étape cruciale dans le processus de liquidation de l’indivision, permettant de rétablir un équilibre financier au sein de la communauté indivise.

En tenant compte des créances et des dettes de chaque indivisaire vis-à-vis de la masse commune, cette opération vise à corriger les disparités nées de la gestion ou de la jouissance des biens indivis et à garantir une répartition équitable de la masse partageable.

À cet égard, Michel Grimaldi rappelle avec justesse que « l’établissement des comptes entre indivisaires assure une liquidation juste et équilibrée, en prenant en considération tant les contributions apportées que les prélèvements opérés par chacun sur le patrimoine commun »[10].

En application de l’article 815-8 du Code civil, toute personne percevant des revenus ou engageant des dépenses pour le compte de l’indivision est tenue de tenir un état des créances et des dettes.

Cette obligation s’étend non seulement aux indivisaires eux-mêmes, mais également à toute personne impliquée dans la gestion des biens indivis, qu’il s’agisse d’un mandataire désigné par les indivisaires ou d’une personne nommée par voie judiciaire.

L’état des créances et des dettes, couramment rédigé par un notaire, constitue un document essentiel à la gestion de l’indivision. Il doit être mis à la disposition des indivisaires et contenir un récapitulatif précis des recettes perçues et des dépenses engagées pour le compte de la collectivité indivise.

Ce document ne se limite pas à un simple état descriptif ; il est un véritable compte de gestion, destiné à permettre aux indivisaires de suivre de manière claire l’évolution financière de l’indivision. Il assure également la transparence quant à la répartition équitable des charges et des bénéfices entre les co-indivisaires.

Dans le cadre d’une succession, le rôle du notaire liquidateur devient primordial. Ce dernier est chargé de tenir un compte d’administration de l’indivision, qui centralise toutes les opérations financières effectuées au nom de la masse indivise.

Ce compte inclut non seulement les revenus perçus, tels que les loyers ou les produits de cession d’actifs indivis, mais également les dépenses nécessaires à la gestion des biens indivis, comme le paiement des taxes ou les frais d’entretien.

Bien que distinct du compte d’indivision proprement dit, ce compte d’administration joue un rôle essentiel. Il permet, en effet, d’établir les créances et les dettes de chaque indivisaire vis-à-vis de l’indivision et d’assurer une liquidation transparente au moment du partage.

Les alternatives au partage en nature: la division des biens comme moindre mal

Lorsque le recours à la soulte ne permet pas de rétablir l’équilibre entre les lots ou qu’il s’avère matériellement impossible d’attribuer certains biens indivis à un copartageant sans porter atteinte à l’égalité en valeur, la division matérielle des biens peut constituer une solution envisageable. Bien qu’elle soit loin d’être idéale, cette alternative peut apparaître comme le « moindre mal » dans des situations où le maintien de l’intégrité des biens indivis n’est ni économiquement justifiable ni juridiquement tenable.

Le morcellement des biens, tout en restant une opération délicate, peut alors se justifier dès lors qu’il permet d’éviter des solutions plus radicales, telles que la vente aux enchères. Toutefois, cette division doit être conduite avec prudence et discernement, afin de ne pas compromettre la valeur des actifs partagés ni les intérêts des copartageants.

==>La division acceptable des biens

La division matérielle des biens peut s’envisager dès lors que le morcellement n’entraîne pas une dépréciation excessive de leur valeur ou une perte d’utilité économique. Cette solution, bien que moins élégante que le partage en nature ou le recours à la soulte, peut se révéler appropriée dans certaines hypothèses concrètes.

Prenons l’exemple d’un terrain agricole de grande superficie, exploitable sous forme de plusieurs parcelles distinctes. Si chacune de ces parcelles présente une viabilité économique propre — c’est-à-dire qu’elle peut être exploitée de manière autonome sans perte significative de rendement — il est alors envisageable de les attribuer à différents copartageants. Une telle division permet d’éviter la vente forcée du terrain tout en respectant les droits de chacun.

De même, la répartition d’un portefeuille d’actions peut être envisagée lorsque chaque lot conserve une diversification adéquate. Dans cette hypothèse, la fragmentation du portefeuille ne porte pas atteinte à sa valeur intrinsèque ni à la capacité de chaque héritier de profiter d’un rendement équilibré. Il s’agit d’une solution pragmatique qui permet d’éviter le recours à des soultes trop importantes ou à une vente du portefeuille, qui pourrait être défavorable aux copartageants dans un contexte de marché défavorable.

En revanche, certains biens ne se prêtent pas à une division matérielle sans entraîner une perte significative de leur valeur ou de leur fonctionnalité. Il en va ainsi, par exemple, d’un immeuble d’habitation dont la division en plusieurs lots entraînerait des coûts de mise aux normes disproportionnés ou une dévalorisation globale du bien. Dans une telle situation, la division des biens ne saurait être retenue comme solution adéquate, et d’autres alternatives devront être envisagées.

==>Le rôle du juge dans l’appréciation du morcellement des biens

La division matérielle des biens indivis ne peut être réalisée sans un contrôle rigoureux du juge du partage, lequel joue un rôle central dans l’évaluation de l’opportunité d’un tel morcellement. Ce dernier doit s’assurer que la fragmentation des biens ne porte pas atteinte aux droits des copartageants ni à la valeur économique des actifs partagés.

Le pouvoir d’appréciation du juge en la matière est d’autant plus important que l’article 830 du Code civil invite à éviter la division des unités économiques ou des ensembles de biens dont le fractionnement entraînerait une dépréciation. Il revient donc au juge d’évaluer, au cas par cas, si la division matérielle envisagée est pertinente ou si elle risque de compromettre la viabilité économique des biens.

La Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt du 22 janvier 1985, que la division des biens devait être préférée à la licitation dès lors qu’elle permettait de préserver une partie de leur valeur économique (Cass. 1ère civ., 22 janvier 1985, n°83-12.994). Cet arrêt illustre parfaitement le rôle du juge dans la recherche d’un équilibre entre le respect des droits des copartageants et la préservation des actifs partagés.

En l’espèce, la Première chambre civile a censuré une décision de licitation prononcée par une cour d’appel, au motif que la division matérielle des biens, bien qu’imparfaite, aurait permis de constituer des lots équilibrés tout en évitant une vente aux enchères préjudiciable. La Haute juridiction a ainsi réaffirmé que la licitation devait être envisagée en dernier recours, lorsqu’aucune autre solution ne permet de garantir un partage équitable.

Le contrôle exercé par le juge sur le morcellement des biens répond à une logique de pragmatisme. Il s’agit d’éviter des solutions excessives ou disproportionnées, tout en veillant à ce que les droits des copartageants soient respectés. Le juge doit également s’assurer que la division des biens ne crée pas de nouvelles sources de contentieux, en prenant soin d’apprécier l’impact économique du morcellement sur les lots constitués.

Prenons l’exemple d’une exploitation viticole composée de plusieurs parcelles. Si la division de ces parcelles permet de constituer des lots cohérents, chacun conservant une capacité de production autonome, le juge pourra valider la répartition proposée. En revanche, si la division implique la fragmentation de l’unité de production — par exemple, en séparant les parcelles des installations de vinification — le juge pourrait refuser le morcellement au motif qu’il compromet la viabilité économique de l’exploitation.

==>L’appréciation du caractère inopportun du morcellement

Le caractère inopportun d’une division matérielle des biens s’apprécie au regard de plusieurs critères : la dépréciation potentielle du bien, les coûts engendrés par la division, et l’impact sur l’utilité économique du bien attribué. À cet égard, le juge dispose d’une grande liberté d’appréciation, mais doit motiver sa décision par des éléments concrets et pertinents.

L’article 830 du Code civil invite à éviter la division des ensembles de biens lorsque celle-ci entraîne une dépréciation notable. Il en résulte que la division doit être écartée si elle engendre une perte de valeur significative ou des frais disproportionnés. Le juge doit ainsi rechercher un juste équilibre entre les droits des copartageants et la préservation des actifs partagés.

En somme, la division matérielle des biens constitue une solution de compromis, qui ne peut être retenue que si elle permet de préserver une part significative de la valeur économique des actifs partagés. Elle doit être envisagée avec précaution, sous le contrôle vigilant du juge, afin de garantir que le partage demeure équitable et respecte les droits de chacun des copartageants.

Opérations de partage: l’exigence de maintien des unités économiques et autres ensembles de biens

Le partage des biens indivis est régi par deux principes directeurs qui assurent, à la fois, l’équité dans la répartition des droits entre les copartageants et la pérennité économique des biens partagés : le principe d’égalité en valeur et le principe de maintien des unités économiques. Ces règles, consacrées par le Code civil et enrichies par la jurisprudence, traduisent une volonté constante du législateur de concilier justice distributive et réalisme économique.

Nous nous focaliserons ici sur le second principe directeur.

Ce second principe directeur qui guide les opérations de partage repose sur la préservation des unités économiques. Consacré par l’article 830 du Code civil, celui-ci dispose que « dans la formation et la composition des lots, on s’efforce d’éviter de diviser les unités économiques et autres ensembles de biens dont le fractionnement entraînerait la dépréciation ». En établissant cette règle, le législateur entend concilier l’objectif d’égalité en valeur avec la nécessité de préserver la cohérence économique du patrimoine indivis.

Contrairement à la simple logique arithmétique qui présiderait à une répartition strictement proportionnelle des biens, ce principe invite à considérer les biens comme des ensembles fonctionnels, dont l’utilité et la valeur dépendent de leur maintien en bloc. Cette exigence s’inscrit dans une dynamique visant à assurer la viabilité économique des biens transmis et à éviter qu’un partage mal conçu ne provoque une dépréciation préjudiciable.

==>La notion d’unité économique

La réforme opérée par la loi du 23 juin 2006 a introduit la notion d’unité économique dans une acception plus large que les textes antérieurs. Si, historiquement, le droit visait principalement les exploitations agricoles, la portée de cette notion a été étendue pour englober tout ensemble de biens indivis dont la division entraînerait une perte de valeur économique significative.

Ainsi, peuvent être considérés comme des unités économiques :

  • Les exploitations agricoles, artisanales ou commerciales, lorsqu’elles forment un outil de travail nécessitant une gestion unifiée ;
  • Les immeubles d’habitation ou à usage professionnel, notamment lorsqu’ils génèrent des revenus locatifs stables ou lorsqu’ils constituent un ensemble indivisible sur le plan technique ;
  • Les collections d’objets d’art ou d’antiquités, dont la valeur intrinsèque dépend de leur caractère complet et cohérent ;
  • Les portefeuilles de titres financiers, dont le fractionnement pourrait compromettre la gestion stratégique des investissements.

La doctrine a largement salué cette évolution. Comme l’ont souligné des auteurs « la préservation des unités économiques dans les partages successifs constitue une avancée majeure, permettant d’éviter les morcellements destructeurs et de garantir la pérennité des exploitations ou des ensembles patrimoniaux ».

Cette vision élargie traduit une volonté du législateur de dépasser la stricte logique successorale pour intégrer une approche plus pragmatique, tenant compte des impératifs économiques et patrimoniaux.

==>Mise en œuvre

L’application de l’article 830 du Code civil repose sur un impératif clair : éviter que le partage des biens indivis ne compromette leur utilité économique. Cette règle autorise le juge, ou les copartageants lorsqu’ils s’entendent, à privilégier l’attribution préférentielle d’un bien indivis à un seul héritier, à charge pour celui-ci de compenser les autres copartageants par une soulte.

Un exemple emblématique de l’application de ce principe peut être trouvé dans l’attribution préférentielle des exploitations agricoles, prévue par les articles 831 et suivants du Code civil. Lorsque l’un des héritiers exploite une terre agricole ou un fonds artisanal, il peut demander à recevoir ce bien dans son intégralité afin d’assurer la continuité de l’activité économique. Les autres héritiers sont alors compensés par une soulte correspondant à leurs droits dans l’indivision.

Ce mécanisme permet de préserver l’intégrité des exploitations, d’éviter leur morcellement, et de garantir leur pérennité économique. La jurisprudence a validé à plusieurs reprises cette approche. Ainsi, dans un arrêt rendu le 5 mai 1981, la Cour de cassation a affirmé que le principe du partage en nature devait impérativement s’articuler avec la préservation des unités économiques. En l’espèce, il s’agissait de liquider une communauté matrimoniale après un divorce. La cour d’appel avait attribué à l’un des anciens époux l’exploitation agricole commune, tout en décidant que la propriété immobilière adjacente, également indivise, devait être partagée en nature par tirage au sort, au mépris de l’attribution préférentielle déjà consentie.

La Haute juridiction a censuré cette décision en rappelant que le partage en nature ne saurait être réduit à une stricte égalité formelle entre les lots. Lorsque des biens indivis ont été attribués à titre préférentiel à un indivisaire, la composition des lots doit tenir compte de cette attribution et viser à rétablir une égalité en valeur entre les copartageants, même si cela implique de déroger à la règle du tirage au sort.

La Cour de cassation a jugé que, dans une telle hypothèse, il convient d’attribuer à l’autre indivisaire des biens de valeur équivalente, au besoin en dérogeant au principe traditionnel du partage par lots égaux tirés au sort. Elle a précisé que la division des biens en plusieurs lots risquerait de compromettre l’intégrité de l’exploitation attribuée et de nuire à sa viabilité économique (Cass. 1re civ., 5 mai 1981, n° 79-16.444).

Cette décision illustre l’importance de la préservation des unités économiques dans les opérations de partage. La Cour souligne que le juge du partage doit s’efforcer de maintenir l’intégrité des biens indivis et éviter des fractionnements susceptibles d’entraîner une dépréciation. Ce faisant, elle confirme que le principe d’égalité en valeur, désormais consacré par l’article 826 du Code civil, prime sur la stricte égalité en nature, surtout lorsqu’il s’agit de préserver la cohérence économique du patrimoine partagé.

Le principe s’applique également aux biens immobiliers indivis, notamment les immeubles d’habitation ou à usage professionnel. La division d’un immeuble, lorsqu’elle implique des coûts de mise aux normes disproportionnés ou compromet sa rentabilité locative, peut justifier son attribution à un seul indivisaire. Une fois encore, la compensation des autres héritiers intervient par le biais d’une soulte.

Par exemple, la Cour de cassation a validé la décision d’une cour d’appel ayant attribué un immeuble indivis à un héritier unique, après avoir constaté que sa division en plusieurs lots aurait nécessité des travaux onéreux et compromis la viabilité économique des deux appartements concernés (Cass. 1re civ., 11 mai 2016, n° 15-18.993).

==>Le contrôle du juge

Lorsque les indivisaires ne parviennent pas à un accord, le juge conserve un rôle central dans la préservation des unités économiques. Il lui appartient de vérifier que la division des biens n’entraîne pas une dépréciation significative et que les solutions proposées respectent l’équilibre patrimonial entre les copartageants.

La jurisprudence rappelle que le juge doit rechercher des solutions pragmatiques, en privilégiant les attributions préférentielles et en veillant à ce que les compensations financières soient proportionnées. Il s’agit d’éviter que le fractionnement des biens n’entraîne des pertes de valeur irrémédiables ou des difficultés de gestion pour les copartageants.

Aussi, le juge du partage doit-il se poser en garant de l’équilibre entre l’efficacité économique du partage et le respect des droits des indivisaires. La préservation des unités économiques, lorsqu’elle est possible, permet d’éviter des morcellements préjudiciables et de garantir la stabilité patrimoniale des biens transmis.

Au bilan, le maintien des unités économiques dans les partages dépasse la simple logique de répartition arithmétique des biens. Il s’agit d’un impératif visant à préserver la cohérence patrimoniale et la viabilité économique des ensembles transmis. En combinant l’égalité en valeur et la préservation des unités économiques, le législateur a introduit un équilibre subtil entre souplesse et protection des patrimoines.

Opérations de partage: le principe de l’égalité en valeur

Le partage des biens indivis est régi par deux principes directeurs qui assurent, à la fois, l’équité dans la répartition des droits entre les copartageants et la pérennité économique des biens partagés : le principe d’égalité en valeur et le principe de maintien des unités économiques. Ces règles, consacrées par le Code civil et enrichies par la jurisprudence, traduisent une volonté constante du législateur de concilier justice distributive et réalisme économique.

Nous nous focaliserons ici sur le premier principe directeur.

L’article 826 du Code civil consacre le principe d’une égalité en valeur, rompant avec l’exigence historique d’égalité en nature. Cette évolution, issue de la réforme de 2006, rend le partage plus souple et mieux adapté aux réalités économiques, en permettant aux copartageants de recevoir des biens différents pour une valeur équivalente à leurs droits dans l’indivision.

Cependant, cette souplesse offerte par le principe de l’égalité en valeur connaît des limites. Le partage en nature reste privilégié, la licitation n’étant qu’un dernier recours (art. 827 C. civ.,). De même, le recours aux soultes est encadré pour éviter les déséquilibres au détriment des minoritaires, le juge conservant un contrôle sur la proportionnalité des compensations (Cass. 1re civ., 13 mai 2015, n°14-11.116).

Ainsi, si l’égalité en valeur facilite la répartition des biens, elle ne peut se faire au mépris des exigences d’équité et de préservation des droits de chacun, car, comme le rappelle Alain Sériaux, « l’équilibre du partage demeure le fondement de toute opération successorale ».

I) Evolution

Le Code civil de 1804, dans la continuité des idéaux révolutionnaires, avait érigé l’égalité en nature en règle cardinale des partages. L’article 826 ancien prévoyait que chaque cohéritier pouvait exiger sa part en nature des biens meubles et immeubles composant la masse partageable. Cette exigence était renforcée par l’article 832 ancien, qui imposait que chaque lot contienne, autant que possible, une proportion équivalente de biens similaires en nature, qu’il s’agisse de terres, de créances ou de mobiliers.

Cette quête d’une égalité formelle répondait à un souci d’équité mais s’est rapidement révélée contre-productive dans la pratique. Les biens immobiliers, notamment les exploitations agricoles, étaient fréquemment morcelés afin de satisfaire cette exigence, au détriment de leur rentabilité économique. Comme le soulignaient les auteurs au XIXe siècle cette pratique entraînait des conséquences désastreuses : fragmentation des terres, baisse de la productivité agricole, exode rural et même déclin démographique.

Face à ces dérives, la jurisprudence a tenté d’assouplir le principe en admettant que l’inégalité des lots puisse être compensée par le versement de soultes monétaires. La Cour de cassation, dès 1840, affirmait ainsi que « l’inégalité des lots en nature peut être corrigée par un retour en argent » (Cass. 12 juin 1840). Cependant, ces ajustements restaient insuffisants pour corriger les rigidités inhérentes au système.

Le véritable tournant législatif est intervenu avec le décret-loi du 17 juin 1938, qui a introduit la notion d’attribution préférentielle. Ce mécanisme permettait à un copartageant de recevoir un bien entier, notamment une exploitation agricole ou un fonds de commerce, moyennant le versement d’une soulte aux autres indivisaires. Ce dispositif visait à éviter le morcellement des unités économiques, tout en respectant les droits de chacun.

L’introduction de l’attribution préférentielle marquait une rupture importante avec le principe d’égalité en nature. Désormais, la répartition des biens pouvait être envisagée sous un prisme économique, en privilégiant la préservation des biens indivis dans leur intégralité. La doctrine a largement salué cette réforme comme une avancée nécessaire. Ainsi, des auteurs ont estimé que cette évolution législative a permis d’« éviter les morcellements destructeurs, qui nuisaient à la pérennité des exploitations agricoles ».

Aussi, le décret-loi de 1938 a-t-il amorcé un glissement progressif vers une nouvelle conception du partage, davantage orientée vers une égalité en valeur que vers une stricte répartition physique des biens. Cette transition s’est poursuivie au fil des réformes ultérieures, jusqu’à la consécration définitive de l’égalité en valeur par la loi du 23 juin 2006. 

II) Consécration du principe

La réforme opérée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 a définitivement abandonné le principe d’égalité en nature au profit de celui d’égalité en valeur, désormais consacré à l’article 826 du Code civil. Ce bouleversement législatif, salué par la doctrine comme une réforme majeure du droit successoral, a profondément modifié les mécanismes de partage, en substituant une logique économique et pragmatique à une stricte égalité formelle.

Ainsi, Pierre Catala qualifiait cette réforme de « révolution des colonnes du temple du droit successoral », tant elle bouleverse les fondements mêmes des règles de partage, jusque-là ancrées dans le dogme de l’égalité en nature.

L’article 826 du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi de 2006, énonce que « chaque copartageant reçoit des biens pour une valeur égale à celle de ses droits dans l’indivision ». Cette disposition marque une rupture nette avec le système ancien, qui exigeait que chaque lot contienne des biens de nature équivalente. Désormais, la priorité est donnée à l’équité patrimoniale, plutôt qu’à une stricte correspondance entre la nature des biens attribués.

Comme l’explique Michel Grimaldi, cette évolution répond à une double nécessité : simplifier les opérations de partage tout en tenant compte de la réalité économique des patrimoines à répartir.

En substituant à l’égalité en nature une logique d’égalité en valeur, le législateur permet désormais de constituer des lots hétérogènes, intégrant des biens de nature différente, pourvu que leur valeur corresponde aux droits de chaque indivisaire. Ce choix pragmatique évite notamment le recours systématique à la licitation, qui était auparavant l’unique solution lorsque les biens indivis étaient difficiles à partager en nature.

A cet égard, l’article 826, alinéa 4, du Code civil prévoit désormais un dispositif essentiel pour garantir l’égalité en valeur : le versement de soultes. Cette compensation monétaire permet d’éviter le morcellement des biens indivis tout en assurant une répartition équitable entre les copartageants.

André Sériaux souligne que la soulte n’est pas une simple mesure compensatoire, mais un véritable instrument de préservation des unités économiques, permettant de concilier les intérêts des indivisaires avec les réalités économiques des patrimoines indivis.

Ainsi, lorsqu’un bien indivis, tel qu’un immeuble ou une exploitation agricole, est attribué à un seul copartageant, les autres indivisaires reçoivent une compensation financière correspondant à leur part dans le bien attribué. Ce mécanisme permet d’éviter les ventes forcées, souvent préjudiciables sur le plan économique, et préserve la stabilité des patrimoines familiaux.

La consécration du principe d’égalité en valeur par la réforme de 2006 a été rapidement confirmée par la jurisprudence, qui en a précisé les modalités d’application. Dans un arrêt du 11 mai 2016, la Cour de cassation a rappelé que la licitation — c’est-à-dire la vente forcée des biens indivis — devait rester une solution de dernier recours, exclusivement réservée aux hypothèses où le partage en nature est matériellement ou économiquement impossible (Cass. 1ère civ., 11 mai 2016, n°15-18.993).

Dans cette affaire, des difficultés étaient survenues lors du partage successoral entre deux copartageants, portant sur un immeuble composé de deux appartements. L’un des indivisaires sollicitait une répartition en nature, afin que chaque partie reçoive un appartement distinct. Toutefois, les juges du fond ont relevé que les deux logements étaient dépendants l’un de l’autre, les installations de chauffage, d’eau et d’électricité étant centralisées dans l’appartement du rez-de-chaussée. En outre, ils ont constaté que la mise aux normes des installations aurait engendré des frais considérables, rendant la division en nature impossible sans préjudice économique.

Confirmant cette analyse, la Cour de cassation a validé l’appréciation souveraine de la cour d’appel, estimant que le bien n’était pas commodément partageable en nature et que la licitation était justifiée. Elle a ainsi rejeté le recours formé par l’un des copartageants, soulignant que la vente forcée devait être motivée par l’impossibilité matérielle ou financière de constituer des lots équitables.

L’arrêt du 11 mai 2016 a été largement salué par la doctrine. Des auteurs ont souligné que cette décision permettait de préserver la stabilité économique des patrimoines partagés, en évitant des solutions de partage qui pourraient entraîner une dévalorisation des biens. La jurisprudence encourage ainsi les juges à privilégier les solutions pragmatiques qui assurent le maintien de l’intégrité des biens indivis, tout en respectant les droits des copartageants.

Cet arrêt s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle visant à restreindre le recours à la licitation. En effet, bien que le principe d’égalité en valeur simplifie les opérations de partage, il ne doit pas conduire à démembrer des unités économiques ou à procéder à des ventes forcées lorsque des solutions alternatives sont envisageables. Comme l’a souligné Bernard Beignier, « le juge doit rechercher des modalités de partage qui préservent l’unité des biens et garantissent une répartition équitable, sans compromettre la viabilité économique des lots attribués ».

Enfin, il peut être observé que la consécration du principe d’égalité en valeur n’est pas sans avoir renforcé la liberté de disposer au moyen de libéralités. En effet, le législateur autorise désormais les testateurs à transmettre un bien entier à un successible, sans être contraints de composer des lots équivalents en nature. Cette évolution permet de respecter les intentions du défunt, tout en évitant les conflits successoraux.

Plus encore, la possibilité de léguer un bien entier, moyennant compensation en argent pour les autres héritiers, permet une gestion apaisée des partages successoraux, tout en garantissant la préservation des unités économiques.

Cette évolution est particulièrement utile dans le cadre des donations-partages, qui permettent d’anticiper les successions et d’éviter les contestations postérieures. En effet, la donation-partage avec soulte permet aux parents de répartir leur patrimoine de manière équitable, tout en évitant les litiges futurs.

Cependant, la souplesse introduite par le principe d’égalité en valeur ne saurait occulter les limites qui encadrent son application. Le législateur, comme la jurisprudence, a pris soin de fixer des garde-fous pour éviter les abus, notamment en préservant la vocation des copartageants à recevoir des biens en nature et en encrant le recours au système de la soulte.

III) Limites

Consacré par l’article 826 du Code civil, le principe d’égalité en valeur a insufflé aux opérations de partage une souplesse nouvelle, mieux adaptée aux réalités patrimoniales contemporaines. Toutefois, cette flexibilité ne saurait se déployer sans limites. Afin de prévenir toute dérive susceptible de porter atteinte aux droits des copartageants, des garde-fous demeurent indispensables. Ces derniers se manifestent à travers le maintien de la vocation au partage en nature, l’encadrement rigoureux des soultes pour garantir leur nécessité et leur juste proportion, ainsi que le contrôle juridictionnel des modalités de répartition.

==>La vocation au partage en nature

Si l’égalité en valeur a assoupli les règles du partage, elle ne doit pas faire oublier que le partage en nature reste le mode privilégié d’allotissement des biens indivis. Chaque indivisaire conserve le droit, en principe, de recevoir une part tangible des biens constituant la masse partageable (art. 826, al. 2 C. civ.,), ce qui évite que le partage ne se réduise à une simple répartition monétaire.

Cette vocation au partage en nature repose sur une logique patrimoniale et historique, visant à préserver l’intégrité des biens et à éviter leur dilution par la vente forcée. Toutefois, dans certaines situations, un partage en nature peut s’avérer matériellement ou économiquement impossible, rendant nécessaire le recours à la licitation, solution que le Code civil réserve aux cas où les biens ne peuvent être commodément divisés (art. 827 C. civ.).

La jurisprudence a rappelé que cette solution doit rester exceptionnelle. Dans un arrêt du 22 janvier 1985, la Cour de cassation a jugé que la licitation ne pouvait être ordonnée qu’en cas d’impossibilité manifeste de partage en nature, notamment lorsque le morcellement des biens aurait entraîné une perte de valeur significative (Cass. 1re civ., 22 janv. 1985, n°83-12.994). La doctrine partage cette approche en insistant sur le fait que la licitation doit être évitée dès lors qu’il existe des solutions permettant un allotissement équitable. Car en effet, la licitation n’est jamais neutre économiquement : elle tend à briser l’unité des biens et à réduire leur valeur globale, justifiant qu’elle soit strictement encadrée.

==>L’encadrement des soultes

Le versement de soultes est un mécanisme permettant de garantir l’égalité en valeur lorsque les lots attribués aux copartageants présentent des écarts de valeur. Ce système permet d’éviter le recours systématique à la vente des biens indivis, en assurant une compensation monétaire entre les copartageants.

Cependant, le recours aux soultes doit être encadré par des critères de nécessité et de proportionnalité, afin d’éviter qu’il ne porte atteinte aux droits des indivisaires minoritaires. Une soulte excessive pourrait en effet déséquilibrer les opérations de partage et créer une inégalité substantielle entre les copartageants.

La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 13 mai 2015, a rappelé avec fermeté que le juge du partage conserve un pouvoir souverain d’appréciation quant au montant des soultes, afin d’éviter qu’une compensation financière excessive ne compromette l’équilibre entre les copartageants (Cass. 1re civ., 13 mai 2015, n° 14-11.116).

Dans cette affaire, des difficultés étaient survenues lors des opérations de partage successoral, notamment au sujet d’une villa constituant l’essentiel de la masse indivise. La cour d’appel avait ordonné la licitation de ce bien, au motif que les héritiers ne parvenaient pas à s’accorder sur un partage amiable. La Cour de cassation a censuré cette décision en rappelant que la licitation ne peut être ordonnée que si le bien indivis est incommode à partager en nature, conformément à l’article 827 du Code civil. En l’espèce, le partage en nature était techniquement envisageable, mais la cour d’appel n’avait pas suffisamment recherché si des solutions alternatives permettaient d’éviter la vente aux enchères.

Par ailleurs, la Cour a cassé la décision de la cour d’appel qui avait délégué au notaire liquidateur la fixation du montant des créances d’un copartageant. La Haute juridiction a rappelé que cette mission relève du pouvoir exclusif du juge, lequel doit s’assurer que les sommes versées à titre de soulte sont justifiées, nécessaires et proportionnées à l’écart réel entre les lots. Cette exigence garantit que les soultes ne créent pas un déséquilibre substantiel entre les indivisaires et évitent ainsi tout enrichissement injustifié d’un copartageant au détriment des autres.

==>Le contrôle juridictionnel des opérations de partage

Le juge du partage joue un rôle central dans le respect du principe d’égalité en valeur. Son intervention est particulièrement cruciale dans les partages judiciaires, lorsque les indivisaires ne parviennent pas à un accord amiable.

Le contrôle juridictionnel s’exerce tant sur la composition des lots que sur le montant des soultes. Le juge doit vérifier que les opérations de partage respectent les droits des copartageants et ne créent pas une inégalité manifeste. Il doit également veiller à ce que le partage proposé ne compromette pas la pérennité économique des biens attribués.

Par exemple, le juge peut refuser de valider un partage si la répartition des biens conduit à une dissolution excessive des unités économiques ou si les lots attribués ne correspondent pas aux besoins réels des copartageants.

Ainsi, le juge du partage est le garant ultime de l’équilibre entre les exigences économiques du partage et la protection des droits des indivisaires ».

La jurisprudence a également souligné que le juge devait s’assurer que les biens attribués à chaque copartageant respectent les impératifs de justice distributive, c’est-à-dire qu’ils soient équivalents en valeur tout en évitant la dévalorisation du patrimoine indivis.

En somme, le contrôle juridictionnel vise à éviter les abus dans les opérations de partage et à garantir que les règles posées par le principe d’égalité en valeur soient effectivement respectées. Il s’agit d’une garantie essentielle pour maintenir un équilibre entre les impératifs économiques des opérations de partage et la protection des droits des indivisaires, assurant ainsi la sécurité juridique et la pérennité économique des patrimoines partagés.

Action en partage: les parties à l’instance

L’action en partage repose sur un principe fondamental : la participation obligatoire de l’ensemble des indivisaires à la procédure. Cette exigence garantit que chaque coindivisaire puisse faire valoir ses droits et que les décisions rendues soient opposables à tous. Le caractère indivisible de l’action impose ainsi l’assignation de tous les indivisaires, sans laquelle la procédure serait irrégulière. Parallèlement, le partage judiciaire se distingue par la réciprocité des qualités de demandeur et de défendeur entre les indivisaires, chacun pouvant indifféremment formuler des demandes ou des moyens de défense tout au long de la procédure. Ce mécanisme assure une pleine égalité procédurale et favorise une gestion souple et équilibrée des intérêts en présence.

I) La nécessité d’assigner tous les indivisaires

L’action en partage ne saurait être valablement introduite sans que tous les coindivisaires soient appelés à y participer. Ce principe, qui confère à l’action en partage un caractère indivisible, vise à garantir que chaque indivisaire dispose de la faculté de faire valoir ses droits et de présenter ses observations. Il en résulte que les décisions rendues dans l’instance doivent être opposables à tous, y compris à ceux qui n’auraient pas activement participé ou qui seraient restés silencieux.

La jurisprudence a clairement établi que l’omission d’un indivisaire est de nature à entacher la procédure d’irrégularité. Toutefois, cette irrégularité peut être couverte par l’intervention volontaire de l’indivisaire omis ou par son appel en la cause au cours de l’instance (Cass. 1ère civ., 18 juill. 1963). Néanmoins, le coindivisaire omis conserve la faculté d’exiger que l’intégralité de la procédure soit reprise contradictoirement avec lui. À défaut, il est admis qu’il puisse former une tierce opposition contre le jugement ordonnant le partage ou la licitation. En revanche, lorsqu’un indivisaire s’abstient volontairement de participer, notamment dans des circonstances excluant toute justification valable, il ne sera pas admis à contester un partage homologué sous prétexte qu’il ne protégerait pas suffisamment ses intérêts (Cass. civ. 1re, 7 juin 1988).

A cet égard, en pratique, il est fréquent qu’un indivisaire, par inertie ou indifférence, s’abstienne de participer activement aux opérations de partage. Cette attitude, bien qu’entravant la bonne marche de la procédure, ne saurait toutefois bloquer indéfiniment les opérations. Aussi, l’article 841-1 du Code civil, prévoit des mécanismes pour pallier cette inertie.

Conformément à l’article 841-1 du Code civil « si le notaire commis pour établir l’état liquidatif se heurte à l’inertie d’un indivisaire, il peut le mettre en demeure, par acte extrajudiciaire, de se faire représenter ». L’article 1367 du Code civil précise que la mise en demeure signifiée à l’indivisaire défaillant « mentionne la date prévue pour réaliser les opérations de partage ». Elle doit, par ailleurs, informer l’indivisaire des conséquences de sa défaillance.

Faute pour l’indivisaire d’avoir constitué mandataire dans les trois mois de la mise en demeure, le notaire peut demander au juge de désigner toute personne qualifiée qui représentera le défaillant jusqu’à la réalisation complète des opérations. Pour ce faire, le notaire dresse un procès-verbal et le transmet au juge commis afin que soit désigné un représentant à l’héritier défaillant.

La désignation d’un tel mandataire a des conséquences importantes. En effet, si elle permet d’éviter les blocages procéduraux, elle prive l’indivisaire défaillant de toute possibilité d’intervention directe dans les décisions prises au cours des opérations. Toutefois, il conserve un droit à l’information, garantissant un équilibre minimal entre l’avancement de la procédure et le respect de ses droits (Cass. 1ère civ., 7 juin 1988).

Enfin, il peut être observé que le principe d’indivisibilité de l’action en partage ne se limite pas à la première instance, il joue également dans le cadre d’une procédure d’appel ou de cassation. En cas d’exercice d’une voie de recours, l’ensemble des indivisaires doit être mis en cause, sous peine de voir le recours formé frappé d’irrecevabilité. Par ailleurs, un appel interjeté par un seul indivisaire bénéficie à tous, confirmant une nouvelle fois le caractère indissociable de leurs intérêts.

II) La réciprocité des qualités de demandeur et défendeur

Une caractéristique essentielle du partage judiciaire réside dans la réciprocité des qualités de demandeur et de défendeur entre les indivisaires. Dès l’introduction de l’instance, chaque partie peut indifféremment formuler des demandes principales ou incidentes, qu’elles portent sur l’établissement de l’actif, du passif ou encore sur les modalités de répartition.

Ainsi, toute demande formulée, qu’elle soit principale ou incidente, est traitée comme une défense à une prétention adverse, offrant aux parties une grande souplesse procédurale (Cass. 1ère civ., 25 sept. 2013, n°12-21.280). Ce principe favorise une dynamique où les défendeurs peuvent développer leurs propres demandes reconventionnelles ou additionnelles, touchant aussi bien à l’établissement de l’actif qu’à la répartition des charges du passif.

La réciprocité des qualités joue également dans le cadre de l’exercice des voies de recours, consolidant le caractère collectif et indivisible de l’action en partage. Ainsi, l’appel interjeté par un seul indivisaire profite à tous les autres, leur permettant de bénéficier des effets de l’appel sans avoir à le former eux-mêmes.

Par ailleurs, le principe de réciprocité des qualités déroge à la règle générale de concentration des moyens, qui impose, sous peine d’irrecevabilité, que toutes les prétentions soient présentées dans le premier jeu de conclusions adressées à la Cour d’appel.

Cette règle est écartée dans le cadre du partage, où les parties, étant respectivement demanderesses et défenderesses, peuvent introduire des demandes nouvelles en cours d’instance ou même en appel. Par exemple, des prétentions relatives à l’ajout de biens omis, à la contestation d’un acte de recel ou à la reconnaissance d’un droit à attribution préférentielle restent recevables, même si elles ne figuraient pas dans les premières conclusions (Cass. 1ère civ. 9 juin 2022, n°19-24.368).