Le devoir de conseil en assurance: régime

==>Notion

Parler de devoir de conseil plutôt que d’obligation de conseil ne relève pas d’une simple coquetterie terminologique. Ce glissement lexical signale une inflexion plus profonde dans la manière de concevoir la relation entre le distributeur d’assurance et son interlocuteur. Là où la notion d’obligation s’inscrit dans l’architecture classique du droit des contrats — créancier, débiteur, inexécution, responsabilité —, celle de devoir suggère une exigence plus vaste, moins circonscrite par les seules catégories juridiques. Le devoir renvoie à une posture professionnelle, à une attitude d’engagement éclairé qui excède le strict formalisme normatif.

En cela, le devoir se distingue de l’obligation par son enracinement dans une forme d’éthique de la relation, parfois qualifiée de déontologique, parfois pensée en termes fonctionnels. Là où l’obligation décrit un lien contraignant entre deux sujets de droit, le devoir incarne une norme d’attitude, qui traduit l’idée selon laquelle savoir implique responsabilité. Le distributeur ne se contente pas d’exécuter une prestation : il est supposé comprendre, anticiper, orienter. Il ne subit pas l’obligation, il assume un rôle.

De plus en plus présente dans la doctrine, cette terminologie s’affirme comme une manière d’exprimer que la norme juridique, ici, ne se contente pas d’ordonner un comportement mais qualifie une charge professionnelle spécifique, liée à l’asymétrie d’information, à la technicité du produit, à la vulnérabilité relative du preneur d’assurance. Le choix du mot devoir est donc porteur : il traduit une évolution du droit positif vers une exigence de comportement structurant l’identité même du professionnel, et non plus seulement les modalités de son engagement contractuel.

En somme, là où l’obligation engage juridiquement, le devoir engage ontologiquement le professionnel dans ce qu’il est et ce qu’il représente : un acteur du marché, certes, mais surtout un intermédiaire de confiance, un professionnel de l’éclairage dans un domaine complexe, opaque, parfois anxiogène. C’est dans cette perspective que doit être saisie la notion de devoir de conseil, telle qu’elle se dégage de l’article L. 521-4 du Code des assurances.

Loin de demeurer une pure construction doctrinale, cette exigence a désormais trouvé son assise dans un fondement textuel explicite. L’article L. 521-4 du Code des assurances érige le devoir de conseil en obligation précontractuelle autonome, engageant le professionnel dans une démarche active et personnalisée : il doit s’enquérir des exigences et des besoins exprimés par le client, apprécier la pertinence du contrat envisagé au regard de ces éléments, et émettre, le cas échéant, un avis motivé sur l’opportunité de souscrire. La directive du 20 janvier 2016, dont cette disposition est la transposition, conforte cette orientation en conférant au conseil une fonction structurante de l’acte de distribution.

La doctrine souligne cette spécificité. Ainsi, Hubert Groutel rappelle que le conseil « suppose une appréciation intellectuelle, une analyse comparative et une orientation active ». Il ne s’agit donc pas simplement de porter à la connaissance du souscripteur un contenu normatif ou contractuel, mais de l’accompagner, par une démarche de compréhension, vers la solution la mieux adaptée à sa situation. Le conseil se distingue de l’information par sa dimension qualitative, par l’effort d’intelligibilité et par l’intention d’orientation.

Dès lors, le devoir de conseil peut être défini comme l’exigence faite au professionnel d’accompagner le client dans son acte de souscription, par un processus d’analyse, de reformulation et de recommandation, en fonction des besoins qu’il a su exprimer ou que le professionnel a pu objectiver. Il ne s’agit pas simplement d’informer, ni même de prévenir : il s’agit d’aider à décider — ce qui suppose de faire preuve de compétence, de loyauté, et d’écoute.

==>L’évolution du devoir de conseil

Le devoir de conseil n’est pas une création législative ex nihilo. Il s’est d’abord construit dans le silence des textes, au fil d’une construction prétorienne, par laquelle la jurisprudence a progressivement imposé au professionnel de l’assurance une exigence de loyauté active à l’égard de son client. Ce mouvement, d’abord diffus, s’est nourri d’une logique d’équité et d’efficacité, à mesure que les juridictions, confrontées à des litiges mettant en cause des intermédiaires défaillants, en ont affirmé la nécessité.

Un arrêt précurseur mérite en ce sens d’être signalé. Dans un arrêt du 10 novembre 1964 (Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, n°62-13.411), la Cour de cassation reconnaît explicitement que le courtier d’assurance, au regard de la relation de confiance nouée avec son client de longue date, ne saurait se soustraire à un rôle actif dans le suivi et l’évaluation des garanties souscrites. En l’espèce, la haute juridiction approuve les juges du fond d’avoir reproché au professionnel de ne pas avoir été, vis-à-vis de son client, « le guide sûr et le conseiller expérimenté qu’il aurait dû être ». Le manquement ainsi constaté n’était pas réductible à une simple omission, mais relevait d’une véritable défaillance dans l’exercice d’un rôle de vigilance et d’accompagnement. Par cette formule, la Haute juridiction anticipe déjà, en creux, ce que la doctrine qualifiera plus tard de devoir de conseil.

Cette position jurisprudentielle a ensuite connu un développement soutenu, notamment dans les années 1980. Ainsi, la responsabilité d’un agent général est retenue pour ne pas avoir proposé une garantie couvrant précisément les besoins exprimés par l’assuré (Cass. 1re civ., 6 mai 1981). Cette solution reposait encore sur le droit commun de la responsabilité, en particulier l’ancien article 1382 du Code civil, et n’exigeait pas nécessairement l’existence d’un contrat entre l’assuré lésé et le professionnel fautif.

C’est le droit européen qui viendra donner à cette exigence un fondement textuel spécifique. La directive du 9 décembre 2002 a amorcé la reconnaissance du conseil comme une composante autonome de la distribution d’assurance. Mais c’est la directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 (dite directive sur la distribution d’assurance, ou DDA) qui parachève cette reconnaissance. Elle définit expressément le conseil comme “la fourniture de recommandations personnalisées à un client, à sa demande ou à l’initiative du distributeur des produits d’assurance, au sujet d’un ou de plusieurs contrats d’assurance” (art. 2, § 15, DDA), et l’érige en exigence centrale du processus de distribution. La directive promeut ainsi une logique d’adéquation entre les caractéristiques du produit et les besoins propres du souscripteur, ce qui renforce la portée fonctionnelle du devoir de conseil.

Transposée à l’article L. 521-4 du Code des assurances, la définition du devoir de conseil issue de la directive (UE) 2016/97 s’impose aujourd’hui comme une règle juridique autonome, applicable à l’ensemble des professionnels de la distribution d’assurance, sans distinction de statut ou de mode d’intervention. Le texte français reprend fidèlement les exigences européennes en imposant au distributeur :

  • de s’enquérir des exigences et des besoins exprimés par le client ;
  • d’apprécier l’adéquation du contrat proposé à cette situation ;
  • et, le cas échéant, de formuler un avis motivé sur l’opportunité de souscrire.

Cette transposition ne se limite pas à formaliser une pratique déjà existante : elle transforme la nature même de l’exigence. Ce qui relevait autrefois d’un impératif de loyauté, nourri par la jurisprudence et les usages professionnels, devient désormais une obligation légale précisément définie. Le conseil n’est plus laissé à l’appréciation du professionnel : il s’impose comme une condition incontournable de la validité de l’acte de distribution. Le droit n’invite plus à bien faire : il ordonne de faire bien.

==>La fonction du devoir de conseil

Le devoir de conseil ne saurait être relégué au rang d’exigence accessoire. Il ne s’agit pas d’un correctif périphérique, mais d’une exigence centrale, qui façonne la substance même de l’engagement contractuel. Sa raison d’être réside dans le déséquilibre structurel qui affecte la relation d’assurance : celle-ci oppose, d’un côté, un professionnel aguerri, doté d’une maîtrise technique, juridique et commerciale des produits assurantiels ; de l’autre, un souscripteur profane, dont la capacité à comprendre la portée des garanties proposées est limitée par son absence de compétence spécifique. Il ne s’agit donc pas de restaurer un équilibre abstrait, mais de garantir une adéquation réelle entre le contrat proposé et les besoins de l’assuré.

Aussi, contrairement à l’achat d’un bien tangible, l’assurance repose sur la promesse d’une protection future contre un aléa incertain, formulée à travers un contrat dont les stipulations techniques, exclusions, conditions et délais sont rarement pleinement maîtrisés par le client. Dans ce contexte, le devoir de conseil vise à rééquilibrer la relation en permettant au professionnel de traduire, clarifier et adapter l’offre à la situation concrète du souscripteur.

En amont de la conclusion du contrat, ce devoir poursuit une triple finalité :

  • Identifier les besoins et contraintes spécifiques du client à travers un dialogue structuré,
  • Adapter l’offre d’assurance à ces éléments, en écartant les produits inadaptés,
  • Accompagner la décision du souscripteur, par une recommandation claire et motivée.

Il ne s’agit donc pas uniquement d’un exercice d’information descendante, mais d’un véritable travail de mise en adéquation, orienté vers la sécurité juridique et économique du preneur d’assurance. Ce rôle est d’autant plus crucial que l’inadéquation des garanties constitue l’une des principales sources de contentieux, notamment en cas de sinistre.

La jurisprudence l’a d’ailleurs expressément reconnu: le devoir de conseil ne se limite pas à la phase de souscription du contrat. Dans un arrêt du 5 juillet 2006, la Cour de cassation a affirmé que «?le devoir d’information et de conseil de l’agent d’assurance ne s’achève pas lors de la souscription du contrat?» (Cass. 2e civ., 5 juill. 2006, n° 04-10.273). Cette précision souligne la dimension évolutive du devoir de conseil, lequel ne s’épuise pas dans l’instant de la formation, mais accompagne la relation contractuelle dans la durée, en particulier lorsque survient une modification du contrat ou un changement dans la situation de l’assuré. Le conseil devient alors une exigence continue, réactivée par les événements, au service de l’adéquation permanente entre la garantie et les besoins.

Ainsi, le devoir de conseil remplit une double fonction essentielle. D’une part, une fonction réparatrice, en ce qu’il vise à corriger les déséquilibres informationnels structurels entre le professionnel et le souscripteur, notamment ceux liés à la complexité technique des produits et à l’opacité des clauses contractuelles. D’autre part, une fonction préventive, puisqu’il tend à éviter les litiges nés de garanties inadaptées, en s’assurant en amont que la solution proposée correspond effectivement aux besoins exprimés ou objectivés du client. Ce faisant, le devoir de conseil conduit à repenser la relation contractuelle au-delà du seul principe d’autonomie de la volonté. Il ne s’agit plus seulement de garantir la liberté de contracter, mais de veiller à ce que cette liberté s’exerce de manière éclairée, dans un cadre où l’asymétrie d’information est compensée par l’expertise et la diligence du professionnel. Le contrat ne procède plus d’un simple échange de consentements : il repose sur un processus d’accompagnement, destiné à assurer l’adéquation entre les besoins et exigences du candidat à l’assurance et la solution proposée.

==>Nature du devoir de conseil

Le devoir de conseil en assurance revêt une nature hybride, à l’intersection du droit des contrats, de la responsabilité, et de ce que la doctrine qualifie désormais, à juste titre, d’obligation professionnelle autonome.

Lorsque le distributeur (intermédiaire, agent général, courtier, ou encore assureur en vente directe) entretient avec le souscripteur un lien contractuel, la jurisprudence rattache classiquement le devoir de conseil au régime de la responsabilité contractuelle : l’inexécution du devoir ouvre droit à réparation en vertu des articles 1103, 1217 et 1231-1 du Code civil. À l’inverse, en l’absence de lien contractuel — notamment en présence d’un tiers souscripteur ou lorsque le professionnel agit au nom exclusif de l’assureur — le manquement au devoir de conseil engage la responsabilité délictuelle sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.

Mais au-delà de cette dichotomie entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle, le devoir de conseil trouve son véritable fondement dans la fonction même du distributeur d’assurance. Il s’agit, en effet, d’une obligation inhérente à l’exercice professionnel, pesant sur quiconque propose ou présente un produit d’assurance, en raison de sa compétence technique et de la complexité des opérations qu’il met en œuvre au bénéfice d’un cocontractant, souvent profane ou insuffisamment informé.

Cette conception fonctionnelle du devoir de conseil a été précocement affirmée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt de principe de la première chambre civile du 6 mai 1981 aux termes duquel la Cour de cassation a retenu la faute d’un agent général et de sa compagnie pour ne pas avoir orienté une entreprise débutante vers une assurance couvrant sa responsabilité décennale, alors même que celle-ci leur avait demandé de souscrire les garanties nécessaires à l’exercice de son activité (Cass. 1re civ., 6 mai 1981, n° 80-10.019).

Depuis, cette approche a été confirmée de manière constante, la Haute juridiction rappelant que le professionnel est tenu à une obligation de conseil non pas en vertu d’un quelconque mandat ou contrat particulier, mais « en sa qualité de professionnel de l’assurance mettant sa compétence à la disposition du public » (Cass. 1re civ., 28 oct. 1986).

À cet égard, le devoir de conseil revêt, par nature, le caractère d’une obligation de moyens : le distributeur n’est pas tenu de garantir un résultat – en l’occurrence, la souscription d’une couverture parfaitement adaptée – mais il doit déployer l’ensemble des diligences attendues d’un professionnel compétent pour proposer un contrat en adéquation avec les besoins et exigences exprimés et les caractéristiques personnelles du souscripteur.

Cependant, la mise en œuvre de cette obligation obéit à un régime probatoire dérogatoire. Contrairement au principe selon lequel la charge de la preuve incombe au demandeur, il appartient ici au distributeur – et non à l’assuré – de démontrer qu’il a bien satisfait à son devoir de conseil. Ce renversement de la charge de la preuve, consacré à l’article 1353, alinéa 2 du Code civil, a été clairement affirmé par la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 25 févr. 1997, n° 94-19.685). Il se justifie par l’asymétrie d’information et de compétence entre un professionnel de l’assurance, rompu à la technicité des produits distribués, et un client qui, bien souvent, ne dispose ni des connaissances, ni des outils lui permettant d’apprécier seul la pertinence des garanties proposées.

En d’autres termes, il ne suffit pas d’avoir conseillé : encore faut-il être en mesure d’en rapporter la preuve, au moyen de documents écrits, de comptes rendus d’entretien ou de tout autre élément attestant des diligences accomplies pour identifier les besoins du souscripteur et lui recommander une couverture adaptée.

==>Règles applicables

Le devoir de conseil en matière d’assurance fait l’objet d’un encadrement juridique à la fois général et spécial. Il obéit, d’une part, à un ensemble de règles communes applicables à tous les produits d’assurance, qu’ils relèvent du domaine des assurances de dommages ou des assurances de personnes. Il est également soumis, d’autre part, à des dispositions spécifiques, destinées à régir plus strictement la distribution des contrats d’assurance vie et de capitalisation, en particulier lorsqu’ils comportent une valeur de rachat ou sont exprimés en unités de compte.

Les règles générales, issues des articles L. 521-1 à L. 521-4 du Code des assurances, organisent les obligations pesant sur tout distributeur : devoir d’agir au mieux des intérêts du souscripteur, recueil préalable des besoins, justification du conseil formulé. Ce socle normatif encadre la distribution de l’ensemble des produits d’assurance dans une perspective de protection du consentement et d’adéquation des garanties proposées.

Mais ce cadre commun a été complété par un régime particulier, applicable aux produits d’assurance vie comportant des valeurs de rachat, aux contrats exprimés en unités de compte, ainsi qu’aux contrats de capitalisation. Ces instruments, assimilés à des produits d’investissement fondés sur l’assurance, font l’objet de dispositions particulières aux articles L. 522-1 à L. 522-7 du Code des assurances.

L’étude du devoir de conseil impose dès lors de distinguer :

  • Les règles générales, applicables à l’ensemble des produits d’assurance ;
  • Les règles spécifiques, propres aux contrats d’assurance vie et de capitalisation.

I) Règles communes à tous les produits d’assurance

Le devoir de conseil en matière d’assurance n’est pas une obligation ponctuelle ou circonstanciée : il s’inscrit dans un temps contractuel étendu, qui excède la seule conclusion du contrat pour embrasser également son exécution. Cette articulation entre le temps de la formation et celui de l’exécution, désormais consacrée par les textes, est aussi le fruit d’une construction jurisprudentielle constante, qui a reconnu très tôt que la relation entre l’assureur — ou son intermédiaire — et le preneur d’assurance ne s’épuise pas dans l’instant de la souscription.

La définition même de l’activité de distribution d’assurance, posée par l’article L. 511-1, I du Code des assurances, en atteste. Le législateur y appréhende la distribution comme un continuum, incluant non seulement les actes préparatoires à la conclusion du contrat — la recommandation, la présentation, la proposition — mais aussi la gestion et l’exécution du contrat, « notamment en cas de sinistre ». Il en résulte une extension fonctionnelle du devoir de conseil à ces deux temps majeurs de la vie contractuelle : le temps de la formation, moment de l’engagement du souscripteur, et le temps de l’exécution, moment de la concrétisation des prestations garanties.

Ce double ancrage du devoir de conseil est au cœur des articles L. 521-1 à L. 521-4 du Code des assurances, qui en définissent les modalités et la portée. Ainsi, l’article L. 521-4, en son I, impose au distributeur, avant toute conclusion, de recueillir les besoins et les exigences du client, et de motiver par écrit le choix du contrat recommandé. Mais cette exigence de loyauté ne disparaît pas avec la formation du contrat : elle se prolonge en cours d’exécution, comme l’indique l’article L. 521-3, lequel impose une information actualisée du souscripteur chaque fois que survient une modification substantielle de la relation contractuelle.

La jurisprudence a très tôt reconnu que le devoir d’information et de conseil ne se limite pas à la seule phase de souscription du contrat d’assurance. Si la formulation classique de cette obligation s’est d’abord attachée à l’instant de la formation contractuelle, la Cour de cassation a progressivement admis qu’elle se prolonge au-delà de cette étape initiale, notamment dans le cadre de l’exécution du contrat et à l’occasion de certains événements postérieurs, tels que la survenance d’un sinistre ou la modification des besoins du souscripteur.

C’est dans ce sens que s’inscrit un arrêt de la deuxième chambre civile du 5 juillet 2006 (Cass. 2e civ., 5 juill. 2006, n°04-10.723). Il y était reproché à un agent général d’assurance d’avoir manqué à son devoir de conseil en ne signalant pas à l’assurée — une personne âgée ayant souscrit une police multirisques habitation — les conséquences d’une clause d’exclusion de garantie fondée sur une période d’inhabitation du bien. Pour écarter toute faute, la cour d’appel avait retenu que cette obligation devait s’apprécier exclusivement à la date de souscription, en 1974, et que l’agent ne disposait alors d’aucun élément permettant d’anticiper des périodes prolongées d’absence du domicile par l’assurée.

La Cour de cassation censure ce raisonnement en des termes non équivoques, en affirmant que « le devoir d’information et de conseil de l’agent d’assurance ne s’achève pas lors de la souscription du contrat ». Elle rappelle ainsi que ce devoir peut se réactiver postérieurement, notamment lorsque la situation de l’assuré évolue et que le professionnel est en mesure d’intervenir utilement pour adapter ou commenter les stipulations contractuelles susceptibles d’être sources d’incompréhensions ou d’exclusions.

Cette solution s’inscrit dans une conception dynamique et continue de la relation contractuelle en assurance. Le professionnel ne saurait se retrancher derrière la date de souscription pour s’exonérer de toute vigilance ultérieure, surtout lorsque des événements ou des comportements révélateurs (par exemple, une absence prolongée, une déclaration d’intention, une nouvelle affectation du bien) sont de nature à mettre en cause l’étendue ou l’effectivité de la couverture. La jurisprudence affirme ainsi une responsabilité durable, adaptée à la temporalité réelle du besoin d’assurance.

La doctrine a également souligné que le devoir de conseil ne saurait être enfermé dans le seul moment de la conclusion du contrat. Il s’agit d’une obligation dont la vocation est de garantir, dans la durée, l’adéquation entre la couverture contractuelle et les besoins réels de l’assuré, lesquels ne sont pas figés au jour de la souscription. À ce titre, ce devoir impose au distributeur de réagir chaque fois que des circonstances nouvelles sont de nature à remettre en cause cette adéquation.

Cette conception est désormais consacrée par le droit positif. L’article L. 511-1 du Code des assurances définit l’activité de distribution comme englobant non seulement les opérations préparatoires à la conclusion du contrat, mais aussi les actes relatifs à sa gestion et à son exécution, «?notamment en cas de sinistre?». Il en résulte que le devoir de conseil peut être mobilisé à différents moments de la relation contractuelle, dès lors que l’équilibre du contrat ou l’intérêt de l’assuré l’exigent.

Il convient dès lors de distinguer les deux moments où s’exerce le devoir de conseil:

  • Le conseil au stade de la formation du contrat, lorsque le professionnel oriente le souscripteur vers une couverture appropriée à ses besoins exprimés ;
  • Le conseil en cours d’exécution, lorsque la situation de l’assuré évolue ou lorsqu’un événement particulier appelle une mise en œuvre adaptée des garanties contractuelles.

A) Le devoir de conseil au stade de la formation du contrat

Le devoir de conseil s’exerce dès l’instant où le distributeur entre en relation avec le candidat à l’assurance. Il joue tout d’abord un rôle d’orientation, en guidant le souscripteur vers le produit le plus adapté à ses besoins. Mais ce devoir ne s’interrompt pas une fois le choix effectué : il se prolonge au moment de la souscription du contrat, étape durant laquelle le professionnel doit accompagner l’assuré dans la formulation de ses déclarations, la compréhension de l’étendue des garanties, et la transmission des éléments nécessaires à la conclusion du contrat.

L’analyse du devoir de conseil impose donc de distinguer :

  • Le devoir de conseil au stade du choix du produit d’assurance ;
  • Le devoir de conseil au stade de la souscription du contrat d’assurance.

1. Le devoir de conseil au stade du choix du produit d’assurance

1.1. Le contenu du devoir de conseil

a. Les différents niveaux de devoir de conseil

L’article L. 521-4 du Code des assurances constitue la pierre angulaire du nouveau dispositif de conseil instauré par la transposition de la directive sur la distribution d’assurances. Cette disposition dessine une architecture remarquablement équilibrée, selon l’expression de Daniel Langé, qui articule deux prestations de nature distincte : une obligation universelle de conseil minimal et un service facultatif de recommandation personnalisée.

Le premier alinéa consacre l’obligation pour tout distributeur de « conseiller un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ou de l’adhérent éventuel et préciser les raisons qui motivent ce conseil ». Cette obligation socle, d’application générale, procède d’une logique de protection minimale garantissant à tout souscripteur un niveau élémentaire de conseil adapté à sa situation.

Le second alinéa institue une prestation d’une tout autre nature en disposant que « lorsque le distributeur d’assurance propose au souscripteur éventuel ou à l’adhérent éventuel un service de recommandation personnalisée, ce service consiste à lui expliquer pourquoi, parmi plusieurs contrats ou plusieurs options au sein d’un contrat, un ou plusieurs contrats ou options correspondent le mieux à ses exigences et à ses besoins ». Cette modalité renforcée, relevant de l’initiative commerciale du professionnel, suppose un engagement spécifique traduisant une montée en gamme du conseil.

Cette dualité structurelle reflète la volonté du législateur de concilier la protection universelle du consommateur et la liberté d’entreprendre des distributeurs, tout en permettant la valorisation commerciale de prestations de conseil différenciées.

i. Les niveaux de conseil énoncés par les textes

==>L’obligation socle de cohérence

Le premier alinéa de l’article L. 521-4 du Code des assurances érige en principe une obligation de portée générale, applicable à tout distributeur, sans exception ni aménagement possible. Il impose de proposer un contrat « cohérent avec les exigences et les besoins » du souscripteur ou de l’adhérent éventuel. Cette exigence constitue, selon une formule doctrinale désormais consacrée, le «seuil incompressible de la protection du consommateur». Elle assure, quel que soit le mode de distribution, un niveau élémentaire de conseil garantissant que l’offre proposée ne soit pas manifestement inadaptée à la situation de l’intéressé.

La notion de « cohérence » revêt ici une signification technique : elle implique une adéquation fonctionnelle entre les caractéristiques du contrat et les besoins exprimés, sans pour autant exiger que la solution proposée soit la plus avantageuse ou la plus complète parmi toutes celles disponibles sur le marché. Ainsi que l’a souligné Luc Mayaux, il s’agit d’une « adéquation de base entre l’offre et la demande », qui se distingue nettement des prestations plus élaborées caractérisant les services de conseil renforcés.

Cette obligation de cohérence est indissociable de celle de motivation : le distributeur doit «préciser les raisons qui motivent ce conseil». Ce devoir d’explication, qui prolonge la jurisprudence antérieure relative au devoir de conseil, participe de l’objectif de transparence poursuivi par le législateur européen, tout en préservant les exigences de clarté et de loyauté traditionnellement requises en droit français.

==>Le service de recommandation personnalisée

Le second alinéa de l’article L. 521-4 institue une prestation d’une nature différente, qualifiée de « service de recommandation personnalisée ». Cette qualification, qui procède d’un choix délibéré du législateur, souligne le caractère facultatif et différencié de cette modalité de conseil. Contrairement à l’obligation socle qui s’impose ex lege à tout distributeur, ce service relève de l’initiative commerciale du professionnel et suppose un engagement spécifique de sa part.

L’objet du service est clairement défini : il s’agit « d’expliquer pourquoi, parmi plusieurs contrats ou plusieurs options au sein d’un contrat, un ou plusieurs correspondent le mieux aux exigences et aux besoins » du souscripteur. Cette définition repose sur trois éléments structurants.

En premier lieu, la pluralité des solutions envisagées : le service suppose que le distributeur soit en mesure de proposer plusieurs contrats adaptés, condition que Hubert Groutel identifie comme « essentielle à la qualification du service ».

En second lieu, l’existence d’une analyse comparative : au-delà du simple examen d’adéquation, le distributeur doit procéder à une évaluation différenciée des options disponibles, pour recommander celle ou celles qui présentent la meilleure adéquation au profil du client. Cette démarche, que Pierre-Grégoire Marly qualifie de « montée en gamme du conseil », engage le professionnel dans un processus plus exigeant, tant sur le plan méthodologique que sur celui des moyens.

Enfin, le service emporte une obligation d’explication approfondie : la recommandation formulée doit être étayée par une justification circonstanciée, intelligible et personnalisée. Le distributeur ne peut se contenter d’un raisonnement standardisé : il doit démontrer en quoi la solution préconisée se distingue favorablement, au regard des besoins spécifiques du client.

==>Le service service de recommandation fondé sur une analyse impartiale et personnalisée

L’économie du dispositif se complexifie à travers l’article L. 521-2, II, 1°, c), qui permet à certains distributeurs de revendiquer la fourniture d’un « service de recommandation fondé sur une analyse impartiale et personnalisée ». Cette disposition, transposant l’article 3 de la directive DDA, vise les professionnels non liés par une obligation contractuelle d’exclusivité, et aptes à analyser « un nombre suffisant de contrats d’assurance offerts sur le marché ».

La formulation soulève une interrogation : s’agit-il d’un niveau autonome de conseil, ou simplement d’une modalité qualifiée du service de recommandation personnalisée mentionné à l’article L. 521-4, II ?

Deux lectures s’affrontent. La première, adoptée par l’ACPR, considère qu’un troisième niveau de conseil est institué, distinct du service de recommandation « classique » par son caractère impartial et par l’exigence d’une analyse étendue du marché. Cette lecture présente une certaine cohérence fonctionnelle, mais demeure discutée au regard des textes.

La seconde, plus fidèle à l’économie générale du dispositif, y voit une modalité renforcée du conseil personnalisé : l’article L. 521-2, II, 1°, c) ne créerait pas un niveau distinct, mais définirait les conditions dans lesquelles un professionnel peut légitimement revendiquer l’impartialité de son analyse.

Cette seconde interprétation, soutenue par une partie de la doctrine, permet de préserver l’architecture duale initialement voulue par le législateur, tout en reconnaissant la spécificité des pratiques exercées dans un cadre non exclusif. Elle offre également une cohérence d’ensemble entre les exigences de transparence posées par la directive et les principes fondamentaux du droit français de la distribution.

Cette hésitation d’interprétation, révélatrice des tensions persistantes entre les normes européennes et les catégories juridiques internes, appelle à terme une clarification jurisprudentielle.

ii. La découverte par l’ACPR de trois niveaux de conseil

Dans une notice publiée en juillet 2018 et intitulée « Principes du conseil en assurance », l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a entrepris une clarification du régime juridique issu de la directive sur la distribution d’assurances. Présentée comme une réponse aux incertitudes entourant la mise en œuvre du nouveau cadre, cette démarche exégétique s’inscrit dans le cadre de la mission de protection de la clientèle que l’article L.612-1 du Code monétaire et financier confère à l’Autorité, et dans l’exercice de son pouvoir de recommandation non contraignante.

Selon les propres termes de l’ACPR, cette initiative visait à « clarifier les obligations incombant aux distributeurs dans un contexte réglementaire renouvelé ». L’Autorité y procède à une lecture conjointe des articles L. 521-4 et L. 521-2 du Code des assurances, dont certains auteurs soulignent le caractère « systémique », en ce qu’elle tend à ordonner l’ensemble du dispositif selon une hiérarchie fonctionnelle des niveaux de conseil. Cette approche, saluée par Isabelle Monin-Lafin comme « particulièrement éclairante pour les praticiens », repose sur l’idée que la transparence à l’égard des assurés commande de distinguer formellement les différentes modalités de conseil susceptibles d’être proposées.

Trois niveaux sont ainsi identifiés:

  • Le premier niveau, de nature obligatoire, consiste à proposer un contrat « cohérent (approprié) avec les besoins et les exigences du client ». Il correspond à l’obligation de conseil général prévue par l’article L. 521-4, I, et constitue, selon l’ACPR, l’équivalent fonctionnel du « devoir de conseil » tel qu’il a été façonné de longue date par la jurisprudence française. Il représente le socle minimal de protection offert à tout preneur d’assurance, indépendamment de la complexité du contrat ou du canal de distribution utilisé.
  • Le deuxième niveau, de nature facultative, repose sur la fourniture d’un « service de recommandation personnalisée », tel que défini par l’article L. 521-4, II. Il implique que le distributeur soit en mesure de proposer plusieurs contrats ou options, tous cohérents avec les besoins exprimés, et d’expliquer les raisons pour lesquelles l’un ou plusieurs d’entre eux correspondent le mieux au profil du client. L’ACPR précise que ce service suppose une démarche comparative structurée, que ne recouvre pas le simple conseil de cohérence.
  • Le troisième niveau se singularise par l’existence d’une analyse impartiale. Fondé sur l’article L. 521-2, II, 1°, c), il impose au distributeur de démontrer qu’il a analysé un « nombre suffisant de contrats d’assurance offerts sur le marché ». Cette modalité, selon l’ACPR, s’adresse prioritairement aux courtiers indépendants, dépourvus de toute obligation contractuelle d’exclusivité, et capables, de ce fait, d’opérer une sélection objectivée et représentative des offres disponibles.

L’Autorité justifie cette construction tripartite par souci de lisibilité et de gradation des exigences, en cohérence avec l’objectif de protection proportionnée poursuivi par le droit de la distribution. Elle entend ainsi articuler les différentes strates du conseil autour de trois critères cumulatifs : la nature de l’engagement du distributeur, l’étendue de l’analyse menée, et le degré de personnalisation de la recommandation formulée.

Cette démarche, bien qu’innovante sur le plan pédagogique, soulève néanmoins des interrogations quant à sa conformité à la lettre des textes. En effet, si elle permet de traduire la complexité du dispositif dans une grille opérationnelle aisément mobilisable, elle prend le risque d’introduire une distinction conceptuelle non expressément consacrée par le législateur, ce qui justifie, comme on le verra, une mise en perspective critique du triptyque proposé.

iii. Pour une conception duale du conseil

==>L’artifice de la classification tripartite

La grille tripartite élaborée par l’ACPR, si elle présente un intérêt certain sur le plan pédagogique, peine à convaincre au regard d’une lecture rigoureuse des textes. L’analyse juridique attentive du dispositif normatif conduit plutôt à retenir une structure binaire, conforme à l’économie générale de l’article L. 521-4 du Code des assurances, qui distingue expressément une obligation de conseil de base et, de manière distincte, un service de recommandation personnalisée.

La distinction instituée par l’Autorité entre les niveaux 2 et 3 repose en réalité sur une extrapolation : l’article L. 521-2, II, 1°, c), sur lequel elle fonde le « troisième niveau », ne crée pas un régime autonome de conseil, mais détermine les conditions dans lesquelles un distributeur peut revendiquer le caractère impartial de sa recommandation. Il ne s’agit donc pas d’un niveau distinct dans la hiérarchie des obligations, mais d’un critère de qualité, attaché à la mise en œuvre du service de recommandation personnalisée déjà prévu à l’article L. 521-4, II.

Autrement dit, cette disposition relève avant tout d’une logique de transparence sur les méthodes de sélection des produits proposés, et non de la création d’un niveau supplémentaire de conseil. Comme le rappelle justement Jean Bigot, « la multiplication des niveaux risque de créer plus de confusion que de clarté ». Luc Mayaux abonde dans le même sens, estimant que « l’interprétation administrative, si elle est légitime dans son principe, ne saurait méconnaître l’économie générale voulue par le législateur ». Une telle surenchère dans la typologie des niveaux de conseil, sans véritable ancrage textuel, tend à brouiller la lecture du droit applicable et à fragiliser la sécurité juridique des acteurs de la distribution.

==>Obligation socle et service de recommandation personnalisée

Le premier niveau de conseil, expressément énoncé à l’article L. 521-4, I, consiste en l’obligation, pour tout distributeur, de proposer un contrat « cohérent avec les exigences et les besoins » du souscripteur ou de l’adhérent. Il s’agit là d’un impératif universel, qui constitue — selon une formule doctrinale désormais consacrée — le « seuil incompressible de la protection du consommateur »¹². Cette obligation trouve sa justification dans le déséquilibre structurel entre un professionnel informé et un preneur profane, déséquilibre que la jurisprudence avait déjà identifié comme fondement d’un devoir de conseil, bien avant l’intervention du législateur européen.

Le second niveau de conseil correspond au service de recommandation personnalisée, défini à l’article L. 521-4, II. Ce service, que le distributeur peut choisir de proposer, suppose une démarche d’analyse comparative entre plusieurs contrats ou options, ainsi qu’une motivation individualisée du choix retenu. Sa mise en œuvre peut naturellement varier selon les moyens, la méthode et le degré d’engagement du professionnel. Toutefois, ces différences dans les conditions d’exécution ne sauraient conduire à reconnaître l’existence d’un niveau de conseil distinct sur le plan juridique. Comme le rappelle Hubert Groutel, il s’agit d’un même service, dont l’intensité varie selon les cas, sans que cette variabilité justifie la création d’un régime autonome..

==>Les deux modalités d’exécution du service de recommandation personnalisée

L’article L. 521-4, II permet une certaine latitude dans la mise en œuvre du service de recommandation personnalisée. Deux modalités d’exécution peuvent être identifiées, selon les pratiques constatées et les capacités techniques du distributeur :

  • Première modalité : le professionnel propose une sélection de plusieurs contrats, sans prétention à l’exhaustivité du marché. Cette approche, compatible avec une recommandation personnalisée, suppose toutefois une pluralité réelle et pertinente d’options – la pratique professionnelle tend à retenir un minimum de trois alternatives comparables.
  • Deuxième modalité : le distributeur fonde sa recommandation sur une analyse impartiale, au sens de l’article L. 521-2, II, 1°, c). Il doit alors démontrer qu’il a examiné un nombre suffisant de contrats d’assurance offerts sur le marché et qu’il n’est lié par aucun accord d’exclusivité. Cette configuration, qui renforce la portée du conseil délivré, ne constitue pas pour autant un niveau autonome de conseil, mais une variante qualifiée du service de recommandation personnalisée. Elle en précise les conditions d’exercice les plus exigeantes, notamment en termes d’étendue et d’objectivité de l’analyse de marché.

Il en résulte que le système repose, non sur une tripartition rigide, mais sur une dichotomie enrichie par des modalités d’exécution à intensité variable. Cette conception duale, fondée sur une interprétation stricte des textes, respecte à la fois la lettre et l’esprit du dispositif, tout en garantissant aux professionnels une grille de lecture cohérente, et aux clients un niveau de conseil proportionné à l’engagement du distributeur.

iv. Les enjeux pratiques de la distinction

==>Les implications en matière de rémunération et d’information précontractuelle

La distinction entre l’obligation socle de cohérence et le service de recommandation personnalisée emporte des effets concrets notables, tant sur le terrain de la rémunération que sur celui de l’information due au souscripteur.

Sur le plan de la rémunération, l’article L. 521-2, II, 2°, a) du Code des assurances autorise expressément l’intermédiaire à percevoir, en complément des commissions versées par les assureurs, des honoraires versés directement par le souscripteur ou l’adhérent. Cette faculté prend toute sa légitimité lorsque le distributeur propose un service de recommandation personnalisée : en tant que prestation à valeur ajoutée, reposant sur une analyse comparative approfondie, elle justifie une rémunération spécifique, distincte des modes de rémunération classiques.

À l’inverse, l’obligation de conseil de premier niveau, imposée à tous les distributeurs en vertu de l’article L. 521-4, I, ne saurait ouvrir droit à une facturation complémentaire : elle relève du strict respect du cadre légal minimal, et sa mise en œuvre doit être réputée incluse dans la rémunération de droit commun.

Sur le plan de l’information précontractuelle, l’article L. 521-2, I, impose au distributeur d’indiquer explicitement s’il fournit un service de recommandation concernant les contrats qu’il propose. Cette exigence vise à garantir une transparence accrue à l’égard du client sur la nature exacte de la prestation dont il bénéficie. Elle permet à ce dernier d’identifier, en amont de la souscription, si le conseil dont il bénéficie s’inscrit dans une logique de simple cohérence ou relève d’une véritable démarche de sélection comparative.

==>La gradation des obligations professionnelles

Le niveau d’exigence pesant sur le distributeur varie en fonction du type de conseil fourni. Dans le cadre de l’obligation socle prévue à l’article L. 521-4, I du Code des assurances, l’ACPR admet que la motivation du conseil peut revêtir une forme synthétique et standardisée. Il suffit que les explications données permettent au souscripteur de comprendre, de manière intelligible, pourquoi le contrat proposé est considéré comme cohérent avec les besoins qu’il a exprimés.

En revanche, lorsque le distributeur propose un service de recommandation personnalisée au sens de l’article L. 521-4, II, les exigences sont significativement renforcées. Dans ce cas, la motivation doit être pleinement individualisée. Elle doit mettre en évidence, de manière claire et circonstanciée, les raisons pour lesquelles le ou les contrats recommandés présentent une adéquation optimale avec le profil, les attentes et les objectifs du client. Il ne saurait s’agir d’une justification générique, mais bien d’un raisonnement argumenté, fondé sur des éléments objectifs.

Cette gradation, analysée par Daniel Langé comme étant « parfaitement cohérente avec la logique économique du dispositif », s’accompagne d’exigences méthodologiques renforcées. Le distributeur qui propose un service de recommandation personnalisée doit en effet s’engager dans une démarche structurée, fondée sur une analyse comparative formalisée, reposant sur des critères objectifs, pertinents et vérifiables. Il lui appartient non seulement d’identifier plusieurs solutions adaptées, mais aussi de justifier, de manière explicite et circonstanciée, la sélection opérée au regard des besoins exprimés par le client.

Au final, cette différenciation répond à une logique de proportionnalité : à prestation enrichie, obligations renforcées. Le distributeur qui propose un service à plus forte valeur ajoutée assume, en contrepartie, une charge accrue d’analyse, de justification et de formalisation. Cette montée en exigence constitue la contrepartie légitime de la possibilité de valoriser commercialement ce service, notamment par le biais d’honoraires spécifiques.

Saluée par la doctrine comme une approche « économiquement rationnelle », cette gradation du devoir de conseil permet de concilier deux impératifs complémentaires : d’une part, la garantie d’une protection effective du souscripteur, fondée sur une exigence minimale de cohérence ; d’autre part, la reconnaissance de l’expertise technique et de l’autonomie professionnelle des distributeurs qui s’engagent dans une prestation de conseil renforcé. Elle établit ainsi un équilibre cohérent entre les obligations légales de base, la liberté de moduler le niveau de service, et l’exigence de transparence vis-à-vis du client.

b. Le processus d’élaboration du devoir de conseil

Le devoir de conseil en matière d’assurance ne se réduit pas à une simple obligation d’information : il constitue une véritable prestation intellectuelle à caractère personnalisé, orientée vers l’identification et la satisfaction des besoins spécifiques du souscripteur. Sa finalité première est d’assurer l’adéquation entre les caractéristiques du contrat proposé et la situation propre de l’assuré éventuel, en dépassant le cadre purement déclaratif pour engager le distributeur dans une démarche active de conseil.

Codifié à l’article L. 521-4 du Code des assurances, ce devoir repose sur une méthode structurée, articulée autour de trois étapes successives et interdépendantes. D’abord, le recueil des exigences et des besoins du client constitue le point de départ incontournable : il s’agit de dresser un diagnostic fiable à partir des éléments fournis par le souscripteur, souvent profane. Ensuite, l’analyse de ces éléments permet au distributeur d’identifier les paramètres pertinents — objectifs, situation personnelle, attentes exprimées — à la lumière des offres disponibles. Enfin, la formulation du conseil, dernière étape du processus, se matérialise par une recommandation motivée, exprimée en des termes compréhensibles, et justifiée au regard des éléments recueillis.

Ce cheminement méthodique a pour fonction de compenser l’asymétrie informationnelle qui caractérise la relation entre le professionnel et le souscripteur. Il permet de structurer l’échange contractuel en instaurant une dynamique de dialogue, visant à garantir une prise de décision éclairée, conforme à l’intérêt du client et aux principes de transparence et de loyauté.

i. Le recueil préalable des besoins et exigences

==>L’obligation légale de diagnostic

Le Code des assurances consacre, par son article L. 521-4, I, une obligation de diagnostic préalable à toute recommandation. Cette disposition contraint le distributeur à « préciser par écrit, sur la base des informations obtenues auprès du souscripteur éventuel ou de l’adhérent éventuel, les exigences et les besoins de celui-ci ». Cette exigence légale révèle une démarche structurée en deux temps distincts : d’abord une collecte minutieuse des informations pertinentes, suivie de leur formalisation écrite.

Cette première phase dépasse très largement le cadre d’une simple formalité administrative. Il s’agit véritablement d’une analyse approfondie des besoins du client, comparable à celle que l’on retrouve dans d’autres domaines spécialisés du conseil professionnel, comme l’audit patrimonial en gestion de fortune ou encore l’analyse fonctionnelle pratiquée en ingénierie. Cette analogie n’est pas anodine : dans tous ces secteurs, la qualité finale du conseil délivré dépend étroitement de la précision du diagnostic réalisé en amont.

La doctrine contemporaine souligne que cette démarche diagnostique transforme fondamentalement la nature de l’acte de distribution. Celui-ci ne se limite plus à la simple présentation d’un produit standardisé, mais s’élève au rang d’une prestation intellectuelle personnalisée[14]. Cette évolution s’inscrit dans le mouvement général de tertiarisation de l’économie, où la valeur ajoutée réside moins dans le produit lui-même que dans l’accompagnement qui l’entoure.

L’exigence d’un support écrit répond à plusieurs impératifs. D’un point de vue probatoire, elle permet d’établir la réalité et la consistance de la démarche diagnostique. La jurisprudence civile a en effet consacré le principe selon lequel c’est à celui qui est légalement tenu de fournir un conseil de prouver l’exécution de cette obligation (Cass. 2e civ., 17 nov. 2016, n° 15-14.820). Cette règle, initialement dégagée en matière bancaire, trouve une application particulièrement pertinente en assurance, secteur où les contentieux post-contractuels demeurent fréquents.

D’un point de vue pédagogique, l’écrit favorise la compréhension mutuelle entre distributeur et souscripteur. Il permet au professionnel de vérifier que son analyse correspond bien à la réalité vécue par le client, tandis qu’il offre à ce dernier une vision structurée de ses propres besoins, parfois initialement mal formalisés.

==>La délimitation des besoins exprimés

La phase de délimitation des besoins constitue le cœur de l’analyse préalable. Elle impose au distributeur une démarche active de questionnement et de reformulation, dépassant la simple réception passive des demandes du client.

Cette obligation de reformulation technique revêt une dimension particulièrement importante en assurance, secteur caractérisé par une forte asymétrie de connaissances entre professionnels et consommateurs. Le langage assurantiel, riche en concepts techniques et en références juridiques spécialisées, demeure largement inaccessible au public non initié. La mission du distributeur consiste dès lors à opérer une traduction entre l’expression spontanée des préoccupations du client et la terminologie précise des contrats d’assurance.

Cette fonction de traduction s’apparente à celle exercée par d’autres professions du conseil, notamment les architectes dans le domaine de la construction ou les notaires en matière successorale. Dans tous ces secteurs, le professionnel doit comprendre les attentes exprimées dans un langage profane pour les transposer dans un cadre technique et juridique approprié.

Le document de synthèse résultant de cette analyse acquiert une valeur contractuelle particulière. Bien que sa forme demeure libre, son contenu délimitera le périmètre dans lequel le conseil est attendu. Cette délimitation contractuelle du périmètre d’intervention protège tant le distributeur contre d’éventuelles réclamations ultérieures portant sur des aspects non couverts par sa mission, que le souscripteur contre des recommandations inadaptées à ses besoins réels.

L’ACPR a d’ailleurs souligné, dans ses recommandations sectorielles, l’importance de cette phase de cadrage préalable, qu’elle considère comme « déterminante pour la qualité de la relation commerciale ultérieure »[15]. Cette position de l’autorité de supervision confirme que l’obligation d’analyse ne relève pas de la seule technique juridique, mais s’inscrit dans une démarche plus large d’amélioration de la qualité de service dans le secteur assurantiel.

==>Les limites du devoir d’enquête

Le législateur a pris soin de délimiter précisément l’étendue des obligations pesant sur le distributeur lors de la phase de recueil d’informations. L’article L. 521-4, III du Code des assurances précise explicitement que les données relatives aux exigences et besoins du souscripteur « reposent en particulier sur les éléments d’information communiqués par le souscripteur éventuel ». Cette formulation n’est pas anodine : elle établit un équilibre entre l’exigence de conseil personnalisé et la praticabilité économique de la distribution d’assurance.

Cette limitation trouve sa justification dans la nature même de l’activité de distribution. Le distributeur n’est pas investi d’une mission d’audit ou d’investigation approfondie de la situation de son client. Son expertise porte sur la technique assurantielle et non sur l’évaluation patrimoniale ou l’analyse comptable. Comme l’a souligné la doctrine spécialisée, le professionnel de l’assurance demeure tenu de « poser les bonnes questions » mais ne saurait être contraint à « des investigations approfondies sur des données que le client ne souhaite pas révéler »[16].

La jurisprudence administrative elle-même a reconnu cette limitation en matière de marchés publics d’assurance, considérant que l’assistant à maîtrise d’ouvrage en assurance n’était pas tenu de vérifier l’exactitude des informations transmises par la collectivité publique, dès lors que ces informations paraissaient cohérentes et vraisemblables (CE, 10 févr. 2014).

Cette approche pragmatique se justifie également par des considérations d’efficacité économique. Imposer au distributeur des obligations d’investigation trop étendues conduirait inévitablement à un renchérissement du coût de la distribution, répercuté in fine sur les primes d’assurance. Le législateur a ainsi privilégié un modèle fondé sur la coopération loyale entre les parties plutôt que sur la méfiance systématique.

Néanmoins, cette limitation ne saurait être comprise comme une exonération totale de vigilance. La jurisprudence civile a progressivement affiné les contours de cette obligation, distinguant entre l’investigation active – non exigée – et la vigilance passive – requise. Ainsi, le distributeur demeure tenu de relever les incohérences manifestes dans les déclarations de son client et de solliciter les clarifications nécessaires (Cass. 1ère civ. 7 mars 1989).

Cette obligation de vigilance trouve particulièrement à s’appliquer lorsque les déclarations du souscripteur paraissent manifestement incompatibles avec sa situation apparente ou avec les exigences du marché assurantiel. Dans de telles hypothèses, l’abstention du distributeur pourrait être qualifiée de négligence professionnelle.

L’équilibre ainsi établi respecte la logique contractuelle du droit français, fondée sur la bonne foi des parties. Il reconnaît que le souscripteur demeure le mieux placé pour connaître sa propre situation, tout en maintenant une exigence de professionnalisme du distributeur dans l’exploitation des informations qui lui sont communiquées.

Cette délimitation des responsabilités s’inscrit enfin dans une conception moderne de la relation de conseil, qui privilégie l’accompagnement personnalisé à partir d’informations fiables plutôt que l’investigation systématique potentiellement intrusive et économiquement inefficiente.

ii. L’analyse de la situation du souscripteur

==>L’appréciation des compétences du souscripteur

La personnalisation du conseil impose une évaluation fine du profil du souscripteur, particulièrement de ses compétences en matière assurantielle. Cette approche différenciée s’inscrit dans une conception moderne de la protection contractuelle, qui privilégie l’adaptation aux situations concrètes plutôt que l’application uniforme de règles abstraites.

La jurisprudence a progressivement affiné cette grille d’analyse, distinguant plusieurs catégories de souscripteurs selon leur degré d’expertise. Les professionnels exerçant une activité en lien avec l’assurance bénéficient ainsi d’une présomption de compétence qui allège corrélativement les obligations du distributeur. Cette approche trouve son fondement dans la théorie générale des obligations, où l’intensité du devoir de conseil varie selon la qualité des parties au contrat[17].

À l’inverse, les consommateurs et les professionnels non spécialistes bénéficient d’une protection renforcée. La Cour de cassation a ainsi considéré qu’un entrepreneur du bâtiment, bien que professionnel dans son domaine, demeurait un profane en matière d’assurance et pouvait légitimement attendre de son distributeur une information complète sur les garanties essentielles (Cass. 2e civ. 29 mars 2018, n°17-14.975).

Cette modulation s’étend également aux personnes morales, dont la taille et l’organisation influent sur le niveau d’expertise présumé. Le régime des “grands risques”, défini à l’article L. 111-6 du Code des assurances, témoigne de cette différenciation : les entreprises dépassant certains seuils sont présumées disposer de l’expertise nécessaire pour évaluer leurs besoins d’assurance sans assistance particulière?.

L’appréciation concrète de ces compétences nécessite une analyse au cas par cas, tenant compte non seulement du statut du souscripteur, mais également de son expérience personnelle en matière d’assurance, de la complexité de son exposition aux risques, et des moyens dont il dispose pour s’informer.

==>L’évaluation de la complexité du contrat

Le législateur a expressément lié l’intensité du conseil à la complexité du produit proposé. L’article L. 521-4, III du Code des assurances dispose que les précisions fournies au souscripteur sont « adaptées à la complexité du contrat d’assurance proposé ». Cette exigence de proportionnalité évite un formalisme excessif de la distribution tout en maintenant un niveau de protection approprié.

Cette approche graduée trouve son inspiration dans la réglementation des services financiers, où la directive MiFID avait déjà consacré le principe d’une information proportionnée à la complexité des instruments proposés[18]. L’assurance, par sa technicité croissante et la diversification de ses produits, nécessitait une approche similaire.

L’ACPR a formalisé cette gradation en distinguant trois niveaux d’intervention : le conseil de base obligatoire, centré sur la cohérence entre besoins et produit proposé ; le service de recommandation personnalisée, impliquant une analyse comparative ; et enfin le conseil fondé sur une analyse de marché, supposant une expertise élargie?.

Cette classification en trois niveaux s’inspire directement des standards internationaux utilisés dans le secteur financier, où la distinction traditionnelle s’établit entre l’exécution simple d’ordres (« execution only »), le conseil en investissement (« investment advice ») et la gestion discrétionnaire (« portfolio management »)[19]. Son intégration dans le domaine assurantiel illustre la convergence croissante des cadres réglementaires applicables aux secteurs bancaire et assurantiel, témoignant ainsi d’une logique commune de structuration des offres de conseil financier.

La complexité du produit d’assurance se mesure à l’aune de plusieurs critères précis : le nombre et la diversité des garanties proposées, la présence éventuelle de mécanismes sophistiqués tels que la participation aux bénéfices, l’adossement à des supports financiers présentant une forte volatilité, ainsi que l’existence de clauses d’exclusion particulièrement techniques. L’appréciation rigoureuse de ces éléments exige une expertise à la fois actuarielle et juridique, compétence spécifique qui relève nécessairement des distributeurs professionnels.

==>La prise en compte des informations disponibles

Le périmètre du conseil est naturellement limité par l’étendue des informations effectivement disponibles. Cette limitation protège le distributeur contre des obligations d’investigation disproportionnées tout en maintenant une exigence de diligence raisonnable.

La jurisprudence a établi que l’information ne pouvant porter que sur des faits connus de l’intermédiaire, il incombe au preneur de prouver que celui-ci en avait connaissance (Cass. 1re civ., 18 mars 2003). Cette règle de preuve protège le distributeur contre des allégations invérifiables tout en incitant le souscripteur à une communication transparente.

Cette approche s’inspire de la théorie générale de l’information, développée notamment en droit des sociétés, où l’obligation d’information du dirigeant est limitée aux faits dont il a effectivement connaissance[20]. Elle trouve également écho en droit de la consommation, où l’obligation d’information du professionnel porte sur les caractéristiques essentielles du produit qu’il maîtrise naturellement[21].

Cependant, cette limitation ne dispense pas le distributeur d’une vigilance active face aux informations manifestement incohérentes ou incomplètes. La jurisprudence sanctionne ainsi le professionnel qui, face à des déclarations suspectes, s’abstiendrait de solliciter les clarifications nécessaires (Cass. 1ère civ. 7 mars 1989).

L’équilibre ainsi établi respecte la logique économique de la distribution d’assurance : le distributeur mobilise son expertise technique pour optimiser l’information fournie par le client, sans pour autant se substituer à celui-ci dans l’appréciation de sa propre situation. Cette répartition des rôles préserve l’efficacité du processus commercial tout en maintenant un niveau d’exigence professionnel approprié.

iii. La formulation du conseil : simple proposition ou recommandation motivée

==>Le conseil obligatoire : la proposition cohérente

Le premier niveau de conseil, désormais imposé à tout distributeur par l’article L. 521-4, I du Code des assurances, établit un socle minimal d’exigences professionnelles. Cette obligation fondamentale contraint le distributeur à proposer « un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ou de l’adhérent éventuel » tout en précisant « les raisons qui motivent ce conseil ».

Cette exigence de cohérence constitue une véritable révolution conceptuelle dans l’approche de la distribution d’assurance. Elle substitue à la logique commerciale traditionnelle – centrée sur l’écoulement de produits – une logique de service personnalisé fondée sur l’adéquation entre l’offre et la demande[22]. Cette évolution s’inscrit dans le mouvement général de protection du consommateur qui caractérise le droit européen contemporain[23].

L’obligation d’information objective qui accompagne ce conseil revêt une importance particulière. L’article L. 521-4, I impose que le distributeur fournisse « des informations objectives sur le produit d’assurance proposé sous une forme compréhensible, exacte et non trompeuse ». Cette formulation reprend la terminologie de la directive sur la distribution d’assurances, elle-même inspirée de la réglementation des services financiers[24].

Le caractère obligatoire de cette démarche marque une rupture avec l’ancien droit, où seule la jurisprudence imposait un devoir de conseil aux intermédiaires d’assurance[25]. La codification de cette obligation garantit une application uniforme sur l’ensemble du territoire et simplifie le contentieux en offrant un référentiel normatif précis.

La motivation du conseil constitue un élément central de cette obligation. Elle permet au souscripteur de comprendre les raisons qui sous-tendent la recommandation, favorisant ainsi une décision éclairée. Cette exigence s’inspire des standards développés en matière de conseil en investissement, où la justification des recommandations constitue depuis longtemps une obligation déontologique fondamentale[26].

==>Le service de recommandation personnalisée facultatif

Au-delà du conseil de base obligatoire, l’article L. 521-4, II du Code des assurances consacre un niveau supérieur d’intervention : le service de recommandation personnalisée. Cette prestation facultative « consiste à expliquer pourquoi, parmi plusieurs contrats ou plusieurs options au sein d’un contrat, un ou plusieurs contrats ou options correspondent le mieux à ses exigences et à ses besoins ».

Cette disposition s’inspire directement de l’approche développée par la directive MiFID II en matière de conseil en investissement[27]. L’analogie n’est pas fortuite : elle témoigne de la volonté du législateur européen d’harmoniser les standards de protection des consommateurs entre les différents secteurs financiers.

Le service de recommandation personnalisée suppose une analyse comparative préalable, impliquant l’examen de plusieurs solutions concurrentes. Cette exigence distingue fondamentalement ce service du conseil de base, qui peut se satisfaire de la présentation d’une solution unique dès lors qu’elle est cohérente avec les besoins identifiés.

Cette prestation s’inscrit dans une logique de différenciation concurrentielle, permettant aux distributeurs de valoriser leur expertise par une offre de service premium. L’ACPR a d’ailleurs souligné que ce service, dépassant les obligations légales minimales, pouvait justifier une rémunération spécifique[28].

La recommandation personnalisée implique également une responsabilité accrue du distributeur. Contrairement au conseil de base, qui se contente de vérifier la cohérence d’une solution, la recommandation engage le distributeur sur le caractère optimal de son choix parmi plusieurs alternatives. Cette différence d’engagement explique le caractère facultatif de cette prestation.

L’évolution vers ces services différenciés reflète la maturation du marché français de l’assurance, où la concurrence ne porte plus seulement sur les prix mais également sur la qualité du service. Cette tendance, observée dans d’autres secteurs de services financiers, transforme progressivement les distributeurs en véritables conseillers spécialisés[29].

1.2. Les modalités d’exécution du devoir de conseil

L’évolution du droit de la distribution d’assurance, marquée par la transposition de la directive du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurance (DDA) par l’ordonnance du 16 mai 2018, a profondément renouvelé l’approche du devoir de conseil. Cette obligation, forgée de longue date par la jurisprudence avant d’être consacrée par la loi du 15 décembre 2005, connaît désormais un encadrement précis de ses modalités d’exécution. L’analyse de ces modalités suppose d’examiner successivement le moment d’exécution de cette obligation et l’identification des parties qui y sont intéressées.

a. Le moment de la délivrance du devoir de conseil

i. La délivrance du conseil avant la conclusion du contrat

Le caractère précontractuel du devoir de conseil est consacré par l’article L. 521-4 du Code des assurances qui dispose que « avant la conclusion de tout contrat d’assurance, le distributeur […] précise par écrit […] les exigences et les besoins » du souscripteur éventuel. Cette exigence revêt une portée particulière dans la mesure où elle impose une intervention active du distributeur en amont de tout engagement contractuel.

Le principe signifie concrètement que le conseil ne peut intervenir efficacement qu’avant que le consentement du souscripteur ne soit définitivement formé. Une fois le contrat conclu, l’objectif du conseil – éclairer le choix du contractant – ne peut plus être atteint. Cette logique transparaît dans la finalité même assignée par le législateur à cette intervention : permettre au souscripteur de « prendre une décision en toute connaissance de cause ». Cette expression révèle que le conseil vise à parfaire le consentement avant qu’il ne se cristallise dans l’acte contractuel.

La lettre de l’article L. 521-4 du Code des assurances confirme cette approche. L’obligation faite au distributeur de « conseiller un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel » utilise à dessein la référence au « souscripteur éventuel », marquant ainsi que l’intervention doit nécessairement précéder l’engagement définitif. Cette conception s’inscrit dans une vision dynamique de la formation du contrat d’assurance. Comme le relève Jean Bigot, « le conseil est dû avant la conclusion de tout contrat d’assurance » car « la conclusion du contrat d’assurance vient au terme d’un processus de formation qui commence par la « proposition d’assurance » émanant d’un candidat à l’assurance mais qui va devoir mûrir sous les informations et les conseils du distributeur jusqu’à la signature de la police ».

Hubert Groutel souligne à cet égard que « le devoir de conseil en assurance » doit s’exercer « dès lors que s’engage le processus de formation du contrat », car c’est précisément à ce moment que le futur assuré a besoin d’être éclairé sur l’adéquation entre ses besoins et l’offre qui lui est présentée. L’ordonnance du 16 mai 2018 a d’ailleurs renforcé cette logique en imposant que le distributeur « précise par écrit les exigences et les besoins » du client « sur la base des informations obtenues auprès du souscripteur éventuel », marquant ainsi l’importance de la phase précontractuelle de dialogue et d’analyse.

Cette exigence de délivrance du conseil antérieurement à la conclusion du contrat répond à une finalité préventive clairement identifiée par la doctrine. Luc Mayaux observe que « l’objectif de la directive et des textes qui l’ont transposée est de combler ce déficit de compétence en chargeant l’une des parties, le distributeur, de renseigner le consommateur d’assurance ». Cette mission ne peut s’accomplir qu’en amont de l’engagement contractuel. Daniel Langé relève également que cette obligation précontractuelle vise à « éviter que l’assuré soit privé de la garantie » par une inadéquation entre ses besoins réels et le contrat souscrit.

La jurisprudence a d’ailleurs sanctionné les manquements à cette obligation précontractuelle. Dans un arrêt du 7 mars 1989, la Cour de cassation a ainsi retenu la responsabilité d’un courtier qui avait « omis de conseiller à l’assuré de résilier la garantie des dommages immatériels » inadaptée à sa situation, soulignant que cette obligation s’exerçait « dès avant la conclusion du contrat » (Cass. 1re civ., 7 mars 1989).

L’exigence de fourniture du conseil avant la conclusion du contrat s’articule étroitement avec les autres obligations précontractuelles, notamment l’obligation d’information consacrée aux articles L. 521-2 et L. 521-3 du Code des assurances. Comme le souligne Hubert Groutel, «si tout conseil suppose une information préalable, toute information n’aboutit pas nécessairement à un conseil»[30]. Cette distinction est essentielle car elle permet de comprendre que le conseil ne se limite pas à la transmission d’informations brutes, mais implique une véritable démarche d’analyse et de recommandation. L’article L. 521-4 du Code des assurances traduit cette exigence en imposant que le distributeur « conseille un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel » et «précise les raisons qui motivent ce conseil ».

La Cour de cassation a d’ailleurs précisé, dans un arrêt du 13 décembre 2012, que la clarté du contrat peut dispenser de l’exécution de l’obligation d’informer, mais ne dispense jamais de l’exécution de l’obligation de conseil dont l’objet est différent, confirmant ainsi la spécificité et l’autonomie de l’obligation de conseil précontractuel (Cass. 1re civ., 13 déc. 2012, n° 11-27.631).

Cette conception du conseil emporte des conséquences pratiques déterminantes. Elle impose d’abord au distributeur de structurer sa démarche commerciale de manière à ménager un temps spécifique dédié au conseil, distinct de la phase de conclusion proprement dite. Cette exigence se matérialise par l’obligation de formalisation écrite qui impose de « préciser par écrit » les exigences et besoins du client ainsi que « les raisons qui motivent ce conseil ». Cette formalisation vise précisément à matérialiser l’antériorité du conseil par rapport à la conclusion du contrat.

Le principe implique enfin que le distributeur doit disposer, avant toute conclusion, de l’ensemble des éléments nécessaires à la délivrance d’un conseil éclairé, ce qui suppose un recueil préalable et approfondi des informations relatives à la situation du souscripteur potentiel. Cette intervention précontractuelle constitue donc le socle temporel sur lequel repose l’ensemble du dispositif de protection du consommateur d’assurance, justifiant l’attention particulière que lui porte le législateur contemporain.

ii. La délivrance du conseil lors du renouvellement du contrat

Une interrogation spécifique mérite d’être examinée s’agissant de l’application du devoir de conseil lors du renouvellement du contrat d’assurance. Cette problématique révèle les tensions entre l’automatisme de la tacite reconduction et l’exigence d’un conseil actualisé.

La jurisprudence a établi de longue date que la tacite reconduction n’entraîne pas une simple prorogation du contrat existant, mais donne naissance à un nouveau contrat. Cette analyse, confirmée par la Cour de cassation notamment dans un arrêt rendu le 18 janvier 1983 pourrait théoriquement imposer la délivrance d’un nouveau conseil à chaque échéance contractuelle (Cass. 1re civ., 18 janv. 1983, n° 81-14.860).

Cette exigence trouve sa justification dans l’évolution naturelle de la situation du souscripteur. Comme le souligne Jean Bigot « les besoins du client ont pu changer, de même que les opportunités à saisir sur le marché ». Cette observation revêt une acuité particulière dans un environnement économique et réglementaire en constante mutation, où les produits d’assurance évoluent rapidement pour s’adapter aux nouveaux risques et aux attentes changeantes de la clientèle.

Jean Bigot relève à cet égard que « la finalité du conseil pourrait le justifier », dans la mesure où celui-ci vise « la recommandation d’un contrat qui serait adapté aux besoins du souscripteur » éventuel, appréciés à un moment donné. À l’instant du renouvellement, cette adéquation mérite d’être réévaluée, les circonstances ayant pu évoluer depuis la souscription initiale.

L’ordonnance du 16 mai 2018 a d’ailleurs anticipé cette problématique en précisant, à l’article L. 521-2, III du Code des assurances, que « le souscripteur ou l’adhérent est informé des changements affectant l’une des informations » relatives au distributeur « s’il effectue, au titre du contrat d’assurance après sa conclusion, des paiements autres que les primes en cours et les versements prévus ». Cette disposition témoigne de la volonté du législateur de maintenir une information actualisée tout au long de la relation contractuelle.

La doctrine civiliste a d’ailleurs souligné l’importance de cette actualisation dans le contexte plus large du droit des contrats. Philippe Malaurie observe que « l’évolution des circonstances peut remettre en cause l’équilibre contractuel initial », justifiant une vigilance particulière lors des renouvellements successifs[31].

Néanmoins, la mise en œuvre pratique de cette exigence soulève des difficultés considérables. L’automatisme de la tacite reconduction, prévu à l’article L. 113-3 du Code des assurances, vise précisément à éviter les interruptions de garantie et à simplifier la gestion contractuelle. Imposer un conseil systématique à chaque renouvellement pourrait contrarier cette logique de continuité.

La solution semble résider dans une approche nuancée, fondée sur l’évolution significative de la situation du souscripteur ou du marché de l’assurance. Luc Mayaux suggère ainsi que « l’obligation de conseil ne devrait s’imposer au renouvellement qu’en cas de modification substantielle des besoins du souscripteur ou de l’offre disponible ». Cette approche permettrait de concilier l’exigence de protection du consommateur avec les impératifs de sécurité juridique et d’efficacité commerciale.

Cette problématique illustre plus largement les défis posés par l’adaptation du droit traditionnel de l’assurance aux exigences contemporaines de protection du consommateur, révélant la nécessité d’un équilibre délicat entre formalisme juridique et pragmatisme commercial.

b. Les parties intéressées au devoir de conseil

b.1. Le débiteur du devoir de conseil

L’identification des débiteurs du devoir de conseil en assurance révèle une architecture complexe où se mêlent obligations légales et constructions prétoriennes. Comme le souligne Jean Bigot, « l’obligation de conseil des intermédiaires d’assurances [est devenue] l’une des caractéristiques de leur activité »[32]. Cette obligation, initialement d’origine jurisprudentielle, a connu une consécration légale progressive qui en a étendu le champ d’application à de nouveaux débiteurs.

i. Les personnes assujetties au devoir de conseil

==>Les entreprises d’assurance

  • Les assureurs stricto sensu
    • La directive sur la distribution d’assurance de 2016, transposée par l’ordonnance du 16 mai 2018, a marqué un tournant décisif en soumettant expressément les entreprises d’assurance pratiquant la vente directe aux mêmes obligations de conseil que les intermédiaires.
    • Comme l’observe Luc Mayaux, cette évolution répond à un impératif d’égalité de traitement : « la clientèle doit disposer des mêmes protections quel que soit le canal de distribution ».
    • L’article L. 521-4 du Code des assurances impose désormais à tout distributeur, y compris l’entreprise d’assurance en vente directe, de « préciser par écrit les exigences et les besoins du souscripteur éventuel » et de lui «fournir des informations objectives sur le produit d’assurance proposé ».
    • Cette obligation se double d’un véritable devoir de conseil consistant à conseiller « un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ».
    • La jurisprudence avait d’ailleurs anticipé cette évolution législative en sanctionnant régulièrement les manquements de l’assureur à son devoir de conseil[33].
    • Ainsi, dans l’affaire de l’exposition « Our Body », la Cour de cassation a retenu la responsabilité contractuelle de l’assureur qui n’avait pas « attiré l’attention de la société organisatrice de l’exposition sur le risque d’annulation de l’exposition » (Cass. 1ère civ. 29 oct. 2014, n°13-19.729).
  • Les mutuelles et institutions de prévoyance
    • L’ordonnance de 2018 a étendu le champ d’application du devoir de conseil aux organismes relevant du Code de la mutualité et du Code de la sécurité sociale.
    • L’article L. 116-6 du Code de la mutualité dispose que « les dispositions du Code des assurances relatives aux distributeurs d’assurance sont applicables aux mutuelles et unions régies par le livre III du présent code, sous réserve des règles propres à ces mutuelles ou unions ».
    • Cette extension répond à une logique de cohérence du système juridique, comme le relève Hubert Groutel : « il serait paradoxal que les assurés bénéficient d’une protection différente selon qu’ils s’adressent à une société d’assurance, une mutuelle ou une institution de prévoyance »[34].

==>Les distributeurs d’assurance

  • Les courtiers d’assurance
    • Les courtiers constituent historiquement les premiers débiteurs du devoir de conseil. La jurisprudence les a très tôt qualifiés de « guide sûr et conseiller expérimenté »[35], imposant à leur charge une obligation particulièrement étendue en raison de leur indépendance supposée vis-à-vis des assureurs.
    • Cette obligation revêt une intensité particulière pour les courtiers, comme le souligne Pierre-Grégoire Marly : « le courtier doit être en mesure de proposer à son client un contrat qui, non seulement correspondrait au mieux à ses exigences et ses besoins de garantie, mais offrirait les meilleures conditions tarifaires »[36].
  • Les agents généraux d’assurance et autres mandataires d’assurance
    • Bien que mandataires des compagnies d’assurance, les agents généraux sont également tenus du devoir de conseil envers leur clientèle. Cette situation peut créer un conflit d’intérêts potentiel, comme le note un auteur: «l’agent général se trouve dans la situation délicate de devoir servir à la fois les intérêts de son mandant assureur et ceux de sa clientèle »[37].
    • La Cour de cassation a tranché cette difficulté en affirmant que « en sa qualité de professionnel de l’assurance mettant sa compétence à la disposition du public, l’agent général est tenu d’une obligation de conseil »[38].
    • Cette solution s’impose désormais avec force compte tenu des termes de l’article L. 521-1 du Code des assurances qui impose aux distributeurs d’agir « au mieux des intérêts du souscripteur ou de l’adhérent ».

==>Les souscripteurs de contrats collectifs

  • Les employeurs
    • Dans le cadre des assurances collectives, l’employeur souscripteur endosse une double casquette.
    • Bénéficiaire du conseil en tant que souscripteur, il devient également débiteur d’une obligation de conseil envers ses salariés adhérents, comme le précise l’article L. 141-4 du Code des assurances.
    • Cette situation particulière a été analysée par Laurent Mayaux qui observe que « le souscripteur de l’assurance de groupe proposée à l’adhésion devient comme distributeur d’assurance, véritable Janus bifrons »[39].
    • L’employeur concentre aujourd’hui l’essentiel de l’obligation d’information et de conseil sur les garanties promises par les contrats de groupe proposés à l’adhésion des salariés.
  • Les établissements de crédit
    • Les banques prêteuses qui souscrivent des assurances de groupe en garantie des prêts qu’elles accordent sont soumises à un devoir de conseil particulièrement strict.
    • La Cour de cassation a solennellement affirmé que l’obligation « d’éclairer l’adhérent sur l’adéquation des risques couverts » à sa situation personnelle «incombe au seul établissement de crédit souscripteur du contrat d’assurance», ajoutant même qu’«aucun devoir de conseil ou de mise en garde n’incombait à l’assureur de groupe» (Cass. com., 18 avr. 2019, n° 18-11.108).
    • L’établissement de crédit concentre ainsi l’essentiel de l’obligation d’information et de conseil sur les garanties promises par le contrat de groupe souscrit au profit des emprunteurs.
    • Cette jurisprudence, construite avant l’inscription dans la loi de l’obligation d’information et de conseil à la charge de tout distributeur d’assurance, n’en prend que plus de force aujourd’hui.
  • Les associations et personnes morales
    • Les associations d’épargnants et autres personnes morales qui souscrivent des contrats de groupe sont également tenues d’un devoir de conseil envers leurs adhérents.
    • Cette obligation découle de leur qualité de distributeur au sens de l’article L. 511-1 du Code des assurances.
    • Il convient de noter que lorsque le distributeur à titre accessoire, souscripteur du contrat de groupe dont il propose une adhésion à ses clients, est un professionnel d’une autre spécialité, le distributeur qui a placé le contrat de groupe a obligation « de conseiller utilement le souscripteur, distributeur à titre accessoire sur l’étendue des garanties », et d’attirer plus spécialement son attention sur « les exclusions et limites » qu’elles comportent (Cass. 2? civ., 29 mars 2018, n° 17-14.975).
  • Les prestataires de services numériques
    • La révolution numérique a profondément bouleversé l’écosystème de la distribution d’assurance, faisant émerger de nouveaux acteurs dont le statut juridique soulève des interrogations inédites.
    • Les plateformes et comparateurs en ligne incarnent cette mutation technologique qui questionne les frontières traditionnelles de l’intermédiation d’assurance et, par voie de conséquence, l’application du devoir de conseil.
    • Contrairement à une idée répandue, les comparateurs d’assurance en ligne n’ont jamais bénéficié d’un statut dérogatoire en droit français.
    • La multiplication des plateformes de comparaison n’a pas donné lieu à une catégorie juridique autonome.
    • Comme l’a rappelé l’ACPR dès 2015, « le statut de comparateur n’est ni défini, ni reconnu spécifiquement par la réglementation française ».
    • Cette lacune juridique a longtemps créé une zone d’incertitude quant au régime applicable à ces nouveaux acteurs, nombreux étant ceux qui arguaient de la spécificité de leur activité pour échapper aux obligations traditionnelles de l’intermédiation d’assurance.
    • La directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances (DDA) a permis de clarifier cette question en adoptant une approche fonctionnelle plutôt que statutaire.
    • Elle considère comme constitutive de distribution d’assurance : « la fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par le client sur un site internet ou par d’autres moyens de communication et l’établissement d’un classement de produits d’assurance comprenant une comparaison des prix et des produits, ou une remise de prime, lorsque le client peut conclure un contrat directement ou indirectement au moyen d’un site internet ou d’autres moyens de communication. »
    • Cette définition a été fidèlement transposée en droit français à l’article L. 511-1, I, alinéa 2 du Code des assurances, dans sa version issue de l’ordonnance n° 2018-361 du 16 mai 2018.
    • Le texte français reprend substantiellement la formulation européenne en précisant : « est également considérée comme de la distribution d’assurances la fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par le souscripteur ou l’adhérent sur un site internet ou par d’autres moyens de communication et l’établissement d’un classement de produits d’assurance comprenant une comparaison des prix et des produits, ou une remise de prime, lorsque le souscripteur ou l’adhérent peut conclure le contrat directement ou indirectement au moyen du site internet ou par d’autres moyens de communication. »
    • A l’analyse, la qualification d’activité de distribution repose sur plusieurs critères cumulatifs définis par l’article L. 511-1 :
      • La fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par l’utilisateur
      • L’établissement d’un classement de produits comprenant une comparaison des prix et des produits
      • La possibilité pour l’utilisateur de conclure un contrat directement ou indirectement par le biais de la plateforme
    • Cette approche téléologique privilégie la substance économique de l’activité sur sa forme juridique, conformément à l’esprit de la directive européenne visant à éviter les contournements réglementaires.
    • Cette qualification n’est pas neutre sur le plan juridique.
    • Elle implique que les comparateurs d’assurance relèvent intégralement du champ de la réglementation applicable aux distributeurs et sont donc soumis à l’ensemble des obligations professionnelles prévues par le Code des assurances, notamment :
      • L’obligation d’immatriculation à l’ORIAS (article L. 512-1)
      • L’obligation de capacité professionnelle (articles L. 512-7 et suivants)
      • Les règles relatives à la prévention des conflits d’intérêts (article L. 521-1)
      • Le respect des règles de conduite (articles L. 521-1 à L. 521-6)
      • Et surtout, le devoir de conseil prévu à l’article L. 521-4
    • Sur ce dernier point, la position de l’ACPR est explicite et sans ambiguïté : «dans ce contexte, le comparateur d’assurance sur Internet est avant tout un courtier d’assurance ».
    • Cette qualification entraîne l’application intégrale du régime de responsabilité prévu pour les intermédiaires d’assurance.
    • Il en résulte que, dès lors qu’un comparateur permet au souscripteur de conclure un contrat, directement ou par redirection vers un partenaire, il doit être regardé comme participant à l’acte de distribution et, à ce titre, tenu d’un devoir de conseil à l’égard de l’utilisateur.
    • Conformément à l’article L. 521-4 du Code des assurances, le comparateur doit :
      • Préciser par écrit les exigences et les besoins du souscripteur éventuel
      • Fournir des informations objectives sur le produit d’assurance proposé sous une forme compréhensible, exacte et non trompeuse
      • Conseiller un contrat cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur
      • Préciser les raisons qui motivent ce conseil
    • L’application de ces obligations aux comparateurs soulève des difficultés pratiques particulières :
      • La limitation du périmètre de comparaison : aucun comparateur ne peut avoir accès à l’ensemble du marché, ce qui questionne la pertinence du conseil fourni
      • L’automatisation du processus : la dimension largement automatisée de la comparaison peut entrer en tension avec l’exigence de personnalisation du conseil
      • La transparence sur les partenariats : l’obligation d’information sur les conflits d’intérêts impose de révéler les accords commerciaux avec les assureurs référencés
    • Comme le souligne l’ACPR, « les comparateurs ont développé une approche marketing qui s’appuie sur le sentiment qu’ont les internautes d’avoir accès à une base d’informations sans limite ».
    • Cette communication peut créer une confusion préjudiciable aux consommateurs qui croient bénéficier d’une vision exhaustive du marché.
    • À ce jour, l’autorité de régulation constate que « la majorité des comparaisons se fait sur le seul critère tarifaire, sans que le consommateur soit averti des limites du conseil fourni ou que la fiabilité des offres présentées soit garantie».
    • Cette approche essentiellement tarifaire entre en contradiction avec l’obligation de conseil qui impose de prendre en compte l’ensemble des besoins du souscripteur et non le seul critère économique.

ii. Les personnes non assujetties au devoir de conseil

L’identification des personnes exclues du devoir de conseil répond à une logique de proportionnalité et d’efficience économique. Comme le souligne Daniel Langé, « ces exclusions visent à éviter l’application d’obligations inadaptées à certaines situations où le déséquilibre informationnel justifiant le devoir de conseil n’existe pas »[40].

==>Les exclusions liées à la nature des risques

  • Les grands risques
    • L’article L. 521-5 du Code des assurances exclut expressément de l’obligation de conseil « la présentation d’un contrat couvrant les risques mentionnés à l’article L. 111-6 ».
    • Cette exclusion concerne deux catégories de risques distincts.
      • Les grands risques par nature
        • Certains risques relèvent de la catégorie des grands risques en raison de leur objet même.
        • Il s’agit notamment des véhicules ferroviaires, aériens, maritimes, lacustres et fluviaux ainsi que la responsabilité civile afférente à ces véhicules, les marchandises transportées, les installations d’énergies marines renouvelables définies par décret en Conseil d’État, et les assurances crédit et caution lorsque le souscripteur exerce à titre professionnel une activité industrielle, commerciale ou libérale en rapport avec le risque couvert.
      • Les grands risques par la taille
        • Dans les autres branches d’assurance de dommages, la qualification de grand risque dépend de la taille de l’entreprise souscriptrice.
        • Le risque n’est « grand » que si l’entreprise dépasse les limites d’au moins deux des trois critères chiffrés visés à l’article R. 111-1 du Code des assurances : total du bilan supérieur à 6,2 millions d’euros, chiffre d’affaires supérieur à 12,8 millions d’euros, ou plus de 250 salariés en moyenne.
    • Cette exclusion des grands risques du champ d’application du devoir de conseil se justifie par la présomption de compétence des souscripteurs de cette catégorie de risques.
    • Comme l’explique Jérôme Kullmann : « Le législateur considère que la personne qui cherche à assurer des grands risques détient les connaissances et l’expertise nécessaires pour décider, de son propre chef, de souscrire tel ou tel contrat d’assurance »[41].
    • Laurent Mayaux nuance cette approche en observant qu’« autant peut-on comprendre la dispense d’assistance du distributeur auprès de la grande entreprise, dans la mesure où elle dispose en interne des moyens de mobiliser à travers une direction des risques et assurances les compétences nécessaires »[42].Toutefois, il souligne que même ces entreprises « ne peuvent se mettre à la place de l’assureur dans l’appréciation du risque et du règlement de l’éventuel sinistre ».
    • Cette exclusion des grands risques peut donc paraître discutable s’agissant des entreprises qui, bien que dépassant les seuils quantitatifs, ne disposent pas nécessairement en interne des compétences techniques spécialisées pour apprécier tous les aspects de l’assurance, notamment les exclusions complexes ou les mécanismes de franchise sophistiqués.
  • Les traités de réassurance
    • Les traités de réassurance sont également exclus du champ du devoir de conseil.
    • Cette exclusion trouve sa justification dans la nature même de ces opérations, comme l’explique Daniel Langé : la réassurance est négociée «entre deux parties professionnelles de l’assurance entre lesquelles on postule l’égalité de compétence pour aborder la négociation du traité ».
    • Hubert Groutel précise que «cette exclusion se comprend aisément dans la mesure où la réassurance met en relation des professionnels de l’assurance disposant, par hypothèse, des mêmes compétences techniques»[43].
    • L’asymétrie informationnelle qui justifie le devoir de conseil dans les relations entre professionnels et consommateurs disparaît dans ce contexte.

==>Les exclusions liées au statut de l’intermédiaire

  • Les intermédiaires à titre accessoire
    • L’article L. 513-1 du Code des assurances prévoit un régime dérogatoire pour certains intermédiaires à titre accessoire.
    • Ces intermédiaires, « qui, comme l’indique leur dénomination, bénéficient de dérogations aux exigences s’imposant aux autres intermédiaires à raison de la simplicité des produits d’assurance qu’ils distribuent »[44], échappent partiellement aux obligations de conseil.
    • Cette dérogation concerne notamment la distribution d’assurances dites «affinitaires», caractérisées par leur simplicité et leur standardisation.
    • Comme le note Philippe Maystadt, « ces produits, souvent liés à l’achat d’un bien ou d’un service principal, présentent des caractéristiques suffisamment simples pour ne pas justifier un conseil approfondi »[45].
    • Toutefois, cette dérogation ne doit pas compromettre la protection des consommateurs.
    • L’article L. 513-2 du Code des assurances prévoit que c’est à l’entreprise ou à l’intermédiaire d’assurance qui distribuent via l’intermédiaire à titre accessoire de faire en sorte que des “dispositions appropriées et proportionnées” soient prises pour assurer le respect des dispositions relatives aux règles de conduite.
  • Les courtiers grossistes
    • Les courtiers grossistes occupent une position singulière dans l’organisation du marché de l’assurance.
    • Contrairement aux courtiers dits traditionnels ou « détaillants », ils interviennent en amont de la chaîne de distribution, en concevant des produits, en négociant les conditions de couverture avec les assureurs, ou encore en structurant l’offre assurantielle destinée à être diffusée par un réseau d’apporteurs ou de courtiers distributeurs.
    • Comme l’explique Jean Bigot, « les courtiers grossistes interviennent en amont de la chaîne de distribution, en concevant des produits ou en négociant des conditions avec les assureurs, mais sans contact avec l’assuré final »[46].
    • Leur rôle est ainsi souvent double : ils peuvent être distributeurs de produits d’assurance, tout en exerçant, dans certains cas, une fonction de délégataire de gestion pour le compte d’un assureur.
      • La fonction de distributeur auprès d’un réseau d’intermédiaires
        • Lorsqu’ils interviennent en qualité de distributeurs, les courtiers grossistes conçoivent des produits qu’ils mettent à disposition de courtiers détaillants, chargés de les proposer aux clients finaux.
        • Dans ce schéma, le courtier grossiste ne contracte pas avec le candidat à l’assurance et ne participe pas à l’acte de distribution final.
        • C’est le courtier détaillant – titulaire d’un mandat de placement de risques conféré par l’assuré – qui exerce l’intermédiation de proximité et recueille les besoins du client.
        • Il en découle que le devoir de conseil repose exclusivement sur ce dernier, seul en mesure d’évaluer les attentes du souscripteur, de l’interroger, de le mettre en garde, et de lui recommander un contrat adéquat.
        • Le courtier grossiste, en revanche, n’entretient aucun lien contractuel ni relation commerciale avec le preneur d’assurance.
        • Mieux encore, il n’est pas autorisé à en avoir, car le client appartient exclusivement au courtier distributeur.
        • Toute ingérence du courtier grossiste dans cette relation pourrait être qualifiée de détournement de clientèle, et engager sa responsabilité délictuelle.
        • Dans ces conditions, il serait juridiquement incohérent de lui imposer un devoir de conseil qu’il n’a ni les moyens ni le droit d’exercer.
      • La fonction de délégataire de gestion pour le compte de l’assureur
        • Par ailleurs, certains courtiers grossistes assument, en parallèle de leur activité de distribution, une mission de gestion administrative pour le compte de l’assureur, dans le cadre d’une délégation de gestion.
        • Ils interviennent alors en exécution du contrat d’assurance, souvent après la souscription, et accomplissent des actes tels que l’émission des pièces contractuelles, la gestion des sinistres ou le recouvrement des primes.
        • Dans ce cadre, le courtier grossiste agit au nom et pour le compte de l’assureur.
        • Il n’est plus un distributeur, mais un gestionnaire délégué, placé sous l’autorité juridique du porteur de risque.
        • Même lorsque cette mission de gestion implique un contact direct avec l’assuré (par exemple lors du traitement d’un sinistre ou de l’émission d’un certificat), aucun devoir de conseil autonome ne peut naître à sa charge, car il n’accomplit pas d’acte de distribution.
        • Le cas échéant, s’il devait exister une obligation de conseil dans le cadre de la gestion, celle-ci ne pourrait être imputée qu’à l’assureur, débiteur naturel du devoir, et non au délégataire, qui n’intervient que par représentation.
    • La question de savoir si un courtier grossiste peut être tenu au devoir de conseil à l’égard de l’assuré final a été expressément tranchée par la Cour de cassation dans un arrêt du 23 mars 2017 (Cass. 2e civ., 23 mars 2017, n° 16-15.090).
    • En l’espèce, une assurée reprochait à la société April, intervenant en qualité de courtier grossiste, un manquement à son devoir de conseil lors de l’adhésion à un contrat d’assurance de groupe emprunteur, souscrit par l’intermédiaire d’une association.
    • La société April agissait exclusivement dans le cadre d’une délégation de gestion consentie par l’assureur, la société Axeria Prévoyance.
    • Elle n’avait ni commercialisé le contrat, ni participé à son élaboration.
    • La Cour de cassation rejette le pourvoi et affirme que « la société April, intervenue dans la seule gestion administrative du contrat d’assurance sur délégation de l’assureur, n’avait ni proposé le contrat d’assurance ni participé à l’élaboration de la proposition d’assurance, de sorte qu’elle n’était débitrice à l’égard de l’assurée d’aucune obligation d’information et de conseil. »
    • Par cette décision, la Haute juridiction délimite avec précision le périmètre d’application du devoir de conseil, en opérant une distinction fonctionnelle entre deux types d’activités exercées par les courtiers grossistes : d’une part, les fonctions de distribution, qui impliquent un devoir de conseil, et d’autre part, les fonctions de gestion administrative, qui en sont exclues.
    • Elle affirme ainsi que le courtier grossiste n’engage pas sa responsabilité à ce titre lorsqu’il cumule les trois caractéristiques suivantes :
      • Absence d’intervention dans la conception ou la présentation du contrat d’assurance
        • Le devoir de conseil trouve son fondement dans l’acte de distribution au sens propre : il suppose que l’intermédiaire participe, directement ou indirectement, à la présentation, à la recommandation, ou à la mise en place d’un contrat d’assurance à destination d’un client déterminé.
        • Or, dans l’affaire jugée, la Cour de cassation relève que la société April n’a ni proposé le contrat, ni participé à l’élaboration de la proposition : le produit avait été conçu et présenté au client par un autre intermédiaire (le cabinet Michel Astre), seul en lien avec le souscripteur.
        • Ce premier critère exclut donc la qualification d’activité de distribution.
        • En l’absence d’une implication dans le processus de placement du risque, le courtier grossiste ne saurait être regardé comme débiteur d’un devoir de conseil.
      • Exercice d’une mission de gestion par délégation de l’assureur
        • La société April agissait dans le cadre d’une délégation de gestion consentie par l’assureur.
        • Elle se bornait à exécuter des tâches telles que la tenue des dossiers, la production des certificats d’adhésion ou la gestion des flux contractuels, sans initiative commerciale ou responsabilité dans la construction de l’offre.
        • Dans ce contexte, le courtier grossiste agit en représentation de l’assureur, dans un cadre strictement déterminé.
        • Il n’endosse pas le rôle de distributeur, mais celui de gestionnaire de prestations au nom du porteur de risque.
        • Toute obligation d’information ou de conseil qui pourrait être invoquée dans ce contexte relèverait de la seule responsabilité de l’assureur, le gestionnaire n’étant qu’un relais technique.
        • La Haute juridiction se fonde donc sur une analyse fonctionnelle du rôle du courtier : elle retient que l’absence d’autonomie dans la présentation du produit, jointe à la qualité de mandataire du gestionnaire, suffit à écarter toute obligation personnelle de conseil.
      • Absence de relation contractuelle directe avec le souscripteur
        • Enfin, la Cour de cassation insiste sur un troisième élément fondamental : l’inexistence de tout lien contractuel direct entre le courtier grossiste et le preneur d’assurance.
        • Elle écarte expressément l’argument fondé sur l’existence d’échanges de courriers ou la remise de documents : ces simples démarches administratives ne suffisent pas à caractériser une relation juridique autonome de nature à faire naître des obligations propres au gestionnaire.
        • Cette précision est essentielle. Elle souligne que le devoir de conseil suppose une relation d’intermédiation individualisée : il implique que l’intermédiaire soit investi d’un mandat – explicite ou implicite – par le client, qu’il soit en situation de dialogue et de recueil d’informations, et qu’il puisse formuler une recommandation adaptée.
        • En l’absence de tout lien de droit entre le courtier grossiste et le preneur d’assurance, aucune de ces conditions n’est remplie.
  • Les indicateurs
    • En droit de la distribution d’assurance, les indicateurs constituent une catégorie à part, expressément exclue du champ d’application du régime de l’intermédiation.
    • À la différence des courtiers, agents généraux ou mandataires, ces acteurs ne sont pas considérés comme des distributeurs au sens du Code des assurances, et n’assument donc aucune des obligations professionnelles attachées à cette qualité.
    • L’article R. 511-3, III du Code des assurances définit leur rôle restrictif : ils sont des « indicateurs dont le rôle se borne à mettre en relation l’assuré et l’assureur, ou l’assuré et l’un des intermédiaires mentionnés à l’article R. 511-2, ou à signaler l’un à l’autre ».
    • Autrement dit, l’indicateur se limite à une mise en relation ou à une simple recommandation de contact, sans participer à la présentation, à la proposition, ni à la conclusion d’un contrat d’assurance.
    • Il n’exerce aucun acte de distribution au sens de l’article L. 511-1, et ne réalise pas de travaux préparatoires à la souscription.
    • Cette qualification emporte des conséquences juridiques majeures : n’étant pas un distributeur, l’indicateur est exclu du champ d’application de l’article L. 521-4, et ne peut être tenu au devoir de conseil à l’égard du candidat à l’assurance.
      • Fondement de l’exclusion: la nature restrictive de l’activité d’indication
        • Le Code des assurance distingue expressément certaines activités accessoires qui, bien qu’elles puissent participer indirectement à la mise en place de contrats, échappent à la qualification d’intermédiation.
        • Tel est le cas des indicateurs d’affaires, qui bénéficient d’un statut dérogatoire précisément défini par les textes.
        • L’article L. 511-1, II du Code des assurances, dans la liste de ses exclusions, précise que « ne sont pas considérées comme de la distribution d’assurances des activités s’apparentant à de l’indication d’affaires ».
        • Cette disposition est éclairée par l’article R. 511-3, III, qui encadre strictement les contours de cette fonction : « La présente section ne fait pas obstacle à la rétrocession d’une commission d’apport aux indicateurs dont le rôle se borne à mettre en relation l’assuré et l’assureur, ou l’assuré et l’un des intermédiaires mentionnés à l’article R. 511-2, ou à signaler l’un à l’autre. »
        • Trois éléments caractérisent donc le périmètre limité de l’activité d’indication :
          • une simple mise en relation entre un assuré potentiel et un professionnel habilité (assureur ou intermédiaire),
          • un signalement passif ne s’accompagnant d’aucune présentation des garanties,
          • et, éventuellement, la perception d’une commission d’apport, à condition qu’elle ne rémunère pas une prestation assimilable à un acte de distribution.
        • L’utilisation du verbe « se borne » dans le texte réglementaire souligne le caractère strictement délimité de cette activité : l’indicateur ne participe ni à l’élaboration ni à la présentation de l’offre, et n’intervient pas dans la conclusion du contrat.
        • Il n’a, en réalité, aucune légitimité à influencer le consentement du souscripteur, ce qui justifie son exclusion du régime de la distribution d’assurance.
        • Les textes vont plus loin en énonçant négativement les actes interdits à l’indicateur. Il lui est notamment interdit :
          • de présenter les garanties d’un contrat d’assurance ;
          • de recueillir les informations nécessaires à l’établissement d’un devis ;
          • ou encore d’exposer oralement ou par écrit les conditions de garantie, telles que définies à l’article R. 511-1, alinéa 1er.
        • Dès lors que l’indicateur franchit l’une de ces limites, il cesse de bénéficier de l’exclusion et devient un intermédiaire au sens plein, devant satisfaire aux obligations afférentes: immatriculation à l’ORIAS, conditions de capacité, assurance RC professionnelle, devoir de conseil, etc.
        • La doctrine a souligné avec justesse que cette frontière est historiquement liée à l’évolution du droit de l’intermédiation.
        • Comme l’ont observé certains auteurs, « le problème vient de l’évolution de la définition de l’intermédiaire lui-même », qui, depuis la réforme de 2005, repose sur la qualité de professionnel impliqué dans le processus contractuel, et non plus uniquement sur l’acte de présentation formelle du contrat.
      • Les conséquences de l’exclusion sur le devoir de conseil
        • L’exclusion des indicateurs d’affaires du champ de l’article L. 511-1 du Code des assurances implique, par cohérence, leur exonération du devoir de conseil prévu à l’article L. 521-4.
        • Cette exemption n’est pas circonstancielle mais structurelle : l’indicateur n’est pas un distributeur, et ne peut donc être assujetti à des obligations qui ne concernent que les acteurs de la distribution.
        • Elle se justifie également par l’impossibilité matérielle pour l’indicateur d’exercer un conseil pertinent.
        • En effet, il ne peut :
          • ni présenter les garanties du contrat ;
          • ni interroger l’assuré sur ses besoins ou objectifs ;
          • ni analyser la situation assurantielle ou proposer des solutions adaptées.
        • Or, le devoir de conseil suppose précisément ces facultés : recueillir les exigences et besoins, formuler une recommandation motivée, éclairer la décision du souscripteur.
        • L’indicateur, par définition, n’en a ni la compétence ni le droit, ce qui rend toute obligation de conseil juridiquement inopérante à son égard.
        • Pour autant, la frontière entre l’indication d’affaires et la distribution peut s’avérer difficile à respecter en pratique.
        • Comme le relève pertinemment la doctrine, « pour signaler un assuré à un assureur, et pour en retirer une commission d’apport au sens de l’article R. 511-3, encore faut-il au minimum que l’indicateur d’assurance se soit renseigné préalablement sur la possibilité pour l’assureur signalé de répondre aux besoins du futur assuré ».
        • Cette observation met en lumière une tension structurelle : l’efficacité commerciale de l’indication suppose un minimum d’information sur les profils des clients et les offres disponibles, mais ce recueil d’informations, dès lors qu’il devient substantiel ou oriente une décision, peut franchir le seuil de l’intermédiation.
        • Dès que l’indicateur commence à adapter ses signalements en fonction des besoins du client ou à orienter celui-ci vers un contrat particulier, il bascule dans une activité de conseil, qui requiert un statut d’intermédiaire et l’assujettissement aux règles professionnelles de la distribution.
        • A cet égard, un défaut d’habilitation d’un intermédiaire est assorti de sanctions pénales au sens de l’article L. 514-1 (deux ans d’emprisonnement et/ou une amende de 6 000 €).
        • Sans compter les risques relatifs à la déclaration mensongère au sens de l’article L. 310-28 du Code des assurances.
        • Au civil, les conséquences sont tout aussi lourdes : si l’apporteur est requalifié en intermédiaire, il supportera pleinement le devoir de conseil dû à l’assuré, et les risques de responsabilité afférents, sans assurance pour le protéger.
        • Cette perspective explique l’importance cruciale du respect strict des limites de l’activité d’indication.
    • L’une des clés de distinction entre l’intermédiaire d’assurance et l’indicateur réside dans l’absence totale d’assistance.
    • Cette approche a été confirmée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt de la cour d’appel de Paris du 8 mars 1996 qui considérait qu’un franchisé n’était pas un intermédiaire dès lors qu’il n’avait pas « assisté les clients dans la recherche et la prise de garantie ».
    • Le critère opérant semble donc résider dans l’abstention de toute forme d’assistance dans la conclusion du contrat, l’indicateur devant se cantonner «strictement à la seule mise en relation, sans fournir, d’une quelconque façon, une assistance à la mise en place de la police ».

==>Les exclusions liées aux circonstances

Le devoir de conseil, bien qu’étant une obligation du distributeur d’assurance, connaît certains aménagements dans ses modalités d’exécution ou peut être suspendu dans des circonstances particulières. Ces situations, loin de remettre en cause le principe même de l’obligation de conseil, témoignent de la nécessaire adaptation du droit aux réalités pratiques de la distribution d’assurance.

  • La commercialisation à distance d’urgence
    • Dans certaines situations d’urgence, notamment lors de la commercialisation à distance, les informations précontractuelles peuvent être fournies après la conclusion du contrat.
    • L’article R. 521-2, II du Code des assurances prévoit expressément que «lorsque le contrat a été conclu à la demande du souscripteur utilisant un moyen technique à distance ne permettant pas la transmission des informations sur support papier ou sur un autre support durable, le distributeur met les informations à disposition immédiatement après la conclusion du contrat ».
    • Cette dérogation ne supprime nullement l’obligation mais en aménage les modalités d’exécution pour tenir compte des contraintes techniques inhérentes aux nouveaux modes de communication.
    • Elle s’inscrit dans une logique pragmatique qui reconnaît que l’urgence d’une couverture d’assurance peut justifier une inversion de l’ordre chronologique habituel entre information et souscription.
    • Plusieurs conditions cumulatives doivent être réunies pour que cette dérogation trouve à s’appliquer :
      • La souscription doit résulter d’une demande expresse du souscripteur, excluant ainsi toute initiative du distributeur
      • L’utilisation d’un moyen technique à distance doit être établie
      • Cette technique doit ne pas permettre la transmission des informations sur support papier ou durable au moment de la souscription
      • Les informations doivent être mises à disposition immédiatement après la conclusion du contrat
    • Cette exception ne concerne que les modalités de transmission des informations et non leur contenu.
    • Le distributeur demeure tenu de fournir l’intégralité des informations précontractuelles requises, y compris le conseil adapté aux besoins du souscripteur.
    • Comme le précise le document joint, “l’intermédiaire n’est pas exonéré de ses obligations d’information, lesquelles sont simplement décalées dans le temps“.
  • Le refus du souscripteur
    • Depuis la loi relative à l’industrie verte du 23 octobre 2023, qui a instauré un devoir de conseil dans la durée, le législateur a dû prendre en compte la possibilité pour le souscripteur de refuser l’actualisation de son conseil. L’article A. 522-2, I, 3° du Code des assurances prévoit désormais que «l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance ou de capitalisation n’est pas tenu de procéder à l’actualisation des informations du souscripteur ou de l’adhérent comme mentionné au 2° du III de l’article L. 522-5 si le souscripteur ou l’adhérent oppose un refus ou n’a pas donné suite à la demande d’actualisation adressée sur tout support durable par l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance ou de capitalisation, après une relance effectuée sur tout support durable au sens de l’article L. 111-9 du présent code».
    • Cette disposition s’inscrit dans le cadre plus large de l’obligation de réactualisation du conseil prévue à l’article L. 522-5, III du Code des assurances.
    • Le distributeur doit procéder à une actualisation des informations lorsque :
      • Il est informé d’un changement dans la situation du souscripteur
      • Le contrat n’a fait l’objet d’aucune opération pendant 4 ans (ou 2 ans en cas de service de recommandation personnalisée)
      • Une opération susceptible d’affecter significativement le contrat est envisagée
    • Cependant, cette obligation cède devant la volonté expresse du souscripteur.
    • Le texte prévoit même une procédure : le distributeur doit adresser une demande d’actualisation “sur tout support durable” et, en cas de silence du souscripteur, effectuer une relance avant de pouvoir considérer que l’obligation ne s’applique plus.
    • Cette disposition reconnaît l’autonomie du souscripteur tout en préservant les intérêts légitimes du distributeur.
    • Elle évite que ce dernier ne soit indéfiniment tenu d’une obligation de conseil actualisé face à un souscripteur qui refuse de coopérer ou qui, en toute connaissance de cause, souhaite maintenir son contrat en l’état.
    • Le législateur a ainsi trouvé un équilibre délicat entre deux impératifs : d’une part, la protection du souscripteur par un conseil adapté et actualisé ; d’autre part, le respect de sa liberté contractuelle et de son droit à refuser cette protection s’il l’estime superflue.
    • Lorsque le souscripteur oppose un refus ou ne donne pas suite à la demande d’actualisation, “la durée de 4 ans ou de 2 ans mentionnée ci-avant est appliquée de nouveau à compter de ce refus ou de la relance”.
    • Cette solution assure une forme de “remise à zéro” du compteur, permettant au distributeur de reproposer ultérieurement une actualisation sans être indéfiniment lié par un refus ancien.

b.2. Le créancier du devoir de conseil

i. Règles générales

Le créancier du devoir de conseil est, par principe, le « souscripteur éventuel » ou « l’adhérent éventuel », selon la terminologie constante des articles L. 521-4 et L. 522-5 du Code des assurances. Cette formulation met l’accent sur le caractère précontractuel de l’obligation, conformément à l’économie générale de la directive du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances.

L’emploi du terme « éventuel » traduit la finalité préventive du dispositif : il s’agit d’éclairer la décision contractuelle avant qu’elle ne soit définitivement arrêtée. Cette approche s’inscrit dans la logique consumériste qui sous-tend la réglementation européenne, visant à permettre au consommateur de « prendre une décision en connaissance de cause ».

La distinction opérée par le législateur entre « souscripteur » et « adhérent » reflète la diversité des schémas contractuels en assurance. Le souscripteur désigne celui qui contracte directement avec l’assureur dans le cadre d’une assurance individuelle, tandis que l’adhérent vise celui qui rejoint un contrat de groupe préalablement souscrit par une personne morale ou un chef d’entreprise, conformément à la définition de l’article L. 141-1 du Code des assurances³.

ii. Les situations particulières

==>L’assurance de groupe

  • Le souscripteur du contrat groupe
    • En matière d’assurance de groupe, l’analyse du devoir de conseil se heurte à une complexité supplémentaire, liée à la structure duale du mécanisme contractuel. En effet, ce type d’assurance repose sur deux niveaux de relation juridique distincts mais articulés :
      • d’une part, un contrat d’assurance collectif conclu entre un souscripteur (généralement une personne morale, une entreprise ou une association) et l’assureur ;
      • d’autre part, des adhésions individuelles au contrat-cadre de la part des membres du groupe concerné (salariés, adhérents, emprunteurs, etc.), qui bénéficient des garanties prévues par le contrat collectif.
    • Cette dualité contractuelle engendre une dissociation entre celui qui négocie et souscrit le contrat (le souscripteur) et ceux qui en bénéficient (les adhérents), ce qui redéfinit en profondeur le périmètre et les modalités du devoir de conseil.
    • Dans ce contexte, le souscripteur – personne morale ou employeur – est seul en relation directe avec le distributeur, et peut légitimement exiger de ce dernier les informations et recommandations nécessaires avant la conclusion du contrat collectif.
    • Il lui revient en effet d’apprécier l’adéquation du contrat-cadre aux besoins du groupe qu’il entend couvrir, ce qui suppose une analyse approfondie des risques collectifs, du profil des adhérents potentiels, ainsi que des garanties et exclusions contenues dans le contrat proposé.
    • Le souscripteur occupe ainsi une position particulière : intermédiaire entre l’assureur et les bénéficiaires potentiels, il porte la responsabilité de choisir une offre adaptée aux intérêts de la collectivité.
    • Cette responsabilité implique, en contrepartie, que le distributeur lui délivre un conseil éclairé et personnalisé, portant non pas sur des besoins individuels, mais sur les caractéristiques générales du groupe à assurer.
  • Les adhérents individuels : créanciers de second rang
    • Les adhérents au contrat collectif ne sont pas parties à la négociation initiale, mais ils deviennent bénéficiaires des garanties dès leur adhésion individuelle au dispositif.
    • À ce titre, ils peuvent également être considérés comme créanciers du devoir de conseil, mais dans une mesure différente de celle du souscripteur initial. Cette qualité de créancier de second rang découle de leur besoin légitime d’être informés et conseillés sur les conditions de leur adhésion :
      • pour en comprendre la portée,
      • pour évaluer son intérêt au regard de leur situation personnelle,
      • et pour pouvoir prendre une décision éclairée, notamment lorsque l’adhésion est facultative, comme en matière d’assurance emprunteur ou de prévoyance individuelle.
    • Contrairement à la tendance générale en matière de contrats d’assurance individuels, la reconnaissance d’un devoir de conseil au profit des adhérents d’un contrat d’assurance de groupe ne constitue pas un principe général.
    • Elle demeure strictement circonscrite à certaines hypothèses, dans lesquelles un professionnel assume expressément un rôle de distributeur vis-à-vis des adhérents individuels.
    • A cet égard, La jurisprudence de la Cour de cassation a reconnu de manière nette la qualité de créancier du conseil à certains adhérents, notamment les emprunteurs adhérant à une assurance de groupe souscrite par leur banque.
    • L’arrêt de principe rendu par la chambre commerciale le 18 avril 2019 affirme que « l‘obligation d’éclairer l’adhérent sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur […] incombe au seul établissement de crédit souscripteur du contrat d’assurance »[47].
    • Cette solution ne repose pas sur une reconnaissance abstraite et générale de la qualité de créancier des adhérents, mais sur une qualification fonctionnelle du souscripteur-emprunteur comme distributeur effectif de l’assurance.
    • C’est en raison de ce rôle actif dans la commercialisation du produit que la banque est tenue d’un devoir de conseil à l’égard de l’adhérent.
    • L’article L. 141-4 du Code des assurances impose au souscripteur de remettre à chaque adhérent une notice d’information, décrivant notamment les garanties offertes et les modalités de mise en œuvre du contrat.
    • Cette obligation traduit un droit à l’information à la charge du souscripteur, mais ne fonde pas à elle seule un véritable devoir de conseil au sens de l’article L. 521-4.
    • Le devoir de conseil suppose en effet :
      • une relation directe entre un professionnel et l’adhérent ;
      • un recueil d’informations personnelles ;
      • une recommandation individualisée.
    • Or, dans la plupart des régimes collectifs, l’adhésion se fait sans contact personnalisé avec un distributeur, par simple acceptation des conditions du contrat-cadre.
    • En l’absence de ce lien personnel, l’adhérent n’est pas considéré comme créancier du conseil, sauf circonstances particulières.
    • La reconnaissance de la qualité de créancier du conseil pour l’adhérent dépend donc étroitement des modalités de son adhésion :
      • En cas d’adhésion facultative (assurance emprunteur, prévoyance complémentaire), l’adhérent dispose d’un pouvoir de choix. Il doit être en mesure de comparer les options disponibles et d’évaluer l’intérêt de son adhésion au regard de sa situation personnelle. Dans ce cas, si un professionnel agit comme distributeur à son égard, un devoir de conseil peut s’appliquer.
      • En cas d’adhésion obligatoire (ex. : assurance collective d’entreprise à caractère obligatoire), le besoin de conseil est atténué : l’adhérent n’a pas à choisir, il subit une affiliation imposée. Le droit à l’information subsiste, mais le devoir de conseil n’a pas lieu de s’exercer de la même manière.
    • Lorsque les conditions sont réunies, la situation conduit à une configuration à créanciers multiples du devoir de conseil :
      • Le souscripteur reste créancier du conseil vis-à-vis du distributeur pour ce qui concerne l’adéquation du contrat-cadre aux besoins du groupe ;
      • L’adhérent, quant à lui, peut devenir créancier d’un conseil individualisé dans la seule mesure où un professionnel assume un rôle actif de distribution à son égard.
    • C’est cette condition – l’existence d’un acte de distribution au profit de l’adhérent – qui fonde ou exclut l’application du devoir de conseil.
    • À défaut, aucun distributeur ne peut être tenu d’une obligation qu’il n’a pas eu l’occasion d’exercer.
    • La prudence de la jurisprudence et de la doctrine s’explique ainsi : la qualité de créancier du devoir de conseil n’est jamais présumée en matière d’assurance de groupe, mais doit être analysée au cas par cas, selon les circonstances concrètes de l’adhésion et l’identité du professionnel impliqué.

==>L’assurance pour compte

L’assurance pour compte constitue un mécanisme particulier où une personne souscrit une assurance non pas pour elle-même, mais pour le compte d’autrui, qu’il soit déterminé ou déterminable au moment du sinistre. Cette configuration soulève des questions spécifiques quant à l’identification des créanciers du devoir de conseil.

  • Principe
    • La jurisprudence admet désormais que le bénéficiaire de l’assurance pour compte peut se prévaloir d’un défaut de conseil, même en l’absence de lien contractuel direct avec l’assureur ou le distributeur. Cette solution s’écarte du principe traditionnel de l’effet relatif des contrats pour privilégier une approche fonctionnelle centrée sur la finalité protectrice de l’assurance.
    • Un arrêt de la première chambre civile du 18 janvier 2018 illustre cette évolution (Cass. 1re civ., 18 janv. 2018, n°16-29.062 et 17-10.189).
    • En l’espèce, une SCI, propriétaire de murs loués à un exploitant de discothèque, se trouvait dans une situation d’assurance pour compte particulièrement révélatrice.
    • La SCI, représentée par son gérant, louait des murs à un exploitant qui y exploitait une discothèque.
    • Par l’intermédiaire d’un cabinet de courtage en assurances, l’exploitant avait conclu « tant pour son propre compte que pour celui de la SCI, un contrat d’assurance », sur la base d’un questionnaire « renseigné et signé par lui ainsi que par [le gérant de la SCI] ».
    • Lors de la destruction de la discothèque par incendie, l’assureur a pu opposer à la SCI la faute intentionnelle de l’exploitant-souscripteur et refuser sa garantie.
    • La SCI et son gérant ont alors assigné l’assureur du courtier, estimant que ce dernier « avait engagé sa responsabilité pour ne pas les avoir utilement conseillés, ni correctement informés sur la nature, les spécificités et l’étendue de la police d’assurance souscrite pour le compte de la SCI ».
    • La cour d’appel avait initialement adopté une position restrictive, considérant que « le contrat d’assurance pour compte est une stipulation pour autrui et que, dès lors, seul le souscripteur, qui a contracté l’assurance par l’intermédiaire de son courtier, peut revendiquer de celui-ci le respect de son obligation de loyauté et d’information ».
    • Elle avait également retenu que « le seul fait que [le gérant de la SCI] ait pu suivre de près la négociation du contrat d’assurance en présence du préposé [du courtier] n’est pas de nature à lui conférer la qualité de futur souscripteur et de rendre le courtier débiteur d’obligations à son égard ou à l’égard de la société qu’il représentait ».
    • La Cour de cassation censure cette analyse au visa de l’article L. 520-1, II, du Code des assurances (devenu L. 521-4).
    • Elle reproche à la cour d’appel d’avoir retenu des « motifs impropres à établir» l’absence d’obligation du courtier.
    • La Haute juridiction considère qu’en l’espèce, lorsque le gérant de la SCI avait « conjointement avec [l’exploitant], consulté [le courtier], remplissant et signant avec lui le questionnaire qu’elle leur avait remis pour pouvoir évaluer le risque à assurer, et manifesté ainsi sa volonté de voir la SCI assurée en toute circonstance contre le risque incendie », la SCI avait acquis « la qualité de souscripteur éventuel ».
    • Cette qualification emporte des conséquences importantes : le courtier était dès lors « tenu d’une obligation d’information sur les conséquences, pour l’assuré pour compte, des causes de non garantie opposables au souscripteur et d’une obligation de conseil relative à l’adaptation du contrat aux risques que la SCI entendait voir garantir ».
  • Fondement
    • Cette solution s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence développée en matière d’action directe.
    • Comme l’a établi l’arrêt d’assemblée plénière du 6 octobre 2006, un tiers peut reprocher à un contractant l’inexécution de ses obligations contractuelles si cette inexécution lui cause un préjudice.
    • L’arrêt “Boot Shop” ou “Myr’ho” (Cass. Ass. plén., 6 octobre 2006, n° 05-13.255) pose le principe que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.
    • Cette solution, initialement développée en matière de responsabilité délictuelle, trouve ici une application particulière.
    • L’assurance pour compte a précisément pour objet de protéger des personnes qui ne sont pas parties au contrat initial.
    • Il serait paradoxal que ces bénéficiaires, pour la protection desquels l’assurance a été souscrite, ne puissent invoquer les manquements du distributeur qui les privent d’une couverture adéquate.
    • Certains auteurs analysent cette situation à travers le prisme de la stipulation pour autrui.
    • Le souscripteur stipulerait le bénéfice du conseil au profit du bénéficiaire final, créant ainsi un lien juridique direct entre ce dernier et le distributeur.
  • Modalités d’application
    • Les conditions de mise en œuvre
      • Pour que le bénéficiaire puisse invoquer un défaut de conseil, plusieurs conditions doivent être réunies :
        • L’existence d’une assurance pour compte : Il faut établir que l’assurance a bien été souscrite dans l’intérêt d’autrui
        • Un préjudice direct : Le bénéficiaire doit démontrer qu’il subit personnellement un préjudice du fait du défaut de conseil
        • Un lien de causalité : Le préjudice doit résulter directement du manquement aux obligations de conseil
    • L’étendue du conseil dû
      • Le conseil dû au bénéficiaire porte principalement sur :
        • L’existence même de l’assurance et son périmètre de couverture
        • L’adéquation des garanties aux risques effectivement encourus par le bénéficiaire
        • Les modalités de mise en œuvre des garanties
        • Les exclusions susceptibles d’affecter la couverture
  • Portée
    • L’arrêt du 18 janvier 2018 introduit une notion nouvelle : celle de «souscripteur éventuel » en matière d’assurance pour compte.
    • Cette qualification ne procède pas d’un lien contractuel direct, mais de la participation effective du bénéficiaire au processus de souscription.
    • L’arrêt dégage plusieurs critères pour reconnaître cette qualité :
      • La consultation conjointe du distributeur par le souscripteur formel et le bénéficiaire
      • La participation active au processus d’évaluation du risque (remplissage et signature du questionnaire)
      • La manifestation de volonté de voir le bien assuré contre les risques identifiés
    • Une fois cette qualité reconnue, le distributeur assume deux obligations spécifiques vis-à-vis du bénéficiaire :
      • Une obligation d’information sur les conséquences des causes de non-garantie opposables au souscripteur formel
      • Une obligation de conseil sur l’adaptation du contrat aux risques que le bénéficiaire entend voir garantir
    • Aussi, la portée exacte de cette jurisprudence reste à préciser.
    • Tous les bénéficiaires d’assurance pour compte n’acquièrent pas automatiquement la qualité de « souscripteur éventuel ».
    • Cette qualification semble subordonnée à une participation effective au processus de souscription.

iii. La modulation du conseil selon les compétences du créancier

==>Le principe de proportionnalité

  • L’adaptation du devoir aux capacités du créancier
    • Le devoir de conseil n’est pas figé : il s’adapte au profil du destinataire.
    • L’un de ses traits essentiels est sa modulation en fonction des compétences du créancier, selon une logique de proportionnalité qui irrigue aussi bien le droit de la consommation que celui des relations professionnelles.
    • La jurisprudence consacre expressément ce principe.
    • Dans un arrêt du 17 janvier 2019, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation affirme que « l’étendue de l’obligation d’information et de conseil du courtier, dont la preuve du respect incombe à celui-ci, est ajustée selon les connaissances et les capacités du créancier » (Cass. 2e civ., 17 janv. 2019, n°17-31.408).
    • En l’espèce, une société exploitant un domaine viticole avait, avec l’aide d’un courtier, remplacé un contrat multirisque agricole par un contrat multirisque industriel. À la suite d’un sinistre, elle reprochait au courtier un défaut de conseil, en invoquant des lacunes de couverture par rapport à l’ancien contrat.
    • La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir écarté la responsabilité du courtier. Elle relève que le dirigeant :
      • s’était personnellement chargé de définir les montants à garantir ;
      • avait souscrit le contrat en connaissance de cause ;
      • et que les clauses litigieuses étaient suffisamment claires pour qu’un professionnel averti comprenne les différences de couverture.
    • En particulier, les juges avaient noté que les limitations de garantie étaient expressément stipulées, telles que la couverture des pertes plafonnée à 150 000 € ou l’indemnisation calculée sur la base du prix de revient.
    • Cet arrêt illustre parfaitement que l’implication du client dans la définition des garanties, jointe à la clarté des stipulations contractuelles, peut exonérer le courtier de sa responsabilité pour défaut de conseil lorsque le client est un professionnel expérimenté.
    • Cette solution jurisprudentielle permet de dégager plusieurs principes structurants :
      • L’évaluation concrète des compétences : Le juge doit apprécier, au cas par cas, si le souscripteur avait les capacités techniques ou juridiques de comprendre la portée du contrat.
      • La valorisation de l’implication personnelle : Lorsque le client s’implique directement dans la définition du contrat, son autonomie réduit d’autant le devoir d’assistance du professionnel.
      • La clarté des stipulations contractuelles : Un professionnel averti ne saurait invoquer un défaut de conseil sur des clauses claires, compréhensibles et librement négociées.
    • L’obligation de conseil demeure une obligation de moyens renforcée, exigeant une démarche proactive du professionnel.
    • Toutefois, cette obligation n’implique pas un devoir de vigilance uniforme et maximal dans tous les cas.
    • Le droit impose une juste proportion entre l’intensité du devoir et le degré de compétence du cocontractant.
    • Cette modulation permet de concilier deux exigences :
      • la protection des souscripteurs profanes, en leur garantissant un accompagnement adapté à leur niveau de compréhension ;
      • et la responsabilisation des professionnels avertis, qui ne peuvent se défausser de leur autonomie décisionnelle en invoquant systématiquement un défaut de conseil.
  • Les critères d’appréciation de la compétence
    • La détermination du niveau de compétence du créancier s’effectue selon plusieurs paramètres.
    • L’expérience professionnelle constitue un critère déterminant, comme l’illustre un arrêt de la première chambre civile du 9 juillet 1991 (Cass. 1re civ., 28 oct. 1991, n° 90-15.029).
    • En l’espèce, un artisan-couvreur reprochait à son assureur et à l’agent général un manquement au devoir de conseil, soutenant qu’ils auraient dû «l’éclairer sur l’érosion de sa garantie au fil de dix années d’assurances» et lui «conseiller une révision du taux de garantie».
    • L’artisan estimait que l’agent général avait « manqué à son devoir de renseignement et de conseil » en ne l’alertant pas sur l’insuffisance progressive de sa couverture due à l’inflation.
    • La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir relevé qu’« en sa qualité d’artisan [l’assuré] était à même d’apprécier l’évolution des prix consécutive à l’érosion monétaire et de veiller à faire modifier, en conséquence, ses polices d’assurance ».
    • La Haute juridiction valide la déduction selon laquelle « en l’espèce l’agent n’était pas tenu à un devoir de renseignement et de conseil particulier sur ce point ».
    • Cette solution illustre parfaitement la prise en compte de l’expérience professionnelle dans l’appréciation des compétences du créancier.
    • L’artisan, par sa pratique quotidienne et sa connaissance du marché de la construction, était présumé capable d’appréhender les effets de l’inflation sur la valeur de ses biens et activités.
    • Cette expertise professionnelle justifie l’allègement correspondant du devoir de conseil de l’intermédiaire.
    • La formation et le parcours professionnel sont également pris en considération dans l’évaluation des compétences du créancier.
    • Ainsi, une cour d’appel a pu débouter un souscripteur « diplômé de l’École normale, de l’institut d’études politiques et de l’ENA » de sa demande de dommages-intérêts pour défaut de conseil, considérant que son niveau de formation lui permettait d’appréhender les enjeux du contrat d’assurance-vie litigieux[48].
    • Cette approche différenciée témoigne de la volonté jurisprudentielle d’adapter l’intensité du devoir de conseil aux capacités réelles du créancier, évitant ainsi une infantilisation excessive des professionnels et des personnes disposant d’une formation ou d’une expérience particulière.

==>La typologie des créanciers selon leurs compétences

  • Les consommateurs profanes
    • Les particuliers dépourvus d’expérience en matière d’assurance constituent la catégorie de créanciers bénéficiant de la protection la plus étendue.
    • Cette situation s’enracine dans le déséquilibre informationnel caractérisant la relation entre le professionnel de l’assurance et le consommateur.
    • L’arrêt fondateur de la première chambre civile du 10 novembre 1964 impose au courtier d’être « un guide sûr et expérimenté », formule qui a irrigué l’ensemble de la jurisprudence ultérieure (Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, n°62-13.411).
    • Cette exigence traduit la mission éducatrice dévolue aux professionnels de l’assurance vis-à-vis de leur clientèle non avertie.
  • Les consommateurs avertis
    • La pratique judiciaire a fait émerger une catégorie intermédiaire de consommateurs avertis, qui, sans être des professionnels de l’assurance, disposent d’une expérience ou de compétences particulières justifiant un allègement du devoir de conseil.
    • Un arrêt de la deuxième chambre civile du 22 janvier 2004 qualifie ainsi un souscripteur de contrat d’assurance-vie chef d’entreprise, par ailleurs gestionnaire avisé d’un compte d’épargne en actions (PEA) ayant choisi dans un but spéculatif d’investir ses actifs sur des unités de compte (Cass. 2e civ., 22 janv. 2004).
    • L’évaluation du caractère averti du consommateur s’effectue de manière casuistique.
    • La jurisprudence examine les circonstances concrètes révélatrices de l’expérience du souscripteur, notamment ses investissements antérieurs et sa familiarité avec les produits financiers.
  • Les professionnels avertis
    • Le devoir de conseil, s’il constitue en principe une obligation de vigilance renforcée à la charge du distributeur, n’est pas exercé avec la même intensité envers tous les souscripteurs.
    • La jurisprudence admet une modulation de son contenu en fonction des compétences professionnelles ou de l’expérience technique du créancier de l’obligation.
    • Cette modulation repose sur l’idée que certains professionnels disposent d’un niveau de connaissance suffisant pour appréhender les enjeux juridiques et économiques d’un contrat d’assurance, de sorte qu’un conseil personnalisé ou insistant serait redondant, voire inutile.
    • Deux arrêts de la deuxième chambre civile illustrent cette approche.
      • Le cas du mandataire judiciaire (Cass. 2e civ., 16 mai 2013, n° 12-19.119)
        • Dans cette affaire, la Cour de cassation rejette le pourvoi d’un professionnel qui reprochait à l’assureur de ne pas l’avoir informé de la brièveté du délai de prescription applicable à son action.
        • La Haute juridiction valide l’appréciation des juges du fond ayant retenu que le demandeur, en sa qualité de mandataire judiciaire, était présumé connaître la règle de droit invoquée.
        • Cette décision marque une ligne claire : lorsque le créancier est un professionnel du droit ou de la procédure, la jurisprudence ne fait pas peser sur l’assureur ou son intermédiaire une obligation d’alerte sur des éléments juridiques accessibles au professionnel concerné, dès lors qu’ils relèvent de sa sphère de compétence habituelle.
      • Le cas du professionnel de l’immobilier (Cass. 2e civ., 22 nov. 2018, n° 17-19.454)
        • Dans cette seconde espèce, un professionnel de l’immobilier, qui avait procédé de lui-même à une renégociation de ses garanties, reprochait à l’assureur de ne pas avoir proposé une couverture sur un bien spécifique ultérieurement sinistré.
        • La Cour de cassation rejette sa demande, en considérant qu’il avait sciemment exclu ledit bien du périmètre d’assurance et qu’en sa qualité de professionnel, il devait être en mesure d’apprécier les conséquences de ses propres choix contractuels.
        • Il en ressort que la responsabilité du professionnel averti est pleinement engagée lorsqu’il prend seul l’initiative de définir le périmètre des garanties, sans solliciter d’éclaircissements ou sans faire état d’une incertitude particulière.
    • Ces deux décisions permettent de dégager une grille d’analyse de l’intensité du devoir de conseil envers les professionnels avertis :
      • L’expérience technique ou juridique du souscripteur justifie une atténuation du devoir de conseil, en particulier lorsqu’il dispose, de par sa profession, d’une connaissance suffisante du domaine considéré.
      • L’autonomie décisionnelle du professionnel est prise en compte : lorsqu’il élabore seul le projet de couverture ou renégocie les garanties sans demande d’assistance, il est tenu pour pleinement informé.
      • La clarté des stipulations contractuelles joue un rôle déterminant : un professionnel ne peut invoquer un manquement au devoir de conseil s’il était à même de comprendre les termes du contrat, à défaut d’ambiguïté ou de complexité manifeste.
    • L’obligation de conseil n’est pas purement évincée à l’égard des professionnels avertis. Elle demeure, mais son contenu s’adapte à la qualité du souscripteur.
    • Ainsi, le distributeur n’est pas dispensé de toute vigilance, mais il n’est tenu de faire porter son conseil que sur les points objectivement ambigus ou manifestement omis, sans devoir alerter sur des évidences juridiques ou des conséquences manifestes pour un professionnel expérimenté.
    • Cette solution assure un équilibre entre protection du client et reconnaissance de sa compétence, en évitant une infantilisation du souscripteur averti tout en préservant l’exigence de rigueur à l’égard du distributeur.

1.3. La formalisation du devoir de conseil

a. L’obligation de motivation du conseil

L’article L. 521-4, I du Code des assurances impose au distributeur de « préciser les raisons qui motivent ce conseil ». Issue de la directive (UE) 2016/97 sur la distribution d’assurances, transposée en droit français par l’ordonnance du 16 mai 2018, cette obligation constitue l’un des apports majeurs du nouveau régime du devoir de conseil.

Cette exigence ne saurait être réduite à une simple formalité. Elle traduit une évolution fondamentale du rôle du distributeur, appelé non seulement à recommander un contrat adapté aux besoins exprimés, mais à justifier de manière argumentée les raisons qui fondent cette recommandation. Comme le souligne la doctrine, il ne s’agit pas d’ordonner un choix au souscripteur, mais de lui fournir les éléments lui permettant de prendre une décision en toute connaissance de cause.

L’article L. 521-4, III ajoute que ces raisons doivent être « adaptées à la complexité du contrat d’assurance proposé ». Le législateur opère ainsi une modulation bienvenue de l’intensité de l’obligation de motivation, tenant compte de la nature et de la technicité des produits concernés. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), dans sa note de juillet 2018 sur les « Principes du conseil en assurance », propose à cet égard une typologie en trois niveaux :

  • Niveau 1 (obligatoire pour toute distribution) : la motivation peut être synthétique et standardisée, à condition de permettre au client de vérifier de façon effective la cohérence du contrat proposé avec ses exigences et ses besoins.
  • Niveaux 2 et 3 (services de recommandation personnalisée) : la motivation doit être spécifiquement individualisée, justifiant le choix d’un produit plutôt qu’un autre sur la base d’une analyse comparative.

La motivation du conseil revêt une dimension probatoire essentielle. Depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 25 février 1997, il appartient au distributeur de prouver l’exécution de son obligation de conseil (Cass. 1re civ., 25 févr. 1997, n°94-19.685). La motivation écrite constitue ainsi un élément de preuve déterminant.

Les précisions relatives à la rationalité du choix conseillé permettent de vérifier la qualité du conseil ou de la recommandation à partir des considérations et des circonstances dont l’intermédiaire a tenu compte pour arrêter sa position.

La motivation peut être intégrée dans plusieurs documents remis au souscripteur, parmi lesquels :

  • les fiches de conseil ou documents de recommandation,
  • les annexes de diagnostic des besoins,
  • les comptes-rendus d’entretien,
  • ou encore, en cas de recommandation personnalisée, les analyses comparatives réalisées sur le marché.

La motivation du conseil s’articule enfin avec le document d’information normalisé sur le produit d’assurance (IPID), exigé par l’article L. 112-2, al. 4 du Code des assurances. Ce document, élaboré par le concepteur du produit, présente de manière synthétique les caractéristiques essentielles du contrat. Le conseil personnalisé du distributeur doit s’appuyer sur ces données, les interpréter à la lumière des besoins du client, et compléter les informations standardisées par une justification adaptée à la situation particulière du souscripteur.

b. Le support du conseil

L’article L. 521-6 du Code des assurances érige le support écrit, et en particulier le papier, en mode de communication par défaut pour les informations fournies par le distributeur. Ce choix du législateur répond à une double finalité : garantir la réflexion préalable du souscripteur et constituer une preuve de l’exécution du devoir de conseil.

L’écrit exigé n’est pas seulement l’instrument de preuve de l’exécution du devoir d’information et de conseil, mais a pour première utilité de permettre au souscripteur éventuel une prise de connaissance détaillée des précisions sur le produit conseillé dans des conditions qui favorisent la réflexion préalable à la prise de décision.

L’article L. 521-6 admet toutefois que la communication puisse se faire sur un support durable autre que le papier, à condition de respecter deux exigences cumulatives :

  • Le support doit être « approprié aux opérations commerciales entre le distributeur et le souscripteur et adhérent »
  • Le client doit avoir « choisi ce mode de communication après s’être vu proposer par le distributeur les deux modalités »

Le Code de la consommation définit le support durable comme « tout instrument permettant au consommateur de stocker des informations qui lui sont adressées personnellement afin de pouvoir s’y reporter ultérieurement pendant un laps de temps adapté aux fins auxquelles les informations sont destinées et qui permet la reproduction à l’identique des informations stockées » (art. L. 22-4 C. conso). Il peut s’agir, par exemple, d’un fichier PDF sécurisé conservé sur un espace personnel.

L’article R. 521-2, I du Code des assurances impose que les informations soient «communiquées au souscripteur ou à l’adhérent de manière claire, exacte et non trompeuse». Cette triple exigence reprend les standards européens et s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence relative aux obligations d’information.

La Cour de cassation a eu l’occasion de sanctionner les manquements à ces exigences. Ainsi, dans un arrêt du 6 novembre 1984, elle a retenu la responsabilité d’un intermédiaire qui avait informé l’exploitant d’un restaurant que tous les risques d’exploitation étaient couverts, alors que le risque de vol des objets déposés au vestiaire ne l’était pas (Cass. 1re civ., 6 nov. 1984).

Enfin, l’article L. 111-11 du Code des assurances impose la conservation des documents précontractuels et contractuels pendant une durée « adaptée à leur finalité », au minimum cinq ans après la fin de la relation contractuelle. Cette obligation vise à garantir la disponibilité de la preuve sur le long terme, notamment en cas de contentieux tardif.

L’absence ou l’insuffisance de formalisation du conseil peut conduire à engager la responsabilité du distributeur. La jurisprudence est constante pour considérer que le défaut de preuve de l’exécution du conseil équivaut à un manquement à cette obligation (Cass. 1re civ., 13 déc. 2012, n° 11-27.766).

1.4. La sanction du devoir de conseil

a. Sanctions civiles

==>Nature de la responsabilité

Le manquement au devoir de conseil engage la responsabilité contractuelle de l’intermédiaire ou de l’assureur distributeur. Cette responsabilité trouve son fondement dans l’article 1231-1 du Code civil (ancien article 1147), qui dispose que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution ».

La Cour de cassation a précisé que lorsque le préposé d’une société d’assurance commet une faute dans la phase précontractuelle, la responsabilité de celle-ci ne peut être engagée sur le terrain délictuel, car une faute commise dans la phase précontractuelle n’est pas extérieure au contrat (Cass. 1re civ., 9 juill. 1996, n° 94-18.696).

==>Charge de la preuve

Comme indiqué plus avant, l’arrêt de principe de la Cour de cassation du 25 février 1997 a opéré un renversement fondamental de la charge de la preuve. Désormais, c’est à « celui qui est légalement ou contractuellement tenu de fournir une information de rapporter la preuve qu’il a exécuté cette obligation » (Cass. 1re civ., 25 févr. 1997, n°94-19.685).

Cette jurisprudence, confirmée par de nombreuses décisions ultérieures (Cass. 1re civ., 3 févr. 1998, n° 96-13.201), place le distributeur dans une position particulièrement délicate puisqu’il doit constituer par anticipation la preuve de l’exécution de son obligation.

La preuve de l’exécution du devoir de conseil peut être rapportée par tous moyens (C. civ., art. 1358). En pratique, elle résulte principalement :

  • De la production de documents écrits signés par le client
  • De la démonstration de la clarté des mentions des documents communiqués
  • De l’établissement de la parfaite information du souscripteur sur les caractéristiques du contrat

A cet égard, la jurisprudence considère que la simple remise des conditions générales ne suffit pas toujours à établir l’exécution du devoir de conseil, notamment lorsque les clauses sont complexes ou comportent des exclusions importantes (Cass. 1re civ., 19 janv. 1994).

==>Préjudice indemnisable

Le préjudice le plus fréquemment invoqué résulte du défaut de couverture consécutif au conseil inadéquat. Il peut s’agir :

  • De l’absence de garantie pour un risque spécifique qui aurait dû être couvert
  • D’une couverture insuffisante par rapport aux besoins réels du souscripteur
  • De la souscription d’un contrat inadapté générant des exclusions préjudiciables

Ainsi, la Cour de cassation a retenu la responsabilité d’un agent général qui avait fait souscrire une assurance ne prévoyant pas les risques afférents au transport des passagers, alors qu’il lui avait été expressément demandé cette garantie (Cass. 1re civ., 10 févr. 1987).

La notion de « défaut de conseil utile » recouvre les situations où l’intermédiaire a omis de délivrer un conseil qui aurait permis au souscripteur d’éviter un préjudice. La jurisprudence a ainsi sanctionné :

L’évaluation du préjudice soulève des difficultés particulières, notamment lorsqu’il s’agit d’établir le lien de causalité entre le manquement et le dommage. La Cour de cassation exige que le préjudice soit « en relation directe » avec la faute commise (Cass. 1re civ., 6 mai 1981).

En matière d’assurance-vie, la jurisprudence reconnaît la réparation de la «perte de chance» résultant d’un conseil inadéquat, notamment lorsque le souscripteur démontre qu’il aurait fait des choix différents s’il avait été correctement conseillé (CA Angers, 6 nov. 2007, n° 06/01539).

b. Sanctions administratives et disciplinaires

i. Le contrôle de l’ACPR

L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) dispose de pouvoirs étendus de contrôle et de sanction en matière de distribution d’assurance. Ces pouvoirs trouvent leur fondement dans les articles L. 612-39 et suivants du Code monétaire et financier.

L’article L. 612-39 confère à l’ACPR le pouvoir de « contrôler le respect par les personnes soumises à son contrôle des dispositions qui leur sont applicables ». Ce contrôle s’étend naturellement aux obligations relatives au devoir de conseil.

L’ACPR peut sanctionner différents types de manquements relatifs au devoir de conseil :

  • Les manquements formels :
    • Absence de formalisation écrite du conseil
    • Défaut de conservation des documents probatoires
    • Non-respect des modalités de remise des informations précontractuelles
  • Les manquements substantiels :
    • Conseil inadapté aux besoins du client
      • Défaut d’analyse des exigences et besoins du souscripteur
      • Recommandation de produits complexes sans vérification de l’aptitude du client

L’article L. 612-39 du Code monétaire et financier prévoit une gradation des sanctions administratives :

  • L’avertissement
  • Le blâme
  • L’interdiction d’exercer certaines opérations
  • Le retrait d’agrément ou de l’immatriculation
  • Les sanctions pécuniaires

Les sanctions pécuniaires peuvent atteindre des montants substantiels. L’article L. 612-39, III fixe le plafond à 100 millions d’euros ou 10 % du chiffre d’affaires annuel pour les personnes morales.

ii. L’encadrement des pratiques commerciales déloyales

L’ACPR veille également au respect des règles relatives aux pratiques commerciales déloyales dans le secteur de l’assurance. Cette mission s’appuie sur :

  • Les dispositions du Code des assurances relatives aux règles de conduite (articles L. 521-1 et suivants)
  • Les règles du Code de la consommation relatives aux pratiques commerciales déloyales
  • Les orientations et recommandations émises par l’ACPR

L’ACPR a développé une jurisprudence fournie en matière de sanctions des pratiques commerciales non conformes. Elle sanctionne notamment :

  • Les défaillances dans l’information précontractuelle
  • Les manquements aux obligations de conseil en assurance-vie
  • Les pratiques de vente agressives ou inadaptées

L’ACPR coordonne son action avec d’autres autorités :

  • L’Autorité des marchés financiers (AMF) pour les produits d’investissement fondés sur l’assurance
  • La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pour les pratiques commerciales déloyales
  • Les juridictions pénales pour les infractions les plus graves

Cette coordination permet une approche cohérente de la répression des manquements au devoir de conseil, garantissant une protection efficace des consommateurs d’assurance.

2. Le devoir de conseil au stade de la souscription du contrat d’assurance

Au-delà du conseil portant sur le choix du produit d’assurance, l’intermédiaire conserve un rôle d’accompagnement déterminant lors de la phase de souscription proprement dite. Cette étape, qui marque la transition entre la simple proposition et la conclusion effective du contrat, revêt une importance particulière car elle conditionne l’efficacité future de la garantie. Comme l’observe justement la Cour de cassation, « une obligation générale de vérification pèse sur l’agent général d’assurances au titre des devoirs de sa profession », obligation qui va se décliner aux différentes phases du processus de formation du contrat (Cass. 1re civ., 10 mai 2000, n° 98-10.033).

Le devoir de conseil au stade de la souscription se distingue donc du conseil préalable par son caractère opérationnel et technique. Il ne s’agit plus seulement d’orienter le souscripteur vers le produit adapté à ses besoins, mais de l’assister concrètement dans la mise en œuvre de cette décision. Cette assistance revêt trois dimensions essentielles : l’accompagnement dans la déclaration du risque, la vérification de l’adéquation des garanties retenues, et l’encadrement des formalités de conclusion.

a. L’assistance dans la déclaration du risque

i. Le contenu de l’obligation de déclaration du risque

La déclaration du risque s’impose comme l’un des fondements structurants du contrat d’assurance, dans la mesure où elle conditionne directement la formation, la validité et l’exécution équilibrée de la convention. L’article L. 113-2 du Code des assurances, profondément modifié par la loi du 31 décembre 1989, a substitué au système de déclaration spontanée un mécanisme de questions-réponses qui place l’assureur en position d’initiative. Cette évolution législative a paradoxalement renforcé le rôle de l’intermédiaire, devenu l’interface naturelle entre l’assureur qui interroge et l’assuré qui répond.

L’intermédiaire se trouve ainsi investi d’une mission d’assistance technique qui dépasse la simple transmission d’informations. Cette évolution s’inscrit dans un mouvement plus large de revalorisation du rôle de conseil des professionnels de l’assurance dans l’accompagnement de leurs clients.

ii. L’étendue de l’obligation d’assistance déclarative

L’assistance de l’intermédiaire dans la déclaration du risque obéit à un équilibre délicat entre diligence professionnelle et respect de l’autonomie du souscripteur. La jurisprudence a progressivement délimité les contours de cette obligation.

D’une part, l’intermédiaire doit transmettre fidèlement les informations dont il a connaissance. La Cour de cassation a ainsi sanctionné l’agent général qui avait omis volontairement de signaler, dans la proposition d’assurance qu’il avait fait signer au propriétaire d’une voiture, un accident dont celui-ci avait été antérieurement l’auteur[49]. Cette obligation de transmission s’étend aux circonstances portées à la connaissance de l’intermédiaire par des voies autres que les déclarations directes du souscripteur.

D’autre part, la Cour de cassation rappelle de manière constante que l’intermédiaire d’assurance n’est pas tenu de contrôler la véracité des déclarations effectuées par le preneur d’assurance concernant le risque à garantir (Cass. 1re civ., 14 nov. 2001). Cette position se justifie par la préservation de l’équilibre contractuel et le respect du principe selon lequel l’intermédiaire ne saurait se substituer intégralement au souscripteur dans l’exécution de ses obligations.

iii. Les limites de l’obligation d’investigation

L’obligation d’assistance de l’intermédiaire connaît une limite essentielle : elle ne saurait se muer en devoir d’enquête. S’il lui incombe de formuler des questions précises et pertinentes, propres à permettre une évaluation adéquate des besoins de couverture, il n’est pas tenu de rechercher activement des informations que le souscripteur ne lui aurait pas spontanément communiquées – que cette réticence soit volontaire ou involontaire.

Cette limitation s’inscrit dans le respect du dispositif instauré par l’article L. 113-2 du Code des assurances, qui repose sur une répartition claire des responsabilités : il revient à l’assuré de répondre de bonne foi aux questions posées, sans que l’intermédiaire ait à contrôler la sincérité ou l’exhaustivité des réponses.

Cela étant, dès lors que certaines données en sa possession font apparaître une discordance manifeste – incohérence entre les éléments déclarés et les pièces fournies, lacunes évidentes dans les réponses – l’intermédiaire demeure tenu d’exercer sa vigilance professionnelle. Il lui appartient alors, au titre de son devoir de conseil, de solliciter les précisions nécessaires ou de signaler les risques d’inexactitude, afin d’éviter toute fausse représentation du risque à l’assureur.

b. La vérification de l’adéquation des garanties

i. Le contrôle de cohérence entre besoins et garanties

Au stade de la souscription, l’intermédiaire doit s’assurer que le contrat finalement retenu corresponde effectivement aux besoins exprimés et aux caractéristiques du risque à couvrir. Cette vérification constitue le prolongement naturel du conseil initial et répond à l’exigence légale selon laquelle le distributeur conseille « un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel » (C. assur., art. L. 521-4, I, al. 2.).

La jurisprudence rappelle que l’intermédiaire doit s’assurer de la cohérence entre les garanties souscrites et la situation réelle du preneur d’assurance. Cette exigence trouve une parfaite illustration dans un arrêt de la Cour de cassation du 10 mai 2000, où des époux locataires d’un immeuble à usage professionnel et d’habitation avaient souscrit, par l’intermédiaire d’agents généraux d’assurance, une police “global habitation à options” qui excluait de la garantie “incendie” les bâtiments et les risques locatifs (Cass. 1re civ., 10 mai 2000, n° 98-10.033).

Les deux polices successivement souscrites désignaient par erreur les preneurs comme “propriétaires occupants“, alors qu’ils étaient en réalité locataires. Lorsqu’un incendie prit naissance dans la partie habitation de l’immeuble, les époux se trouvèrent dépourvus de couverture pour les risques locatifs et recherchèrent subsidiairement la responsabilité des agents généraux pour leur avoir fait souscrire une garantie inadaptée à leurs besoins d’assurance.

La Cour de cassation a censuré la décision d’appel qui avait débouté les preneurs de leur action en responsabilité. Elle rappelle qu’« une obligation générale de vérification pèse sur l’agent général d’assurances au titre des devoirs de sa profession » et que, « s’il n’est pas tenu de vérifier l’exactitude des déclarations du souscripteur quant à l’étendue du risque, l’agent général répond néanmoins des conséquences de ses propres erreurs ».

En l’espèce, la Première chambre civile reproche aux juges du fond d’avoir retenu que le fait d’avoir fait souscrire à des locataires une police d’assurance en qualité de propriétaire excluant les risques locatifs n’était pas constitutif d’une faute, « sans constater que l’indication erronée sur la qualité des souscripteurs était le fait de ces derniers ». Cette solution illustre parfaitement l’obligation pour l’intermédiaire de vérifier l’adéquation entre la qualité réelle du souscripteur et les garanties proposées, faute de quoi sa responsabilité peut être engagée pour manquement à son devoir de conseil.

ii. L’attention portée aux exclusions et limitations

L’assistance lors de la souscription implique une vigilance particulière concernant les exclusions et limitations de garantie. L’intermédiaire doit vérifier que ces dispositions, souvent techniques et complexes, ne viennent pas priver le souscripteur de la protection qu’il recherche. La jurisprudence sanctionne régulièrement les manquements à cette obligation d’attention. Deux arrêts emblématiques permettent de saisir la portée de cette exigence.

La Cour de cassation a ainsi retenu la responsabilité d’un courtier qui n’avait « fait aucune allusion à une clause d’exclusion en informant [ses clients] des garanties qu’il venait d’obtenir pour eux », alors que « la clause litigieuse n’était guère explicite, pouvait être interprétée comme une simple limitation de garantie » (Cass. 1re civ., 27 nov. 1990, n°88-18.580).

En l’espèce, des bijoutiers avaient souscrit une police « tous risques bijouterie ». Le contrat excluait toute garantie lorsque la valeur des objets laissés hors coffre pendant les heures de fermeture excédait 750 000 francs. Lors d’un vol de bijoux d’une valeur de 877 494 francs, l’assureur refusa l’indemnisation en invoquant cette clause. Le tribunal de commerce avait condamné l’assureur à payer 750 000 francs, analysant la clause comme une limitation de garantie. Mais la cour d’appel infirma, considérant qu’il s’agissait d’une exclusion de garantie.

La Cour de cassation retient que l’ambiguïté de la clause créait pour le courtier une obligation renforcée d’explication. L’arrêt précise que le préjudice causé aux assurés «consistait dans la privation de la garantie que ceux-ci croyaient acquise ». Cette solution révèle que l’intermédiaire ne peut se contenter de transmettre le contrat : il doit identifier les dispositions ambiguës et en expliciter clairement la portée.

De même, dans un arrêt du 14 juin 2012 la Cour de cassation a censuré une cour d’appel qui considérait que la simple lecture des conditions contractuelles permettait aux assurés de connaître les conditions précises du contrat (Cass. 2e civ., 14 juin 2012, n°11-13.548). Elle retient au contraire qu’il incombait au préposé de l’assureur, « tenu à une obligation d’information et de conseil, d’attirer l’attention des assurés sur l’intérêt de souscrire une garantie complémentaire pour les meubles et objets devant garnir l’habitation », dès lors que « ce contrat, dont les clauses litigieuses sont disséminées dans les conditions générales et particulières, n’est ni clair ni précis sur l’étendue de la garantie ».

Dans cette affaire, des souscripteurs néerlandais avaient souscrit une assurance habitation pour une maison qu’ils venaient d’acquérir et où ils ont emménagé quelques mois plus tard. Après un incendie, l’assureur accepta de garantir la reconstruction mais refusa d’indemniser le mobilier, non couvert par le contrat. La cour d’appel avait débouté les assurés, estimant qu’il leur appartenait de modifier leur contrat après installation de leur mobilier et que la simple lecture des conditions leur permettait de connaître l’étendue de leur garantie.

La Cour de cassation casse cette décision. Elle souligne que la dispersion des clauses dans différentes parties du contrat et leur manque de clarté renforcent l’obligation d’intervention active de l’intermédiaire. Celui-ci doit anticiper l’évolution des besoins de l’assuré et l’alerter sur l’intérêt de souscrire des garanties complémentaires.

Il ressort de cette jurisprudence que l’obligation d’attention aux exclusions et limitations impose une démarche active de l’intermédiaire. Il ne suffit pas de remettre les conditions contractuelles, même claires. L’intermédiaire doit analyser le contrat, identifier les dispositions susceptibles de créer un décalage entre les attentes de l’assuré et la réalité de sa couverture, et l’en informer expressément.

Cette obligation revêt même une dimension prospective : l’intermédiaire doit anticiper l’évolution des besoins d’assurance liés à la situation particulière de l’assuré et l’alerter sur les lacunes de couverture qui pourraient apparaître.

L’exigence jurisprudentielle conduit ainsi à une conception particulièrement stricte du devoir de conseil : l’intermédiaire doit non seulement s’assurer que l’assuré comprend son contrat, mais également veiller à ce qu’aucun malentendu ne subsiste sur l’étendue effective de sa protection, notamment concernant les exclusions et limitations de garantie.

iii. La continuité de la couverture

L’intermédiaire doit également veiller à la continuité de la couverture d’assurance, particulièrement lors du remplacement d’un contrat existant. La jurisprudence impose de vérifier la continuité de la couverture des risques avant de procéder à la résiliation d’un contrat et à la souscription d’un nouveau (Cass. 1re civ., 18 déc. 1987).

Cette exigence de continuité s’accompagne d’un devoir de conseil sur les modifications de garanties lors du remplacement d’un contrat. L’obligation pour l’intermédiaire d’attirer l’attention du preneur sur les réductions de garantie trouve une illustration remarquable dans l’arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2006 (Cass. 2e civ., 8 mars 2006, n° 05-11.319).

En l’espèce, une assurée avait souscrit auprès d’une compagnie d’assurance un contrat multirisques comportant une garantie vol de bijoux. Son agent général lui fit souscrire une nouvelle police en remplacement de ce contrat. Lorsqu’elle fut victime d’un cambriolage au cours duquel lui furent dérobés des bijoux, l’assureur refusa de l’indemniser, « la nouvelle police ne couvrant pas le vol de bijoux ». L’assurée assigna alors la compagnie ainsi que l’agent général en responsabilité et indemnisation, « en invoquant notamment un manquement de l’agent général à son devoir de conseil et d’information ».

La cour d’appel avait considéré que l’agent général n’avait pas manqué à ses obligations, énonçant que « caractérise en droit l’accomplissement de l’obligation d’information par l’agent d’assurance le fait de signer et de recevoir un exemplaire du contrat par l’assuré » et relevant qu’il était « constant que [l’assurée] a signé un contrat dénué de toute ambiguïté » et que « les clauses relatives à l’assurance vol pour les bijoux et objets précieux sont claires et compréhensibles ».

La Cour de cassation censure cette approche restrictive du devoir de conseil. Elle reproche aux juges du fond d’avoir statué « alors qu’elle constatait que la nouvelle police souscrite par [l’assurée] remplaçait celle qu’elle avait précédemment conclue avec le même assureur, mais qu’elle ne comportait pas la garantie vol de bijoux acquise dans la précédente, et sans rechercher si [l’agent général] avait attiré l’attention de l’assurée sur cette réduction de garantie ».

Cette décision établit clairement que le devoir de conseil de l’intermédiaire ne se limite pas à la remise du contrat, même lorsque ses clauses sont parfaitement claires. Il implique une obligation active d’alerter le souscripteur sur les modifications substantielles de garanties, particulièrement lorsque le nouveau contrat offre une protection moindre que le précédent, même si cette modification résulte d’une démarche apparemment volontaire du client.

c. L’assistance à la conclusion effective du contrat

La phase de souscription ne s’achève pas avec la délivrance du conseil et la signature de la proposition d’assurance. L’intermédiaire demeure tenu d’accompagner le processus de formation du contrat jusqu’à sa conclusion effective, en s’assurant que toutes les conditions nécessaires à la prise d’effet des garanties sont réunies.

i. La transmission et le suivi de la proposition

L’intermédiaire qui reçoit une proposition d’assurance doit la transmettre à l’entreprise d’assurance dans les plus brefs délais et vérifier que l’assureur a effectivement accepté la proposition. Cette obligation trouve son fondement dans la définition légale de l’activité de distribution d’assurance, qui consiste notamment à « présenter, proposer ou aider à conclure des contrats d’assurance » au sens de l’article L. 511-1 du Code des assurances.

La jurisprudence sanctionne avec rigueur les manquements à cette obligation. Dans un arrêt du 9 décembre 2004, la Cour de cassation a ainsi retenu la responsabilité de courtiers qui, «saisis d’une demande de garantie dans les termes de la proposition qu’ils avaient transmise, ont accepté le paiement de la prime correspondante en affirmant de concert que le navire était assuré, y compris pour son annexe alors qu’aucun contrat n’était intervenu avec l’assureur » (Cass. 1re civ., 9 déc. 2004, n° 99-21.391).

En l’espèce, un acquéreur de voilier avait sollicité un premier courtier, lequel s’était adressé à un second courtier qui avait obtenu une proposition du Bureau de souscription d’assurances. Après acquisition du navire et remise du chèque correspondant au montant de la proposition, les courtiers avaient confirmé « la validité de l’assurance du navire y compris son annexe ». Lorsque le navire fut endommagé par un cyclone, l’assureur refusa la prise en charge au motif qu’« aucune garantie d’assurances n’avait été conclue ». La Cour de cassation retient que les courtiers « ont induit [l’acquéreur] en erreur, l’empêchant de souscrire une garantie valable ».

Cette décision illustre que l’acceptation du paiement de la prime et l’affirmation de l’effectivité de la couverture créent une apparence trompeuse dont les intermédiaires doivent répondre lorsqu’aucun contrat n’a été effectivement conclu avec l’assureur.

L’obligation de transmission de la proposition de d’assuarnce s’accompagne d’un devoir de suivi qui impose à l’intermédiaire de s’assurer de l’aboutissement positif de la démarche. Il doit notamment vérifier que l’assureur a donné une suite favorable à la proposition et, dans le cas contraire, en informer rapidement le client. La Cour de cassation a ainsi jugé qu’un intermédiaire manque à ses obligations s’il omet d’informer sans délai l’assuré de ce que sa proposition d’assurance n’a pas été acceptée par l’assureur (Cass. 1re civ., 3 mars 1987).

En cas de refus de l’assureur, l’intermédiaire doit non seulement informer le client de ce refus, mais également l’assister dans la recherche d’une solution alternative. Cette exigence découle du fait que l’intermédiaire, professionnel de l’assurance, dispose des compétences et des relations nécessaires pour orienter son client vers d’autres assureurs susceptibles d’accepter le risque.

ii. La vérification des conditions de prise d’effet des garanties

L’assistance lors de la souscription comprend la vérification de l’accomplissement de toutes les formalités nécessaires à la prise d’effet des garanties. Cette vérification porte notamment sur la signature de la police par le souscripteur et, le cas échéant, sur le paiement de la première prime lorsque la prise d’effet des garanties est subordonnée à ce paiement.

L’intermédiaire d’assurance engage ainsi sa responsabilité s’il délivre une attestation d’assurance sans s’être préalablement assuré de l’effectivité de la couverture. Il ne peut ainsi faire naître dans l’esprit du souscripteur une apparence de garantie non encore acquise.

A cet égard, dans un arrêt du 7 juin 1979, la Cour de cassation a jugé fautif le comportement d’un agent général qui avait remis à un client une attestation mentionnant un numéro de note de couverture ainsi qu’une période de validité, alors qu’aucune note de couverture n’avait été établie à ce stade, et que l’assureur n’avait pas été avisé (Cass. 1re civ., 7 juin 1979).

La Haute juridiction a considéré qu’en délivrant un tel document, l’intermédiaire avait induit le souscripteur en erreur sur l’existence d’une couverture immédiate, faisant ainsi naître un préjudice du fait de la confiance légitime accordée à l’attestation.

De même, un intermédiaire manque à ses obligations s’il laisse subsister une incertitude sur l’effectivité de la couverture. La première chambre civile a ainsi sanctionné un courtier qui avait informé son client de ce qu’il était régulièrement assuré pour le risque envisagé, alors que la police n’avait pas encore été signée et ne couvrait qu’une partie des risques (Cass. 1re civ., 13 oct. 1987, n°86-13.736).

Au bilan, l’obligation de vérification s’étend aux conditions techniques de mise en œuvre des garanties. L’intermédiaire doit s’assurer que le souscripteur respecte les obligations qui conditionnent l’effectivité de sa couverture. À titre d’exemple, si la garantie est subordonnée à des conditions techniques de protection du risque, il doit vérifier que ces conditions sont effectivement réunies.

iii. L’information sur les modalités d’exécution

Au moment de la souscription, l’intermédiaire doit informer le souscripteur des modalités pratiques d’exécution du contrat, notamment en ce qui concerne le paiement des primes et la déclaration des sinistres. Cette information, distincte du conseil sur le choix du produit, vise à assurer une exécution efficace du contrat.

==>L’information sur le paiement des primes

L’intermédiaire doit d’abord renseigner le souscripteur sur les échéances et modalités de paiement des primes. Cette information revêt une importance particulière car le défaut de paiement peut entraîner la suspension ou la résiliation du contrat, privant l’assuré de sa couverture au moment où il en a le plus besoin.

L’obligation d’information porte notamment sur les conséquences du non-paiement dans les délais contractuels. L’intermédiaire doit expliquer clairement que le défaut de paiement d’une prime peut conduire à la mise en demeure de l’assuré et, à défaut de régularisation, à la résiliation du contrat. Cette information préventive permet au souscripteur d’organiser ses paiements en conséquence et d’éviter une rupture de garantie.

Lorsque la prise d’effet du contrat est subordonnée au paiement de la première prime ou d’un acompte, l’intermédiaire doit alerter expressément le client sur cette condition suspensive. L’assuré doit comprendre qu’aucune garantie ne prendra effet tant que ce paiement n’aura pas été effectué, même si la police a été signée.

==>L’information sur les procédures de déclaration des sinistres

L’intermédiaire doit également informer le souscripteur des modalités de déclaration des sinistres. Cette information technique est essentielle car le non-respect des procédures contractuelles peut entraîner des déchéances de garantie préjudiciables à l’assuré.

L’information porte d’abord sur les délais de déclaration. L’intermédiaire doit expliquer que la déclaration doit intervenir dans un délai déterminé à compter de la survenance du sinistre ou du moment où l’assuré en a eu connaissance. Il doit également préciser les conséquences d’une déclaration tardive, qui peut conduire à une réduction de l’indemnité si l’assureur établit qu’il a subi un préjudice du fait de ce retard.

L’information concerne ensuite les formalités à accomplir. L’intermédiaire doit indiquer les documents à fournir, les justificatifs à rassembler et les démarches à effectuer auprès de l’assureur. Cette information pratique permet d’accélérer le traitement du dossier et d’éviter les demandes de pièces complémentaires qui retardent l’indemnisation.

Enfin, l’intermédiaire doit expliquer les obligations de l’assuré en cas de sinistre, notamment son devoir de collaboration avec l’assureur et l’obligation de prendre toutes mesures conservatoires pour limiter l’aggravation des dommages.

==>L’information sur les obligations déclaratives en cours de contrat

L’intermédiaire doit informer le souscripteur des obligations déclaratives qui pèsent sur lui pendant toute la durée du contrat. Cette information porte principalement sur l’obligation de déclaration des aggravations de risques, fondamentale pour préserver l’équilibre du contrat d’assurance.

L’assuré doit comprendre qu’il a l’obligation de déclarer à son assureur toute circonstance nouvelle de nature à aggraver les risques ou à en créer de nouveaux. L’intermédiaire doit expliquer que cette obligation s’impose même lorsque l’aggravation résulte de circonstances indépendantes de la volonté de l’assuré.

L’information doit également porter sur les conséquences du défaut de déclaration d’une aggravation de risques. Selon la gravité du manquement et son caractère intentionnel ou non, l’assureur peut soit résilier le contrat, soit maintenir la garantie moyennant une augmentation de prime, soit réduire l’indemnité en cas de sinistre.

Cette information préventive permet d’assurer la sincérité des déclarations et de maintenir la confiance mutuelle nécessaire au bon fonctionnement du contrat d’assurance. Elle contribue également à préserver l’équilibre technique du contrat en permettant à l’assureur d’adapter sa tarification à l’évolution réelle du risque.

B) Le devoir de conseil au stade de l’exécution du contrat

Le devoir de conseil ne s’épuise pas à la formation du contrat. S’il trouve son ancrage dans la phase précontractuelle, ce devoir connaît aujourd’hui une prolongation postérieure, que la jurisprudence a progressivement façonnée, puis que le législateur est venu consacrer en certaines matières. Cette extension répond à la spécificité du contrat d’assurance, qui s’inscrit, par nature, dans la durée.

Il ne s’agit pas d’une simple transposition mécanique des obligations précontractuelles à la phase d’exécution. Le devoir de conseil post-contractuel repose sur une approche renouvelée de la relation d’assurance : il ne suffit pas que le contrat soit initialement adapté aux besoins de l’assuré, encore faut-il qu’il le demeure tout au long de son exécution. Car l’assurance est un contrat vivant, destiné à accompagner un assuré dont les risques, les besoins, et les circonstances personnelles ou professionnelles évoluent.

Dans cette perspective, la jurisprudence a reconnu que le distributeur d’assurance demeure tenu, au-delà de la souscription, d’un devoir de vigilance active. Cette obligation consiste à s’assurer que la couverture reste pertinente, et à alerter l’assuré lorsqu’un ajustement apparaît nécessaire. La Cour de cassation a clairement affirmé que « le devoir d’information et de conseil de l’agent d’assurance ne s’achève pas lors de la souscription du contrat » (Cass. civ. 2e, 5 juillet 2006, n°04-10.273). Par cette formule désormais classique, la Haute juridiction consacre la dimension continue du devoir de conseil, indissociable de l’effectivité de la protection assurantielle.

Le législateur lui-même a récemment endossé cette vision évolutive. La loi du 23 octobre 2023, relative à l’industrie verte, a introduit en matière d’assurance-vie un véritable « devoir de conseil dans la durée ». Cette disposition, qui impose aux distributeurs de réévaluer périodiquement l’adéquation du contrat, traduit la maturation d’un mouvement amorcé par la jurisprudence. Elle laisse entrevoir une possible extension à d’autres branches du droit des assurances.

Ainsi consolidé, le devoir de conseil post-contractuel appelle une mise en œuvre concrète selon trois axes principaux :

  • L’adaptation du contrat aux évolutions du risque et des besoins de l’assuré ;
  • L’assistance dans la gestion quotidienne du contrat ;
  • La vigilance en cas de modification substantielle du contrat (avenants, changements de situation, ou dénonciation d’une garantie).

1. L’adaptation du contrat aux évolutions du risque et des besoins

a. L’adaptation des garanties tout au long de la vie du contrat

Le contrat d’assurance s’inscrit naturellement dans la durée et doit, par conséquent, s’adapter aux évolutions des circonstances qui l’entourent. Cette exigence d’adaptation continue trouve son fondement dans la finalité même de l’assurance : garantir l’assuré contre les aléas futurs en tenant compte de l’évolution de sa situation.

La Cour de cassation a consacré ce principe d’adaptation en précisant que l’intermédiaire d’assurance ne peut se contenter d’un conseil ponctuel au moment de la souscription. Il doit, tout au long de la relation contractuelle, veiller à ce que la couverture demeure adéquate aux besoins de l’assuré. Cette obligation trouve une application particulièrement remarquable dans l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 5 juillet 2006, dans l’affaire dite « L’agent général et la vieille dame » (Cass. 2e civ., 5 juill. 2006, n° 04-10.273).

En l’espèce, une assurée, ayant souscrit par l’intermédiaire d’un agent général une police multirisques habitation comportant une clause d’exclusion en cas d’inhabitation prolongée du bien assuré, avait vu sa garantie refusée à la suite d’un vol survenu pendant son absence prolongée liée à son placement en maison de retraite. Ses ayants droit avaient alors recherché la responsabilité de l’agent, estimant qu’il aurait dû l’alerter sur les conséquences de cette clause au regard de l’évolution de sa situation personnelle.

Pour écarter toute faute, la cour d’appel avait estimé que le devoir de conseil devait s’apprécier uniquement au jour de la souscription du contrat, soit en 1974, et qu’il n’était pas établi que l’intermédiaire avait à cette époque connaissance de l’éventualité d’une inhabitation prolongée.

La Cour de cassation censure cette analyse, en énonçant que « le devoir d’information et de conseil de l’agent d’assurance ne s’achève pas lors de la souscription du contrat ». En retenant la responsabilité de l’intermédiaire, elle affirme ainsi que ce devoir s’apprécie en fonction des évolutions connues de la situation de l’assuré, notamment lorsque ces évolutions ont pour effet de rendre inadaptées les garanties souscrites au regard du risque réellement encouru.

Cet arrêt confère une portée dynamique à l’obligation de conseil, laquelle ne saurait rester figée dans le temps lorsque l’intermédiaire est informé de faits nouveaux susceptibles d’altérer la pertinence du contrat initialement conclu.

b. L’adaptation des garanties aux évolutions du risque

L’intermédiaire d’assurance ne saurait se borner à un rôle d’intermédiaire technique figé dans le temps. Lorsque le risque évolue de manière significative, en particulier quant à son ampleur ou sa nature, il lui appartient, dès lors qu’il en a connaissance, d’alerter l’assuré sur l’inadéquation potentielle des garanties contractuellement souscrites. Ce devoir d’alerte, qui s’inscrit dans le prolongement du devoir général de conseil, implique une démarche active d’adaptation du contrat au regard des nouveaux éléments portés à la connaissance du professionnel.

Cette exigence a été nettement affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 21 décembre 2006 (Cass. 2e civ., 21 déc. 2006, n° 06-13.158). En l’espèce, une clinique privée, assurée pour sa responsabilité civile professionnelle à hauteur de dix millions de francs, avait vu son activité obstétricale croître substantiellement au fil du temps. À la suite d’un sinistre grave survenu lors d’un accouchement, la clinique a été condamnée in solidum avec un praticien. Elle a alors recherché la responsabilité de son assureur pour insuffisance de la couverture, estimant que l’agent général de ce dernier n’avait pas attiré son attention sur la nécessité d’ajuster les plafonds de garantie.

La cour d’appel avait rejeté la demande en estimant que la clinique, en sa qualité de professionnel de santé averti, devait elle-même mesurer l’importance de l’enjeu assurantiel. Or, la Haute juridiction casse l’arrêt, en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché si l’agent général, ayant pourtant été informé de l’augmentation notable de l’activité, avait exécuté son devoir d’alerte quant à l’inadéquation des garanties au regard de l’exposition réelle au risque.

Autrement dit, l’agent général engage sa responsabilité lorsqu’il a connaissance d’une évolution significative du risque et qu’il ne conseille pas l’assuré sur la nécessité d’adapter les garanties en conséquence. Ce que la jurisprudence impose, ce n’est pas une vigilance permanente, mais une réaction appropriée lorsque des éléments concrets révèlent une modification du risque. La connaissance effective de cette évolution constitue ainsi le point de départ d’un devoir de conseil complémentaire. À défaut d’intervention, l’intermédiaire peut être tenu responsable du préjudice subi par l’assuré du fait de garanties restées inadaptées.

Cependant, l’exigence instituée par cette jurisprudence ne signifie pas que l’intermédiaire d’assurance devrait exercer une veille permanente sur la situation de son client. Elle ne s’apparente pas à une obligation de surveillance générale et continue. La Cour de cassation l’a explicitement affirmé dans un arrêt du 8 décembre 2016 (Cass. 2e civ., 8 déc. 2016, n° 15-25.128).

Dans cette affaire, une société exploitant un fonds de commerce avait vu la valeur de ce dernier passer de 35 000 euros à 140 000 euros à la suite d’une acquisition. L’agent général, informé de cette acquisition par un créancier de son client, n’avait pourtant pas recommandé de réévaluation de la garantie « perte de fonds de commerce », maintenue à un niveau notoirement insuffisant. La cour d’appel a considéré que cette abstention constituait un manquement à l’obligation de conseil, la connaissance de la modification du risque étant avérée.

Il ressort de cette jurisprudence que le devoir d’adaptation des garanties repose non sur une obligation de surveillance continue, mais sur une exigence de réactivité dès lors que l’intermédiaire dispose d’une information pertinente. Il n’est pas investi d’une mission générale de veille sur la situation de son client. En revanche, dès qu’il est informé – directement ou par un tiers – d’un fait de nature à modifier substantiellement l’étendue du risque garanti, il lui incombe d’en tirer les conséquences et d’alerter l’assuré sur la nécessité éventuelle d’ajuster le contrat. À défaut d’une telle démarche, l’intermédiaire s’expose à voir sa responsabilité engagée pour manquement au devoir de conseil, notamment en cas de perte de chance d’avoir pu bénéficier d’une couverture mieux adaptée.

c. L’adaptation des garanties aux besoins et exigences du souscripteur

Le devoir de conseil ne s’épuise pas au moment de la souscription. Il s’inscrit dans une temporalité plus large et doit accompagner l’évolution des besoins de l’assuré tout au long de la vie du contrat.

Sur ce point, la Cour de cassation a jugé que la tacite reconduction d’un contrat d’assurance équivaut à la conclusion d’un nouveau contrat (Cass. 1re civ., 2 déc. 2003, n°00-19.561). Cette qualification emporte une conséquence pratique déterminante : elle réactive l’obligation d’information et de conseil de l’intermédiaire. Celui-ci ne saurait se contenter des éléments antérieurs. Il doit, à chaque reconduction, s’interroger sur l’adéquation des garanties aux besoins actuels du souscripteur.

Cependant, cette obligation de réévaluation ne saurait être automatique. L’article L. 520-2, II, 2° du Code des assurances précise que l’évaluation des exigences et besoins repose « en particulier sur les éléments d’information communiqués par le souscripteur ». Autrement dit, l’intermédiaire n’est tenu d’adapter son conseil que dans la mesure où il dispose d’informations pertinentes sur une évolution de la situation assurée.

La jurisprudence en donne une illustration claire : la responsabilité de l’agent général a été écartée dans un cas où l’assuré n’avait jamais déclaré l’exercice d’une activité nouvelle non couverte par la garantie initiale (Cass. 1re civ., 12 janv. 1999, n°96-18.752).

Inversement, dès lors que l’intermédiaire a connaissance d’une évolution de la situation ou d’un changement de besoin, il lui revient d’en tirer les conséquences et de proposer les ajustements nécessaires du contrat. Il ne peut se retrancher derrière une inaction de l’assuré face à une inadéquation manifeste. Son silence peut alors constituer un manquement au devoir de conseil, engageant sa responsabilité professionnelle.

2. L’assistance dans la gestion courante du contrat

L’assistance de l’intermédiaire ne se limite pas à l’adaptation des garanties mais s’étend à l’ensemble de la gestion courante du contrat. Cette assistance revêt une dimension particulièrement importante dans la mesure où elle concerne des actes et décisions qui peuvent directement affecter l’efficacité de la garantie.

a. Le conseil en matière de déclaration de sinistre

L’assistance dans la déclaration et la gestion des sinistres constitue l’une des manifestations les plus critiques du devoir de conseil post-contractuel, car elle conditionne directement l’indemnisation de l’assuré.

==>L’obligation d’examiner l’importance du sinistre

La jurisprudence impose à l’intermédiaire une obligation d’analyse qui va au-delà de la simple transmission des informations reçues. L’arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 1991 illustre parfaitement cette exigence en sanctionnant l’agent général qui n’avait pas suffisamment accompagné son client dans l’évaluation d’un sinistre (Cass. civ., 17 déc. 1991, n°89-11.344).

Dans cette affaire, l’agriculteur assuré contre la grêle avait avisé par téléphone son agent général d’une perte de récolte due à un orage de grêle. La déclaration écrite de sinistre n’avait été dressée que le 6 septembre suivant, soit bien au-delà du délai de quatre jours prévu par la police. Face au refus de garantie de l’assureur pour déclaration tardive, l’agriculteur avait recherché la responsabilité de l’agent général.

La cour d’appel avait initialement débouté l’assuré en considérant qu’aucune faute n’était imputable à l’agent général dès lors que l’agriculteur n’avait pas demandé dans le délai imparti à l’agent général d’adresser une déclaration à la compagnie.

La Cour de cassation a censuré cette analyse en rappelant que « même s’il est établi que l’appel téléphonique n’avait signalé que des dommages peu importants pouvant être équivalents à la franchise, il n’en demeure pas moins que l’agent général a manqué à son devoir de conseil en n’examinant pas avec son client quelle pouvait être l’importance du sinistre et les suites à lui donner dans le délai imparti ».

Cette décision révèle l’étendue du devoir de conseil de l’intermédiaire qui ne peut se contenter d’une appréciation superficielle de la situation. L’obligation d’examen impose à l’agent général de procéder à une analyse approfondie avec l’assuré, même lorsque celui-ci minimise initialement l’importance du sinistre.

Cette obligation d’examen s’explique par le fait que l’assuré, souvent profane en matière d’assurance, peut sous-estimer l’importance d’un sinistre ou méconnaître les conséquences d’une déclaration tardive. Dans l’espèce jugée, l’agriculteur avait vraisemblablement pensé que les dommages n’excédaient pas le montant de la franchise et qu’il n’était donc pas utile de procéder à une déclaration formelle. L’agent général aurait dû l’éclairer sur cette appréciation et l’accompagner dans l’évaluation précise des dégâts.

L’intermédiaire doit donc adopter une démarche proactive pour éviter que son client ne subisse un préjudice du fait de sa méconnaissance des règles assurantielles. Cette exigence témoigne de la dimension pédagogique du rôle de l’intermédiaire qui doit non seulement informer mais également éduquer l’assuré sur les enjeux liés à la bonne exécution de ses obligations contractuelles.

==>L’information sur les délais de prescription

L’assistance de l’intermédiaire doit également porter sur les délais susceptibles d’affecter les droits de l’assuré. L’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 5 janvier 2017 illustre parfaitement cette exigence en sanctionnant un assureur de protection juridique qui avait manqué à son obligation d’information concernant l’expiration imminente de la garantie décennale (Cass. 3e civ., 5 janv. 2017, n° 15-25.644).

Dans cette affaire, la maître d’ouvrage avait fait diviser un bâtiment en six logements et avait confié la maîtrise d’œuvre à un architecte et le lot carrelage à une société de carrelage. Après réception des travaux le 21 décembre 1996, des fissures étaient apparues sur le carrelage au cours de l’été 2005. Informée de ces désordres, la société d’assurance de protection juridique avait désigné un expert et confié le dossier à un avocat qui avait assigné la société de carrelage le 5 décembre 2006, puis le maître d’œuvre le 23 juillet 2007, action déclarée prescrite par jugement du 10 avril 2008.

La Cour de cassation a retenu la responsabilité de l’assureur en relevant que « la société d’assurance, qui devait fournir à son assurée des informations sur les moyens de sauvegarder ses intérêts et sur ses possibilités d’action, n’avait pas conseillé à la maître d’ouvrage d’engager une action contre le maître d’œuvre et ne l’avait pas informée que la garantie décennale venait à expiration à la date du 21 décembre 2006, se bornant à l’informer de la transmission de son dossier à l’avocat ».

La Haute juridiction a considéré que ce manquement de l’assureur à son obligation de conseil et d’information à l’égard de son assurée était caractérisé. En effet, la Cour d’appel avait relevé que « la responsabilité décennale des constructeurs ayant participé aux travaux de restauration était engagée, que celle du maître d’œuvre ayant assuré la direction des travaux apparaissait prépondérante, qu’en raison de la date proche de l’échéance de la garantie des constructeurs, l’issue contentieuse du dossier apparaissait être la plus appropriée ».

Cette décision révèle l’étendue de l’obligation d’information pesant sur l’assureur de protection juridique. Il ne suffit pas de transmettre le dossier à un avocat ; l’assureur doit également éclairer l’assuré sur les enjeux temporels de l’action envisagée, notamment lorsque l’expiration prochaine d’une garantie spécifique comme la garantie décennale risque de compromettre les droits de l’assuré.

Cette exigence de vigilance s’impose avec d’autant plus de force que les délais de prescription en matière de construction constituent une spécificité technique souvent méconnue des assurés. Dans l’espèce jugée, l’assurée ne pouvait raisonnablement être censée connaître la portée exacte de l’expiration de la garantie décennale au 21 décembre 2006, soit dix ans après la réception des travaux.

L’intermédiaire doit donc non seulement informer l’assuré de l’existence de ces délais mais également l’assister dans l’appréciation de leur impact sur sa situation juridique et, le cas échéant, dans les démarches nécessaires pour préserver ses droits. Cette obligation s’inscrit dans la logique générale du devoir de conseil post-contractuel qui impose à l’intermédiaire d’adopter une démarche proactive pour éviter que son client ne subisse un préjudice du fait de sa méconnaissance des règles juridiques applicables.

La solution retenue témoigne également de l’évolution de la jurisprudence vers une conception extensive du devoir de conseil de l’assureur de protection juridique, qui ne se limite pas à la fourniture d’une assistance juridique mais s’étend à l’information et au conseil sur les stratégies contentieuses les plus appropriées compte tenu des contraintes temporelles.

b. L’information sur l’évolution de la réglementation et des garanties

Le devoir de conseil qui intervient dans le cadre de l’exécution du contrat inclut une obligation d’information sur les évolutions susceptibles d’affecter la couverture d’assurance. Toutefois, cette obligation n’est ni générale ni illimitée : elle s’apprécie au regard de la nature des changements intervenus et de leur lien direct avec le contrat.

==>Les limites de l’obligation d’information sur les garanties nouvelles

La Cour de cassation a expressément limité l’obligation d’information de l’assureur en ce qui concerne les garanties issues de l’évolution de son offre commerciale. Dans un arrêt du 1er décembre 1998, elle a jugé qu’il ne peut être reproché à un assureur de ne pas avoir informé l’ensemble de ses assurés de l’existence de nouvelles garanties désormais proposées. Une telle exigence excéderait son devoir de renseignement (Cass. 1re civ., 1er déc. 1998, n° 94-13.589).

Cette position repose sur un principe d’équilibre : l’assureur n’est pas tenu d’un devoir général de conseil portant sur toutes les options commerciales qu’il pourrait développer. L’information due ne s’étend pas à l’ensemble des évolutions de l’offre, sauf lien direct avec le contrat en cours.

==>L’obligation d’information en cas de modification du cadre juridique applicable

En revanche, dès lors qu’une évolution législative ou réglementaire modifie les droits ou obligations issus du contrat d’assurance en cours, l’intermédiaire est tenu d’en informer son client. Ce devoir d’alerte s’impose notamment lorsqu’un changement juridique affecte directement la validité, l’étendue ou l’exercice des garanties souscrites.

Cette distinction entre innovations commerciales et évolutions juridiques permet d’assurer un juste équilibre. L’intermédiaire n’est pas transformé en conseiller juridique permanent, mais il doit veiller à informer l’assuré des conséquences concrètes des évolutions normatives qui impactent l’exécution du contrat.

Ainsi se dessine une obligation d’information ciblée, fondée sur la pertinence du changement au regard de la protection effective de l’assuré.

3. Les obligations spécifiques liées aux modifications contractuelles

L’intervention de l’intermédiaire prend une importance particulière lors des modifications du contrat d’assurance. Ces périodes de transition – telles que le remplacement ou la résiliation – sont souvent propices à une dégradation de la protection de l’assuré.

Ce dernier peut, sans en avoir pleinement conscience, se retrouver temporairement ou durablement sans couverture, ou avec des garanties insuffisantes. Il appartient donc à l’intermédiaire de sécuriser ces phases sensibles, en s’assurant que les ajustements contractuels ne laissent place à aucun risque de vide ou d’inadéquation de la couverture.

a. Le devoir de conseil lors du remplacement de contrat

Le remplacement d’un contrat d’assurance par un nouveau contrat constitue une opération particulièrement délicate. L’assuré, rassuré par la continuité apparente de sa couverture, ne prête pas toujours l’attention nécessaire aux modifications de garanties qui peuvent être introduites par le nouveau contrat.

L’intermédiaire doit donc impérativement attirer l’attention de l’assuré sur les changements susceptibles d’affecter sa couverture. Cette exigence répond à un impératif de transparence: l’assuré doit pouvoir consentir en toute connaissance de cause aux modifications de ses garanties.

La jurisprudence a ainsi sanctionné l’intermédiaire qui, sollicité par l’assuré pour modifier la garantie contre le vol, avait fait signer le nouveau contrat sans attirer son attention sur les exigences de moyens de protection supplémentaires introduites dans les conditions générales (Cass. 1re civ., 20 janv. 1987). Dans cette affaire, le changement de contrat s’accompagnait de conditions de garantie plus strictes que l’assuré ignorait, ce qui risquait de compromettre l’efficacité de sa couverture en cas de sinistre.

De même, la responsabilité d’un agent général a été retenue pour avoir proposé en remplacement d’un contrat multirisques une nouvelle police dans laquelle la garantie « vol de bijoux » ne figurait plus (Cass. 2e civ., 8 mars 2006, n°05-11.319).

Dans cette affaire, l’assurée avait souscrit auprès du groupe Drouot, devenu la société Axa assurances puis Axa France IARD, un contrat d’assurance multirisques comportant une garantie vol de bijoux. L’agent général d’Axa lui avait fait souscrire une nouvelle police en remplacement de ce contrat. Ayant été victime d’un cambriolage au cours duquel lui avaient été dérobés des bijoux, l’assurée avait demandé la garantie de l’assureur, qui avait refusé de l’indemniser, la nouvelle police ne couvrant pas le vol de bijoux.

La cour d’appel avait considéré que l’agent général n’avait pas manqué à ses obligations au motif que « caractérise en droit l’accomplissement de l’obligation d’information par l’agent d’assurance le fait de signer et de recevoir un exemplaire du contrat par l’assuré » et qu’« il est constant que l’assurée a signé un contrat dénué de toute ambiguïté » dont « les clauses relatives à l’assurance vol pour les bijoux et objets précieux sont claires et compréhensibles de la part de tout le monde ».

La Cour de cassation a censuré cette analyse en relevant que la cour d’appel avait constaté « que la nouvelle police souscrite par l’assurée remplaçait celle qu’elle avait précédemment conclue avec le même assureur, mais qu’elle ne comportait pas la garantie vol de bijoux acquise dans la précédente, et sans rechercher si l’agent général avait attiré l’attention de l’assurée sur cette réduction de garantie ».

Cette décision révèle que la simple signature du contrat par l’assuré et la clarté des clauses contractuelles ne suffisent pas à exonérer l’intermédiaire de son obligation d’information lorsque le nouveau contrat ne reprend pas des garanties figurant dans le contrat précédent. Le fait que les clauses soient claires ne dispense pas l’intermédiaire d’attirer spécifiquement l’attention de l’assuré sur les modifications défavorables.

L’arrêt établit donc une distinction fondamentale entre l’information passive, qui consiste à remettre un contrat lisible, et l’information active, qui impose à l’intermédiaire de signaler expressément les réductions de garantie lors du remplacement d’un contrat. Cette obligation active se justifie par le fait que l’assuré, dans un contexte de remplacement de contrat chez le même assureur, peut légitimement s’attendre au maintien des garanties dont il bénéficiait antérieurement.

b. Le devoir de conseil lors de la résiliation du contrat

La résiliation du contrat d’assurance place l’assuré dans une situation de vulnérabilité particulière : il se trouve privé de couverture alors que son besoin d’assurance persiste généralement. Cette situation est d’autant plus critique lorsque la résiliation n’émane pas de la volonté de l’assuré mais résulte, par exemple, d’un défaut de paiement ou d’une décision de l’assureur.

L’obligation essentielle de l’intermédiaire consiste à ne jamais laisser croire à l’assuré qu’il demeure protégé lorsque son contrat a été résilié. Cette exigence répond à un impératif de sécurité juridique : l’assuré doit connaître précisément l’état de sa couverture pour pouvoir, le cas échéant, souscrire une nouvelle assurance ou adapter son comportement au risque de découvert.

La jurisprudence a sanctionné plusieurs comportements de nature à induire l’assuré en erreur sur la persistance de sa garantie.

Dans un arrêt du 7 novembre 1972, la Cour de cassation a retenu la faute de l’agent qui avait accepté de l’assuré le complément de primes correspondant à un avenant, alors qu’une lettre de résiliation avait préalablement mis fin au contrat (Cass. 1ère civ. 7 nov. 1972). En acceptant ce paiement, l’agent donnait à l’assuré l’impression légitime que le contrat était toujours en vigueur et que l’avenant prendrait effet.

Cette situation illustre le caractère trompeur que peut revêtir l’encaissement de sommes par l’intermédiaire après résiliation du contrat. L’assuré interprète naturellement cet encaissement comme la preuve que sa couverture perdure.

De même, dans un arrêt du 23 mai 2000, la Cour de cassation a considéré que manquent à leur devoir d’information et de conseil les agents qui ont encaissé la prime alors que la police était résiliée pour défaut de paiement, sans rappeler à l’assuré cette résiliation (Cass. 1ère civ. 23 mai 2000, n°98-11.768).

Dans cette affaire, la société assurée, spécialisée dans l’élevage et le conditionnement d’anguilles, était couverte auprès de l’UAP par l’intermédiaire d’agents généraux. La société ayant omis de payer la prime de l’une de ses polices garantissant les dommages à ses bâtiments d’exploitation, elle avait été mise en demeure par l’assureur de payer l’échéance par une lettre recommandée du 11 octobre 1991 qui reproduisait et expliquait le mécanisme de suspension et de résiliation automatique organisé par l’article L. 113-3 du Code des assurances.

Le 26 décembre suivant, un chèque d’un montant de 2 861 francs, correspondant à deux primes dont celle de la police entre-temps résiliée, avait été remis par le gérant de la société à un employé des agents généraux lors d’un passage de ce dernier dans les locaux de la société. À la même époque, le gérant avait demandé qu’on lui prépare un contrat pour une catégorie de matériel, contrat effectivement souscrit le 20 février 1992.

Lorsqu’un incendie était survenu le 19 février 1992 dans le bâtiment d’élevage, l’assureur avait fait valoir la résiliation du contrat et dénié sa garantie. La société avait alors assigné l’assureur ainsi que les agents généraux en réparation du préjudice causé par le manquement de ces derniers à leur devoir de conseil.

La Cour de cassation a retenu la responsabilité des agents généraux du fait de leur «manquement à leur devoir d’information et de conseil consistant dans le fait d’avoir encaissé la prime, alors que la police était résiliée, sans rappeler au gérant cette résiliation, ni lui conseiller de souscrire une nouvelle police, ni faire de différence, dans le paiement reçu, entre la prime afférente au contrat en cours et celle du contrat résilié».

Cette décision révèle plusieurs enseignements importants. D’abord, l’encaissement de la prime constitue en lui-même un acte susceptible d’induire l’assuré en erreur sur l’état de sa couverture, même lorsque la résiliation a été régulièrement notifiée. Ensuite, les agents auraient dû distinguer, dans le paiement reçu, la prime afférente au contrat en cours de celle relative au contrat résilié. Enfin, l’obligation des intermédiaires ne se limite pas à l’information sur la résiliation mais s’étend au conseil de souscrire une nouvelle police pour maintenir la couverture.

L’arrêt souligne que le comportement des agents généraux était d’autant plus fautif qu’à cette même époque, l’assuré demandait une assurance supplémentaire qui avait effectivement été établie peu après, démontrant ainsi sa volonté de maintenir sa couverture d’assurance.

L’obligation de l’intermédiaire ne va toutefois pas jusqu’à garantir le maintien effectif de la couverture d’assurance. En effet, il convient de faire la distinction entre:

  • D’une part, une obligation de transparence qui impose à l’intermédiaire d’informer clairement l’assuré sur l’état réel de sa couverture et de ne jamais le laisser croire, par ses actes ou son attitude, qu’il demeure protégé alors que son contrat a été résilié.
  • D’autre part, l’absence d’obligation de résultat quant au maintien effectif de la garantie lorsque les circonstances extérieures (retrait d’agrément, refus des assureurs, antécédents de l’assuré) rendent difficile ou impossible la souscription d’un nouveau contrat.

Cette approche permet de protéger l’assuré contre les comportements trompeurs tout en évitant d’imposer à l’intermédiaire une responsabilité excessive face à des situations échappant à son contrôle.

II) Règles spécifiques applicables aux contrats d’assurance vie

Le contrat d’assurance vie français occupe une place unique parmi les instruments d’épargne européens par son succès commercial et sa polyvalence juridique. Né de la tradition assurantielle du XIXe siècle comme mécanisme de protection contre les aléas de la vie humaine, il s’est progressivement métamorphosé en un instrument hybride à la croisée de l’assurance et de l’investissement.. Cette transformation s’est accélérée avec le développement des contrats en unités de compte dans les années 1980. En introduisant une exposition directe aux marchés financiers, ces contrats ont profondément modifié la physionomie juridique de l’assurance vie et contribué à la complexification de son régime.

La spécificité des contrats d’assurance vie tient à leur double nature:

  • D’une part, ils demeurent des contrats d’assurance au sens de l’article L. 310-1 du Code des assurances, mobilisant l’aléa de la durée de la vie humaine et organisant le transfert d’un risque vers l’assureur.
  • D’autre part, ils constituent des véhicules d’investissement exposant l’épargnant aux fluctuations des marchés financiers, particulièrement lorsque les garanties sont exprimées en unités de compte.

Cette double finalité – protection et placement – confère à l’assurance vie un statut hybride qui justifie pleinement l’application de règles juridiques spécifiques, distinctes de celles régissant les autres branches d’assurance.

Le périmètre des « produits d’investissement fondés sur l’assurance », tel que défini à l’article L. 522-1 du Code des assurances, englobe trois catégories de contrats soumis à des règles particulières. Il s’agit premièrement des contrats d’assurance vie individuels comportant des valeurs de rachat, deuxièmement des contrats de capitalisation, et troisièmement des contrats d’assurance de groupe comportant des valeurs de rachat ou de transfert lorsque l’adhésion n’est pas obligatoire. Ces contrats partagent la caractéristique commune d’exposer le souscripteur ou l’adhérent à un risque financier dépassant le seul aléa assurantiel traditionnel.

Cette spécificité économique et juridique des contrats d’assurance vie a conduit les autorités européennes à prendre conscience de la nécessité d’harmoniser les règles de protection des épargnants, quel que soit le support contractuel utilisé – assurance ou produit financier. En effet, des instruments différents peuvent répondre à des besoins d’épargne similaires, ce qui crée un risque de chevauchement et de conflits entre les différentes règles applicables. La directive 2016/97/UE du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances exprime cette préoccupation de manière explicite : son considérant 56 appelle à prévenir tout « arbitrage réglementaire » entre produits concurrents.

Transposée en droit français par l’ordonnance n° 2018-361 du 16 mai 2018, cette directive a profondément modifié le régime applicable aux produits d’investissement fondés sur l’assurance.

Parmi les évolutions introduites par la réforme de 2018, le renforcement du devoir de conseil tient une place centrale. Initialement élaboré par la jurisprudence, ce devoir a été progressivement consolidé puis codifié dans le Code des assurances.

Désormais, l’article L. 522-5 du Code des assurances, dans sa version issue de l’ordonnance du 16 mai 2018, encadre rigoureusement la façon dont le distributeur doit formuler son conseil. Il définit les différentes étapes à suivre pour s’assurer que le contrat proposé correspond réellement à la situation, aux objectifs et aux connaissances du souscripteur.

Cette organisation du conseil s’inspire directement des pratiques en vigueur dans le domaine financier, notamment celles encadrant les services d’investissement. Elle témoigne d’un rapprochement assumé entre les régimes de protection des investisseurs et des assurés, dans une logique d’harmonisation des pratiques au sein du marché de l’épargne.

La loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023, dite « loi Industrie verte », a introduit une nouveauté importante dans le droit des assurances : l’instauration d’un devoir de conseil dans la durée. Ce dispositif, entré en vigueur le 24 octobre 2024, oblige les distributeurs à ne plus se limiter à un simple conseil au moment de la souscription du contrat. Désormais, ils doivent accompagner le souscripteur tout au long de la vie du contrat.

Concrètement, cela signifie que le distributeur doit vérifier régulièrement si le contrat d’assurance vie souscrit reste adapté à la situation du client. Cette obligation s’impose notamment :

  • lorsque la situation personnelle ou financière du souscripteur évolue (ex. : changement d’emploi, divorce, retraite),
  • ou lorsqu’une opération importante est effectuée sur le contrat, comme un rachat, un versement significatif ou un arbitrage d’actifs.

Par cette réforme, le législateur a voulu renforcer la protection de l’épargnant en faisant du devoir de conseil une obligation continue, et non plus ponctuelle.

Dès lors, une question centrale se pose : comment concilier cette exigence croissante de protection des épargnants avec les contraintes pratiques et commerciales pesant sur les distributeurs ? Plus précisément, quels sont les dispositifs juridiques qui encadrent aujourd’hui le devoir de conseil en assurance vie, à chacun des temps du contrat, et en quoi se distinguent-ils du droit commun applicable aux autres assurances ?

L’analyse de ces règles spécifiques appelle à distinguer, de manière didactique, les obligations du distributeur au moment de la formation du contrat, puis celles qui s’imposent au cours de son exécution.

A) Le devoir de conseil lors de la formation du contrat d’assurance vie

Les contrats d’assurance vie exposent le souscripteur à un risque de perte en capital qui s’ajoute à l’aléa assurantiel traditionnel. Cette particularité explique que le législateur ait soumis leur distribution à des règles de conseil substantiellement renforcées, codifiées aux articles L. 522-5 et suivants du Code des assurances.

1. Le recueil des besoins

a. L’analyse des situations et objectifs du client

L’article L. 522-5, I du Code des assurances impose au distributeur de « s’enquérir auprès du souscripteur ou de l’adhérent de sa situation financière et de ses objectifs d’investissement, ainsi que de ses connaissances et de son expérience en matière financière ». Cette obligation marque une rupture avec le régime général applicable aux autres contrats d’assurance, où le distributeur se contente d’identifier les besoins de couverture du client. Ici, le législateur exige une véritable analyse patrimoniale et financière, directement inspirée des règles MiFID applicables aux prestataires de services d’investissement.

Cette exigence répond à la nature particulière des contrats d’assurance vie en unités de compte, qui exposent le souscripteur à un risque de perte en capital. Contrairement aux contrats d’assurance traditionnels où l’assureur garantit le versement d’une prestation déterminée, les contrats en unités de compte transfèrent le risque financier sur le souscripteur. Cette caractéristique justifie que le distributeur dispose d’une connaissance approfondie de la capacité financière de son client et de son aptitude à supporter de telles pertes.

La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 systématise le contenu de ce recueil d’informations en distinguant trois volets complémentaires. S’agissant de la situation familiale, le distributeur doit s’enquérir du régime matrimonial, de l’identité et du nombre de personnes à charge, ainsi que des volontés du souscripteur en matière de désignation bénéficiaire. Cette dernière information revêt une importance particulière compte tenu des enjeux de transmission patrimoniale inhérents à l’assurance vie.

Le volet financier suppose un questionnement détaillé sur les revenus du souscripteur et, le cas échéant, de son conjoint, ses dépenses courantes et futures, sa capacité d’épargne, la composition et la liquidité de son patrimoine, ainsi que ses charges financières, notamment le remboursement d’éventuels emprunts immobiliers. L’ACPR recommande également de s’enquérir de la quote-part du patrimoine que le client envisage d’investir, information essentielle pour apprécier la cohérence de l’investissement projeté avec sa situation globale.

Enfin, le recueil d’informations professionnelles doit porter sur l’activité du souscripteur et celle de son conjoint, ainsi que sur la date prévisionnelle de départ à la retraite. Ces éléments permettent d’anticiper l’évolution de la situation financière du client et d’adapter en conséquence les caractéristiques du contrat proposé.

L’évaluation des connaissances et de l’expérience en matière financière constitue un aspect particulièrement délicat de ce recueil. L’ACPR recommande expressément de « ne pas recourir exclusivement à l’auto-évaluation » du client, consciente que ce dernier peut être tenté de surestimer ses compétences. La recommandation préconise de distinguer les connaissances théoriques de l’expérience pratique, en interrogeant le client sur sa détention présente ou passée de produits d’épargne et d’investissement, leur mode de gestion, ainsi que sur les gains réalisés et les pertes subies sur différents supports.

Cette approche objective vise à prévenir la surévaluation des compétences du client, source fréquente de contentieux. L’évaluation des connaissances du souscripteur constitue en effet un enjeu déterminant pour la responsabilité du distributeur, la jurisprudence considérant que l’intensité du devoir de conseil doit être calibrée en fonction du profil réel du client.

Cette problématique a été précisément tranchée par la Cour de cassation dans un arrêt du 16 mars 2010, rendu à propos d’un contrat d’assurance vie en unités de compte (Cass. com. 16 mars 2010, n°08-21.713 et 05-22.088). En l’espèce, les souscripteurs reprochaient à leur banque de ne pas les avoir suffisamment mis en garde contre les risques liés à un placement correspondant au « profil 9 », présenté dans la documentation comme une «gestion offensive et volatile». Se disant néophytes en matière boursière, ils soutenaient que cette seule qualification ne permettait pas à un investisseur non averti d’appréhender concrètement l’étendue des risques encourus.

La chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté cette argumentation. Elle a rappelé qu’un client, même profane, « ne peut ignorer que la valeur des titres mobiliers que sont les actions est tributaire des fluctuations de la bourse ». Elle s’est appuyée sur une analyse de la documentation remise, relevant notamment que les bulletins d’adhésion mentionnaient clairement les différentes options de placement, exposaient une échelle de risques, décrivaient les profils disponibles, et présentaient les quinze supports financiers accessibles, chacun étant positionné dans une graduation de risque explicite.

Sur cette base, la Haute juridiction a estimé que les souscripteurs ne pouvaient sérieusement soutenir avoir cru souscrire un produit sans risque, dès lors que le profil choisi était explicitement défini comme offensif et volatil. Elle en conclut qu’il ne pouvait y avoir méprise sur la nature du placement souscrit.

Par cette décision, la Cour de cassation pose une méthode d’appréciation construite autour de deux critères essentiels :

  • D’une part, l’existence d’un noyau de connaissances financières présumées, applicable à tout client, y compris profane ;
  • D’autre part, l’importance attachée à la qualité de la documentation contractuelle, qui peut suffire, si elle est suffisamment claire et hiérarchisée, à démontrer que les obligations d’information et de conseil ont été correctement remplies.

Cette approche offre aux distributeurs un cadre d’analyse relativement prévisible, fondé sur des éléments objectifs. Elle leur permet notamment de démontrer, à travers la documentation contractuelle, qu’ils ont informé le client de manière adéquate : la clarté de la présentation, la précision des caractéristiques des produits, et la mise en perspective des niveaux de risque constituent autant d’éléments à forte valeur probatoire.

Toutefois, cette sécurité juridique reste relative. La solution dégagée par la Cour est intimement liée aux caractéristiques du produit en cause, à savoir un profil de gestion risqué mais dont les mécanismes restent simples. Elle ne peut être transposée sans nuance à des instruments financiers plus complexes, dont les risques ne sont pas aussi facilement compréhensibles pour un investisseur non averti. Dans ce cas, les exigences en matière d’information et de conseil s’en trouvent nécessairement renforcées.

Cette jurisprudence appelle en outre une vigilance accrue dans la conception des supports d’information. Ceux-ci doivent non seulement décrire les caractéristiques techniques des produits, mais également permettre une lecture hiérarchisée des options de placement, afin que le client puisse se situer dans l’échelle globale des risques. L’exigence de graduation claire des risques, expressément mise en avant par la Cour de cassation, suppose une présentation comparative et intelligible des différents profils d’investissement.

Enfin, la qualité du recueil d’informations conditionne directement la validité du conseil délivré. L’article L. 522-6, alinéa 2 du Code des assurances souligne à cet égard que si le client refuse de communiquer les informations demandées, le distributeur doit le mettre en garde contre le risque d’inadéquation du produit proposé. Cette obligation de mise en garde, ultime filet de sécurité, permet au professionnel de limiter sa responsabilité en cas de conseil délivré sur la base d’informations incomplètes ou insuffisantes.

b. L’évaluation du profil de risque

L’article L. 522-5, I du Code des assurances exige du distributeur qu’il « détermine objectivement le profil de risque du souscripteur ou de l’adhérent éventuel au regard du niveau de risque qu’il est prêt à supporter ». Cette obligation, empruntée au droit des services d’investissement, constitue une innovation majeure en droit de l’assurance. Elle suppose que le distributeur procède à une évaluation fine de l’appétence au risque du client, distincte de l’analyse de ses connaissances financières.

La recommandation ACPR 2024-R-03 précise la méthodologie de cette évaluation en imposant une démarche pédagogique préalable. Le distributeur doit attirer l’attention du client « sur le fait qu’un support pouvant offrir un rendement élevé est généralement la contrepartie d’une prise de risque plus élevée ». Cette obligation d’explication vise à s’assurer que le client comprend la corrélation fondamentale entre performance espérée et volatilité des supports d’investissement.

L’ACPR recommande également de présenter au client « plusieurs scénarios d’évolution de l’épargne » afin de lui permettre d’appréhender concrètement les conséquences potentielles de ses choix d’investissement. Cette approche par simulation constitue un outil particulièrement efficace pour sensibiliser le souscripteur aux risques de perte en capital, notamment sur les unités de compte les plus volatiles.

La détermination du profil de risque suppose ensuite une définition « de manière compréhensible et précise des différents profils de risque et, le cas échéant, des termes techniques et/ou complexes ». Cette exigence de pédagogie répond à la nécessité de permettre au client de se positionner en connaissance de cause sur l’échelle des risques proposée. L’ACPR insiste sur l’importance de « se fonder principalement sur des questions en lien avec l’investissement » plutôt que sur des considérations générales ou théoriques.

L’approche recommandée privilégie la prudence en matière d’évaluation. Le distributeur doit « veiller à ne pas surévaluer le profil au regard des informations dont il a connaissance, notamment les exigences et besoins exprimés ». Cette recommandation vise à prévenir une dérive fréquemment observée consistant à attribuer au client un profil de risque inadéquat par rapport à sa situation réelle. À titre d’exemple, l’ACPR précise que « l’absence d’épargne de précaution pourrait être incompatible avec un profil de risque dynamique ».

La recommandation établit également une distinction importante en précisant qu’il convient de ne pas tenir « compte exclusivement des connaissances et de son expérience en matière financière pour déterminer son profil de risque ». Cette dissociation entre compétence technique et tolérance au risque répond à une logique économique évidente : un client techniquement averti peut légitimement souhaiter privilégier la sécurité de son épargne, tandis qu’un investisseur moins expérimenté peut accepter une prise de risque élevée.

Cette approche prudente s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence constante, qui adapte l’intensité du devoir de conseil aux caractéristiques propres du souscripteur. Toutefois, l’évaluation du profil de risque introduit une dimension nouvelle, plus subjective : il ne s’agit plus seulement d’apprécier les compétences techniques ou l’expérience financière du client, mais aussi sa tolérance personnelle au risque, autrement dit ses préférences individuelles face à la possibilité de pertes.

Or, la qualité de cette évaluation initiale conditionne directement la pertinence des recommandations formulées par le distributeur. Un profil de risque mal cerné peut aboutir à proposer un produit inadapté, trop risqué ou, inversement, insuffisamment dynamique au regard des objectifs du client. En cas de perte, cette erreur d’aiguillage expose le professionnel à une mise en cause de sa responsabilité, sur le fondement d’un défaut de conseil.

Cette exigence est d’autant plus forte que l’évaluation du profil de risque constitue un préalable obligatoire à toute recommandation personnalisée en matière d’investissements en unités de compte. Elle ne peut donc être négligée ni traitée de manière standardisée, sous peine de priver le conseil de toute portée véritable.

c. La prise en compte des préférences de durabilité

L’article L. 522-5, I du Code des assurances, modifié par la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023, impose depuis le 24 octobre 2024 au distributeur de s’enquérir des « éventuelles préférences du souscripteur en matière de durabilité ». Cette obligation constitue une innovation majeure du droit français de l’assurance, résultant de la transposition du règlement délégué (UE) 2017/2359 qui étend aux produits d’investissement fondés sur l’assurance les exigences déjà applicables aux services d’investissement financier.

Cette évolution s’inscrit dans la stratégie européenne de développement de la finance durable, visant à réorienter les flux de capitaux vers des investissements respectueux des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance. Le législateur européen a considéré que les contrats d’assurance vie, en raison de leur fonction d’épargne et de leur poids économique considérable, devaient participer à cette transition en permettant aux épargnants d’exprimer leurs préférences en matière de durabilité.

La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 détaille précisément les modalités de mise en œuvre de cette obligation. Le distributeur doit d’abord « s’enquérir auprès de l’adhérent ou du souscripteur éventuel de son intérêt pour la prise en compte de la durabilité avant la souscription ou l’adhésion à un contrat ». Cette première étape vise à identifier les clients sensibles aux questions de durabilité avant d’approfondir leurs préférences spécifiques.

Si le client exprime un intérêt pour ces questions, le distributeur doit alors procéder à un recueil détaillé de ses préférences. L’ACPR impose une démarche pédagogique préalable: le distributeur doit « expliquer préalablement à l’adhérent ou au souscripteur éventuel ce que sont les préférences en matière de durabilité, et notamment la distinction entre celles-ci ». Cette obligation d’explication répond à la technicité de la matière et à la nécessité de permettre au client de formuler des choix éclairés.

Le recueil proprement dit doit porter sur « l’ensemble des préférences en matière de durabilité », en distinguant les trois piliers de l’analyse ESG:

  • Les critères environnementaux concernent l’impact des investissements sur le climat, la biodiversité, l’utilisation des ressources naturelles ou la pollution
  • Les critères sociaux portent sur les conditions de travail, le respect des droits humains, la diversité ou les relations avec les communautés locales
  • Les critères de gouvernance visent les pratiques de direction des entreprises, la transparence, la lutte contre la corruption ou la rémunération des dirigeants.

L’ACPR recommande aux distributeurs de « préciser les critères de préférence distinctement en matière environnementale, sociale et de gouvernance » afin de permettre au client d’exprimer des préférences nuancées selon les différentes dimensions de la durabilité. Cette approche granulaire évite une vision uniforme de la durabilité et permet d’adapter l’offre d’investissement aux sensibilités particulières de chaque épargnant.

Une attention particulière doit être portée à la qualité de l’information délivrée au client. L’ACPR exige que « les modalités de questionnement, de recueil et de formalisation des préférences de durabilité, notamment les formulations et explications fournies par le distributeur, sont claires, exactes et non trompeuses ». Cette exigence vise à « réduire le risque de mauvaise compréhension par l’adhérent ou le souscripteur éventuel sur le respect de ses préférences de durabilité par le contrat et options d’investissement proposés ».

L’intégration de ces préférences dans le processus de conseil modifie substantiellement l’analyse des besoins du client. Le distributeur doit désormais articuler les objectifs financiers traditionnels (rendement, horizon d’investissement, tolérance au risque) avec les aspirations extra-financières du souscripteur. Cette double contrainte peut conduire à recommander des supports d’investissement présentant un profil de performance différent de celui qui résulterait de la seule analyse financière.

L’obligation de recueillir les préférences de durabilité s’impose quel que soit le niveau de service fourni par le distributeur. Elle concerne tant le conseil de base (niveau 1) que les services de recommandation personnalisée (niveaux 2 et 3), marquant ainsi l’importance accordée par le législateur à l’intégration des enjeux de durabilité dans toutes les formes de conseil en assurance vie.

2. La formulation du conseil

a. L’évaluation du caractère approprié du produit proposé

L’article L. 522-5, I du Code des assurances impose au distributeur de déterminer « le caractère approprié pour le souscripteur éventuel du contrat proposé ». Cette évaluation, spécifique aux produits d’investissement fondés sur l’assurance, dépasse largement l’appréciation des besoins de couverture applicable aux autres contrats d’assurance.

Le règlement délégué (UE) 2017/2359 du 21 septembre 2017 précise le contenu de cette évaluation. Le distributeur doit déterminer « si le client possède les connaissances et l’expérience nécessaires pour comprendre les risques qu’implique le produit proposé ». Cette appréciation porte sur des éléments techniques particuliers : les types de produits d’investissement fondés sur l’assurance qui sont familiers au client, la nature et la fréquence de ses transactions sur de tels produits, ainsi que son niveau d’éducation et sa profession dans la mesure où ils éclairent sa capacité de compréhension.

Cette évaluation du caractère approprié suppose une analyse différenciée selon la complexité des supports d’investissement proposés. Pour les contrats en euros traditionnels, l’évaluation peut être relativement simple compte tenu de la garantie en capital offerte par l’assureur. En revanche, pour les contrats en unités de compte, et particulièrement ceux investis sur des supports complexes ou non cotés, l’évaluation doit être beaucoup plus approfondie.

Le distributeur doit également s’assurer que les informations recueillies ne sont pas «manifestement périmées, erronées ou incomplètes ». Cette exigence revêt une importance particulière en assurance vie compte tenu de la durée souvent longue de ces contrats et de l’évolution possible de la situation du souscripteur.

L’issue de cette évaluation détermine la suite de la relation commerciale. Si le distributeur conclut que le produit n’est pas approprié pour le client, il doit s’abstenir de le recommander. Cette obligation d’abstention, empruntée au droit des services d’investissement, constitue une innovation remarquable du droit de l’assurance qui place l’intérêt du client au-dessus des considérations commerciales.

b. L’évaluation de l’adéquation

L’article L. 522-5, I du Code des assurances impose au distributeur de s’enquérir de la «tolérance au risque» et de la « capacité à subir des pertes » du souscripteur pour tous les contrats d’assurance vie visés à l’article L. 522-1. Cette obligation, qui dépasse la simple évaluation du caractère approprié, s’applique à l’ensemble des produits d’investissement fondés sur l’assurance, indépendamment du niveau de service fourni.

Cette évaluation répond à la nature particulière des contrats d’assurance vie en unités de compte qui exposent le souscripteur à un risque de perte en capital. Contrairement aux contrats d’assurance traditionnels où l’assureur garantit le versement d’une prestation déterminée, ces contrats transfèrent le risque financier sur le souscripteur, justifiant une analyse approfondie de sa capacité à l’assumer.

La tolérance au risque, définie par l’ACPR comme « l’appétence du client pour des actifs financiers sous-jacents présentant une volatilité élevée », constitue une donnée subjective liée aux préférences personnelles du souscripteur en matière d’investissement. Cette évaluation doit tenir compte des spécificités de l’assurance vie, notamment de l’horizon d’investissement souvent long et des objectifs poursuivis (épargne, transmission, retraite).

La capacité à subir des pertes relève d’une appréciation objective de la situation financière du client. Le distributeur doit évaluer si le client peut supporter « des pertes partielles, ou totales, voire au-delà du montant du capital investi », ou s’il « ne peut supporter aucune perte ». Cette évaluation est particulièrement délicate en assurance vie car elle doit intégrer la situation patrimoniale globale du souscripteur et la place du contrat dans sa stratégie d’épargne.

Le distributeur doit également tenir compte des préférences de durabilité exprimées par le client, conformément aux modifications apportées par la loi du 23 octobre 2023. Cette dimension supplémentaire complexifie l’analyse d’adéquation en ajoutant des critères extra-financiers aux considérations traditionnelles de rendement et de risque.

c. L’évaluation de renforcée pour les services de recommandation personnalisée

Lorsque le distributeur fournit un service de recommandation personnalisée au sens de l’article L. 522-5, II du Code des assurances, l’évaluation d’adéquation se complexifie substantiellement. Le distributeur doit expliquer « en quoi, parmi différents contrats ou différentes options d’investissement au sein d’un contrat, un ou plusieurs contrats ou options sont plus adéquats » aux exigences et besoins du client, « et en particulier plus adaptés à sa tolérance aux risques et à sa capacité à subir des pertes ».

Cette prestation suppose une démarche comparative explicite que l’ACPR définit précisément dans sa note de juillet 2018. Le distributeur doit disposer d’une offre suffisamment diversifiée pour présenter au client plusieurs solutions alternatives et procéder à leur analyse comparative approfondie. L’ACPR souligne qu’« une telle promesse de service ne se conçoit que basée sur l’analyse d’une pluralité de contrats » et que « la motivation doit être nécessairement personnalisée ».

L’évaluation d’adéquation doit alors être suffisamment fine pour permettre une hiérarchisation des différentes options selon leur degré d’adaptation au profil spécifique du client. Cette analyse comparative porte non seulement sur les caractéristiques techniques des produits (nature des garanties, frais, supports d’investissement), mais également sur leur adéquation respective aux objectifs, contraintes et préférences du souscripteur.

L’article 14 du règlement délégué (UE) 2017/2359 impose l’établissement d’une «déclaration d’adéquation » qui constitue la formalisation écrite de cette analyse comparative. Cette déclaration comprend « les grandes lignes des conseils donnés » et « les informations montrant en quoi la recommandation formulée est adaptée à la situation du client ». Elle doit également présenter « un résumé de l’analyse effectuée » et expliquer « comment la recommandation fournie répond aux objectifs d’investissement du client ».

Cette déclaration, obligatoire uniquement pour les services de recommandation personnalisée, revêt une importance juridique particulière car elle constitue un engagement formel du distributeur sur la pertinence de sa recommandation. En cas de contentieux, elle servira de référence pour apprécier la qualité du conseil fourni et peut fonder la responsabilité du distributeur si la recommandation s’avère inadéquate.

La déclaration d’adéquation doit également mentionner si les produits d’investissement fondés sur l’assurance recommandés sont « susceptibles ou non d’obliger à demander un réexamen périodique de leurs accords ». Cette information permet au client d’anticiper la nécessité d’un suivi ultérieur de son investissement et constitue un élément d’appréciation de la relation commerciale future.

Pour les services de recommandation fondée sur une analyse impartiale du marché (niveau 3), la déclaration d’adéquation doit également rendre compte de la représentativité de l’analyse effectuée et des critères ayant présidé à la sélection des produits comparés. Cette exigence de transparence vise à permettre au client de vérifier que la recommandation repose effectivement sur une analyse objective du marché.

d. Les obligations spécifiques pour les supports en unités de compte complexes

L’article L. 522-5, I, alinéa 4 du Code des assurances impose des obligations particulières pour les unités de compte « mentionnées à la dernière phrase du deuxième alinéa de l’article L. 132-5-4 ». Il s’agit des organismes de placement collectif investis principalement directement ou indirectement en actifs non cotés, en titres éligibles au plan d’épargne en actions PME-ETI, ou en titres de sociétés de capital-risque.

Ces supports présentent des caractéristiques particulières qui justifient un régime d’information et de conseil renforcé. Ils peuvent notamment présenter des contraintes de liquidité, des risques de valorisation complexes, et des indemnités de sortie substantielles. Le distributeur doit communiquer « une information sur les modalités de rachat et les conséquences de l’exercice de cette faculté ».

Le décret n° 2024-551 du 18 juin 2024, entré en vigueur le 24 octobre 2024, précise le contenu de cette information. Le distributeur doit notamment indiquer « le niveau de l’indemnité prévue dans la limite du plafond prévu au 1° de l’article R. 132-5-3 », ainsi que «toutes les périodes connues où l’unité de compte peut faire l’objet de rachat sans être diminuée de ces indemnités » et « le niveau de ces indemnités si le rachat intervient en dehors de ces périodes ».

La recommandation ACPR 2016-R-04, modifiée le 6 décembre 2019, complète ce dispositif en imposant aux distributeurs de « décrire de manière compréhensible » dans le document formalisant le conseil les informations délivrées au souscripteur. Ces informations doivent permettre de comprendre « la nature du support en unités de compte proposé et des risques y afférents », « les moyens permettant de suivre l’évolution des actifs sous-jacents », « le rendement des unités de compte », ainsi que « les mécanismes contenus dans la formule de calcul permettant, à l’échéance, de déterminer la réalisation d’un gain ou d’une perte ».

Cette exigence de pédagogie renforcée répond à la complexité technique de ces produits qui peuvent échapper à la compréhension d’investisseurs non avertis. L’ACPR souligne que le distributeur doit s’assurer que le client comprend effectivement les mécanismes sous-jacents et les risques spécifiques de ces supports avant toute souscription.

La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 renforce ces exigences en imposant d’« attirer l’attention de l’adhérent ou du souscripteur éventuel sur les risques liés à la sélection de ces unités de compte au regard du caractère variable de leur valeur ainsi que sur l’existence, le cas échéant, d’une indemnité diminuant la valeur de rachat ou de transfert et leurs conséquences sur les modalités d’exercice de la faculté de rachat ou de transfert ».

e. Les obligations de mise en garde

L’article L. 522-6, alinéa 2 du Code des assurances institue une obligation de mise en garde spécifique lorsque « le souscripteur ou l’adhérent ne fournit pas les informations » nécessaires à l’évaluation du caractère approprié ou adéquat du contrat. Cette mise en garde doit porter sur « le risque d’inadaptation du contrat d’assurance proposé » aux exigences, besoins, situation financière, objectifs d’investissement et niveau de connaissance du client.

Cette obligation revêt une importance particulière en assurance vie compte tenu des enjeux financiers et patrimoniaux de ces contrats, qui peuvent représenter une part significative du patrimoine du souscripteur. Elle constitue un mécanisme de protection poursuivant une double finalité: d’une part, alerter le client sur les risques qu’il encourt en refusant de communiquer les informations demandées ; d’autre part, permettre au distributeur de se prémunir contre les conséquences d’un conseil fondé sur des informations lacunaires.

La mise en garde doit intervenir « préalablement à la conclusion du contrat », imposant au distributeur d’interrompre le processus de souscription tant que les informations nécessaires ne sont pas obtenues. Cette exigence souligne l’importance accordée par le législateur à la qualité du recueil d’informations comme préalable indispensable à tout conseil valable en assurance vie.

L’article L. 522-3, 2° du Code des assurances impose également au distributeur de fournir «des orientations et des mises en garde appropriées sur les risques inhérents » aux contrats d’assurance vie ou aux stratégies d’investissement proposées. Cette obligation générale de mise en garde sur les risques s’ajoute à l’obligation spécifique de mise en garde en cas d’informations insuffisantes.

Cette exigence vise particulièrement les risques de fluctuation des actifs sous-jacents pour les contrats en unités de compte. Le distributeur doit alerter le client sur le fait que la valeur de son épargne peut fluctuer à la hausse comme à la baisse, et qu’il peut subir des pertes en capital, y compris totales dans certains cas extrêmes.

La recommandation ACPR 2024-R-03 précise que cette mise en garde doit être adaptée à la nature des supports proposés. Pour les unités de compte complexes, elle doit être particulièrement détaillée et porter sur les risques spécifiques de ces supports : risque de liquidité, risque de valorisation, risque de perte supérieure au capital investi pour certains produits dérivés.

Ces différentes obligations de mise en garde s’articulent pour former un dispositif cohérent de protection du souscripteur. La mise en garde générale sur les risques constitue un préalable qui doit permettre au client de comprendre la nature des risques qu’il encourt. La mise en garde en cas d’informations insuffisantes constitue quant à elle un mécanisme de protection ultime qui intervient lorsque le processus normal de conseil ne peut être mené à son terme.

L’ensemble de ces obligations traduit la préoccupation du législateur de protéger les épargnants contre les risques particuliers des produits d’investissement fondés sur l’assurance, tout en responsabilisant les distributeurs sur la qualité de leur conseil. Elles contribuent à élever le niveau général de protection des souscripteurs et à réduire les asymétries d’information entre professionnels et clients particuliers.

B) Le devoir de conseil lors de l’exécution du contrat d’assurance vie

L’innovation majeure de la loi du 23 octobre 2023 réside dans l’instauration d’un « devoir de conseil dans la durée » qui prolonge les obligations du distributeur au-delà de la formation du contrat. Cette évolution s’articule autour d’un mécanisme d’actualisation périodique du conseil et d’obligations spécifiques lors des opérations affectant le contrat.

1. L’actualisation périodique du conseil

a. Le principe de l’évaluation quadriennale

L’innovation la plus remarquable de la loi du 23 octobre 2023 réside dans l’institution d’une obligation d’actualisation périodique du conseil qui révolutionne la temporalité de l’accompagnement en assurance vie. L’article L. 522-5, III, 2° du Code des assurances consacre désormais une démarche proactive d’évaluation qui transcende la logique traditionnelle du conseil ponctuel pour instituer un véritable suivi dans la durée.

La périodicité de l’obligation d’actualisation n’est pas uniforme : elle dépend du degré d’accompagnement offert par le distributeur, un délai réduit s’appliquant lorsque celui-ci fournit un service de recommandation personnalisée. Le législateur a ainsi prévu un délai de quatre ans pour les contrats bénéficiant d’un conseil standard, tandis que ce délai est ramené à deux ans dans le cas d’un service à haute valeur ajoutée. Cette distinction repose sur une gradation des obligations professionnelles en fonction de l’intensité du conseil initialement fourni. Plus l’analyse du distributeur s’est révélée poussée lors de la souscription, plus le devoir de suivi s’impose à échéance rapprochée. L’obligation de conseil s’inscrit ainsi dans une logique évolutive, proportionnée à l’implication du professionnel et à la sophistication du service délivré au client.

Cette modulation procède d’une logique à la fois incitative et économique. En récompensant l’excellence du conseil par un engagement renforcé dans la durée, le dispositif encourage les distributeurs à développer une approche patrimoniale sophistiquée, tout en leur permettant de justifier la valeur ajoutée de leurs prestations les plus élaborées. L’articulation entre la qualité du service et l’intensité du suivi constitue ainsi un mécanisme d’émulation professionnelle particulièrement habile.

Le choix de ces périodicités s’avère remarquablement adapté aux spécificités de l’épargne assurantielle. Le délai quadriennal épouse naturellement les caractéristiques intrinsèques de l’assurance vie : horizon d’investissement structurellement long, stabilité relative des objectifs patrimoniaux, et faible fréquence des interventions sur les contrats. Cette périodicité évite l’écueil d’une surveillance excessive qui risquerait de dégénérer en harcèlement commercial, tout en prévenant l’abandon de l’épargnant à un produit potentiellement devenu inadéquat.

L’arrêté du 12 juin 2024 organise la mise en œuvre pratique de cette révolution conceptuelle avec un pragmatisme bienvenu. En fixant le point de départ de la première période d’observation au 24 octobre 2024, il ménage une transition équilibrée : les premières actualisations concrètes n’interviendront qu’en octobre 2028 pour les contrats standards et dès octobre 2026 pour les services personnalisés. Cette phase transitoire permet aux distributeurs d’adapter progressivement leur organisation et leurs systèmes d’information à cette nouvelle contrainte.

La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 accompagne cette montée en charge en appelant les professionnels à entreprendre dès maintenant les chantiers préparatoires nécessaires. Cette anticipation témoigne de l’ampleur de la transformation organisationnelle que suppose l’effectivité de ce nouveau devoir.

L’actualisation ainsi instituée transcende la simple prise de contact pour exiger une véritable mise à jour de la connaissance client. Le distributeur doit identifier et évaluer toutes les évolutions susceptibles d’affecter la pertinence du contrat : modifications de la situation familiale, professionnelle ou patrimoniale, évolution des objectifs d’investissement, variation de la tolérance au risque et de la capacité à subir des pertes, mais aussi nouvelles préférences de durabilité. Cette exigence d’exhaustivité traduit l’ambition d’une adaptation continue du produit aux besoins évolutifs de l’épargnant.

Lorsque cette évaluation révèle une inadéquation, naît une obligation de conseil correctif qui constitue l’une des innovations les plus significatives du dispositif. Le distributeur doit alors informer son client des écarts constatés et lui recommander les adaptations nécessaires sur support durable. Cette démarche proactive consacre un nouveau paradigme professionnel : le distributeur ne peut plus se contenter du seul acte de vente mais devient comptable d’un accompagnement patrimonial continu.

Toutefois, ce devoir d’actualisation respecte scrupuleusement l’autonomie du souscripteur. Si celui-ci refuse de répondre aux sollicitations ou maintient un silence prolongé malgré relance, le distributeur se trouve libéré de son obligation. Ce mécanisme de sauvegarde prévient toute dérive vers le démarchage commercial abusif tout en préservant la liberté individuelle.

Cette mutation du devoir de conseil, d’acte ponctuel en processus continu, marque une transformation paradigmatique de la relation contractuelle en assurance vie. Elle impose aux distributeurs un changement à la fois culturel et opérationnel, les plaçant désormais au cœur d’un accompagnement patrimonial dynamique et responsable.

b. L’actualisation en cas d’évolution de la situation du client

L’article L. 522-5, III, 1° impose au distributeur d’actualiser son devoir de conseil « lorsqu’il est informé d’un changement dans la situation personnelle et financière du souscripteur ou dans ses objectifs d’investissement ». Cette obligation marque l’avènement d’un conseil véritablement dynamique qui rompt avec la conception traditionnelle limitant les obligations du distributeur à la phase précontractuelle. Elle institue un devoir de veille permanent qui transforme la relation contractuelle d’une logique de vente unique vers un modèle d’accompagnement continu.

L’aspect révolutionnaire de cette disposition réside dans sa dimension transversale. Cette obligation s’applique que l’information soit recueillie dans le cadre du contrat d’assurance vie lui-même ou « dans le cadre de la gestion d’un autre contrat d’assurance ou de produits et services bancaires ». Cette approche globale bouleverse l’organisation traditionnelle en silos pour imposer une vision client intégrée.

Concrètement, un changement de situation professionnelle signalé lors d’une demande de crédit immobilier doit déclencher un réexamen des contrats d’assurance vie. Une évolution familiale (mariage, divorce, naissance, décès) mentionnée pour un contrat d’assurance automobile doit entraîner une vérification de la clause bénéficiaire en assurance vie. Un départ en retraite dans le cadre d’un plan d’épargne entreprise doit questionner l’ensemble de la stratégie d’épargne du client.

Cette transversalité de l’information marque une évolution significative vers une approche globale de la relation client. Elle suppose une coordination entre les différents services du distributeur et une circulation fluide de l’information pertinente. Cette exigence impose une refonte organisationnelle majeure : coordination entre tous les services client, formation des collaborateurs à l’identification des informations pertinentes quel que soit leur contexte de recueil, adaptation des systèmes d’information pour centraliser et partager les données dans le respect du RGPD.

La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 illustre cette obligation : «lorsqu’un distributeur est informé de la perte d’emploi de l’adhérent ou du souscripteur dans le cadre d’un contrat d’assurance-emprunteur, ou du départ en retraite à l’occasion de la liquidation d’un contrat de retraite supplémentaire». Ces événements, captés dans un contexte spécifique, peuvent bouleverser l’ensemble de la stratégie patrimoniale et justifier une révision complète des contrats d’assurance vie.

L’actualisation doit être proportionnée à l’ampleur du changement. Une modification mineure des revenus peut justifier une simple vérification de la capacité d’épargne, tandis qu’un bouleversement majeur (divorce, héritage, départ en retraite) nécessite une réévaluation globale incluant objectifs de transmission, préférences fiscales, et allocation d’actifs. Le distributeur doit adopter une approche patrimoniale globale tenant compte de l’impact sur l’ensemble de la situation du client.

Lorsque l’actualisation révèle une inadéquation, le distributeur doit informer le client de manière circonstanciée et lui conseiller les adaptations nécessaires : arbitrages, modification des versements, révision de la clause bénéficiaire, voire rachat ou souscription d’un nouveau contrat. Cette obligation de conseil correctif constitue la finalité du mécanisme et garantit une adaptation continue de la stratégie d’épargne aux évolutions de la vie du client.

2. Le conseil lors des opérations affectant le contrat

Au-delà de l’actualisation périodique, la loi du 23 octobre 2023 complète le dispositif en instaurant une obligation de conseil déclenchée par certaines opérations. L’article L. 522-5, III, 3° du Code des assurances soumet désormais le distributeur à un devoir de conseil « à l’occasion de toute opération susceptible d’affecter le contrat de façon significative ».

Cette disposition révèle une logique nouvelle : elle fait de chaque intervention importante sur le contrat l’occasion d’une réévaluation de son adéquation. Contrairement au conseil périodique qui intervient selon un calendrier prédéterminé, ce conseil « à la demande » se déclenche au gré des initiatives de l’épargnant, transformant chaque versement, arbitrage ou rachat substantiel en moment de vérification de la pertinence du contrat.

Cette innovation marque une rupture conceptuelle majeure. Là où l’épargnant pouvait jusqu’alors modifier librement son contrat, toute opération d’ampleur devient désormais prétexte à un nouvel examen de ses besoins et de la cohérence de sa stratégie patrimoniale.

a. La définition des opérations déclenchant l’obligation de conseil

Il faut définir quelles opérations justifient ce nouveau conseil. L’arrêté du 12 juin 2024 établit des seuils chiffrés pour éviter qu’un distributeur soit tenu de conseiller à chaque micro-opération.

Le système retenu distingue selon l’importance du contrat. Pour les contrats de moins de 100 000 euros, toute opération de 2 500 euros minimum et représentant au moins 20 % de l’encours déclenche l’obligation. Pour les contrats plus importants (100 000 euros et plus), les seuils montent à 30 000 euros et 25 % de l’encours.

Cette graduation s’explique aisément : une opération de 5 000 euros sur un contrat de 25 000 euros (soit 20 %) peut bouleverser significativement la stratégie d’épargne, tandis que la même somme sur un contrat de 500 000 euros demeure marginale.

Le dispositif prévoit une exception notable : tout investissement dans les actifs non cotés visés à l’article L. 132-5-4 déclenche automatiquement le conseil, quel que soit le montant. Cette règle absolue traduit la méfiance du législateur envers ces supports complexes et souvent illiquides, dont les risques justifient un accompagnement systématique.

b. La différenciation du conseil selon la nature de l’opération

Le contenu du conseil varie selon le type d’opération envisagée.

==>Pour les versements et arbitrages

Le distributeur doit justifier ses préconisations. La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 l’oblige à « exposer les raisons qui ont motivé la préconisation des supports et de l’allocation proposés au regard du profil de risque de l’adhérent ». En pratique, cela signifie qu’il ne peut plus se contenter de proposer un placement : il doit expliquer pourquoi ce placement convient à ce client précis.

Cette exigence atteint son intensité maximale pour les unités de compte non cotées. Ces supports, par leur complexité et leur illiquidité potentielle, appellent un devoir d’alerte renforcé. Le distributeur doit alors exposer clairement les risques spécifiques de ces placements : absence de cotation quotidienne, difficultés de sortie, volatilité accrue, ou encore opacité des actifs sous-jacents. Cette vigilance particulière s’inscrit dans une jurisprudence constante qui impose une information adaptée à la sophistication du produit proposé.

==>Pour les rachats

Les rachats appellent une attention particulière car leurs conséquences sont souvent irréversibles. L’ACPR impose trois obligations principales:

  • D’abord, lorsque le rachat intervient avant huit ans, le distributeur doit informer de ses conséquences fiscales. Cette obligation répond à une logique patrimoniale évidente : l’assurance vie constituant souvent un instrument d’optimisation fiscale, un rachat prématuré peut anéantir l’avantage recherché et compromettre la stratégie globale de l’épargnant.
  • Ensuite, duand le rachat concerne une unité de compte bénéficiant d’une garantie en capital, le distributeur doit avertir de la perte irréversible de cette protection. Cette vigilance se justifie pleinement : la garantie perdue ne peut être reconstituée, et sa disparition peut contrarier fondamentalement les objectifs de sécurisation poursuivis par l’épargnant.
  • Enfin, pour les unités de compte non cotées, le distributeur doit révéler l’existence d’éventuelles pénalités de rachat. Ces indemnités, parfois substantielles, peuvent considérablement réduire le produit de l’opération et doivent être intégrées dans l’évaluation de son opportunité.

==>Pour les changements d’orientation de gestion

Toute modification de la stratégie d’investissement exige une justification circonstanciée qui transcende la simple recommandation commerciale. Le distributeur doit expliquer les raisons qui motivent le conseil de cette nouvelle orientation au regard de la capacité à subir des pertes de l’adhérent et de son profil de risque.

Cette obligation suppose une démarche méthodique en plusieurs étapes. Le distributeur doit d’abord actualiser le profil du client, en vérifiant que ses caractéristiques patrimoniales, ses objectifs et sa tolérance au risque n’ont pas évolué. Il doit ensuite analyser l’adéquation de la nouvelle stratégie avec cette situation actualisée, en démontrant que le changement préconisé améliore effectivement la correspondance entre le contrat et les besoins de l’épargnant.

Cette approche révèle l’ambition du législateur de transformer chaque intervention sur le contrat en occasion de vérification de sa pertinence globale. Le distributeur ne peut plus concevoir les modifications de manière isolée mais doit les inscrire dans une vision patrimoniale cohérente et évolutive.

c. Les exigences organisationnelles

L’effectivité du conseil dans la durée impose aux distributeurs une profonde transformation de leur organisation. Cette mutation dépasse la simple adaptation réglementaire pour questionner l’ensemble des processus commerciaux et des outils de gestion de la relation client.

Le défi principal réside dans la conciliation de deux exigences apparemment contradictoires: fournir un conseil approfondi tout en préservant la fluidité des opérations. La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 impose au distributeur de « mettre en place des moyens suffisants et proportionnés pour permettre la fourniture d’un conseil dans un délai permettant de ne pas retarder l’opération ou entraîner la réalisation de l’opération dans des conditions moins favorables ».

Cette contrainte s’avère particulièrement critique pour les opérations de marché. Un versement différé ou un arbitrage retardé peut faire perdre à l’épargnant le bénéfice d’une conjoncture favorable ou l’exposer à une évolution défavorable des cours. Le conseil, conçu pour protéger l’épargnant, ne doit pas se retourner contre lui par excès de formalisme.

Face à cette équation complexe, la digitalisation s’impose comme une solution incontournable. L’ACPR préconise le développement d’« outils en ligne qui permettent d’automatiser l’actualisation des informations » et la mise en place de « formulaires permettant de collecter les informations nécessaires ».

Cette transformation technologique suppose la mise en place de questionnaires en ligne adaptatifs, capables de cibler les informations pertinentes selon le type d’opération envisagée. Elle exige également le développement d’algorithmes de scoring permettant d’évaluer rapidement l’adéquation de l’opération avec le profil client actualisé.

L’enjeu dépasse la simple efficacité opérationnelle pour toucher à la qualité même du conseil. Les outils numériques doivent permettre une personnalisation fine des recommandations, en intégrant l’ensemble des paramètres patrimoniaux et familiaux de l’épargnant. Cette ambition suppose des investissements technologiques substantiels et une refonte complète des systèmes d’information.

Toutefois, cette logique d’efficacité connaît une limite absolue que pose l’ACPR : « la formalisation du conseil ne peut jamais conduire au non-respect des exigences contractuelles et réglementaires en matière de délais de règlement et de valorisation ». Cette priorité accordée aux délais traduit un équilibre délicat entre protection renforcée et fluidité opérationnelle.

En pratique, cette contrainte impose aux distributeurs de concevoir des processus de conseil suffisamment agiles pour s’adapter aux urgences opérationnelles. Elle suppose également la mise en place de procédures dégradées permettant de traiter les demandes lorsque le conseil complet ne peut être délivré dans les délais impartis.

Cette évolution dessine les contours d’une nouvelle organisation de la distribution d’assurance vie. Le distributeur traditionnel, organisé autour de la vente ponctuelle, doit se transformer en conseiller patrimonial permanent, capable d’accompagner l’évolution des besoins de ses clients sur la durée.

Cette mutation suppose une révision complète des modèles économiques, des compétences requises et des outils de travail. Elle exige également une adaptation des systèmes de rémunération, pour valoriser l’accompagnement dans la durée autant que l’acte de vente initial.

L’enjeu final demeure la capacité des distributeurs à concilier excellence du service client et efficacité commerciale, dans un environnement réglementaire de plus en plus exigeant et complexe.

3. La responsabilité du distributeur en cas de manquement

La mise en œuvre du conseil dans la durée transforme profondément le régime de responsabilité applicable aux distributeurs de contrats d’assurance vie. Cette évolution s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel désormais bien établi, qui précise tant la nature de l’obligation de conseil que ses modalités d’appréciation.

a. Une obligation de moyens

La jurisprudence constante considère que l’obligation de conseil pesant sur les distributeurs est une obligation de moyens, et non de résultat. Cette qualification protège le professionnel contre les aléas propres aux marchés financiers, tout en lui imposant une réelle rigueur dans l’élaboration de son conseil.

Un jugement du tribunal de grande instance de Strasbourg du 18 janvier 2005 illustre cette position : le juge a précisé que l’obligation de conseil « ne peut aboutir à faire endosser à ces professionnels les conséquences d’une dégradation des valeurs de référence ». Il ne s’agit donc pas de garantir la performance du produit recommandé, mais bien de s’assurer que le conseil donné était adapté, au moment où il a été formulé, à la situation du client.

Cette qualification n’affaiblit cependant en rien l’intensité de l’obligation. La Cour de cassation a, au contraire, renforcé son exigence lorsque le produit recommandé se révèle inadapté au profil de l’épargnant. Ainsi, dans un arrêt du 13 juillet 2006, elle a condamné un assureur pour avoir commercialisé un contrat dont les charges étaient « manifestement disproportionnées par rapport aux revenus du souscripteur ».

Plus récemment, dans un arrêt du 15 septembre 2022, la Cour a affirmé que l’assureur qui omet de recommander une garantie mieux adaptée cause nécessairement un préjudice à son assuré (Cass. 2e civ., 15 sept. 2022, n° 20-22.363).

b. Une obligation dont l’intensité diffère selon le profil du souscripteur

L’intensité du devoir de conseil dépend du niveau de compétence et d’expérience du souscripteur. Ce principe, désormais bien établi en jurisprudence, conduit à adapter le contenu du conseil aux capacités réelles de compréhension du client.

Dans un arrêt du 16 mars 2010 , la Cour de cassation a jugé qu’« un client même profane ne peut ignorer que la valeur des titres mobiliers est tributaire des fluctuations de la bourse» (Cass. com., 16 mars 2010, n° 08-21.713). Cet arrêt instaure une présomption de connaissance élémentaire des mécanismes financiers, du moins pour les produits les plus courants. Il en découle que le distributeur n’est pas tenu d’expliciter les risques les plus manifestes lorsque ceux-ci relèvent du bon sens ou d’un savoir de base largement partagé.

À l’inverse, lorsque le client dispose d’une expérience ou d’une expertise particulière, les juridictions exigent de lui une vigilance accrue. Dans un arrêt du 11 juin 2009, la deuxième chambre civile a jugé qu’un gérant professionnel spécialisé « ne pouvait ignorer le sens de la limite de tonnage prévue dans la police d’assurance » (Cass. 2e civ., 11 juin 2009, n° 08-17.586). Ce raisonnement revient à réduire l’obligation d’information pesant sur l’assureur, dès lors que le client est en mesure de comprendre seul les implications du contrat, compte tenu de sa profession ou de son expérience avérée.

Cette modulation du devoir de conseil trouve une traduction concrète dans les exigences relatives au recueil d’informations imposées au distributeur. La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 interdit expressément de se fonder exclusivement sur les déclarations subjectives du client concernant ses connaissances en matière financière. Elle impose au contraire une démarche d’évaluation rigoureuse, fondée sur des éléments objectivables et vérifiables.

Le distributeur doit notamment distinguer les connaissances théoriques du client — telles qu’elles peuvent apparaître dans un questionnaire ou être déclarées oralement — de son expérience effective, appréciée à travers la détention passée ou actuelle de produits similaires, la nature des investissements réalisés, ou encore la fréquence et la complexité des opérations antérieures. Cette double analyse vise à ajuster la teneur du conseil au degré réel de compréhension du souscripteur.

En pratique, cela signifie que le distributeur ne peut se contenter d’un simple formulaire d’auto-évaluation. Il lui revient de croiser les déclarations du client avec des éléments objectifs, comme les caractéristiques de son portefeuille, ses précédents arbitrages, ou son historique d’investissement. Cette précaution est destinée à prévenir les erreurs d’appréciation susceptibles de conduire à une recommandation inadaptée : soit parce qu’elle serait trop complexe pour un client mal préparé, soit parce qu’elle sous-exploiterait les capacités d’un client expérimenté.

c. Une responsabilité étendue dans le temps

L’instauration d’un devoir de conseil dans la durée transforme en profondeur le régime de responsabilité applicable aux distributeurs. Ceux-ci ne sont plus uniquement tenus de délivrer un conseil adapté au moment de la souscription ; leur responsabilité peut désormais être engagée en cas de défaut de suivi, d’absence d’actualisation, ou d’inadéquation persistante du contrat avec les besoins évolutifs du client.

Deux obligations codifiées illustrent cette évolution:

  • La première est l’obligation d’actualisation périodique prévue à l’article L. 522-5, III, 2° du Code des assurances. Elle impose au distributeur, tous les quatre ans (ou deux ans en cas de service de recommandation personnalisée), de vérifier que le contrat demeure adapté à la situation du souscripteur. Si cette actualisation est omise, ou réalisée de manière superficielle, le distributeur peut se voir reprocher une carence fautive, notamment en cas de préjudice lié à une inadaptation non détectée ou non signalée.
  • La seconde est l’obligation de conseil déclenchée à l’occasion de toute opération susceptible d’affecter significativement le contrat, en vertu de l’article L. 522-5, III, 3°. À ce titre, le distributeur doit analyser l’impact d’un rachat partiel, d’un versement complémentaire, d’un arbitrage ou de toute autre opération substantielle, et alerter le client sur les éventuelles conséquences de cette modification. Une recommandation absente, imprécise ou inappropriée peut, là encore, constituer une faute génératrice de responsabilité.

Face à cette extension du risque contentieux, le régulateur a précisé les attentes en matière de preuve. La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 impose aux distributeurs de conserver l’ensemble des éléments relatifs aux informations recueillies, aux conseils fournis et aux décisions prises. Ces données doivent non seulement être archivées de manière sécurisée, mais également rester accessibles pour être produites, en tant que de besoin, devant un juge ou dans le cadre d’un contrôle de l’Autorité.

Cette exigence de traçabilité constitue une garantie essentielle de sécurité juridique pour le distributeur. Elle permet, en cas de litige, de démontrer la réalité du conseil prodigué, son adéquation aux circonstances connues, et l’absence de manquement aux obligations légales et réglementaires.

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  2. J. Bigot, « L’obligation de conseil des intermédiaires », RGDA 2018, p. 445 ?
  3. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
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  9. J. Bigot, « Les niveaux de conseil : clarification ou complexification ? », RGDA 2018, p. 445 ?
  10. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  11. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  12. D. Langé, « La gradation des obligations de conseil », RGDA 2019, p. 156 ?
  13. P. Mayaux, « L’économie du conseil en assurance », Rev. dr. bancaire et fin. 2019, p. 23 ?
  14. H. Groutel, “Le devoir de conseil en assurance”, Risques 1990, n° 2, p. 89 ?
  15. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018 ?
  16. D. Lange, “Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005”, Mélanges Bigot, p. 259. ?
  17. Y. Lequette, “L’obligation de renseignement et le droit commun du contrat”, in L’information en droit privé, LGDJ, 1978, p. 305 ?
  18. Directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers. ?
  19. Voir notamment A. Couret, H. Le Nabasque, “Valeurs mobilières”, Dalloz Action, 2020, n° 12.45 ?
  20. M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, “Droit des sociétés”, Litec, 31e éd., 2018, n° 452 ?
  21. Art. L. 111-1 du Code de la consommation ?
  22. H. Groutel, “L’évolution du devoir de conseil en assurance”, RCA 2019, étude 4 ?
  23. N. Reich, “Protection of Consumers’ Economic Interests by the EC”, Sydney Law Review, 1992, vol. 14, p. 23 ?
  24. Directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances, considérant 31 ?
  25. Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, RGAT 1965, p. 175, note A. Besson ?
  26. J. Lasserre Capdeville, “Le conseil en investissement”, Rev. dr. bancaire et fin. 2018, dossier 15 ?
  27. Directive 2014/65/UE du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers ?
  28. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018, p. 12 ?
  29. Ph. Storck, “La transformation de l’intermédiation financière”, Rev. économie financière 2017, n° 127, p. 45 ?
  30. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008 ?
  31. Malaurie Ph., Aynès L., Stoffel-Munck Ph., Droit des obligations, LGDJ ?
  32. J. Bigot, « Missions non traditionnelles : la responsabilité professionnelle du producteur d’assurances », L’Assureur Conseil, oct. 1987, p. 3 ?
  33. Cass. 1?? civ., 6 nov. 1984, RGAT 1985, p. 313 ?
  34. H. Groutel, « Le devoir de conseil en assurance », Risques 1990, n° 2, p. 89. ?
  35. Cass. 1?? civ., 10 nov. 1964, JCP G 1965, II, 13981, note PP ?
  36. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  37. J.-C. Heydel, « L’agent général d’assurance », LGDJ, 2019, n° 156 ?
  38. Cass. 1?? civ., 28 oct. 1986, RGAT 1986, p. 610 ?
  39. L. Mayaux, Les assurances de personnes, Traité, t. IV, n° 835 ?
  40. D. Lange, « Les limites du devoir de conseil », RGDA 2019, p. 456 ?
  41. J. Kullmann, Le contrat d’assurance, Traité, t. 3, n° 1262 ?
  42. L. Mayaux, « Les grands risques et la protection du consommateur », RGDA 2018, p. 234 ?
  43. H. Groutel, « L’exclusion des grands risques », RCA 2019, comm. 156 ?
  44. J. Bigot, D. Langé, J. Moreau et J.-L. Respaud, La distribution d’assurance, éd. LGDJ, 2020, n°1257. ?
  45. P. Maystadt, « Les assurances affinitaires », Argus, 2020, p. 45 ?
  46. J. Bigot, « Les courtiers grossistes », in Traité de droit des assurances, t. 6, n° 234 ?
  47. Cass. com., 18 avr. 2019, n° 18-11108 ?
  48. CA Lyon, 18 févr. 2003, RGDA 2003, p. 371, obs. J. Kullmann ?
  49. Cass. 1re civ., 31 mars 1981, Bull. civ. I, n° 108 ; D. 1982, IR, p. 97, note Berr et Groutel. ?

La résolution judiciaire: régime juridique

L’ordonnance du 10 février 2016 a introduit dans le Code civil une sous-section consacrée à la résolution du contrat.

Cette sous-section comprend sept articles, les articles 1224 à 1230, et est organisée autour des trois modes de résolution du contrat déjà bien connus en droit positif que sont :

  • La clause résolutoire
  • La résolution unilatérale
  • La résolution judiciaire

Selon le rapport au Président de la république, il est apparu essentiel de traiter de la résolution du contrat parmi les différents remèdes à l’inexécution, et non pas seulement à l’occasion des articles relatifs à la condition résolutoire qui serait toujours sous-entendue dans les contrats selon l’ancien article 1184.

Ainsi l’article 1224 énonce les trois modes de résolution du contrat précités, la résolution unilatérale et la résolution judiciaire étant soumises à une condition de gravité suffisante de l’inexécution, par opposition à la clause résolutoire dont l’effet est automatique dès lors que les conditions prévues au contrat sont réunies.

Surtout, fait marquant de la réforme, l’ordonnance du 10 février 2016 a introduit la résolution unilatérale du contrat, alors qu’elle n’était admise jusqu’alors par la Cour de cassation que comme une exception à notre traditionnelle résolution judiciaire.

Aussi, dans les textes, le contractant, victime d’une inexécution suffisamment grave, a désormais de plusieurs options :

  • Soit il peut demander la résolution du contrat au juge
  • Soit il peut la notifier au débiteur sa décision de mettre fin au contrat
  • Soit il peut se prévaloir de la clause résolutoire si elle est stipulée dans le contrat

Nous ne nous focaliserons ici que sur la première option.

Dans le droit fil du droit antérieur, l’article 1227 du Code civil confirme, la possibilité pour le créancier de saisir le juge pour solliciter la résolution du contrat.

Cette disposition prévoit, en ce sens, que « la résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice. »

==>La possibilité de recourir, en toute hypothèse, à la résolution judiciaire

L’assertion « en toute hypothèse » indique que le juge peut être saisi pour prononcer la résolution judiciaire même si une clause résolutoire a été prévue au contrat, ou même si une procédure de résolution par notification a été engagée, conformément à la jurisprudence.

Le choix d’un mode de résolution n’est donc nullement exclusif de la résolution judiciaire à laquelle il peut, par principe, toujours être recourue.

Alors que, sous l’empire du droit antérieur, la résolution judiciaire était envisagée comme le principal mode de résolution du contrat, ce mode est dorénavant subsidiaire, en ce sens qu’il a vocation à être mise en œuvre :

  • Soit faute de clause résolutoire stipulée dans le contrat
  • Soit en cas de contestation de litige ouvert entre les parties.

En effet, afin de se prémunir contre tout risque de remise en cause de sa faculté de résolution unilatérale, le créancier peut préférer saisir le juge aux fins de solliciter la résolution judiciaire.

==>La possibilité de renoncer contractuellement à la résolution judiciaire

Qu’en est-il de la possibilité pour une partie de renoncer contractuellement à la faculté de solliciter la résolution judiciaire ?

Dans un arrêt du 3 novembre 2011, la Cour de cassation avait jugé « qu’un contractant peut renoncer par avance au droit de demander la résolution judiciaire du contrat et relevé que la clause de renonciation, rédigée de manière claire, précise, non ambiguë et compréhensible pour un profane » (Cass. 3e civ. 3 nov. 2011, n°10-26.203).

Le rapport au Président de la République indique que l’article 1227 du Code civil n’entend pas remettre en cause cette jurisprudence qui valide les clauses de renonciation judiciaire.

À l’examen, ces clauses ne font en principe que limiter les modalités de l’exécution de l’obligation sans priver le créancier du droit d’obtenir l’exécution de sa créance par l’un des autres remèdes énumérés par l’article 1217 de l’ordonnance (tels que l’exécution forcée en nature).

Il appartient donc à la juridiction saisie de vérifier, au cas par cas, que la restriction ainsi consentie ne porte pas atteinte à la substance même du droit et au droit d’agir en justice.

En outre, il est des cas où c’est la loi qui fera obstacle à la résolution judiciaire. L’article L 622-21, 2° du Code de commerce dispose, en ce sens, que, en cas de procédure collective, « le jugement d’ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n’est pas mentionnée au I de l’article L. 622-17 et tendant […] à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent. »

En dehors des restrictions textuelles du recours à la résolution judiciaire, elle est donc, sauf clause contraire, toujours permise. Sa mise en œuvre est néanmoins subordonnée à la réunion de plusieurs conditions dont le juge ne manquera pas contrôler le respect.

1. Les conditions de mise en œuvre de la résolution judiciaire

En application de l’article 1224 du Code civil, la mise en œuvre de la résolution judiciaire est subordonnée à la démonstration d’une inexécution contractuelle suffisamment grave.

Faute de précisions supplémentaires sur cette exigence, c’est vers la jurisprudence qu’il convient de se tourner pour en comprendre la teneur.

Plusieurs enseignements peuvent être tirés des décisions rendues :

  • Une inexécution
    • Pour que la résolution judiciaire soit prononcée une inexécution du contrat doit pouvoir être constatée par le juge
    • La question qui immédiatement se pose est de savoir si cette inexécution doit être totale ou seulement partielle.
    • Le texte ne le dit pas à la différence de celui qui régit la réduction du prix.
    • On peut en déduire que rien n’interdit d’envisager qu’une exécution imparfaite du contrat puisse justifier la résolution judiciaire du contrat.
    • Aussi, l’inexécution pourrait-elle consister, tant en un retard, qu’en l’absence de délivrance de la chose et plus généralement à toute fourniture de la prestation non conforme aux stipulations contractuelles.
    • Au vrai, ce qui importe, ce n’est pas tant que l’inexécution contractuelle soit totale ou partielle, mais qu’elle soit suffisamment grave, au sens de l’article 1224 du Code civil, pour justifier la résolution du contrat.
  • Une inexécution non-imputable au créancier
    • Dans un arrêt du 21 octobre 1964, la Cour de cassation a jugé que « la résiliation ne saurait être réclamée par le créancier lorsque l’inexécution de ses obligations par le débiteur est la conséquence de sa propre faute » (Cass. 1ère civ. 21 oct. 1964).
    • Ainsi, lorsque l’inexécution contractuelle est imputable au créancier, il est irrecevable à solliciter la résolution judiciaire du contrat.
    • La solution sera toutefois différente lorsque l’inexécution sera imputable, tant au créancier, qu’au débiteur.
    • Dans cette hypothèse, le juge prononcera la résolution aux torts réciproques des parties (Cass. 3e civ. 3e, 6 sept. 2018, n° 17-22.026).
  • L’indifférence de la faute du débiteur et de la survenance d’une cause étrangère
    • Il ressort de la jurisprudence qu’il est indifférent que l’inexécution contractuelle ait été causé par la survenance d’un cas de force majeur ou que le débiteur n’ait commis aucune faute : la résolution judiciaire est encourue du seul fait d’une inexécution suffisamment grave du contrat
    • Dans un arrêt du 2 juin 1982, la première chambre civile a considéré en ce sens que « la résolution d’un contrat synallagmatique peut être prononcée en cas d’inexécution par l’une des parties de ses obligations, même si cette inexécution n’est pas fautive et quel que soit le motif qui a empêché cette partie de remplir ses engagements, alors même que cet empêchement résulterait du fait d’un tiers ou de la force majeure ; » (Cass. 1ère civ.2 juin 1982, n°81-10.158).
    • Peu importe donc que le débiteur soit fautif, ou qu’il ait été empêché par une cause étrangère, ce qui compte c’est la démonstration d’une inexécution du contrat.
    • À cet égard, l’article 1218 issue de l’ordonnance du 10 février 2016 va plus loin puisqu’il prévoit que, « si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit ».
    • Autrement dit, en cas de survenance d’un cas de force majeur, il n’est pas nécessaire de saisir le juge : la résolution du contrat est acquise de plein droit.
  • Une inexécution contractuelle suffisamment grave
    • Faute de précision à l’article 1227 du Code civil sur la teneur de l’inexécution contractuelle susceptible de justifier la résolution judiciaire, c’est vers l’article 1224 qu’il convient de se tourner.
    • À l’instar de la résolution unilatérale par notification, la mise en œuvre de la résolution judiciaire est subordonnée à la démonstration d’une inexécution suffisamment grave.
    • Que doit-on entendre par inexécution suffisamment grave ? Les textes sont silencieux, la volonté du législateur étant de laisser une marge d’appréciation au juge.
    • Il ressort de la jurisprudence que l’inexécution est suffisamment grave pour justifier la résolution du contrat notamment dans les cas suivants :
      • Lorsque le manquement porte sur une obligation essentielle du contrat
      • Lorsque le préjudice subi par le créancier est substantiel
      • Lorsque le débiteur est, soit de mauvaise foi, soit adopte une conduite déloyale
    • Afin d’apprécier la gravité de l’inexécution, le juge doit tenir compte de toutes les circonstances intervenues jusqu’au jour de la décision (Cass. 3e civ. 5 mai 1993, n°91-17.097).
  • L’indifférence de la mise en demeure du débiteur
    • À la différence de la mise en œuvre de la clause résolutoire ou de la résolution unilatérale, la résolution judiciaire n’est pas subordonnée à la mise en demeure du débiteur.
    • La Cour de cassation rappelle régulièrement en ce sens que l’assignation en résolution vaut mise en demeure (Cass. 1ère civ., 23 mai 2000, n° 97-22.547).
    • Dans un arrêt du 9 octobre 1996 elle a encore jugé que « l’obligation de délivrer un commandement de payer préalablement à l’assignation n’était requis que pour l’application d’une clause résolutoire et non lorsqu’il était demandé au juge de prononcer la résiliation du bail » (Cass. 3e civ. 9 oct. 1996, n°92-17.331).
    • Cette dispense de mise en demeure procède de l’idée que, en cas d’assignation du débiteur, il peut toujours exécuter le contrat, ce qui dans l’esprit du législateur, est l’issue qui doit primer sur toutes les autres.
    • Reste que, si la mise en demeure n’est pas une condition de mise en œuvre de la résolution judiciaire, elle peut se révéler utile en cas d’inexécution particulièrement grave du contrat.
    • Elle peut, en effet, permettre au créancier d’établir sa bonne foi et sa volonté d’avoir tout tenté pour sauver le contrat avant de recourir le juge.
    • Il ne fait aucun doute que cette démarche sera favorablement appréciée par la juridiction saisie qui, en l’absence de réaction du débiteur, ne pourra que constater l’obstination du débiteur à ne pas exécuter ses obligations.

2. Les pouvoirs du juge

En cas de saisine du juge, l’article 1228 vient préciser l’objet de son office. Les pouvoirs du juge s’exerceront toutefois dans le cadre délimité par les demandes des parties en application du principe dispositif qui préside au procès civil.

Le texte prévoit que le juge, peut, selon les circonstances, retenir plusieurs options :

==>La résolution du contrat

Selon le mode de résolution choisi par le créancier pour mettre fin au contrat, le juge pourra :

  • Soit constater la résolution du contrat s’il intervient a posteriori pour contrôler la mise en œuvre d’une clause résolutoire ou d’une résolution unilatérale par notification.
    • Lorsque le Juge ne fait que constater la résolution du contrat, il convient de noter que le fait générateur de cette résolution réside, non pas dans la décision de justice rendue, mais dans la décision prise par le créancier de mettre un terme au contrat.
    • Dans ces conditions, la résolution ne devrait produire ses effets
      • Soit dans les conditions prévues par la clause résolutoire,
      • soit à la date de la réception par le débiteur de la notification faite par le créancier.
  • Soit prononcer la résolution, s’il est saisi en ce sens, en cas d’inexécution suffisamment grave
    • Dans cette hypothèse, c’est bien la décision de justice qui produit l’effet résolutoire
    • Il en résulte que la résolution du contrat produit ses effets :
      • Soit à la date fixée par le juge
      • Soit, à défaut, au jour de l’assignation en justice.

En tout état de cause, que la résolution soit constatée ou prononcée, dès lors que le juge fait droit à la demande du créancier, la résolution du contrat s’imposera au débiteur.

==>L’exécution du contrat

Faute de constater ou de prononcer la résolution, l’article 1228 du Code civil investi le juge du pouvoir d’ordonner l’exécution du contrat.

Il opterait pour cette solution lorsque :

  • Soit l’inexécution du contrat n’est pas établie
  • Soit l’inexécution contractuelle n’est pas suffisamment grave pour justifier la résolution
  • Soit les conditions de mise en œuvre de la clause résolutoire ne sont pas réunies

À cet égard, dans un arrêt du 27 octobre 2010, la Cour de cassation a validé la décision d’une Cour d’appel qui avait estimé, en matière de contrat de bail, que « les faits ne pouvaient justifier la résiliation du bail que s’ils avaient persisté au jour où elle statuait » (Cass. 3e civ. 27 oct. 2010, n°09-11.160).

C’est donc au jour où le juge statue qu’il convient de se situer pour déterminer si l’inexécution contractuelle est de nature à justifier la résolution du contrat.

==>L’octroi d’un délai

Lorsque le juge ordonne l’exécution du contrat, il peut octroyer un délai au débiteur.

S’agit-il d’un délai de grâce ? S’il en présente les traits, ne serait-ce que dans la similitude de rédaction de l’article 1228 avec l’article 1343-5 du Code civil, les deux délais ne se confondent pas.

En effet, tandis que le délai de grâce ne peut être supérieur à deux ans et est consenti au débiteur en considération de sa situation personnelle, tel n’est pas le cas du délai énoncé à l’article 1228 qui n’est assorti d’aucune limite temporelle et dont l’octroi dépend plutôt de la difficulté d’exécution de la convention.

Ainsi ce délai sera consenti au débiteur si le juge estime que l’exécution du contrat est encore possible.

==>L’octroi de dommages et intérêts

L’article 1228 rappelle que le juge peut aussi, n’allouer que des dommages s’il considère que la résolution n’est pas suffisamment grave pour justifier la résolution du contrat.

Cet octroi de dommages et intérêt vise à réparer le préjudice subi par le créancier résultant d’une inexécution insuffisamment grave, mais bien réelle et préjudiciable pour ce dernier.

La caducité du contrat: notion, conditions, effets

La caducité fait partie de ces notions juridiques auxquelles le législateur et le juge font régulièrement référence sans qu’il existe pour autant de définition arrêtée.

Si, quelques études lui ont bien été consacrées[1], elles sont si peu nombreuses que le sujet est encore loin d’être épuisé. En dépit du faible intérêt qu’elle suscite, les auteurs ne manquent pas de qualificatifs pour décrire ce que la caducité est supposée être.

Ainsi, pour certains, l’acte caduc s’apparenterait à « un fruit parfaitement mûr […] tombé faute d’avoir été cueilli en son temps »[2]. Pour d’autres, la caducité évoque « l’automne d’un acte juridique, une mort lente et sans douleur »[3]. D’autres encore voient dans cette dernière un acte juridique frappé accidentellement de « stérilité »[4].

L’idée générale qui ressort de ces descriptions est que l’action du temps aurait eu raison de l’acte caduc, de sorte qu’il s’en trouverait privé d’effet.

==>Caducité et nullité

De ce point de vue, la caducité se rapproche de la nullité, qui a également pour conséquence l’anéantissement de l’acte qu’elle affecte. Est-ce à dire que les deux notions se confondent ? Assurément non.

C’est précisément en s’appuyant sur la différence qui existe entre les deux que les auteurs définissent la caducité.

Tandis que la nullité sanctionnerait l’absence d’une condition de validité d’un acte juridique lors de sa formation, la caducité s’identifierait, quant à elle, à l’état d’un acte régulièrement formé initialement, mais qui, en raison de la survenance d’une circonstance postérieure, perdrait un élément essentiel à son existence.

La caducité et la nullité ne viseraient donc pas à sanctionner les mêmes défaillances. Cette différence d’objet ne saurait toutefois occulter les rapports étroits qu’entretiennent les deux notions, ne serait-ce parce que le vice qui affecte l’acte caduc aurait tout aussi bien pu être source de nullité s’il était apparu lors de la formation dudit acte. Sans doute est-ce d’ailleurs là l’une des raisons du regain d’intérêt pour la caducité ces dernières années.

 

 

 

==>Origine

Lorsqu’elle a été introduite dans le Code civil, l’usage de cette notion est limité au domaine des libéralités. Plus précisément, il est recouru à la caducité pour sanctionner la défaillance de l’une des conditions exigées pour que le legs, la donation ou le testament puisse prospérer utilement telles la survie[5], la capacité [6] du bénéficiaire ou bien encore la non-disparition du bien légué[7].

Ce cantonnement de la caducité au domaine des actes à titre gratuit s’estompe peu à peu avec les métamorphoses que connaît le droit des contrats. Comme le souligne Véronique Wester-Ouisse « alors que la formation du contrat était le seul souci réel des rédacteurs du Code civil, le contrat, aujourd’hui, est davantage examiné au stade de son exécution »[8]. L’appropriation de la notion de caducité par les spécialistes du droit des contrats prend, dans ces conditions, tout son sens[9].

Aussi, cela s’est-il traduit par la consécration de la caducité dans l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations[10].

==>Intervention du législateur

La lecture de l’article 1186 du Code civil révèle que le législateur a donc repris in extenso la définition de la caducité.

Aux termes de l’alinéa 1er de cette disposition « un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît. »

Il ressort de cette définition que :

  • D’une part, la caducité ne peut affecter qu’un acte qui a été régulièrement accompli
  • D’autre part, elle suppose que l’acte anéanti ait perdu l’un des éléments essentiels à son existence

Telles sont les deux conditions cumulatives qui doivent être réunies pour qu’un contrat puisse être frappé de caducité.

I) Les conditions de la caducité

==>L’exigence d’un acte valablement formé

Si l’article 1186 prévoit que pour encourir la caducité le contrat doit avoir été valablement formé.

Aussi, cela signifie-t-il qu’il ne doit, ni avoir été annulé, ni avoir fait l’objet d’une résolution.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir s’il est nécessaire que la nullité du contrat ou sa résolution aient été constatées en justice ou s’il suffit qu’il soit seulement annulable ou susceptible de faire l’objet d’une résolution.

L’article 1186 ne le dit pas, de sorte qu’il appartient à la jurisprudence de se prononcer sur ce point.

==>L’exigence de disparition d’un élément essentiel de l’acte

L’article 1186 subordonne la caducité à la disparition de l’un de ses éléments essentiels du contrat.

À la lecture de cette condition, deux difficultés surviennent immédiatement :

  • Première difficulté
    • L’article 1186 se garde de bien de dire ce que l’on doit entendre par « éléments essentiels ».
    • Faut-il limiter le périmètre de la notion d’« éléments essentiels » aux seules conditions de validité du contrat ou doit-on l’étendre aux éléments qui conditionnent son exécution ?
    • Selon les auteurs, c’est vers une approche restrictive de la notion que l’on devrait se tourner.
    • Au soutien de cet argument est notamment convoqué le nouvel article 1114 du Code civil qui associe la notion d’« éléments essentiels » à l’offre contractuelle, soit au contenu du contrat.
  • Seconde difficulté
    • Une seconde difficulté naît de la lecture de l’article 1186 en ce qu’il ne dit pas si la disparition de l’un des éléments essentiels du contrat doit être volontaire ou involontaire.
    • Jusqu’alors, les auteurs ont toujours considéré qu’un acte ne pouvait être frappé de caducité qu’à la condition que la disparition de l’un de ses éléments essentiels soit indépendante de la volonté des parties.
    • Admettre le contraire reviendrait, selon eux, à conférer aux contractants un pouvoir de rupture unilatérale du contrat
    • Aussi, cela porterait-il directement atteinte au principe du mutus dissensus.
    • Encore un point sur lequel il appartiendra à la jurisprudence de se prononcer.

II) Les effets de la caducité

Aux termes de l’article 1187 du Code civil la caducité produit deux effets : d’une part, elle met fin au contrat et, d’autre part, elle peut donner lieu à des restitutions

==>L’anéantissement du contrat

En prévoyant que « la caducité met fin au contrat », l’article 1187 du Code civil soulève deux difficultés : la première tient à la prise d’effet de la caducité, la seconde à sa rétroactivité :

  • La prise d’effet de la caducité
    • Faut-il pour que la caducité prenne effet qu’elle soit constatée par un juge ou peut-elle être acquise de plein droit, soit par la seule prise d’initiative d’un des contractants ?
    • L’article 1187 est silencieux sur ce point.
    • Doit-on, sans ces conditions, se risquer à faire un parallèle avec la résolution ou la nullité ?
      • Si l’on tourne vers la résolution, l’article 1224 dispose que cette sanction devient efficace
        • Soit par l’application d’une clause résolutoire
        • Soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur
        • Soit d’une décision de justice
      • Si l’on se tourne vers la nullité, l’article 1178 prévoit sensiblement la même chose puisqu’elle peut
        • Soit être prononcée par le juge
        • Soit être constatée d’un commun accord par les parties
    • Manifestement, aucun texte ne paraît subordonner l’efficacité de la caducité à sa constatation par un juge
    • Aussi, le silence de l’article 1187 combiné aux dispositions qui régissent la résolution et la nullité laisse à penser que la caducité pourrait être acquise par l’effet de la seule initiative de l’une des parties, ce, à plus forte raison si elles y ont consenti d’un commun accord.
  • La rétroactivité de la caducité
    • S’il ne fait aucun doute que la caducité anéantit le contrat qu’elle affecte pour l’avenir, l’article 1187 ne dit pas s’il en va de même pour ses effets passés.
      • D’un côté, l’alinéa 1er de l’article 1187 prévoit que la caducité « met fin au contrat », de sorte que l’on pourrait être enclin à penser que seuls les effets futurs du contrat sont anéantis.
      • D’un autre côté, l’alinéa 2 de cette même disposition envisage la possibilité pour les parties de solliciter un retour au statu quo ante par le jeu des restitutions, ce qui suggérerait dès lors que la caducité puisse être assortie d’un effet rétroactif.
    • Comment comprendre l’articulation de ces deux alinéas dont il n’est pas illégitime de penser qu’ils sont porteurs du germe de la contradiction ?
    • La caducité doit-elle être assortie d’un effet rétroactif ou cette possibilité doit-elle être exclue ?
    • Pour le déterminer, revenons un instant sur la définition de la caducité.
    • Selon Gérard Cornu la caducité consisterait en l’« état de non-valeur auquel se trouve réduit un acte »[11].
    • Autrement dit, l’acte caduc est réduit à néant ; il est censé n’avoir jamais existé.
    • S’il est incontestable que l’acte caduc doit être supprimé de l’ordonnancement juridique en raison de la perte d’un élément essentiel l’empêchant de prospérer utilement, rien ne justifie pour autant qu’il fasse l’objet d’un anéantissement rétroactif.
    • Pourquoi vouloir anéantir l’acte caduc rétroactivement, soit faire comme s’il n’avait jamais existé, alors qu’il était parfaitement valable au moment de sa formation ? Cela n’a pas grand sens.
    • Dès lors qu’un acte est valablement formé, il produit des effets sur lesquels on ne doit plus pouvoir revenir, sauf à nier une situation juridiquement établie[12].
    • Au vrai, l’erreur commise par les partisans de la reconnaissance d’un effet rétroactif à la caducité vient de la confusion qui est faite entre la validité de l’acte juridique et son efficacité.
    • Ces deux questions doivent cependant être distinguées.
    • La seule condition qui doit être remplie pour qu’un acte soit valable, c’est que, tant son contenu, que ses modalités d’édiction soient conformes aux normes qui lui sont supérieures.
    • On peut en déduire que la validité d’un acte ne se confond pas avec son efficacité.
    • Si tel était le cas, cela reviendrait à remettre en cause sa validité à chaque fois que la norme dont il est porteur est violée.
    • Or comme l’a démontré Denys de Béchillon « une norme juridique ne cesse pas d’être juridique lorsqu’elle n’est pas respectée »[13].
    • L’inefficacité de l’acte caduc se distingue certes de l’hypothèse précitée en ce qu’elle est irréversible et n’a pas le même fait générateur.
    • Elle s’en rapproche néanmoins dans la mesure où, d’une part, elle s’apprécie au niveau de l’exécution de l’acte et, d’autre part, elle consiste en une inopérance de ses effets.
    • Ainsi, les conséquences que l’on peut tirer de la caducité d’un acte sont les mêmes que celles qui peuvent être déduites du non-respect d’une norme : l’inefficacité qui les atteint ne conditionne nullement leur validité.
    • D’où l’impossibilité logique d’anéantir rétroactivement l’acte ou la norme qui font l’objet de pareille inefficacité.
    • En conclusion, nous ne pensons pas qu’il faille envisager que la caducité d’un contrat puisse être assortie d’un effet rétroactif.
    • L’alinéa 2 de l’article 1187 du Code civil peut être compris comme confirmant cette thèse.
    • Il peut être déduit de l’utilisation, dans cet alinéa, du verbe « peut » et de non « doit » que le législateur a, en offrant la possibilité aux parties de solliciter des restitutions, posé une exception au principe de non-rétroactivité institué à l’alinéa 1er de l’article 1187 du Code civil.
    • Aussi, dans l’hypothèse où l’une des parties à l’acte formulerait une demande de restitutions en justice, il n’est pas à exclure que le juge, alors même qu’il constatera la caducité du contrat, ne fasse pas droit à sa demande estimant qu’il ressort de la lettre de l’article 1187 que les restitutions sont facultatives.

==>Les restitutions

Aux termes de l’article 1187 du Code civil la caducité « peut donner lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9 »

En application de ces articles, plusieurs règles doivent être observées en matière de restitutions dont les principales sont les suivantes :

  • D’abord, la restitution d’une chose autre que d’une somme d’argent a lieu en nature ou, lorsque cela est impossible, en valeur, estimée au jour de la restitution (art. 1352 C. civ.).
  • Ensuite, La restitution d’une prestation de service a lieu en valeur. Celle-ci est appréciée à la date à laquelle elle a été fournie (art. 1352-8 C. civ.).
  • Enfin, la restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée (art. 1352-3 C. civ.).
  1. V. en ce sens Y. Buffelan-Lanore, Essai sur la notion de caducité des actes juridiques en droit civil, LGDJ, 1963 ; N. Fricero-Goujon, La caducité en droit judiciaire privé : thèse Nice, 1979 ; C. Pelletier, La caducité des actes juridiques en droit privé, L’Harmattan, coll. « logiques juridiques », 2004 ; R. Chaaban, La caducité des actes juridiques, LGDJ, 2006. ?
  2. R. Perrot, « Titre exécutoire : caducité d’une ordonnance d’homologation sur la pension alimentaire », RTD Civ., 2004, p. 559. ?
  3. M.-C. Aubry, « Retour sur la caducité en matière contractuelle », RTD Civ., 2012, p. 625. ?
  4. H. roland et L. Boyer, Introduction au droit, Litec, coll. « Traités », 2002, n°02, p. 38. ?
  5. Article 1089 du Code civil. ?
  6. Article 1043 du Code civil. ?
  7. Article 1042, alinéa 1er du Code civil. ?
  8. V. Wester-Ouisse, « La caducité en matière contractuelle : une notion à réinventer », JCP G, n°, Janv. 2001, I 290. ?
  9. V. en ce sens F. Garron, La caducité du contrat : étude de droit privé, PU Aix-Marseille, 2000. ?
  10. Le régime juridique de la caducité contractuelle figure désormais aux nouveaux articles 1186 et 1187 du Code civil. ?
  11. G. Cornu, Vocabulaire juridique, Puf, 2014, V. Caducité. ?
  12. V. en ce sens A. Foriers, La caducité des obligations contractuelles par disparition d’un élément essentiel à leur formation, Bruylant, 1998, n°54 et s. ?
  13. D. de Béchillon, Qu’est-ce qu’une règle de droit ?, éd. Odile Jacob, 1997, p. 61. V. également en ce sens F. Rangeon, « Réflexions sur l’effectivité du droit » in les usages sociaux du droit, Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie, PUF, 1989, p. 130 ; P. Amselek, « Kelsen et les contradictions du positivisme », APD, 1983, n°28, p. 274. Pour la thèse opposée V. H. Kelsen, Théorie pure du droit, éd. Bruylant-LGDJ, 1999, trad. Ch. Eisenmann, p. 19 et s. ?