Le contrat d’assurance: définition

En dépit de l’encadrement normatif particulièrement dense dont il fait l’objet, le contrat d’assurance ne bénéficie, ni dans le Code des assurances, ni dans le Code civil, d’une définition légale. Cette absence n’est pas neutre : elle a laissé à la doctrine et à la jurisprudence le soin d’en fixer les contours, au prix d’approches parfois divergentes, selon que l’on se focalise sur la technique assurantielle ou sur l’instrument juridique qui la sous-tend.

Traditionnellement, le contrat d’assurance est présenté comme « la convention par laquelle un souscripteur, en contrepartie du paiement d’une prime, obtient d’un assureur la garantie d’une prestation dans l’hypothèse de la réalisation d’un risque ».

Cette définition repose sur trois éléments essentiels : un risque à couvrir, une prime versée par le souscripteur, et une prestation exécutée par l’assureur en cas de sinistre. Ces trois éléments constituent, du reste, les fondations d’une typologie classique du contrat d’assurance, à laquelle nous reviendrons dans la première partie de cette étude.

Mais cette formulation appelle plusieurs précisions. D’abord, elle ne mentionne pas la technique de mutualisation des risques, laquelle, si elle est au cœur de l’opération d’assurance, demeure extérieure à l’acte contractuel en tant que tel. La mutualisation, en effet, suppose la réunion d’une pluralité de contrats — elle est rendue possible par eux, mais ne conditionne pas leur validité. Ce constat s’illustre avec acuité dans le cas des sociétés dites « captives », qui couvrent les risques d’un seul assuré.

Ensuite, la terminologie utilisée mérite clarification. Le Code des assurances emploie fréquemment le terme d’« assuré » pour désigner le cocontractant de l’assureur (V. art. L. 113-2 C. assur.), alors que ce rôle revient, en réalité, au souscripteur ou preneur d’assurance. L’assuré, quant à lui, est celui sur qui pèse le risque, qu’il soit ou non partie au contrat — ainsi dans l’assurance pour compte.

Enfin, la définition citée met en évidence l’existence de deux obligations pesant sur l’assureur : une obligation de couverture, née dès la conclusion du contrat (ou à la date convenue de sa prise d’effet), et une obligation de règlement, conditionnée par la survenance du sinistre. Tandis que certains auteurs réduisent le contrat à cette seconde obligation, en y voyant l’unique prestation exigible, d’autres — à juste titre — insistent sur l’engagement autonome de couverture, dont l’objet est de garantir la disponibilité de la garantie pendant toute la durée du contrat.

Cette distinction rappelle la notion d’obligation de praestare, rencontrée notamment dans le contrat de vente au titre de la garantie, et invite à reconnaître que le contrat d’assurance, s’il donne lieu à l’exécution d’une obligation monétaire en cas de sinistre, est fondé plus largement sur l’engagement constant de couverture, qui en constitue l’essence même.

D’un point de vue juridique, le contrat d’assurance est un accord de volontés produisant des effets de droit. Il relève des règles générales du droit des obligations, tout en étant réglé par un droit spécial — celui du Code des assurances — empreint de considérations économiques, sociales et techniques. À la croisée du droit civil, du droit commercial et du droit administratif, le contrat d’assurance constitue un modèle juridique hybride, à la fois rigoureusement normé et profondément fonctionnel.

Cette structure complexe n’est pas nouvelle. Déjà, Pothier définissait le contrat d’assurance comme « le contrat par lequel l’un des contractants se charge du risque des cas fortuits auxquels une chose est exposée, et s’oblige envers l’autre à l’indemniser de la perte que ces cas fortuits pourraient causer, s’ils arrivent, moyennant une somme d’argent ». Cette définition, centrée sur l’assurance de choses, conserve aujourd’hui une étonnante pertinence, en ce qu’elle met en lumière les trois piliers du contrat d’assurance : le risque, la prime et la prestation.

Mais cette analyse en réduisant le contrat d’assurance à un simple rapport d’échange entre deux parties, en appauvrit la compréhension. Elle fait abstraction de ce qui en constitue l’armature véritable : sa dimension collective. Car l’assurance ne se limite pas à la relation entre un souscripteur et un assureur ; elle s’inscrit dans un dispositif solidaire, fondé sur la mutualisation des risques, dans lequel les primes versées par tous permettent l’indemnisation de quelques-uns. C’est dans cette logique de prévoyance partagée que le contrat prend tout son sens.

La doctrine contemporaine, notamment sous l’impulsion d’auteurs tels qu’Yvonne Lambert-Faivre, Jean Bigot ou Hubert Groutel, a souligné que le contrat d’assurance, en tant qu’acte juridique isolé, ne prend sens qu’au sein d’une structure plus vaste : celle de la mutualité. Il n’est pas seulement un échange de consentements, mais le rouage essentiel d’un système organisé de gestion des risques, dans lequel la prime versée par chacun finance les prestations dues à ceux qui subissent un sinistre.

Ce dépassement du cadre contractuel individuel invite à intégrer le contrat dans une perspective systémique. L’assurance est un mode de traitement collectif et rationnel de l’aléa, structuré mathématiquement, régulé juridiquement, et ancré dans une logique de prévoyance solidaire. Elle est l’antithèse d’un jeu de hasard : si elle repose sur le risque, c’est pour mieux le domestiquer, non pour le spéculer.

Ainsi définie, la notion de contrat d’assurance conduit naturellement à s’interroger sur ses éléments constitutifs, qui, pris isolément, révèlent la richesse et la technicité de l’institution assurantielle. Trois éléments méritent à cet égard une attention particulière : le risque, qui constitue l’événement incertain à l’origine du besoin de garantie ; la prime, qui représente le prix de la sécurité recherchée ; et la prestation de l’assureur, qui en constitue la contrepartie en cas de réalisation du sinistre.

L’opération d’assurance: définitions

L’assurance constitue sans doute l’une des constructions juridiques les plus originales du droit privé. Derrière la simplicité apparente du contrat d’assurance se dissimule une réalité autrement plus complexe, qui tient à sa nature double : à la fois engagement contractuel individuel et mécanisme technique collectif de traitement du risque. Cette dichotomie structurelle, déjà signalée par de nombreux auteurs, exige que l’on distingue soigneusement la définition juridique du contrat d’assurance de celle, plus englobante, de l’opération d’assurance. Loin d’être antinomiques, ces deux approches se complètent, et leur combinaison seule permet de saisir ce qu’est véritablement l’assurance dans sa fonction et dans sa portée.

I) L’assurance, en tant que contrat

D’un point de vue juridique, l’assurance prend d’abord la forme d’un contrat, c’est-à-dire d’un accord de volontés destiné à produire des effets de droit. Elle relève ainsi des principes généraux du droit des obligations, tout en étant régie par des règles spéciales, codifiées au sein du Code des assurances. Ce contrat présente une singularité structurelle : il se situe à la frontière du droit commun et d’un droit fortement technicisé, dont les sources sont à la fois civiles, commerciales, et administratives.

La doctrine s’accorde, depuis les travaux fondateurs de Pothier, à définir l’assurance comme « un contrat par lequel l’un des contractants se charge du risque des cas fortuits auxquels une chose est exposée, et s’oblige envers l’autre à l’indemniser de la perte que ces cas fortuits pourraient causer, s’ils arrivent, moyennant une somme d’argent »[1]. Cette définition, élaborée à propos de l’assurance de choses, demeure d’une étonnante modernité : elle met en lumière les trois éléments constitutifs du contrat d’assurance — le risque, la prime, et la prestation de garantie — tout en soulignant la nature synallagmatique et onéreuse de l’engagement.

Reprise et précisée par la doctrine moderne, cette définition juridique reste le point d’entrée nécessaire à toute réflexion sur l’assurance. Elle permet de situer cette institution dans l’univers des contrats aléatoires, où l’exécution dépend de la survenance d’un événement incertain. Elle confère également à l’assurance une coloration particulière : le contrat est conclu intuitu pecuniae, l’assureur étant tenu de disposer des fonds nécessaires à l’exécution de sa garantie.

Mais cette approche strictement bilatérale souffre d’un inévitable rétrécissement. Car, si l’on s’en tenait à cette seule définition, l’assurance pourrait n’apparaître que comme un pari sophistiqué entre deux individus, dont les mises respectives seraient le paiement de la prime, d’une part, et l’éventualité d’une indemnisation, d’autre part. Cette assimilation à une forme licite de jeu d’argent n’est pas purement théorique : Domat, déjà, observait dans ses Lois civiles dans leur ordre naturel (t. 1, liv. I, tit. 1, sect. 2), que « tout contrat qui dépend du hasard contient une part de jeu, même s’il sert un dessein utile »[2].

Or, réduire l’assurance à un simple jeu de hasard serait méconnaître sa nature profonde. Le contrat n’est pas un instrument de spéculation sur l’avenir : il est, au contraire, un outil de prévoyance rationnelle. Cette tension a été signalée de longue date par Toullier, qui distinguait, dans son Droit civil français, les contrats d’assurance des jeux et paris, en insistant sur l’intérêt social de la couverture assurantielle. Dans le même esprit, Aubry et Rau soulignaient que l’assurance, si elle repose sur un aléa, vise à « procurer une sécurité par l’organisation d’une prévoyance collective »[3].

La doctrine contemporaine a prolongé cette analyse. Yvonne Lambert-Faivre, suivie par Jean Bigot, insiste sur le fait que le contrat d’assurance, en tant qu’acte juridique isolé, n’est que l’une des pièces d’un édifice plus vaste : celui de la mutualité. Il ne prend sens que replacé dans l’économie générale d’une opération collective, où les primes de tous servent à indemniser les sinistres de quelques-uns. Il faut donc, selon leurs termes, dépasser l’apparence contractuelle pour considérer l’architecture technique qui la soutient.

En d’autres termes, si le contrat d’assurance est juridiquement une convention, il est fonctionnellement un rouage dans une organisation solidaire et mathématiquement structurée. Hubert Groutel rappelle que l’assurance est certes « un contrat », mais qu’elle constitue aussi et surtout « un mode de traitement du risque, dont la substance excède la forme ». Cette critique d’une approche purement juridique, qualifiée parfois de « positivisme appauvri », invite à réintégrer l’assurance dans une logique systémique : le contrat n’est que le vecteur normatif d’une technique économique, au service de la prévoyance.

Aussi est-il indispensable, pour comprendre la véritable fonction de l’assurance, de ne pas s’arrêter à la seule analyse des rapports entre l’assureur et l’assuré. Car cette relation, bien qu’essentielle à la formation du contrat, ne constitue que la manifestation ponctuelle d’un système plus vaste de gestion mutualisée des aléas. L’assurance ne saurait être comprise sans référence à cette opération, que le contrat ne fait que refléter et encadrer.

II) L’assurance, en tant qu’opération

Si le contrat constitue l’instrument juridique de l’assurance, il ne saurait à lui seul en révéler l’essence. Car l’assurance n’est pas uniquement un lien de droit unissant deux volontés ; elle est, fondamentalement, une opération de couverture collective, fondée sur un mécanisme de mutualisation des risques. Ainsi que le rappellent Hubert Groutel et Luc Mayaux, « l’assurance n’est pas seulement une convention : c’est d’abord une technique », une structure économico-statistique visant à organiser la prévoyance à grande échelle. Il importe donc, au-delà de l’analyse contractuelle, de saisir la logique opératoire dans laquelle s’inscrit tout contrat d’assurance.

Dans une formule devenue classique, Yvonne Lambert-Faivre et Laurent Leveneur définissent l’assurance, non plus en tant que contrat, mais comme « l’opération par laquelle un assureur organise en une mutualité une multitude d’assurés exposés à certains risques, et indemnise ceux d’entre eux qui subissent un sinistre, grâce à la masse commune des primes collectées »[4]. Cette définition technique, désormais consacrée par la doctrine dominante, repose sur quatre éléments indissociables : le risque, la prime, le sinistre, et surtout, la mutualité.

C’est par l’organisation de cette mutualité que l’assurance prend sa véritable dimension. En agrégeant une pluralité d’individus exposés à un aléa commun, elle transforme une incertitude individuelle en une probabilité collective. L’aléa, imprévisible à l’échelle d’un seul assuré, devient maîtrisable à celle du groupe. Ce processus de dilution du risque, décrit avec précision par François Ewald comme une « logique de redistribution assurantielle », repose sur la loi des grands nombres, qui permet d’anticiper statistiquement la fréquence et l’intensité des sinistres futurs à partir de l’observation des sinistres passés.

La prime constitue le vecteur financier de cette organisation : elle n’est pas seulement le prix d’un contrat, mais la contribution à une caisse commune, alimentée par tous, au profit de ceux qui seront atteints par le sinistre. Elle est calculée selon des règles actuarielles exigeantes, tenant compte des données statistiques disponibles, mais aussi des impératifs de rentabilité et de solvabilité de l’organisme assureur. Comme le souligne Jérôme Kullmann, cette spécificité justifie le particularisme juridique de la prime, dont le caractère divisible a été consacré en jurisprudence (v. par ex. Cass. 1re civ., 18 nov. 2003, n° 00-16.889), notamment lorsque le risque vient à disparaître en cours de contrat.

Loin d’un simple transfert, le risque est absorbé par la collectivité, via le truchement de l’assureur. Celui-ci ne se contente pas d’accompagner l’assuré : il est l’architecte d’un système d’anticipation, qui vise à convertir l’aléa en certitude financière. Il ne supprime pas le péril, mais en assure la couverture. À cet égard, l’assurance s’oppose radicalement à d’autres techniques de gestion du risque telles que l’auto-assurance, qui repose sur la seule épargne individuelle, ou encore les clauses d’exonération de responsabilité, qui neutralisent le risque juridique sans en prendre matériellement la charge.

Ce rôle de l’assureur, pivot de la mutualité, trouve sa pleine justification dans la technique actuarielle qu’il maîtrise, mais aussi dans la réglementation prudentielle à laquelle il est soumis. Car la viabilité de l’opération d’assurance dépend de l’équilibre permanent entre les engagements pris (prestations garanties) et les ressources disponibles (primes perçues). C’est dans cette optique que se développent les techniques de coassurance et de réassurance, qui étendent la logique de mutualisation au-delà d’un seul opérateur, afin de mieux répartir la charge des sinistres majeurs ou systémiques.

L’analyse technique de l’assurance impose ainsi de repenser la hiérarchie des concepts juridiques en cause : le contrat n’est plus la fin, mais le moyen, le véhicule normatif qui permet à l’opération de s’inscrire dans l’ordre juridique. Denis Mazeaud notait déjà que le droit des contrats ne pouvait tout expliquer du phénomène assurantiel, car celui-ci obéit à des logiques propres, empruntées à l’économie et aux probabilités.

Cela ne signifie pas que le contrat soit relégué à un rôle accessoire. Il demeure l’acte fondateur de l’engagement de l’assureur, et la condition de la licéité de l’opération. Sans lui, la mutualité serait dépourvue de force obligatoire. Mais, à l’inverse, le contrat sans mutualité ne serait qu’une promesse vide, incapable d’assurer une couverture réelle. Cette interdépendance explique pourquoi Jean Bigot peut affirmer que « l’assurance est le lieu d’un dialogue constant entre le droit et la technique ; et c’est de cette tension féconde que naît sa cohérence ».

En définitive, l’assurance ne peut se penser ni exclusivement en termes juridiques, ni uniquement en termes techniques. Elle est l’alliance des deux : une institution mixte, dans laquelle la convention individuelle participe d’une organisation collective, et où le droit civil rejoint l’économie pour conjurer l’incertitude.

 

 

  1. R.-J. Pothier, Traité du contrat d’assurance, 1761 ?
  2. J. Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, t. 1, liv. I, tit. 1, sect. 2. ?
  3. Ch. Aubry et Ch. Rau, Cours de droit civil, § 408. ?
  4. Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, éd. Dalloz, 2017, n°33. ?

Projet de réforme de la responsabilité civile et droit de la réparation du dommage corporel

Avis sur le projet de loi portant réforme de la responsabilité civile (13 mars 2017)

IV. – Règles particulières à la réparation des préjudices résultant d’un dommage corporel

Les travaux engagés par les rapporteurs de la mission d’information sur la responsabilité civile visent principalement à répondre à trois questions.

Les voici rappelées.

Quelles sont les innovations les plus positives ou, au contraire, les plus contestables apportées à ce projet ?

Prend-il correctement en compte l’évolution de la jurisprudence et de la doctrine ?

Comporte-t-il des dispositions qui méritent d’être améliorées ou corrigées, ou qui appellent une clarification pour éviter les difficultés d’application et d’interprétation ? Souffre-t-il de manques particuliers ?

 

A l’une des questions posées, et pour ce qui concerne spécialement les règles particulières sous étude, une réponse affirmative s’impose d’emblée. Le projet de réforme a certainement pris en compte l’évolution de la jurisprudence. Quant à la doctrine, ses travaux ont assurément inspiré les rédacteurs. En bref, le gros des dispositions est susceptible de recueillir l’assentiment de l’université, du palais et des cabinets.

Le projet, dont la mission d’information s’est pleinement saisie, compte de nombreuses innovations. C’est ce qui sera présenté d’abord.Quant aux corrections qui pourraient être apportées, elles retiendront l’attention ensuite.

1.- Les innovations du projet de réforme

Le projet de réforme de la responsabilité civile, relativement aux règles particulières à la réparation du dommage corporel, est des plus intéressants. Dans le cas particulier, et à l’exception d’une innovation plus contestable (b), il est fait d’innovations positives (a).

a.- Les innovations positives ont toutes été pensées dans un seul et même but, à savoir : garantir, autant que faire se peut, une égalité de traitement des victimes devant la loi. C’est tout à fait remarquable car, en l’état du droit positif, à atteinte en tout point semblable en fait, les intéressées ne sont pas du tout traitées de la même manière en droit. Quelles sont ces innovations ?

Ordre.- Les règles particulières à la réparation des préjudices résultant d’un dommage corporel auront vocation à s’appliquer – sans distinction aucune – aux juges, aux assureurs, aux fonds d’indemnisation (qui paient en première intention) et aux fonds de garantie (qui paient en désespoir de cause). Le principe est énoncé à l’article 1267. Il importera donc à tout un chacun de déférer au seul ordre de la loi civile. La solution a le mérite de mettre un terme aux désordres du droit, qui sont notamment provoqués par l’existence de deux ordres de juridiction et l’invention de systèmes de solutions arrêtés respectivement par le juge administrative et le juge judiciaire qui tantôt ne convergent pas tout à fait, tantôt divergent franchement.

Nomenclature.- Le projet doit encore être salué, car il transforme un essai manqué à plusieurs reprises en législation, à savoir la consécration d’une nomenclature (non limitative) des préjudices corporels (art. 1269). En vérité, la voie de l’uniformisation a d’ores et déjà été prise en pratique. On pourrait donc craindre qu’on légiférât sans grand intérêt sur le sujet. Dans la mesure toutefois où il est encore quelques désaccords sur la question, notamment entre le Conseil d’État et la Cour de cassation, la loi fera gagner en certitude.

Barémisation.- Autre motif de satisfaction : l’élaboration d’un barème médical unique et indicatif (art. 1270) en lieu et place de la myriade de référentiels qui changent du tout au tout l’évaluation qui est faite par les professionnels de santé du dommage subi. Il restera bien entendu à s’entendre sur la définition, d’une part, des atteintes organiques et fonctionnelles et, d’autre part, sur leur quantification respective. Mais, à hauteur de principe, l’article 1270 participe de l’égalité de traitement des victimes.

Référentiel.- L’élaboration d’un référentiel indicatif d’indemnisation des chefs de préjudices extra-patrimoniaux (voy par ex. le déficit fonctionnel, les souffrances endurées, le préjudice esthétique, le préjudice sexuel, etc.) doit retenir l’attention. C’est que le projet de loi, aussi innovant qu’il soit sur la question, est clivant plus sûrement encore. Ni les associations de victimes, ni les avocats de ces dernières n’y sont favorables. Et pourtant, il y a des raisons d’opiner.

Il est bien su que la monétisation de ces derniers est des plus contingentes. Dans la mesure où il n’y a aucune espèce d’équivalent envisageable, la réparation des préjudices non économiques est nécessairement arbitraire.

Le référentiel permettrait de rendre la demande en justice et/ou l’offre d’indemnisation moins fantaisiste et la décision du juge moins discrétionnaire. En outre, s’il était décidé de minorer ou majorer ce qui est ordinairement accordé dans un cas approchant, il appartiendrait aux intéressés de s’en expliquer. Enfin, et c’est plus volontiers d’économie du droit dont il est question, le dispositif devrait participer à réduire la variance du risque de responsabilité et, partant, à diminuer (au moins théoriquement) les primes et cotisations appelées par les organismes d’assurance.

Indexation.- L’indexation de la rente indemnitaire (art. 1272, al. 1er) et l’actualisation du barème de capitalisation (art. 1272, al. 2) sont de graves questions. Il importait que le législateur s’en saisissent. C’est du reste une réforme qui est appelée des vœux de toutes les personnes intéressées par la compensation du dommage corporel. C’est que, en l’état du droit positif, le juge est purement et simplement abandonné à prendre une décision parmi les plus importantes qui soit en la matière (v. infra).

Remboursement.- Pour terminer sur ces innovations positives, il faut dire un mot de la réforme du recours des tiers payeurs (art. 1273-1277). Les dispositions sont parmi les plus techniques qui soient. Il importe de retenir – c’est l’essentiel – qu’à la faveur du projet, les caisses de sécurité sociale seront mieux loties qu’elles ne le sont aujourd’hui tandis que la solidarité nationale sera moins sollicitée.

Il importe également de signaler à la mission d’information que l’article 1276 devrait faire l’objet d’une vive opposition de la part des associations de victimes et des avocats défenseurs des intérêts de ces dernières. La raison tient à ceci que la correction opérée par le projet aura nécessairement pour effet de réduire quelque peu les dommages et intérêts compensatoires.

En l’état du droit positif, lorsque les caisses poursuivent le tiers responsable du dommage causé à un assuré social pour obtenir le remboursement de leurs débours, elles entrent possiblement en concours avec la victime qui, de son côté, a engagé une action aux fins d’indemnisation complémentaire. Le concours d’actions (action en remboursement vs action en indemnisation) est source d’un conflit que le droit résout au profit exclusif de la victime, qui est systématiquement préférée aux tiers payeurs alors pourtant qu’elle a pu (pour prendre un exemple typique) commettre une faute à l’origine de son dommage.

Le législateur gagnerait donc à maintenir l’article 1276, car la victime est équitablement lotie et la caisse justement remboursée.

b.- Aux nombres des règles particulières à la réparation du préjudice résultant d’un dommage corporel, le projet renferme une innovation plus contestable.

L’article 1233-1 dispose que la victime, qui est le siège d’une atteinte à son intégrité physique, est fondée à obtenir réparation sur le fondement des seules règles de la responsabilité extracontractuelle, alors même que le dommage serait causé à l’occasion de l’exécution d’un contrat.

Intention.- Techniquement, la règle paralyse, d’une part, le jeu d’une clause qui aurait pour objet ou pour effet de minorer voire d’exclure la réparation (garantie de la réparation). La règle interdit, d’autre part, la découverte d’une obligation (par ex. d’information ou de sécurité) dont l’inexécution consommée assurerait un fondement commode à la condamnation du débiteur au paiement de dommages et intérêts (sécurité juridique). Fondamentalement, la règle se réclame d’une sentence prononcée par un éminent auteur, à savoir que ce serait « artifice que de faire entrer [dans le contrat] des bras cassés et des morts d’homme ; les tragédies sont de la compétence des articles 1382 et suivants » (Jean Carbonnier). En outre, c’est une proposition qui a été faite en son temps par le projet Terré.

Raison(s).- Aussi fructueuse qu’elle puisse paraître de prime abord, cette disposition préliminaire doit être écartée. Il y a deux raisons à cela. Elles sont d’inégale valeur.

D’abord, elle porte peu à conséquence, car la réparation ne peut être limitée ou exclue par contrat en cas de dommage corporel (art. 1281, al. 2). Ensuite, et surtout, il existe toute une série de situations dans lesquelles le contractant encourt un risque spécifique du fait du contrat, notamment en cas de prestations de transport, de prestations sportives, de prestations ludiques impliquant un dynamisme propre ou encore de prestations médicales. Or, la volonté d’interdire au juge qu’il ne force le contrat (au point de le gauchir purement et simplement) priverait les personnes concernées de la liberté d’aménager les modalités de la réparation.

C’est la raison pour laquelle il sera recommandé que cette disposition soit supprimée.

C’est le seul point d’achoppement qui a été relevé. Le reste des dispositions projetées est de bonne facture. Ce n’est pas à dire toutefois qu’il ne faille pas ici ou là apporter quelques corrections au projet de réforme de la responsabilité civile.

2.- Les corrections du projet de réforme

La considération du législateur et du juge pour la nature corporelle du dommage est en définitive assez récente. Il faut bien voir que jusqu’à l’insertion des articles 16 et suivants dans le Code civil en 1994 (qui renferment les règles relatives au respect du corps humain), l’homme n’est que pur esprit. Et le Code civil de 1804 de repousser toute hiérarchisation des intérêts protégés. Pour le dire autrement, tous les dommages se valent ; ils ont une égale vocation à la réparation.

Le temps a depuis fait son œuvre. La réparation du dommage corporel a été érigée en impératif catégorique.

Le projet de réforme de la responsabilité civile en porte distinctement la marque. Relativement aux règles particulières à la réparation des préjudices résultant d’un dommage corporel, et sous réserve des quelques corrections qui pourraient être faites, le projet est de la belle ouvrage.

Art. 1254.- L’alinéa 2 de l’article mériterait d’être modifié. Il est prévu que seule une faute lourde (une négligence d’une extrême gravité, « rare sottise » a pu dire en son temps la Cour de cassation) de la victime d’un dommage corporel pourrait entraîner l’exonération partielle du responsable. C’est une faveur trop grande. Il apparaît pour le moins sévère de faire supporter au défendeur à l’action en réparation, et à son assureur de responsabilité civile, les conséquences de la faute de la victime alors pourtant que cette dernière a contribué de façon patente à la réalisation du dommage. Il y a plus.

Il faut bien voir que l’assureur de responsabilité civile sur qui, par hypothèse, le poids de la réparation va être déplacé ne s’est engagé qu’à une chose : protéger le patrimoine du responsable contre une aggravation du passif (constituée par la dette de dommages et intérêts). Ce serait un tort de penser qu’il est censé couvrir le sinistre tel un assureur de personnes. C’est pourtant à une cette conséquence qu’on parvient de proche en proche. En empêchant la victime d’une faute lourde d’être complètement indemnisée du tort subi, le législateur pourrait passer pour sévère.

Cela étant, que le droit considère plus volontiers l’affliction de toute personne atteinte dans son intégrité corporelle est une chose ; elle est acquise. Que le droit exonère en revanche la victime de toute responsabilité en est une autre ; c’est plus douteux. Il ne s’agirait pas que les règles particulières sous étude dispensent tout un chacun de sa responsabilité individuelle, qui consiste : i.- à prévenir autant que faire se peut la survenance du dommage corporel ; ii.- à souscrire autant que de besoin une assurance de personnes (voy. par ex. la garantie accident de la vie) pour le cas où ce dernier dommage se réaliserait.

Art. 1268.- L’incidence de l’état antérieur de la victime (c’est-à-dire la situation dans laquelle elle se trouvait avant que l’événement dommageable ne lui préjudicie) est réglementée. Ce faisant, le projet conforte une jurisprudence qui considère que le droit à réparation ne saurait être réduit par des prédispositions pathologiques lorsque l’affection qui en résulte n’a été révélée ou provoquée que par le fait de l’accident ou de l’infraction.

Il est regrettable toutefois que l’article 1268 n’ait pas réglementé un cas particulier, qui est source d’une grande confusion en pratique : celui du fait dommage qui transforme radicalement (ou sans commune mesure) l’invalidité préexistante et qui impose, par voie de conséquence, en équité, l’indemnisation de l’entier dommage subi.

C’est pourtant un cas de figure qui n’est pas exceptionnel en pratique et qui est très mal connu et/ou compris par les professionnels de santé nommés aux fins d’expertise (amiable ou judiciaire).

On proposera donc les modifications suivantes : al. 1 : « Les préjudices doivent être appréciés sans qu’il soit tenu compte d’éventuelles prédispositions de la victime lorsque l’affection qui en est issue n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable  » ; al. 2 : « Il en va de même lorsque lesdits préjudices ont transformé radicalement la nature de l’invalidité ».

Art. 1270.- L’élaboration d’un barème médical unique et indicatif est une nécessité en la matière. Une fois encore, ce dispositif participe de l’égalité de traitement des victimes. À l’expérience, les médecins et chirurgiens experts se représentent plus volontiers la « barémisation » tel un dispositif impératif. Ce qui est une erreur en droit ; c’est purement indicatif. Prescrire qu’il importe de déterminer les modalités d’élaboration, de révision et de publication apparaît donc tout aussi nécessaire.

Ceci étant dit, une difficulté n’est pas réglée par le texte. Elle a trait au déficit fonctionnel, qui ne reçoit aucune définition. De prime abord, la chose est entendue. Et pourtant, la victime peut tout à fait être le siège d’une atteinte organique et ne subir aucun retentissement fonctionnel.

Un exemple concret permettra de s’en convaincre. Une personne ingère un médicament des années durant. À l’analyse, le principe actif se révèle valvulotoxique. Les examens échographiques attestent que l’intéressée est victime d’une valvulopathie médicamenteuse. Par chance, elle n’a aucun déficit fonctionnel. Le risque que sa situation ne s’aggrave est certes plus grand. En droit, son angoisse peut assurément être indemnisée. Mais, sauf ce dernier chef de préjudice, la victime subit un dommage (c’est à dire une atteinte contemporaine de la prise de médicament) sans aucune espèce de conséquence (c’est à dire sans préjudice juridiquement réparable). Si la distinction dommage corporel / préjudices est volontiers reçue par les juristes, il n’en va nécessairement de même des professionnels de santé dont l’expertise est requise auxquels le texte s’adresse plus volontiers. On proposera donc de compléter le texte à leur attention, en précisant que le déficit fonctionnel mesure le retentissement préjudiciable subi .

Article 1270 : Sauf disposition particulière, le déficit fonctionnel, qui mesure le retentissement physiologique et situationnel préjudiciable d’une atteinte organique, est évalué selon un barème médical unique, indicatif, dont les modalités d’élaboration, de révision et de publication sont déterminées par voie réglementaire.

Article 1271. – L’élaboration d’un référentiel indicatif d’indemnisation aux fins d’évaluation des chefs de préjudices extrapatrimoniaux est une bonne chose. Cette disposition participe tout aussi certainement que les articles 1269 et 1270 de l’égalité de traitement des victimes. Ce n’est pas le seul avantage qui pourrait être retiré du texte. On peut augurer une minoration de la variance du risque de responsabilité et, partant, une réduction théorique des primes et cotisations. Au reste, et cela emporte tout autant sinon plus, la demande en justice et l’offre d’indemnisation pourront passer pour moins fantaisistes tandis que la décision du juge pourra sembler moins discrétionnaire (encore qu’il soit tenu par le principe dispositif). C’est qu’un tel référentiel supposera expliquée la raison pour laquelle la victime se verra allouer plus ou moins de dommages et intérêts en comparaison avec ce qui est ordinairement accordé.

On regrettera toutefois que la base de donnée ne rassemble que les décisions définitives rendues par les cours d’appel en matière d’indemnisation du dommage corporel des victimes d’un accident de la circulation. On gagnerait à recenser toutes les décisions rendues par les juges judiciaires et administratifs, comme du reste toutes les offres d’indemnisation adressées aux victimes par les fonds de garantie et d’indemnisation.

On proposera donc de corriger l’article 1271 en supprimant a minima les mots « victimes d’un accident de la circulation ».

Article 1272. – C’est de l’indexation de la rente (art. 1272, al. 1er) et de table de capitalisation (art. 1272, al. 2) dont il est question.

L’indexation de la rente indemnitaire est une nécessité, particulièrement en période d’inflation. L’article 1272 a donc le mérite de garantir un service utile des prestations (de survie) à terme. Il y a plus. Il généralise un dispositif pratiqué jusqu’à présent dans le seul droit des accidents de la circulation. Un cadre serait ainsi donné. C’est au passage une réforme qui est appelée des vœux de toutes les personnes intéressées par la compensation du dommage corporel.

Une remarque critique sera toutefois faite quant au choix de l’indice de référence. Sur la forme, le projet de réforme prescrit d’avoir égard à l’évolution du salaire minimum. Une précision s’impose. S’agit-il d’indexer la rente indemnitaire sur le salaire minimum interprofessionnel de croissance ou bien le calcul doit-il être fait sur la base des revenus professionnels (nets de cotisations sociales) du crédirentier ? Dans la mesure où l’indice est fixé par voie réglementaire, la première branche de l’option s’impose manifestement. L’article 1272 gagnerait toutefois à être complété en conséquence.

Quant à la table de capitalisation, il faut saluer que le législateur se saisisse de la question et n’abandonne plus le juge à une si lourde responsabilité (v. supra). Des arrêts récents rendus dans le courant de l’année par la Cour de cassation attestent l’acuité de la problématique. Et déjà en 2002, le rapport de la commission du Conseil national d’aide aux victimes concluait à la nécessité impérative de publier un barème de capitalisation actualisé. Plus concrètement, la question se pose de savoir s’il importe de prendre en compte l’inflation future dans la base de calcul. Il importe d’avoir à l’esprit que les assureurs sont hostiles. On peut leur accorder qu’une estimation à long terme de ladite inflation est pour le moins divinatoire. Ceci étant dit, l’absence de toute prise en compte serait susceptible de conduire à des résultats plus fâcheux encore, les fluctuations de la monnaie pouvant empêcher la victime de remployer utilement les dommages et intérêts compensatoires alloués. Aussi, et parce que la loi doit être féconde en conséquences, il ne semble pas déraisonnable d’inviter le législateur à se prononcer sur ce point.

Synthèse des propositions de corrections

Art. 1254 : « Le manquement de la victime à ses obligations contractuelles, sa faute ou celle d’une personne dont elle doit répondre sont partiellement exonératoires lorsqu’ils ont contribué à la réalisation du dommage. En cas de dommage corporel, seule une faute lourde peut entraîner l’exonération partielle. »

Art. 1268, al. 1 : « Les préjudices doivent être appréciés sans qu’il soit tenu compte d’éventuelles prédispositions de la victime lorsque l’affection qui en est issue n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable. » Al. 2 : « Il en va de même lorsque lesdits préjudices ont transformé radicalement la nature de l’invalidité. »

Article 1270 : « Sauf disposition particulière, le déficit fonctionnel après consolidation, qui mesure le retentissement physiologique et situationnel préjudiciable d’une atteinte organique, est mesuré selon un barème médical unique, indicatif, dont les modalités d’élaboration, de révision et de publication sont déterminées par voie réglementaire. »

Article 1271 : « Un décret en Conseil d’État fixe les postes de préjudices extra-patrimoniaux qui peuvent être évalués selon un référentiel indicatif d’indemnisation, dont il détermine les modalités d’élaboration et de publication. Ce référentiel est réévalué tous les trois ans en fonction de l’évolution de la moyenne des indemnités accordées par les juridictions. A cette fin, une base de données rassemble sous le contrôle de l’État et dans des conditions définies par décret en Conseil d’État, les décisions définitives rendues par les cours d’appel en matière d’indemnisation du dommage corporel des victimes d’un accident de la circulation. »

Article 1272 : «  L’indemnisation due au titre de la perte de gains professionnels, de la perte de revenus des proches ou de l’assistance d’une tierce personne a lieu en principe sous forme d’une rente. Celle-ci est indexée sur un indice fixé par voie réglementaire et lié à l’évolution du salaire minimum interprofessionnel de croissance. Avec l’accord des parties, ou sur décision spécialement motivée, la rente peut être convertie en capital selon une table déterminée par voie réglementaire fondée sur un taux d’intérêt prenant en compte l’inflation prévisible et actualisée tous les trois ans suivant les dernières évaluations statistiques de l’espérance de vie publiées par l’Institut national des statistiques et des études économiques. Lorsqu’une rente a été allouée conventionnellement ou judiciairement en réparation de préjudices futurs, le crédirentier peut, si sa situation personnelle le justifie, demander que les arrérages à échoir soient remplacés en tout ou partie par un capital, suivant la table de conversion visée à l’alinéa précédent. »

Traces écrit et droit

Traces écrit et droit. Voilà un ternaire intéressant à interroger. C’est à l’occasion d’un colloque international et pluridisciplinaire consacré aux “Traces et écritures” qu’il a été jugé raisonnable par les organisatrices de convoquer un juriste. Voici quelques premières pistes de réflexion.

1.- L’écrit

Le droit est langage. Et comme n’importe quel langage, il est indéterminé par nature. Je veux dire par là qu’il est susceptible de revêtir plusieurs sens. C’est une expérience que tout lecteur du droit a très sûrement eue. Plusieurs sens possibles donc aucun en particulier. C’est une difficulté bien connue en science du langage – écrit – tout particulièrement. C’est du reste pour cette raison qu’ont été inventés les émoticônes ou emojis, qui illustrent le propos, le contextualisent, pour clarifier le message. Que l’émetteur et le récepteur, qui échangent à l’écrit (qui sont donc absents par définition) ne se comprennent pas bien ; cela peut être embêtant. Mais que la loi ne soit pas comprise, c’est autrement plus fâcheux. C’est que le législateur (ou le rédacteur d’un contrat qui n’est autre que la loi des parties en fin de compte) ne prend pas la parole ou la plume pour papoter. Il la prend pour ordonner, permettre, défendre, annoncer des récompenses ou bien des peines. Fort heureusement, la majorité des dispositions légales se suffisent à elles-mêmes. Seulement voilà, il arrive que les choses se compliquent sacrément. Et c’est très précisément sur cet exercice que les apprentis juristes et les juniors buttent.

L’énoncé et la règle. Aussi clair soit le texte de loi sous étude, il peut arriver qu’il soit vieilli, dépassé, en contradiction avec d’autres dispositions, contraire à des considérations plus impérieuses. Dans un tel cas de figure, l’application de la règle ne s’impose pas ou plus avec évidence. D’aucuns seront tentés de rétorquer : dura lex sed lex. Seulement voilà : chaque fois que le sens clair d’un écrit contredit la finalité de l’institution qu’il est censé servir, ou heurte l’équité, ou conduit à des conséquences socialement inadmissibles, l’interprétation s’impose (summum ius, summum injuria). Comble de droit, comble d’injustice dit l’antique adage en réponse.

Une seconde difficulté guète le juriste, qui peut se cumuler du reste avec la première que je viens de décrire.

Il arrive que la règle de droit soit susceptible de plusieurs sens. Prenons un exemple élémentaire. Le code de procédure civile dispose que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Le législateur ne saurait être plus explicite. Une question se pose pourtant : est-ce une faculté ou bien au contraire une obligation ? Le juge doit-il trancher en droit ou bien a-t-il toute latitude pour se prononcer en équité ? L’emploi de l’indicatif instille le doute pour celui qui n’a pas été initié au droit et à sa grammaire normative. Dans un tel cas de figure, assez simple celui-ci en vérité, il échoit à la personne en charge de l’application de la règle de rechercher quelle a été l’intention du locuteur.

Ce travail de recherche, qui tourne assez souvent à la fouille archéologique, consiste plus concrètement à interpréter la norme juridique. Et c’est là que le risque est grand que le récepteur-interprète substitue purement et simplement l’idée qu’il se fait de la réglementation applicable à celle de l’émetteur, qu’il commette une erreur d’analyse des dessous de l’affaire.

L’interprétation ou la maïeutique. Voilà livré en quelques mots et esquissé sommairement l’art des juristes… L’exercice ne saurait jamais être affaire de caprice ni d’inspiration créatrice loufoque. Le juriste ne saurait être un apprenti-sorcier qui déchaîne des conséquences désordonnées et imprévues pour avoir ignoré la dépendance et l’insertion de la règle de droit dans son contexte. En bref, on ne peut s’y prendre n’importe comment au risque de réécrire purement et simplement la règle sous étude et de lui faire dire n’importe quoi. Discerner le sens véritable d’un texte obscur suppose donc rigueur et méthode. Et il en faut une belle quantité car il ne s’agit pas moins que de remonter le temps pour revenir sur la trace que l’auteur de la règle sur le point d’être interprétée a laissée en préparant sa loi.

2.- La trace

Les travaux préparatoires et la règle. Revenir sur la trace que l’auteur a laissée en prenant la plume, cela consiste à entamer une étude systématique des travaux préparatoires qui ont présidé à l’édiction de la règle. La pertinence de la démarche est néanmoins suspendue à la réunion de plusieurs conditions.

En premier lieu, il importe que les travaux fassent encore sens, que l’écoulement du temps ne les ait pas trop déqualifiés. Dans un tel cas de figure, il ne serait pas de bonne méthode de se livrer à une savante exégèse. Voilà l’une des leçons parmi les plus difficiles qu’il échoit aux professeurs de droit de donner à leurs étudiants. A l’étude de la lettre et à l’analyse grammaticale du texte, il faut savoir opter pour une variante plus subjective de type téléologique, qui recommande de prendre en compte l’économie générale de loi, sa finalité au-delà du libellé, son contexte historique, social entre autres considérations. L’esprit plus que la lettre en somme.

Mais une autre condition à l’étude des travaux préparatoires doit encore être satisfaite et ce avant même de s’interroger sur la question de déterminer quelle méthode d’interprétation pratiquer. C’est qu’il faut encore que l’interprète de la loi ait matière à travailler. Or, il peut arriver qu’il n’y ait pour ainsi dire pas d’écrit du tout : que rien n’ait été rédigé, que les travaux aient été bâclés ou bien qu’ils aient été purement et simplement égarés…

On a ainsi perdu des siècles durant la trace du droit romain (- 450 avant JC). Il faudra attendre le XIIe siècle pour retrouver la loi des XII tables qui est un ensemble de lois au fondement du droit romain dont la gravure sur des plaques de bronze a été imposée par la plèbe pour prévenir une application erratique et discrétionnaire des règles par les magistrats. Droit romain dont certaines figures juridiques de la législation civile sont encore directement inspirées.

Le dépôt et la Rome antique. Permettez-moi d’illustrer le propos. Et de vous montrer combien l’étude du seul droit positif (droit applicable à un moment donné sur un territoire considéré) est bien insuffisante pour donner à la règle prescrite tout son sens et sa portée.

Il est dit dans le code civil à propos du très ordinaire contrat de dépôt que le dépositaire (celui dans les mains duquel on remet une chose – par exemple l’adorable animal de compagnie (ou les enfants) qu’on dépose chez ses charmants beaux-parents pour partir en w.end) doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu’il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent. Comprenons bien la prescription : si le dépositaire n’est absolument pas soigneux et abime par exemple la chose qui a été remise entre ses mains (qu’il laisse dépérir la pauvre bête par ex.), on appréciera sa faute relativement à la manière dont d’ordinaire il prend soin de ses affaires. Autant dire que le droit n’est pas sévère du tout. Pourquoi cela ? Eh bien parce qu’à Rome (on est en – 450 avant JC), dont ce contrat est tout droit issu, le dépôt est tout bonnement un service d’ami… Et que si une faute a été commise dans cette affaire…c’est d’avoir choisi le mauvais dépositaire (culpa in eligendo).

Sans l’étude par les étudiants de cette trace laissée par le droit romain, l’application de l’article 1927 du code civil est dénuée de sens commun. Et il y a possiblement pire dans le cas particulier. Car si aucune preuve écrite n’a été faite de la nature du contrat conclu, il pourrait être soutenu que la chose a été remise non pas pour être restituée comme convenu mais bien plutôt en guise de cadeau. On n’est donc pas prêt de récupérer le petit chien.

L’écrit et la rançon des droits. Où l’on constate à nouveau combien l’écrit est déterminant en la matière. Car ne pas avoir de droit du tout ou bien ne pas réussir à prouver son existence c’est égal en vérité. En bref et pour bien comprendre : la preuve est la rançon des droits (Jhering). C’est la raison pour laquelle l’écrit occupe une place à nulle autre pareille dans le système juridique. Les codes renferment de nombreux articles à ce sujet, qui pallient justement l’impossibilité de rédiger un écrit. C’est bien de trace dont il est question. L’écrit est exigé pour faire la preuve de ses allégations (c’est la fonction probatoire). Il l’est encore et bien plus sûrement en pratique pour rappeler aux parties concernées les obligations souscrites (c’est la fonction mémoire).

L’acte authentique dressé par un officier public ministériel, qui constate la vente d’une maison, est un exemple tout trouvé. En raison de l’importance des obligations souscrites et des droits accordés par les parties au contrat, les notaires ont l’obligation de conserver 75 années les actes qu’ils ont instrumentés (art. 1 ord. N° 45-2590 du 2 nov. 1945 rel. au statut du notariat) avant de les verser aux archives publiques (art. R. 212-15 c. patrim.). J’ai par exemple sur mon bureau un testament mystique (i.e. qui n’a jamais été ouvert) daté de 1763. En disant cela, je me demande si un système d’information pourra rouvrir un fichier vieux de + 260 années…

La trace des travaux préparatoires laissées par les législateurs (et les juristes plus généralement) doit systématiquement être recherchées par le juge. Pourquoi cela. Eh bien parce qu’on prétend (à tort ou à raison) que ce dernier a un devoir de loyauté envers la loi dont il est le serviteur en quelque sorte. Parce que la justice est rendue au nom du peuple français, il importe que le groupe social accepte le jugement. La rationalité de la décision est nécessaire mais pas suffisante. Il faut encore qu’elle soit acceptable. Pour susciter une adhésion personnelle des parties et de toutes les personnes concernées par le litige (concordia discordantium), le juge doit certainement chercher à convaincre (c’est la raison) ; il doit surtout s’employer à persuader (c’est le cœur). La connaissance et l’étude analytique des travaux préparatoires sont de nature à éclairer l’interprète sur les intentions du législateur, qui est source des règles juridiques, et à prévenir toute application discrétionnaire ou erratique du droit.

Vous penserez peut-être mais comment se fait-il que le législateur n’ait pas été invité à préciser le sens de la règle qu’il a édictée ? L’histoire du droit renseigne que cela a été essayé tout le temps qu’a duré le droit révolutionnaire (1789-1804). A l’expérience, le remède s’est avéré pire que le mal.

Depuis lors, il a été décidé que l’office de la loi serait de fixer, par de grandes vues, les maximes générales du droit, d’établir des principes féconds en conséquence, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière. Charge au magistrat et au jurisconsulte, pénétrés de l’esprit général des lois, à en diriger l’application (Portalis, Discours préliminaire sur le projet de code civil).

Voilà l’épreuve la plus difficile à surmonter pour les étudiants et les juristes juniors qui ont vocation à être en première intention juges de l’application des règles de droit. Épreuve à la préparation de laquelle il faut des heures et des heures de leçon et cours magistraux dispensés par les maîtres à leurs élèves.

(Communication faite lors du colloque international “Traces et écritures”, Université de Lorraine, sept. 2024)

Attribution préférentielle: modalités de mise en oeuvre

L’attribution préférentielle constitue une modalité particulière du partage, permettant à un indivisaire de se voir attribuer, à titre exclusif, un bien indivis moyennant, le cas échéant, le versement d’une soulte. Ce mécanisme, conçu pour préserver l’unité de certains éléments patrimoniaux et garantir une répartition cohérente des biens, repose sur des critères strictement encadrés par le droit positif.

Toutefois, son exercice ne relève pas d’une simple faculté discrétionnaire. Il s’inscrit dans un cadre procédural rigoureux, où la compétence juridictionnelle, les formes de la demande et les conditions de recevabilité obéissent à des principes spécifiques. En particulier, la nature du bien concerné et la qualité du demandeur influencent tant la recevabilité de la prétention que son issue contentieuse.

A) L’exercice de la demande d’attribution préférentielle

1. Modalités de présentation de la demande

a. Compétence

L’attribution préférentielle, en tant que modalité d’allotissement d’un bien indivis, relève en principe du juge du partage. Toutefois, cette règle générale connaît une exception en matière de liquidation du régime matrimonial. En effet, lorsque l’attribution préférentielle porte sur un bien commun ou indivis entre époux après dissolution du mariage, la compétence juridictionnelle est spécifique et a donné lieu à un contentieux récurrent, notamment sur la question de savoir si elle relève du juge du divorce ou du juge chargé du partage définitif.

La Cour de cassation a clairement établi que, dans le cadre de la dissolution du régime matrimonial, la demande d’attribution préférentielle relève de la compétence exclusive du juge aux affaires familiales (JAF). Cette orientation jurisprudentielle repose sur la logique selon laquelle la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux ou ex-époux sont indissociables du contentieux du divorce. Plusieurs arrêts ont consacré cette approche (V. par ex. Cass. 2e, 22 mars 2005, n° 03-20.728).

Avant la réforme de 2004, l’article 264-1 du Code civil imposait déjà au juge du divorce de se prononcer sur les conséquences patrimoniales du divorce, y compris l’attribution préférentielle. La loi du 26 mai 2004 a clarifié ce point en intégrant ces prérogatives dans l’article 267 du Code civil, qui dispose que le juge du divorce est compétent pour trancher toute contestation relative à la liquidation et au partage des intérêts patrimoniaux des époux.

Depuis l’entrée en vigueur de la réforme, le 1er janvier 2005, c’est donc toujours le juge du divorce qui statue sur l’attribution préférentielle lorsqu’elle concerne un bien dépendant du patrimoine des époux. Cette compétence a d’ailleurs été confirmée par des décisions ultérieures, notamment en matière de liquidation de régimes matrimoniaux complexes ou en présence d’une indivision postérieure au divorce (Cass. 1ère civ., 30 janv. 2019, n°18-14.150).

L’enjeu principal réside dans le fait que la demande d’attribution préférentielle peut être formulée dès la phase du divorce. Dans un arrêt du 28 juin 2005, la Cour de cassation a ainsi jugé que le juge du divorce, saisi d’une demande d’attribution préférentielle, ne saurait en différer l’examen au motif que des éléments relatifs à la valeur des biens ou à un projet de partage feraient défaut (Cass. 1ère civ., 28 juin 2005, n°04-13.663). En l’espèce, la cour d’appel de Lyon avait rejeté la demande d’attribution préférentielle du domicile conjugal présentée par le mari, considérant qu’il était prématuré de statuer en l’absence de telles données et que la question pourrait être abordée plus tard, lors de la liquidation de la communauté.

La Cour de cassation a censuré ce raisonnement, en rappelant que, conformément à l’article 264-1 du Code civil alors applicable, le juge qui prononce le divorce doit, à cette occasion, ordonner la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des époux et, le cas échéant, statuer sur les demandes d’attribution préférentielle. Dès lors, en subordonnant l’examen de cette demande à une étape ultérieure du processus liquidatif, la cour d’appel a méconnu cette obligation légale et violé le texte susvisé.

Par cette décision, la Haute juridiction réaffirme que le juge aux affaires familiales, lorsqu’il est saisi dans le cadre du divorce, doit trancher sans attendre les questions relatives à l’attribution préférentielle, sans pouvoir se retrancher derrière l’absence d’évaluation du bien ou l’inexistence d’un projet de partage. 

La compétence du JAF en matière de liquidation ne se limite pas au cadre du mariage dissous. Il peut également statuer sur les opérations de partage des partenaires de PACS ou des concubins, en vertu de l’article L. 213-3 du Code de l’organisation judiciaire. Ainsi, le partage des intérêts patrimoniaux des couples, qu’ils soient mariés ou non, relève de cette juridiction lorsqu’une indivision est en cause.

b. Forme de la demande

Aucune disposition ne vient encadrer de manière impérative la forme de la demande d’attribution préférentielle. Celle-ci peut être formulée dans un écrit soigneusement rédigé ou simplement résulter d’une manifestation de volonté au cours d’une instance. Cette liberté procédurale s’explique par la finalité même de l’attribution préférentielle, laquelle constitue un mécanisme d’allotissement permettant d’assurer une répartition harmonieuse des biens indivis.

Toutefois, bien que non soumise à des règles de forme, la demande d’attribution préférentielle gagnera à être exprimée par acte écrit afin de garantir la clarté de son objet et de ses implications. A cet égard, elle peut être sollicitée aussi bien dans un partage amiable que dans un partage judiciaire, chacun de ces contextes impliquant des modalités spécifiques.

Dans le cadre d’un partage amiable, la demande est le plus souvent formalisée dans la convention conclue entre les copartageants. L’article 838 du Code civil prévoit d’ailleurs la possibilité d’un partage partiel, autorisant ainsi un accord limité à un bien ou à plusieurs biens faisant l’objet d’une attribution préférentielle, sans pour autant affecter l’intégralité de la masse successorale. Cette souplesse permet aux indivisaires d’organiser librement la répartition des biens et d’éviter ainsi les aléas d’un partage contentieux.

Dans le cadre d’un partage judiciaire, la demande peut être introduite dès l’assignation en partage ou être formulée postérieurement, au fil de l’instance. Elle peut également être portée devant le notaire commis pour conduire les opérations de liquidation, dès lors que le jugement ayant ordonné le partage ne s’y oppose pas expressément. La jurisprudence est venue consacrer cette latitude, admettant que la demande d’attribution préférentielle demeure recevable tant que le partage n’a pas été définitivement arrêté et homologué.

c. Moment de la demande

L’attribution préférentielle constitue un mode d’allotissement qui permet à un indivisaire d’obtenir l’attribution d’un bien indivis en contrepartie d’une indemnité compensatrice versée aux autres coindivisaires. En raison de sa nature, elle bénéficie d’une grande souplesse quant au moment où elle peut être sollicitée. Toutefois, cette liberté trouve des limites, notamment lorsque l’autorité de la chose jugée vient faire obstacle à une demande tardive.

==>Principe

Aucun délai légal n’est fixé pour introduire une demande d’attribution préférentielle. Dès l’ouverture de l’indivision, l’indivisaire qui souhaite bénéficier de cette prérogative peut en faire la demande sans être contraint par une forclusion. Cette souplesse découle de la nature même de l’attribution préférentielle, qui constitue un mode d’allotissement et non une remise en cause du partage lui-même.

Dans un arrêt du 8 mars 1983, la Cour de cassation a ainsi affirmé que l’attribution préférentielle, en tant que « procédé d’allotissement qui met fin à l’indivision, peut être demandée tant que le partage n’a pas été ordonné, selon une autre modalité incompatible, par une décision judiciaire devenue irrévocable » (Cass. 1ère civ., 8 mars 1983, n°82-10.721).

La jurisprudence admet ainsi, de manière constante, que la demande d’attribution préférentielle peut être introduite à divers stades de la procédure, tant que le partage n’a pas conféré à un bien une attribution définitive et exclusive (Cass. 1re civ., 5 nov. 1952).

  • Dès l’ouverture de l’indivision
    • L’attribution préférentielle, en tant que procédé d’allotissement permettant à un indivisaire d’obtenir la propriété exclusive d’un bien moyennant indemnisation de ses co-indivisaires, peut être sollicitée dès l’instant où l’indivision prend naissance. 
    • Aucun délai impératif ne vient restreindre son exercice, et l’indivisaire peut en formuler la demande sans attendre l’ouverture d’une procédure de partage. 
    • L’indivision se constitue dès l’instant où plusieurs personnes deviennent propriétaires d’un même bien sans que leurs quotes-parts respectives ne soient matériellement individualisées. 
    • Cette situation peut découler d’une succession, d’une dissolution de communauté conjugale, d’un achat en indivision ou encore d’un démembrement de propriété. 
    • Dès que l’indivision existe, l’indivisaire remplissant les conditions légales peut exprimer son intention d’obtenir l’attribution préférentielle d’un bien déterminé. 
    • Ce droit ne nécessite aucun formalisme particulier et peut être exercé avant même que ne soit engagée une instance en partage. 
    • Cette absence de contrainte a été confirmée par la jurisprudence, qui reconnaît que la demande peut être présentée tant qu’un partage consommé n’a pas opéré des attributions définitives de propriété (Cass. 1re civ., 5 nov. 1952).
    • L’indivisaire peut faire connaître son souhait d’obtenir l’attribution préférentielle sans attendre l’engagement d’une procédure de partage.
    • Dans le cadre d’un partage amiable, cette demande peut être exprimée lors des discussions entre indivisaires et intégrée à la convention de partage. 
    • Il est également possible de l’inclure dès l’assignation en partage lorsqu’une procédure judiciaire est engagée. 
    • En tout état de cause, tant qu’aucun partage définitif n’a été arrêté, l’indivisaire conserve la faculté de demander l’attribution préférentielle du bien convoité.
  • Avant le jugement ordonnant le partage
    • L’attribution préférentielle peut être sollicitée indépendamment de toute instance en partage. 
    • L’indivisaire désireux d’obtenir la propriété exclusive d’un bien indivis n’a pas l’obligation d’attendre qu’une demande en partage soit introduite pour faire valoir son droit. Il peut ainsi agir de manière autonome en sollicitant directement l’attribution préférentielle devant le juge compétent. 
    • Cette possibilité s’explique par la nature même de l’attribution préférentielle, qui ne s’oppose pas au principe du partage mais en constitue une modalité particulière de réalisation. 
    • Dès lors, elle peut être demandée avant que ne soit engagée une procédure de partage, sans que son exercice ne dépende de la volonté des autres indivisaires.
    • Lorsque l’indivisaire souhaite initier une procédure de partage, il peut également formuler sa demande d’attribution préférentielle dans l’assignation. 
    • Cette voie permet d’éviter toute contestation ultérieure et de garantir une prise en compte immédiate de sa demande lors des opérations de liquidation. 
    • La jurisprudence a admis cette possibilité en affirmant que l’attribution préférentielle pouvait être sollicitée dès la saisine du juge compétent (Cass. 1ère , 19 déc. 1977, n°74-14.297). 
    • Peu importe, à cet égard, que d’autres indivisaires formulent également des demandes concurrentes : l’attribution préférentielle, en tant que procédé d’allotissement, doit être examinée en fonction des conditions légales et des intérêts en présence, sans être conditionnée par l’absence d’opposition des co-indivisaires.
  • Après le jugement ordonnant le partage
    • Le jugement ordonnant le partage n’a pas pour effet d’éteindre la possibilité pour un indivisaire de solliciter l’attribution préférentielle. 
    • En effet, l’attribution préférentielle n’est pas une contestation du partage lui-même, mais une modalité d’allotissement qui vise à permettre la sortie de l’indivision dans des conditions favorisant la conservation de certains biens par des indivisaires ayant un intérêt particulier à les obtenir.
    • Dès lors, une fois le partage ordonné judiciairement, l’indivisaire conserve la faculté de présenter une demande d’attribution préférentielle au cours des opérations de liquidation-partage, tant que le partage n’a pas atteint un caractère définitif. Cette demande peut être introduite devant le notaire commis pour procéder aux opérations de répartition des biens.
    • La jurisprudence reconnaît d’ailleurs expressément cette possibilité, considérant que l’attribution préférentielle n’est qu’un mode particulier d’allotissement qui ne saurait être écarté tant que l’état liquidatif n’a pas été homologué (Cass. 1ère civ., 8 mars 1983, n°82-10.721).
    • Ainsi, tant que les opérations de partage ne sont pas clôturées par une décision définitive ou un accord irrévocable entre les parties, la demande demeure recevable.
    • Par ailleurs, la Cour de cassation a eu l’occasion de censurer des décisions ayant rejeté une demande d’attribution préférentielle au seul motif que le partage avait été ordonné. Elle a rappelé que la demande d’attribution ne saurait être écartée dès lors qu’aucune décision irrévocable n’a fixé de manière définitive la répartition des biens entre les copartageants (V. par ex. Cass. civ. 1ère, 9 janv. 2008, n°06-20.167). 
    • Dès lors, un indivisaire peut encore solliciter une telle attribution devant le notaire ou devant le juge du partage tant que la liquidation n’est pas homologuée, sauf disposition expresse contraire contenue dans la décision ordonnant le partage.
    • Enfin, il convient de souligner que la seule passivité d’un héritier ou d’un indivisaire ne saurait être assimilée à une renonciation tacite au bénéfice de l’attribution préférentielle, sauf s’il ressort de manière claire et non équivoque de son comportement une intention manifeste de ne pas exercer ce droit.
    • Cette souplesse procédurale, qui trouve son fondement dans la volonté du législateur de préserver les intérêts des copartageants, explique pourquoi l’attribution préférentielle demeure ouverte tant que le partage n’a pas été définitivement arrêté.
  • En cause d’appel
    • L’attribution préférentielle peut être sollicitée pour la première fois en cause d’appel, dès lors qu’elle se rattache aux bases mêmes de la liquidation et qu’elle constitue une modalité de répartition des biens indivis. 
    • La Cour de cassation admet ainsi que cette demande revêt le caractère d’une défense au fond, ce qui la rend recevable même en seconde instance, tant que le partage n’a pas été ordonné selon une modalité incompatible par une décision judiciaire devenue irrévocable (Cass. 1ère civ. 1re, 10 mars 1971, n°69-12.132).
    • Ce principe repose sur la nature même de l’attribution préférentielle, qui constitue un procédé d’allotissement permettant d’assurer une répartition cohérente et équitable des biens indivis.
    • La Cour de cassation a ainsi affirmé que l’attribution préférentielle peut être demandée tant que le partage n’a pas été définitivement consommé et que l’affectation des biens reste juridiquement réversible (Cass. 1ère civ., 30 avr. 2014, n° 13-12.346).
    • Cette faculté s’étend notamment aux hypothèses de divorce, dans lesquelles l’un des époux peut former une demande d’attribution préférentielle en appel tant que le jugement de divorce n’a pas acquis force de chose jugée. 
    • Cette solution repose sur une analyse pragmatique de la situation des parties et vise à éviter que la dissolution du lien matrimonial ne fasse obstacle à un partage équitable des biens indivis. 
    • La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a ainsi jugé qu’une telle demande pouvait être présentée pour la première fois en appel, l’attribution préférentielle étant un accessoire de la demande en divorce (Cass. 2e civ., 5 juin 2003, n° 01-13.510).
    • De manière générale, la jurisprudence se montre indulgente à l’égard des demandes tardives d’attribution préférentielle, dès lors qu’elles tendent à éviter une licitation et qu’elles permettent une meilleure adéquation entre les intérêts des indivisaires et la structure du partage.
    • Ainsi, une cour d’appel a admis qu’une demande d’attribution préférentielle puisse être présentée en seconde instance, même si elle retardait le règlement du partage, considérant que celui-ci restait préférable à une vente judiciaire des biens indivis (CA Reims, 7 sept. 2006, n° 04/02427).

==>Limites

Si l’attribution préférentielle peut être sollicitée tant que le partage n’a pas acquis un caractère définitif, elle ne saurait, en revanche, remettre en cause une décision juridictionnelle passée en force de chose jugée ni modifier un partage amiable dûment conclu entre les indivisaires. 

  • Les décisions ayant acquis l’autorité de la chose jugée
    • L’attribution préférentielle, en tant que modalité du partage, ne peut être exercée si une décision juridictionnelle irrévocable a définitivement fixé la répartition des biens indivis. 
    • La Cour de cassation a, en ce sens, jugé qu’une licitation ordonnée par une décision ayant acquis force de chose jugée exclut toute possibilité ultérieure pour un indivisaire de revendiquer le bien à titre d’attribution préférentielle (Cass. 1ère civ., 19 nov. 1968). 
    • La logique sous-jacente repose sur le principe selon lequel une décision de justice définitive ne peut être remise en question que dans les cas strictement encadrés par la loi, notamment par l’exercice des voies de recours extraordinaires.
    • De la même manière, lorsque l’attribution préférentielle a été définitivement accordée à un indivisaire, elle devient intangible. 
    • La contestation ultérieure de l’état liquidatif établi sur cette base est irrecevable, sauf erreur manifeste ou fraude, qui demeurent des hypothèses exceptionnelles. 
    • Cette solution repose sur l’exigence d’irrévocabilité des décisions de justice : une fois que le droit de propriété d’un bien a été attribué à un indivisaire par une décision définitive, il ne peut être remis en cause, sauf accord de toutes les parties concernées ou révocation du jugement dans le cadre des voies de rétractation prévues par le Code de procédure civile.
    • Plus largement, dans un arrêt du 9 mars 1971 la Cour de cassation a affirmé avec force le principe selon lequel une demande d’attribution préférentielle ne peut être accueillie lorsqu’une décision irrévocable a ordonné une licitation du bien indivis (Cass. 1ère civ., 9 mars 1971, n°70-10.072).
    • En l’espèce, une héritière sollicitait l’attribution préférentielle d’un appartement après le décès du de cujus, alors même qu’un jugement antérieur, rendu le 6 avril 1967, avait ordonné la licitation de ce bien dans le cadre des opérations de liquidation et de partage de la succession.
    • Soutenant que cette décision n’avait qu’un caractère interlocutoire et ne constituait pas un jugement définitif, la demanderesse estimait qu’elle demeurait recevable à solliciter l’attribution préférentielle du bien.
    • Toutefois, la Cour d’appel de Paris avait rejeté cette demande en considérant que la licitation d’un bien, une fois ordonnée par une décision juridictionnelle devenue irrévocable, constituait une modalité de partage incompatible avec une attribution préférentielle ultérieure.
    • Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation valide cette analyse et confirme la solution retenue par les juges du fond. 
    • Elle affirme que « la licitation constitue une modalité de partage incompatible avec l’attribution préférentielle ; que dès lors que la licitation d’un immeuble a été ordonnée par une précédente décision devenue irrévocable, un tribunal ne peut, sans méconnaître l’autorité de la chose jugée, prononcer l’attribution préférentielle du même bien indivis. »
    • Par cette décision, la Haute juridiction consacre une règle cardinale en matière de partage: une fois que le juge a statué de manière définitive sur la répartition d’un bien selon une modalité spécifique — en l’occurrence la licitation —, toute demande ultérieure d’attribution préférentielle est nécessairement irrecevable, sous peine de porter atteinte à l’autorité de la chose jugée.
  • Les conventions de partage amiable
    • Le partage amiable constitue une alternative à l’intervention du juge dans la répartition des biens indivis.
    • Lorsqu’il est adopté par les copartageants, il s’impose à eux et devient irrévocable dès sa formalisation, sous réserve des règles propres aux contrats.
    • En conséquence, une convention de partage amiable qui règle expressément le sort d’un bien susceptible d’attribution préférentielle ne peut être remise en cause de manière unilatérale par l’un des indivisaires.
    • Cette limitation trouve son fondement dans le respect du principe de force obligatoire des conventions, consacré par l’article 1103 du Code civil, selon lequel les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
    • Par conséquent, un indivisaire ayant accepté un partage amiable ne peut ultérieurement solliciter une attribution préférentielle sur un bien qui aurait été attribué à un autre copartageant, sauf à obtenir l’accord unanime des parties pour modifier la répartition initialement convenue.
    • En ce sens, la Cour de cassation a confirmé que la destination d’un bien convenue dans un partage amiable ne pouvait être unilatéralement modifiée par l’un des copartageants, que ce soit pour revendiquer une attribution préférentielle ou pour renoncer à celle précédemment accordée (Cass. 1ère civ., 10 mars 1969).
    • Il en résulte que, sauf vices affectant la convention (erreur, dol, violence), le partage amiable demeure intangible et bloque toute demande ultérieure d’attribution préférentielle qui viendrait perturber la répartition des biens opérée par l’accord des parties.

2. La faculté de renoncer à l’attribution préférentielle

Si l’attribution préférentielle constitue un droit offert à certains indivisaires pour préserver la cohésion patrimoniale et éviter la dispersion des biens dans le cadre d’un partage, elle ne revêt aucun caractère impératif. Son bénéficiaire peut ainsi y renoncer, sous réserve que ni une décision judiciaire irrévocable, ni une convention ne l’en empêchent. Toutefois, cette faculté n’est pas sans limites et demeure soumise à des conditions strictes.

==>Les conditions d’exercice de la faculté de renonciation

Le principe est clair: la renonciation à l’attribution préférentielle est admise, sauf obstacle tenant à une décision de justice passée en force de chose jugée ou à une stipulation contractuelle. Toutefois, fidèle à la règle selon laquelle les renonciations ne se présument pas, la jurisprudence a adopté une approche particulièrement restrictive quant aux circonstances pouvant révéler une volonté non équivoque d’y renoncer.

La Cour de cassation exige que la renonciation soit manifeste et sans équivoque, et ne saurait admettre qu’elle résulte d’un simple comportement passif ou d’une omission dans la procédure. Ainsi, la participation à un partage provisionnel, la demande d’une licitation ou encore la sollicitation d’une expertise pour déterminer la possibilité d’un partage en nature ne suffisent pas à caractériser une renonciation tacite (Cass. civ., 5 avr. 1952).

Dans une affaire où un héritier, après avoir sollicité une expertise sur la possibilité d’un partage en nature, avait ultérieurement demandé l’attribution préférentielle d’un bien, la Cour de cassation a censuré l’arrêt d’appel qui avait conclu à une renonciation implicite, estimant qu’une telle démarche ne traduisait pas nécessairement une volonté de renoncer à son droit (Cass. 1re civ., 6 mars 1961).

De manière plus générale, la jurisprudence admet que l’indivisaire conserve la faculté de solliciter l’attribution préférentielle tant qu’aucun partage définitif n’a été réalisé. Ainsi, même si un accord prévoyant une attribution avait été conclu entre héritiers, la Cour de cassation considère que cette entente ne saurait suffire à démontrer une renonciation définitive, dès lors que l’accord n’a pas été exécuté et que l’indivisaire continue d’agir en vue d’obtenir l’attribution (Cass. 1re civ., 5 juill. 1977, n° 75-13.762).

Toutefois, en application de l’article 753, alinéa 3 du Code de procédure civile, la renonciation peut être déduite du fait qu’une partie ne réitère pas sa demande d’attribution préférentielle dans ses conclusions récapitulatives. Ainsi, une cour d’appel a pu juger qu’une demande non reprise dans ces écritures ne pouvait être reformulée en appel (CA Reims, 28 avr. 2005, n° 04/00334).

==>Le moment d’exercice de la faculté de renonciation

Initialement, la jurisprudence considérait que la renonciation était recevable tant que l’attribution préférentielle n’avait pas été reconnue par une décision passée en force de chose jugée. Ainsi, un indivisaire ayant obtenu l’attribution en première instance pouvait encore y renoncer en cause d’appel (Cass. 1re civ., 17 juin 1970,n°68-13.762). À l’inverse, une renonciation postérieure à un jugement irrévocable n’était pas admise (Cass. 1re civ., 10 mars 1969).

Toutefois, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en admettant que l’indivisaire pouvait renoncer à l’attribution préférentielle tant que le partage définitif n’était pas intervenu. L’argument avancé repose sur le fait que le jugement accordant l’attribution ne transfère pas immédiatement la propriété du bien, sauf s’il est intégré dans un état liquidatif homologué (Cass. 1re civ., 11 juin 1996, n°94-16.608). Ce raisonnement, dicté par des considérations pratiques, permet aux indivisaires de se délier lorsque des circonstances nouvelles (problèmes financiers, évolution du marché immobilier, changement de situation personnelle) rendent l’attribution inopportune. Cette solution a été confirmée par plusieurs décisions ultérieures (Cass. 1re civ., 23 oct. 2013, n° 12-18.170).

Cependant, la doctrine a exprimé des critiques à l’encontre de cette flexibilité, estimant qu’elle favorisait des stratégies opportunistes et contribuait à retarder la finalisation des partages. Pour pallier cet inconvénient, la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 a introduit une restriction au droit de renonciation. Désormais, l’article 834 du Code civil dispose que le bénéficiaire d’une attribution préférentielle ne peut y renoncer qu’à la condition que la valeur du bien ait augmenté de plus du quart entre la date de l’attribution et celle du partage définitif, indépendamment de son fait personnel. Cette règle vise à éviter que les indivisaires ne fassent usage de l’attribution préférentielle comme d’un simple droit d’option, qu’ils pourraient exercer ou abandonner en fonction de l’évolution du marché immobilier.

Néanmoins, un tempérament subsiste. La Cour de cassation a jugé que si la décision octroyant l’attribution n’avait pas encore acquis force de chose jugée, la renonciation demeurait possible en dehors des conditions strictes posées par l’article 834 (Cass. 1re civ., 29 mai 2019, n°18-18.823). En d’autres termes, un appel suspend l’irrévocabilité de l’attribution, permettant ainsi au bénéficiaire de se délier librement tant que l’arrêt définitif n’est pas intervenu.

==>Exclusion conventionnelle de la faculté de renonciation

Il convient de rappeler que l’attribution préférentielle n’étant pas d’ordre public, elle peut être écartée par convention. Ainsi, un indivisaire peut être contractuellement privé de ce droit par une stipulation testamentaire du de cujus, une clause du contrat de mariage ou une disposition statutaire régissant une société dans laquelle le bien est détenu en indivision. Par ailleurs, une convention de partage amiable entre les indivisaires peut également faire obstacle à toute revendication ultérieure d’attribution préférentielle, à moins que l’ensemble des parties ne consente à une modification de l’accord initial.

Cependant, les clauses insérées dans une convention d’indivision doivent respecter les limites posées par le Code civil. L’article 1873-13 énonce notamment que les stipulations prévoyant qu’un indivisaire survivant pourra se voir attribuer la quote-part du défunt ne peuvent préjudicier aux règles d’attribution préférentielle fixées par les articles 831 et suivants du Code civil.

B) Le traitement par le juge des demandes d’attribution préférentielle

1. La décision du juge en présence d’une demande unique d’attribution préférentielle

L’attribution préférentielle constitue une modalité particulière du partage, permettant à un indivisaire de se voir attribuer certains biens sous réserve du respect des conditions légales. Selon qu’elle est de droit ou facultative, l’étendue du pouvoir du juge varie considérablement : tandis que dans le premier cas, il se borne à vérifier l’application stricte des textes, dans le second, il dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation, guidé par l’équilibre du partage et la prise en compte des intérêts en présence.

a. L’attribution préférentielle de droit

Dans certaines hypothèses limitativement énumérées par la loi, l’attribution préférentielle s’impose au juge dès lors que les conditions légales sont réunies. Dans ces cas, il ne dispose d’aucune latitude d’appréciation et ne peut refuser l’attribution au motif qu’elle ne serait pas opportune ou qu’elle porterait atteinte à un équilibre patrimonial souhaitable. Son rôle se borne alors à vérifier que le demandeur satisfait aux critères légaux, à défaut de quoi sa décision pourrait être censurée par la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 7 nov. 2012, n° 11-16.164).

Trois grandes catégories d’attribution préférentielle de droit sont aujourd’hui reconnues par le Code civil :

  • L’attribution préférentielle des exploitations agricoles de petite et moyenne taille
    • L’article 832 du Code civil prévoit l’attribution préférentielle de droit au profit de l’indivisaire participant activement à l’exploitation. 
    • Ce dispositif vise à garantir la pérennité de ces exploitations en empêchant leur morcellement lors du partage.
    • La participation effective à l’exploitation constitue un critère déterminant, dont l’appréciation peut donner lieu à contestation.
    • La Cour de cassation a ainsi censuré une décision qui avait refusé l’attribution à un indivisaire remplissant pourtant les conditions légales (Cass. 1re civ., 20 oct. 2010, n° 09-67.029).
  • L’attribution préférentielle en vue de la constitution d’un groupement foncier agricole
    • L’article 832-1 du Code civil prévoit l’attribution préférentielle en faveur d’un ou plusieurs indivisaires souhaitant conserver les biens indivis sous la forme d’un groupement foncier agricole. 
    • Cette disposition, introduite pour encourager la transmission du patrimoine agricole et favoriser la continuité des exploitations familiales, permet une gestion collective du bien tout en évitant la dispersion des actifs.
    • Le juge doit alors s’assurer que le projet de groupement foncier répond bien aux critères légaux, notamment en ce qui concerne les intentions déclarées des indivisaires et leur engagement effectif dans cette démarche.
  • L’attribution préférentielle du local d’habitation du défunt, des meubles le garnissant et du véhicule
    • L’article 831-2, alinéa 1er, du Code civil accorde de plein droit au conjoint survivant l’attribution du logement du défunt, des meubles qui le garnissent et du véhicule de celui-ci. 
    • Ce dispositif vise à protéger le cadre de vie du conjoint survivant, en lui permettant de conserver un bien dont il avait l’usage avant le décès.
    • Depuis la loi du 23 juin 2006, cette attribution est également ouverte au partenaire pacsé survivant, à condition que le défunt l’ait expressément prévu dans son testament (C. civ., art. 515-6, al. 2).
    • Le juge doit ainsi vérifier l’existence de cette disposition testamentaire avant de prononcer l’attribution.

Si le juge ne peut refuser l’attribution préférentielle pour des raisons tenant à l’opportunité, son rôle reste essentiel dans la vérification des conditions légales. Il doit notamment s’assurer :

  • Que le demandeur remplit les conditions de qualité requises (statut d’indivisaire, lien avec le défunt ou avec l’exploitation agricole) ;
  • Que les conditions matérielles de l’attribution sont satisfaites, notamment la participation effective à l’exploitation en cas d’attribution d’une entreprise agricole ou la résidence principale dans un logement (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-16.246).

L’attribution préférentielle ne peut être accordée que si ces conditions sont réunies. À défaut, le juge doit motiver son refus de manière précise, faute de quoi sa décision encourt la cassation. Ainsi, une cour d’appel qui rejette une demande sans examiner si le demandeur a effectivement exploité le bien agricole excède ses pouvoirs et commet une erreur de droit (Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-16.246).

Si l’attribution préférentielle de droit s’impose lorsque les conditions légales sont remplies, elle peut néanmoins donner lieu à des contestations de la part des autres indivisaires, qui peuvent remettre en cause :

  • La qualité du demandeur : certains coïndivisaires peuvent soutenir que celui-ci ne remplit pas les conditions requises pour bénéficier de l’attribution ;
  • La satisfaction des critères matériels : notamment, la contestation peut porter sur l’absence de résidence effective dans le logement concerné, ou encore sur le fait que l’exploitation agricole ne serait pas réellement gérée par l’indivisaire demandeur.

Dans ces hypothèses, le juge doit apprécier les éléments de preuve fournis par les parties, tout en respectant le principe du contradictoire. Toute décision accordant ou refusant l’attribution doit être motivée par des éléments objectifs et vérifiables.

L’exigence de rigueur procédurale s’applique également en cas de pluralité de demandes concurrentes. Lorsqu’il existe plusieurs demandeurs répondant aux conditions légales, le juge ne peut pas refuser l’attribution au motif que les biens devraient être partagés autrement, mais doit déterminer lequel des demandeurs est le plus apte à en bénéficier (Cass. 1re civ., 20 oct. 2010, n° 09-67.029).

En tout état de cause, toute décision doit être clairement motivée. Une motivation insuffisante expose la décision à la cassation, notamment lorsque :

b. L’attribution préférentielle facultative

À l’inverse de l’attribution préférentielle de droit, qui s’impose au juge dès lors que les conditions légales sont réunies, l’attribution facultative repose sur une évaluation discrétionnaire du magistrat. Celui-ci doit se prononcer en tenant compte des intérêts en présence, de l’équilibre du partage et des conséquences patrimoniales de sa décision.

Dans ce cadre, le simple fait que le demandeur remplisse les conditions légales ne suffit pas à emporter nécessairement la décision en sa faveur. Le juge peut refuser l’attribution si celle-ci compromet un équilibre patrimonial essentiel, si elle est de nature à léser les autres indivisaires, ou si elle ne sert pas l’objectif fondamental du partage (Cass. 1re civ., 13 févr. 2019, n° 18-14.580).

Parmi les biens pouvant faire l’objet d’une attribution préférentielle facultative figurent notamment les entreprises, les locaux d’habitation ou professionnels, le mobilier qui les garnit ainsi que certains droits au bail. Dans chacun de ces cas, le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation, bien que celui-ci soit encadré par des principes directeurs, garantis par la jurisprudence.

==>Les critères essentiels d’appréciation du juge

Lorsque le juge est saisi d’une demande d’attribution préférentielle facultative, son appréciation est essentiellement guidée par trois critères:

  • L’aptitude du demandeur à gérer le bien attribué
    • L’attribution préférentielle suppose que l’indivisaire demandeur soit en mesure d’assurer la gestion, l’entretien ou l’exploitation du bien concerné. 
    • À défaut, l’attribution peut être refusée pour éviter qu’un bien ne se retrouve entre les mains d’un indivisaire incapable d’en assurer la conservation ou la valorisation.
    • Ainsi, la Cour de cassation a validé le rejet d’une attribution portant sur un fonds de commerce, au motif que le demandeur, en raison de son âge avancé et de son état de santé, n’était plus en mesure d’assurer une gestion efficace du fonds (Cass. 1re civ., 27 oct. 1971, n°70-10.125).
    • De même, l’attribution d’un château a pu être refusée lorsqu’il a été démontré que le demandeur n’avait aucun projet d’entretien ou d’exploitation viable et qu’il poursuivait l’unique objectif de revendre le bien en réalisant une plus-value (TGI Paris, 13 nov. 1970).
    • Ce critère est particulièrement déterminant lorsque le bien objet de l’attribution revêt une valeur patrimoniale ou économique significative.
    • Il appartient alors au juge de s’assurer que le demandeur est en mesure d’assumer la charge effective du bien avant d’accorder l’attribution.
  • La solvabilité du demandeur et la capacité à régler la soulte
    • L’un des motifs les plus fréquents de rejet d’une attribution préférentielle repose sur l’incapacité du demandeur à s’acquitter de la soulte due aux autres indivisaires.
    • L’attribution préférentielle ne saurait avoir pour effet de léser les autres indivisaires en leur imposant un déséquilibre financier excessif ou un retard dans l’exécution du partage.
    • La jurisprudence a ainsi validé de nombreux refus fondés sur la situation financière du demandeur, notamment lorsque son impécuniosité était susceptible de porter atteinte aux droits des coïndivisaires (Cass. 1re civ., 21 sept. 2005, n° 02-20.287).
    • Toutefois, un rejet sur ce fondement suppose un examen minutieux des ressources du demandeur. 
    • En effet, la Cour de cassation a sanctionné plusieurs décisions ayant refusé une attribution sans rechercher si le demandeur pouvait compenser l’impossibilité de régler immédiatement la soulte par d’autres moyens financiers (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n° 06-10.034).
    • L’appréciation du juge doit ainsi être équilibrée et ne pas se limiter à un simple constat d’insolvabilité : il lui appartient d’examiner si des solutions de financement existent et si elles sont de nature à garantir le respect des droits des coïndivisaires.
  • L’incidence de l’attribution sur les autres indivisaires
    • L’attribution préférentielle ne doit pas aboutir à un déséquilibre excessif du partage.
    • En particulier, lorsque le bien concerné représente la majeure partie de l’actif indivis, la licitation peut apparaître plus appropriée afin d’assurer une répartition plus équitable entre les indivisaires (Cass. 1re civ., 2 juin 1970).
    • Dans le cadre des partages successoraux ou consécutifs à un divorce, les intérêts familiaux entrent également en ligne de compte.
    • Par exemple, l’attribution préférentielle d’un logement est fréquemment accordée au conjoint ayant la garde des enfants, afin d’assurer leur stabilité résidentielle. 
    • Toutefois, cette attribution ne saurait être automatique et ne doit pas léser les droits de l’autre époux (Cass. 1re civ., 26 juin 2013, n° 12-11.818).
    • De même, lorsqu’un bien indivis présente une importance stratégique pour plusieurs indivisaires, le juge doit trancher en prenant en compte les conséquences économiques et patrimoniales de son attribution.
    • Il doit donc rechercher la solution la plus équilibrée pour éviter toute atteinte disproportionnée aux intérêts des autres parties.

==>Le contrôle exercé par la Cour de cassation

Bien que le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation en matière d’attribution préférentielle facultative, il demeure astreint à une obligation de motivation rigoureuse.

En effet, toute décision prononçant ou refusant une attribution doit être expressément motivée, faute de quoi elle encourt le risque d’une censure par la Cour de cassation.

Ainsi, un refus fondé sur l’absence d’une estimation récente du bien a été censuré, la Haute juridiction ayant considéré que ce critère était sans incidence sur le principe même de l’attribution (Cass. 1re civ., 16 mars 2016, n° 15-14.822).

De même, un refus motivé par le montant supposé excessif de la soulte doit faire l’objet d’une analyse détaillée des capacités financières du demandeur. À défaut, la décision sera cassée pour défaut de base légale (Cass. 1re civ., 11 avr. 1995, n° 93-14.461).

Enfin, le respect du principe du contradictoire est impératif. Toute décision rejetant une demande d’attribution pour absence de justification financière sans avoir permis au demandeur de s’expliquer est annulée pour violation de l’article 16 du Code de procédure civile (Cass. 1re civ., 28 janv. 2009, n° 07-22.006).

2. La décision du juge en présence de demandes concurrentes d’attribution préférentielle

Lorsqu’un bien indivis fait l’objet de plusieurs demandes d’attribution préférentielle, le juge ne peut se contenter d’une appréciation binaire consistant à accorder ou refuser la demande. Contrairement à l’hypothèse d’une demande unique, où il lui appartient de vérifier la réunion des conditions légales et d’évaluer l’opportunité de l’attribution, la présence de demandes concurrentes l’oblige à procéder à un choix parmi les postulants.

Ce choix ne saurait être laissé à une libre appréciation du magistrat sans cadre défini: l’article 832-3 du Code civil impose un raisonnement en trois temps.

  • En premier lieu, le juge doit se laisser guider par les critères légaux, qui constituent le fondement même du droit à l’attribution préférentielle et limitent son pouvoir discrétionnaire.
  • En deuxième lieu, lorsque plusieurs postulants remplissent les conditions légales, il doit examiner les intérêts en présence, afin de privilégier la solution la plus conforme aux impératifs du partage et de la préservation du bien.
  • En dernier lieu, en cas d’impossibilité de départager les prétendants, il peut opter pour des solutions intermédiaires, telles que l’attribution conjointe ou la licitation du bien.

a. L’examen des critères légaux

L’article 832-3 du Code civil impose au juge, en présence de demandes concurrentes d’attribution préférentielle, de tenir compte de l’aptitude des postulants à gérer le bien en cause et à s’y maintenir. Ce critère général s’applique à l’ensemble des attributions préférentielles, qu’elles portent sur des exploitations agricoles, des fonds de commerce, des locaux professionnels ou d’habitation.

Toutefois, lorsque l’attribution préférentielle porte sur une entreprise, qu’elle soit agricole, commerciale, artisanale ou libérale, le texte précise que le tribunal doit accorder une attention particulière à la durée de la participation personnelle du postulant à l’activité concernée. Cette exigence vise à garantir que l’attributaire désigné soit en mesure d’assurer la continuité et la viabilité de l’entreprise, évitant ainsi des décisions qui compromettraient son exploitation future.

==>L’aptitude générale à gérer les biens en cause et à s’y maintenir

L’attribution préférentielle d’un bien indivis repose sur une exigence essentielle : le postulant doit être en mesure d’assurer une gestion pérenne et efficace du bien concerné. Cette aptitude, qui conditionne le succès de la demande, s’évalue au regard de plusieurs éléments, notamment l’expérience antérieure du demandeur et sa capacité effective à maintenir l’exploitation du bien attribué.

  • L’expérience passée comme présomption d’aptitude à la gestion
    • L’un des principes directeurs en matière d’attribution préférentielle repose sur l’idée qu’un indivisaire ayant fait preuve d’une implication active et constante dans l’exploitation du bien indivis présente les meilleures garanties pour en assurer la pérennité. 
    • Il s’agit d’un critère objectif, destiné à favoriser la continuité de l’exploitation et à éviter toute rupture brutale susceptible de nuire à la valorisation du bien.
    • Dans son appréciation, le juge accorde une importance décisive à l’historique de gestion du postulant, recherchant ainsi celui dont l’engagement passé atteste d’une capacité éprouvée à poursuivre l’exploitation avec sérieux et compétence. 
    • La jurisprudence a d’ailleurs consacré ce critère en relevant que la participation prolongée et constante à la gestion d’un bien indivis constitue un élément discriminant lorsqu’il existe plusieurs demandes concurrentes.
    • Ainsi, en matière agricole, lorsqu’une exploitation était revendiquée par plusieurs indivisaires, la préférence a été donnée à celui dont l’implication était la plus ancienne et continue, la cour ayant estimé qu’il présentait les meilleures garanties de gestion et de préservation de l’intégrité de l’exploitation (CA Pau, 28 févr. 2005, n° 03/02292). 
    • Ce raisonnement repose sur une logique de stabilité et de préservation de l’unité économique du bien, qui justifie l’exclusion des postulants dont l’investissement a été plus intermittent ou secondaire.
    • Un raisonnement similaire prévaut en matière commerciale : lorsqu’un fonds de commerce exploité en indivision fait l’objet de demandes concurrentes, la jurisprudence privilégie le postulant ayant démontré une gestion rigoureuse et continue de l’activité. 
    • En effet, la constance dans l’exploitation d’un commerce constitue un indicateur fort de la capacité du demandeur à assurer la viabilité de l’entreprise.
    • Toutefois, cette présomption d’aptitude à la gestion n’est pas irréfragable. 
    • Elle peut être écartée si des éléments objectifs viennent infirmer la capacité du demandeur à assurer une gestion efficace et pérenne.
    • L’expérience passée doit donc être mise en balance avec l’aptitude actuelle du postulant à poursuivre l’exploitation du bien.
    • C’est précisément ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt récent portant sur l’attribution préférentielle d’une exploitation agricole.
    • Dans cette affaire, plusieurs indivisaires revendiquaient des parcelles agricoles.
    • La Cour d’appel avait attribué ces parcelles à l’un des demandeurs en raison de la continuité de son activité d’agriculteur, tandis que l’autre postulant ne justifiait plus de l’exercice effectif de cette activité. 
    • En validant cette décision, la Cour de cassation a consacré le principe selon lequel la simple implication passée ne suffit pas à justifier une attribution préférentielle si le demandeur n’est plus en mesure d’assurer l’exploitation du bien (Cass.. 1re civ., 28 janv. 2015, n° 13-20.701).
    • Ce raisonnement s’applique à d’autres types de biens indivis, notamment en matière commerciale : lorsqu’un commerce est revendiqué par plusieurs indivisaires, le juge ne se limite pas à constater l’ancienneté de l’investissement du demandeur, mais vérifie également sa capacité à poursuivre l’exploitation de manière efficace.
    • Ainsi, une absence d’activité récente, un état de santé dégradé ou une situation financière instable peuvent conduire à écarter un postulant, même s’il a longtemps participé à l’exploitation du bien.
  • La proximité avec le bien comme facteur déterminant
    • Au-delà de l’engagement passé, la localisation du postulant par rapport au bien objet de l’attribution constitue un critère d’appréciation particulièrement pertinent.
    • Une gestion efficace suppose en effet une présence physique et une implication constante, de sorte qu’un indivisaire résidant sur place et assurant un suivi régulier du bien indivis offrira de meilleures garanties qu’un coïndivisaire vivant à distance et dans l’incapacité d’assurer un contrôle direct et immédiat.
    • Cette exigence de proximité géographique revêt une importance particulière en matière agricole, où la continuité de l’exploitation repose sur une présence effective du gestionnaire.
    • La jurisprudence illustre cette approche en reconnaissant l’avantage de l’indivisaire qui, par son maintien sur le domaine, garantit la gestion stable et la valorisation durable du bien.
    • Ainsi, dans un arrêt du 25 février 1997, la Cour de cassation a validé l’attribution préférentielle d’une exploitation agricole au bénéfice du demandeur demeuré sur place, qui avait poursuivi l’exploitation d’une partie du domaine familial après le décès de sa mère (Cass. 1re civ, 25 févr. 1997, n° 94-19.068).
    • À l’inverse, sa sœur, qui avait quitté la propriété plusieurs années auparavant pour s’installer à Paris, a vu sa demande rejetée.
    • Si cette dernière avait bien participé à l’exploitation avant son départ, son éloignement prolongé et la cessation de toute activité sur le domaine ont conduit les juges du fond à considérer qu’elle ne remplissait plus les conditions d’une gestion effective et continue du bien.
    • La Cour de cassation a validé cette appréciation souveraine des juges du fond, qui avaient estimé que le maintien sur place du frère et son exploitation continue d’une partie des terres indivises constituaient des éléments déterminants en faveur de son attribution préférentielle.
    • Ce principe trouve également à s’appliquer aux locaux commerciaux et aux biens à usage d’habitation.
    • Lorsqu’un indivisaire occupe déjà le bien ou y exerce une activité professionnelle, il bénéficie d’un avantage manifeste sur un coïndivisaire ne résidant pas sur place, son maintien dans les lieux garantissant une transition plus fluide et une gestion optimisée du bien.
    • Dans cette logique, la jurisprudence a précisé que l’occupation passée d’un bien ne suffit pas à justifier son attribution préférentielle si l’intéressé ne présente plus les garanties d’un maintien effectif et utile du bien dans l’avenir.
    • Ainsi, dans un arrêt du 13 février 1967, la Cour de cassation a validé la décision des juges du fond refusant l’attribution préférentielle d’un immeuble à un médecin qui y avait exercé son activité, mais qui ne l’occupait plus au moment du litige (Cass. 1re civ, 13 févr. 1967).
    • Les juges avaient estimé que la demande du médecin ne pouvait prospérer dès lors qu’elle ne s’inscrivait pas dans une logique d’exploitation durable, mais relevait davantage d’une volonté de conserver un bien à titre patrimonial.
    • La Haute juridiction a confirmé cette approche en rappelant que l’attribution préférentielle doit être appréciée en fonction des intérêts en présence et de l’usage effectif du bien.
    • Ces décisions s’inscrivent dans une tendance jurisprudentielle constante : l’attribution préférentielle ne repose pas sur un simple droit à la conservation du bien, mais sur une exigence d’exploitation effective et pérenne.

==>L’importance de la durée de la participation personnelle à l’activité en cas d’attribution préférentielle d’une entreprise

L’attribution préférentielle d’une entreprise obéit à des impératifs spécifiques, distincts de ceux applicables aux biens immobiliers à usage d’habitation ou aux exploitations purement foncières. L’article 832-3 du Code civil impose au juge de tenir compte, en particulier, de la durée de la participation personnelle du postulant à l’activité. Ce critère, introduit par la loi du 10 juillet 1982, vise à garantir que l’attribution bénéficie à celui qui a fait preuve d’un engagement constant et significatif dans la gestion du bien, offrant ainsi les meilleures garanties de viabilité et de continuité économique.

En effet, l’une des finalités de l’attribution préférentielle d’une entreprise est d’assurer la pérennité de l’activité en privilégiant celui dont l’investissement dans la gestion de l’exploitation a été le plus ancien et le plus constant. L’ancienneté de la participation constitue, en ce sens, un indice objectif de compétence et de capacité à poursuivre l’exploitation sans discontinuité. Cette exigence se vérifie tout particulièrement dans le domaine agricole, où la stabilité de l’exploitation constitue un impératif économique et social.

À cet égard, la jurisprudence souligne que le juge doit privilégier le demandeur dont l’implication dans la gestion de l’exploitation a été continue et significative, et qui apparaît le plus à même d’en assurer le maintien et le développement. Ainsi, dans une affaire où plusieurs indivisaires revendiquaient l’attribution d’une exploitation agricole, la cour d’appel a privilégié celui dont l’engagement était le plus long et le plus constant, estimant qu’il présentait les meilleures garanties de gestion à long terme (CA Pau, 28 févr. 2005, n° 03/02292).

De la même manière, ce raisonnement s’applique en matière commerciale, où la longévité et la régularité de l’implication dans l’activité d’un fonds de commerce ou d’une entreprise artisanale constituent un critère déterminant. L’article 832-3 du Code civil prévoit expressément que, lorsqu’une entreprise fait l’objet d’une demande d’attribution préférentielle, le juge doit tenir compte en particulier de la durée de la participation personnelle du postulant à l’exploitation.

Faute de jurisprudence récente et explicite en matière de fonds de commerce, les principes dégagés en matière agricole ou artisanale restent transposables : le postulant justifiant d’un engagement durable et effectif dans l’exploitation bénéficiera d’un avantage décisif sur un coïndivisaire dont l’implication a été plus intermittente ou récente. Ce critère permet ainsi d’éviter toute rupture brutale de l’exploitation, qui pourrait compromettre sa viabilité.

Toutefois, l’appréciation du juge ne saurait se limiter à une lecture mécanique des critères légaux. L’ancienneté et la continuité dans la participation ne suffisent pas, à elles seules, à justifier une attribution préférentielle. 

Le juge doit également procéder à une évaluation plus large, prenant en compte la capacité réelle du postulant à assurer la pérennité de l’exploitation. Ainsi, même si un indivisaire justifie d’un engagement prolongé dans l’entreprise, des éléments tels que sa situation financière, son état de santé ou l’absence d’un projet crédible de poursuite de l’activité peuvent légitimement justifier un refus d’attribution (Cass. 1re civ., 21 mai 1997, n° 95-15.132).

L’ancienneté de la participation à l’exploitation d’une entreprise prend tout son relief dans les conflits successoraux, où plusieurs héritiers peuvent se disputer l’attribution d’une même activité.  Dans ce contexte, le juge privilégiera naturellement le candidat dont l’engagement s’inscrit dans la durée et qui a démontré, par une implication constante et effective, sa capacité à assurer la pérennité de l’exploitation. Ainsi, lorsqu’une entreprise familiale fait l’objet de revendications concurrentes, la priorité est généralement accordée à celui qui a le plus contribué à son développement, offrant ainsi les meilleures garanties d’exploitation future.

À l’inverse, un coïndivisaire dont l’implication s’est révélée plus récente, sporadique ou limitée peut voir sa demande écartée, même s’il satisfait en apparence aux critères légaux. 

b. L’appréciation des intérêts en présence

Lorsqu’une pluralité de postulants satisfait aux critères légaux définis par l’article 832-3 du Code civil, le juge ne peut se limiter à une application purement formelle du texte. Il lui appartient d’adopter une approche plus large en mettant en balance les intérêts patrimoniaux, économiques et familiaux liés à l’attribution préférentielle. Cette analyse suppose de concilier les droits de chaque indivisaire avec l’objectif de préservation du bien indivis et de stabilité successorale.

==>La préservation de l’équilibre patrimonial

Dans le cadre d’un partage, le juge doit veiller à ce que l’attribution préférentielle ne provoque pas un déséquilibre excessif au détriment des autres indivisaires. À ce titre, la capacité financière du demandeur à indemniser ses coïndivisaires par le versement d’une soulte est un facteur déterminant.

Ainsi, l’attribution peut être refusée à un postulant dont la situation financière ne permettrait pas de compenser équitablement les autres copartageants. Ce principe a été rappelé dans un arrêt où la Cour de cassation a validé la décision des juges du fond ayant refusé une attribution préférentielle en raison de l’incapacité du demandeur à payer la soulte nécessaire (Cass. 1ère civ. 1re, 10 mai 2007, n° 06-10.034).

Dès lors, le postulant à l’attribution préférentielle ne doit pas seulement établir son aptitude à gérer le bien, mais également démontrer qu’il est en mesure d’indemniser équitablement les autres indivisaires, afin que l’attribution ne crée pas un déséquilibre au sein du partage successoral.

==>La continuité de l’exploitation et la protection du bien

Lorsque l’attribution préférentielle porte sur une exploitation agricole ou une entreprise, le juge privilégiera le demandeur offrant les meilleures garanties de pérennité de l’activité. Ce critère répond à un impératif économique : éviter que l’exploitation ne soit interrompue ou dégradée par une gestion hasardeuse ou par l’absence d’exploitation effective.

Ainsi, la Cour de cassation a été amenée à censurer une décision d’attribution préférentielle d’une exploitation agricole au bénéfice de deux frères, au détriment de leurs coïndivisaires, en raison d’une insuffisante prise en compte des intérêts en présence (Cass. 1ère civ., 20 janv. 2004, n° 00-14.252). 

En l’espèce, après le décès de leur mère, plusieurs indivisaires revendiquaient l’attribution d’un domaine agricole familial. La cour d’appel avait accordé l’attribution préférentielle à deux frères, en se fondant sur leur implication dans l’exploitation, notamment celle de l’un d’eux qui en exerçait la direction depuis plusieurs années.

Toutefois, la Cour de cassation a censuré cette décision au motif que la cour d’appel avait omis de procéder à une comparaison approfondie des intérêts en présence. En effet, les autres coïndivisaires soutenaient que la gestion des bénéficiaires de l’attribution préférentielle était contestable et qu’elle avait porté atteinte aux intérêts patrimoniaux de l’indivision. Or, l’article 832, alinéa 11, du Code civil impose au juge de statuer sur la demande d’attribution préférentielle en tenant compte de l’ensemble des intérêts en présence. En se bornant à constater l’implication des bénéficiaires dans l’exploitation, sans examiner les griefs des autres coïndivisaires, la cour d’appel a privé sa décision de base légale.

Cet arrêt illustre ainsi une exigence fondamentale : l’implication passée d’un demandeur ne suffit pas, à elle seule, à justifier l’attribution préférentielle. Le juge doit impérativement mettre en balance les intérêts économiques et patrimoniaux de l’ensemble des parties concernées. L’attribution préférentielle ne peut être accordée qu’à la condition qu’elle ne lèse pas de manière disproportionnée les droits des autres indivisaires, notamment lorsque des contestations sur la gestion du bien sont soulevées.

c. Les solutions intermédiaires : pallier l’impossibilité de départager les postulants

Dans certaines hypothèses, aucun des postulants ne se distingue de manière évidente au regard des critères légaux et jurisprudentiels. Le juge dispose alors d’une latitude pour aménager une solution équilibrée, conciliant les intérêts de l’ensemble des indivisaires et préservant la stabilité patrimoniale. Deux solutions alternatives peuvent être envisagées : l’attribution conjointe, qui permet un partage de la gestion entre plusieurs bénéficiaires, et la licitation, qui impose la vente du bien afin d’éviter des conflits irréconciliables.

==>L’attribution conjointe

Lorsque plusieurs demandeurs satisfont aux critères de l’attribution préférentielle et qu’aucun ne se distingue nettement par son aptitude à gérer le bien et à s’y maintenir, le juge peut envisager une répartition partielle du bien litigieux entre plusieurs postulants. Cette solution, bien que moins fréquente, permet d’éviter un déséquilibre trop marqué dans le partage successoral tout en préservant la continuité économique de l’exploitation concernée.

La Cour de cassation a validé cette approche dans une affaire où plusieurs héritiers revendiquaient l’attribution préférentielle de parcelles viticoles issues de la succession de leur père (Cass. 1re civ., 22 févr. 2000, n° 98-10.153). En l’espèce, deux des enfants avaient participé à la mise en valeur des terres litigieuses et chacun exploitait déjà des parcelles en propre. La cour d’appel avait estimé qu’ils étaient également aptes à poursuivre l’exploitation et que l’attribution d’une part significative du domaine à l’un des postulants, sans prise en compte des intérêts de l’autre, aurait entraîné un déséquilibre injustifié.

Dans son arrêt, la Cour de cassation a confirmé la décision des juges du fond, qui avaient attribué à chacun une portion des terres, en considérant que cette solution permettait d’assurer un partage équitable tout en préservant l’intégrité économique de l’exploitation. Elle a relevé que cette décision n’était pas motivée par une simple considération d’équité, mais reposait bien sur les critères posés par l’article 832-1 du Code civil, qui impose au juge de désigner l’attributaire en fonction des intérêts en présence et de l’aptitude des différents postulants à gérer l’exploitation et à s’y maintenir.

Toutefois, l’attribution conjointe suppose plusieurs conditions :

  • Une compatibilité de gestion entre les co-attributaires, afin d’éviter des conflits susceptibles de nuire à l’exploitation du bien ;
  • Une division matériellement possible du bien sans compromettre son intégrité économique ;
  • Un équilibre entre les intérêts successoraux, garantissant que la solution retenue ne lèse aucun héritier de manière disproportionnée.

Ainsi, cette solution ne peut être retenue que lorsque la nature du bien indivis permet une gestion distincte entre plusieurs indivisaires et que ces derniers disposent des compétences nécessaires pour en assurer l’exploitation de manière autonome.

Toutefois, le juge doit rester vigilant quant aux risques de conflits futurs entre co-attributaires. En effet, une exploitation en indivision peut rapidement devenir source de tensions, notamment en cas de désaccord sur la gestion des biens attribués conjointement. Dès lors, l’attribution conjointe ne constitue pas une solution systématique, mais une alternative à envisager lorsque les circonstances le permettent et que les indivisaires sont en mesure d’assurer une gestion sereine et efficace du bien partagé.

==>La licitation

L’attribution préférentielle d’un bien indivis repose sur l’idée qu’un indivisaire peut en assurer la gestion de manière autonome et efficace tout en indemnisant équitablement les autres coïndivisaires. Toutefois, lorsque cette répartition s’avère impossible ou qu’aucun des postulants ne présente de garanties suffisantes pour assurer la continuité de l’exploitation, le juge peut être amené à ordonner la licitation du bien.

La licitation consiste en la vente du bien indivis, soit de manière amiable, soit aux enchères publiques, afin de répartir le produit entre les indivisaires selon leurs droits respectifs. Cette solution est généralement considérée comme un dernier recours, intervenant lorsque :

  • L’attribution préférentielle à un indivisaire ne permet pas d’indemniser équitablement les autres héritiers par le paiement d’une soulte, notamment en raison d’un déséquilibre patrimonial trop important ;
  • Le maintien en indivision risque d’engendrer des conflits de gestion insolubles, notamment lorsque les coïndivisaires sont en désaccord sur la gestion du bien ;
  • Le bien concerné ne peut être matériellement partagé et son exploitation conjointe est impraticable, comme c’est le cas d’un fonds de commerce détenu par d’anciens époux après leur divorce.

La Cour de cassation a validé cette approche dans une affaire où des époux divorcés revendiquaient chacun l’attribution préférentielle d’un fonds de commerce commun (Cass. 1re civ., 22 avr. 1981, n° 79-16.342). Dans cette affaire, les tensions entre les ex-époux rendaient toute gestion commune impossible et l’attribution à l’un d’eux aurait nécessité le versement d’une soulte d’un montant trop élevé. La cour d’appel avait donc décidé d’ordonner la licitation du fonds de commerce, estimant que cette solution permettrait de garantir une répartition équitable des valeurs patrimoniales et d’éviter un conflit prolongé entre les parties.

La Cour de cassation a validé cette analyse en considérant que la licitation faisait apparaître “dans l’intérêt des deux parties, la valeur réelle et non théorique du fonds de commerce“, permettant ainsi à chacun des ex-époux de faire valoir ses droits dans des conditions financières objectives. Elle a également précisé que cette décision relevait de l’appréciation souveraine des juges du fond, qui avaient examiné les intérêts en présence avant de statuer.

Dans une perspective plus large, la licitation peut apparaître comme un instrument essentiel de préservation de l’équilibre patrimonial. Elle permet d’éviter qu’un indivisaire ne s’arroge une position dominante au détriment des autres, en assurant une répartition équitable de la valeur patrimoniale du bien.

Toutefois, cette solution ne saurait être ordonnée qu’en dernier ressort. Le juge doit, avant d’y recourir, explorer toutes les alternatives susceptibles de concilier les intérêts en présence, telles que l’attribution conjointe ou la mise en place de mécanismes compensatoires, à l’instar d’un échelonnement du paiement de la soulte. Ce n’est que lorsque toute tentative d’attribution préférentielle risquerait de rompre l’équilibre financier entre les indivisaires ou de conduire à une impasse dans la gestion du bien que la licitation s’impose avec nécessité.

Les alternatives au partage en nature: la division des biens comme moindre mal

Lorsque le recours à la soulte ne permet pas de rétablir l’équilibre entre les lots ou qu’il s’avère matériellement impossible d’attribuer certains biens indivis à un copartageant sans porter atteinte à l’égalité en valeur, la division matérielle des biens peut constituer une solution envisageable. Bien qu’elle soit loin d’être idéale, cette alternative peut apparaître comme le « moindre mal » dans des situations où le maintien de l’intégrité des biens indivis n’est ni économiquement justifiable ni juridiquement tenable.

Le morcellement des biens, tout en restant une opération délicate, peut alors se justifier dès lors qu’il permet d’éviter des solutions plus radicales, telles que la vente aux enchères. Toutefois, cette division doit être conduite avec prudence et discernement, afin de ne pas compromettre la valeur des actifs partagés ni les intérêts des copartageants.

==>La division acceptable des biens

La division matérielle des biens peut s’envisager dès lors que le morcellement n’entraîne pas une dépréciation excessive de leur valeur ou une perte d’utilité économique. Cette solution, bien que moins élégante que le partage en nature ou le recours à la soulte, peut se révéler appropriée dans certaines hypothèses concrètes.

Prenons l’exemple d’un terrain agricole de grande superficie, exploitable sous forme de plusieurs parcelles distinctes. Si chacune de ces parcelles présente une viabilité économique propre — c’est-à-dire qu’elle peut être exploitée de manière autonome sans perte significative de rendement — il est alors envisageable de les attribuer à différents copartageants. Une telle division permet d’éviter la vente forcée du terrain tout en respectant les droits de chacun.

De même, la répartition d’un portefeuille d’actions peut être envisagée lorsque chaque lot conserve une diversification adéquate. Dans cette hypothèse, la fragmentation du portefeuille ne porte pas atteinte à sa valeur intrinsèque ni à la capacité de chaque héritier de profiter d’un rendement équilibré. Il s’agit d’une solution pragmatique qui permet d’éviter le recours à des soultes trop importantes ou à une vente du portefeuille, qui pourrait être défavorable aux copartageants dans un contexte de marché défavorable.

En revanche, certains biens ne se prêtent pas à une division matérielle sans entraîner une perte significative de leur valeur ou de leur fonctionnalité. Il en va ainsi, par exemple, d’un immeuble d’habitation dont la division en plusieurs lots entraînerait des coûts de mise aux normes disproportionnés ou une dévalorisation globale du bien. Dans une telle situation, la division des biens ne saurait être retenue comme solution adéquate, et d’autres alternatives devront être envisagées.

==>Le rôle du juge dans l’appréciation du morcellement des biens

La division matérielle des biens indivis ne peut être réalisée sans un contrôle rigoureux du juge du partage, lequel joue un rôle central dans l’évaluation de l’opportunité d’un tel morcellement. Ce dernier doit s’assurer que la fragmentation des biens ne porte pas atteinte aux droits des copartageants ni à la valeur économique des actifs partagés.

Le pouvoir d’appréciation du juge en la matière est d’autant plus important que l’article 830 du Code civil invite à éviter la division des unités économiques ou des ensembles de biens dont le fractionnement entraînerait une dépréciation. Il revient donc au juge d’évaluer, au cas par cas, si la division matérielle envisagée est pertinente ou si elle risque de compromettre la viabilité économique des biens.

La Cour de cassation a rappelé, dans un arrêt du 22 janvier 1985, que la division des biens devait être préférée à la licitation dès lors qu’elle permettait de préserver une partie de leur valeur économique (Cass. 1ère civ., 22 janvier 1985, n°83-12.994). Cet arrêt illustre parfaitement le rôle du juge dans la recherche d’un équilibre entre le respect des droits des copartageants et la préservation des actifs partagés.

En l’espèce, la Première chambre civile a censuré une décision de licitation prononcée par une cour d’appel, au motif que la division matérielle des biens, bien qu’imparfaite, aurait permis de constituer des lots équilibrés tout en évitant une vente aux enchères préjudiciable. La Haute juridiction a ainsi réaffirmé que la licitation devait être envisagée en dernier recours, lorsqu’aucune autre solution ne permet de garantir un partage équitable.

Le contrôle exercé par le juge sur le morcellement des biens répond à une logique de pragmatisme. Il s’agit d’éviter des solutions excessives ou disproportionnées, tout en veillant à ce que les droits des copartageants soient respectés. Le juge doit également s’assurer que la division des biens ne crée pas de nouvelles sources de contentieux, en prenant soin d’apprécier l’impact économique du morcellement sur les lots constitués.

Prenons l’exemple d’une exploitation viticole composée de plusieurs parcelles. Si la division de ces parcelles permet de constituer des lots cohérents, chacun conservant une capacité de production autonome, le juge pourra valider la répartition proposée. En revanche, si la division implique la fragmentation de l’unité de production — par exemple, en séparant les parcelles des installations de vinification — le juge pourrait refuser le morcellement au motif qu’il compromet la viabilité économique de l’exploitation.

==>L’appréciation du caractère inopportun du morcellement

Le caractère inopportun d’une division matérielle des biens s’apprécie au regard de plusieurs critères : la dépréciation potentielle du bien, les coûts engendrés par la division, et l’impact sur l’utilité économique du bien attribué. À cet égard, le juge dispose d’une grande liberté d’appréciation, mais doit motiver sa décision par des éléments concrets et pertinents.

L’article 830 du Code civil invite à éviter la division des ensembles de biens lorsque celle-ci entraîne une dépréciation notable. Il en résulte que la division doit être écartée si elle engendre une perte de valeur significative ou des frais disproportionnés. Le juge doit ainsi rechercher un juste équilibre entre les droits des copartageants et la préservation des actifs partagés.

En somme, la division matérielle des biens constitue une solution de compromis, qui ne peut être retenue que si elle permet de préserver une part significative de la valeur économique des actifs partagés. Elle doit être envisagée avec précaution, sous le contrôle vigilant du juge, afin de garantir que le partage demeure équitable et respecte les droits de chacun des copartageants.

L’évolution de la responsabilité de l’entreprise dans la survenance du risque professionnel d’une dette d’argent de l’employeur à une créance de réparation du salarié ?

1. Position dogmatique. En comparaison avec le droit civil de la réparation du dommage corporel, qui a été façonné tout au long du XXe siècle pour garantir aux victimes une réparation intégrale des atteintes subies – que le professeur Lambert Faivre a présenté dans des termes choisis : « L’évolution de la responsabilité civile d’une dette de responsabilité à une créance de réparation »[1] -, le droit social de la réparation forfaitaire des risques professionnels n’aura pour ainsi dire pas varié sur la période. Exception faite de quelques corrections techniques, l’exorbitance de ce dernier régime aura résisté à tous les vents progressistes. Il aura été dit que la réparation des atteintes souffertes par le corps laborieux ne saurait jamais être intégrale tandis que, et par comparaison, il n’est pour ainsi dire aucune autre victime dont la réparation des atteintes à l’intégrité physique n’est pas guidée par le principe directeur de l’équivalence entre le dommage subi et les chefs de préjudices indemnisés[2].

2. Corrections paramétriques. Depuis que le Conseil constitutionnel a autorisé que tous les dommages corporels subis consécutivement à une faute inexcusable de l’employeur soient réparés intégralement par le truchement de l’action en indemnisation complémentaire de l’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, à la condition qu’ils n’aient pas été couverts par le livre 4[3], le champ des possibles a semblé s’ouvrir. L’applicabilité des règles de droit civil favorables aux victimes a paru facilitée, la réforme du régime juridique sous étude par capillarité sérieusement envisageable et l’évolution de la responsabilité de l’entreprise dans la survenance du risque professionnel d’une dette d’argent de l’employeur à une créance de réparation du salarié en passe d’être acquise. Un arrêt d’assemblée plénière rendu en janvier 2023 par la Cour de cassation a donné à penser que l’hypothèse de travail était des plus sérieuses[4]. Autorisant la victime à demander l’indemnisation du déficit fonctionnel permanent nonobstant le service d’une rente AT, la Cour augmentait un peu plus encore la liste des chefs de préjudices indemnisables.

Après que deux juridictions du fond sont entrées en voie de dissidence[5], la rente d’accident du travail a fini par être regardée par la cour régulatrice comme ayant pour objet exclusif de compenser, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l’accident, c’est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité[6]. Pour le dire autrement, la rente, qui répare chef de préjudice patrimonial, ne répare pas (ou plus) l’incapacité physiologique, les souffrances endurées post consolidation ni les troubles dans les conditions d’existence, qui sont des composantes du déficit fonctionnel[7].

Au final, la restriction du droit subjectif à réparation des salariés victimes d’une faute qualifiée de l’employeur est de moindre intensité[8]. La solution nouvelle s’inscrit dans le sillage de la décision du Conseil constitutionnel précitée. Elle est parfaitement conforme aux règles qui organisent le recours des tiers payeurs dont la Cour de cassation faisait litière jusqu’alors. Depuis, et en toute logique, sont affectées pareillement : les pensions d’invalidité des salariés[9] comme celles des travailleurs indépendants[10], les pensions de retraite[11], les rentes viagères d’invalidité[12] et plus généralement toutes les prestations dont les modalités de calcul ne prennent en compte aucun facteur personnel[13].

Où l’on peut faire remarquer que, sous couvert d’une correction plutôt paramétrique de la matière (sans préjudice de son importance pour les personnes concernées naturellement), c’est possiblement tout le système de couverture des risques professionnels dont l’économie générale serait sur le point de basculer.

3. Incidences systémiques. L’extension par le Conseil constitutionnel de la liste des chefs de préjudices intégralement réparables et la réduction de l’assiette du recours des organismes de sécurité sociale ont pour effet d’augmenter le coût moyen des sinistres supportés par le ou les assureurs du risque professionnel, à savoir : la caisse ou la mutualité sociale agricole (prise en qualité d’assureur public de première intention) et l’organisme d’assurance privé (pris en qualité de débiteur final de la réparation) auprès duquel l’employeur aura possiblement cherché à couvrir en tout ou partie les conséquences financières d’une faute inexcusable[14].

Pour le dire autrement, et parce que le droit et l’économie de l’assurance commandent que des provisions techniques prudentielles soient établies[15], la réparation intégrale de tous les chefs de préjudices contraint (à tout le moins en théorie) les assureurs à majorer les cotisations des employeurs aux fins de financement de la couverture du risque aggravé.

Tandis qu’on imaginait assez la réaction farouche des souscripteurs employeurs et inversement l’approbation appuyée des salariés assurés, ces derniers joignirent leurs voix aux premiers pour critiquer l’amélioration continuée de leur propre sort par la Cour de cassation. Aux termes de l’accord national interprofessionnel du 15 mai 2023 relatif aux accidents du travail et des maladies professionnelles, les partenaires sociaux appellent le législateur à prendre toutes les mesures nécessaires pour revenir en arrière et garantir que la nature duale de la rente AT/ MP ne soit pas (ou plus) remise en cause. Comprenons bien : l’exhortation est le fait des organisations d’employeurs et des organisations syndicales de salariés.

Pour l’heure, la jurisprudence de la Cour de cassation est toujours de droit positif. Les travaux préparatoires des lois de financement de la sécurité sociale pour 2024 et 2025 renfermaient pourtant des amendements abrogatifs. Qu’il ne s’agisse pas du bon véhicule législatif ou bien encore que la séquence politique n’ait pas été la plus propice à la correction, la question reviendra sur le devant de la scène lorsque le temps de la transposition de l’accord sera venu.

4. Plan. Cette résistance farouche des parties prenantes signale un trouble manifeste dans les esprits. Il se pourrait fort que les partenaires sociaux aient craint qu’en succombant à la tentation de la réparation intégrale de tous les risques professionnels, ce qui est une expérience de pensée des plus stimulantes (1), c’est tout le régime de compensation qui encourait un risque à son tour : celui de la commutation ou, pour le dire autrement, de la substitution par le droit commun. A l’analyse, et à l’aune d’un principe de réalité (2), la résistance ne surprend pas outre mesure. Simplement celle qui a été choisie par les partenaires sociaux aurait pour effet (réflexe en quelque sorte) de dégrader la prise en charge actuelle des victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle[16]. Tandis que la Cour de cassation a avancé d’une case le dispositif sur le grand échiquier de la réparation intégrale, le législateur est prié de reculer de deux. Une position à mi-chemin pourrait être esquissée, qui serait de nature, à l’aune des lignes de force qui ont été dessinées en droit civil de la réparation, à satisfaire les intérêts légitimes mais contradictoires des employeurs et des salariés tout en préservant l’économie générale de la branche et du système d’indemnisation des risques professionnels.

I.- Expérience de pensée

Une expérience de pensée est une hypothèse conçue pour explorer des idées, des concepts ou des principes. La question est posée dans le cas particulier de savoir si l’on peut succomber à la tentation de la réparation intégrale (A) sans nécessairement provoquer la commutation du système d’indemnisation des risques professionnels (B).

A.- Succomber à la tentation de la réparation intégrale ?

5. Comparaison. Les règles qui prescrivent les modalités de la réparation des risques professionnels n’autorisent pas la victime à exiger ni de l’assureur public ni de l’employeur la restitutio in integrum. Les exceptions sont suffisamment rares pour renseigner la solidité du principe[17]. Et les défenseurs de la réparation intégrale du dommage corporel de dénoncer en conséquence la rupture franche d’égalité des victimes devant la loi. Si l’on se place à la toute fin du XXe siècle, la différence de traitement est nette. Cent années de pratique du droit civil ou administratif de la responsabilité attestent la levée de la quasi-totalité des obstacles à la réparation (intégrale) du dommage corporel[18] tandis que, et sur la même période, le régime exorbitant de droit social n’a pas varié. Si l’on déplace à présent de quelques degrés le point d’observation et qu’on observe les régimes sous étude à la toute fin du XIXe siècle, la rupture d’égalité affecte cette fois-ci les victimes de droit commun, qui sont tenues de rapporter la preuve d’une faute objectivement anormale et subjectivement imputable au défendeur. A ce jour, et nonobstant l’objectivation remarquable de la faute, la charge de la preuve supportées par ces dernières constitue encore un obstacle à l’action en responsabilité civile. En bref, le droit interne comparé renseigne que le singulier sied plutôt mal à la rupture d’égalité. Mais il y a bien plus troublant dans le cas particulier, qui prête autrement plus le flanc à la critique : la constance.

6. Constance. Tandis que l’atteinte à l’intégrité corporelle était élevée en summa injuria mettant en question la paix sociale[19], qu’elle commandait d’audacieuses corrections du droit civil aux fins d’implication d’un débiteur de dommages-intérêts solvable puis l’invention d’un service public de la réparation des dommages corporels de masse[20], les victimes d’un risque professionnel, meurtries à leur corps défendant, ont été priées de se contenter de quelques revenus de remplacement forfaitaires[21] et chefs de préjudices limitativement énumérés.

Au résultat, le droit de la réparation du dommage corporel est devenu une sorte de Janus bifront : levée du gros des obstacles à la réparation intégrale des chefs de préjudices corporels dans un cas (droit civil) ; échafaudage de maints empêchements dans l’autre (droit social).

Rien n’y fait : aucun rapport, aucune proposition de loi, aucun article de doctrine défendant la nécessité de réparer intégralement les risques professionnels ne trouve grâce aux yeux du législateur. Aussi bien l’extrême pusillanimité des juges en charge du contentieux des accidents du travail et des maladies professionnelles est-elle entendable. C’est que, pour paraphraser une formule usitée par le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation ne dispose (très vraisemblablement) pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Preuve en est sa résistance farouche à l’extension du domaine d’application du principe de la réparation intégrale du dommage corporel en la matière.

7. Résistance. Une fois encore, le positionnement de la cour régulatrice force le respect. Résister à l’observance d’un principe d’application générale tant du droit civil que du droit administratif de la responsabilité, pratiqué par la quasi-totalité de tous les droits européens[22] renseigne la volonté ferme de ne pas déjouer les prescriptions du législateur ni affecter, en cédant à la tentation de renouer avec le principe de la réparation intégrale du dommage corporel, l’économie générale du régime d’indemnisation des risques professionnels.

Cela étant, à défaut de droit idéalement juste, du moins faut-il que le droit imparfait dont on dispose soit le même pour tous (Ph. Jestaz). Or, en la matière, le droit de la réparation des risques professionnels est loin de tout à fait satisfaire le principe d’égalité de traitement entre les salariés concernés par une atteinte à l’intégrité physique.

8. Cohérence ? Le scandale de l’amiante a contraint le législateur à écrire dans l’urgence un régime de réparation idoine. Aux termes des règles applicables, non seulement les salariés qui ont inhalés des poussières mortifères sont mieux loties que toutes les victimes d’un risque professionnel mais l’indemnisation susceptible d’être allouée est exorbitante du droit civil de la réparation. En ce sens, il a été inventé une catégorie de travailleurs victimes dont le dommage corporel est réparé plus qu’intégralement que toutes les autres[23]. Pour sa part, la Cour de cassation a refusé des années durant aux travailleurs de l’amiante, ayant eu l’infortune de ne pas être employés dans l’un des établissements de l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998[24], tout droit subjectif à la réparation tandis que les « élus » jouissaient en revanche d’une présomption irréfragable de préjudice[25]. Comprenons bien : niant tout intérêt juridiquement protégé aux salariés en situation concrète de sous-traitance, la Cour n’accorda pas le droit à ces derniers de rapporter la preuve du caractère anxiogène et préjudiciable de l’exposition[26]. Et lorsqu’elle finit par être convaincue qu’une telle discrimination ne pouvait raisonnablement prospérer plus longtemps, il fut alors posé des conditions des plus strictes à l’action en réparation[27].

Où l’on constate que le droit des accidents du travail et des maladies professionnels (et la remarque vaut pour tout système juridique) est un ensemble de règles techniques intriquées, qui forment un tout cohérent tant en droit qu’en économie, inventé pour résoudre des problématiques complexes et arbitrer des intérêts divergents. Ceci pour dire qu’une institution juridique n’est certainement pas une vulgaire collection de règles disparates[28]. Succomber à la tentation et écarter au profit de tout un chacun la réparation forfaitaire ne saurait donc se résumer à une banale modification de type paramétrique : c’est bien plutôt de nature à entraîner la commutation de tout le système d’indemnisation des risques professionnels.

B.- Commuter le système d’indemnisation des risques professionnels

9. Risque. La commutation du système est un risque qu’il faut avoir à l’esprit. Les régimes juridiques, qui consacrent une équivalence quantitative entre le préjudice subi et la réparation octroyée, exigent de la victime qu’elle rapporte les faits nécessaires au succès de ses prétentions, à savoir un fait causal préjudiciable à tout le moins. Le régime d’indemnisation des victimes de l’amiante n’échappe pas à la règle[29]. Non seulement, le fait du défendeur doit être prouvé mais il importe encore que, nonobstant le tort qui a été causé, la victime rapporte au surplus la preuve de quelques conséquences patrimoniales et/ou extrapatrimoniales. Pour le dire autrement et à hauteur de principe : pas de présomption de fait générateur ni de présomption de préjudice. Quant au défendeur, une fois sa responsabilité déclarée, il est autorisé à exciper la faute exonératoire de la victime pour échapper à la dette de dommages-intérêts.

Il n’y a rien de tout cela en droit de la sécurité sociale, qui ne renoue avec une logique de type responsabiliste et accusatoire que très accessoirement, à tout le moins est-ce l’économie générale du livre 4, qui fait des concessions réciproquement consenties par l’employeur et la victime la clef de voûte.

Dans ces conditions, la question peut être posée de savoir si la restitutio in integrum en droit social de la réparation peut être substituée sans entraîner aucune perturbation dans un système juridique de couverture des risques professionnels vieux de 127 années[30].

10. Perturbation(s) ? Etendre le domaine d’application de la réparation intégrale, sans aucune autre modification des règles sous étude, singulariserait de façon tout à fait remarquable le régime d’indemnisation des victimes d’accidents du travail et des maladies professionnelles. Tandis qu’à ce jour, le rétablissement aussi exact que possible de l’équilibre détruit par le dommage fait figure en quelque sorte de signifiant, que le principe guide le salarié victime dans sa demande de justice (augmentée) – le contentieux de la faute inexcusable qui majore notablement le contingent de dommages-intérêts l’atteste –, voilà que, à front renversé, cette correction remarquable du droit social de la réparation pourrait inspirer les victimes de droit commun dans leur quête d’assouplissement des règles du droit civil de la responsabilité. Le nombre de systèmes de résolution des différends n’est pas indéfini. Quant à ceux qui sont de droit positif, ils ne sauraient être absolument étanches. L’hypothèse de travail n’est donc pas incongrue, qui supposerait naturellement de longues années de dispute entre toutes les parties intéressées dans les prétoires et les assemblées car substituer le simple fait causal à la faute n’est pas une mince affaire[31].

Mais il est une autre hypothèse de perturbation plus saisissable à court terme. Elle réside dans un risque de rigidification du système d’indemnisation des AT/MP. La réparation des affections psychiques au travail pourrait se révéler être à cet égard un terrain d’observation instructif.

11. Expérimentation. L’Assurance maladie – risques professionnels renseigne depuis plusieurs années à présent une croissance tout à fait significative de la prise en charge par la branche des affections psychiques liées au travail[32]. Un rapport daté d’une dizaine d’années déjà révélait que les troubles psychosociaux pris en charge au titre des accidents du travail étaient vingt fois plus élevés[33] que les maladies dont l’origine professionnelle a été reconnue sur le fondement de l’article L. 452-3, alinéa 7 du code de la sécurité sociale. L’indemnisation de ces troubles, qui ne cessent de croître[34], objective le caractère pathogène de la relation de travail. Elle interroge aussi les modalités de leur constatation.

L’assurance maladie relève que les revenus de remplacement sont accordés sur la seule foi du certificat médical initial rédigé par un médecin (traitant, spécialiste ou urgentiste). Au vu des conditions d’exercice des professionnels de santé, qui se sont nettement dégradées, il est douteux qu’une consultation médicale standard, qui dure une quinzaine de minutes en moyenne selon un rapport de la Dress[35], soit de nature à autoriser le praticien à se prononcer sur l’imputabilité des troubles renseignés au travail et à juger de l’intrication des prédispositions éventuelles de la victime et/ou d’un état antérieur. Le glissement notionnel en droit est alors subreptice. Une dépression, un trouble anxieux ou un état de stress fait aussitôt présumer l’existence de chefs de préjudices corporels imputables à l’entreprise, déclenche le paiement de revenus de remplacement par la caisse et rend justiciable l’employeur par voie de conséquence d’une action en reconnaissance du caractère inexcusable de sa faute aux fins de majoration de la couverture assurantielle.

12. Perception. L’observance des règles juridiques est aussi affaire de perception. Il suffit que l’une des parties concernées par la survenance du risque professionnel ne soit plus convaincue du caractère réciproque des concessions pour que le système se raidisse et que le combat soit entamé ou plutôt aggravé pour être plus précis. Dans un tel cas de figure, les contestations n’auront alors de cesse de croître non plus seulement dans le chef du salarié victime, dont la demande d’amélioration de sa condition est entendable, mais également dans celui de l’employeur possiblement mal assuré, qui cherchera à échapper en toute ou partie à la dette. Quant aux coûts environnés de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles, il est à craindre qu’ils ne se démultiplient. Aussi est-on vite rattrapé par un principe de réalité.

II.- Principe de réalité

Le principe de réalité fait dire que les conditions d’une réparation intégrale ne sont pas encore réunies, qu’il est plus raisonnable pour l’heure de résister à la tentation (A). Il ne s’agit toutefois pas de se résigner à un constat d’impuissance. Le droit est fait d’outils techniques qui sont de nature à corriger le système d’indemnisation des risques professionnels (B).

A.- Résister à la tentation de la réparation intégrale

13. Système. Les règles qui forment le droit de la sécurité sociale sont ordonnées de telle sorte que le règlement amiable des suites du risques professionnel soit préféré au contentieux. Dans un tel système juridique, les concessions réciproques consenties par les parties sont la clef de voûte. Et ce n’est que lorsqu’il est jugé par le salarié pour l’essentiel (ou le législateur)[36] que le risque est nécessairement survenu par la faute qualifiée de l’employeur qu’il est alors substitué une logique de type responsabiliste mais sui generis. La réparation forfaitaire est justement améliorée dans le chef de la victime tandis que la contribution tarifaire est utilement majorée dans le chef de l’employeur (à tout le moins théoriquement)[37] : remboursement des prestations services par la caisse ou par la mutualité sociale agricole, abondement de la branche en cotisations supplémentaires du fait de la réalisation du risque[38], incitation à la mise en place de mesure préventive aux fins de ristournes (entre autres contreparties). Où l’on constate que ces dernières utilités, censés prêter à autrement plus de conséquences pour la communauté que les quelques chefs de préjudices corporels surnuméraires indemnisés, attestent l’attention fixée du législateur bien plutôt sur la dette de l’employeur que sur la créance du salarié.

C’est une attention qui s’est inscrite des années durant en opposition radicale avec les évolutions que le droit civil de la responsabilité a connues, qui ont consisté pour la Cour de cassation à corriger chacun des régimes particuliers pour garantir à la victime d’un dommage corporel une créance de réparation et pour le législateur à inventer des dispositifs spéciaux d’indemnisation des victimes de dommages corporels de masse. Depuis que le Conseil constitutionnel a conditionné la conformité de l’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale à la réparation intégrale de très nombreux chefs de préjudices corporels, il se pourrait que les facteurs soient en passe d’être inversés. Et le travail continué tout récemment par la Cour de cassation pour améliorer la créance de réparation de la victime y participe grandement.

Le conditionnel reste pourtant de mise. Aussitôt après que la Cour de cassation s’est employée à modifier la définition de la rente, augmentant par voie de conséquence le contingent de dommages-intérêts que la victime peut espérer obtenir, les organisations professionnelles d’employeurs et de salariés ont dit à l’unanimité leur franche opposition à la jurisprudence arrêtée en assemblée plénière[39] et leur volonté de maintenir un système spécifique qui répond à différentes exigences, qui dépassent largement les seuls intérêts de la victime, et participent de l’économie générale de la branche.

14. Branche. Le Conseil constitutionnel considère en ce sens que la réparation forfaitaire de la perte de salaire ou de l’incapacité, l’exclusion de certains préjudices et l’impossibilité, pour la victime ou ses ayants droit, d’agir contre l’employeur, n’instituent pas des restrictions disproportionnées par rapport aux objectifs d’intérêt général poursuivis, à savoir : l’automaticité, la rapidité et la sécurité de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles[40] ; des qualités qui sont garanties par l’intervention de l’assureur public obligatoire pour le compte de qui il appartiendra, dont la capacité à couvrir le sinistre est exclusivement financée par les employeurs (art. L. 241-5 c. sécu. soc.).

Les tableaux d’équilibre, qui figurent en tête des lois de financement de la sécurité sociale, donnent à penser que la branche AT/MP est bénéficiaire et que, par voie de conséquence, il n’est pas déraisonnable de substituer la réparation intégrale des AT/MP à la compensation forfaitaire de principe. Et de soutenir au surplus (la nature assurantielle de la branche y invite volontiers) que la réalisation d’un sinistre obligeant l’employeur concerné à majorer sa contribution en raison des prestations sociales versées pour son compte, les empêchements échafaudés à ladite réparation sont douteux.

Il importe toutefois de faire remarquer, d’une part, qu’en raison du reversement forfaitaire à la branche maladie et de compensations diverses[41], les bénéfices de la branche AT/MP sont loin d’avoir l’ampleur qu’on imagine et, d’autre part, que la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles n’a pas la vertu qu’on lui prête[42]. « Les modalités de calcul du taux de cotisation mutualisent (en effet) trop fortement les sinistres entre les entreprises et annihilent en conséquence l’effet de prévention » [43]. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, et c’est un effet critiquable de la tarification collective, le risque professionnel survenu dans une entreprise de moins de 20 salariés n’entraîne pas mécaniquement une hausse des cotisations sociales patronales[44].

Dans un tel contexte, où la proportionnalité de la cotisation n’est pas appliquée nonobstant l’aggravation du risque (ce qui n’est pas conforme à la technique de l’assurance), la majoration de la couverture du risque est difficilement envisageable.

Dit autrement, la réparation intégrale de tous les chefs de préjudices corporels (sans distinction) subis par le travailleur victime devrait pouvoir être envisagée sous un autre jour, une fois le système d’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles corrigé.

B.- Corriger le système d’indemnisation des risques professionnels

15. Assurances. Depuis que système d’indemnisation des risques professionnels a été complété par le juge constitutionnel et qu’il a été amélioré dans la foulée par le juge de cassation, la condition du salarié victime a été très nettement améliorée. Pousser encore d’un cran l’étendue de la réparation pour satisfaire les aspirations légitimes des travailleurs et répondre à ce qui a été présenté comme une exigence fondamentale de justice[45] suppose de bien avoir à l’esprit que les assouplissements du droit civil de la responsabilité, qui ont été commandés par le principe de réparation intégrale du dommage corporel, n’ont été rendus possibles qu’avec le perfectionnement des techniques de l’assurance et de la réassurance ainsi que par l’extension du domaine d’application de l’obligation d’assurance de dommages[46]. Sans ce dernier amortissement, la règle aurait été un « enfer de sévérité » pour l’auteur du dommage[47] plus particulièrement encore lorsqu’une réparation intégrale est ordonnée en raison de la responsabilité de plein droit du défendeur.

Ceci rappelé, et par comparaison avec le droit civil de la réparation, qui sert de modèle de référence, l’économie générale du droit social de la réparation des risques professionnels est à présent bien plus aboutie qu’on ne pourrait le penser. Tandis que le législateur a décidé en 1898 que la réparation des dommages causés sans faute de l’employeur serait forfaitaire, les juges ont décidé plus de 110 années plus tard que la réparation des dommages causés par la faute inexcusable de ce dernier seraient réparés (presque) intégralement peu important du reste que le débiteur des dommages-intérêts compensatoires soit assuré ou non. Où l’on constate la sévérité, qui ne se donne pas à voir facilement, du droit social de la réparation des dommages corporels.

L’amélioration de l’existant tant dans le chef de la victime que dans celui de l’employeur, qui consiste à réduire au maximum voire à supprimer le reste à charge, est par voie de conséquence suspendue au caractère obligatoire de l’assurance complémentaire contre la survenance des risques professionnels. Une telle hypothèse est de nature à poser des questions en cascade. A quelle partie au contrat de travail il reviendrait de souscrire le contrat d’assurance ? La réponse n’est pas si évidence car le risque de l’emploi est également supporté par les travailleurs. Convient-il d’obliger la souscription d’une assurance de dommage en garantie de la dette de responsabilité ou bien serait-il plus judicieux de recommander qu’il soit souscrit une assurance de personnes ? Après tout, c’est d’intégrité physique voire de vie tout simplement dont il s’agit. La généralisation de la prévoyance d’entreprise est d’ailleurs opportunément à l’étude[48]. Enfin, et sans prétendre épuiser les questionnements, à partir du moment où le risque est complètement couvert, comment prévenir voire punir les comportements accidentogènes éventuels des employeurs ou bien encore le caractère possiblement pathogène de la relation de travail ?

16. Pénalisation. Une première réponse se trouve dans le droit commun des assurances, qui renferme de nombreuses techniques de pénalisation assurantielle, qui ont vocation à jouer consécutivement à la déclaration d’un sinistre. On peut citer pêle-mêle : les limitations et exclusions de garantie, la globalisation des sinistres sériels, le découvert obligatoire, la franchise, le plafond de garantie, l’augmentation des primes et cotisations ou bien encore la résiliation après sinistre. Il existe un autre levier qui participe à prévenir la réalisation du risque : la tarification comportementale, qui consiste à adapter la prime ou la cotisation d’assurance au regard de l’appréhension du risque par le preneur d’assurance. Si cette dernière charge devait être supportée par l’employeur, lequel ayant tout de même la haute responsabilité des conditions de travail[49], il lui importerait de renseigner les actions déployées aux fins de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles pour déclencher une ristourne éventuelle en application du principe de proportionnalité de la prime ou cotisation au risque. Le dispositif est vertueux, qui a pour objet de limiter les coûts financiers et humains du risque de l’emploi, dispositif avec lequel l’assureur public gagnerait à renouer plus largement aux fins de prévention des risques professionnels.

17. Prévention. Qu’il faille améliorer la compensation des dommages survenus au temps et au lieu du travail est une chose mais ce sont hélas les suites regrettables d’un défaut de prévention des risques. Or, l’économie générale de la branche et les règles juridiques édictées en regard tendent bien plutôt à assurer la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs[50]. « Les législations du travail sont venues en complément imposer aux entreprises des contraintes organisationnelles destinées à ancrer la logique de prévention dans leur fonctionnement même » [51]. La prévention est du reste un aspect essentiel de la mission de la Caisse nationale de l’assurance maladie et de la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole[52]. Concrètement, les contrôleurs de sécurité et les ingénieurs-conseils disposent d’un droit d’entrée dans les entreprises et sur les chantiers[53]. Ils peuvent ainsi évaluer les situations de travail existantes, le niveau global de prévention et proposer des actions préventives ou correctives adaptées à ces situations. Chose faite, l’établissement doit en informer la caisse régionale et l’inspection du travail à peine en cas de non-respect de l’injonction d’être redevable d’une cotisation supplémentaire[54].

Les employeurs spontanément convaincus, qui ont accompli des efforts particuliers de prévention, sont récompensés par des ristournes, des avances et des subventions accordées par les CARSAT[55]. Quant aux autres, ils sont sanctionnés par une majoration du taux des cotisations AT/MP et une cotisation supplémentaire pour risque exceptionnel[56]. C’est à tout le moins le principe. Seulement voilà, les modalités de tarification collective du risque ne tiennent pas compte de la sinistralité de l’établissement concerné[57]. L’employeur n’est donc par voie de conséquence pas encouragé plus que cela à faire mieux. Et il importe alors au juge chargé du contentieux de la sécurité sociale de redresser les torts, ce qui fait perdre au système d’indemnisation des risques professionnels une bonne part de ses atouts.

Dans un système fondamentalement assurantiel comme l’est la branche AT/MP, il semblerait approprié de ne pas s’éloigner d’une règle de l’assurance aussi élémentaire que structurelle, à savoir : la proportionnalité de la cotisation au risque.

A charge pour l’employeur d’assurer la dette de remboursement des prestations sociales servies et la majoration de la cotisation en conséquence de la réalisation du risque, les techniques de pénalisation assurantielle et les politiques de ristourne (pratiquées par l’assureur public et l’assureur privé) devraient participer à une prévention renforcée des risques professionnels et autorisé la réparation intégrale des chefs de préjudices corporels pour le cas où une faute inexcusable a été commise.

C’est très vraisemblablement à ces conditions qu’il pourrait être dit, le moment venu, que la responsabilité de l’entreprise dans la survenance du risque professionnel a évolué d’une dette d’argent de l’employeur à une créance de réparation du salarié.


  1. RTD Civ. 1986.1. V. not. G. Wester, Les principes de la réparation confrontés au dommage corporel, Bibl. dr. pr., t. 631, LGDJ, 2023, nos 52 et s. ?
  2. G. Viney, P. Jourdain, S. Carval, Traité de droit civil, Les effets de la responsabilité, 4e éd. , LGDJ, 2017, nos 57 et s. ?
  3. Cons. const., décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, cons. n° 18. ?
  4. Nos 21-23.947 et 20-23.673 : JCP S. 2023.1061, comm. X. Aumeran ; RDSS 2023.345, note F. Kessler ; Resp. civ. et assur. mars 2023, comm. 52, obs. L. Bloch ; RTD civ. 2023.382, obs. P. Jourdain. V. égal. E. Jeansen, Contribution à la détermination de l’objet de la rente AT-MP, Dr. soc. 2023, p. 88 ;S. Hocquet-Berg, LFSS sur les rentes AT-MP : retour sur une tragi-comédie en trois actes, Dr. soc. 2024, p. 251 ; M. Keim-Bagot, Ce que répare la rente AT-MP…, Dr. soc. 2024, p. 388 ; S. Porchy-Simon, Avis de gros temps sur l’indemnisation des victimes d’accident du travail, D. 2023.1803. ?
  5. CA Nancy, 07 sept. 2021 rendu sur renvoi après cassation, n° 21/00095 ; CA Metz, 24 janv. 2022, n° 2/00023. ?
  6. Pourvoi n° 21-23.947, cons. 10. V. déjà en ce sens, CE, section, avis, 8 mars 2013, n° 361273, publié au Recueil Lebon ; CE, 23 décembre 2015, n° 374628 ; CE, 18 octobre 2017, n° 404065. ?
  7. V. pour une définition constante : Civ. 2, 28 mai 2009, n° 08-16.829, D. 2010.49, obs. O. Gout ; RTD Civ. 2009.534, obs. P. Jourdain. ?
  8. V. sur l’expression de « victimes à droits restreints » : G. Lyon-Caen, Les victimes d’accident du travail, victimes aussi d’une discrimination, Dr. soc. 1990, p. 737. ?
  9. Civ. 2, 16 mai 2024, n° 22-22.029 – 19 sept. 2024, n° 23-11.424. ?
  10. Civ. 2, 06 juill. 2023, n° 21-24.283 – 10 oct. 2024, n° 22-22.642. ?
  11. Civ. 2, 16 mai 2024, n° 22-20.614. ?
  12. Civ.2, 10 oct. 2024, n° 22-23.393. ?
  13. V. égal. en ce sens, Ch. Quézel-Ambrunaz, Resp. civ. et assur. déc. 2024, comm. 269. ?
  14. Art. L. 452-4, al. 3 c. sécu. soc. ?
  15. Art. R. 343-7 C. assur. ?
  16. V. en ce sens, S. Porchy-Simon, art. préc. ?
  17. Art L. 452-5 (cas de la faute intentionnelle de l’employeur) et L. 455-1-1 c. sécu. soc. (cas de l’accident de la circulation au travail). ?
  18. V. not. en ce sens, Droit privé et public de la responsabilité extracontractuelle, étude comparée, ss. dir. N. Albert, F. Leduc, O. Sabard, LexisNexis, 2017. ?
  19. G. Ripert, Le régime démocratique et le droit civil moderne, 2e éd., LGDJ, 1948, p. 476. ?
  20. J. Bourdoiseau, L’influence perturbatrice du dommage corporel en droit des obligations, bibl. dr. pr., t. 513, LGDJ, 2010 ; La compensation des dommages corporels de masse ou la concurrence des services publics, mél. Leduc, LexisNexis, 2025, p. 57 (à paraître). ?
  21. Sans préjudice du maintien de salaire de l’article L. 1226-1 C. trav. et des prestations possiblement servies au titre de la prévoyance. ?
  22. La réparation intégrale en Europe, études comparatives des droits nationaux, ss. dir. Ph Pierre et F. Leduc, Larcier, 2012. ?
  23. Indemnisation du préjudice d’anxiété pour quelques-unes nonobstant l’irrecevabilité de toute action juridictionnelle future en réparation du même préjudice (loi n° 2000-1257 du 23 déc. 2000, art. 53, IV) et non déduction des prestations sociales versées pour quelques autres (loi n° 2015-1785 du 29 déc. 2015, art. 171). ?
  24. Art. 41, I, 1° de la loi n° 98-1194 du 23 déc. 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 qui a créé l’ACAATA. ?
  25. Soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241 – 3 mars 2015, n° 13-20.474. ?
  26. Soc., 26 avr. 2017, n° 15-19.037. ?
  27. Ass. plén.,5 avr. 2019, n° 18-17.442 : obligation de rapporter la preuve d’une exposition à l’amiante (condition 1) générant un risque élevé de développer une pathologie (condition 2) grave (condition 3). Extension de la solution aux victimes d’une substance nocive ou toxique (Soc., 11 sept. 2019, n° 17-25.300). Extension de cette jurisprudence au profit des tiers (Soc., 08 févr. 2023, n° 20-23.312). ?
  28. J.-L. Bergel, Théorie générale du droit, 4e éd., Dalloz, 2003, nos 164 et s. ?
  29. Loi n° 2000-1257 du 23 déc. 2000, art. 53, III. ?
  30. V. égal. en ce sens, S. Hocquet-Berg, art. préc. ?
  31. V. pour une première tentative en droit de la responsabilité parentale : Civ. 2, 10 mai 2001, n° 99-11.287 Levert. Et une proposition de rétablissement de la faute : art. 1240 ensemble 1244 du projet de réforme de la responsabilité civile (Sénat, proposition de loi n° 678 du 29 juill. 2020). ?
  32. Assurance maladie – risques professionnels, rapport annuel d’activité pour 2023, pp. 138 et s. On appelle « affections psychiques » certaines maladies relevant du chapitre V de la CIM 10 « Troubles mentaux et du comportement » ainsi que les classes Z55 à Z65 « Sujets dont la santé peut être menacée par des condi­tions socio-économiques et psychosociales » et les classes Z70 à Z76 « Sujets ayant recours aux services de santé pour d’autres motifs » du chapitre XXI « Facteurs influant sur l’état de santé et motifs de recours aux ser­vices de santé ». V. égal., Assurance maladie – risques professionnels, Les affections psychiques liées au travail, janv. 2018, https://www.assurance-maladie.ameli.fr/etudes-et-donnees/2018-sante-travail-affections-psychiques). A noter que l’assouplissement de la règlementation et l’invention de la notion d’incidence professionnelle prévisible ont facilité la saisine des C2RMP. ?
  33. Assurance maladie – risques professionnels, Les affections psychiques liées au travail, janv. 2018, p. 3. ?
  34. Rapport annuel préc., p. 147. ?
  35. Dress, La durée des séances des médecins généralistes, rapport, avr. 2006. La durée moyenne d’une consultation en cabinet est de 15 minutes. Elle est de 25 minutes lorsque sont abordés des problèmes psychologiques et psychiatriques. Rapport publié dans un contexte moins défavorable au regard de la dégradation des conditions de travail des professionnels de santé que nous connaissons depuis quelques années (v. not. sur le sujet les derniers rapports publiés par le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, https://www.securite-sociale.fr/hcaam). ?
  36. Article L. 4131-4 et L. 4154-3 c. trav. (cas de présomptions légales de faute inexcusable). ?
  37. Le risque est assurable : la peine n’est donc pas nécessairement ressentie ni la prévention encouragée. A noter encore que la majoration de la tarification ne concerne pas les établissements concernés par une tarification collective, ce qui représente le gros de l’affaire. ?
  38. Art. R. 242-6-1 c. sécu. soc. (v. aussi art. D. 242-6-1 c. sécu. soc.). ?
  39. ANI du 15 mai 2023 rel. aux accidents du travail et aux maladies professionnelles. Dans le cas particulier, les partenaires sociaux appellent le législateur à prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir que la nature duale de la rente AT/MP ne soit pas remise en cause. Et des amendements en ce sens d’être déposés au projet de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 (art. 39) puis, faute d’avoir emporté la conviction, au projet avorté de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 (art. 24). ?
  40. Cons. const., décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010,Epoux L., cons. n° 16. ?
  41. Assurance maladie – risques professionnels, rapport annuel d’activité pour 2023, p. 10. Transferts et compensations qui représentent plus de 2 086 milliards d’euros, soit 15,7 % des cotisations. ?
  42. V. not. sur le sujet, P. Morvan, Droit de la protection sociale, 11e éd., LexisNexis, 2023, nos 217 et s. La tarification collective, qui s’applique aux entreprises de moins de 20 salariés, ne tient aucun compte de la sinistralité de l’employeur ni de ses efforts pour prévenir les risques. Pour mémoire, 4,8 millions d’entreprises françaises composent les secteurs marchands non agricoles et non financiers et 96 % d’entre elles sont des entreprises occupant moins de 10 personnes (Insee, Les entreprises en France, déc. 2023, p. 56, https://www.insee.fr/fr/statistiques/7681078). ?
  43. P. Morvan, op. cit., n° 212. ?
  44. P. Morvan, op. cit., eod loc. V. égal. art. D 262-6-14 c. sécu. soc. Il a été décidé de ne pas pénaliser à outrance l’entreprise par la survenance d’un accident majeur mais isolé. ?
  45. Y. Saint-Jour, Les anomalies fondamentales de la législation des accidents du travail, RDSS 1985, p. 520. ?
  46. V. not. sur le sujet, G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Traité de droit civil, Les régimes spéciaux et l’assurance de responsabilité, 4e éd., LGDJ, 2017, n° 396. G. Viney, Traité de droit civil, Introduction à la responsabilité, 4e éd., LGDJ, 2019, nos 20 et s. ?
  47. G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Traité de droit civil préc., n° 58-1. Pour mémoire, la loi n° 46-2426 du 30 oct. 1946 sur la prévention et la réparation des AT-MP « interdit à l’employeurs de se garantir par une assurance contre les conséquences de la faute inexcusable » (art. 65, al. 2), laquelle interdiction ne sera pas indifférente à la conception très stricte de la faute inexcusable par la Cour de cassation. Il faudra attendre la réforme de 1987 (loi n° 87-39 du 27 janv. 1987 portant diverses mesures d’ordre social, art. 33, II, al. 2) et les arrêts amiantes (Cass. soc., 28 avr. 2002, n° 00-11.793 – MP – et 11 avr. 2002, n° 00-16.535 – AT) rendus plus tard pour que le régime de la réparation de la faute inexcusable soit assoupli. ?
  48. V. not. Assemblée natio., proposition de loi visant à instaurer une prévoyance collective obligatoire pour tous les salariés, n° 2663 du 28 mai 2024. ?
  49. Art. L. 4121-1 et s. c. trav. ?
  50. Loi n° 46-2426 du 30 oct. 1946 sur la prévention et la réparation des AT-MP. V. not. cette étude très empirique proposée par des ingénieurs conseils d’une caisse régionale (devenue CARSAT) : J. Pachod, C. Oillic-Tissier et A. Antoni, La prévention, priorité de la branche AT-MP, RDSS 2010.628. ?
  51. R. Lafore, Le régime des accidents du travail et des maladies professionnelles : questions récurrentes et enjeux contemporains, RDSS 2018.577. ?
  52. Art. L. 221-1, 2° c. sécu. soc. : « La caisse nationale a pour rôle (…) de définir et de mettre en œuvre les mesures de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (…) ». Art. L. 723-11, 7° et 8° c. rur. V. égal. Cons. const., décision n° 93-332 DC du 13 janv. 1994, loi rel. à la santé publique et à la protection sociale. ?
  53. Art. L 243-11 c. sécu. soc. ?
  54. Art. L. 422-4 c. sécu. soc. En 2023, ce sont seulement 1055 injonctions qui ont été notifiées ?
  55. Art. L. 242-7 (ristournes) et L. 422-5 (avances et subventions) c. sécu. soc. ?
  56. Art. L. 242-7, al. 1 et 2, c. sécu. soc. V. aussi les articles L. 452-2, al. 6 et R. 452-2 c. sécu. soc. ?
  57. La majoration forfaitaire du taux net collectif pour les entreprises de moins de 10 salariés a été pratiquée quelques mois. Un décret n° 2023-1317 du 28 déc. 2023 a mis un terme à l’expérimentation (abrogation des articles D. 242-6-11 et D. 242-35 c. sécu. soc.). ?(Article publié in Droit social, févr. 2025)

La détermination du mode de partage: amiable ou judiciaire?

Le partage des biens indivis constitue une étape décisive pour mettre fin à l’indivision, qu’elle résulte d’une succession, d’une séparation ou de toute autre situation juridique. Ce processus, bien que fondé sur le principe de la liberté contractuelle, est encadré par des règles destinées à garantir à la fois la protection des intérêts de chaque indivisaire et l’efficacité des opérations.

Le législateur, conscient des enjeux souvent émotionnels et financiers qui entourent le partage, privilégie le partage amiable comme mode principal. Cette voie consensuelle repose sur l’autonomie des indivisaires et leur capacité à s’accorder sur les modalités de répartition des biens. Toutefois, lorsque le consensus devient impossible ou que des circonstances particulières l’imposent, le partage judiciaire intervient en tant que solution subsidiaire, encadrée par des règles strictes pour préserver l’équité et la sécurité juridique.

I) Le partage amiable comme principe

Le partage amiable s’impose aujourd’hui comme la voie privilégiée pour mettre un terme à l’indivision. Il incarne l’autonomie des indivisaires et offre des avantages indéniables, alliant souplesse, efficacité et maîtrise des coûts.

Aux termes de l’article 835 du Code civil, le partage amiable repose sur la capacité juridique des indivisaires et leur présence effective, ou à défaut, leur représentation légale. Ce mécanisme exige également l’unanimité des parties, condition essentielle à sa mise en œuvre. En effet, les indivisaires doivent non seulement être capables de consentir au partage, mais également s’accorder sur les modalités du partage, qu’il s’agisse de l’évaluation des biens, de leur répartition ou de toute autre disposition.

La liberté qui caractérise le partage amiable permet aux indivisaires de personnaliser leurs accords, tout en respectant les exigences formelles imposées par la nature des biens. Par exemple, lorsque le partage porte sur des biens immobiliers, un acte notarié est requis conformément aux dispositions du décret du 4 janvier 1955, qui impose la publication foncière pour garantir la validité et l’opposabilité du partage.

La souplesse du partage amiable est tempérée par la nécessité de protéger les intérêts des indivisaires juridiquement incapables, tels que les mineurs ou les majeurs sous tutelle, ainsi que ceux des indivisaires absents. Dans de telles hypothèses, le législateur a prévu des mécanismes spécifiques visant à concilier la possibilité d’un partage amiable avec la protection des personnes vulnérables. L’article 836 du Code civil autorise ainsi un partage amiable sous réserve d’une autorisation préalable délivrée par le juge des tutelles ou, dans certains cas, par le conseil de famille.

Cette autorisation est essentielle pour garantir que les droits des indivisaires protégés soient scrupuleusement respectés. Le juge des tutelles ou le conseil de famille examine les modalités du partage, s’assurant notamment que l’état liquidatif ne lèse pas les intérêts des parties vulnérables. Ces mécanismes d’encadrement permettent de maintenir le principe du partage amiable, même lorsque tous les indivisaires ne peuvent y consentir directement.

Bien que le législateur encourage vivement le partage amiable, certaines situations peuvent rendre ce mode de règlement inapplicable. En cas de désaccord entre les indivisaires, sur les modalités du partage ou sur l’approbation de l’état liquidatif, l’unanimité requise fait défaut. De même, si le juge des tutelles refuse d’accorder l’autorisation nécessaire ou si les parties ne parviennent pas à un compromis, le partage amiable devient impraticable.

Dans ces cas, le recours au partage judiciaire s’impose. Ce mode, bien que subsidiaire, est encadré par des règles précises visant à garantir l’équité entre les parties. Toutefois, il s’accompagne de contraintes procédurales et économiques non négligeables : la demande en justice, l’intervention d’experts pour l’établissement de l’état liquidatif, les débats contradictoires et l’homologation par le tribunal engendrent des coûts et des délais significatifs. Ces inconvénients soulignent l’importance de privilégier le partage amiable chaque fois que cela est possible.

Le législateur, conscient des avantages du partage amiable, en fait aujourd’hui le principe, réservant le partage judiciaire aux situations où aucun autre moyen ne permet de mettre un terme à l’indivision. Cette promotion s’inscrit dans une logique de pacification des relations entre indivisaires, en encourageant la coopération et en limitant les conflits. Ainsi, même dans les cas complexes impliquant des personnes protégées ou absentes, le partage amiable demeure accessible, sous réserve de certaines adaptations procédurales.

II) Le partage judiciaire comme exception

Bien que le partage amiable constitue la règle, il arrive que les circonstances exigent une intervention judiciaire pour mettre fin à l’indivision. Dans de tels cas, le partage judiciaire, prévu par l’article 840 du Code civil, s’impose à titre subsidiaire, offrant une solution équitable lorsque le consensus des indivisaires est impossible ou inapproprié.

Lorsque l’unanimité fait défaut, le partage amiable ne peut prospérer. En cas de désaccord persistant entre les indivisaires, qu’il s’agisse de la répartition des biens, de leur évaluation ou des modalités de tirage au sort, le recours au juge devient inévitable. Cette intervention garantit que les opérations de partage se déroulent dans des conditions équitables pour tous.

De même, l’inertie ou le désintérêt volontaire d’un indivisaire peut également rendre nécessaire cette voie contentieuse. Dans de telles hypothèses, l’article 837 du Code civil impose qu’une mise en demeure soit préalablement adressée à l’indivisaire défaillant. Si ce dernier persiste dans son silence, le tribunal peut désigner un mandataire chargé de le représenter, mais le caractère judiciaire de la procédure demeure prédominant.

Certains biens indivis, en raison de leur complexité ou de leur nature particulière, requièrent l’intervention du juge pour que leur partage soit réalisé dans des conditions adéquates. Tel est le cas des biens immobiliers complexes ou indivisibles, lorsque les indivisaires ne parviennent pas à s’accorder sur leur valeur ou leur division matérielle. Dans de telles situations, la juridiction saisie peut ordonner une expertise ou, en dernier ressort, une vente judiciaire sous forme de licitation. De même, les biens grevés de droits spécifiques, tels que les sûretés réelles ou les mesures conservatoires, requièrent souvent une intervention judiciaire afin de lever les incertitudes juridiques et de permettre une répartition équitable.

La procédure de partage judiciaire se distingue par sa rigueur et son formalisme. Elle comprend des étapes bien définies, à commencer par la saisine du tribunal. Sous la direction d’un notaire désigné, un état liquidatif est établi, décrivant en détail la répartition projetée des biens. Cet état est ensuite soumis à l’homologation judiciaire, qui en garantit la conformité et la légalité. Enfin, dans les cas où la répartition ne peut être déterminée par un accord entre les parties, le tirage au sort des lots assure une allocation impartiale des biens. Bien que cette procédure puisse sembler contraignante, elle demeure essentielle pour préserver l’équité, notamment lorsque les relations entre les indivisaires sont conflictuelles ou que la nature des biens le requiert.

Malgré son importance dans les situations les plus complexes, le partage judiciaire reste une solution ultime et résiduelle. Le législateur, soucieux de promouvoir des solutions consensuelles, encourage une transition vers le partage amiable, même lorsqu’une procédure judiciaire est en cours. L’article 842 du Code civil permet ainsi aux parties, à tout moment, d’abandonner les voies judiciaires pour conclure un partage amiable, sous réserve d’un accord unanime. Cette disposition illustre la volonté de privilégier, autant que possible, une résolution autonome et harmonieuse des différends entre indivisaires.

Les variétés de modes de partage

Le partage, acte par lequel l’indivision prend fin pour attribuer à chaque indivisaire des droits exclusifs sur les biens concernés, constitue une étape essentielle en vue de liquider une succession, un régime matrimonial ou encore l’actif d’une personne morale.

Ce processus, destiné à mettre un terme à la copropriété indivise, peut être réalisé selon deux modes distincts : le partage amiable et le partage judiciaire. Ces deux formes traduisent des philosophies différentes, l’une valorisant le consensualisme, l’autre imposant l’intervention de l’autorité judiciaire.

==>Le partage amiable

Le partage amiable, favorisé par le législateur, repose sur l’accord unanime des indivisaires quant aux modalités de répartition des biens indivis. En vertu de l’article 835 du Code civil, dès lors que tous les indivisaires sont présents et capables, le partage peut intervenir dans les formes et selon les modalités librement définies par les parties. Il peut être formalisé par un acte sous seing privé ou un acte notarié, ce dernier étant obligatoire en présence de biens immobiliers pour garantir leur publicité foncière.

Ce mode de partage illustre la prééminence du consensualisme en présence d’une situation d’indivision. Sa rapidité, son faible coût et sa souplesse en font la solution privilégiée, particulièrement encouragée depuis la réforme de 2006. Même en cas de difficultés – présence d’un indivisaire protégé, présumé absent ou défaillant – des mécanismes spécifiques permettent de préserver le recours au partage amiable, moyennant autorisation ou représentation.

==>Le partage judiciaire

Lorsque l’accord entre les indivisaires fait défaut, que des désaccords surgissent sur la composition des lots ou que des indivisaires sont dans l’incapacité de consentir, le partage judiciaire s’impose comme une alternative incontournable. Encadré par l’article 840 du Code civil, ce mode de partage offre une solution dans les situations de blocage. La procédure, régie par les articles 1359 à 1378 du Code de procédure civile, implique la saisine du Tribunal judiciaire, lequel désignera alors un notaire liquidateur chargé de conduire les opérations de partage.

Le partage judiciaire est une procédure souvent longue et coûteuse, comprenant plusieurs étapes : l’établissement de l’état liquidatif, l’homologation des lots par le juge, et, en cas de désaccord persistant, le recours au tirage au sort ou à la licitation. Toutefois, cette procédure garantit l’équité entre les indivisaires et permet de trancher les litiges, assurant ainsi une répartition conforme à leurs droits respectifs.

Au bilan, Ces deux modes de partage traduisent un équilibre recherché par le législateur entre l’autonomie des parties et l’intervention de l’autorité judiciaire. Alors que le partage amiable favorise la liberté contractuelle et la rapidité, le partage judiciaire, bien qu’exceptionnel, demeure une garantie essentielle dans les situations conflictuelles. Il est d’ailleurs toujours possible pour les indivisaires, même après l’engagement d’une procédure judiciaire, de revenir à un partage amiable, conformément à l’article 842 du Code civil.

En définitive, cette dualité des modes de partage permet d’offrir une solution adaptée à chaque situation, conciliant souplesse, efficacité et respect des droits de chacun.

Opérations de partage: la détermination de la masse partageable

Les opérations de partage sont régies par les articles 816 à 892 du Code civil. Bien que ces dispositions concernent principalement les indivisions issues de successions, elles s’appliquent également, sous réserve d’adaptations spécifiques, aux indivisions issues d’autres origines, telles que les communautés conjugales ou encore les sociétés.

Cette extension du champ d’application trouve son fondement dans des renvois explicites opérés par le législateur, notamment aux articles 1476, 1542, 1844-9 et 1872-1 du Code civil. Ces dispositions consacrent l’idée d’une transposition des règles successorales à d’autres formes d’indivision, assurant ainsi une cohérence légale et procédurale dans des situations souvent complexes.

Toutefois, cette assimilation des règles successorales à des contextes distincts doit s’opérer avec rigueur et sous l’égide du principe d’interprétation stricte des textes d’exception. Il s’agit de préserver l’équilibre entre l’objectif d’unification du droit des indivisions et le respect des spécificités propres à chaque cadre juridique, qu’il s’agisse du partage de la masse communautaire, de la liquidation d’une société dissoute ou de tout autre partage résultant d’une indivision. Dès lors, la transposition des règles successorales à d’autres contextes, bien qu’utile pour préserver une unité législative, requiert une prudence particulière, afin de ne pas élargir indûment le champ d’application de ces dispositions.

C’est à la lumière de ces principes que nous aborderons les différentes étapes des opérations de partage, qu’elles concernent une indivision successorale ou une indivision ayant une autre origine.

A cet égard, pour procéder au partage, deux étapes successives et complémentaires doivent être distinguées, chacune répondant à une logique propre :

  • La liquidation stricto sensu
    • La première étape consiste à chiffrer les droits des parties en procédant à une évaluation rigoureuse de l’actif à partager.
    • Cette opération, appelée liquidation stricto sensu, implique de déterminer précisément la consistance et la valeur de la masse partageable, en prenant en compte les biens mobiliers, immobiliers, les éventuelles dettes et libéralités.
    • Cette étape est essentielle pour poser les bases d’une répartition équitable et pour garantir la transparence des opérations.
  • Le partage stricto sensu
    • Une fois les droits chiffrés, la seconde étape vise à mettre un terme à l’indivision en attribuant à chaque indivisaire des biens correspondant à ses droits.
    • Ce processus, qualifié de partage stricto sensu, suppose la composition des lots à répartir, laquelle doit respecter le principe d’équivalence entre les droits liquidés et les biens attribués, sous réserve d’éventuels soultes ou ajustements.

Ces deux étapes structurent tant les partages amiables que judiciaires. Les règles qui les gouvernent, communes aux deux cadres, s’imposent au juge dans le cadre d’un partage judiciaire, alors qu’elles peuvent être librement aménagées par les parties dans le cadre d’un partage amiable.

Nous nous focaliserons ici sur la première étape: la détermination de la masse partageable.

Le partage d’une indivision ne peut être envisagé sans une préalable détermination précise de la masse partageable. Avant de répartir les biens entre les indivisaires, il est indispensable de connaître l’étendue du patrimoine commun, d’identifier les dettes grevant ce patrimoine et de régulariser les comptes entre les co-indivisaires. Cette étape de liquidation est essentielle pour garantir un partage équitable, fondé sur une vision claire et exhaustive des droits et obligations de chacun.

La détermination de la masse partageable repose ainsi sur trois opérations successives :

  • L’inventaire des biens existants, permettant d’établir la consistance matérielle et juridique du patrimoine indivis ;
  • La prise en compte du passif de l’indivision, incluant tant les dettes externes que les créances internes nées des relations entre indivisaires ;
  • L’établissement des comptes entre indivisaires, destiné à régulariser les déséquilibres financiers survenus au cours de la gestion de l’indivision.

§1: L’inventaire des biens existants

I) Composition de la masse partageable

L’article 825 du Code civil prévoit que « la masse partageable comprend les biens existant à l’ouverture de la succession, ou ceux qui leur ont été subrogés, et dont le défunt n’a pas disposé à cause de mort, ainsi que les fruits y afférents. Elle est augmentée des valeurs soumises à rapport ou à réduction, ainsi que des dettes des copartageants envers le défunt ou envers l’indivision. »

Il s’infère de cette disposition, dont l’application ne se limite pas aux indivisions successorales puisque s’appliquant mutatis mutandis aux autres indivisions, que la masse partageable comprend divers éléments.

Pour des raisons de clarté et pour une meilleure compréhension de la consistance de la masse partageable, nous aborderons les éléments qui la composent en les regroupant dans les catégories suivantes :

  • Les biens existants, qui forment le socle initial de la masse partageable.
  • Les créances, qui incluent les droits indivis contre des tiers.
  • Les biens subrogés, résultant de la substitution d’un bien par un autre.
  • Les biens à caractère personnel, dont seule la valeur patrimoniale est partageable.
  • Les fruits et revenus, produits par les biens indivis au cours de l’indivision.
  • Les plus-values et moins-values, résultant des fluctuations ou de la gestion des biens indivis.

A) Les biens existants

Les biens existants forment la base essentielle de toute masse partageable, qu’elle résulte d’une indivision successorale, conventionnelle ou légale.

Dans le cadre d’une indivision successorale, ces biens comprennent l’intégralité des éléments patrimoniaux ayant appartenu au de cujus et demeurant dans la succession au jour du partage.

1. Notion et délimitation des biens existants

==>Les biens ordinaires

Les biens existants sont ceux qui appartiennent à l’indivision au moment de l’ouverture de celle-ci et qui n’ont pas été cédés, consommés ou aliénés avant la clôture des opérations de partage.

Ces biens peuvent revêtir différentes formes, au nombre desquels figurent :

  • Les biens immobiliers : terrains, maisons, appartements, immeubles de rapport, qui constituent souvent une partie substantielle de la masse indivise.
  • Les biens mobiliers : meubles corporels tels que les objets d’art, les véhicules, les meubles d’ameublement, ainsi que les biens mobiliers incorporels comme les valeurs mobilières, les comptes bancaires ou les titres de créances.
  • Les parts sociales et actions : dans les sociétés civiles ou commerciales, les parts détenues par le défunt, tant qu’elles n’ont pas été transmises par cession, restent dans la masse indivise.
  • Les droits patrimoniaux : droits de créance, droits d’exploitation d’une entreprise individuelle ou droits attachés à des propriétés intellectuelles.

Le partage de ces biens dépend de leur existence au jour du partage. Dans un arrêt du 9 mai 9178, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « le partage ne peut porter que sur les biens qui existent encore à la date du partage » (Cass. 1ère civ., 9 mai 1978, n°76-12.646), soulignant ainsi la nécessité d’exclure les biens qui ont disparu de la masse successorale avant cette date, que ce soit par aliénation, consommation ou destruction.

==>Les libéralités rapportées ou réduites

En sus des biens existants au sens strict, les libéralités consenties à certains héritiers peuvent également entrer dans la masse à partager sous réserve de certaines conditions.

En effet, ces libéralités sont susceptibles d’être rapportées à la masse indivise ou réduites si elles excèdent la quotité disponible et portent atteinte à la réserve héréditaire.

L’article 843 du Code civil prévoit en ce sens que les héritiers réservataires sont tenus de rapporter à la masse successorale les biens dont ils ont pu bénéficier à titre de donation ou d’avantage indirect.

Deux situations sont à envisager :

  • Le rapport des libéralités
    • Il s’agit de remettre fictivement dans la masse successorale les biens reçus par un héritier en avance sur sa part d’héritage.
    • Ces biens peuvent être rapportés en nature (si le bien est resté dans le patrimoine de l’héritier) ou en valeur.
    • Le but est ici de préserver l’égalité entre les héritiers.
  • La réduction des libéralités
    • Si les donations ou legs consentis par le défunt dépassent la quotité disponible, ils peuvent être réduits pour protéger les droits des héritiers réservataires.
    • La réduction s’effectue en valeur ou en nature selon les modalités prévues par les articles 924 et suivants du Code civil.

Dans ces cas, même si les biens en question ont été donnés avant l’ouverture de la succession, leur valeur est réintégrée dans la masse à partager pour préserver l’égalité entre les cohéritiers.

2. L’évolution de la masse indivise jusqu’au partage

Il convient de souligner que la masse indivise à partager n’est pas figée. Elle peut évoluer entre l’ouverture de l’indivision et le partage définitif.

Pendant cette période, les biens peuvent être vendus, dégradés ou augmenter de valeur.

Par exemple, les immeubles indivis peuvent prendre de la valeur sur le marché immobilier ou au contraire subir une dépréciation en fonction des conditions économiques.

L’article 822 du Code civil précise que l’évaluation des biens indivis se fait à la date la plus proche du partage afin de tenir compte de ces fluctuations.

En cas d’augmentation de la valeur des biens, celle-ci bénéficie à l’ensemble des indivisaires.

De la même manière, toute dépréciation impacte collectivement les indivisaires. Les plus-values réalisées, par exemple en cas de gestion ou d’améliorations apportées aux biens indivis par un des cohéritiers, sont elles aussi réparties au prorata des droits indivisaires, sauf demande de remboursement pour les investissements réalisés (Cass. 1ère civ., 29 mai 1996, n°94-14.632).

3. L’importance d’une évaluation exhaustive des biens existants

Il est essentiel de procéder à une évaluation complète et précise de l’ensemble des biens existants au jour du partage.

L’omission d’un bien dans la masse indivise peut entraîner un partage complémentaire, quand bien même la valeur du bien omis est minime.

Dans d’une décision du 15 mai 2008, la Cour de cassation a rappelé en ce sens que « lorsqu’un bien est omis lors du partage, cela impose la réalisation d’un partage complémentaire, quelle que soit la valeur du bien omis » (Cass. 1ère civ., 15 mai 2008, n°06-19.416).

Cette règle vise à garantir que tous les biens constituant la masse successorale soient effectivement répartis entre les cohéritiers, protégeant ainsi les droits de chacun.

Aussi, sauf renonciation expresse d’un indivisaire à ses droits, l’omission d’un bien ne saurait priver un indivisaire de sa part dans ce bien. Le fait de ne pas avoir mentionné un bien dans le partage initial n’éteint donc pas les droits des indivisaires sur ce bien.

B) Les créances

Les créances indivises peuvent constituer une composante importante de l’actif à partager, car elles représentent des droits que l’indivision détient contre des tiers.

Elles peuvent prendre différentes formes : créances de nature contractuelle, créances liées à des droits de propriété, ou encore créances issues de la gestion des biens indivis.

Leur gestion au sein de l’indivision est encadrée par des principes stricts de répartition entre les indivisaires.

1. Le principe de division des créances

==>Énoncé du principe

En application de l’article 1309, al. 1er du Code civil, dès l’ouverture de l’indivision, les créances se divisent de plein droit entre les indivisaires, au prorata de leurs parts dans la succession.

Ce principe est applicable aussi bien en cas d’indivision successorale qu’en cas d’indivision conventionnelle. Cela signifie que chaque indivisaire devient titulaire de la fraction de la créance correspondant à sa quote-part dans l’indivision.

En pratique, cela permet à chaque indivisaire de réclamer directement sa part de la créance à un tiers débiteur. Cette règle vise à simplifier le recouvrement des créances tout en respectant les droits proportionnels de chacun des indivisaires.

==>Mise en œuvre du principe

Lorsqu’une créance indivise est recouvrée par un indivisaire, ce dernier doit s’assurer de ne percevoir que sa part proportionnelle.

Si un indivisaire reçoit un montant supérieur à sa quote-part dans la créance, il est tenu de rembourser l’excédent à ses coindivisaires. Cette obligation découle du principe d’équité qui régit l’indivision.

L’effet déclaratif du partage, prévu par l’article 883 du Code civil, joue un rôle important ici.

Lors du partage de l’indivision, chaque indivisaire est considéré comme ayant toujours été propriétaire exclusif des biens qui lui sont attribués depuis l’origine de l’indivision.

Cela signifie qu’une créance qui est partagée ne fait l’objet d’un transfert qu’au moment du partage, ce qui peut avoir des conséquences sur les paiements effectués avant le partage.

Si, par exemple, une créance successorale est cédée par un indivisaire avant le partage, cette cession pourrait être annulée si, au moment du partage, la créance est attribuée à un autre indivisaire.

Cela a été confirmé par la jurisprudence dans un arrêt ancien, mais encore souvent cité : Cass. req., 13 janv. 1909, qui rappelle que la cession d’une créance par un indivisaire avant partage est nulle si celui-ci n’en est pas attributaire lors du partage.

Dans cette affaire, un indivisaire avait cédé une créance successorale avant le partage de la succession.

Toutefois, au moment du partage, cette créance n’avait pas été attribuée au cédant, mais à un autre héritier. La Cour de cassation a jugé que cette cession était nulle, car l’indivisaire cédant n’avait pas été attributaire de la créance au moment du partage.

Il ressort de cette jurisprudence que, jusqu’au partage, l’indivisaire ne saurait valablement céder une créance indivise, car l’effet déclaratif du partage signifie qu’il n’est considéré comme ayant eu un droit exclusif sur cette créance qu’à partir du moment où elle lui est attribuée définitivement lors du partage.

En effet, l’effet déclaratif du partage, consacré par l’article 883 du Code civil, signifie que le partage ne fait que constater et déclarer des droits qui existaient depuis l’ouverture de la succession, mais que chaque héritier est censé avoir eu de manière exclusive sur les biens qui lui sont attribués.

Avant le partage, les biens de la succession sont indivis, et chaque indivisaire est copropriétaire de la totalité des biens à hauteur de sa quote-part. Un indivisaire ne peut donc céder un bien ou une créance tant que celui-ci n’a pas été précisément attribué à lui lors du partage.

Cette règle vise à préserver l’intégrité de la masse successorale jusqu’au partage et d’éviter des complications liées à des cessions de biens indivis avant leur attribution définitive.

2. Exception : les créances indivisibles

Toutes les créances ne sont pas divisibles entre les indivisaires. Certaines créances, en raison de leur nature, sont considérées comme indivisibles et doivent être recouvrées et partagées dans leur totalité par l’ensemble des indivisaires.

Un exemple typique est celui des indemnités d’expropriation, que la jurisprudence a qualifiées de créances indivisibles.

Dans une décision importante, la Cour de cassation a jugé que ces indemnités ne pouvaient pas être divisées entre les indivisaires, et devaient donc être partagées dans leur ensemble (Cass. 3e civ., 13 déc. 1995, n°94-86.191).

Dans cette affaire, une indemnité d’expropriation avait été accordée pour un bien appartenant à une indivision.

Le problème portait sur la manière dont cette indemnité devait être traitée et répartie entre les indivisaires, certains d’entre eux contestant les modalités de la répartition.

Plus précisément, la question soulevée était de savoir si une indemnité d’expropriation, touchant un bien indivis, pouvait être divisée entre les indivisaires ou si elle devait être considérée comme indivisible.

La Cour de cassation a jugé que l’indemnité d’expropriation d’un bien indivis est indivisible, confirmant ainsi que cette indemnité devait être partagée entre tous les indivisaires de manière globale.

Elle ne pouvait donc pas, en d’autres termes, être divisée et recouvrée séparément par chaque indivisaire en fonction de sa quote-part dans l’indivision.

Il s’en déduit qu’une créance liée à l’indemnité d’expropriation d’un bien indivis est insusceptible de faire l’objet d’une division proportionnelle comme les autres créances ordinaires de l’indivision.

La raison en est que l’indivisibilité de l’indemnité d’expropriation repose sur la nature même de cette indemnité, qui est censée compenser la perte d’un bien indivis dans son ensemble.

Le bien étant indivis, l’indemnité qui le remplace doit également être considérée comme indivise et répartie globalement entre les co-indivisaires au moment du partage.

La jurisprudence justifie cette position par la nécessité de maintenir la cohérence de l’indemnisation en cas d’expropriation d’un bien indivis.

Puisque le bien appartient en commun à tous les indivisaires, l’indemnité accordée par les autorités expropriantes est considérée comme une créance unique et indivisible, à répartir seulement après avoir été reçue globalement par l’indivision.

Il peut être observé que le caractère indivisible d’une créance peut également se retrouver dans d’autres situations, notamment lorsque la nature même de l’obligation le rend impossible. Cela peut notamment concerner des créances liées à des préjudices moraux, ou des obligations contractuelles spécifiques.

C) Les biens subrogés

La subrogation réelle consiste à substituer dans un patrimoine une chose par une autre.

Il en va ainsi lorsqu’un bien mobilier ou immobilier dont est propriétaire une personne est remplacé par une somme d’argent correspondant à la valeur du bien remplacé.

Cette somme d’argent peut consister en un prix de vente, à une indemnité d’assurance ou encore à une indemnité d’expropriation.

La particularité de la subrogation réelle est donc qu’elle opère le remplacement dans un bien par un autre, sans pour autant modifier le rapport de propriété préexistant liant le propriétaire à la chose.

C’est là le sens de l’adage subrogatum capit naturam subrogi, soit ce qui est subrogé prend la nature de ce à quoi il est subrogé.

La conséquence en est que la subrogation n’affecte pas le droit réel exercé par le propriétaire ; elle substitue seulement son objet.

A cet égard, le mécanisme de la subrogation réelle trouve une application dans le régime des indivisions, particulièrement lorsque des biens sont vendus, détruits ou remplacés.

La subrogation permet ainsi d’assurer la continuité de la masse indivise, en substituant à un bien disparu un équivalent en nature ou en valeur (prix de vente, indemnité, créance, etc.). L’objectif est de préserver les droits des indivisaires et de maintenir la cohérence de l’actif indivis jusqu’au partage.

En pratique, cela signifie que le bien subrogé, bien qu’il diffère dans sa forme ou sa valeur, continue à appartenir à la masse indivise et reste soumis aux règles qui gouvernent le partage.

Le principe de la subrogation réelle est issu de l’arrêt Chollet-Dumoulin rendu par les chambres réunies de la Cour de cassation le 5 décembre 1907 (Cass. ch. Réunies, 5 déc. 1907).

Dans cette affaire, les indivisaires avaient vendu un bien immobilier indivis et une contestation était née quant à la répartition du prix de vente.

La question portait sur le fait de savoir si le prix de vente devait être considéré comme faisant partie de la succession et partagé entre les indivisaires, ou s’il pouvait être exclu de la masse indivise.

La Cour de cassation a tranché en faveur de l’intégration du prix de vente à la masse indivise, affirmant que le produit de la vente d’un bien indivis devait être considéré comme un « effet de succession ».

Le prix de vente remplace donc le bien vendu et devient un bien subrogé à répartir entre les indivisaires de la même manière que le bien lui-même aurait été partagé. Cet arrêt a posé le fondement de la subrogation réelle, garantissant ainsi que la vente d’un bien indivis n’entraîne pas la perte de valeur pour les indivisaires mais simplement son transfert sur une somme d’argent.

Dès lors, la subrogation réelle peut intervenir selon deux modalités principales :

  • La subrogation automatique
    • Lorsqu’elle est automatique, la subrogation réelle joue de plein droit.
    • Ce mécanisme est mise en oeuvre dès lors qu’un bien indivis est aliéné ou détruit, sans nécessiter l’accord des indivisaires.
    • Par exemple, le prix de vente d’un bien indivis ou une indemnité d’assurance en cas de destruction entre automatiquement dans la masse indivise.
    • Ce principe de subrogation automatique assure que les droits des indivisaires sur les biens aliénés sont préservés et reportés sur la somme obtenue en contrepartie.
  • La subrogation volontaire
    • Il est des cas où pour produire ses effets, la subrogation requiert le consentement des indivisaires, notamment en matière d’emploi ou de remploi de biens indivis.
    • Ici, le produit de la vente d’un bien indivis peut être réinvesti dans l’acquisition d’un nouveau bien, à condition que tous les indivisaires y consentent.
    • Ce nouveau bien deviendra alors lui-même indivis, mais seulement si les cohéritiers acceptent explicitement cette opération.

1. La subrogation automatique : un principe général

La subrogation réelle est, en principe, automatique et s’applique de plein droit dès lors qu’un bien indivis est aliéné ou détruit.

Ce principe est consacré par l’article 815-10 du Code civil, qui prévoit que les créances et indemnités venant remplacer des biens indivis entrent automatiquement dans la masse indivise.

Ainsi, les indivisaires conservent-ils leurs droits, non plus sur le bien initial, mais sur la somme ou l’indemnité qui le remplace.

La subrogation automatique est susceptible de jouer dans plusieurs situations :

  • Vente d’un bien indivis : le prix de vente comme bien subrogé
    • Lorsqu’un bien indivis est vendu, le prix de vente se substitue automatiquement au bien vendu et intègre la masse indivise.
    • Cette subrogation a pour effet de remplacer le bien physique par une créance pécuniaire, qui est alors partagée entre les indivisaires selon leurs droits dans l’indivision.
    • Ainsi, les indivisaires conservent une quote-part dans le produit de la vente.
    • C’est ce principe que l’arrêt Chollet-Dumoulin est venu consacrer (Cass. ch. Réunies, 5 déc. 1907).
    • Ce principe garantit que la vente d’un bien indivis ne prive pas les indivisaires de leurs droits, mais simplement les reporte sur une somme d’argent.
  • Indemnité d’assurance : subrogation en cas de destruction d’un bien
    • En cas de destruction d’un bien indivis, par exemple à la suite d’un sinistre, l’indemnité d’assurance versée en réparation du dommage se substitue automatiquement au bien détruit.
    • Cette indemnité est intégrée dans la masse indivise et se partage entre les indivisaires selon leurs parts respectives.
    • Ce principe a été confirmé par l’arrêt Cass. 1re civ., 19 mars 2014, dans lequel la Cour de cassation a jugé que l’indemnité d’assurance subrogée à un bien indivis détruit doit être intégrée à l’indivision, même si son montant dépasse la valeur initiale du bien détruit.
    • Le juge du partage n’a aucun pouvoir pour discuter le montant de l’indemnité ; il doit l’intégrer intégralement à l’actif indivis (Cass. 1ère civ. 19 mars 2014, n° 13-12.578).
  • Créances successorales : annulation des cessions avant partage
    • Un autre exemple de subrogation réelle se retrouve dans le cas des créances successorales.
    • Si un indivisaire cède une créance avant le partage et que cette créance n’est finalement pas attribuée à cet indivisaire au moment du partage, la cession est annulée.
    • C’est le principe de l’effet déclaratif du partage qui est à l’œuvre ici, comme l’a affirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 13 janvier 1909 (Cass. req., 13 janvier 1909).
    • Dans cette affaire, un indivisaire avait cédé une créance successorale avant le partage.
    • Toutefois, au moment du partage, cette créance n’avait pas été attribuée au cédant, mais à un autre héritier.
    • La Cour de cassation a jugé que la cession de cette créance était nulle, car l’indivisaire cédant n’était pas devenu propriétaire exclusif de la créance avant le partage.
    • Cet arrêt confirme que, tant que le partage n’a pas eu lieu, les droits des indivisaires sur les biens de la succession sont indivis et ne peuvent pas faire l’objet d’une cession indépendante par un seul co-indivisaire.
    • Ce principe s’infère de l’article 883 du Code civil, selon lequel le partage a un effet déclaratif : il ne crée pas de nouveaux droits mais attribue à chaque indivisaire la portion de biens à laquelle il avait déjà droit depuis l’ouverture de la succession.
    • Ainsi, la cession d’un bien indivis avant le partage n’est valable que si le bien est effectivement attribué à l’indivisaire cédant au moment du partage.

2. La subrogation volontaire : emploi et remploi des biens indivis

Par exception, certaines situations de subrogation réelle ne sont pas automatiques et requièrent le consentement des indivisaires.

Cela concerne principalement les cas d’emploi et de remploi, où le prix de vente d’un bien indivis ou une indemnité est réinvesti dans un nouveau bien. Cette forme de subrogation est dite volontaire, car elle requiert l’accord unanime des indivisaires.

En effet, l’emploi et le remploi sont des mécanismes qui permettent de réinvestir les sommes issues de la vente d’un bien indivis dans l’acquisition d’un nouveau bien.

Ce nouveau bien devient alors indivis, à condition que tous les indivisaires aient donné leur consentement.

L’article 815-10 du Code civil précise en ce sens que les biens acquis en emploi ou en remploi de biens indivis ne peuvent être eux-mêmes indivis que si tous les indivisaires ont consenti à cette opération.

Ce consentement est indispensable pour éviter que l’un des indivisaires ne soit contraint d’accepter l’acquisition d’un nouveau bien en indivision contre son gré. En l’absence d’accord unanime, seul le prix de vente ou l’indemnité d’assurance reste dans la masse indivise, mais aucun nouveau bien ne peut être intégré à l’indivision.

La jurisprudence a confirmé à plusieurs reprises le caractère volontaire de l’emploi et du remploi, notamment à travers d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 février 1996 (Cass. 1ère civ., 20 févr. 1996, 93-21.141)

Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si les opérations de gestion effectuées par le gérant d’une indivision, en utilisant des fonds indivis pour acquérir de nouveaux biens, pouvaient être considérées comme ayant été réalisées au profit de l’indivision.

L’époux, qui était le gérant de l’indivision post-communautaire, avait effectué des achats avec les deniers indivis. Le litige portait sur la question de savoir si ces biens nouvellement acquis devaient être considérés comme des biens indivis, au titre de la subrogation réelle.

La Cour de cassation a confirmé que les opérations de remploi effectuées par le gérant d’une indivision post-communautaire étaient valables, sous réserve que ces opérations aient été réalisées avec le consentement des indivisaires ou, à défaut, dans l’intérêt de l’indivision.

En l’espèce, la Cour a jugé que toutes les acquisitions réalisées par le gérant avec des deniers indivis l’avaient été volontairement pour le compte de l’indivision, car il avait agi dans l’intérêt de celle-ci et avec l’accord implicite des autres indivisaires.

Ainsi, la simple utilisation de deniers indivis ne suffit donc pas à opérer une subrogation ; il faut également une intention manifeste d’acquérir pour le compte de l’indivision.

En revanche, si l’emploi ou le remploi a lieu sans le consentement de tous les indivisaires, la subrogation ne pourra pas être imposée. Dans ce cas, seule la somme d’argent, comme le prix de vente ou l’indemnité, restera dans la masse indivise.

En cas de désaccord entre les indivisaires sur la question du remploi, il est possible de demander l’intervention du juge.

L’article 815-6 du Code civil permet au tribunal judiciaire de prendre des mesures urgentes pour protéger les intérêts de l’indivision, notamment en autorisant une opération de remploi en l’absence d’accord unanime.

De même, l’article 815-5 du Code civil permet à un indivisaire d’agir seul en cas de gestion d’affaires, à condition que cela soit dans l’intérêt commun et justifié par l’urgence ou la conservation du bien.

D) Les biens à caractère personnel

Certains biens, bien qu’ayant un caractère personnel, peuvent être inclus dans la masse partageable de l’indivision, mais sous certaines conditions particulières.

La jurisprudence a établi une distinction essentielle entre la titularité (ou le titre) de ces biens, qui reste personnelle et intransmissible, et leur valeur économique, qui, elle, peut être intégrée à la masse indivise et partagée entre les coindivisaires.

Ce principe de distinction entre le titre et la valeur permet de concilier le caractère personnel de certains biens avec la nécessité de partager leur valeur économique dans une indivision. Il trouve son origine dans la gestion des offices ministériels et a ensuite été transposé à d’autres types de biens présentant des caractéristiques similaires, comme les parts sociales ou les clientèles professionnelles.

1. Origine de la distinction entre le titre et la finance

Les offices ministériels (notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs, etc.) illustrent bien la distinction entre le titre et la finance car ils se caractérisent par deux aspects distincts :

  • Le titre, qui confère à son titulaire l’autorisation d’exercer une mission de service public. Ce titre, octroyé par l’État, est strictement personnel, car il repose sur des qualifications spécifiques et des agréments particuliers liés à la personne du titulaire. En raison de ce caractère personnel, la titularité d’un office ne peut être cédée ou partagée dans le cadre d’une indivision.
  • La finance, ou la valeur économique de l’office, est en revanche patrimoniale. Cette valeur correspond au prix de marché de l’office et peut être partagée, notamment lors d’une succession ou d’un partage. Ainsi, même si le titre reste propre au titulaire, la valeur patrimoniale de l’office (appelée finance) peut être incluse dans la masse indivise et partagée entre les indivisaires.

Cette distinction a été consacré par la jurisprudence, notamment pour éviter que les coindivisaires ou le conjoint d’un titulaire d’office ne puissent revendiquer la titularité de l’office, tout en leur permettant de bénéficier de la valeur économique qu’il représente.

2. Extension de la distinction à d’autres biens à caractère personnel

Au fil du temps, cette distinction entre le titre et la valeur a été transposée à d’autres biens à caractère personnel, tels que les parts sociales dans des sociétés de personnes, les clientèles professionnelles, ou encore certaines concessions administratives.

==>Les parts dans des sociétés de personnes

Dans les sociétés de personnes, comme les sociétés civiles ou les SNC (Société en Nom Collectif), la qualité d’associé repose sur une relation de confiance (intuitu personae) entre les associés.

La titularité des parts sociales est donc strictement personnelle et intransmissible sans l’accord des autres associés.

Cependant, la valeur patrimoniale de ces parts peut entrer dans la masse indivise et être partagée entre les indivisaires au moment du partage.

==>Les clientèles professionnelles

La clientèle d’un professionnel (médecin, avocat, notaire) repose sur une relation de confiance personnelle avec les clients, ce qui la rend intransmissible.

Toutefois, la valeur économique de cette clientèle peut être incluse dans l’actif indivis.

Par exemple, lors de la liquidation d’une indivision post-communautaire, la valeur patrimoniale de la clientèle peut être évaluée et partagée entre les indivisaires, bien que la titularité de la clientèle reste propre au professionnel.

==>Les concessions administratives

Un autre exemple de cette distinction peut être trouvé dans les concessions administratives, telles que les concessions de parcs à huîtres.

Dans un arrêt du 8 décembre 1987, la Cour de cassation a jugé que la concession, en tant que droit personnel, était intransmissible. Toutefois, la valeur patrimoniale de cette concession pouvait entrer dans la masse commune ou indivise, permettant ainsi de protéger l’intérêt économique des indivisaires ou du conjoint (Cass. 1ère civ. 8 déc. 1987, n°86-12426).

3. Application de la distinction dans le cadre de l’indivision

La distinction entre le titre et la finance s’applique donc dans plusieurs cas où le bien est personnel, mais présente une valeur patrimoniale importante. Elle permet de protéger l’aspect personnel du bien, tout en offrant aux indivisaires la possibilité de partager la valeur économique de ce bien.

La jurisprudence est claire : la titularité de certains biens à caractère personnel (parts sociales, offices ministériels, clientèles professionnelles) reste strictement attachée à la personne du titulaire.

Cette intransmissibilité s’explique par les qualités spécifiques requises pour exercer certains droits ou fonctions, ou encore par la relation de confiance personnelle qui caractérise certains types de biens.

En revanche, même si la titularité ne peut être partagée, la valeur économique du bien peut entrer dans la masse indivise. Cela permet d’assurer une équité entre les indivisaires, notamment lorsque le bien représente une part significative du patrimoine indivis. Lors du partage, la valeur de marché du bien est évaluée et incluse dans la masse à partager.

L’évaluation des biens à caractère personnel pour leur intégration dans la masse indivise se fait généralement au moment du partage. Leur valeur marchande est déterminée lors des opérations de liquidation et de partage de l’indivision, et cette valeur est répartie entre les indivisaires proportionnellement à leurs parts.

E) Les fruits et revenus

Les fruits et revenus générés par les biens indivis, tels que les loyers, les dividendes, les intérêts ou d’autres produits, sont des éléments essentiels susceptibles de faire l’objet d’un partage entre les indivisaires. Ces derniers, en s’ajoutant à la masse indivise, augmentent l’actif partageable et garantissent une répartition équitable entre les coindivisaires.

Ce principe est énoncé par l’article 815-10 du Code civil qui prévoit que « les fruits et les revenus des biens indivis accroissent à l’indivision ». Selon cette règle, les fruits et revenus bénéficient donc à l’ensemble des indivisaires, évitant qu’un seul ne tire un avantage exclusif des fruits générés par les biens communs.

1. Le principe d’accroissement de la masse indivise

L’objectif de cette règle est d’éviter qu’un indivisaire ne tire un bénéfice personnel des fruits produits par un bien indivis avant le partage, au détriment des autres indivisaires.

Ainsi, les fruits et revenus produits par les biens indivis ne reviennent pas directement à celui qui en a la gestion ou la jouissance temporaire, mais sont intégrés dans la masse indivise pour être partagés lors de la liquidation ou du partage de l’indivision.

Cet équilibre est particulièrement important dans le cadre des successions, où certains héritiers pourraient autrement profiter d’un bien frugifère (comme un immeuble locatif) avant le partage, alors que d’autres ne recevraient qu’un bien non frugifère.

Le fait que les fruits soient inclus dans la masse indivise permet de garantir une égalité entre les héritiers et de compenser les écarts liés à la nature des biens attribués lors du partage.

Ce principe a été consacré depuis longtemps par la jurisprudence, notamment par un arrêt de la Cour de cassation du 20 juillet 1858, qui reprend l’adage latin « fructus augent hereditatem », soit les fruits augmentent l’héritage (Cass. civ. 20 juill. 1858).

Ce principe veut que tous les fruits et revenus générés par les biens indivis bénéficient à l’ensemble des indivisaires et non à un seul.

2. Typologie des fruits et revenus

Les fruits et revenus des biens indivis peuvent prendre plusieurs formes :

  • Les fruits naturels
    • Les fruits naturels sont les produits qui proviennent des biens immobiliers sans intervention humaine excessive.
    • On compte dans cette catégorie notamment :
      • Les récoltes agricoles issues de terrains indivis utilisés pour l’agriculture.
      • Les produits forestiers comme le bois provenant de forêts indivises, ou encore la résine et autres produits naturels exploitables.
    • Les fruits naturels se distinguent par le fait qu’ils sont directement générés par la nature et peuvent être récoltés régulièrement sans affecter la substance du bien d’origine (par exemple, couper du bois dans une forêt sans détruire le terrain). Ces revenus doivent être répartis entre les coindivisaires au moment du partage, sauf si une convention ou un accord a prévu une répartition antérieure.
  • Les fruits civils
    • Les fruits civils représentent les produits réguliers résultant de l’exploitation de biens indivis, souvent en vertu de contrats conclus avec des tiers. Contrairement aux fruits naturels, les fruits civils nécessitent une gestion active du bien pour en percevoir les revenus.
    • Ils incluent notamment :
      • Les loyers perçus d’un bien immobilier indivis mis en location. Les revenus locatifs sont considérés comme des fruits civils qui s’ajoutent à la masse indivise.
      • Les dividendes provenant de parts sociales ou d’actions détenues en indivision. Si les indivisaires détiennent des titres financiers indivis, les dividendes versés par la société émettrice sont également intégrés à l’actif indivis.
      • Les redevances issues de contrats de concession ou d’exploitation, comme la gestion d’un fonds de commerce indivis ou la mise en valeur de propriétés intellectuelles détenues en indivision.
    • Les fruits civils sont souvent générés sur une base contractuelle et impliquent une perception périodique (mensuelle, trimestrielle, annuelle, etc.).
    • Ces revenus, comme les loyers ou dividendes, doivent être partagés entre les indivisaires en fonction de leurs parts dans l’indivision.
    • Si un indivisaire a géré seul un bien et perçu des loyers ou des dividendes, il est tenu de les partager avec les autres, sous peine de devoir indemniser l’indivision.
  • Les intérêts
    • Les intérêts perçus dans le cadre d’une indivision résultent de placements financiers ou de créances indivises.
    • Ces revenus peuvent provenir de différentes sources, telles que :
      • Les créances indivises qui génèrent des intérêts, comme un prêt consenti par l’indivision à un tiers. Dans ce cas, les intérêts perçus doivent être répartis entre les indivisaires.
      • Les placements financiers, comme des comptes bancaires, des livrets d’épargne ou des obligations détenues par l’indivision. Les intérêts générés par ces placements viennent également augmenter la masse indivise.
    • Les intérêts, qu’ils soient issus de créances ou de placements financiers, sont des revenus passifs, ne nécessitant pas une gestion active mais dépendant du temps et des conditions contractuelles.
    • Ils sont perçus à échéances régulières et augmentent la masse à partager au moment de la liquidation de l’indivision.

Tous ces revenus, qu’ils proviennent de fruits naturels, de fruits civils ou encore d’intérêts, augmentent donc systématiquement la masse indivise et doivent être partagés entre les indivisaires lors de la liquidation de l’indivision.

Leur répartition se fait en fonction des parts respectives de chaque indivisaire dans l’indivision.

Ce mécanisme permet d’éviter qu’un indivisaire ne bénéficie exclusivement des produits générés par le bien indivis avant le partage, ce qui pourrait entraîner des situations inéquitables.

En pratique, les revenus sont généralement conservés ou placés sur un compte commun au nom de l’indivision jusqu’au partage.

Si un indivisaire a perçu des fruits ou revenus sans les partager, il est tenu de restituer l’excédent aux autres indivisaires. Ce mécanisme vise à garantir l’équité entre les coindivisaires et à préserver les intérêts de chacun.

F) Les plus-values et moins-values

Dans le cadre d’une indivision, les plus-values et les moins-values réalisées sur les biens indivis constituent des éléments susceptibles d’être intégrés au partage. Ces variations de valeur, qu’elles résultent d’évolutions économiques, d’investissements ou encore de la gestion active des biens par l’un des indivisaires, influencent directement l’équilibre patrimonial au sein de l’indivision.

Le partage de ces fluctuations vise à garantir que chaque indivisaire bénéficie ou supporte les effets des changements affectant la valeur des biens indivis, conformément à ses droits dans l’indivision. Ce mécanisme assure une répartition équitable, tenant compte des enrichissements ou des diminutions de valeur intervenus pendant la période indivise.

Lors de la liquidation de l’indivision, les plus-values et moins-values sont évaluées au moment du partage, permettant une prise en compte actualisée des biens indivis. Ainsi, ces variations s’intègrent dans la répartition, traduisant une juste répartition des bénéfices ou pertes accumulés au cours de la gestion collective.

1. Les plus-values dans l’indivision

Les plus-values réalisées sur les biens indivis constituent des éléments importants pouvant faire l’objet d’un partage. Ces plus-values peuvent résulter de plusieurs facteurs :

  • L’évolution naturelle des prix du marché immobilier ou financier. Par exemple, une augmentation du prix de l’immobilier peut générer une plus-value sur un immeuble détenu en indivision.
  • Les investissements réalisés sur les biens indivis, tels que des travaux d’amélioration ou de rénovation, qui augmentent la valeur des biens. Ces investissements peuvent être réalisés soit par l’ensemble des indivisaires, soit par un seul indivisaire.

Lorsqu’une plus-value est constatée, elle bénéficie à l’ensemble des indivisaires, indépendamment de celui qui aurait initié les travaux ou géré le bien. Conformément au principe d’équité, toute augmentation de la valeur des biens indivis est répartie proportionnellement entre les indivisaires, chacun percevant une part en fonction de ses droits dans l’indivision.

Cependant, lorsqu’une plus-value est le résultat direct de la gestion active d’un bien indivis par un indivisaire (par exemple, dans le cadre de la gestion d’un fonds de commerce indivis), cet indivisaire a la possibilité de réclamer une rémunération pour sa gestion.

Cette règle a été consacrée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 29 mai 1996 aux termes duquel elle a reconnu que la plus-value résultant de la gestion par un indivisaire accroît l’actif indivis, mais que cet indivisaire peut être indemnisé pour son activité de gestion (Cass. 1re civ., 29 mai 1996, n°94-14.632).

Dans cette affaire, un époux avait continué à gérer un fonds de commerce après la dissolution de la communauté post-communautaire, mais alors que les biens étaient encore en indivision.

Sa gestion avait permis une augmentation de la valeur du fonds de commerce, générant ainsi une plus-value.

Le litige portait sur la question de savoir si cette plus-value devait revenir uniquement à l’époux ayant géré le fonds, ou si elle devait être partagée entre les autres indivisaires.

La Cour de cassation a jugé que la plus-value résultant de la gestion d’un indivisaire sur un bien indivis accrue à l’indivision, c’est-à-dire qu’elle devait bénéficier à tous les indivisaires.

Cependant, la Cour a également précisé que l’indivisaire ayant géré le fonds pouvait demander une rémunération pour sa gestion, sous réserve que cette gestion ait été dans l’intérêt commun de l’indivision.

L’octroi de cette rémunération permet de compenser l’effort de gestion tout en préservant le principe que les fruits de l’indivision doivent être partagés.

La rémunération accordée à l’indivisaire peut prendre plusieurs formes, comme une indemnité de gestion ou une participation aux bénéfices générés par le bien. Cette indemnisation est soumise à l’approbation des autres indivisaires ou, à défaut, à une décision judiciaire en cas de désaccord.

2. Les pertes dans l’indivision

Les pertes subies par les biens indivis peuvent également faire l’objet d’un partage entre les indivisaires, conformément au principe de proportionnalité des droits dans l’indivision.

Ces pertes, qu’elles soient liées à des circonstances économiques, des incidents ou une gestion déficiente, impactent collectivement la masse partageable au moment de la liquidation de l’indivision.

Ces pertes peuvent être dues à plusieurs facteurs, tels que :

  • Des dépréciations économiques : une baisse du marché immobilier, par exemple, peut entraîner une diminution de la valeur des biens indivis, affectant ainsi la masse partageable lors de la liquidation.
  • Des incidents ou sinistres : un bien indivis endommagé par un sinistre (incendie, inondation, etc.) peut entraîner des pertes financières, à moins qu’une indemnité d’assurance ne compense cette perte.
  • La mauvaise gestion des biens indivis : si les biens indivis sont mal entretenus ou sous-exploités, leur valeur peut diminuer, entraînant une perte pour l’ensemble des indivisaires.

Cependant, la jurisprudence prévoit une exception importante : si les pertes sont imputables à la faute ou à la négligence d’un indivisaire, celui-ci peut être tenu pour responsable personnellement de ces pertes.

Par exemple, si un indivisaire, en tant que gérant des biens indivis, a pris des décisions qui ont causé une dégradation importante de la valeur des biens ou des pertes financières injustifiées, il pourrait être tenu de compenser ces pertes au bénéfice des autres indivisaires.

Cette responsabilité est souvent invoquée dans les cas où un indivisaire gère un bien indivis de manière négligente ou en ne tenant pas compte de l’intérêt commun de tous les coindivisaires.

II) Estimation des biens à partager

A) Estimation des biens corporels

1. Modes d’estimation

L’estimation des biens à partager constitue une étape importante sinon déterminante dans l’établissement de la masse partageable. Elle vise à garantir une répartition équitable entre les indivisaires, en tenant compte de la valeur des biens à partager. Dans le cadre d’un partage amiable, les parties peuvent convenir elles-mêmes de l’évaluation des biens. En revanche, en l’absence d’accord, elle est assurée par le juge.

En effet, à défaut d’accord entre les copartageants, l’estimation des biens incombe au tribunal. Celui-ci se fonde sur le projet d’état liquidatif établi par le notaire et, le cas échéant, sur l’expertise judiciaire ordonnée à cette fin. Ce rôle du juge, anciennement empreint de rigidité, s’est considérablement assoupli au fil des réformes.

Historiquement, les articles 466 et 824 du Code civil, ainsi que les dispositions de l’ancien Code de procédure civile, imposaient une expertise obligatoire pour l’estimation des immeubles. La loi du 2 juin 1841 et ses évolutions ultérieures ont toutefois conféré au juge une liberté discrétionnaire dans le recours à cette mesure. Désormais, l’expertise immobilière est facultative, même en présence d’incapables, une solution également retenue pour les meubles (Cass. 1ère civ., 28 avril 1964).

La réforme opérée par la loi du 23 juin 2006 a renforcé le rôle du notaire dans les opérations de partage. Alors que l’ancien article 828 du Code civil limitait ses fonctions à l’établissement des comptes et à la composition des lots, le notaire peut désormais procéder à l’estimation des biens mobiliers et immobiliers. Cette compétence élargie, prévue par l’article 1364 du Code de procédure civile, vise à simplifier et accélérer les procédures de partage.

En pratique, le notaire peut s’adjoindre un expert en cas de complexité particulière, notamment pour des biens dont la valeur ou la consistance est difficile à établir. À titre d’exemple, un notaire commis dans une succession comprenant une collection d’art pourrait solliciter un expert pour évaluer précisément les œuvres, une tâche nécessitant une expertise spécialisée.

Lorsque l’intervention d’un expert est requise, celle-ci peut être décidée soit par le notaire, soit directement par le tribunal. Conformément à l’article 232 du Code de procédure civile, les parties peuvent proposer un expert de leur choix. À défaut d’accord, le tribunal désigne un technicien, qui agit dans le cadre des règles applicables aux mesures d’instruction (art. 232 à 248 et 263 à 284 CPC).

Il est également possible de recourir à une mesure d’instruction in futurum (art. 145 CPC), permettant d’anticiper l’évaluation des biens avant même l’introduction d’une demande en partage. Cette solution se révèle particulièrement utile dans les situations urgentes, comme l’évaluation d’un bien risquant de se dégrader.

Certains biens nécessitent des modalités d’estimation particulières. Par exemple, dans le cas des biens de famille insaisissables, leur évaluation devait, sous l’empire de la loi du 12 juillet 1909, être confiée à l’Office agricole du département et homologuée par le juge d’instance.

Par ailleurs, pour garantir une estimation précise, le tribunal peut enjoindre aux parties de communiquer aux experts tous les documents pertinents. À titre d’illustration, dans une affaire où les actions d’une société figurent parmi les actifs, les juges peuvent contraindre la société à fournir des documents financiers non accessibles aux actionnaires (Cass. com., 10 février 1969).

Le juge commis joue un rôle de supervision tout au long de la mesure d’expertise. Il peut notamment adapter la mission de l’expert, gérer les délais, ou encore procéder à son remplacement en cas de défaillance. Ces prérogatives, prévues par les articles 234, 236, 241 et 279 du Code de procédure civile, garantissent la bonne exécution de la mission confiée.

2. Critères d’estimation

L’estimation des biens à partager doit refléter la valeur vénale des biens, tout en tenant compte de leurs caractéristiques matérielles et juridiques. Cette évaluation, destinée à garantir une répartition équitable entre les indivisaires, obéit à des critères rigoureux que le notaire ou l’expert désigné devra scrupuleusement respecter.

Historiquement, l’article 825 du Code civil imposait que l’estimation des biens soit réalisée « à juste prix et sans crue », une précision devenue aujourd’hui inutile tant il est évident que l’évaluation doit refléter la juste valeur marchande. Ce principe, destiné à prévenir les sous-estimations ou les surévaluations arbitraires, constitue le fondement de toute estimation dans le cadre des opérations de partage. Il garantit une base équitable sur laquelle s’appuient les indivisaires et le tribunal.

Pour déterminer leur juste valeur, il est essentiel d’évaluer les biens en tenant compte de leur état, entendu comme l’ensemble de leurs caractéristiques matérielles et juridiques. Cela implique d’examiner des éléments tels que leur consistance, leur localisation, leur état de conservation, ainsi que les droits réels ou les charges qui les affectent. Ces aspects, qui influencent directement la valeur vénale, doivent être scrupuleusement pris en compte.

Ainsi, un bien immobilier situé dans une zone urbaine recherchée ou bénéficiant d’une desserte optimale verra sa valeur significativement accrue. En revanche, un bien grevé d’un bail commercial ou frappé d’une hypothèque sera nécessairement déprécié. Par exemple, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 17 mars 1987 qu’un immeuble loué devait être évalué en tenant compte de la dépréciation résultant du bail en cours, sauf si l’attributaire du bien est également le locataire, auquel cas l’évaluation se fait comme si le bien était libre (Cass. 1ère civ. 1re, 17 mars 1987, n°85-15.700).

Dans cette affaire, un domaine agricole grevé d’un bail à ferme avait été attribué à titre préférentiel au preneur, en l’occurrence l’un des héritiers. La Cour d’appel avait initialement suivi l’expertise, qui proposait une réduction de 20 % de la valeur du bien pour tenir compte du bail. Toutefois, elle avait ensuite estimé, à juste titre selon la Cour de cassation, que ce bail devait être considéré comme éteint du fait de la réunion sur la tête de l’attributaire des qualités de propriétaire et de fermier. Cette confusion des qualités, engendrée par l’attribution préférentielle, rendait donc l’abattement inopérant.

La Cour de cassation a ainsi confirmé que l’évaluation d’un bien grevé d’un bail devait, en cas d’attribution au locataire, être réalisée comme si le bien était libre, car l’attributaire recueillait en réalité une pleine propriété, dénuée de toute occupation locative.

En matière immobilière, les critères d’estimation incluent non seulement les caractéristiques intrinsèques du bien, mais également son potentiel futur. La consistance du bien, sa situation géographique, sa constructibilité, ainsi que les perspectives offertes par son classement en zone constructible ou urbanisable sont autant de facteurs à considérer. Les juges, lorsqu’ils évaluent une parcelle de terrain, peuvent tenir compte de la valeur qu’elle prendrait en raison de sa qualité de terrain à bâtir, y compris lorsque cette qualité repose sur des perspectives d’urbanisation futures. Dans un arrêt du 9 juillet 1985, la Cour de cassation a jugé en ce sens que la valeur actuelle d’un bien peut être appréciée en fonction d’un élément futur, dès lors que cet élément est pertinent pour déterminer les intérêts en présence.

En l’espèce, une parcelle cadastrée a été évaluée en tenant compte de l’éventuelle valeur qu’elle prendrait si elle obtenait la qualité de terrain constructible, perspective jugée suffisamment tangible pour justifier cette prise en considération. La Haute juridiction a confirmé que cette méthode, fondée sur une appréciation souveraine des juges du fond, ne violait pas la loi et pouvait être retenue pour refléter la réalité économique au jour du partage (Cass. 1ère civ., 9 juillet 1985, n°84-12.478).

En outre, l’existence d’un bail ou d’une autre forme d’occupation impacte nécessairement la valeur d’un bien lors de son évaluation dans le cadre d’un partage. Lorsqu’un domaine agricole grevé d’un bail rural est attribué à titre préférentiel, la Cour de cassation a jugé que la valeur du bien devait intégrer la dépréciation induite par ce bail, car celui-ci, strictement personnel au preneur, ne s’éteint pas du fait du partage (Cass. 1ère civ., 21 novembre 1995, n°93-17.719).

Dans cette affaire, un domaine agricole avait été attribué à titre préférentiel à une héritière, dont le mari était titulaire d’un bail rural sur cette exploitation. Un abattement de 30 % avait été proposé par l’expert en raison de l’existence de ce bail. La sœur de l’attributaire contestait cette évaluation, soutenant que le bien devait être estimé comme s’il était libre, au motif que la condition de participation à la mise en valeur de l’exploitation, exigée pour l’attribution préférentielle, avait été remplie par le mari preneur.

La Cour de cassation, confirmant la décision de la cour d’appel, a rejeté cet argument en précisant que le bail rural, étant un droit strictement personnel au preneur, ne tombait pas en communauté et continuait donc de grever le bien attribué. Elle a souligné que la règle de l’égalité du partage imposait que le bien soit évalué en tenant compte de cette charge, malgré l’attribution préférentielle. La condition de participation à la mise en valeur de l’exploitation, bien que remplie par le conjoint preneur, n’avait pas pour effet de rendre le bien libre de toute occupation.

S’agissant des biens meubles, bien que répondant aux mêmes principes, ils requièrent l’utilisation d’une méthode d’évaluation adaptée à leur nature. Pour les meubles courants, l’évaluation repose généralement sur leur valeur marchande, déterminée par comparaison avec des biens similaires. Pour les biens spécifiques, tels que des œuvres d’art ou des valeurs mobilières non cotées, il peut être nécessaire de recourir à une expertise spécialisée. Ainsi, une collection d’art devra être évaluée en tenant compte de la cote des artistes et des tendances du marché, une tâche exigeant une compétence technique particulière.

L’évaluation des biens, qu’ils soient immobiliers ou meubles, s’appuie souvent sur la méthode comparative, qui consiste à confronter le bien à des références similaires sur le marché. Cette approche, utilisée notamment pour les terrains ou les exploitations agricoles, permet de garantir une estimation précise et objective. Les notaires ou experts peuvent s’appuyer sur les données fournies par des organismes spécialisés tels que les chambres notariales ou la SAFER, qui offrent des points de référence fiables.

En cas de litige sur la valeur d’un bien, les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain pour déterminer les bases de l’évaluation. Ils peuvent fonder leur estimation sur des critères économiques ou patrimoniaux propres au bien en cause, en s’appuyant sur les usages du secteur concerné. Par exemple, dans un arrêt rendu le 24 novembre 1969, la Cour de cassation a confirmé qu’un fonds de commerce devait être évalué selon les bénéfices réalisés lors des deux dernières années, conformément aux pratiques du commerce concerné (Cass. 1ère civ., 24 nov. 1969).

Dans cette affaire, un fonds de commerce d’imprimerie, légué par testament, faisait l’objet de contestations quant à son évaluation dans le cadre de la liquidation successorale. La Cour d’appel avait estimé la valeur des éléments incorporels du fonds en retenant les bénéfices des deux dernières années, après avoir pris en considération la situation des locaux où l’imprimerie était exploitée. La Cour de cassation a validé cette approche, rappelant que les juges du fond, après avoir exposé leurs motifs, exercent une appréciation souveraine sur la méthode d’évaluation, pourvu qu’elle repose sur des éléments rationnels et cohérents avec les usages du commerce.

Cette solution illustre la marge de manœuvre accordée au juge pour établir une évaluation réaliste et équitable des biens en litige, tout en respectant les spécificités économiques du bien évalué. Elle met en lumière l’importance des données sectorielles et des pratiques professionnelles pour déterminer la juste valeur d’un fonds de commerce ou d’autres actifs comparables.

3. Moment de l’estimation

L’établissement de la masse partageable, dans le cadre d’une succession ou d’une indivision, repose sur une évaluation précise et équitable des biens. L’article 829 du Code civil consacre la règle selon laquelle ces biens doivent être estimés à leur valeur à la date dite de la jouissance divise, laquelle correspond à un moment proche de la réalisation du partage.

Si ce principe semble limpide, son application exige parfois des aménagements pour répondre à des situations particulières ou pour préserver l’équilibre entre les copartageants.

i. Principe

==>Evolution jurisprudentielle

Longtemps, la détermination de la date d’évaluation des biens composant la masse partageable a suscité d’intenses débats doctrinaux et jurisprudentiels, oscillant entre tradition formaliste et pragmatisme économique.

Dans les premiers temps, la jurisprudence semblait privilégier une approche fondée sur l’effet déclaratif du partage, selon laquelle les héritiers sont réputés propriétaires des biens qui leur sont attribués dès l’ouverture de la succession. Cette orientation conduisait naturellement à retenir, comme référence pour l’évaluation des biens, la date du décès du de cujus.

Ainsi, plusieurs arrêts de la Cour de cassation, rendus au cours du XIXe siècle, avaient consacré cette solution, notamment en matière successorale (Cass. req. 23 juin 1873, DP 1874.1.173) ainsi qu’en matière de communauté conjugale, où la dissolution du régime matrimonial marquait le point de départ de l’évaluation (Cass. req. 8 juin 1868, DP 1871.1.224).

Cette approche trouvait un certain écho dans la doctrine classique, attachée au respect de l’effet rétroactif du partage et à la logique patrimoniale de continuité des droits. Comme le notait déjà Gabriel Baudry-Lacantinerie, « l’évaluation à la date du décès se justifie par la continuité des droits successoraux, l’héritier étant censé propriétaire des biens dès cette date »[1].

Cependant, cette solution ne tarda pas à être remise en question par la pratique notariale, plus soucieuse de refléter la réalité économique des biens au moment où ils sont effectivement attribués aux copartageants. Il devenait en effet manifeste que, dans nombre d’hypothèses, un intervalle significatif s’écoulait entre la naissance de l’indivision et sa liquidation, exposant ainsi les biens à d’importantes variations de valeur. Or, une évaluation figée à la date de l’ouverture de la succession, sans tenir compte de ces fluctuations, risquait de fausser gravement l’équilibre entre les copartageants.

Ce constat, déjà perceptible dans la pratique des professionnels du droit, prit une dimension majeure dans le contexte de la dépréciation monétaire consécutive à la Première Guerre mondiale. À cet égard, le professeur Ripert relevait avec lucidité que « l’instabilité monétaire a bouleversé les règles applicables au partage des successions, rendant inacceptable toute évaluation des biens antérieure à leur répartition effective »[2]. Les biens immobiliers, les valeurs mobilières et les créances, soumis aux aléas économiques, pouvaient connaître des plus-values ou des moins-values substantielles, remettant en cause l’égalité des lots et, par conséquent, la justice même du partage.

Face à cette réalité économique, la pratique notariale s’est donc orientée vers une estimation au jour du partage, seule à même d’assurer une répartition équitable des biens, quelles que soient les évolutions intervenues pendant la durée de l’indivision.

La doctrine a rapidement pris acte de cette pratique professionnelle commandée par le pragmatisme. Pierre Hébraud notait ainsi que « la fixation de la date d’évaluation des biens au jour du partage est un impératif économique et social, car elle seule permet d’assurer une stricte égalité entre les copartageants »[3]. De manière similaire, Jacques Flour relevait que « toute évaluation des biens à une date antérieure à celle du partage aboutirait à des inégalités criantes, favorisant ou pénalisant certains héritiers de manière arbitraire, en fonction de l’évolution des marchés »[4].

La jurisprudence, initialement réticente à cette approche pragmatique, évolua progressivement sous l’influence de la doctrine et des besoins pratiques. C’est ainsi que, dès l’entre-deux-guerres, la Cour de cassation, consciente des enjeux posés par les fluctuations monétaires, se rallia au principe de l’évaluation des biens à la date la plus proche possible de la répartition effective.

Un arrêt rendu le 20 avril 1928 par la Cour de cassation constitue un jalon important dans cette évolution jurisprudentielle (Cass. civ. 20 avr. 1928). La Haute juridiction y reconnaît que, pour garantir l’égalité entre les copartageants, il est nécessaire de procéder à l’estimation des biens à une date reflétant leur valeur réelle au moment où ils sont attribués, afin de répartir équitablement les plus-values ou les moins-values intervenues durant la période d’indivision.

Cette orientation sera confirmée par un arrêt de principe rendu le 11 janvier 1937 aux termes duquel la Cour de cassation affirme très clairement que les biens doivent être évalués au jour du partage et non à celui du décès (Cass. civ. 11 janv. 1937). Comme a pu le souligner à ce sujet Gérard Champenois, « l’arrêt de 1937 marque une véritable rupture dans la jurisprudence française, en ce qu’il consacre la primauté de l’évaluation au jour du partage, mettant fin aux incertitudes antérieures sur la date de référence »[5].

La motivation sous-jacente à cette solution réside dans l’idée que, tant que le partage n’a pas été effectué, les biens demeurent indivis et chaque indivisaire doit, en toute logique, profiter des plus-values ou supporter les moins-values liées à leur évolution. Ainsi, Jean Patarin observe avec justesse que « le maintien de l’évaluation à la date du décès reviendrait à ignorer la réalité économique, en figeant des valeurs qui ne correspondent plus aux circonstances réelles du partage »[6]. Cette jurisprudence, qui consacre définitivement le principe de l’évaluation au jour du partage, fut rapidement accueillie favorablement par la doctrine, au point de devenir une référence incontournable dans les règlements successoraux.

En somme, avant même d’être consacrée par la loi, la solution de l’évaluation au jour du partage s’était imposée dans la pratique et la jurisprudence comme une nécessité économique et juridique, permettant de garantir une répartition équitable des biens entre les copartageants. A cet égard, comme l’a justement écrit Pierre Catala, « le choix de la date d’évaluation n’est pas un simple détail technique : il touche au cœur même de l’équité successorale, en déterminant si le partage sera juste ou inique »[7].

==>Le choix de l’estimation au jour du partage

À l’origine, le Code civil de 1804 était silencieux sur la date d’estimation des biens à partager. Le seul article faisant référence à cette question était l’article 890, lequel se limitait à poser une règle spécifique se rapportant à la lésion. Ce texte, dans sa version initiale, disposait que « pour juger s’il y a eu lésion, on estime les objets suivant leur valeur à l’époque du partage ». Cette disposition traduisait une volonté de garantir que les lots constitués lors du partage reflètent les valeurs réelles des biens au moment de leur répartition, afin d’éviter qu’un copartageant, lésé par des fluctuations de valeur, ne soit désavantagé. Toutefois, cet article ne concernait que l’hypothèse particulière de la lésion, sans offrir de cadre général pour l’estimation des biens dans toutes les opérations de partage.

La première étape vers une généralisation de ce principe fut franchie avec la loi n°61-1378 du 19 décembre 1961, qui a modifié l’ancien article 832 du Code civil. Ce texte a introduit l’exigence selon laquelle les biens faisant l’objet d’une attribution préférentielle, tels que les immeubles ou les fonds de commerce, devaient être estimés à leur valeur au jour du partage. Cette réforme visait à prévenir les déséquilibres pouvant naître d’une évaluation figée à une date antérieure, notamment à la dissolution de la communauté matrimoniale ou à l’ouverture de la succession. En effet, des biens attribués à un copartageant sur la base d’une valeur obsolète auraient pu entraîner des distorsions importantes entre les lots, compte tenu des fluctuations de marché. La réforme de 1961 marquait ainsi une prise de conscience du législateur de la nécessité d’actualiser les estimations des biens pour préserver l’équité entre copartageants.

Cette orientation a été confirmée et élargie par la loi n° 71-523 du 3 juillet 1971, qui a introduit des dispositions relatives au calcul des rapports et des réductions en valeur. Les articles 860 et 868 du Code civil, dans leur rédaction issue de cette réforme, prévoyaient que les opérations de rapport et de réduction devaient être réalisées sur la base des valeurs actualisées au jour du partage. Ce choix législatif traduisait une volonté claire de ne pas figer les valeurs des biens à des dates antérieures, mais de tenir compte des évolutions économiques survenues pendant la période d’indivision. À cet égard, Jacques Flour soulignait que « toute évaluation des biens à une date antérieure à celle du partage risquerait de créer des déséquilibres flagrants, en fonction des fluctuations de valeur intervenues entre la dissolution de l’indivision et sa liquidation ».

La consécration du principe d’estimation des biens à partager à la date du partage, qui avait été posé par la jurisprudence dès 1937, est intervenue avec la loi du 23 juin 2006, laquelle a introduit dans le Code civil l’actuel article 829. Cet article dispose en ce sens que « les biens sont estimés à leur valeur à la date de la jouissance divise telle qu’elle est fixée par l’acte de partage, en tenant compte, s’il y a lieu, des charges les grevant ». Cette date doit être « la plus proche possible du partage » afin de refléter fidèlement la réalité économique des biens au moment de leur répartition. L’article prévoit également, à son alinéa 3, la possibilité d’une modulation de la date d’estimation, en permettant au juge de fixer une date d’évaluation antérieure lorsque cela apparaît nécessaire pour rétablir l’égalité entre les copartageants. Ce mécanisme permet notamment de prévenir les inégalités susceptibles de naître d’un retard prolongé dans les opérations de partage, ou lorsque les biens indivis ont subi des variations de valeur significatives pendant la période d’indivision.

==>Principe de l’unicité de la date d’estimation

Outre l’exigence de fixer l’estimation des biens à partager à la date la plus proche possible du partage effectif, l’évaluation des actifs composant la masse partageable répond à un autre impératif fondamental : celui de l’unicité de la date d’estimation. Ce principe, qui découle directement de l’objectif d’égalité entre copartageants, impose que tous les biens soient évalués simultanément, à une même date, afin de garantir une répartition équilibrée des lots. Il ne saurait être question de privilégier l’un des copartageants en tenant compte de fluctuations de valeur intervenues postérieurement à une première évaluation partielle, au risque de compromettre l’équité des opérations de partage.

Cette exigence d’unité s’explique par la nature même des biens indivis. Chaque bien, qu’il s’agisse d’un immeuble, de valeurs mobilières ou d’une créance, est susceptible de connaître une évolution distincte de sa valeur au fil du temps. Une estimation à des dates différentes pourrait dès lors entraîner des distorsions considérables dans la répartition des lots. Comme le relevait déjà la doctrine classique, « il importe que les biens soient estimés dans un cadre temporel identique, de manière à éviter que les variations de leur valeur ne viennent fausser l’équilibre recherché lors du partage »[8]. La Cour de cassation a, par une jurisprudence constante, rappelé que l’unicité de la date d’estimation constitue une exigence essentielle à la réalisation d’un partage juste et équilibré (Cass. 1re civ., 1er déc. 1965).

L’unité de la date d’évaluation permet également d’éviter les débats interminables quant à l’évolution des biens entre deux dates successives. Si chaque bien devait être évalué à un moment distinct, les contestations risqueraient d’être nombreuses, les copartageants pouvant chacun faire valoir que certaines évolutions leur sont préjudiciables ou, au contraire, profitables. La règle de l’unicité écarte ces difficultés en fixant un cadre temporel unique pour l’ensemble des estimations, ce qui permet de clore les débats sur la valeur des biens au jour du partage. À cet égard, Jacques Flour rappelait que « la simultanéité des évaluations est la clé de voûte des opérations de partage : elle neutralise les aléas des marchés et replace les copartageants dans une situation d’égalité parfaite ».

Enfin, il convient de noter que l’unicité de la date d’évaluation ne se limite pas à une simple exigence technique. Elle traduit une véritable exigence de justice successorale. En fixant un moment unique pour apprécier la valeur des biens, le partage reflète une photographie économique figée, garantissant que chaque copartageant reçoit un lot correspondant à une valeur réelle et non à une valeur affectée par des variations postérieures. Comme le souligne Gérard Champenois, « l’unicité de la date d’estimation est le prolongement naturel du principe d’égalité qui gouverne les opérations de partage. Elle permet d’assurer une stricte équité en neutralisant les effets des évolutions économiques imprévisibles »[9].

ii. Mise en œuvre

==>La fixation de la date de la date de la jouissance divise

La détermination de la date de jouissance divise constitue une étape essentielle dans les opérations de liquidation et de partage. Elle marque le moment à partir duquel chaque copartageant devient propriétaire des biens qui lui sont attribués, y compris des fruits et revenus produits par ces derniers. Cette date, retenue par l’article 829 du Code civil, est fixée par l’acte de partage ou arrêtée par le juge en cas de partage judiciaire. Sa détermination joue un rôle central dans l’évaluation des biens indivis et garantit une répartition équitable des droits entre les copartageants.

Dans le cadre de partages amiables, le notaire chargé de conduire les opérations de la liquidation insère habituellement une clause de jouissance divise dans l’acte de partage. Cette clause fixe la date à laquelle les estimations des biens doivent être réalisées, en veillant à ce que cette date soit « la plus proche possible du partage », conformément à l’exigence posée par l’article 829, alinéa 2. Ce choix vise à tenir compte des fluctuations économiques susceptibles d’affecter la valeur des biens durant la période d’indivision, afin que chaque copartageant reçoive une part équitable en fonction de la valeur réelle des biens au moment de leur attribution.

Lorsque le partage prend une tournure judiciaire, la fixation de la date de la jouissance divise relève du pouvoir souverain des juges du fond. Ces derniers doivent apprécier la date la plus proche possible du partage, en tenant compte des circonstances particulières de l’affaire et de la nécessité de préserver l’égalité entre les copartageants (Cass. 1ère civ., 3 oct. 2019, n°18-20.827). À défaut d’une date explicitement fixée, la décision judiciaire pourrait être dépourvue de toute autorité de la chose jugée quant à la valeur des biens évalués. La Cour de cassation a ainsi jugé qu’une décision qui statue sur la valeur d’un bien sans préciser la date de jouissance divise n’a pas l’autorité de la chose jugée quant à cette évaluation (Cass. 1ère civ., 8 avr. 2009, n°07-21.561). Cependant, il est admis que cette date puisse être déduite implicitement des termes du jugement, pourvu que les énonciations permettent de l’identifier sans ambiguïté. Dans un arrêt du 4 janvier 1980, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que, lorsque le dispositif d’un jugement n’aurait aucun sens sans référence à une date d’évaluation précise, celle-ci peut être déduite des motifs, dès lors qu’ils rappellent expressément la règle applicable (Cass. 1ère civ., 4 janv. 1980, n°78-13.596).

L’affaire concernait la liquidation des successions d’un couple décédé respectivement en 1945 et 1964, laissant pour héritiers leurs trois enfants. À la demande de deux indivisaires, le tribunal avait ordonné le partage judiciaire de la communauté réduite aux acquêts ayant existé entre les époux et de leurs successions, désignant un indivisaire comme bénéficiaire d’une attribution préférentielle de biens ruraux. Par un jugement rendu en 1975, le tribunal avait fixé la valeur des biens ainsi que les soultes dues aux autres indivisaires, en précisant que l’évaluation devait être effectuée « au jour le plus proche possible du partage ». Cependant, aucune date de jouissance divise n’avait été expressément arrêtée dans le dispositif.

L’un des indivisaires contesta par la suite le projet d’état liquidatif, estimant nécessaire de réactualiser la valeur des biens. Ce dernier soutenait que le jugement de 1975 n’avait pas fixé la date de la jouissance divise, et qu’en l’absence d’une telle précision, les biens devaient être réévalués au jour du partage effectif. La Cour d’appel, saisie de cette difficulté, rejeta cette demande en considérant que le jugement initial avait implicitement fixé la date d’évaluation des biens à la date de son prononcé. La cour releva que les motifs rappelaient clairement la règle selon laquelle l’évaluation devait se faire au jour le plus proche du partage et que, dès lors, la référence temporelle retenue devait être celle du jugement lui-même.

Le pourvoi formé contre cet arrêt critiquait cette interprétation, affirmant que l’autorité de la chose jugée ne pouvait s’attacher qu’aux dispositions expressément énoncées dans le dispositif d’une décision, et non aux motifs. Cependant, la Cour de cassation rejeta ce moyen. Elle jugea que le dispositif d’un jugement « n’aurait pas de sens s’il ne se référait pas à une date d’évaluation des biens », ajoutant que le dispositif pouvait être éclairé par les motifs dès lors que ceux-ci établissaient sans ambiguïté la date retenue. La Haute juridiction conclut que le jugement rendu par les premiers juges avait, en se référant à la règle d’évaluation au jour du partage, « évalué à sa date les biens attribués par préférence ainsi que les soultes », conférant ainsi à cette décision une autorité de chose jugée sur ce point.

Cette décision, saluée par la doctrine, témoigne d’un pragmatisme juridique nécessaire pour sécuriser les opérations de partage. En effet, comme l’observe Gérard Champenois, « admettre que la date de jouissance divise puisse être déduite implicitement des motifs d’un jugement évite que les opérations de liquidation soient continuellement remises en cause, tout en garantissant une répartition équitable des biens ». La solution adoptée par la Cour de cassation permet ainsi de préserver l’équilibre entre les impératifs d’équité entre les indivisaires et la sécurité juridique des partages judiciaires.

La fixation de la date de jouissance divise revêt une importance particulière dans le cadre d’un partage partiel, où certains biens indivis sont détachés de la masse avant le partage global. Dans ces hypothèses, la règle veut que les biens soient évalués à la date de leur attribution et non lors du partage final. Cette approche se justifie par la nécessité de refléter la valeur réelle des biens au moment où ils sortent de l’indivision, évitant ainsi que les copartageants ne soient affectés par des fluctuations économiques ultérieures.

Toutefois, pour que cette règle trouve à s’appliquer, il est impératif que le partage partiel soit véritable et effectif. La jurisprudence a précisé que l’attribution d’un bien à titre préférentiel par le juge, sans fixation explicite de la date de jouissance divise, ne constitue pas un partage définitif. Dans une telle situation, le bien en question doit être évalué à la date du partage global, car il demeure juridiquement indivis jusqu’à la réalisation complète des opérations de partage (Cass. 1ère civ., 20 nov. 1990).

Ainsi, un jugement faisant droit à une demande d’attribution préférentielle ne suffit pas, à lui seul, à opérer le détachement définitif du bien concerné de la masse indivise. Dans le cadre d’une demande d’attribution préférentielle, le juge ne procède pas à l’attribution définitive du bien. Il se borne à en ordonner l’attribution dans le partage à intervenir, de sorte que l’évaluation du bien devra nécessairement se faire au moment où le partage global sera réalisé. Comme l’a précisé la Cour de cassation dans un arrêt du 30 juin 1993, tant que la date de jouissance divise n’a pas été fixée et que les droits des indivisaires n’ont pas été déterminés de manière définitive, le bien demeure dans la masse indivise et doit être évalué à l’époque du partage effectif (Cass. 1ère civ., 30 juin 1993, n°91-17.804).

==>Les modulations permises

Le principe de l’évaluation des biens au jour du partage, bien que général, n’est pas rigide.

En premier lieu, l’article 829 du Code civil autorise des ajustements puisqu’il est admis que le juge puisse retenir une date antérieure à l’achèvement du partage, dès lors que cela apparaît nécessaire pour préserver l’égalité entre les copartageants (al. 3). Cette faculté de modulation répond à une exigence pratique : elle permet d’éviter que des retards prolongés dans les opérations de partage n’entraînent des déséquilibres significatifs, en particulier lorsque certains biens indivis subissent des dépréciations importantes ou, au contraire, connaissent des plus-values latentes.

La jurisprudence admet ainsi que le juge puisse fixer une date antérieure lorsque les circonstances le justifient. Par exemple, si le partage s’étend sur plusieurs années en raison de litiges ou de recours successifs, une évaluation à une date plus ancienne permet d’éviter qu’un copartageant ne profite indûment des retards pour bénéficier seul d’une plus-value intervenant après la dissolution de l’indivision (Cass. 1ère civ. 1re, 16 mars 1982, n°80-17.244). Gérard Champenois souligne à cet égard que « la faculté laissée au juge de moduler la date d’évaluation constitue une garantie précieuse d’équité, permettant de s’adapter aux réalités économiques tout en préservant les droits des copartageants ».

En deuxième lieu, la jurisprudence admet que l’évaluation des biens à partager puisse être actualisée par le recours à des indices économiques, à condition que ces derniers reflètent fidèlement l’évolution du marché et soient adaptés aux biens concernés. La Cour de cassation s’est prononcée en ce sens dans un arrêt du 25 juin 2008, validant l’utilisation de l’indice trimestriel du coût de la construction pour ajuster la valeur des immeubles composant la masse à partager, lorsque la date de l’expertise initiale est éloignée de celle du partage effectif (Cass. 1ère civ., 25 juin 2008, n°07-17.766).

Dans cette affaire, un indivisaire contestait la réactualisation des évaluations réalisées quatre ans auparavant, estimant que l’application d’un indice générique ne permettait pas de respecter le principe d’évaluation à la date la plus proche du partage. La cour d’appel avait pourtant homologué le rapport d’expertise initial, en précisant que les valeurs estimées seraient majorées en fonction de la variation de l’indice du coût de la construction jusqu’à la date du procès-verbal de liquidation de la succession.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cette décision, considérant que la cour d’appel avait souverainement apprécié que les attestations produites ne démontraient pas une sous-évaluation des biens par l’expert. Elle a relevé que la croissance du marché immobilier était de nature à affecter les estimations, justifiant ainsi l’ajustement opéré. En outre, il n’était pas soutenu que les caractéristiques spécifiques des biens s’étaient modifiées depuis l’expertise initiale. La Haute juridiction en a déduit que l’actualisation des évaluations par le biais de l’indice retenu pouvait être admise, à condition qu’elle repose sur une constatation précise de l’évolution du marché et que l’indice soit pertinent par rapport aux biens concernés.

Cette solution s’inscrit dans une démarche pragmatique visant à éviter le recours à des expertises successives lorsque le partage s’étend sur une période prolongée. Toutefois, comme le souligne Jacques Flour, « le recours à l’indexation n’est envisageable que dans la mesure où il permet d’éviter une distorsion entre la valeur théorique et la réalité économique des biens à partager ». L’utilisation d’un indice doit donc être justifiée par des éléments concrets démontrant un lien direct entre l’évolution de cet indice et celle de la valeur réelle du bien concerné. À défaut, la décision pourrait être jugée dépourvue de base légale.

En définitive, si la jurisprudence admet le recours à une réévaluation indiciaire, elle en encadre strictement les conditions. L’indexation ne doit pas être utilisée de manière systématique ou abstraite, mais doit refléter les fluctuations réelles du marché, afin de garantir une répartition juste et équilibrée des biens entre les copartageants.

En dernier lieu, il convient de souligner que la règle de l’unicité de la date d’évaluation des biens, bien qu’elle soit un corollaire naturel du principe d’égalité entre copartageants, ne revêt pas un caractère absolu. Il est admis que les copartageants puissent convenir de fixer des dates distinctes d’évaluation pour certains biens, à condition que l’équilibre des lots soit préservé et que l’objectif d’une répartition équitable ne soit pas compromis. Cette tolérance trouve son fondement dans une jurisprudence constante, qui a progressivement ouvert la voie à des aménagements pragmatiques, adaptés aux réalités de chaque situation successorale.

L’arrêt rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 22 avril 2005 illustre parfaitement cette approche. En l’espèce, à la suite du divorce de deux époux soumis au régime de la communauté, le juge chargé de la surveillance du partage avait constaté leur accord pour attribuer à l’épouse un bien immobilier évalué à 500 000 francs, tandis qu’un autre bien revenait à l’ex-époux. Toutefois, avant que cet accord ne soit homologué, l’immeuble attribué à l’épouse fut vendu pour un montant de 650 000 francs. Le copartageant demanda alors que cette nouvelle valeur soit prise en compte dans les opérations de liquidation-partage, invoquant le principe selon lequel les biens doivent être évalués à la date la plus proche du partage effectif.

La Cour de cassation rejeta cette demande en affirmant que les copartageants avaient librement convenu d’une évaluation différente, laquelle avait été entérinée par une décision judiciaire devenue définitive. La Haute juridiction précisa qu’« il appartient aux copartageants de convenir d’en évaluer certains biens à une date distincte », dès lors que cette dérogation garantit un partage équilibré (Cass., ass. plén., 22 avr. 2005, n°02-15.180). En l’occurrence, la cour d’appel avait relevé que l’accord conclu entre les parties assurait une stricte égalité des lots et que la vente ultérieure du bien à un prix supérieur n’avait pas modifié les attributions initiales ni les intentions des parties.

Cette solution, saluée par la doctrine, traduit une volonté de préserver la sécurité juridique des opérations de partage, tout en introduisant une flexibilité nécessaire pour éviter des contentieux interminables sur la valeur des biens. Comme l’a justement observé Philippe Simler, « la possibilité laissée aux copartageants de fixer des dates d’évaluation distinctes permet d’adapter le partage aux spécificités de certains biens, tout en respectant le principe fondamental d’égalité ». Cette souplesse est particulièrement utile dans les situations où la jouissance privative d’un bien par l’un des indivisaires vient compenser un écart de valeur entre les lots. Par exemple, un immeuble occupé par un copartageant pendant l’indivision peut être évalué à une date antérieure afin de tenir compte de l’avantage tiré de cette jouissance.

Toutefois, cette faculté de modulation demeure encadrée. La Cour de cassation a rappelé que la fixation de dates d’évaluation distinctes doit avoir pour finalité de préserver l’équilibre global du partage et ne saurait aboutir à rompre l’égalité entre les copartageants. Ainsi, dans une affaire ultérieure, la première chambre civile a censuré une cour d’appel qui avait fixé des dates différentes sans démontrer que cette différenciation garantissait l’équilibre des lots (Cass. 1ère civ., 30 oct. 2006, n°04-19.356).

==>Les modulations interdites

Tout d’abord, bien que la jurisprudence admette certaines modulations dans le choix de la date d’évaluation, elle impose également des limites strictes. En particulier, la Cour de cassation exclut toute réévaluation automatique des biens par voie d’indexation abstraite. Cette interdiction vise à prévenir les risques d’erreur ou d’arbitraire, liés à une actualisation purement mécanique des valeurs, qui ne tiendrait pas compte des caractéristiques propres des biens concernés.

Ainsi, dans un arrêt du 14 novembre 2006, la Cour de cassation a fermement rappelé que toute réévaluation fondée sur un indice économique doit être justifiée par des éléments précis établissant un lien direct entre l’évolution de cet indice et celle de la valeur réelle des biens indivis (Cass. 1re civ., 14 nov. 2006, n° 04-18.879). En l’espèce, la cour d’appel avait décidé de retenir les estimations d’un expert immobilier réalisées plusieurs années avant le partage, tout en les actualisant à l’aide de l’indice trimestriel du coût de la construction. Cette méthode visait à tenir compte de la forte croissance du marché immobilier constatée entre la date de l’expertise et celle du partage effectif.

Cependant, la Haute juridiction a censuré cette décision, au motif que la cour d’appel n’avait pas précisé en quoi l’évolution de l’indice retenu pouvait correspondre à celle des biens en question. La Cour de cassation a ainsi reproché aux juges du fond d’avoir adopté une réévaluation purement abstraite, déconnectée des caractéristiques concrètes des biens immobiliers concernés. Elle a souligné que l’indexation ne saurait être admise que si elle reflète fidèlement les variations réelles de valeur des biens objets du partage, et non une simple évolution générale du marché de la construction.

Cette décision illustre l’exigence d’une justification circonstanciée pour toute actualisation basée sur des indices économiques. Comme le relève la doctrine, une indexation systématique et aveugle serait contraire au principe d’équité qui doit présider aux opérations de partage. L’arrêt du 14 novembre 2006 s’inscrit ainsi dans une ligne jurisprudentielle constante, rappelant que le juge doit éviter toute approximation dans l’évaluation des biens, sous peine de priver sa décision de base légale.

Ensuite, il est interdit au juge de déléguer au notaire liquidateur le pouvoir de fixer la date d’évaluation des biens. Cette interdiction repose sur le principe selon lequel les décisions concernant la valeur des biens doivent relever exclusivement du pouvoir juridictionnel, afin de garantir l’autorité de la chose jugée. Dans un arrêt rendu le 8 décembre 1993, la Cour de cassation a fermement rappelé qu’il est interdit au juge de déléguer au notaire liquidateur le pouvoir de fixer la date d’évaluation des biens à partager (Cass. 1ère civ., 8 déc. 1993, n°91-19.846).

En l’espèce, à la suite d’un divorce, la cour d’appel avait attribué préférentiellement un immeuble commun à l’un des époux, en retenant la valeur estimée par un expert judiciaire. Toutefois, elle avait également décidé que l’actualisation de cette évaluation serait effectuée par le notaire chargé de la liquidation des comptes entre les parties. La Cour de cassation a censuré cette délégation au motif que le juge doit lui-même fixer la valeur des biens à la date du partage et ne peut confier cette tâche à un officier public, fût-il un notaire.

La Haute juridiction a ainsi souligné que la détermination de la date d’évaluation des biens constitue une prérogative relevant de l’office exclusif du juge. Ce pouvoir ne saurait être abandonné au notaire liquidateur, car une telle délégation priverait la décision judiciaire de son autorité et ferait peser un risque d’insécurité juridique sur les opérations de partage.

Cette décision illustre l’importance du rôle du juge dans les opérations de liquidation-partage. En fixant lui-même la valeur des biens au jour du partage, le juge s’assure que les droits des parties sont protégés et que les principes d’équité et d’impartialité sont respectés. Toute délégation à un tiers, même à un notaire, compromettrait cette exigence fondamentale et risquerait de créer des situations d’incertitude préjudiciables à la stabilité des relations patrimoniales.

Enfin, Outre l’exigence de fixer une date unique pour l’évaluation des biens à partager, le respect de la stabilité des opérations successorales implique que cette date, une fois arrêtée, bénéficie de l’autorité de la chose jugée. En effet, la fixation de la date de la jouissance divise constitue une étape décisive dans la liquidation de l’indivision, dès lors qu’elle détermine la valeur des biens indivis à prendre en compte dans le partage. Par conséquent, il est en principe exclu de revenir sur cette date une fois les opérations de partage devenues définitives.

Aussi, la Cour de cassation a réaffirmé à plusieurs reprises que l’autorité de la chose jugée interdit de demander une nouvelle évaluation des biens après l’homologation du partage, sous peine de compromettre la sécurité juridique des héritiers. Dans un arrêt du 24 octobre 1972, la Haute juridiction a censuré une demande tendant à modifier la date de la jouissance divise au motif que cette date avait déjà été fixée dans une décision irrévocable, précisant que la stabilité des opérations de partage exige que les valeurs arrêtées ne soient pas remises en cause, sauf à fragiliser l’ensemble des droits des copartageants (Cass. 1ère civ., 24 oct. 1972, n°71-11.883).

En l’espèce, le partage d’une communauté post-divorce avait donné lieu à l’établissement d’un état liquidatif par un notaire, lequel avait fixé la date de la jouissance divise au 1er septembre 1948. Ce partage avait été entériné par un jugement du 2 novembre 1950, confirmé par un arrêt rendu le 6 mai 1952, devenu irrévocable. Toutefois, plusieurs années plus tard, l’un des copartageants a sollicité une nouvelle évaluation des biens sur la base d’une jouissance divise à fixer à une date plus récente, invoquant les dispositions issues de la loi du 13 juillet 1965, notamment l’article 1469 du Code civil relatif au calcul des récompenses.

La Cour de cassation a fermement rejeté cette demande, rappelant que la fixation de la date de la jouissance divise par une décision définitive interdit toute réévaluation ultérieure, sauf circonstances exceptionnelles. La Haute juridiction a insisté sur le fait que les décisions judiciaires fixant la date de la jouissance divise bénéficient de l’autorité de la chose jugée, laquelle s’étend non seulement à la valeur des biens, mais aussi à la date à laquelle ces valeurs doivent être appréciées. En modifiant cette date, les juges d’appel auraient violé ce principe fondamental, portant ainsi atteinte à la sécurité juridique des opérations de partage.

Cependant, la Cour de cassation a précisé que l’autorité de la chose jugée relative à la fixation de la jouissance divise est provisoire, et non absolue. Une révision de cette date peut être envisagée dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque des retards considérables dans les opérations de partage rendent la date initialement retenue inappropriée au regard de l’objectif d’égalité entre les copartageants.

Dans l’arrêt précité du 24 octobre 1972, la Haute juridiction a ainsi admis qu’un retard substantiel pouvait légitimer la fixation d’une nouvelle date de jouissance divise, dès lors que le maintien de la date initiale compromettrait l’équilibre des lots. Cette possibilité, toutefois strictement encadrée, ne peut être admise que si elle répond à une nécessité impérieuse dictée par les circonstances de la cause. Loin de constituer un ajustement opportuniste, elle vise à éviter que l’application rigide d’une date devenue obsolète n’entraîne des déséquilibres préjudiciables, tout en assurant la stabilité des opérations successorales.

Cette solution jurisprudentielle souligne l’importance de concilier sécurité juridique et équité entre copartageants. Si la fixation d’une date de jouissance divise ne saurait être modifiée sans justification sérieuse, il est également impératif que cette date reste pertinente par rapport à la réalité économique au moment du partage. En d’autres termes, l’autorité de la chose jugée ne doit pas se transformer en un obstacle rigide, empêchant les juges de s’adapter aux situations particulières lorsque l’intérêt des copartageants l’exige.

En revanche, la jurisprudence exclut toute révision de la date de la jouissance divise lorsque celle-ci a été expressément fixée par une décision irrévocable et que le partage a été définitivement homologué. Cette règle vise à éviter que les valeurs arrêtées lors du partage ne soient remises en cause de manière intempestive, ce qui risquerait de fragiliser les droits acquis par les copartageants et de générer des contentieux incessants. Comme l’a justement observé Pierre Catala, « l’autorité de la chose jugée en matière de partage est une garantie essentielle de stabilité et de sécurité juridique, qui interdit toute remise en cause des valeurs arrêtées, sauf circonstances exceptionnelles ».

Toutefois, pour que l’autorité de la chose jugée puisse pleinement s’appliquer, il est indispensable que la date de la jouissance divise ait été expressément fixée par le juge. À défaut, les évaluations des biens pourraient être contestées ultérieurement, créant une incertitude juridique préjudiciable aux indivisaires. La Cour de cassation a ainsi rappelé, dans un arrêt du 8 avril 2009, que la fixation implicite d’une date de jouissance divise ne suffit pas à garantir la stabilité des opérations de partage (Cass. 1ère civ., 8 avr. 2009, n°07-21.561).

Enfin, il convient de souligner que le tribunal peut choisir de maintenir une date d’évaluation fixée dans une décision antérieure, à condition que cette décision ne soit pas trop éloignée dans le temps et que ce maintien soit conforme à l’intérêt des copartageants. Cependant, cette stabilité doit nécessairement s’accompagner d’une précision absolue quant à la date retenue. Comme souligné par Gérard Champenois, « l’autorité de la chose jugée ne saurait être invoquée pour des décisions imprécises ou ambiguës quant à la date d’évaluation des biens, au risque de compromettre l’équité du partage ».

En définitive, le principe d’autorité de la chose jugée relatif à la fixation de la date de la jouissance divise repose sur un équilibre délicat entre stabilité et souplesse. Si la date fixée doit être considérée comme définitive pour garantir la sécurité des opérations de partage, des ajustements restent possibles dans des cas exceptionnels, lorsque le maintien de la date initiale s’avérerait manifestement inéquitable. La jurisprudence, en encadrant rigoureusement ces exceptions, s’attache à préserver tant la sécurité juridique des opérations de partage que l’équité entre les copartageants.

B) Estimation des créances

L’estimation des créances dans le cadre des opérations de partage successoral ou d’indivision obéit à des règles spécifiques, qui varient en fonction de la nature de la créance et de son mode de liquidation. Il convient de distinguer entre l’évaluation du capital de la créance et celle des intérêts qu’elle produit, en tenant compte des particularités attachées à certaines créances de valeur. Cette distinction est essentielle pour assurer une répartition équitable de l’actif successoral et garantir la stabilité des opérations de partage.

En effet, comme l’a souligné Gérard Champenois, « les créances, bien que par nature immatérielles, n’en demeurent pas moins des éléments d’actif susceptibles d’influer sur l’équilibre des lots. Leur évaluation requiert une attention particulière, car elle peut, en cas d’imprécision, engendrer des déséquilibres durables entre les copartageants ».

1. Estimation du capital

a. Principe du nominalisme monétaire

==>Problématique

Lorsque le débiteur d’une obligation de somme d’argent doit s’acquitter de sa dette, la question se pose de savoir s’il doit verser le montant nominal stipulé à l’origine ou un montant ajusté pour tenir compte des fluctuations monétaires survenues entre la naissance de la créance et son recouvrement. Cette interrogation, particulièrement pertinente dans le cadre des opérations de partage, prend tout son sens face au facteur temporel qui sépare le moment du fait générateur de la créance et celui de son exigibilité. Entre ces deux bornes, il peut s’écouler un laps de temps plus ou moins long, rendant d’autant plus incertain le maintien de la valeur réelle de la somme due.

C’est précisément lorsque cet intervalle temporel s’étire que la question de la fluctuation monétaire présente un enjeu crucial. La monnaie, en tant qu’unité de compte et instrument de paiement, ne conserve pas nécessairement une valeur constante dans le temps. L’inflation, la dépréciation monétaire ou les fluctuations des marchés financiers peuvent affecter le pouvoir d’achat de la somme inscrite dans le titre constitutif de la créance. Une somme d’argent stipulée à un moment donné peut ainsi ne plus représenter la même valeur économique au moment de son recouvrement, introduisant un risque de déséquilibre entre les parties.

Face à cette problématique, deux approches théoriques peuvent être envisagées. La première, le nominalisme monétaire, impose de figer la dette au montant nominal prévu lors de la naissance de l’obligation. Selon cette approche, le débiteur se libère de son obligation en versant le nombre d’unités monétaires stipulé dans le titre, indépendamment des fluctuations économiques. Autrement dit, une créance de 50 000 euros due au décès d’un indivisaire sera inscrite à ce montant exact dans la masse partageable, même si la valeur réelle de cette somme a diminué ou augmenté entre le décès et le partage.

Cette approche présente l’avantage majeur de garantir la prévisibilité des évaluations patrimoniales, tout en évitant des litiges interminables sur la valeur actualisée des créances. Comme le rappelle François Terré, « le nominalisme monétaire assure une sécurité indispensable dans les opérations patrimoniales, notamment en matière de partage, où la stabilité des évaluations constitue une garantie d’équilibre entre les héritiers ».

La seconde approche, celle du valorisme monétaire, consisterait à ajuster la dette en fonction des variations monétaires survenues entre la naissance de l’obligation et son exécution. Cette méthode, qui pourrait sembler plus équitable dans un contexte économique instable, présente néanmoins des risques importants d’insécurité juridique. Elle ouvrirait la porte à des contestations sur la méthode d’actualisation retenue, la période de référence ou les indices utilisés, complexifiant ainsi les opérations de partage et prolongeant indûment les indivisions.

Entre ces deux approches, le législateur français a fait un choix clair en faveur du nominalisme monétaire, considérant que la stabilité juridique devait primer sur les aléas économiques. Mais ce principe, loin d’être une innovation récente, puise ses racines dans une construction jurisprudentielle qui remonte à plus d’un siècle. Dès le XIXe siècle, le nominalisme monétaire a été consacré en droit français, à commencer par l’article 1895 du Code civil. Ce texte fondateur, bien que limité à l’origine au prêt de consommation, a progressivement acquis une portée générale à travers l’interprétation qu’en a donnée la jurisprudence. Pour comprendre les enjeux actuels de ce principe, il convient d’en retracer les origines et d’analyser les étapes majeures de son extension.

==>Origines du nominalisme monétaire

Le nominalisme monétaire trouve donc ses origines dans l’article 1895 du Code civil, qui dispose que « l’obligation qui résulte d’un prêt en argent n’est toujours que de la somme énoncée au contrat ». Cette disposition traduit l’idée que la monnaie, au-delà de sa simple fonction de paiement, constitue également une unité de mesure, destinée à apprécier la valeur des biens et des services. Contrairement aux unités de mesure utilisées dans les sciences, la monnaie présente cependant un caractère instable, car sa valeur dépend d’un cours susceptible de varier avec le temps. Ces variations, qu’elles soient liées à l’inflation ou à la dépréciation monétaire, peuvent perturber l’évaluation des créances sur une longue période.

L’article 1895 a été rédigé dans un contexte économique marqué par une certaine stabilité monétaire, notamment grâce à l’étalon-or, qui limitait les risques de dépréciation de la monnaie. Dans ce cadre, le nominalisme monétaire apparaissait comme une solution simple et efficace pour éviter les litiges liés à la valeur de la monnaie au moment de l’exécution des obligations. Comme le souligne Henri Capitant, « le nominalisme repose sur une exigence de sécurité juridique, en permettant au débiteur de connaître dès l’origine le montant exact de sa dette, indépendamment des aléas économiques ».

Cependant, cette règle, initialement cantonnée au prêt de consommation, a rapidement été étendue par la jurisprudence à l’ensemble des obligations de somme d’argent. Cette évolution jurisprudentielle a été amorcée dès la fin du XIXe siècle, notamment avec un arrêt de principe rendu par la Cour de cassation le 25 février 1929 (Cass. req., 25 févr. 1929). Dans cette décision, la Haute juridiction a affirmé que le nominalisme monétaire s’appliquait à toutes les obligations pécuniaires, qu’elles soient issues d’un contrat de prêt ou de toute autre source d’obligation.

L’arrêt de 1929 marque un tournant décisif en posant le nominalisme monétaire comme un principe général du droit des obligations. Selon la Cour de cassation, le montant nominal d’une dette d’argent doit être respecté, quelles que soient les variations de la valeur de la monnaie entre la naissance de l’obligation et son exécution. Cette solution visait à préserver la sécurité juridique des relations patrimoniales en assurant une prévisibilité quant au montant des créances inscrites à l’actif.

Selon René Savatier, « l’extension jurisprudentielle du nominalisme monétaire a permis d’unifier le régime des obligations de somme d’argent, en garantissant aux créanciers qu’ils seraient toujours remboursés pour le montant exact stipulé dans le contrat, sans tenir compte des fluctuations économiques ».

Cette orientation a été confirmée à plusieurs reprises. Dans un arrêt du 29 juin 1994, la Cour de cassation a rappelé que le nominalisme monétaire s’appliquait également lorsqu’une créance figurait à l’actif d’une masse partageable, qu’elle soit due par un tiers ou par l’un des copartageants (Cass. 1re civ., 29 juin 1994, n°92-15.253).

==>Consécration légale du nominalisme monétaire

Malgré sa consécration jurisprudentielle, le nominalisme monétaire n’était pas expressément prévu dans les textes avant la réforme du droit des obligations. Afin de lever toute ambiguïté et de garantir la sécurité juridique des créances de somme d’argent, le législateur a choisi de consacrer ce principe de manière explicite lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du régime général des obligations.

Aussi, l’article 1343 du Code civil, issu de cette réforme, dispose désormais que « le débiteur d’une obligation de somme d’argent se libère par le versement de son montant nominal ». Cette disposition met fin à tout débat sur la portée du nominalisme monétaire, en confirmant qu’il s’applique à l’ensemble des obligations pécuniaires, y compris celles inscrites à l’actif d’une masse successorale.

Selon Michel Grimaldi, « la consécration législative du nominalisme monétaire traduit une volonté de stabiliser les règles applicables aux obligations de somme d’argent, afin de garantir la sécurité des transactions patrimoniales, en particulier dans les opérations de partage successoral ».

L’application du principe du nominalisme monétaire aux créances inscrites à l’actif de la masse partageable offre aux copartageants une précieuse garantie de stabilité et de sécurité juridique. Dans le cadre des opérations de partage, il s’agit de figer la valeur des créances au montant stipulé dans le titre constitutif, sans que les variations monétaires intervenues entre la naissance de la créance et le partage n’en altèrent l’évaluation. Cette approche permet de neutraliser l’impact des aléas économiques sur la composition de la masse partageable, tout en assurant une prévisibilité indispensable à la répartition des biens entre les copartageants.

Par exemple, supposons qu’un héritier détienne une créance de 100 000 euros sur un tiers, contractée dix ans avant le décès du de cujus. Entre la naissance de cette créance et le moment du partage, une inflation importante a diminué le pouvoir d’achat de cette somme, de sorte que les 100 000 euros d’origine ne représentent plus la même valeur économique au jour du partage. Malgré cette dépréciation monétaire, la créance doit être inscrite à l’actif de la masse partageable pour son montant nominal de 100 000 euros, conformément au principe du nominalisme monétaire. Cette évaluation fixe empêche que des ajustements liés à l’inflation ou à d’autres indices économiques viennent perturber la stabilité des opérations de partage.

Ainsi, lorsqu’une créance de somme d’argent est due à l’indivision, elle doit être évaluée pour son montant nominal, qu’il s’agisse d’une créance contractée avant le décès ou d’une créance née pendant l’indivision. Cette règle est applicable que le débiteur soit un tiers ou l’un des copartageants eux-mêmes. La jurisprudence, constante sur ce point, a rappelé que les créances doivent être inscrites à leur valeur nominale, indépendamment des évolutions du pouvoir d’achat ou des fluctuations économiques susceptibles d’intervenir au fil du temps (Cass. 1re civ., 29 juin 1994, n°92-15.253).

Cette position s’explique par la volonté de préserver l’équilibre entre les copartageants et d’éviter les contestations qui pourraient découler de la réévaluation des créances en fonction d’indices monétaires. En effet, admettre une actualisation des créances inscrites à l’actif introduirait un facteur d’incertitude dans les opérations de partage, compromettant ainsi la stabilité des rapports entre copartageants. Comme le souligne Gérard Cornu, « le nominalisme monétaire est une réponse juridique aux fluctuations économiques, garantissant la sécurité des évaluations et préservant l’intégrité des opérations de partage ».

En outre, cette règle permet de prévenir les conflits potentiels entre les copartageants, qui pourraient être tentés de demander une révision des évaluations en fonction des évolutions économiques, prolongeant ainsi les opérations de partage. Par exemple, si un héritier réclamait une réévaluation d’une créance sur la base d’un indice d’inflation, d’autres indivisaires pourraient exiger des révisions similaires pour d’autres éléments de l’actif successoral, engendrant une insécurité juridique et compliquant la clôture de l’indivision.

b. Limites

==>Prise en compte du risque de non-recouvrement

Le nominalisme monétaire, bien qu’essentiel pour garantir la stabilité des opérations de partage, peut se heurter à la réalité économique, notamment lorsque le recouvrement de certaines créances s’avère incertain. La jurisprudence a admis que la créance peut être inscrite pour une valeur inférieure à son montant nominal lorsqu’il existe un risque sérieux de non-recouvrement. En effet, la valeur réelle d’une créance dépend de la capacité du débiteur à honorer sa dette, et il serait artificiel d’inclure dans la masse partageable une créance que l’on sait irrécouvrable.

Dans un arrêt du 9 juillet 1985, la Cour de cassation a jugé en ce sens qu’une créance pouvait être prise en compte pour un montant inférieur à son montant nominal, si le débiteur présentait des difficultés financières importantes rendant incertain son remboursement (Cass. 1ère civ., 9 juill. 1985). Cette solution permet d’éviter que la masse partageable ne soit artificiellement gonflée par des créances douteuses, créant ainsi un déséquilibre entre les héritiers. Comme le souligne Jacques Flour, « il ne faut pas confondre le montant nominal de la créance, qui constitue une obligation juridique, avec sa valeur économique, qui dépend des chances effectives de recouvrement. Cette distinction est essentielle en matière de partage, pour éviter que des créances fictives ne créent des déséquilibres injustes entre les héritiers ».

==>Les créances indexées et libellées en monnaie étrangère

Une autre limite au nominalisme monétaire réside dans les créances indexées ou libellées en monnaie étrangère. Dans de tels cas, leur évaluation doit tenir compte des fluctuations de l’indice ou du taux de change. Conformément au principe général d’évaluation des actifs de la masse partageable, ces créances doivent être liquidées au jour du partage, afin de refléter leur valeur réelle à cette date. Dans un arrêt du 10 juin 1976, la Cour de cassation a jugé que la conversion d’une créance libellée en dollars américains devait être effectuée au taux de change applicable au jour du partage, et non à la date de constitution de la créance (Cass. 1re civ., 10 juin 1976, 75-10.798). Cette solution permet de garantir une évaluation juste et conforme à la réalité économique.

==>Créances ordinaires et créances de valeur

Enfin, il convient de distinguer les créances ordinaires des créances de valeur. Les premières sont évaluées à leur montant nominal, tandis que les secondes, telles que les indemnités de rapport (article 860 du Code civil) ou les indemnités de réduction (article 924-2 du Code civil), doivent être évaluées en fonction de leur valeur réelle au jour du partage. Cette distinction est importante pour éviter que certaines créances, notamment celles résultant de dégradations ou d’améliorations des biens indivis, ne soient surévaluées ou sous-évaluées, compromettant ainsi l’équité entre les héritiers.

Comme le rappelle Laurent Aynès, « la distinction entre créances ordinaires et créances de valeur permet d’adapter le principe du nominalisme aux réalités économiques, tout en garantissant l’équilibre entre les héritiers. Le nominalisme monétaire ne saurait être appliqué de manière rigide, au risque de produire des situations injustes ».

2. Estimation des intérêts

L’évaluation des créances de somme d’argent dans le cadre des opérations de partage ne se limite pas à leur capital nominal. Elle inclut également les intérêts produits par ces créances, dont le régime diffère selon que le débiteur est un tiers ou un indivisaire. La question des intérêts est cruciale en vue d’assurer une répartition équitable entre les indivisaires et éviter que certains ne tirent un avantage indu du retard des opérations de partage.

==>Les intérêts des créances sur les tiers débiteurs

Lorsque la créance est détenue à l’encontre d’un tiers débiteur, le régime applicable est celui du droit commun des obligations. Les articles 1231-6, 1344 et 1344-1 du Code civil fixent les conditions de production des intérêts moratoires, qui commencent à courir soit après une mise en demeure du débiteur, soit dès l’exigibilité de la dette si le contrat le prévoit expressément.

Ainsi, en l’absence de stipulation particulière, les intérêts moratoires ne peuvent être réclamés qu’après que le débiteur ait été formellement mis en demeure de s’exécuter. Cette exigence de mise en demeure vise à protéger le débiteur contre une pénalisation injuste en cas de retard non imputable à sa faute. Selon Jean Carbonnier, « la règle selon laquelle les intérêts courent à partir de la mise en demeure vise à éviter que le débiteur ne soit pénalisé par des retards dont il n’est pas responsable, tout en protégeant le créancier contre l’inertie du débiteur ».

Par exemple, si l’indivision détient une créance de 30 000 euros à l’encontre d’un locataire tiers pour des loyers impayés, les intérêts moratoires ne commenceront à courir qu’à compter de la mise en demeure du locataire. Ces intérêts seront calculés au taux légal, sauf convention contraire.

==>Les intérêts des créances sur les indivisaires débiteurs

Le régime applicable aux intérêts des créances lorsque le débiteur est un indivisaire présente des spécificités par rapport aux règles générales du droit commun. L’article 866 du Code civil prévoit que les créances entre indivisaires produisent des intérêts de plein droit, sans qu’une mise en demeure ne soit nécessaire.

Deux cas de figure doivent être distingués quant au point de départ des intérêts :

  • Si la créance existait avant l’entrée en indivision, les intérêts courent à compter de la constitution de l’indivision ou de l’événement générateur de celle-ci (ouverture de la succession, dissolution de communauté, etc.).
  • Si la créance est née au cours de l’indivision, les intérêts courent à compter de la date d’exigibilité de la créance.

Prenons un exemple concret : deux personnes acquièrent ensemble un immeuble destiné à la location. Par la suite, l’un des indivisaires avance une somme importante pour réaliser des travaux de rénovation indispensables à la conservation du bien. Cette créance, dès lors qu’elle est exigible, produit des intérêts de plein droit, garantissant que l’indivisaire créancier ne soit pas pénalisé par le temps nécessaire à l’accord des parties ou à la dissolution de l’indivision. Comme le rappelle Laurent Aynès, « l’automaticité des intérêts sur les créances entre indivisaires vise à éviter qu’un indivisaire débiteur ne tire profit du retard dans la liquidation de l’indivision ».

Cependant, il convient de distinguer les créances ordinaires des créances de valeur. Les créances ordinaires, telles que les avances de fonds pour des travaux ou le remboursement de charges payées par un indivisaire, produisent des intérêts dès leur exigibilité. En revanche, les créances de valeur — c’est-à-dire celles dont le montant doit être déterminé lors du partage — ne produisent des intérêts qu’à compter de leur liquidation effective.

Par exemple, si un indivisaire réclame une indemnité d’occupation au titre de l’usage privatif d’un bien indivis, le montant de cette indemnité doit d’abord être fixé de manière définitive avant que des intérêts ne soient calculés. Cela garantit que le débiteur de la créance ne soit pas pénalisé par des intérêts sur un montant susceptible d’être contesté ou réévalué au cours des opérations de partage.

Comme le souligne Philippe Malaurie, « la fixation des intérêts sur les créances de valeur après leur liquidation préserve un équilibre entre la protection du créancier et la sécurité du débiteur, en évitant des calculs prématurés sur des montants incertains ».

Cette distinction s’inscrit dans une logique de prévisibilité des obligations pécuniaires au sein de l’indivision. Les créances ordinaires, dont le montant est connu dès l’origine, produisent des intérêts dès leur exigibilité. En revanche, les créances de valeur, par nature plus incertaines, attendent leur liquidation pour produire des intérêts. Cette règle permet de préserver la sécurité des relations entre indivisaires, tout en évitant des litiges prolongés liés à l’incertitude des montants en jeu.

§2: La prise en compte du passif de l’indivision

Le règlement des dettes pesant sur la masse indivise constitue une étape préalable essentielle dans toute opération de partage. Il permet d’établir la masse nette partageable, c’est-à-dire les biens et droits qui pourront effectivement être répartis entre les indivisaires, une fois le passif apuré. Le Code civil prévoit plusieurs mécanismes afin de garantir le paiement des créanciers tiers et l’équilibre des relations financières entre les co-indivisaires eux-mêmes.

I) Le recensement des dettes et charges pesant sur l’indivision

Le recensement des dettes et charges pesant sur l’indivision constitue une étape indispensable avant toute opération de partage. Il s’agit d’identifier précisément les obligations financières qui grèvent la masse indivise afin de garantir une liquidation équitable et d’éviter toute contestation ultérieure. Ce recensement, souvent effectué par le notaire commis à la liquidation, doit être exhaustif et précis. Il concerne aussi bien les dettes externes, dues à des créanciers tiers, que les dettes internes, résultant des relations financières entre les indivisaires.

Le Code civil, à travers l’article 815-8, impose une obligation de transparence dans la gestion de l’indivision. Toute personne percevant des revenus ou engageant des dépenses pour le compte de l’indivision est tenue d’en tenir un état détaillé, comprenant les dettes contractées et les charges nécessaires à la conservation des biens indivis.

A) Les créances des tiers sur l’indivision

Les dettes externes concernent les obligations financières que l’indivision doit à des tiers, notamment les créanciers fiscaux, les établissements de crédit ou les copropriétés. Ces créances doivent être réglées en priorité, sous peine de poursuites contre la masse indivise.

1. Les dettes fiscales

Les biens indivis sont naturellement grevés d’obligations fiscales, dont le paiement incombe directement aux indivisaires. Ces dettes doivent impérativement être apurées avant toute opération de partage, sous peine de voir les créanciers fiscaux exercer des poursuites sur la masse indivise.

En effet, l’administration fiscale dispose de prérogatives spécifiques lui permettant de garantir le recouvrement de ses créances, notamment par le biais d’une hypothèque légale inscrite sur les biens indivis en application de l’article 1929-1 du Code général des impôts.

==>La taxe foncière

La taxe foncière est une imposition annuelle qui frappe la propriété immobilière, indépendamment de son usage ou de sa jouissance. En matière d’indivision, la jurisprudence a confirmé que cette taxe doit être répartie entre les indivisaires proportionnellement à leurs droits, en tant que dépense nécessaire à la conservation des biens indivis.

Ainsi, même si un indivisaire occupe seul le bien indivis, cela ne le dispense pas de partager la charge de la taxe foncière avec les autres indivisaires. Cette imposition est directement liée à la propriété du bien, et non à son occupation.

Exemple pratique :

Dans un arrêt du 16 avril 2008, la Cour de cassation a jugé que la taxe foncière devait être supportée par tous les indivisaires, y compris lorsque le bien est occupé à titre privatif par l’un d’entre eux (Cass. 1re civ., 16 avr. 2008, n° 07-12.224).

==>La taxe d’habitation

Avant sa suppression progressive depuis 2021 pour les résidences principales, la taxe d’habitation était due par le résident occupant le bien au 1er janvier de l’année d’imposition. Contrairement à la taxe foncière, cette taxe repose sur la jouissance effective du bien et pèse exclusivement sur celui qui l’occupe à titre privatif.

Dans un arrêt du 5 décembre 2018, la Cour de cassation a précisé que la taxe d’habitation devait être supportée par l’indivisaire occupant le bien, à moins qu’un accord entre les indivisaires n’en dispose autrement (Cass. 3e civ., 5 déc. 2018, n° 17-31.189).

Exemple pratique :

Si un indivisaire occupe seul un appartement indivis à titre de résidence principale, la taxe d’habitation due au 1er janvier de l’année sera entièrement à sa charge. Toutefois, un accord entre les indivisaires peut prévoir une répartition différente.

==>Les droits de succession

Dans le cadre d’une indivision successorale, les droits de succession constituent une dette prioritaire que les héritiers doivent régler avant toute opération de partage ou d’aliénation des biens indivis.

L’article 1929-1 du Code général des impôts confère à l’administration fiscale le droit d’inscrire une hypothèque légale sur les biens indivis en garantie du paiement des droits de succession. Cette hypothèque peut bloquer toute vente ou partage du bien jusqu’au règlement intégral de la créance fiscale.

Exemple pratique :

Un immeuble indivis, évalué à 500 000 €, est grevé de droits de succession s’élevant à 50 000 €. Si les héritiers n’acquittent pas ces droits, l’administration fiscale peut inscrire une hypothèque légale sur l’immeuble. Cette hypothèque rend impossible toute cession du bien sans que le fisc soit préalablement désintéressé.

Dans un arrêt du 10 mai 2011, la Cour de cassation a rappelé que les créances fiscales disposent d’un rang prioritaire, et que leur non-paiement peut justifier une vente judiciaire des biens indivis pour apurer le passif (Cass. com., 10 mai 2011, n°10-14.101).

2. Les emprunts contractés au bénéfice de l’indivision

Les biens indivis peuvent nécessiter des financements spécifiques, notamment pour leur acquisition ou leur conservation. À cette fin, les indivisaires peuvent être amenés à souscrire des emprunts collectifs, qui constituent des dettes communes devant être apurées avant tout partage. Bien que l’indivision elle-même ne puisse contracter un emprunt, en l’absence de personnalité morale, les indivisaires peuvent s’engager conjointement auprès d’un créancier pour les besoins de la masse indivise.

Les emprunts contractés par les indivisaires peuvent être regroupés en deux grandes catégories selon leur moment de souscription :

  • Les emprunts souscrits avant l’ouverture de l’indivision
    • Ces emprunts concernent généralement les dettes successorales, telles que les prêts immobiliers contractés par le défunt avant son décès.
    • À l’ouverture de la succession, ces dettes se transmettent aux héritiers, qui deviennent débiteurs du solde restant dû.
    • Chaque indivisaire est alors tenu au remboursement de l’emprunt, à proportion de sa quote-part successorale.
    • Cette répartition est essentielle pour éviter tout déséquilibre entre les cohéritiers.
      • Exemple pratique :
        • Un défunt laisse un immeuble grevé d’un prêt immobilier. À l’ouverture de la succession, les héritiers doivent poursuivre le remboursement de ce prêt, proportionnellement à leurs parts dans la masse successorale.
        • Si l’un d’eux refuse de payer, les autres héritiers devront régler les échéances pour éviter tout contentieux avec la banque, mais pourront demander une compensation lors du partage.
  • Les emprunts contractés pendant l’indivision
    • Les indivisaires peuvent également souscrire un emprunt après l’ouverture de l’indivision, par exemple pour financer des travaux de conservation ou d’amélioration d’un bien indivis.
    • Ces emprunts doivent être souscrits avec l’accord des indivisaires majoritaires, conformément à l’article 815-3 du Code civil, qui encadre les actes d’administration.
    • Dans ce cas, chaque indivisaire devient personnellement tenu du remboursement envers le créancier, proportionnellement à ses droits dans l’indivision.
    • Toutefois, la responsabilité des indivisaires peut être solidaire, en fonction des termes du contrat de prêt.
      • Exemple pratique :
        • Dans le cadre d’une indivision successorale portant sur un immeuble nécessitant des travaux de rénovation, les indivisaires décident de contracter un emprunt collectif.
        • Chaque indivisaire est alors tenu de rembourser une part de cet emprunt, à proportion de ses droits dans l’indivision.
        • Si l’un des indivisaires fait défaut, les autres indivisaires doivent couvrir les échéances impayées, mais pourront demander une compensation lors du partage.

Lorsqu’un emprunt est contracté au bénéfice de l’indivision, le créancier conserve la possibilité de poursuivre chacun des indivisaires pour l’intégralité de la dette, sauf stipulation contraire dans le contrat. Cette solidarité emporte des conséquences importantes :

  • Le créancier peut exiger le remboursement total auprès d’un seul indivisaire ;
  • L’indivisaire ayant réglé la totalité de la dette peut exercer un recours contre les autres co-emprunteurs, afin de récupérer leur part de la dette.

Dans un arrêt du 23 janvier 2001, la Cour de cassation a rappelé que l’indivisaire qui prend en charge les dépenses nécessaires à la conservation du bien indivis dispose d’une créance sur la masse indivise (Cass. 1ère civ. 23 janv. 2001, n° 98-22.937). Ce principe peut être appliqué aux emprunts souscrits pour financer de tels travaux, permettant à l’indivisaire ayant réglé les échéances de demander une compensation lors du partage.

Si un indivisaire ne s’acquitte pas de sa part des échéances d’un emprunt collectif, le créancier peut poursuivre l’ensemble des co-emprunteurs. Cette situation peut créer un déséquilibre financier au sein de l’indivision, notamment si les indivisaires solvables doivent couvrir les impayés de l’indivisaire défaillant.

Cependant, ces indivisaires peuvent ensuite se retourner contre l’indivisaire défaillant, notamment en demandant l’imputation de la dette sur sa part lors du partage final. Ce mécanisme permet de préserver l’équité entre les indivisaires.

Exemple pratique :

Un héritier refuse de contribuer au remboursement d’un prêt souscrit pour rénover un immeuble indivis. Les autres indivisaires prennent en charge les échéances pour éviter un défaut de paiement auprès de la banque. Lors du partage, ils demanderont que le montant de la dette soit imputé sur la part de l’indivisaire défaillant.

3. Les charges d’entretien et de copropriété

La gestion des biens indivis implique nécessairement l’acquittement de charges d’entretien et de gestion courante. Ces dépenses, indispensables à la préservation du patrimoine commun, constituent des obligations incontournables pour les indivisaires. Toutefois, elles peuvent rapidement devenir une source de discordes, notamment en cas de défaut de contribution de certains indivisaires ou lorsqu’un indivisaire occupe privativement le bien sans assumer les frais afférents.

Ces charges, qui grèvent directement la masse indivise, se répartissent en plusieurs catégories distinctes, chacune répondant à des besoins spécifiques en matière de conservation et de gestion des biens.

  • Les frais d’entretien courant
    • Les biens indivis, qu’il s’agisse d’immeubles ou de meubles, nécessitent des dépenses régulières pour maintenir leur valeur et éviter leur dégradation. Ces frais incluent notamment :
      • Les réparations urgentes, destinées à prévenir des dommages susceptibles d’affecter durablement le bien ;
      • Les travaux de rénovation, visant à mettre le bien en conformité avec les normes en vigueur ou à améliorer son état général ;
      • Les frais de gestion courante, tels que les prestations d’entretien ou les honoraires de gestion locative.
    • Ces dépenses bénéficient à l’ensemble des indivisaires, puisqu’elles préservent ou augmentent la valeur du bien indivis. En conséquence, elles doivent être prises en charge proportionnellement aux droits de chacun dans l’indivision.
    • Conformément à l’article 815-13 du Code civil, l’indivisaire qui a engagé des frais nécessaires à la conservation du bien peut obtenir le remboursement de ses dépenses lors du partage, sous réserve de prouver leur caractère utile et nécessaire.
      • Exemple pratique :
        • Si la toiture d’un immeuble indivis est endommagée, un indivisaire peut décider d’engager les travaux nécessaires pour éviter une dégradation supplémentaire du bien. Lors du partage, il pourra demander à ce que les frais engagés soient inscrits à son actif dans le compte d’indivision, afin d’obtenir une compensation financière.
  • Les charges de copropriété
    • Lorsque le bien indivis est situé dans une résidence soumise au régime de la copropriété, les indivisaires doivent participer au paiement des charges de copropriété, proportionnellement à leurs droits.
    • Ces charges incluent :
      • Les frais d’entretien des parties communes, tels que l’entretien des ascenseurs, des jardins ou des couloirs ;
      • Les frais de gestion administrative, comprenant les honoraires du syndic et les assurances souscrites par la copropriété ;
      • Les appels de fonds exceptionnels, destinés à financer des travaux votés en assemblée générale.
    • En cas de défaillance dans le paiement de ces charges, le syndic peut engager des poursuites contre l’ensemble des indivisaires, conformément aux dispositions de l’article 1200 du Code civil, qui régit la solidarité passive des débiteurs.
      • Exemple pratique :
        • Un appartement indivis situé dans une copropriété fait l’objet d’une réhabilitation des parties communes, votée en assemblée générale.
        • Chaque indivisaire doit contribuer au règlement des appels de fonds, proportionnellement à ses droits.
        • Si certains indivisaires refusent de payer, le syndic peut assigner l’indivision dans son ensemble devant le tribunal et demander l’inscription d’une hypothèque légale sur le bien indivis, en application de l’article 19-1 de la loi du 10 juillet 1965.
  • Les primes d’assurance
    • Les biens indivis doivent être assurés afin de prévenir les risques liés aux sinistres, tels que les incendies, les dégâts des eaux ou encore les vols.
    • Les indivisaires doivent souscrire une assurance multirisque habitation couvrant les biens indivis et répartir le coût de la prime en fonction de leurs droits respectifs.
    • L’absence d’assurance expose les indivisaires à des risques considérables, notamment en cas de sinistre non couvert.
    • Le créancier (compagnie d’assurance) peut alors se retourner contre la masse indivise pour obtenir le remboursement des sommes dues.
      • Exemple pratique :
        • Si un immeuble indivis est détruit par un incendie et qu’aucune assurance n’a été souscrite, les pertes seront supportées par l’ensemble des indivisaires, sans possibilité d’indemnisation.
        • À l’inverse, si une assurance a été contractée, l’indemnisation versée par l’assureur sera répartie entre les indivisaires selon leurs droits.

Les frais d’entretien, les charges de copropriété ou les primes d’assurance afférentes aux biens indivis constituent des dépenses récurrentes, indispensables à la préservation du patrimoine commun. Ces obligations financières, essentielles au bon fonctionnement de l’indivision, exposent néanmoins les indivisaires à au mécanisme de la solidarité passive, permettant aux créanciers d’exiger le paiement intégral de la dette auprès de l’un quelconque d’entre eux.

Ces dépenses, indispensables à la préservation et à la valorisation des biens indivis, pèsent sur l’ensemble des indivisaires, proportionnellement à leurs droits dans l’indivision. Toutefois, leur prise en charge peut susciter des difficultés pratiques, notamment en cas de défaillance d’un ou plusieurs indivisaires. Pour garantir le règlement des sommes dues, les créanciers bénéficient d’un régime de solidarité passive, qui leur permet de poursuivre l’un quelconque des indivisaires pour le paiement intégral de la dette.

Cette règle, avantageuse pour les créanciers, peut toutefois engendrer des tensions au sein de l’indivision. En effet, les indivisaires solvables peuvent être contraints de supporter les impayés des indivisaires défaillants, créant ainsi un déséquilibre financier. Afin de rétablir l’équité, ceux qui ont payé au-delà de leur quote-part peuvent exercer un recours contre les indivisaires défaillants, en demandant l’imputation des sommes avancées lors de la liquidation finale.

Pour les charges de copropriété, la solidarité passive a été instituée par la jurisprudence. Dans un arrêt du 9 février 1970, la Cour de cassation a rappelé que le syndic de copropriété peut poursuivre l’ensemble des indivisaires pour le paiement des charges impayées, et ce, indépendamment de leur participation réelle aux décisions prises en assemblée générale (Cass. 3e civ. 9 févr. 1970, n° 68-13.306).

Ce principe permet au créancier d’exiger le paiement intégral de la créance auprès de l’un quelconque des co-indivisaires, lequel devra ensuite se retourner contre les débiteurs défaillants pour obtenir le remboursement des sommes avancées.

Exemple pratique :

Un appartement indivis, situé dans une copropriété, fait l’objet de travaux de rénovation votés en assemblée générale. Si certains indivisaires refusent de régler leur part des appels de fonds, le syndic peut assigner l’indivision dans son ensemble et demander la saisie des biens indivis pour garantir le recouvrement des sommes dues. L’indivisaire poursuivi pourra ensuite, au moment du partage, demander que les sommes qu’il a avancées soient imputées sur la part des indivisaires défaillants.

Ce mécanisme, bien que protecteur pour les créanciers, peut s’avérer particulièrement contraignant pour les indivisaires qui se retrouvent tenus de payer des dettes dépassant leur propre quote-part. Cette situation peut notamment se produire dans les cas suivants :

  • Frais d’entretien courant : un indivisaire avance les frais de réparation d’urgence d’un bien indivis, comme le remplacement d’une toiture endommagée. À défaut de participation des autres indivisaires, il peut se voir contraint d’assumer seul la dépense.
  • Charges de copropriété : les charges liées à l’entretien des parties communes ou aux travaux votés en assemblée générale doivent être réglées, même si certains indivisaires refusent de contribuer. En cas de défaillance, le syndic peut engager des poursuites contre l’ensemble des indivisaires.
  • Primes d’assurance : les biens indivis doivent être couverts par une assurance adéquate. Si l’un des indivisaires refuse de participer au règlement des primes d’assurance, les autres indivisaires devront pallier son défaut de paiement pour éviter de mettre en péril la couverture assurantielle.

Exemple pratique :

Si un immeuble indivis est détruit par un incendie, les indivisaires pourront prétendre à une indemnisation de la part de l’assureur, sous réserve que les primes aient été intégralement réglées. À défaut de paiement des primes, l’ensemble des indivisaires subira une perte définitive, sans possibilité de compensation. Celui qui aurait assumé seul le paiement des primes pourra demander à ce que les sommes avancées soient imputées sur les parts des autres indivisaires.

Pour éviter les déséquilibres financiers et les litiges liés à la solidarité passive, il est primordial de tenir un compte d’indivision précis, récapitulant les contributions de chaque indivisaire. Ce compte permettra de régulariser les avances de fonds et les impayés au moment de la liquidation, en imputant les créances sur les parts des indivisaires défaillants.

La Cour de cassation a rappelé, dans plusieurs décisions, que les comptes entre indivisaires doivent être établis avec une rigueur particulière, afin d’éviter que les charges pesant sur l’indivision ne soient supportées de manière disproportionnée par certains indivisaires (Cass. 1re civ., 20 févr. 2001, n° 98-13.006).

B) Les créances entre indivisaires

Outre les dettes externes contractées envers des créanciers tiers, l’indivision génère des dettes internes, résultant des relations financières entre les indivisaires eux-mêmes. Ces dettes trouvent leur origine dans les dépenses engagées par certains indivisaires pour la gestion ou la préservation du patrimoine indivis, ainsi que dans la jouissance privative de certains biens indivis par un ou plusieurs d’entre eux.

L’établissement de ces comptes internes, souvent confié au notaire lors des opérations de liquidation, vise à assurer une répartition équitable des charges et des bénéfices au sein de l’indivision.

==>Les avances de fonds pour la gestion et la conservation des biens indivis

Lorsqu’un indivisaire engage des dépenses nécessaires à la gestion, à la conservation ou à l’amélioration des biens indivis — telles que des travaux de réparation, le paiement des primes d’assurance, ou encore le règlement des charges de copropriété —, il est en droit de demander le remboursement de ces sommes par la masse indivise.

Ces avances de fonds constituent des créances inscrites à l’actif de l’indivisaire au moment de la reddition des comptes. Toutefois, pour être indemnisé, l’indivisaire devra démontrer que les dépenses engagées étaient nécessaires à la préservation du bien indivis.

Exemple pratique :

Si un indivisaire finance la réfection de la toiture d’un immeuble indivis pour éviter une dégradation du bien, il pourra demander à ce que les frais engagés soient inscrits comme créance à son bénéfice lors du partage.

Dans ce cas, les autres indivisaires devront contribuer au remboursement de cette créance, proportionnellement à leurs droits dans l’indivision.

==>Les indemnités d’occupation pour jouissance privative

Selon les termes de l’article 815-9 du Code civil, tout indivisaire qui occupe privativement un bien indivis doit une indemnité d’occupation à la masse indivise, dès lors que cette occupation empêche les autres indivisaires d’exercer leur droit à la jouissance commune.

Cette indemnité est destinée à compenser l’exclusion des autres indivisaires et est calculée sur la base de la valeur locative du bien. Elle constitue une dette inscrite au passif de l’indivisaire occupant lors de la liquidation.

Exemple pratique :

Si un indivisaire utilise seul un appartement indivis comme résidence principale, sans verser de compensation aux autres co-indivisaires, il sera tenu de régler une indemnité d’occupation au profit de la masse. Cette somme viendra réduire sa part dans le produit de la liquidation.

La jurisprudence a reconnu à plusieurs reprises le caractère automatique de cette indemnité d’occupation, dès lors que l’occupation privative est exercée sans accord des autres indivisaires (par ex. CA Lyon, 23 nov. 2017, n° 15/04545).

==>Les créances de gestion : rémunération d’un indivisaire désigné gérant

Lorsqu’un indivisaire est mandaté pour administrer les biens indivis, il peut prétendre à une rémunération pour sa gestion. Cette gestion peut inclure des missions telles que :

  • La perception des loyers issus des biens indivis mis en location ;
  • La supervision des travaux ou des démarches administratives ;
  • Le paiement des charges courantes (impôts, assurances, etc.).

Si cette rémunération n’a pas été réglée au cours de l’indivision, elle constitue une créance inscrite à l’actif de l’indivisaire gérant lors du partage.

Exemple pratique :

Un indivisaire est chargé de gérer un immeuble locatif indivis, percevant les loyers et assurant le paiement des charges de copropriété. S’il n’a pas été rémunéré pour cette gestion, il pourra réclamer une indemnisation lors de la liquidation des comptes, correspondant aux services rendus.

II) Le règlement des dettes et charges pesant sur l’indivision

A) Le règlement des dettes au moyen des liquidités disponibles dans l’indivision

Avant d’envisager la vente des biens indivis, les indivisaires peuvent décider d’affecter les liquidités disponibles — qu’il s’agisse des revenus générés par les biens indivis ou des sommes déjà présentes dans la masse — au paiement des dettes et charges.

Cette solution est généralement privilégiée, car elle permet de préserver l’intégrité du patrimoine indivis tout en désintéressant les créanciers.

1. Les règles de majorité applicables pour affecter les liquidités au paiement des dettes

L’article 815-3 du Code civil permet aux indivisaires représentant au moins deux tiers des droits indivis de prendre certaines décisions de gestion, notamment celle d’affecter les liquidités disponibles au règlement des dettes pesant sur l’indivision.

Les liquidités peuvent provenir de différentes sources :

  • Les loyers perçus sur les biens indivis loués ;
  • Les dividendes versés par une société dans laquelle l’indivision détient des parts sociales ;
  • Les sommes disponibles sur un compte bancaire détenu au nom de l’indivision ;
  • Les avances de fonds réalisées par un ou plusieurs indivisaires.

Exemple pratique :

Si un immeuble indivis est loué et génère des loyers, ou si l’indivision dispose d’un compte bancaire créditeur, les indivisaires majoritaires peuvent décider d’utiliser ces ressources pour payer la taxe foncière, régler les charges de copropriété, ou rembourser un emprunt contracté pour la rénovation du bien.

Cette décision, bien qu’importante, n’exige pas l’unanimité des indivisaires. Toutefois, elle suppose que les indivisaires minoritaires soient préalablement informés de la décision et que cette dernière soit prise dans l’intérêt commun de l’indivision.

Certaines décisions impliquant le paiement de dettes par le biais des liquidités disponibles nécessitent cependant l’accord unanime des indivisaires, notamment lorsqu’il s’agit de dettes contractées conjointement par tous les indivisaires ou de dettes dont le montant dépasse les ressources courantes de l’indivision.

Distinction importante :

  • Les décisions d’administration courante, comme le paiement des charges récurrentes (taxe foncière, primes d’assurance), peuvent être prises à la majorité des deux tiers.
  • Les décisions plus engageantes, telles que le remboursement anticipé d’un emprunt ou la souscription d’un nouvel emprunt, requièrent l’unanimité.

Cette distinction vise à préserver l’équilibre entre les droits des indivisaires minoritaires et la nécessité de gérer efficacement le patrimoine commun.

2. La gestion des dettes par le gérant de l’indivision

Lorsque les indivisaires désignent un gérant pour administrer les biens indivis, ce dernier est habilité à gérer les ressources financières disponibles dans l’indivision et à les affecter au règlement des dettes. Cette gestion doit toutefois respecter les règles de majorité prévues par l’article 815-3 du Code civil.

Le gérant peut ainsi, sans obtenir l’accord unanime des indivisaires :

  • Utiliser les loyers perçus pour payer les taxes et charges liées aux biens indivis ;
  • Affecter les liquidités présentes sur un compte bancaire indivis au règlement des dettes.

Exemple pratique :

Dans le cadre d’une indivision successorale portant sur un immeuble locatif, le gérant désigné peut décider d’affecter les loyers perçus au paiement des charges de copropriété et des travaux d’entretien, sans avoir besoin de l’accord unanime des indivisaires.

Cependant, en cas de désaccord entre les indivisaires sur l’affectation des ressources disponibles ou si le gérant prend des décisions jugées contraires aux intérêts de certains indivisaires, ces derniers peuvent contester la gestion du gérant devant le tribunal judiciaire.

B) Le règlement des dettes au moyen du produit de l’aliénation de biens indivis

Lorsque les liquidités disponibles au sein de l’indivision sont insuffisantes pour apurer le passif, il peut être nécessaire de procéder à la vente de certains biens indivis afin de générer les ressources financières nécessaires au règlement des créanciers.

Cette vente peut être décidée à l’initiative des indivisaires ou imposée par les créanciers, qui disposent d’un droit de gage sur les biens indivis.

1. La vente de meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision

Le règlement des dettes et charges pesant sur l’indivision constitue l’un des principaux motifs justifiant la vente de biens indivis. Deux mécanismes permettent d’y procéder : la vente à l’initiative des indivisaires, décidée à la majorité qualifiée, et la vente à l’instigation des créanciers de l’indivision. Ces dispositifs, bien que distincts dans leur mise en œuvre, visent à surmonter les blocages susceptibles d’entraver le paiement des créances, tout en encadrant les droits des indivisaires et des créanciers.

a. La vente décidée par les indivisaires à la majorité qualifiée

Sous l’empire du droit ancien, l’article 826 du Code civil autorisait la majorité des cohéritiers à décider de la vente publique des meubles, dès lors que celle-ci était jugée nécessaire pour apurer les dettes et charges de la succession. Cette dérogation au principe d’unanimité visait à prévenir les situations de blocage susceptibles d’empêcher le règlement du passif. Elle permettait ainsi d’éviter qu’un indivisaire minoritaire ne fasse obstacle au bon déroulement des opérations successorales, au risque de compromettre la liquidation du patrimoine commun.

Toutefois, cette disposition spécifique n’a pas été réintroduite dans le cadre de la réforme de l’indivision opérée par la loi du 23 juin 2006. À sa place, le législateur a préféré instaurer un dispositif plus souple mais également plus exigeant. Désormais, l’article 815-3, alinéa 1er, 3°, du Code civil confère aux indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis la faculté de procéder à la vente des meubles indivis en vue de régler les dettes et charges pesant sur l’indivision.

Ce dispositif rompt avec le droit antérieur en substituant au décompte par tête un calcul fondé sur les droits indivis détenus. Il vise ainsi à faciliter les ventes de biens meubles indispensables au règlement des dettes et charges, tout en prévenant les abus susceptibles de léser les indivisaires minoritaires.

==>Domaine

La règle énoncée à l’article 815-3, alinéa 1er, 3° vise la seule vente de meubles indivis, qu’ils soient corporels (mobilier, équipements, œuvres d’art) ou incorporels (parts sociales, créances).

Cette restriction reflète la volonté du législateur de réserver la majorité qualifiée à des biens facilement aliénables, tout en laissant aux indivisaires la possibilité de contester la pertinence de telles ventes si elles ne respectent pas les critères fixés par la loi.

Ainsi, tout bien meuble indivis peut être vendu dès lors que la finalité de la cession est de régler les dettes ou charges de l’indivision.

Par exemple, des parts sociales représentant une société civile immobilière ou des œuvres d’art indivises pourraient être cédées si les indivisaires majoritaires justifient que cette vente est nécessaire pour couvrir les frais afférents à l’indivision.

==>Conditions

La vente de meubles indivis ne peut être envisagée que pour des raisons spécifiques et impérieuses : le paiement des dettes et charges de l’indivision.

Ces charges comprennent notamment :

  • Les frais d’entretien ou de réparation nécessaires à la préservation du patrimoine indivis, comme des travaux de rénovation ou d’aménagement?;
  • Les taxes et impôts liés au bien indivis, tels que la taxe foncière ou les taxes locales?;
  • Les dépenses courantes liées à l’exploitation du bien, telles que les frais de gestion locative ou les coûts d’assurance.

En revanche, toute vente motivée par des considérations étrangères à ces impératifs, comme la volonté de se débarrasser d’un meuble jugé encombrant ou inutile, excède le cadre légal.

De telles opérations nécessiteraient alors soit l’unanimité des indivisaires, soit le recours à des mesures conservatoires ou à une autorisation judiciaire prévue par l’article 815-5-1 du Code civil.

==>La majorité qualifiée

Pour qu’une vente soit réalisée, les indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis doivent se prononcer en faveur de la cession.

Cette majorité, calculée en fonction des parts indivises et non du nombre d’indivisaires, permet d’assurer une certaine flexibilité tout en évitant qu’un indivisaire minoritaire puisse s’opposer de manière systématique à une opération indispensable.

Cependant, les indivisaires minoritaires conservent un droit de contrôle sur ces décisions.

Ils peuvent contester la vente si celle-ci excède le cadre de l’exploitation normale des biens indivis ou si elle ne respecte pas les critères légaux, notamment en termes de nécessité et de proportionnalité.

==>Procédure

La vente de meubles indivis en application de l’article 815-3 ne nécessite pas, en principe, l’intervention du juge.

Elle peut être réalisée à l’amiable, à condition que les indivisaires majoritaires respectent les obligations procédurales, notamment :

  • L’information préalable des indivisaires minoritaires?: selon l’article 815-3, alinéa 2, les indivisaires majoritaires sont tenus d’informer les autres indivisaires de la décision de vendre. Cette obligation garantit la transparence et permet aux indivisaires non consultés de contester l’opportunité de la vente si nécessaire.
  • Le respect du critère de proportionnalité : la vente ne doit porter que sur le montant strictement nécessaire au règlement des dettes et charges identifiées. Toute aliénation excédant ce besoin immédiat pourrait être remise en cause par les indivisaires minoritaires.

En permettant la vente de meubles indivis à la majorité qualifiée des deux tiers, l’article 815-3, alinéa 1er, 3° du Code civil introduit une souplesse bienvenue dans la gestion de l’indivision, tout en préservant les droits des indivisaires minoritaires grâce à des garanties procédurales et juridiques. Ce mécanisme, bien qu’exceptionnel, illustre une volonté de concilier efficacité et sécurité juridique dans un domaine marqué par des risques fréquents de blocage.

Cependant, cette faculté doit être exercée avec prudence. Une application abusive ou détournée de cette règle pourrait compromettre l’équilibre fragile entre les droits des indivisaires et la nécessité de gérer l’indivision de manière pragmatique et équitable.

b. La vente à l’initiative des créanciers de l’indivision

L’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil confère aux créanciers de l’indivision un droit de saisie et de vente des biens indivis, qu’ils soient meubles ou immeubles, indépendamment des opérations de partage. Cette prérogative, distincte du droit de prélèvement sur l’actif indivis, leur permet de se faire payer sur le produit de la vente des biens indivis, garantissant ainsi l’effectivité de leurs créances, malgré l’absence de partage.

Sous l’empire du droit ancien, l’article 826 du Code civil, complété par l’article 945 de l’ancien Code de procédure civile, prévoyait la vente publique des meubles successoraux à l’initiative des créanciers saisissants ou d’opposants, ou lorsque la majorité des cohéritiers jugeait la vente nécessaire pour acquitter le passif. La procédure suivait alors les règles des saisies-exécutions fixées par la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 et le décret n° 92-755 du 31 juillet 1992, offrant ainsi aux créanciers une voie d’exécution sûre et encadrée.

Bien que ces dispositions aient été abrogées par la réforme de 2006, la possibilité pour les créanciers de provoquer la vente des biens indivis demeure. La jurisprudence a clairement confirmé ce droit. La Cour de cassation, notamment dans des arrêts rendus avant et après la réforme, a rappelé que les créanciers peuvent poursuivre la saisie des biens indivis tant que ceux-ci n’ont pas été attribués à un indivisaire dans le cadre d’un partage définitif (Cass. 1re civ., 15 juill. 1999, n° 97-14.361).

Ce droit de saisie des biens indivis constitue ainsi une garantie fondamentale pour les créanciers, en leur permettant d’échapper aux éventuels blocages liés au régime de l’indivision. Il leur offre une faculté d’exécution directe, qui se maintient tant que les biens concernés demeurent dans le périmètre indivis.

==>La prérogative de saisie des biens indivis

Les créanciers de l’indivision, contrairement aux créanciers personnels des indivisaires, bénéficient d’un droit spécifique leur permettant de poursuivre la saisie et la vente judiciaire des biens indivis.

Ces biens incluent non seulement ceux présents au moment de la formation de l’indivision, mais également ceux qui y sont intégrés ultérieurement par subrogation réelle, tels que les fruits et revenus produits par les biens indivis.

Toutefois, la sécurité des créanciers peut être affectée dans certaines situations. Par exemple, un immeuble acquis par un indivisaire en son nom propre avec des fonds indivis pourrait échapper au gage des créanciers de l’indivision, ceux-ci ne pouvant s’opposer aux droits du créancier personnel de cet indivisaire. Cette difficulté souligne l’importance de définir précisément l’assiette des biens indivis soumis au droit de saisie.

==>Modalités de la saisie et de la vente

La saisie des biens indivis doit être dirigée contre chaque indivisaire individuellement en raison de l’absence de personnalité juridique de l’indivision.

Les créanciers ne peuvent donc engager d’action contre « l’indivision » en tant qu’entité autonome.

La saisie peut viser des biens meubles ou immeubles, ainsi que des créances indivises. La vente s’effectue généralement par voie de licitation, sauf accord contraire entre les parties (Cass. 1re civ., 29 nov. 1994, n° 93-11.317).

==>La portée et les limites du droit de saisie

Le droit de saisie des créanciers de l’indivision s’applique jusqu’au moment du partage définitif.

Une fois les biens indivis aliénés ou attribués à des indivisaires dans le cadre d’un partage, ils cessent de faire partie du gage des créanciers de l’indivision et deviennent soumis aux droits des créanciers personnels des indivisaires concernés.

Toutefois, l’effet déclaratif du partage n’altère pas les droits acquis par les créanciers de l’indivision avant le partage. Ces derniers conservent leur capacité à poursuivre la réalisation des biens indivis tant que ces biens font partie de la masse indivise.

Il convient également de noter que ce droit de saisie ne confère pas au créancier un droit exclusif sur les biens indivis. Les créanciers doivent partager leur gage avec les autres créanciers de l’indivision et se conformer aux priorités fixées par la loi, notamment lorsque plusieurs créanciers revendiquent des droits concurrents sur le même bien.

==>Extinction du droit de saisie et de vente des biens indivis

Le droit de saisie des créanciers trouve ses limites dans deux circonstances principales : le partage définitif et l’aliénation des biens indivis.

  • Le partage définitif
    • Principe
      • Le partage constitue l’acte par lequel l’indivision prend fin et les biens indivis sont attribués en pleine propriété à chacun des indivisaires, selon leurs droits respectifs.
      • Dès lors qu’un partage définitif intervient, les biens sortent du régime de l’indivision et, par conséquent, des mécanismes spécifiques prévus par l’article 815-17 du Code civil, qui confèrent aux créanciers la possibilité de saisir les biens indivis.
      • Il en résulte que, une fois le partage réalisé, les biens indivis cessent de constituer le gage commun des créanciers de l’indivision.
      • Les créanciers ne peuvent plus exercer leurs droits sur l’ensemble des biens indivis, mais uniquement sur ceux attribués à l’indivisaire débiteur.
      • Par ailleurs, en vertu de l’article 883 du Code civil, le partage est censé rétroagir à la date d’ouverture de l’indivision.
      • Cela signifie que chaque indivisaire est réputé avoir toujours été propriétaire exclusif des biens qui lui sont attribués, ce qui peut compliquer la position des créanciers pour les actions intentées avant le partage.
    • Exception
      • Un partage provisionnel, qui organise simplement la jouissance des biens sans en modifier la propriété, ne constitue pas une véritable dissolution de l’indivision.
      • Dans ce cas, les créanciers conservent leur droit de saisie sur les biens indivis.
      • Par exemple, une convention attribuant temporairement la jouissance d’un immeuble indivis à l’un des indivisaires n’empêche pas les créanciers de poursuivre la saisie de ce bien.
  • L’aliénation des biens indivis
    • Lorsqu’un bien indivis est vendu ou transféré à un tiers, il sort du patrimoine indivis et, par conséquent, du gage commun des créanciers de l’indivision.
    • Les créanciers ne peuvent alors plus exercer leur droit de poursuite sur ce bien, sauf exceptions prévues par le droit commun.
    • La Cour de cassation a confirmé ce principe dans un arrêt du 15 mai 2002 aux termes duquel elle a jugé que les biens indivis transférés à des tiers ne peuvent plus être saisis par les créanciers de l’indivision (Cass. 1ère civ., 15 mai 2002, n°00-18.798).
    • Ces derniers doivent alors engager leurs poursuites contre les nouveaux propriétaires du bien ou contre le débiteur initial, mais sans bénéficier des mécanismes propres à l’indivision.
    • La conséquence pour les créanciers est alors double
      • Premier effet
        • Une fois le bien vendu, les créanciers doivent se tourner vers le produit de la vente si celui-ci est resté dans le patrimoine indivis, ou exercer leurs droits sur d’autres biens de l’indivision ou sur le patrimoine propre de l’indivisaire débiteur.
      • Second effet
        • Contrairement à certaines hypothèses en droit des sûretés, les créanciers ne disposent pas de mécanismes spécifiques pour revendiquer un bien indivis aliéné à un tiers, sauf si l’aliénation a été réalisée en fraude de leurs droits, auquel cas une action paulienne peut être envisagée (article 1341-2 du Code civil).

==>Cas particuliers

  • Le cas particulier des créanciers hypothécaires
    • Les créanciers hypothécaires jouissent d’un régime particulier lorsqu’ils ont consenti leur hypothèque sur des biens indivis.
    • L’hypothèque, quelle que soit sa nature (conventionnelle, judiciaire ou légale), échappe à l’effet déclaratif du partage.
    • Elle conserve ainsi sa pleine efficacité, même après l’attribution du bien grevé à un indivisaire spécifique ou sa licitation au profit d’un tiers.
    • Cela garantit au créancier hypothécaire une sécurité renforcée, bien que sa situation puisse différer de celle des créanciers de l’indivision selon les modalités de l’hypothèque.
  • Le cas particulier de l’attribution éliminatoire
    • L’attribution éliminatoire, qui permet à un indivisaire de prélever un bien précis en contrepartie d’une indemnité destinée à couvrir les droits des autres indivisaires, n’a pas pour effet de limiter le gage des créanciers sur les biens restant dans l’indivision.
    • La doctrine et la jurisprudence s’accordent à considérer que cette attribution n’affecte pas les droits des créanciers de l’indivision.
    • Aussi, les biens restant dans l’indivision continuent de constituer un gage pour les créanciers, préservant ainsi leurs droits sur l’ensemble des actifs indivis subsistants.

2. La vente des biens indivis par voie d’autorisation judiciaire

Historiquement, la possibilité de vendre des biens indivis sans l’accord unanime des copartageants était étroitement limitée. Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 826 du Code civil n’envisageait que deux hypothèses de vente forcée, strictement encadrées et exclusivement liées au règlement du passif successoral. En dehors de ces cas spécifiques, toute aliénation de biens indivis nécessitait le consentement unanime des indivisaires. Ce principe rigoureux, ancré dans l’idéal de l’égalité en nature dans le partage, empêchait même le juge d’imposer une vente, quelle que soit l’opportunité économique qu’elle pouvait représenter.

Cependant, la jurisprudence a progressivement assoupli cette exigence d’unanimité, notamment pour les biens meubles sujets à dépérissement. Dès 1871, la Cour d’appel de Rouen avait ainsi jugé que la vente de tels biens pouvait être ordonnée à la demande d’un ou plusieurs indivisaires, malgré l’opposition des autres (CA Rouen, 16 mars 1871). Cette solution, dictée par des considérations pratiques et économiques, visait à éviter une perte irrémédiable de valeur ou des charges de conservation disproportionnées qui auraient compromis l’intérêt commun.

Cette jurisprudence a trouvé une consécration législative dans la réforme de 2006, qui a introduit la notion d’acte conservatoire. Désormais, l’article 784, 2° du Code civil autorise les indivisaires à prendre toute mesure nécessaire à la préservation du patrimoine indivis, incluant la vente de biens périssables ou dont le coût de conservation serait déraisonnable. Comme le souligne Jean Patarin, « la qualification d’acte conservatoire légitime une vente rapide pour éviter la perte de valeur du bien ou les coûts inutiles de conservation ».

Cette faculté de solliciter l’adoption de mesures conservatoires a, par suite, été complétée par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, qui a introduit l’article 815-5-1 du Code civil. Contrairement aux mesures conservatoires, cette disposition confère aux indivisaires réunissant au moins deux tiers des droits indivis la faculté de solliciter une autorisation judiciaire pour aliéner un bien indivis, qu’il soit meuble ou immeuble. Cette demande peut être formulée lorsque le bien ne peut être commodément partagé ou lorsque sa conservation génère des charges disproportionnées. Ce mécanisme constitue une avancée majeure par rapport à l’article 815-5, car il n’exige pas de démontrer un péril imminent menaçant l’intérêt commun.

L’intervention judiciaire prévue par l’article 815-5-1 tend ainsi à donner effet à la volonté des indivisaires majoritaires, tout en encadrant cette prérogative par un contrôle juridictionnel rigoureux. L’objectif affiché est de surmonter les situations de blocage en adaptant la gestion de l’indivision aux contraintes économiques. La doctrine considère d’ailleurs que cette disposition marque une rupture avec le droit antérieur, en favorisant une gestion plus pragmatique de l’indivision.

a. Les conditions d’application

==>Conditions négatives

L’autorisation judiciaire prévue à l’article 815-5-1 du Code civil est strictement encadrée par deux conditions négatives, qui visent à protéger des situations spécifiques où les droits ou intérêts de certains indivisaires pourraient être compromis.

Ces restrictions traduisent une volonté d’équilibre entre l’efficacité de la gestion des biens indivis et la sauvegarde des droits des parties les plus vulnérables.

  • L’exclusion en cas de démembrement de propriété
    • Le texte exclut toute application de l’article 815-5-1 lorsqu’un bien indivis est grevé d’un démembrement de propriété, tel que l’usufruit ou la nue-propriété.
    • Cette interdiction repose sur une préoccupation fondamentale : préserver les droits de l’usufruitier, dont la jouissance effective du bien pourrait être mise en péril par une vente imposée.
    • En effet, dans le cadre d’un démembrement, la propriété se scinde en droits distincts et complémentaires — l’usufruit et la nue-propriété —, dont les titulaires ne partagent pas les mêmes intérêts ni obligations.
    • L’aliénation forcée de la pleine propriété, bien qu’initiée par les nus-propriétaires majoritaires, risquerait d’emporter des conséquences disproportionnées pour l’usufruitier.
    • Celui-ci, souvent désigné en raison de sa situation personnelle (par exemple, un conjoint survivant jouissant du logement familial), se verrait contraint de renoncer à un droit essentiel, sa jouissance, sans possibilité de s’y opposer pleinement.
    • Ainsi, cette restriction constitue un garde-fou pour éviter que les équilibres inhérents au démembrement ne soient rompus au détriment des parties les plus exposées.
  • L’exclusion en présence d’un indivisaire protégé ou éloigné
    • La seconde limitation, tout aussi significative, interdit le recours à l’article 815-5-1 lorsque l’un des indivisaires se trouve dans l’une des situations énoncées à l’article 836 du Code civil :
      • Présomption d’absence,
      • Impossibilité de manifester sa volonté en raison d’un éloignement,
      • Placement sous un régime de protection juridique.
    • Cette disposition vise à garantir que les indivisaires les plus vulnérables, incapables d’exprimer leur consentement ou de défendre leurs intérêts, ne soient pas lésés par une décision prise en leur absence.
    • Le législateur a ainsi voulu prévenir le risque d’abus ou d’iniquité, notamment dans des contextes où les autres indivisaires pourraient exploiter une telle situation pour imposer une aliénation.
    • Cependant, cette condition négative, si elle protège les droits des indivisaires concernés, peut également engendrer des blocages prolongés.
    • Par exemple, la vente d’un bien indivis pourrait être retardée pendant plusieurs années en cas de présomption d’absence, au détriment de l’intérêt collectif.
    • De même, un indivisaire sous protection juridique pourrait, malgré la présence d’un curateur ou d’un tuteur, faire obstacle à une aliénation pourtant bénéfique à tous.

==>Conditions positives

Pour que l’autorisation judiciaire prévue à l’article 815-5-1 du Code civil puisse être délivrée, deux conditions positives doivent être simultanément réunies. Ces critères, à la fois pragmatiques et protecteurs, visent à concilier la volonté des indivisaires majoritaires avec le respect des droits des minoritaires.

  • Majorité des deux tiers des droits indivis : la prééminence de la majorité économique
    • La première condition impose que la demande d’autorisation émane d’un ou plusieurs indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis.
    • Ce seuil, établi sur la proportion des droits et non sur le nombre d’indivisaires, consacre la prédominance de la majorité économique.
    • Ainsi, un indivisaire unique possédant plus des deux tiers des droits peut, à lui seul, initier la procédure, même si les autres indivisaires sont numériquement supérieurs.
    • Cette règle, inspirée des mécanismes propres aux entités dotées de personnalité morale, introduit une forme de gouvernance majoritaire dans le cadre de l’indivision.
    • Elle vise à limiter les blocages, en permettant aux indivisaires majoritaires de surmonter l’opposition d’une minorité.
    • Toutefois, cette prééminence de la majorité économique interroge sur son adéquation avec les principes fondamentaux du droit de propriété.
    • En effet, l’article 815-5-1 confère aux indivisaires majoritaires le pouvoir d’imposer une aliénation, potentiellement contraire à la volonté des minoritaires, ce qui peut apparaître comme une forme d’expropriation privée.
    • Si cette disposition a été jugée conforme aux exigences constitutionnelles, elle n’en demeure pas moins sujette à débat, notamment en ce qu’elle remet en question l’unanimité comme garantie traditionnelle des droits de chacun.
  • Absence d’atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires : une protection nuancée
    • La seconde condition impose que l’aliénation envisagée ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires.
    • Ce critère, d’apparence simple, recèle une complexité d’interprétation qui en limite la portée pratique.
      • Une approche subjective : le préjudice moral ou affectif
        • Une lecture subjective de l’atteinte excessive pourrait conduire le juge à examiner l’impact moral ou affectif de l’aliénation sur les indivisaires minoritaires.
        • Cette approche pourrait, par exemple, tenir compte de l’attachement personnel à un bien familial ou des conséquences psychologiques d’une vente forcée.
        • Toutefois, une telle interprétation risque de priver d’effectivité le mécanisme de l’article 815-5-1, dans la mesure où toute opposition des minoritaires repose, par hypothèse, sur des raisons personnelles.
      • Une approche objective : le respect des garanties procédurales
        • À l’inverse, une lecture objective de la notion d’atteinte excessive pourrait limiter l’examen du juge aux seules garanties procédurales, telles que la régularité de la procédure ou l’équité dans la répartition des fruits de la vente.
        • Si cette approche permet de préserver l’efficacité du dispositif, elle réduit toutefois considérablement la protection offerte aux indivisaires minoritaires, en négligeant les dimensions émotionnelles et sociales de leur opposition.
    • En définitive, le juge doit trouver un équilibre délicat entre ces deux approches, afin de garantir une application à la fois efficace et équitable de l’article 815-5-1.
    • Ce critère, bien que fondamental pour préserver les droits des minoritaires, reflète les tensions inhérentes à toute tentative de concilier les intérêts divergents au sein d’une indivision.

b. La procédure d’autorisation

L’article 815-5-1 du Code civil, issu de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, instaure une procédure dérogatoire à la règle de l’unanimité en matière d’indivision.

Ce texte permet à un ou plusieurs indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis de demander l’autorisation judiciaire de vendre un bien indivis, même en cas d’opposition des indivisaires minoritaires.

Cette procédure se déploie en deux phases distinctes, chacune encadrée par des règles spécifiques.

==>La phase devant notaire

La procédure débute obligatoirement devant notaire, dont le rôle est central dans la mise en œuvre du mécanisme d’aliénation.

  • Déclaration d’intention d’aliéner par les indivisaires majoritaires
    • Selon l’alinéa 2 de l’article 815-5-1, les indivisaires majoritaires doivent exprimer devant notaire leur intention de procéder à l’aliénation du bien indivis.
    • Cette déclaration, formalisée dans un acte notarié, constitue le point de départ de la procédure et marque la volonté des majoritaires de passer outre l’opposition des minoritaires.
  • Notification aux indivisaires minoritaires
    • L’alinéa 3 de l’article 815-5-1 impose au notaire de notifier cette déclaration aux indivisaires minoritaires dans un délai d’un mois.
    • La notification, effectuée par ministère d’huissier, informe les minoritaires de l’intention d’aliéner et leur ouvre un délai pour réagir.
  • Réponse des indivisaires minoritaires
    • À compter de la notification, les indivisaires minoritaires disposent d’un délai de trois mois pour manifester leur opposition ou donner leur consentement à l’aliénation, conformément à l’alinéa 4 de l’article 815-5-1. Le silence des minoritaires vaut opposition implicite, renforçant ainsi leur droit de ne pas se prononcer activement.
  • Procès-verbal de difficultés
    • Si une opposition est exprimée ou si les indivisaires minoritaires demeurent silencieux, le notaire dresse un procès-verbal de difficultés.
    • Ce document consigne les désaccords ou l’absence de réponse, formalisant ainsi l’échec de la phase notariale.
    • Ce procès-verbal est indispensable pour initier la phase judiciaire.

==>La phase devant le juge

Lorsque l’opposition persiste, la procédure se poursuit devant le tribunal judiciaire, conformément à l’alinéa 5 de l’article 815-5-1.

  • Saisine du tribunal
    • Les indivisaires majoritaires, disposant du procès-verbal de difficultés, saisissent le tribunal judiciaire pour obtenir une autorisation d’aliéner le bien indivis.
    • Cette saisine déclenche l’examen juridictionnel des conditions posées par la loi.
  • Examen des conditions par le juge
    • Aux termes de l’alinéa 5 de l’article 815-5-1, le tribunal doit s’assurer que :
      • Les demandeurs détiennent au moins deux tiers des droits indivis.
      • L’aliénation ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires.
    • Le tribunal peut également tenir compte des circonstances particulières de l’affaire, telles que les motifs d’opposition des minoritaires ou l’intérêt collectif à l’aliénation.
  • Autorisation et licitation
    • Si les conditions légales sont remplies, le tribunal autorise la vente, qui doit s’effectuer par voie de licitation, conformément à l’alinéa 6 de l’article 815-5-1.
    • Ce mode de vente garantit la transparence et l’égalité de traitement entre les indivisaires, en attribuant le bien au plus offrant lors d’une vente aux enchères.
  • Opposabilité de la décision
    • Une fois l’autorisation délivrée, l’aliénation devient opposable à tous les indivisaires, y compris à ceux ayant exprimé leur opposition.
    • L’alinéa 7 de l’article 815-5-1 précise que cette opposabilité s’étend également aux indivisaires qui n’auraient pas été formellement notifiés, sous réserve du respect des conditions procédurales.

c. Les effets de l’autorisation judiciaire

==>À l’égard des indivisaires

L’autorisation délivrée par le tribunal s’impose à tous les indivisaires, qu’ils aient donné leur consentement ou exprimé leur opposition à la vente. En vertu de l’alinéa 7 de l’article 815-5-1, cette décision rend l’aliénation opposable à chacun d’eux, ce qui signifie que le transfert de propriété s’opère comme si tous avaient consenti à l’acte.

Cependant, cette opposabilité ne crée pas d’obligation personnelle pour les indivisaires minoritaires.

En d’autres termes, ces derniers ne sont pas considérés comme parties à l’acte de vente et ne peuvent être tenus responsables, par exemple, des garanties attachées à la chose vendue (telle que la garantie des vices cachés).

Ils demeurent juridiquement tiers à l’acte, même s’ils doivent en supporter les conséquences pratiques, notamment la perte de leurs droits sur le bien vendu.

==>À l’égard des tiers

Pour les tiers acquéreurs, l’autorisation judiciaire constitue une garantie essentielle de sécurité juridique.

Elle certifie que la vente est opposable à tous les indivisaires, qu’ils aient consenti ou non à l’aliénation. Cette opposabilité protège les tiers contre toute contestation ultérieure pouvant émaner des indivisaires minoritaires.

En pratique, cela signifie que le tiers acquéreur peut être certain de la validité de son titre de propriété et de l’impossibilité pour les indivisaires minoritaires de remettre en cause la vente.

Cette sécurité renforce l’attractivité économique du bien, en favorisant des ventes rapides et à des conditions avantageuses, tout en évitant les litiges postérieurs à l’aliénation.

==>Sur le produit de la vente

L’autorisation judiciaire ne met pas un terme à l’indivision, mais transforme le bien vendu en une somme d’argent répartie entre les indivisaires selon leurs droits respectifs, conformément à l’alinéa 6 de l’article 815-5-1.

Ce mécanisme de subrogation permet de maintenir l’équilibre des droits de chaque indivisaire, tout en facilitant la gestion du produit de la vente.

  • Répartition entre les indivisaires
    • Le prix obtenu est réparti proportionnellement aux droits indivis de chacun.
    • Cette répartition reflète les parts initiales détenues dans l’indivision et garantit une juste compensation pour chaque indivisaire, qu’il ait consenti ou non à la vente.
  • Interdiction du remploi pour une nouvelle indivision
    • Afin d’éviter la reconstitution des blocages qui avaient motivé l’aliénation, l’article 815-5-1 prohibe le remploi des fonds pour l’acquisition d’un nouveau bien indivis.
    • Cette interdiction vise à encourager les indivisaires à sortir définitivement de l’indivision et à privilégier des solutions individuelles.
  • Paiement des dettes et charges
    • Une exception à l’interdiction de remploi est toutefois prévue pour le règlement des dettes et charges liées à l’indivision.
    • Cette obligation qui pèse sur les indivisaires permet de solder les dettes communes avant la distribution du reliquat entre les indivisaires, renforçant ainsi la sécurité juridique et financière de l’opération.

§3: L’établissement des comptes entre indivisaires

L’établissement des comptes entre indivisaires constitue une étape cruciale dans le processus de liquidation de l’indivision, permettant de rétablir un équilibre financier au sein de la communauté indivise.

En tenant compte des créances et des dettes de chaque indivisaire vis-à-vis de la masse commune, cette opération vise à corriger les disparités nées de la gestion ou de la jouissance des biens indivis et à garantir une répartition équitable de la masse partageable.

À cet égard, Michel Grimaldi rappelle avec justesse que « l’établissement des comptes entre indivisaires assure une liquidation juste et équilibrée, en prenant en considération tant les contributions apportées que les prélèvements opérés par chacun sur le patrimoine commun »[10].

I) L’obligation de tenir un état des créances et des dettes

En application de l’article 815-8 du Code civil, toute personne percevant des revenus ou engageant des dépenses pour le compte de l’indivision est tenue de tenir un état des créances et des dettes.

Cette obligation s’étend non seulement aux indivisaires eux-mêmes, mais également à toute personne impliquée dans la gestion des biens indivis, qu’il s’agisse d’un mandataire désigné par les indivisaires ou d’une personne nommée par voie judiciaire.

L’état des créances et des dettes, couramment rédigé par un notaire, constitue un document essentiel à la gestion de l’indivision. Il doit être mis à la disposition des indivisaires et contenir un récapitulatif précis des recettes perçues et des dépenses engagées pour le compte de la collectivité indivise.

Ce document ne se limite pas à un simple état descriptif ; il est un véritable compte de gestion, destiné à permettre aux indivisaires de suivre de manière claire l’évolution financière de l’indivision. Il assure également la transparence quant à la répartition équitable des charges et des bénéfices entre les co-indivisaires.

Dans le cadre d’une succession, le rôle du notaire liquidateur devient primordial. Ce dernier est chargé de tenir un compte d’administration de l’indivision, qui centralise toutes les opérations financières effectuées au nom de la masse indivise.

Ce compte inclut non seulement les revenus perçus, tels que les loyers ou les produits de cession d’actifs indivis, mais également les dépenses nécessaires à la gestion des biens indivis, comme le paiement des taxes ou les frais d’entretien.

Bien que distinct du compte d’indivision proprement dit, ce compte d’administration joue un rôle essentiel. Il permet, en effet, d’établir les créances et les dettes de chaque indivisaire vis-à-vis de l’indivision et d’assurer une liquidation transparente au moment du partage.

II) La finalité des comptes entre indivisaires

L’établissement des comptes entre indivisaires répond à une nécessité impérieuse de régularisation des déséquilibres financiers nés au cours de la gestion de l’indivision. En effet, les relations entre indivisaires, loin d’être figées, évoluent au gré des apports, des dépenses et des bénéfices réalisés par chacun, rendant indispensable une clarification des droits et obligations respectifs avant tout partage définitif.

Les déséquilibres susceptibles de résulter de la gestion de l’indivision revêtent des formes variées. Ils peuvent résulter :

  • De dépenses engagées par certains indivisaires pour le compte de la collectivité indivise, telles que des frais d’entretien, des travaux de conservation ou encore des primes d’assurance. Ces dépenses, nécessaires à la préservation du patrimoine commun, doivent être prises en compte afin d’éviter qu’un seul indivisaire supporte des charges qui bénéficient à l’ensemble.
  • De la jouissance privative d’un bien indivis par un indivisaire, lorsque celui-ci occupe seul un immeuble indivis, privant ainsi les autres indivisaires de leur droit à la jouissance commune. Cette occupation exclusive engendre une dette à l’égard de la masse indivise, sous forme d’une indemnité d’occupation, destinée à rétablir l’équilibre entre les co-indivisaires.
  • De la perception exclusive de fruits ou de revenus issus des biens indivis par un indivisaire, par exemple lorsqu’un indivisaire perçoit seul les loyers d’un immeuble indivis sans en reverser la part revenant aux autres. Cette situation doit être régularisée pour garantir une répartition équitable des fruits entre tous les co-indivisaires.

Ces situations, bien que fréquentes, ne sauraient demeurer sans régularisation au risque de compromettre l’égalité qui doit présider au partage des biens indivis. L’objectif des comptes entre indivisaires est précisément de restaurer cet équilibre en tenant compte des créances et des dettes de chacun vis-à-vis de la masse indivise. Ils permettent d’éviter que certains indivisaires ne se trouvent avantagés au détriment des autres, notamment lorsque des dépenses ont été avancées ou des bénéfices perçus de manière inégale.

Comme le rappelle la doctrine, le compte d’indivision « se situe au carrefour des contributions financières et des droits patrimoniaux des indivisaires, visant à solder les relations économiques nées au cours de la gestion commune, afin d’assurer une liquidation juste et équitable »[11]. Il en résulte que les comptes entre indivisaires doivent être établis avec rigueur afin de garantir une répartition équitable des charges et des bénéfices.

Cette exigence de rigueur s’explique par le fait que l’établissement des comptes conditionne directement le partage. Un compte mal tenu ou incomplet pourrait fausser la liquidation de l’indivision, au risque d’engendrer de nouvelles contestations entre indivisaires. Dès lors, le rôle du notaire chargé de la liquidation apparaît primordial, ce dernier étant tenu de dresser un état précis des créances et des dettes de chacun, comme le prescrit l’article 1368 du Code de procédure civile.

Exemple pratique :

Un indivisaire finance seul des travaux de rénovation sur un immeuble indivis afin d’en préserver la valeur. Par ailleurs, un autre indivisaire perçoit les loyers générés par cet immeuble sans en reverser la part revenant aux autres. Ces situations doivent être régularisées lors de l’établissement des comptes, afin que le premier indivisaire puisse obtenir remboursement de sa créance et que le second soit redevable d’une indemnité correspondant aux loyers indûment perçus.

Ainsi, l’établissement des comptes d’indivision permet de dégager un solde global pour chaque indivisaire, qui sera imputé sur sa part dans la masse partageable. Si un indivisaire est créancier de la masse, il pourra prélever ce solde sur les biens indivis avant le partage. À l’inverse, si un indivisaire est débiteur, sa dette sera imputée sur sa part de l’actif net, garantissant ainsi une répartition équitable entre les co-indivisaires.

Aussi, les comptes d’indivision constituent l’ultime étape permettant de solder les relations entre indivisaires avant le partage. Leur rôle est de restaurer un équilibre entre les contributions financières de chacun et les bénéfices tirés de l’indivision, afin d’assurer une liquidation sereine.

III) La nature du compte d’indivision

==>Termes du débat

La nature juridique du compte d’indivision fait l’objet d’une controverse doctrinale importante. Deux courants principaux s’opposent sur cette question.

  • Première thèse
    • Un premier courant doctrinal voit dans le compte d’indivision un véritable compte juridique, comparable à celui des récompenses dans la liquidation d’une communauté.
    • Selon cette conception, le compte d’indivision est bien plus qu’un simple état descriptif des flux financiers entre les indivisaires et l’indivision.
    • Il constitue un mécanisme juridique ce qui entraîne des effets juridiques immédiats dès l’inscription des créances.
    • En effet, dès que les créances et dettes sont inscrites au compte d’indivision, elles perdent leur individualité pour constituer un « bloc indivisible ».
    • Ce bloc est constitué de la totalité des créances et des dettes inscrites, qui se fondent ensemble pour former un solde unique.
    • Ainsi, les créances et les dettes disparaissent dans leur forme originelle et sont absorbées dans ce bloc indivisible, qui devient constitutif du solde du compte.
    • Ce mécanisme présente l’avantage de simplifier considérablement les relations financières au sein de l’indivision.
    • En effet, au lieu de procéder à des règlements individuels de créances ou de dettes pendant la durée de l’indivision, toutes les créances et dettes inscrites dans le compte s’annulent réciproquement, créant ainsi un solde net qui sera établi lors de la clôture du compte.
    • Ce solde est alors soumis à un règlement unitaire, qui n’interviendra qu’au moment du partage définitif.
    • Autrement dit, ce compte ne permet pas aux indivisaires de revendiquer individuellement l’exigibilité de leurs créances avant le partage.
    • Ce n’est qu’à la clôture du compte, c’est-à-dire au moment du partage de l’indivision, que le solde final sera calculé et réglé entre les indivisaires.
    • Cette conception s’inspire en partie de la théorie de la novation, selon laquelle l’inscription des créances dans le compte d’indivision entraîne leur transformation en simples articles de compte.
    • Ces articles perdent leur individualité juridique et sont soumis aux règles propres au compte, incluant notamment des mécanismes de compensation automatique.
    • Ainsi, ce solde unique résultant du compte d’indivision est opposable à tous les indivisaires au moment du partage, créant une liquidation simplifiée et homogène des créances et des dettes.
    • Les créances ne peuvent plus être exigées individuellement avant cette clôture, et elles ne redeviennent exigibles qu’au moment où le solde global est calculé lors du partage.
    • Ce fonctionnement unitaire garantit donc une gestion financière plus fluide, en évitant des contestations sur l’exigibilité des créances en cours d’indivision.
  • Seconde thèse
    • Les partisans du second courant doctrinal, parmi lesquels figure notamment Michel Grimaldi, adoptent une approche plus circonspecte quant à la qualification juridique du compte d’indivision.
    • Selon cette vision, le compte d’indivision s’apparente à un simple instrument de nature arithmétique, ayant pour seul objet de répertorier les mouvements financiers entre les indivisaires et l’indivision elle-même.
    • Il ne s’agit donc pas, selon cette conception, d’un compte juridiquement structuré, mais plutôt d’un registre destiné à faciliter le règlement comptable lors du partage final.
    • Autrement dit, le compte n’a pas pour effet de modifier la nature des créances et dettes qui y sont inscrites.
    • Chaque élément inscrit au compte conserve son individualité et demeure isolé.
    • Contrairement à la thèse opposée, qui envisage la fusion des créances et des dettes dans un « bloc indivisible », les défenseurs de cette approche soutiennent que le compte d’indivision ne joue qu’un rôle descriptif et informatif.
    • Il se contente de répertorier de manière précise et détaillée les créances et dettes de chaque indivisaire, sans entraîner de novation ou de transformation de la nature juridique de ces créances et dettes.
    • Ainsi, la fonction première du compte d’indivision, selon cette thèse, est de fournir un état détaillé des flux financiers, dans le but d’en simplifier le calcul au moment du règlement final.
    • Chaque créance ou dette est inscrite individuellement, avec son montant exact, et sans qu’il y ait fusion ou compensation entre elles avant le partage.

==>Thèse privilégiée

Entre les deux thèses en présence, la doctrine majoritaire tend à privilégier la première, en raison des particularités qui régissent le fonctionnement du compte d’indivision.

Tout d’abord, il convient de souligner que dès l’inscription des créances au sein du compte, celles-ci perdent leur individualité pour être fusionnées dans un « bloc indivisible ».

Ce solde global, regroupant créances et dettes, ne sera liquidé qu’au moment du partage définitif, instant précis où les droits et obligations des indivisaires seront également réglés. Cette fusion des créances démontre que le compte d’indivision dépasse le simple cadre d’un relevé comptable.

De plus, l’entrée des créances et des dettes dans le compte interrompt le cours de la prescription. Ce seul élément confère une portée juridique immédiate au compte, garantissant que les créances, loin de s’éteindre sous l’effet du temps, demeurent exigibles lors du partage.

Par conséquent, le compte ne se limite pas à fournir une information sur la situation financière de l’indivision, mais joue un rôle actif dans la préservation des droits des indivisaires.

Une autre différence majeure entre le compte d’indivision et un simple outil de gestion comptable réside dans l’absence de mécanisme de compensation.

Contrairement à la compensation, qui ne s’applique qu’à des dettes exigibles entre créanciers et débiteurs réciproques, le compte d’indivision prend en compte des créances et dettes qui ne sont pas forcément exigibles avant le partage.

De surcroît, il régit exclusivement les relations entre chaque indivisaire et la masse indivise, sans inclure les créances entre indivisaires eux-mêmes, ce qui souligne encore une fois sa vocation à gérer la relation globale au sein de l’indivision.

Par ailleurs, le but ultime du compte d’indivision est d’établir un solde unique à la clôture de l’indivision. Ce solde, qu’il soit positif ou négatif, est imputé sur les droits de l’indivisaire dans la masse indivise.

Ainsi, si un indivisaire se trouve créancier au moment du partage, il sera réglé par prélèvement sur la masse. À l’inverse, s’il est débiteur, sa dette sera imputée avant l’attribution de ses droits, protégeant ainsi les autres indivisaires contre les risques d’insolvabilité.

Au total, au regard de ces différentes règles et mécanismes, il apparaît que le compte d’indivision s’éloigne du simple outil de gestion comptable pour s’inscrire véritablement dans la catégorie des comptes juridiques.

Par la fusion des créances, la protection des droits, et l’imputation sur la masse indivise, il présente toutes les caractéristiques d’un compte juridique structuré, davantage que d’un simple registre descriptif.

IV) La méthodologie d’établissement des comptes

Comme vu précédemment, l’article 1368 du Code de procédure civile impose au notaire commis à la liquidation de dresser un état liquidatif des comptes entre les indivisaires. Cet état se matérialise par la constitution de comptes individuels au nom de chaque indivisaire, dans lesquels sont inscrites les créances et les dettes de chacun vis-à-vis de l’indivision. L’objectif est de clarifier les droits de chacun sur la masse partageable en prenant en compte les apports financiers, les bénéfices perçus et les dettes contractées pendant la période d’indivision.

A cet égard, chaque compte individuel retrace les flux financiers intervenus au profit ou à la charge de l’indivisaire, qu’il s’agisse :

  • Des créances que l’indivisaire détient sur la masse indivise, par exemple pour des dépenses engagées dans l’intérêt commun ;
  • Des dettes qu’il doit à la masse indivise, notamment en cas de jouissance privative d’un bien indivis ou de perception exclusive de revenus issus de l’indivision.

L’établissement du compte individuel permet de dégager un solde final, qui peut être :

  • Positif : l’indivisaire est créancier de la masse indivise. Il pourra prélever le montant de sa créance sur les biens ou les liquidités disponibles avant le partage.
  • Négatif : l’indivisaire est débiteur envers la masse indivise. Sa dette sera imputée sur la valeur des biens qui lui seront attribués lors du partage, selon le mécanisme du rapport en moins prenant prévu par l’article 864 du Code civil.

Ce solde final conditionne directement les droits de chaque indivisaire lors du partage. En effet, le compte d’indivision permet d’imputer les créances et les dettes sur la masse partageable, garantissant ainsi une répartition équitable des biens indivis entre les indivisaires.

Exemple pratique :

Un indivisaire finance à ses frais la réfection de la toiture d’un immeuble indivis pour éviter une dégradation majeure. Cette dépense, engagée dans l’intérêt commun, constitue une créance inscrite à l’actif de son compte individuel. À l’inverse, si un autre indivisaire occupe seul cet immeuble sans indemniser les autres indivisaires, il devra une indemnité d’occupation, inscrite au passif de son compte. Au moment du partage, ces créances et dettes seront prises en compte pour déterminer la part nette revenant à chaque indivisaire.

V) Les éléments composant les comptes d’indivision

Le compte d’indivision regroupe les créances et les dettes nées durant la période d’indivision, permettant ainsi de centraliser toutes les opérations financières effectuées au profit ou à la charge de la masse indivise.

Il peut être observé que l’inscription des créances et dettes dans le compte d’indivision présente un caractère essentiellement facultatif, laissant aux indivisaires une marge de manœuvre quant à la gestion de leurs créances et dettes vis-à-vis de la masse indivise.

En effet, chaque indivisaire, qu’il soit créancier ou débiteur, conserve une certaine liberté dans la décision d’inscrire ou non ses créances au compte d’indivision.

Par ailleurs, un indivisaire créancier, en vertu de l’article 815-17 du Code civil, peut, selon son intérêt, soit exiger immédiatement le règlement de sa créance, soit en reporter l’inscription jusqu’au moment du partage.

Cette faculté permet à l’indivisaire de moduler le moment où il souhaite récupérer les fonds investis dans la gestion de l’indivision, tout en évitant une exigibilité immédiate de créances qui pourraient mettre en péril la stabilité financière de l’ensemble indivis.

Cette flexibilité quant à l’inscription en compte n’est toutefois pas sans soulever des interrogations dans la doctrine.

Certains auteurs préconisent de distinguer la faculté d’inscription des créances selon la cause de la créance en question :

  • D’un côté, pour les dépenses strictement nécessaires à la conservation du bien indivis ou celles validées par tous les indivisaires, l’indivisaire créancier aurait le choix entre un paiement immédiat ou l’inscription en compte avec règlement au partage, assurant ainsi une revalorisation de sa créance pour garantir une répartition équitable entre les coïndivisaires.
  • D’un autre côté, pour les créances nées de dépenses non essentielles, la doctrine majoritaire estime que la créance devrait nécessairement être inscrite en compte et être régularisée lors du partage, afin d’éviter tout déséquilibre dans la jouissance et l’administration des biens indivis.

A) La détermination des créances et dettes pouvant être inscrites dans le compte d’indivision

1. Les créances et dettes pouvant être inscrites dans le compte d’indivision

a. Les créances

Le compte d’indivision regroupe diverses créances nées pendant la période d’indivision.

==>Dépenses de gestion et de conservation des biens indivis

Tout indivisaire qui engage des dépenses nécessaires à la gestion ou à la conservation des biens indivis peut inscrire cette créance dans le compte d’indivision.

Ces frais peuvent inclure des dépenses courantes telles que les réparations urgentes pour préserver la valeur du bien ou la mise en conformité avec les normes de sécurité,

Ces frais sont essentiels au maintien du bien en bon état, et l’indivisaire qui les prend en charge a droit à une créance équivalente sur l’indivision.

==>Amélioration du bien indivis

Les dépenses engagées pour améliorer le bien indivis, par exemple des travaux de rénovation, peuvent également être inscrites comme créances dans le compte d’indivision. Ces améliorations augmentent la valeur du bien et bénéficient à tous les indivisaires.

L’indivisaire qui finance ces améliorations peut demander une compensation au moment du partage en raison de l’augmentation de la valeur du bien (Cass. 1ère civ., 20 février 2001, n°98-13.006). Toutefois, ces créances ne seront liquidées qu’au moment du partage.

==>Prise en charge des impôts et taxes

Les indivisaires sont solidairement responsables du paiement des impôts et taxes relatifs aux biens indivis, tels que la taxe foncière ou les frais d’assurance.

Si un indivisaire avance ces frais pour le compte de l’indivision, il peut inscrire cette somme au compte d’indivision en tant que créance. Cette créance sera prise en compte lors du partage, garantissant à l’indivisaire le remboursement de sa contribution.

==>Rémunération du gérant

Si l’un des indivisaires est désigné gérant de l’indivision, il peut inscrire sa rémunération au compte d’indivision, même si cette créance peut parfois être payée immédiatement (Cass. 1ère civ., 10 mai 2006, n°04-12.473). Cette rémunération peut être déduite des produits de la gestion avant le partage final, garantissant au gérant une compensation pour son travail de gestion quotidienne.

b. Les dettes

Certaines dettes peuvent également être inscrites dans le compte d’indivision, représentant les obligations financières des indivisaires envers la masse indivise. Voici les principales dettes pouvant être inscrites au compte d’indivision :

==>Indemnité d’occupation privative

Lorsqu’un indivisaire occupe privativement un bien indivis, il doit indemniser l’indivision pour l’usage exclusif qu’il en fait.

Cette indemnité d’occupation est inscrite dans le compte d’indivision comme une dette à l’encontre de l’indivisaire occupant (C. civ., art. 815-9). Cette dette sera prise en compte lors du partage, l’indivisaire concerné devant compenser les autres indivisaires pour l’usage exclusif du bien.

==>Perception de fruits indivis

Si un indivisaire perçoit des fruits ou des revenus issus du bien indivis (par exemple, des loyers) sans les reverser à la masse indivise, il devient débiteur envers l’indivision (C. civ., art. 815-10).

Ces montants peuvent être inscrits au compte d’indivision en tant que dette et seront pris en compte lors du partage. Ce mécanisme garantit que les bénéfices du bien indivis soient répartis équitablement entre tous les indivisaires.

==>Détérioration ou négligence concernant un bien indivis

Si un indivisaire cause une détérioration au bien indivis par négligence ou non-respect de ses obligations de conservation, il peut être tenu de réparer cette détérioration.

Cette obligation peut être inscrite au compte d’indivision comme une dette à l’encontre de l’indivisaire fautif. Cette dette sera liquidée lors du partage.

2. Les créances et dettes exclues du compte d’indivision

Certaines créances ou dettes ne peuvent pas être inscrites au compte d’indivision, car elles ne sont pas directement liées à la gestion ou à la conservation du bien indivis, ou elles ne concernent que les relations entre les indivisaires eux-mêmes, et non avec l’indivision.

==>Créances entre indivisaires

Les créances personnelles entre indivisaires, telles que des prêts consentis entre eux, ne peuvent pas être inscrites dans le compte d’indivision.

Le compte d’indivision ne régit que les relations entre chaque indivisaire et la masse indivise, et non les relations personnelles entre indivisaires. Ces créances doivent être réglées séparément des opérations de l’indivision.

==>Avances en capital

Si un indivisaire a effectué une avance en capital dans l’indivision, cette avance n’est pas automatiquement inscrite au compte d’indivision.

Elle peut faire l’objet d’un accord distinct, et il appartient à l’indivisaire créancier de demander le paiement de cette avance avant le partage s’il le souhaite.

B) La preuve des créances et dettes pouvant être inscrites dans le compte d’indivision

La preuve des éléments inscrits dans le compte d’indivision repose sur les exigences énoncées à l’article 815-8 du Code civil, qui impose aux indivisaires une obligation de tenir un état dans deux situations bien distinctes :

  • L’indivisaire perçoit des revenus pour le compte de l’indivision
  • L’indivisaire expose des frais pour le compte de l’indivision

Dans le premier cas, l’indivisaire qui perçoit des fruits ou revenus provenant des biens indivis – qu’il soit détenteur d’un mandat explicite ou qu’il agisse en qualité de gérant de fait, voire dans le cadre d’une gestion d’affaires – est tenu de consigner ces recettes de manière rigoureuse.

Cette obligation n’est pas simplement une formalité administrative ; elle vise à garantir que chaque somme perçue pour le compte de l’indivision est comptabilisée de façon fidèle et rendue accessible aux autres indivisaires.

Ce relevé des revenus perçus permet ainsi de préserver l’équité entre les indivisaires, en évitant que l’un d’eux ne dispose, à titre individuel, de fonds qui devraient bénéficier à l’ensemble des co-indivisaires.

Dans un arrêt du 6 décembre 2005, la Cour de cassation a rappelé l’importance de cette obligation en censurant une décision qui n’avait pas vérifié que les revenus, en l’occurrence des loyers, avaient effectivement été perçus pour le compte de l’indivision (Cass. 1ère civ., 6 déc. 2005, n° 03-11.489).

Il ressort de cette décision que l’état des revenus perçus doit revêtir un caractère concret, appuyé par des preuves sérieuses, et ne saurait se fonder sur de simples évaluations ou conjectures.

Le second cas concerne les frais exposés pour le compte de l’indivision. Dans cette hypothèse, l’indivisaire qui avance des fonds pour des dépenses nécessaires, telles que des frais d’entretien, des mesures conservatoires ou des travaux d’amélioration, peut inscrire ces dépenses en tant que créance sur l’indivision.

Par exemple, un indivisaire qui finance des réparations urgentes sur un bien indivis ou qui règle des impôts fonciers dans l’intérêt de tous les indivisaires est en droit d’inscrire cette somme au compte d’indivision.

Cet enregistrement des dépenses, bien qu’il ne donne pas nécessairement lieu à un remboursement immédiat, assure que l’indivisaire concerné pourra faire valoir sa créance au moment du partage.

En ce sens, il ne s’agit pas uniquement d’une obligation de transparence, mais d’une garantie pour l’indivisaire contributeur d’être remboursé des frais exposés pour le compte de l’indivision.

L’obligation de tenir un « état » des opérations, qu’il s’agisse de revenus perçus ou de dépenses engagées, est volontairement imprécise dans son expression.

L’article 815-8 fait référence à la notion d’« état », sans définir la forme exacte que ce document doit revêtir.

En pratique, cet état prend la forme d’un relevé chronologique et détaillé, rendant compte des sommes perçues ou dépensées et accompagné des justificatifs nécessaires pour attester de la réalité de chaque transaction. Cette flexibilité permet une adaptation aux circonstances propres de chaque indivision, tout en respectant le principe de traçabilité.

A cet égard, dans son arrêt du 6 décembre 2005 cité précédemment, la Cour de cassation, a confirmé que ce document devait refléter des montants précis et effectivement perçus ou déboursés, plutôt que des valeurs hypothétiques ou non vérifiées.

L’état ainsi tenu doit être suffisamment détaillé pour permettre aux co-indivisaires de comprendre les flux financiers intervenus au sein de l’indivision et d’assurer ainsi une transparence totale sur les contributions respectives.

Dans certains cas spécifiques, tels que la gestion d’une activité commerciale ou agricole par un indivisaire pour le compte de l’indivision, les exigences en matière de preuve se renforcent.

La gestion de ces activités nécessite une comptabilité plus élaborée, intégrant des comptes précis et complets pour documenter les entrées et sorties de fonds liés à l’activité.

Ces circonstances imposent ainsi une adaptation du niveau de preuve, en raison des enjeux financiers souvent plus conséquents et de la nécessité d’assurer une équité entre les indivisaires.

VI) Le règlement des comptes d’indivision

==>L’inscription en compte des créances et des dettes

Le fonctionnement du compte d’indivision repose sur un système d’inscription des créances et des dettes, qui sont consignées au fur et à mesure qu’elles se créent.

Ce système vise non seulement à différer l’exigibilité des créances jusqu’au moment du partage, mais aussi à maintenir une transparence absolue sur les flux financiers relatifs aux biens indivis.

Chaque opération est inscrite en compte, ce qui permet tracer les relations financières intervenant entre les indivisaires et la masse indivise.

L’enregistrement des créances et des dettes emporte transformation juridique de ces dernières en articles de compte. Une fois inscrites, elles perdent, en effet, leur individualité pour se fondre dans un ensemble unique d’où il résulte ce que l’on appelle un solde.

Ainsi, les dettes à terme, bien qu’elles ne soient pas immédiatement exigibles, sont intégrées au débit du compte, garantissant qu’un indivisaire ne puisse percevoir l’intégralité de sa part sans avoir honoré ses obligations envers l’indivision.

==>Compte d’indivision et compensation

Le compte d’indivision se distingue fondamentalement du mécanisme de compensation, car l’indivisaire n’est pas obligé directement envers chacun de ses coïndivisaires, mais bien à l’égard de la masse indivise.

Aussi, le compte d’indivision ne peut-il pas donner lieu à une compensation automatique des créances et dettes, laquelle suppose une exigibilité immédiate des obligations entre parties qui se trouvent mutuellement créancières et débitrices.

Dans le cadre de l’indivision, en revanche, le solde est établi en prenant en compte l’ensemble des créances et dettes, qu’elles soient ou non échues.

Par ailleurs, la notion même de compensation est inapplicable dans le contexte de l’indivision, car elle repose sur un principe de réciprocité qui n’existe pas ici : l’indivision n’est pas une personne morale, et les indivisaires n’agissent pas en tant que créanciers et débiteurs directs entre eux dans ce cadre.

De plus, la balance du compte d’indivision peut être réalisée même en cas de redressement ou de liquidation judiciaire d’un indivisaire, préservant ainsi les droits de l’ensemble des coïndivisaires sans porter atteinte aux créanciers personnels de l’indivisaire concerné.

==>L’imputation des créances et des dettes

S’agissant de l’imputation des créances et dettes inscrites dans le compte d’indivision, elle s’opère uniquement lors de l’établissement du solde final au moment du partage.

Si un indivisaire présente un solde créditeur, il pourra prélever la somme correspondante sur la masse indivise.

À l’inverse, si le solde est débiteur, cet indivisaire devra effectuer un rapport de dette.

Cette règle d’imputation protège les autres indivisaires contre l’insolvabilité éventuelle d’un indivisaire débiteur en permettant d’amortir sa dette sur la part qui lui revient au sein de la masse indivise.

Cette méthode d’allocation réduit les risques financiers pour la communauté, notamment dans les cas où les dettes personnelles d’un indivisaire excéderaient sa part dans l’indivision (Cass. civ., 11 janv. 1937).

En tout état de cause, les créances et les dettes inscrites dans le compte d’indivision produisent des intérêts au taux légal dès leur entrée en compte et jusqu’à la date du partage.

Ce mécanisme de valorisation continue assure que les créanciers ne voient pas leurs droits dévalorisés sous l’effet du temps, garantissant ainsi une juste compensation pour les indivisaires ayant avancé des fonds ou supporté des frais pour la préservation des biens indivis.

 

 

  1. Baudry-Lacantinerie et Wahl, Traité théorique et pratique de droit civil, t. 3, n° 2451. ?
  2. Ripert et Boulanger, Droit civil, t. 4, n° 3069. ?
  3. P. Hébraud, L’instabilité monétaire et les règlements d’intérêt familial, Études Ripert, t. 1, p. 499. ?
  4. J. Flour, Plus-values et fruits de biens indivis, JCP 1943.I.336. ?
  5. G. Champenois, Note sous Civ. 11 janv. 1937, DH 1937, p. 101 ?
  6. J. Patarin, RTD civ. 1982, p. 638 ?
  7. P. Catala, Les règlements successoraux depuis les réformes de 1938 et l’instabilité monétaire, thèse, Montpellier, 1954 ?
  8. P. Hébraud, Le partage des successions, p. 502 ?
  9. G. Champenois, obs. RTD civ. 1980, p. 811. ?
  10. M. Grimaldi, Droit des successions, 13e éd., LGDJ, 2023, p. 522 ?
  11. A. Chavanes, L’établissement des comptes d’indivision, Defrénois, 2010, p. 874. ?