Civ. 2, 27 févr. 2025, n° 22-21.800 et n° 22-17.970 : Protection universelle maladie, cotisations subsidiaires et contrôle de constitutionnalité/conventionnalité

Résumé.

La protection universelle maladie a déconnecté le rapport fondamental qui a été fait en 1945 entre le paiement de cotisations et le droit à prestations. Dit autrement : l’usager du système de santé a droit depuis le 1er janvier 2016 aux prestations en nature quand bien même aucune cotisation de sécurité sociale n’a été payée : solidarité nationale oblige. Quant à ceux qui n’ont certes aucun revenu du travail mais qui touchent des revenus du patrimoine, il leur est demandé de fournir un effort notable. La Cour de cassation est précisément saisie de la conformité de ce dernier aux droits et libertés que la Constitution et la Convention de sauvegarde des droits de l’homme garantissent.

Commentaire.

En l’espèce (pourvoi n° 22-21.800), une Urssaf adresse à un cotisant un appel à cotisations subsidiaires au titre de la protection universelle maladie. Une demande en annulation de l’appel de cotisations et de restitution de l’indu est formulée. Le cotisant conteste devant le juge de la sécurité sociale les modalités de fixation de ladite cotisation en ce que les textes appliqués dans le cas particulier ne seraient pas conforment aux droits et libertés que la Constitution et la Convention de sauvegarde des droits de l’homme garantissent.

Successivement saisies, la cour d’appel d’Orléans et la Cour de cassation ne suivent pas le requérant dans ses conclusions.

Depuis que la protection universelle maladie a été inventée (loi n° 2015-1702 du 21 déc. 2015), toutes les personnes résidant sur le territoire de manière stable et régulière (notion définie à l’article D. 160-2 css), et peu important qu’elles travaillent ou non, ont droit à la prise en charge des frais de santé (art. L. 160-1, al. 1 css ensemble L. 111-1, al. 2 css). Qu’on comprenne bien : l’usager du système de santé est titulaire de droits à prestations en nature (tandis qu’il n’est pas ayants droit du tout) quand bien même aucune cotisation de sécurité sociale n’aura été payée faute d’emploi ou bien faute de rémunérations significatives. C’est là une illustration parmi les plus remarquables du principe de solidarité nationale, qui est proclamé à la toute première ligne du Code de la sécurité sociale (art. L. 111-1, al. 1er).

Cela étant, et pour palier tout effet d’aubaine, le législateur dispose que les personnes éligibles à la protection universelle maladie sont néanmoins redevables d’une cotisation annuelle pour le cas où, nonobstant l’absence de rémunération, l’usager tire des revenus du patrimoine au sens de l’article L. 380-2 du code de la sécurité sociale (revenus fonciers, de capitaux mobiliers, de plus-values et bénéfices divers et éléments de train de vie). De ce point de vue, et la Cour de cassation le dit franchement (point n° 25), la cotisation constitue, pour les personnes qui en sont redevables, des versements obligatoires constituant la contrepartie légale du bénéfice des prestations en nature qui leur sont servies conformément à l’article L. 160-1 du code de la sécurité sociale.

Le requérant reproche aux pouvoirs publics de ne pas avoir plafonné le montant de la cotisation, qui est assise sur les revenus du patrimoine et, partant, d’avoir porté une atteinte disproportionnée à sa situation financière. Au soutien de thèse, sont convoqués le droit constitutionnel et le droit conventionnel…en vain. La critique méritait pourtant bien d’être formulée tant est bien floue la définition du rapport raisonnable de proportionnalité entre les droits et obligations respectifs des usagers du systèmes de santé concernés par le paiement de la cotisation subsidiaire.

Aux termes des textes applicables à la cause, en l’occurrence les articles L. 380-2 et D. 380-1 du code de la sécurité sociale, les personnes qui sont dépourvues de tout revenu du travail ou bien qui ont un revenu d’activité inférieur au seuil fixé règlementairement sont redevables d’une cotisation qui est assise sur l’ensemble de leurs revenus du patrimoine, laquelle n’a été plafonnée que bien après l’invention de la protection universelle maladie et la cotisation subsidiaire (1er janvier 2019) tandis que les cotisations de sécurité sociale prélevées aux fins de financement de la branche maladie de tous les autres cotisants sont nécessairement limitées par le montant des revenus professionnels. Où l’on constate que l’assiette de la cotisation subsidiaire (c’est-à-dire les valeurs qui sont prises en compte pour réaliser le calcul) des premiers était autrement plus large que celle de droit commun des seconds. Il y avait donc bien une différence de traitement ou pour le dire autrement une discrimination (la problématique est semblable dans le second arrêt recensé – pourvoi n° 22-17.970, 6ème moyen de cassation, points nos 26 et s.).

Le Conseil constitutionnel, auquel a été déféré l’article L. 380-1 du code de la sécurité sociale, a déclaré conforme la disposition litigieuse aux droits et libertés que la Constitution garantit sous réserve que les taux et modalités fixés par voie réglementaire ne soient pas constitutifs d’une rupture caractérisée d’égalité mais sans plus ample précision (décision n° 2018-735 QPC du 27 septembre 2018, cons. n° 19). En bref : aussi fâcheuse que puisse être la rupture d’égalité, il faut encore qu’elle soit caractérisée pour espérer que le dispositif critiqué soit mis à l’écart. Dans ces conditions, le contentieux devant un juge a quo était inévitable.

La thèse du requérant est intéressante, qui soutient que dans la mesure où il aura fallu plusieurs mois aux pouvoirs publics pour se conformer à la décision du Conseil constitutionnel, plafonner la cotisation subsidiaire et contenir par voie de conséquence la rupture d’égalité, il n’est dès lors redevable d’aucune cotisation entre la date de l’entrée en vigueur de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 et celle de l’article D. 380-1 du code de la sécurité sociale, à savoir le 1er janvier 2019 (en application de la loi n° 2018-1203 du 22 déc. 2018).

L’argument ne convainc pourtant pas. La Cour de cassation et le Conseil d’Etat considèrent (avec la Cour d’appel d’Orléans et l’Urssaf Centre val de Loire) qu’il était suffisant pour le pouvoir réglementaire de définir les modalités de calcul de la cotisation dans des conditions qui n’entrainent pas de rupture caractérisée d’égalité devant les charges publiques (CE, 10 juill. 2019, n° 417919 – 29 juill. 2020, n° 430326) ; que c’est précisément l’objet des mécanismes d’abattement d’assiette et de limitation de l’assiette aux revenus du patrimoine dépassant un plafond fixé à 25 % du plafond annuel de la sécurité sociale qui atténuent la différence de traitement entre les assurés sociaux.

Dans le cas particulier, la Cour de cassation considère que la discrimination qui subsiste poursuit un but légitime et qu’au vu de ce dernier les moyens employés sont raisonnables (au sens du droit conventionnel – not. en ce sens : CEDH, 13 nov. 2007, Dh et autres c. République tchèque, n° 57325/00, § 175). Et la deuxième chambre civile dans un second arrêt rendu le même jour de considérer à propos de la cotisation subsidiaire que si elle prive le cotisant d’un élément de sa propriété, à savoir les sommes qui doivent être versées et qui sont recouvrées par les Urssaf, l’ingérence est pleinement justifiée au regard du second alinéa de l’article 1er du protocole additionnel n° 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (qui garantit le droit à la propriété) en ce que l’Etat est fondé à réglementer l’usage des biens pour assurer le paiement des impôts et d’autres contributions (pourvoi n° 22-17.907, points nos 17 et 18. A noter que cette dernière décision doit encore retenir l’attention en raison du doute du requérant quant à la légalité de la transmission par l’administration fiscale de données à caractère personnel aux organismes chargés du recouvrement. V. les points nos 5 et s. spécialement analysés par Vincent Roulet).

Qu’on soit convaincu ou non par les décisions rendues en l’espèce, c’est égal ; il faut bien voir que le débat sur la signification de la réserve du Conseil constitutionnel peut se poursuivre à l’infini (M. Troper, Dictionnaire de la culture juridique, v° Interprétation ; J. Bourdoiseau, L’interprétation, https://aurelienbamde.com/2019/05/06/linterpretation). La Cour de cassation en a d’ailleurs pleinement conscience, qui s’applique à justifier le rejet du pourvoi tout en laissant subsister deux régimes juridiques distincts (2016-2019 / 2019-…). A-t-elle réussi à convaincre, rien n’est moins certain. On reconnaîtra toutefois qu’il aurait été bien décevant qu’elle se contentât de viser l’article L. 111-2-1, I, al. 2 du code de la sécurité sociale qui dispose en substance que si chacun profite selon ses besoins, chacun contribue aussi selon ses moyens au financement de la protection contre le risque maladie.

(Article publié in Dalloz actualité mars 2025)

Le mythe de la responsabilisation des assurés sociaux et le risque de renoncement aux soins

Il est courant de défendre que le déficit des comptes sociaux est causé, entre autres raisons, par des assurés sociaux qui se comporteraient comme des consommateurs de biens et de produits de santé insatiables, passagers insouciants du bateau assurance maladie qui à la manière du tristement célèbre Titanic finiront par faire naufrage. Et pour préserver le navire, tandis qu’on sauvegarderait par la même occasion le système de protection sociale dans son ensemble, il a été convenu de les responsabiliser.

La responsabilisation a plein de visages : ticket modérateur, participation forfaitaire, délai de carence, taxe « lapin »… Les lois de financement de la sécurité sociale, qui se suivent et se ressemblent assez à cet égard, renferment nombre de dispositifs de cet acabit. Le ministère de la santé et de l’accès aux soins n’est pas en reste, qui est désireux de baisser le taux de remboursement des consultations médicales par les organismes de sécurité sociale.

A l’analyse, ces techniques ne servent pas à refréner la consommation de soins et de biens médicaux mais bien plus sûrement à externaliser une fraction des dépenses de santé en les faisant supporter par l’assurance maladie complémentaire aux lieu et place de l’assurance maladie obligatoire (dont le déficit compte significativement dans la dette publique) en faisant croire au patient-cotisant-consommateur qu’il ne s’agirait que d’un banal jeu d’écritures comptables sans aucune conséquence sur son pouvoir d’achat. Quant à laisser penser que les complémentaires santé ne sauraient répercuter les effets des politiques de réduction des coûts, c’est faire peu de cas de l’impérieuse nécessité pour les organismes d’assurance de procéder ni de l’intelligence fine de nos concitoyens pour autant qu’ils soient couverts…ce qui n’est pas vrai pour une frange croissante de la population qui n’est pas éligible à la complémentaire santé solidaire.

Il n’est pas de bonne méthode de continuer sur cette pente de la responsabilisation tous azimuts. Et il y a une bonne raison à cela : les usagers du système de santé ne sont pas les ordonnateurs de la dépense. La responsabilisation est donc douteuse.

Il y a pire. La mesure est indifférente pour les plus riches, qui ne souffrent pas ou bien peu les conséquences du reste à charge, mais handicapante pour les plus pauvres qui vont devoir reporter le recours aux soins (pourtant rendus plus nécessaires encore en raison de leur état de santé plus fragile que pour les classes aisées de la population), aggraver possiblement leurs pathologies et ordonner des dépenses de santé plus onéreuses le moment venu.

Tandis donc qu’il existe un droit fondamental à la sécurité sociale et à la santé, que l’organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe de la solidarité nationale, que près d’un quart de la rémunération brute d’un travailleur est affecté au financement de la branche maladie, la discrimination des plus pauvres de nos concitoyens et bientôt des classes moyennes ferait office de soupape de sécurité du système ?

Si responsabilisation il doit y avoir, c’est plus sûrement du côté des professionnels de santé qu’il faut se tourner dont les modalités d’exercice d’un certain nombre renchérissent les coûts pour la collectivité et les organismes d’assurance. C’est aussi encore du côté des femmes et des hommes en responsabilité politique qui sont manifestement mal informés de tous les tenants et aboutissants des réformes paramétriques qu’ils commandent.

La pratique du stop and go observée ces 15 dernières années par les ministères sociaux en termes de ressources humaines a interdit de penser la baisse de la démographie des professionnels de santé. Un rapport sénatorial publié en novembre 2022 renseigne que la France a perdu 5 000 médecins généralistes entre 2010 et 2021, quand parallèlement elle gagnait 2,5 millions d’habitants. Au résultat, l’accès à la santé en 2024 est devenu désormais une source de très grande préoccupation. Un rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie est en ce sens. On accordera certes que le renfort des médecins venus de l’étranger est appréciable mais c’est alors et inévitablement priver de leurs professionnels de santé les populations délaissées.

Les déserts médicaux sont un concept que l’expression ne renseigne pas bien. Aussi contre-intuitif que ce soit, il est un fait (et il n’est pas isolé) : Paris, ses arrondissements et sa grande banlieue sont concernés. Dire qu’il y a une désertification de l’offre, c’est indiquer qu’il n’y a plus assez de médecins (1er problème) mais davantage qui exercent en secteur 2 à honoraires libres (2nd problème). Non seulement, le nombre de professionnels de santé qui proposent leurs services en secteur 2 croit tous les mois mais certains médecins se déconventionnent purement et simplement. Au final, l’offre est raréfiée en raison des prix pratiqués – ce qui est bien su – mais également en raison de la diminution du temps de travail de certains professionnels de santé qui en ont désormais les moyens – ce qui est moins vu -. Au résultat, de plus en plus de d’usagers sont contraints de traverser (à leurs frais) plusieurs départements pour obtenir une consultation.

Pratiquer en secteur 2 est tentant. La complémentaire santé étant à présent bien distribuée, les dépassements d’honoraires sont solvabilisés. Ils ne le sont certes que dans la mesure où les contrats d’assurance le prévoient et pour les montants convenus. Seulement voilà cette digue, qui a été construite par le législateur et qui retient le flot des dépassements tous azimuts, se fragilise dans le contexte. C’est que la pénurie de professionnels, que le plein emploi et la difficulté de recrutement des collaborateurs pourraient changer la donne.

La loi n’interdit pas formellement aux organismes d’assurance de commercialiser des produits offrant une bien meilleure couverture des dépassements d’honoraires et un bien meilleur rendement que les contrats collectifs frais de soins de santé à adhésion obligatoire. Et s’il se trouve des employeurs disposés à compenser la majoration du prix de la mutuelle d’entreprise pour fidéliser et attirer à eux les talents, on aura alors fini par renouer avec la solvabilisation renforcée des dépassements d’honoraires et une dispensation facilitée des soins en secteur à honoraires libres.

Comment ne pas s’étonner que la trajectoire, qui affecte incontestablement les plus pauvres de nos concitoyens, et qui aggravera inévitablement les inégalités devant la maladie et l’accès aux soins, ne soit pas vue par celles et ceux en responsabilité ?

Article écrit avec le Dr. Pierre-Vladimir Enneza (Dalloz actualité, 18 déc. 2024)

 

AT/MP : Relations triangulaires, indépendance des rapports, imputation des coûts et tarification

1. Discrimination. Il est bien su que la réparation intégrale des préjudices corporels n’est pas un principe fondamental du droit social, dont les règles de compensation des accidents et maladies professionnels n’autorisent qu’une réparation forfaitaire. Exception n’est faite qu’au seul bénéfice des victimes de l’amiante (loi n° 2000-1257 du 23 déc. 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2021, art. 53). C’est dire la force juridique de la règle qui n’a pas varié depuis que la loi du 09 avril 1898 a été adoptée. Que le salarié soit victime d’un mauvais concours de circonstances ou bien qu’il souffre les conséquences de la faute inexcusable de son employeur, rien n’y fait : la discrimination perdure en comparaison avec les victimes de droit commun tandis que les voies civiles de l’indemnisation restent en principe fermées.

La conformité du régime aux dispositions supra légales a bien été vérifiée en son temps. Ni le juge constitutionnel ni le juge européen n’a fondamentalement trouvé matière à redire (Cons. const., décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, cons. n° 18. CEDH, 12 janv. 2017, n° 74734/14, Saunier c./ France : absence de violation de l’article 14 de la déclaration des droits). Quant à la direction de la sécurité sociale, elle est d’avis qu’une réparation intégrale comporterait des risques financiers importants pour l’équilibre de la branche (v. Cour de cassation, rapport annuel 2022, p. 52).

Ce sont là décrites à très grands traits les suites d’un arbitrage qui a été décidé à la toute fin du 19ème siècle, qui a eu pour objet de concilier les intérêts légitimes mais contradictoires des ouvriers et des patrons de l’époque. Créance de compensation garantie aux premiers mais immunité juridictionnelle accordée aux seconds. Financement exclusivement patronal de la branche (art. L. 241-5 du Code de la sécurité sociale) mais réparation forfaitaire des accidents du travail et des maladies professionnelles déclarés par les salariés (art. R. 433-1 du Code de la sécurité sociale). Le tout sur fond d’une opération d’assurance qu’aucun législateur ne s’est aventuré à réformer en profondeur depuis (sauf naturellement quelques corrections paramétriques de nature procédurale pour l’essentiel. V. S. le Fischer et X. Prétot, La procédure de reconnaissance des accidents du travail et des maladies professionnelles : apports et limites du décret n° 2019-356 du 23 avr. 2019). Et pour cause : c’est au premier chef la responsabilité des partenaires sociaux.

2. L’opération d’assurance, voilà une clef de voûte de l’affaire. La réparation forfaitaire qui est accordée à la victime d’un risque professionnel est un plafond de garantie. De la même manière que l’article L. 113-5 du Code des assurances dispose que l’assureur ne peut être tenu au-delà de la prestation déterminée par le contrat, les articles L. 431-1 et L. 452-2 du Code de la sécurité sociale limitent les droits à prestations du salarié-victime et de ses ayants droit, partant la dette de réparation de la communauté formée par les employeurs cotisants. Et il ne saurait en être autrement au vu des modalités de fonctionnement et de financement de la branche. C’est qu’il faut bien voir que la tarification AT-MP correspond à un système de répartition des capitaux de couverture. Le principe est le suivant. Chaque année, les cotisations sociales patronales afférentes sont fixées à titre conservatoire pour couvrir l’ensemble des charges liées aux risques professionnels susceptibles de survenir dans l’année. Le taux d’effort demandé à chacun des employeurs représente donc la contrepartie technique de l’engagement limité de la branche (v. sur le sujet H. Groutel, F. Leduc et Ph. Pierre, Le contrat d’assurance terrestre, n° 1773).

Depuis une dizaine d’années, la branche sous étude présente des excédents, ce qui est remarquable par comparaison avec les autres branches du régime général. Encore que l’excédent n’ait pas tout à fait l’ampleur qu’une lecture rapide de la loi de financement de la sécurité sociale pourrait donner à penser (voyez en ce sens, l’article L. 176-1 css et le transfert de 1,2 milliards d’euros à la branche maladie ordonné par l’article 107, III de la loi n° 2023-1250 du 26 déc. 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024). Mais laissons. L’important me semble de faire remarquer que tandis que la branche est à l’équilibre, un nombre croissant de pathologies ont été reconnues au titre des maladies professionnelles par le truchement du régime complémentaire de reconnaissance (art. L. 461-1, al. 7 css), un fonds d’indemnisation des victimes de pesticides a été créé (art. L. 491-1 css ensemble art. L. 723-13-3 c. rur.), un nouveau tableau a été instauré, qui détermine les conditions d’indemnisation des salariés victimes du sars-cov2. Où l’on constate en résumé que fonctionnant à la manière d’un opérateur d’assurance de droit commun, la branche AT-MP satisfait les exigences prescrites par la directive solvabilité 2, à avoir une évaluation des risques, un niveau de capital adéquat et une réserve de provision techniques (dir. n° 2009/138/CE du 25 nov. 2009).

Pourquoi soulignez ce point ? Eh bien pour attirer l’attention sur le tableau d’équilibre d’ensemble.

3. Équilibre. Le droit de la réparation des risques professionnels, aussi perfectible qu’il soit, est le fruit d’un équilibre subtil, qui a été recherché par le patronat et la classe ouvrière, d’un compromis que nombre des règles qui le composent portent en germe. Il ne s’agit pas moins en législation de veiller à la préservation des droits respectifs à réparation du salarié-victime, à cotisations majorées de la caisse et à exonération de l’employeur. Ceci posé, l’intrication des intérêts et des règles est une source presque inévitable de contentieux. Le salarié est légitime à rechercher la meilleure compensation possible du dommage. La caisse n’est pas moins fondée à rechercher le remboursement de ses débours. Quant à l’employeur, qui participe au financement du tout en ce sens que son taux de cotisation est fonction du risque inhérent à l’entreprise, la recherche d’une cause d’inopposabilité de la décision de prise en charge ou bien encore la recherche d’une réduction du taux d’incapacité retenu par la caisse dans le calcul de la rente est dans son intérêt bien compris. Où l’on commence à percevoir dans ces conditions la finalité du principe directeur d’indépendance des rapports caisse-employeur-victime.

4. Indépendance. Aux termes dudit principe, les rapports entretenus par la caisse avec la victime sont exclusifs de ceux noués avec l’employeur. En bref, ce n’est pas parce que la caisse a conclu au caractère professionnel de l’accident qui a été déclaré que le compte employeur sera nécessairement majoré et inversement (pour le cas où naturellement il aurait vocation à l’être). Pour le dire d’une autre manière, il n’y a aucune identité de sort.

La règle est posée en jurisprudence depuis les années 1960 (Cass. soc., 17 nov. 1960, Bull. civ. IV, n° 1045). La Cour de cassation ne manque pas de la rappeler. Une circulaire du 21 août 2009 relative à la procédure d’instruction des déclarations AT-MP (DSS/2C/2009/267), qui a accentué l’indépendance des rapports, précisait pour sa part que dans l’hypothèse où l’employeur exerce un recours contre une décision de prise en charge, la position de l’organisme de sécurité sociale issue de ce recours n’a aucun effet sur la décision de reconnaissance prise à l’égard de l’assuré, qui n’est pas appelé en la cause dans ce contentieux, la décision initiale lui restant acquise en vertu du principe sous étude (voir à présent l’article R. 441-18 css et art. D. 242-6-4 css. V. plus généralement sur le sujet, G. Chastagnol et M.-A. Godefroy, fasc. 313-10, Régime général. Accidents du travail et maladies professionnelles. Action en contestation de la reconnaissance d’un AT/MP, Juris-cl. Protection sociale, févr. 23).

La chose à tout de même de quoi laisser un profane un tantinet interdit. Rares sont les approches juridiques d’un seul et même fait en pareil silo et de façon si étanche. Une illustration permettra de mieux s’en rendre compte.

5. Illustration. Premier cas de figure : Voilà un salarié qui déclare un accident survenu au temps et au lieu du travail, qui n’est pas pris en charge par la branche AT-MP faute de satisfaire les conditions de la garantie légale mais qui parvient à la fin du parcours contentieux à faire condamner son employeur au remboursement de toutes les prestations sociales servies par la caisse à raison d’une faute inexcusable qui aura été découverte par le juge de la sécurité sociale.

Second cas de figure : l’accident subi par le salarié est pris en charge par la branche AT-MP mais l’employeur, dont la faute inexcusable est recherchée, conteste utilement le caractère professionnel de l’accident (Cass. 2ème civ., 20 mars 2008, n° 06-20.348 – 26 nov. 2015, n° 14-26.240.

En résumé, un accident peut être professionnel au stade de sa reconnaissance mais pas à celui de sa réparation (M. Keim-Bagot, Voyage au pays de l’absurde : des conséquences de l’indépendance des rapports employeur-caisse-salarié, Bull. Joly travail, janv. 23, p. 41). Et inversement, pourrait-on ajouter. Il faut bien se représenter la situation du salarié dans le procès qu’il a engagé en reconnaissance du caractère inexcusable de la faute dommageable prétendument commise par l’employeur. Alors pourtant qu’il perçoit une rente AT, il peut se faire retorquer par le juge de la sécurité sociale qu’il n’a subi aucun accident du travail.

Le sentiment d’étrangeté que ces solutions peuvent spontanément inspirer doit pourtant être combattu car elles sont commandées par quelques principes fondamentaux.

6. Étrangeté ? Comme cela a déjà été relevé, la loi d’équilibre technique (à visée transactionnelle) a commandé de ne sacrifier aucune des parties à la cause. Pour mémoire, lorsque le dispositif assurantiel est confié aux organismes de sécurité sociale en 1946 (Loi n° 46-2426 du 30 oct. 1946 sur la prévention et la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles), l’employeur est la portion congrue de l’affaire. En un mot : il n’a pas du tout voix au chapitre (En ce sens, O. Godard, L’indépendance des rapports employeur-salarié dans le régime accidents du travail, JCP G. avr. 1990, doctr. 3442. V. égal. G. Hénon, L’indépendance des rapports salarié-caisse-employeur au révélateur de la faute inexcusable, Dr. soc. 2023.604). Quant au salarié, une fois sa situation déclarée à l’organisme de sécurité sociale, on ne peut pas dire que son sort fût meilleur. Le régime était purement et simplement laissé à la main de la caisse, qui instruisait la demande de prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle sans que l’employeur ne soit invité à présenter ses conclusions, ce dernier souffrant alors la notification de son taux de cotisation pour le cas où la branche aurait vocation à couvrir le sinistre.

Des voix se sont élevées pour dire que la procédure faisait bien trop peu de cas de la légitimité de l’employeur à contester la décision de prise en charge du salarié victime au titre de la branche AT-MP, décision portant possiblement majoration de son taux de cotisation. Convaincue, la Cour de cassation sanctionna le droit de ce dernier de recourir contre la caisse (Cass. soc., 22 avr. 1955, Bull. civ. V, n° 335).

C’est un droit de contestation que les employeurs ont alors exercé plus volontiers à mesure, d’une part, qu’ils ont été intégrés dans le processus d’élaboration des décisions prises par la caisse et leur notification et, d’autre part, de la modernisation des outils de production et de développement de la prévention des accidents.

7. Contestation. Il faut bien avoir à l’esprit que les cotisations sociales patronales n’ont pas seulement pour but d’assurer le financement des prestations versées par la branche, elles jouent surtout un rôle de politique de santé au travail : leur mode de calcul constitue un levier d’incitation à la réduction des risques professionnels. La cotisation étant modulée en fonction du nombre et du coût des sinistres (v. en ce sens le rapport d’évaluation des politiques de sécurité sociale, annexe AT-MP, 2023, p. 9), les employeurs n’entendent donc pas qu’il soit fait litière des efforts fournis en termes de prévention (qui sont coûteux) et contestent plus volontiers les décisions des caisses. Et c’est très précisément lorsqu’ils obtiennent gain de cause (pour des raisons strictement procédurales ou bien de fond) que les problèmes surgissent et que le principe directeur d’indépendance des rapports se révèle être des plus juste et utile encore qu’il prête à discussion.

Que les critiques formulées par l’employeur aient vocation à prospérer, cela va de soi. La décision prise par la caisse ayant pour effet de lui faire grief, il est tout à fait normal (à hauteur de principe) qu’il puisse la critiquer. Mais que le salarié-victime s’en trouvât aussitôt affecté, c’eût été une autre affaire. Pour se représenter la chose, on recommandera de se livrer à une expérience de pensée : si le sort de l’employeur et celui du salarié avaient été indéfectiblement liés, si donc le principe d’indépendance n’avait pas été inventé, le succès des actions en contestation du premier aurait obligé alors le second à restituer l’indu, car la couverture du risque par la branche AT-MP est notablement plus enviable que celle proposée par la branche maladie (comp. les art. R. 433-1 et R. 323-4 css). Ce sans compter que le salarié pris en charge sur le fondement du livre IV du Code de la sécurité sociale est alors justiciable de toute une série de règles légales et conventionnelles qui ont pour objet de compléter les prestations servies par la caisse ou par la mutualité sociale agricole. Restituer l’indu consisterait techniquement à corriger un enrichissement injustifié du salarié-victime et l’appauvrissement corrélatif de l’employeur qui aura accordé un complément de salaire, possiblement couvert le délai de carence et souffert une majoration de son taux de cotisation.

8. Restitution ? En droit, la chose est faisable. Les modalités de rétablissement des patrimoines corrélatifs des parties intéressées sont bien connues (art. 1302 c.civ.). Mais en équité, la solution n’est pas entendable, à tout le moins pas dans le chef du salarié-victime. Jamais la caisse ne saurait demander la restitution de l’indu à la victime tandis qu’elle est à l’origine d’une erreur d’appréciation rectifiée au terme des diligences de l’employeur. Et quand bien même la législation autoriserait-elle formellement l’action en restitution qu’il faudrait encore que l’accipiens soit solvable. Or, et par hypothèse, les indemnités journalières ne compensant pas intégralement les revenus perdus du fait de l’accident ou de la maladie professionnelle, lesquels restent peu élevés pour nombre de nos concitoyens (pour mémoire, le salaire médian en 2023 se monte à 2100 euros net), il y aurait bien peu à recouvrer peut-être même rien du tout. Où l’on finirait en bout de course par exhorter l’organisme de sécurité sociale d’abonner le recouvrement de sa créance en laissant quitte le salarié victime du trop-perçu.

En bref, le principe d’indépendance des rapports caisse-employeur-victime, qui est la manifestation d’un remarquable pragmatisme, dispense toutes les parties intéressées d’une ingénierie juridique et comptable aussi consommatrice de temps que d’argent. Où l’on peut s’accorder pour dire qu’à raison de la correction de l’incidence du recours en contestation sur les droits de l’autre partie, ledit principe est plutôt intéressant : l’une reste lotie et l’autre n’est pas si préjudiciée.

Il importe de dire au surplus, et l’argument semble prêter à plus de conséquences encore, que le principe est la traduction en droit substantiel de la protection sociale d’un principe fondamental tiré du droit de la procédure civile, à savoir qu’une décision de justice ne pouvant lier que ceux qui y ont été partie (art. 1351 c.civ.), le salarié ne saurait souffrir les suites du combat qu’a décidé de mener l’employeur avec la caisse et/ou le juge de la sécurité sociale. Ce qui fait pertinemment dire à ce dernier juge que « les rapports de l’assuré avec la caisse sont indépendants de ceux qui existent entre cet organisme et l’employeur » (Cass. soc., 31 mai 1989, n° 87-17.499 – Cass. 2e civ., 7 nov. 2019, n° 18-19.764, JCP S 2019.1364, note M. Courtois d’Arcollières et M.-A. Godefroy).

9. Critique. Comme cela a été rappelé, la compensation du dommage corporel subi au temps et au lieu du travail est notablement plus fruste en comparaison toujours avec les dommages et intérêts qu’une victime de droit commun peut espérer de son défendeur. Le principe de l’indépendance des rapports, qui protège le salarié victime en ce qu’il lui garantit le paiement de revenus de remplacement peu important qu’au terme d’un recours il soit décidé, réflexion faite, que la prise en charge par la branche AT n’était pas due, intéresse plus volontiers l’employeur ou bien la communauté des employeurs dont l’effort en termes de cotisations sociales patronales est nécessairement affecté. C’est ce sur quoi il semble fructueux d’insister.

Penser la compensation du dommage corporel, c’est invariablement identifier un débiteur d’indemnité. Où l’on voit que l’assurance du risque professionnel souffre la comparaison. Au fond, il est question de tarification et donc de capacité de la branche à couvrir le risque. Une réparation intégrale des accidents et maladies professionnelles est possible en droit. Elle est même réclamée depuis des années par la Cour de cassation entre autres autorités. C’est en économie que la chose est débattue. Non pas qu’on ne puisse pas dans l’absolu majorer les cotisations des employeurs mais que ce serait prendre alors le risque de renchérir le coût du travail et possiblement affecter la compétitivité des organisations concernées (notamment sur le terrain du commerce extérieur). Ceci étant dit, nous ne sommes tout de même pas encore condamnés à une sorte d’immobilisme. L’hypothèse d’une correction du système à la marge par une redéfinition du périmètre du principe sous étude peut être posée.

10. Réforme. En l’état, le principe d’indépendance profite semblablement au salarié et à l’employeur. Or la complète déconnexion entre le contentieux de la prise en charge d’un accident ou d’une maladie (dans le rapport caisse-victime ou le rapport caisse-employeur) et le contentieux de la faute inexcusable (dans le rapport victime-employeur) est douteux en ce sens que le financement de la branche est fragilisé. Par voie de conséquence, la politique de prévention des risques professionnels est ébranlée.

L’application du principe d’indépendance des rapports est de nature à faire échapper l’employeur en toute ou partie de la majoration de son taux brut de cotisations. Les raisons ont été présentées : manque de diligence de la caisse ou tort redressé par un juge. Dans le premier cas, aucune majoration ne sera notifiée à raison de l’inopposabilité de la décision de prise en charge. Dans le second, l’employeur ne sera tenu au remboursement que des seuls chefs de préjudices majorés à raison de la reconnaissance d’une faute inexcusable exclusion faite de toutes les prestations services par la caisse entre temps (complément de rente et chefs de préjudice supplémentaires auxquels il est tenu par la loi art. L. 452-3-1 css – création de la loi 2012-1404 du 17 déc. 2012).

La mutualisation du risque est fragilisée dans ces conditions. Comme cela a été rappelé, les modalités de calcul du taux brut de cotisation des employeurs sont définies de telle sorte qu’il est plus vertueux de prévenir la réalisation du risque professionnel que de le couvrir (art. D. 242-6-1 et s. css). Encore qu’il faut bien convenir que ce n’est pas vrai pour toutes les entreprise (v. toutefois l’invention d’un régime spécial pour les entreprises entre 10 et 19 qui est entré en vigueur au 1er janvier 2024. P. Morvan, Droit de la protection sociale, 11ème éd., LexisNexis, 2023, n° 212 p. 232).

Sans contestation de l’employeur, le système est construit de telle sorte que la facturation des diligences de la caisse primaire est automatiquement incrémentée sur le compte employeur. Et lorsque le système laisse l’employeur quitte de toute majoration, c’est alors la collectivité des employeurs qui se retrouve affectée par défaut. Dans ces conditions, on peut se demander si la mutualisation du risque est bien équitable, ce sans compter que la mutualisation ne s’opère pas de manière uniforme (Ph. Coursier et S. Leplaideur, les risques professionnels et la santé au travail en question, LexisNexis, 2013, pp. 139 et s.).

D’aucun soutiendront que ce n’est pas très grave tant que le salarié victime est sauf dans l’affaire. Force est pourtant de le redire : la prévention des risques professionnels importe autrement plus que la couverture des sinistres, à tout le moins en première intention. Si donc l’employeur échappe à sa juste contribution, il n’est pas incité à travailler mieux encore à la réduction de la sinistralité de son établissement. Partant, et en termes de prévention des accidents du travail et des maladies professionnels, dit autrement des dommages corporels, le compte n’y est peut-être pas complétement. Les 20 millions de salariés du secteur privé, qui sont couverts par la branche AT/MP (Direction de la sécurité sociale, les chiffres clés 2022, éd. 2023, p. 15), ne mériteraient-ils pas un peu mieux ?

(Article publié in Bulletin Joly travail, déc. 2024)

 

L’ouverture d’un compte bancaire: régime juridique

§1: Qu’est-ce qu’un compte bancaire ?

==> Notion

Un compte bancaire, qualifié encore de compte de dépôt, de compte à vue, de compte chèque ou encore de compte courant est un instrument permettant de déposer des fonds et d’effectuer des opérations financières.

Ces opérations peuvent être réalisées au guichet de l’agence bancaire ou au moyen d’instruments de paiement (chèque, carte bancaire etc.).

Le fonctionnement du compte de dépôt est régi par une convention de compte conclue lors de l’entrée en relation.

Outre les clauses sipulées dans cette convention, l’ouverture d’un compte bancaire obéit à plusieurs règles.

==> Les variétés de comptes bancaires

  • Le compte individuel
    • Le compte individuel est celui qui, par hypothèse, n’est détenu que par une seule personne.
    • Il en résulte que les obligations attachées au fonctionnement de ce type de compte incombent à son seul titulaire.
    • Celui-ci sera notamment seul responsable des incidents de paiement et des découverts bancaires non-autorisés
  • Le compte joint
    • Le compte joint est en compte collectif, en ce qu’il est détenu par plusieurs personnes.
    • Il se caractérise par la situation de ses cotitulaires qui exercent les mêmes droits sur l’intégralité des fonds inscrits en compte, tout autant qu’ils sont solidairement responsables des obligations souscrites.
    • En cas de solde débiteur du compte, l’établissement bancaire peut ainsi réclamer à chacun d’eux, pris individuellement, le paiement de la totalité de la dette.
    • Inversement, chaque cotitulaire est en droit d’exiger du banquier la restitution de la totalité des fonds déposés
    • L’ouverture d’un compte joint est le fait, le plus souvent, des personnes mariées, pacsées ou vivant en concubinage qui l’utilisent aux fins d’accomplir les opérations relatives à l’entretien du ménage.
  • Le compte indivis
    • À l’instar du compte joint, le compte indivis est un compte collectif, en ce qu’il est détenu par plusieurs personnes.
    • La similitude entre les deux comptes s’arrête là : à la différence du compte joint, le compte indivis ne peut fonctionner sans l’accord unanime des cotitulaires.
    • Autrement dit, aucune opération ne peut être accomplie sur ce compte, sans que le banquier ait recueilli, au préalable, le consentement de chacun d’eux.
    • Outre l’exigence d’unanimité, les cotitulaires n’ont de droit sur les fonds inscrits en compte que dans la limite de leur part et portion.
    • Enfin, ces derniers ne sont tenus qu’à une obligation conjointe envers le banquier.
    • Cela signifie qu’en cas de solde débiteur, celui-ci devra actionner en paiement chaque cotitulaire du compte à concurrence de la quote-part qu’il détient dans l’indivision.
    • On observe toutefois que les conventions de compte prévoient, la plupart du temps, une solidarité passive entre cotitulaires : chacun d’eux peut alors être actionné en paiement pour le tout.
    • En pratique, l’ouverture d’un compte indivis procède de la transformation d’un compte joint consécutivement au décès de l’un de ses cotitulaires.

§2: La liberté du banquier d’entrer en relation

==> Énoncé du principe

Il est, en principe, fait interdiction aux commerçants, dans leurs relations avec les consommateurs, de refuser la vente d’un produit ou la prestation d’un service, sauf à justifier  d’un motif légitime (art. L. 121-11 C. conso).

Cette interdiction n’est toutefois pas applicable au banquier. La convention de compte qui le lie à son client est conclue en considération de la seule personne de ce dernier (intuitu personæ). L’offre de service ne s’adresse pas à tout public.

Le banquier est donc libre d’ouvrir ou de refuser d’ouvrir un compte bancaire (art. L. 312-1, II CMF). Il est par exemple autorisé à refuser d’accéder à la demande d’un client s’il considère que son profil ne répond pas aux critères d’entrée en relation fixés par son établissement.

==> Cas du refus d’ouverture d’un compte bancaire

En cas de refus d’ouvrir un compte bancaire, plusieurs obligations pèsent sur le banquier :

  1. Obligation, lorsque l’établissement bancaire oppose un refus à une demande écrite d’ouverture de compte de dépôt de fournir gratuitement une copie de la décision de refus au demandeur sur support papier et sur un autre support durable lorsque celui-ci en fait la demande expresse.
  2. Obligation de fournir au demandeur gratuitement, sur support papier, et sur un autre support durable lorsque celui-ci en fait la demande expresse, les motifs du refus d’ouverture d’un compte bancaire en mentionnant, le cas échéant, la procédure de droit au compte
  3. Obligation de fourniture au demandeur systématiquement, gratuitement et sans délai, sur support papier, et sur un autre support durable lorsque celui-ci en fait la demande expresse, une attestation de refus d’ouverture de compte
  4. Obligation d’information de l’intéressé qu’il peut demander à la Banque de France de lui désigner un établissement de crédit pour lui ouvrir un compte (Voir Fiche droit au compte).
  5. Obligation de proposer, s’il s’agit d’une personne physique, d’agir en son nom et pour son compte en transmettant la demande de désignation d’un établissement de crédit à la Banque de France ainsi que les informations requises pour l’ouverture du compte.

==> Limites à la liberté du banquier

La liberté du banquier d’accepter ou de refuser l’ouverture d’un compte bancaire est assortie de deux limites :

  • Désignation par la Banque de France au titre du droit au compte
    • En effet, en application de l’article L. 312-1, III du CMF, l’établissement bancaire désigné par la banque de France a l’obligation d’offrir gratuitement au demandeur du droit au compte des services bancaires de base.
    • Il est indifférent que le bénéficiaire soit inscrit :
      • Ou sur le fichier des interdits bancaires (FCC)
      • Ou sur le fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP)
    • L’ouverture d’un compte de dépôt doit intervenir dans les trois jours ouvrés à compter de la réception de l’ensemble des pièces nécessaires à cet effet.
  • Discrimination
    • Le refus opposé à un client d’accéder à sa demande d’ouverture d’un compte bancaire qui reposerait sur un motif discriminatoire est constitutif d’une faute tout autant civile, que pénale
    • À cet égard, l’article 225-1 du Code pénal prévoit notamment que « constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d’autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée.»
    • Aussi, à situations égales, le banquier doit traiter les demandes d’ouverture de compte de la même manière.
    • Ce n’est que si les situations des demandeurs sont différentes, qu’il est autorisé à leur appliquer un traitement différencié.

§3: L’ouverture du compte de dépôt

I) Qui peut ouvrir un compte bancaire ?

L’ouverture d’un compte bancaire s’analyse en la conclusion d’un contrat. Pour accomplir cette opération, il est donc nécessaire de disposer de la capacité juridique de contracter.

S’agissant de l’exercice de cette capacité aux fins d’ouvrir un compte bancaire, il y a lieu de distinguer selon que le client est une personne physique ou une personne morale.

A) Les personnes physiques

La possibilité pour une personne physique de solliciter l’ouverture d’un compte bancaire dépend de l’étendue de sa capacité juridique.

  1. Les majeurs

1.1 Les majeurs non soumis à un régime de protection

==> Énoncé du principe

Les majeurs non soumis à un régime de protection (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice ou mandat de protection future) jouissent de la pleine capacité juridique (art. 414 C. civ.).

Dans ces conditions, ils sont autorisés à solliciter, l’ouverture d’un compte bancaire, étant précisé que la majorité est fixée à dix-huit ans accomplis.

==> Altération des facultés mentales

Une personne peut parfaitement être dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération de ses facultés mentales ou physiques et, pour autant, ne faire l’objet d’aucune mesure de protection.

Si, en pareille hypothèse, cette personne dispose de la pleine capacité juridique pour solliciter, seule, l’ouverture d’un compte bancaire. Reste que l’acte ainsi accompli encourt la nullité s’il est démontré que son auteur était sous l’emprise d’un trouble mental au moment de l’acte (art. 414-1 C. civ.)

1.2 Les majeurs soumis à un régime de protection

Lorsqu’un majeur est soumis à un régime de protection, il y a lieu de distinguer selon que l’ouverture du compte bancaire est effectuée par le majeur protégé ou par son protecteur.

a) L’ouverture du compte par le majeur protégé

Une personne majeure peut faire l’objet de plusieurs mesures de protection : la sauvegarde de justice, la curatelle, la tutelle et le mandat de protection future.

==> La personne sous sauvegarde de justice

  • Principe
    • La personne sous sauvegarde de justice conserve sa pleine de capacité juridique ( 435, al. 1er C. civ.)
    • Il en résulte qu’elle est, par principe, autorisée à se faire ouvrir, seule, un compte bancaire
  • Exception
    • La personne sous sauvegarde de justice ne peut, à peine de nullité, faire un acte pour lequel un mandataire spécial a été désigné ( 435 C. civ.).
    • Lorsque l’ouverture d’un compte bancaire relève des actes pour lesquels le juge a exigé une représentation, la personne sous sauvegarde de justice ne pourra pas ouvrir, seule, un compte bancaire
    • Elle devra se faire représenter par le mandataire désigné dans la décision rendue

==> La personne sous curatelle

Les personnes sous curatelles ne peuvent, sans l’assistance du curateur, faire aucun acte qui, en cas de tutelle, requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille.

S’agissant de l’ouverture d’un compte bancaire, il convient de distinguer deux situations :

  • La personne sous curatelle ne dispose pas de compte bancaire
    • Dans cette hypothèse, la personne sous curatelle peut solliciter, seule, l’ouverture d’un compte bancaire ( 467, al. 1).
    • L’assistance du curateur sera néanmoins requise pour la réalisation d’opérations bancaires (réception et emploi de fonds).
  • La personne sous curatelle dispose déjà d’un compte bancaire
    • Dans cette hypothèse, l’ouverture d’un nouveau compte bancaire s’apparente en un acte de disposition ( 427 C. civ.)
    • Dès lors, la personne sous curatelle devra se faire assister par son curateur
    • L’assistance du curateur se manifeste par l’apposition de sa signature à côté de celle de la personne protégée ( 467, al. 2e C. civ.)

==> La personne sous tutelle

  • Principe
    • Une personne sous tutelle est, à l’instar du mineur, frappée d’une incapacité d’exercice générale.
    • Aussi, le tuteur la représente dans tous les actes de la vie civile (art. 473 C. civ.)
    • S’agissant de l’ouverture d’un compte bancaire, une personne sous tutelle doit nécessairement se faire représenter
  • Exception
    • Le juge peut, dans le jugement d’ouverture ou ultérieurement, énumérer certains actes que la personne en tutelle aura la capacité de faire seule ou avec l’assistance du tuteur ( 474 C. civ.).
    • Il est ainsi permis au juge d’autoriser la personne sous tutelle à ouvrir seule un compte bancaire en fixant, par exemple, une limite pour la réalisation d’opérations

==> La personne sous mandat de protection future

Toute personne majeure ou mineure émancipée ne faisant pas l’objet d’une mesure de tutelle ou d’une habilitation familiale peut charger une ou plusieurs personnes, par un même mandat, de la représenter lorsqu’elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté (art. 477 C. civ.)

Il appartient donc au mandant de déterminer les actes pour lesquelles elle entend se faire représenter lorsqu’elle la mesure de protection sera activée.

L’ouverture d’un compte bancaire peut parfaitement figurer au nombre de ces actes, à la condition néanmoins que cette opération soit expressément visée dans le mandat, lequel doit nécessairement être établi par écrit (par acte notarié ou par acte sous seing privé).

==> La personne sous habilitation familiale

La personne sous habilitation familiale est celle qui se trouve dans l’incapacité d’exprimer sa volonté en raison d’une altération, médicalement constatée soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles (art. 494-1 C. civ.).

Un proche de sa famille (ascendant, descendant, frère ou sœur, conjoint, partenaire ou concubin) est alors désigné par le juge afin d’assurer la sauvegarde de ses intérêts.

L’habilitation peut être générale ou ne porter que sur certains actes visés spécifiquement par le juge des tutelles dans sa décision (art. 494-6 C. civ.).

S’agissant de l’ouverture d’un compte bancaire, si l’habilitation familiale est générale, la personne protégée devra nécessairement se faire représenter.

Si l’habilitation familiale est seulement spéciale, le majeur protégé ne pourra formuler une demande auprès du banquier qu’à la condition que cet acte ne relève pas du pouvoir de son protecteur.

b) L’ouverture du compte par le protecteur

Il y a lieu ici de distinguer selon que la personne protégée possède ou non un compte bancaire

==> La personne protégée dispose déjà d’un compte bancaire

  • Principe
    • Dans cette hypothèse, il est fait interdiction au protecteur de procéder à l’ouverture d’un autre compte ou livret auprès d’un nouvel établissement habilité à recevoir des fonds du public ( 427, al. 1 C. civ.)
  • Exceptions
    • Le juge des tutelles ou le conseil de famille s’il a été constitué peut toutefois l’y autoriser si l’intérêt de la personne protégée le commande ( 427, al. 2 C. civ.).
    • Lorsque la personne protégée est sous habilitation familiale, le protecteur est investi des pouvoirs les plus étendus pour ouvrir plusieurs autres bancaires au nom et pour le compte du majeur protégé ( 494-7 C. civ.)

==> La personne protégée ne dispose pas de compte bancaire

Dans cette hypothèse, la personne chargée de la mesure de protection peut ouvrir un compte bancaire au bénéfice du majeur protégé (art. 427, al. 4 C. civ.).

Les opérations bancaires d’encaissement, de paiement et de gestion patrimoniale effectuées au nom et pour le compte de la personne protégée devront être réalisées exclusivement au moyen des comptes ouverts au nom de celle-ci (art. 427, al. 5 C. civ.).

1.3 Les majeurs mariés ou pacsés

Chacun des époux ou des partenaires peut se faire ouvrir, sans le consentement de l’autre, tout compte de dépôt et tout compte de titres en son nom personnel (art. 221 C. civ.)

Il est donc fait interdiction au banquier de refuser l’ouverture d’un compte bancaire à une personne au motif qu’elle ne justifierait pas de l’accord de son conjoint ou de son partenaire.

Cette règle est issue de la grande loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

2. Les mineurs

2.1 Les mineurs non émancipés

==> Principe

Frappé d’une incapacité d’exercice générale, le mineur non émancipé n’est, par principe, pas autorisé à solliciter, seul, l’ouverture d’un compte bancaire.

Dans ces conditions, il devra se faire représenter pour accomplir cette démarche. Plusieurs situations doivent alors être distinguées :

  • Le mineur est placé sous l’administration légale de ses deux parents
    • Lorsque le mineur ne dispose pas de compte bancaire, chacun des deux parents dispose du pouvoir de lui en ouvrir un sans le consentement de l’autre ( 382-1 et C. civ.)
    • Lorsque le mineur dispose déjà d’un compte bancaire, l’ouverture d’un autre compte bancaire ne pourra se faire qu’avec le consentement des deux parents ( 382-1 C. civ.)
  • Le mineur est placé sous l’administration légale d’un seul parent
    • Il est ici indifférent que le mineur dispose déjà d’un compte bancaire, l’administrateur légal unique est investi des pouvoirs les plus larges en la matière.
    • Il est tout autant autorisé à ouvrir un premier compte bancaire au mineur qu’à lui en ouvrir un autre s’il en possède déjà un.
  • Le mineur est placé sous tutelle
    • Lorsque le mineur ne dispose pas de compte bancaire, le tuteur peut formuler, seul, une demande auprès du banquier ( 504 C. civ.)
    • Lorsque le mineur dispose déjà d’un compte bancaire, l’ouverture d’un autre compte bancaire ne pourra se faire qu’avec le consentement du Conseil de famille ou à défaut par le Juge des tutelles ( 505 C. civ.)

==> Exceptions

  • Ouverture d’un Livret A
    • Les mineurs sont admis à se faire ouvrir des livrets A sans l’intervention de leur représentant légal ( L. 221-3 CMF).
    • Ils peuvent retirer, sans cette intervention, les sommes figurant sur les livrets ainsi ouverts, mais seulement après l’âge de seize ans révolus et sauf opposition de la part de leur représentant légal.
  • Ouverture d’un Livret jeune
    • À l’instar du Livret lorsque le mineur est âgé de moins de seize ans, l’autorisation de son représentant légal n’est requise que pour les opérations de retrait.
    • Lorsque le mineur est âgé de seize à dix-huit ans, il est autorisé à procéder lui-même à ces opérations à moins que son représentant légal ne s’y oppose.

2.2 Les mineurs émancipés

Le mineur émancipé est capable, comme un majeur, de tous les actes de la vie civile (art. 413-6 C. civ.).

Il en résulte qu’il est autorisé à solliciter l’ouverture d’un compte bancaire, sans obtenir, au préalable, le consentement de ses représentants légaux (parents ou tuteur).

S’agissant de l’ouverture d’un compte bancaire à des fins commerciales, le mineur émancipé peut être commerçant sur autorisation du juge des tutelles au moment de la décision d’émancipation et du président du tribunal judiciaire s’il formule cette demande après avoir été émancipé (art. 413-8 C. civ.).

Aussi, appartient-il au banquier de vérifier que le mineur émancipé est autorisé à endosser le statut de commerçant avant d’accéder à sa demande d’ouverture d’un compte professionnel.

B) Les personnes morales

==> Les groupements dotés de la personnalité morale

Les groupements dotés de la personnalité morale disposent de la capacité juridique de contracter dans la limite de leur objet social (sociétés, association, coopératives, syndicats etc.).

À cet égard, ils sont autorisés à être titulaire d’un compte bancaire dont l’ouverture se fera par l’entremise de leur représentant légal.

S’agissant des sociétés, elles acquièrent la personnalité morale à compter de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés.

==> Les groupements non dotés de la personnalité morale

Les groupements sans personnalité morale ne disposent pas de la capacité juridique. Ils ne peuvent donc pas être titulaires d’un compte bancaire.

Tel sera notamment le cas des sociétés en participation ou des sociétés créées de fait qui ne font l’objet d’aucune immatriculation.

Tout au plus, le gérant de ce type de société pourra solliciter l’ouverture d’un compte bancaire en son nom propre qu’il affectera à l’exploitation du groupement qu’il dirige.

==> Les sociétés en cours de formation

Bien que non encore dotées de la personnalité morale, il est admis que les sociétés en formation puissent être titulaires d’un compte bancaire.

L’acte d’ouverture du compte a vocation à être repris au moment de l’immatriculation de la société. À défaut de reprise, son auteur sera seul tenu envers l’établissement bancaire aux obligations souscrites.

C) Les personnes qui font l’objet d’une procédure collective

==> Les personnes qui font l’objet d’une procédure de sauvegarde

  • Les actes accomplis au cours de la période d’observation
    • Principe
      • Il est de principe que les actes de gestion de l’entreprise relèvent toujours du pouvoir de son dirigeant qui n’est pas dessaisi ( L. 622-1 C. com.).
      • Il en résulte qu’il est autoriser à solliciter seul l’ouverture d’un compte bancaire et à le faire fonctionner.
    • Exceptions
      • D’une part, le Tribunal peut exiger, à tout moment, l’assistance de l’administrateur pour l’accomplissement de certains actes au nombre desquels sont susceptibles de figurer l’ouverture et le fonctionnement de comptes bancaires.
      • D’autre part, lorsque le débiteur fait l’objet d’une interdiction bancaire, il appartient au seul administrateur de faire fonctionner sous sa signature les comptes bancaires ou postaux
  • Les actes accomplis au cours de l’exécution du plan de sauvegarde
    • Durant la phase d’exécution du plan de sauvegarde, le débiteur n’est plus assisté par l’administrateur.
    • Dès lors, plus aucune restriction ne peut donc lui être imposée quant à l’ouverture ou au fonctionnement de ses comptes bancaires.

==> Les personnes qui font l’objet d’une procédure de redressement judiciaire

  • Les actes accomplis au cours de la période d’observation
    • Principe
      • En application de l’article L. 631-12 du Code de commerce, la mission de l’administrateur est fixée par le Tribunal.
      • Plus précisément, il appartient au juge de charger l’administrateur d’assister le débiteur pour tous les actes relatifs à la gestion ou certains d’entre eux, ou d’assurer seuls, entièrement ou en partie, l’administration de l’entreprise.
      • Ainsi, l’exigence d’assistance du débiteur par l’administrateur s’agissant de l’ouverture et le fonctionnement de comptes bancaires n’est pas systématique : elle dépend des termes du jugement d’ouverture.
      • En matière de redressement judiciaire, le débiteur peut donc être représenté pour la plupart des actes d’administration de l’entreprise, tout autant qu’il peut ne faire l’objet que d’une simple surveillance.
      • À cet égard, lorsque le ou les administrateurs sont chargés d’assurer seuls et entièrement l’administration de l’entreprise et que chacun des seuils mentionnés au quatrième alinéa de l’article L. 621-4 est atteint (3 millions d’euros et 20 salariés), le tribunal désigne un ou plusieurs experts aux fins de les assister dans leur mission de gestion.
    • Exceptions
      • D’une part, à tout moment, le tribunal peut modifier la mission de l’administrateur, ce qui implique qu’il peut décider d’exiger son assistance pour la gestion des comptes bancaires, comme il peut, au contraire, lever la mesure.
      • D’autre part, à l’instar de la procédure de sauvegarde, lorsque le débiteur fait l’objet d’une interdiction bancaire, il appartient au seul administrateur de faire fonctionner sous sa signature les comptes bancaires ou postaux ( L. 632-12, al. 5 C. com)
  • Les actes accomplis au cours de l’exécution du plan de redressement
    • Comme en matière de procédure de sauvegarde, durant la phase d’exécution du plan de redressement, le débiteur n’est plus assisté par l’administrateur.
    • Dès lors, plus aucune restriction ne peut donc lui être imposée quant à l’ouverture ou au fonctionnement de ses comptes bancaires.

==> Les personnes qui font l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire

En matière de liquidation judiciaire, l’article L. 641-9 du Code de commerce prévoit que le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu’il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n’est pas clôturée.

Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.

Il résulte de ce texte que seul le liquidateur est investi du pouvoir de faire fonctionner les comptes bancaires dont est titulaire le débiteur.

L’article R. 641-37 du Code de commerce précise néanmoins que :

  • En cas d’absence de mantien de l’activité
    • Le liquidateur peut faire fonctionner sous sa signature les comptes bancaires du débiteur pendant un délai de six mois à compter du jugement prononçant la liquidation ou, au-delà, pendant la durée du maintien de l’activité autorisée par le tribunal en application de l’article L. 641-10.
    • L’utilisation ultérieure de ces comptes est alors subordonnée à l’autorisation du Juge-commissaire délivrée après avis du ministère public.
  • En cas de maintien de l’activité
    • La règle énoncée à l’article R. 641-37 du Code de commerce s’applique à l’administrateur, lorsqu’il en a été désigné.
    • Il ne pourra donc faire fonctionner les comptes du débiteur sous sa signature que durant un délai de six mois.
    • À l’expiration de ce délai, il devra obtenir l’autorisation du Juge-commissaire

§4: L’obligation d’information du banquier

I) Obligation générale d’information

En application de l’article R. 312-1 du CMF, les établissements de crédit sont tenus de mettre à disposition de leur clientèle et du public les conditions générales relatives aux opérations qu’ils effectuent.

Par « conditions générales », il faut entendre la tarification appliquée par la banque en contrepartie des prestations fournies aux clients.

Le texte précise que, en cas d’ouverture d’un compte, l’établissement bancaire doit fournir à ses clients, sur support papier ou sur un autre support durable, les conditions d’utilisation du compte, le prix des différents services auxquels il donne accès et les engagements réciproques de l’établissement et du client.

L’obligation d’information est ici générale, dans la mesure où elle s’applique pour l’ouverture de n’importe quel type de compte.

II) Obligation d’information spécifique à l’ouverture d’un compte de dépôt

Préalablement à l’ouverture d’un compte bancaire, l’information qui doit être communiquée par le banquier à la clientèle porte sur deux choses distinctes :

  • La tarification des prestations fournies par la banque
  • Les conditions générales d’utilisation du compte de dépôt

A) Sur la tarification des prestations fournies par la banque

 L’article L. 312-1-1 du CMF dispose que les établissements de crédit sont tenus de mettre à la disposition, sur support papier ou sur un autre support durable, de leur clientèle et du public les conditions générales et tarifaires applicables aux opérations relatives à la gestion d’un compte de dépôt.

L’exécution de cette obligation se fait au moyen de trois sortes de documents dont les modalités de présentation et de mise à disposition sont prévues par des textes réglementaires.

  • La brochure tarifaire
    • Elle comporte l’intégralité des tarifs se rapportant aux prestations fournies par la banque
    • Elle doit être accessible sur le site internet de la banque et être fournie gratuitement, sur support papier ou sur un autre support durable, à tout consommateur qui en fait la demande.
  • La plaquette tarifaire
    • Présentation formelle
      • À la différence de la brochure tarifaire, la plaquette tarifaire ne comporte pas tous les tarifs, mais seulement les principaux, soit ceux qui se rapportent aux prestations les plus communément fournies.
      • Édictée par la Fédération bancaire française en janvier 2019 dans le cadre des engagements de la profession bancaire du 21 septembre 2010 à la suite du rapport Pauget Constans sur la tarification bancaire, elle se compose d’un sommaire type et d’un extrait standard des tarifs.
      • Plus précisément cet extrait tarifaire reprend les dénominations de la liste nationale des services les plus représentatifs rattachés à un compte de paiement et leur ordre, tels que précisés au A du I de l’article D 312-1-1 du CMF, modifié par le décret n° 2018-774 du 5 septembre 2018.
    • Mise à disposition
      • La mise à disposition de la plaquette tarifaire est régie par l’arrêté du 5 septembre 2018 qui prévoit que l’information de la clientèle et du public sur les prix des produits et services liés à la gestion d’un compte de dépôt ou d’un compte de paiement tenu par un établissement de paiement est mise à disposition
        • D’une part, sous forme électronique sur le site internet de l’établissement
        • D’autre part, en libre-service dans les locaux de réception du public, sur support papier ou sur un autre support durable, de manière permanente, constante, visible, lisible et aisément accessible.
  • Le document d’information tarifaire
    • Consécration
      • Depuis 31 juillet 2019, les établissements bancaires ont l’obligation de mettre à la disposition du public un nouveau document, intitulé, document d’information tarifaire.
      • Ce document est prévu par le règlement d’exécution (UE) 2018/34 de la commission du 28 septembre 2017 définissant des normes techniques d’exécution en ce qui concerne les règles de présentation normalisées pour le document d’information tarifaire et son symbole commun, conformément à la directive 2014/92/UE du Parlement européen et du Conseil.
      • L’objectif poursuivi par le législateur est, en imposant la mise à disposition de ce document par les banques, d’informer les consommateurs avant la conclusion d’un contrat relatif à un compte de paiement afin de leur permettre de comparer différentes offres de comptes de paiement.
      • Ainsi, ce document d’information tarifaire est commun à toutes les banques qui doivent respecter les mêmes règles de présentation et de mise à disposition.
    • Présentation
      • Tout d’abord, le document d’information tarifaire doit, dans son intitulé, se signaler comme tel
      • Ensuite, il doit reprendre le symbole commun qui figurera sur les documents d’information tarifaire de tous les établissements bancaire.
      • Par ailleurs, ce document doit comporter le nom du prestataire du compte, l’intitulé du compte, la date à laquelle le prestataire a procédé à la dernière mise à jour
      • En outre, les tarifs doivent être présentés sous forme de tableau intitulé « services et tarifs ».
      • À l’instar de l’extrait standard des tarifs, ce tableau doit reprendre les dénominations de la liste nationale des services les plus représentatifs rattachés à un compte de paiement et leur ordre, tels que précisés au A du I de l’article D 312-1-1 du CMF.
      • Enfin, il doit préciser, et c’est là une différence avec l’extrait tarifaire, les offres groupées de service proposées par l’établissement bancaire
    • Mise à disposition
      • L’article 1 de l’arrêté du 5 septembre 2018 prévoit que celui-ci doit être mis à disposition :
        • D’une part, sous forme électronique sur le site internet de l’établissement,
        • D’autre part, en libre-service dans les locaux de réception du public, sur support papier ou sur un autre support durable, de manière permanente, constante, visible, lisible et aisément accessible.
      • Par ailleurs, il doit être fourni gratuitement, sur support papier ou sur un autre support durable, à tout consommateur qui en fait la demande.
      • Il est également fourni, sur support papier ou sur un autre support durable, avant la conclusion d’un contrat relatif à un compte de dépôt ou un compte de paiement.

B) Les conditions générales d’utilisation du compte de dépôt

En application de l’article L. 312-1-1 du CMF, avant toute régularisation de convention de compte, l’établissement de crédit doit fournir au client les conditions générales d’utilisation sur support papier ou sur un autre support durable.

Le texte précise que l’établissement de crédit peut s’acquitter de cette obligation en fournissant au client une copie du projet de convention de compte de dépôt.

Si, à la demande du client, cette convention est conclue par un moyen de communication à distance ne permettant pas à l’établissement de crédit de se conformer à cette obligation de communication des conditions générales, il doit y satisfaire aussitôt après la conclusion de la convention de compte de dépôt.

§5: La convention de compte

À titre de remarque liminaire, il peut être observé que la convention de compte de compte conclue entre un établissement bancaire et son client s’analyse en un contrat d’adhésion.

Pour mémoire, le contrat d’adhésion est celui qui « comporte un ensemble de clauses non négociables , déterminées à l’avance par l’une des parties ».

Aussi, dans le contrat d’adhésion l’une des parties impose sa volonté à son cocontractant, sans que celui-ci soit en mesure de négocier les stipulations contractuelles qui lui sont présentées

Le contrat d’adhésion est valable dès lors que la partie qui « adhère » au contrat, y a librement consenti et que le contrat satisfait à toutes les exigences prescrites par la loi (capacité, objet, contrepartie).

Le contrat d’adhésion, par opposition au contrat de gré à gré, présente deux particularités :

  • Première particularité
    • Conformément à l’article 1171 du Code civil, dans un contrat d’adhésion « toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. »
    • En matière de contrat d’adhésion, le juge dispose ainsi de la faculté d’écarter toute clause qu’il jugerait abusive, car créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties
    • Plusieurs critères sont retenus classiquement par la jurisprudence pour apprécier l’existence de ce déséquilibre :
      • L’absence de réciprocité
      • L’absence de contrepartie
      • Le caractère inhabituel de la clause
  • Seconde particularité
    • L’article 1190 du Code civil prévoit que, en cas de doute, le contrat d’adhésion s’interprète contre celui qui l’a proposé
    • Cette règle trouve la même justification que celle posée en matière d’interprétation des contrats de gré à gré
    • Pour mémoire, le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ( 1110, al. 2 C. civ.)
    • Aussi, le rédacteur de ce type de contrat est réputé être en position de force rapport à son cocontractant
    • Afin de rétablir l’équilibre contractuel, il est par conséquent normal d’interpréter le contrat d’adhésion à la faveur de la partie présumée faible.

Au total, la convention de compte fait l’objet d’une attention particulière, tant de la part du législateur, que de la part du juge.

I) Exigence d’un écrit

==> Principe

 L’article L. 312-1-1 du CMF prévoit que la gestion d’un compte de dépôt des personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels est réglée par une convention écrite, sur support papier ou sur un autre support durable, passée entre le client et son établissement de crédit.

Issu de la loi n°2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (MURCEF), ce texte exige ainsi l’établissement d’une convention écrite entre le banquier et le client lors de l’ouverture d’un compte de dépôt (art. 312-1-1 CMF).

Cette exigence d’établissement d’un écrit est renforcée par :

  • Tout d’abord, l’obligation d’information portant sur les conditions de la convention dont l’exécution suppose la remise d’un support papier ou de tout autre support durable
  • Ensuite, l’obligation, en cas de conclusion à distance de la convention, de fourniture au client d’un exemplaire sur support papier ou sur tout autre support durable
  • Enfin, l’exigence de formalisation de l’acceptation du client par la signature du ou des titulaires du compte.

==> Domaine d’application

Le domaine d’application du principe d’exigence d’un écrit tient, d’une part, à la nature du compte ouvert par le client et, d’autre part, à la qualité du client.

  • S’agissant de la nature du compte
    • L’exigence de régularisation d’une convention écrite ne s’applique que pour les comptes de dépôt ( 312-1-1 CMF).
    • Il en résulte que les comptes courants ne sont pas soumis à cette exigence
  • S’agissant de la qualité du titulaire
    • L’exigence d’établissement d’une convention écrite ne s’applique qu’aux seules personnes physiques peu importe qu’elles agissent ou non pour des besoins professionnels ( L. 312-1-1 et L. 312-1-6 CMF)
    • On peut en déduire que lorsque le client est une personne morale, l’écrit n’est pas exigé : la convention peut être le produit d’un accord oral ou tacite

==> Forme de l’écrit

 Si la régularisation d’une convention écrite est exigée pour l’ouverture d’un compte de dépôt, il est indifférent que cet écrit soit sous forme papier ou sous forme électronique.

En effet, en application de l’article 1174 du Code civil, lorsqu’un écrit est exigé pour la validité d’un contrat, il peut être établi et conservé sous forme électronique.

Au surplus, l’article L. 312-1-1 du CMF octroie au client la faculté de solliciter la conclusion de la convention de compte de dépôt par un moyen de communication à distance.

Rien n’interdit donc à l’établissement bancaire de proposer à ses clients l’ouverture de comptes de dépôt à distance.

II) Contenu de la convention

L’article L. 312-1-1 du CMF dispose que les principales stipulations que la convention de compte de dépôt doit comporter, notamment les conditions générales et tarifaires d’ouverture, de fonctionnement et de clôture, sont précisées par un arrêté du ministre chargé de l’économie.

La convention de compte doit donc comporter un certain nombre de mentions obligatoires, lesquelles sont énoncées pour les personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels par l’arrêté du 29 juillet 2009 et pour les personnes physiques agissant pour des besoins professionnels par l’arrêté du 1er septembre 2014.

==> Mentions exigées dans la convention conclue avec une personne physique n’agissant pas pour des besoins professionnels

Conformément à l’arrêté du 29 juillet 2009, au nombre des mentions qui doivent figurer dans la convention de compte conclue par une personne physique n’agissant par pour des besoins professionnels on recense notamment :

  • Le nom du prestataire de services de paiement, l’adresse de son siège social ou de son administration centrale et, le cas échéant, l’adresse de son agent ou de sa succursale, et toutes les autres adresses, y compris l’adresse de courrier électronique, à prendre en compte pour la communication avec le prestataire de services de paiement ;
  • Une description des principales caractéristiques du service de paiement à fournir ;
  • Les modalités de procuration, la portée d’une procuration et les conditions et conséquences de sa révocation ;
  • Le sort du compte de paiement au décès du ou de l’un des titulaires du compte de paiement
  • Tous les frais payables par l’utilisateur de services de paiement au prestataire de services de paiement et, le cas échéant, le détail de ces frais ;
  • Le cas échéant, les taux d’intérêt et de change à appliquer ou, si des taux d’intérêt et de change de référence doivent être utilisés, la méthode de calcul du taux d’intérêt à appliquer ainsi que la date retenue et l’indice ou la base pour déterminer le taux d’intérêt ou de change de référence ;
  • Les finalités des traitements de données mis en œuvre par le prestataire de services de paiement, les destinataires des informations, le droit de s’opposer à un traitement des données à des fins de prospection commerciale ainsi que les modalités d’exercice du droit d’accès aux informations concernant le client, conformément aux lois en vigueur ;
  • Le délai et les modalités selon lesquels l’utilisateur de services de paiement doit informer le prestataire de services de paiement des opérations de paiement non autorisées, incorrectement initiées ou mal exécutées, conformément à l’article L. 133-24 du même code ;
  • La responsabilité du prestataire de services de paiement en matière d’opérations de paiement non autorisées, conformément à l’article L. 133-18 du même code ;
  • La responsabilité du prestataire de services de paiement liée à l’initiation ou à l’exécution d’opérations de paiement, conformément à l’article L. 133-22 du même code ;
  • Le fait que l’utilisateur de services de paiement est réputé avoir accepté la modification des conditions conformément au II de l’article L. 312-1-1 ou au III de l’article L. 314-13 du code monétaire et financier, à moins d’avoir notifié au prestataire de services de paiement son refus de celle-ci avant la date proposée pour l’entrée en vigueur de cette modification ;
  • La durée du contrat ;
  • Le droit de l’utilisateur de services de paiement de résilier le contrat et les modalités de cette résiliation, conformément aux IV et V de l’article L. 312-1-1 ou aux IV et V de l’article L. 314-13 du même code ;
  • Les modalités de fonctionnement et de clôture d’un compte de paiement joint ;
  • Les voies de réclamation et de recours extrajudiciaires ouvertes à l’utilisateur de services de paiement, notamment l’existence d’un médiateur pouvant être saisi gratuitement en cas de litige né de l’application de la convention de compte de dépôt ou du contrat-cadre de services de paiement ainsi que les modalités d’accès à ce médiateur, conformément à l’article L. 316-1 du code monétaire et financier. ;

==> Mentions exigées dans la convention conclue avec une personne physique agissant pour des besoins professionnels

Conformément à l’arrêté du 1er septembre 2014, au nombre des mentions qui doivent figurer dans la convention de compte conclue par une personne physique n’agissant par pour des besoins professionnels on recense notamment :

  • Les coordonnées de l’établissement de crédit : son nom, l’adresse de son siège social ou de son administration centrale et, le cas échéant, l’adresse de son agent ou de sa succursale, et toutes les autres adresses, y compris l’adresse de courrier électronique, à prendre en compte pour la communication avec l’établissement de crédit.
  • Les modalités de souscription de la convention ;
  • Les conditions d’accès au compte de dépôt et les conditions d’ouverture de ce compte ;
  • Les modalités de fonctionnement du compte de dépôt et le cas échéant les différents comptes de dépôt pouvant être ouverts par le client ;
  • Les différents services offerts au client et leurs principales caractéristiques, le fonctionnement des moyens de paiement associés au compte le cas échéant, y compris par renvoi à des conventions spécifiques ;
  • Le délai maximal d’exécution des ordres de paiement ;
  • Les modalités d’opposition ou de contestation aux moyens de paiement associés au compte le cas échéant ;
  • Les modalités de procuration, de transfert ou de clôture du compte ;
  • Lorsqu’un compte de dépôt est ouvert par un établissement de crédit désigné par la Banque de France en application de l’article L. 312-1 du code monétaire et financier, la fourniture gratuite de l’ensemble des produits et services énumérés à l’article D. 312-5 du code monétaire et financier relatif aux services bancaires de base.
  • Les modalités de communication entre le client et l’établissement de crédit ;
  • Les obligations de confidentialité à la charge de l’établissement de crédit.
  • La durée de la convention ;
  • Les conditions de modification de la convention de compte et de clôture du compte ;
  • Le droit du contrat applicable, juridiction compétente, voies de réclamation et de recours ;
  • Lorsqu’un dispositif de médiation est prévu, modalités de saisine du médiateur compétent dont relève l’établissement de crédit ;
  • Les coordonnées et l’adresse de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

==> Signature de la convention

Outre les mentions exigées dans la convention de compte, l’article L. 312-1-1, II du CMF précise que l’acceptation de la convention de compte de dépôt est formalisée par la signature du ou des titulaires du compte.

En application de l’article L. 351-1, le défaut de signature est sanctionné par une amende fiscale de 75 euros.

Cette amende est prononcée et recouvrée suivant les règles applicables à la taxe sur la valeur ajoutée. Le contentieux est suivi par l’administration qui a constaté l’infraction.

III) Modification de la convention

==> Principe

En application de l’article L. 312-1-1 du CMF, les établissements bancaires sont autorisés à modifier unilatéralement la convention de compte conclue avec leur clientèle.

Les modifications ainsi apportées à la convention s’imposeront aux clients, y compris s’il s’agit :

  • Soit de modifier la tarification appliquée
  • Soit d’inclure de nouvelles prestations de services donnant lieu à une rémunération non envisagée au jour de la signature de la convention

La modification de la convention de compte, si elle est à la discrétion du banquier, ne peut s’opérer sans l’observation d’un certain formalisme.

==> Formalisme

Plusieurs obligations pèsent sur le banquier en cas de modification de la convention de compte :

  • Obligation de communiquer le projet de modification de la convention
    • L’article L. 312-1-1 du CMF prévoit que tout projet de modification de la convention de compte de dépôt est fourni sur support papier ou sur un autre support durable au client
    • Cette communication peut donc s’opérer soit au moyen d’un support papier, soit par voie électronique si le client a accepté l’utilisation de ce canal de communication
  • Obligation d’observer un délai de prévenance de deux mois
    • Le projet de modification de la communication doit être communiqué au plus tard deux mois avant la date d’application envisagée
    • Ce délai vise à permettre au client de se déterminer quant à la suite à donner à sa relation avec l’établissement bancaire
  • Obligation d’informer le client sur les options dont il dispose
    • Le banquier doit informer son client :
      • D’une part qu’il est réputé avoir accepté la modification s’il ne lui a pas notifié, avant la date d’entrée en vigueur proposée de cette modification, qu’il ne l’acceptait pas
      • D’autre part, que s’il refuse la modification proposée, il peut résilier la convention de compte de dépôt sans frais, avant la date d’entrée en vigueur proposée de la modification.

À toutes fins utiles, il convient d’observer que ce formalisme est prescrit pour la modification des seules conventions de compte de dépôt.

Lorsque la convention est relative à un compte courant où à des instruments financiers, l’établissement bancaire n’est pas tenu de satisfaire à ces exigences de forme (Cass. com. 6 juill. 2010, n°09-70544).

Pour les comptes de dépôt, l’inobservation du formalisme prévu par l’article L. 312-1-1 du CMF est sanctionné par une amende de 1.500 euros, outre les sanctions disciplinaires susceptibles d’être prononcées à l’endroit de l’établissement bancaire pris en défaut par l’ACPR.

                          

Le banquier peut-il refuser d’accéder à une demande d’ouverture de compte bancaire?

==> Énoncé du principe

Il est, en principe, fait interdiction aux commerçants, dans leurs relations avec les consommateurs, de refuser la vente d’un produit ou la prestation d’un service, sauf à justifier  d’un motif légitime (art. L. 121-11 C. conso).

Cette interdiction n’est toutefois pas applicable au banquier. La convention de compte qui le lie à son client est conclue en considération de la seule personne de ce dernier (intuitu personæ). L’offre de service ne s’adresse pas à tout public.

Le banquier est donc libre d’ouvrir ou de refuser d’ouvrir un compte bancaire (art. L. 312-1, II CMF). Il est par exemple autorisé à refuser d’accéder à la demande d’un client s’il considère que son profil ne répond pas aux critères d’entrée en relation fixés par son établissement.

==> Cas du refus d’ouverture d’un compte bancaire

En cas de refus d’ouvrir un compte bancaire, plusieurs obligations pèsent sur le banquier :

  1. Obligation, lorsque l’établissement bancaire oppose un refus à une demande écrite d’ouverture de compte de dépôt de fournir gratuitement une copie de la décision de refus au demandeur sur support papier et sur un autre support durable lorsque celui-ci en fait la demande expresse.
  2. Obligation de fournir au demandeur gratuitement, sur support papier, et sur un autre support durable lorsque celui-ci en fait la demande expresse, les motifs du refus d’ouverture d’un compte bancaire en mentionnant, le cas échéant, la procédure de droit au compte
  3. Obligation de fourniture au demandeur systématiquement, gratuitement et sans délai, sur support papier, et sur un autre support durable lorsque celui-ci en fait la demande expresse, une attestation de refus d’ouverture de compte
  4. Obligation d’information de l’intéressé qu’il peut demander à la Banque de France de lui désigner un établissement de crédit pour lui ouvrir un compte (Voir Fiche droit au compte).
  5. Obligation de proposer, s’il s’agit d’une personne physique, d’agir en son nom et pour son compte en transmettant la demande de désignation d’un établissement de crédit à la Banque de France ainsi que les informations requises pour l’ouverture du compte.

==> Limites à la liberté du banquier

La liberté du banquier d’accepter ou de refuser l’ouverture d’un compte bancaire est assortie de deux limites :

  • Désignation par la Banque de France au titre du droit au compte
    • En effet, en application de l’article L. 312-1, III du CMF, l’établissement bancaire désigné par la banque de France a l’obligation d’offrir gratuitement au demandeur du droit au compte des services bancaires de base.
    • Il est indifférent que le bénéficiaire soit inscrit :
      • Ou sur le fichier des interdits bancaires (FCC)
      • Ou sur le fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP)
    • L’ouverture d’un compte de dépôt doit intervenir dans les trois jours ouvrés à compter de la réception de l’ensemble des pièces nécessaires à cet effet.
  • Discrimination
    • Le refus opposé à un client d’accéder à sa demande d’ouverture d’un compte bancaire qui reposerait sur un motif discriminatoire est constitutif d’une faute tout autant civile, que pénale
    • À cet égard, l’article 225-1 du Code pénal prévoit notamment que « constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d’autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée.»
    • Aussi, à situations égales, le banquier doit traiter les demandes d’ouverture de compte de la même manière.
    • Ce n’est que si les situations des demandeurs sont différentes, qu’il est autorisé à leur appliquer un traitement différencié.

                

Loi sur le pacs: les grandes évolutions

La famille n’est pas une, mais multiple. Parce qu’elle est un phénomène sociologique[1], elle a vocation à évoluer à mesure que la société se transforme. De la famille totémique, on est passé à la famille patriarcale, puis à la famille conjugale.

De nos jours, la famille n’est plus seulement conjugale, elle repose, de plus en plus, sur le concubinage[2]. Mais elle peut, également, être recomposée, monoparentale ou unilinéaire.

Le droit opère-t-il une distinction entre ces différentes formes qu’est susceptible de revêtir la famille ? Indubitablement oui.

Si, jadis, cela se traduisait par une réprobation, voire une sanction pénale, des couples qui ne répondaient pas au schéma préétabli par le droit canon[3], aujourd’hui, cette différence de traitement se traduit par le silence que le droit oppose aux familles qui n’adopteraient pas l’un des modèles prescrit par lui.

Quoi de plus explicite pour appuyer cette idée que la célèbre formule de Napoléon, qui déclara, lors de l’élaboration du Code civil, que « puisque les concubins se désintéressent du droit, le droit se désintéressera d’eux ». Cette phrase, qui sonne comme un avertissement à l’endroit des couples qui ont choisi de vivre en union libre, est encore valable.

La famille a toujours été appréhendée par le législateur comme ne pouvant se réaliser que dans un seul cadre : le mariage. Celui-ci est envisagé par le droit comme ce qui « confère à la famille sa légitimité »[4] et plus encore, comme son « acte fondateur »[5].

Aussi, en se détournant du mariage, les concubins sont-ils traités par le droit comme formant un couple ne remplissant pas les conditions lui permettant de quitter la situation de fait dans laquelle il se trouve pour s’élever au rang de situation juridique. D’où le silence de la loi sur le statut des concubins.

Parce que le contexte sociologique et juridique ne permettait plus à ce silence de prospérer, le législateur est intervenu pour remédier à cette situation.

Son intervention s’est traduite par l’adoption de la loi n°99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité, plus couramment désigné sous le nom de pacs.

Ainsi, pour la première fois, le législateur reconnaissait-il un statut juridique au couple en dehors du mariage.

L’adoption de la loi sur le pacs procède de l’émergence à la fois d’un contexte sociologique et à la fois d’un contexte juridique.

I) Le contexte sociologique et juridique

A) Le contexte sociologique

Tout d’abord, il est apparu au législateur que le concubinage hétérosexuel est devenu un fait de société impossible à ignorer.

Depuis la fin des années 60, le nombre de couples non mariés a constamment augmenté pour atteindre la proportion, en 1999, d’un couple sur six.

Ajoutées à ce constat, la signification et les motivations du concubinage ont évolué.

À côté des personnes qui, traditionnellement, réfutaient l’institution du mariage et vivaient en union libre par idéal pour garder un caractère privé à leur engagement, sont apparus dans les années 70 des jeunes couples cohabitant en prélude au mariage.

Dans les années 1980, cette cohabitation s’est installée dans la durée sans pour autant exprimer un refus explicite et définitif du mariage.

Par ailleurs, il a été constaté que la naissance d’un enfant n’entraînait plus nécessairement le mariage. Marginale dans les deux premiers tiers du siècle, la part des naissances hors mariage n’a cessé d’augmenter avec une très nette accélération au début des années 80.

Trois enfants nés hors mariage sur quatre en 1996 ont été reconnus par leur père dès la naissance. La réforme de la filiation ayant aligné en 1972 le statut des enfants naturels conçus hors mariage sur celui des enfants légitimes explique en grande partie l’évolution des comportements. Le mariage n’est plus impératif pour éviter à un enfant de naître privé de droits.

Parallèlement, le législateur a pu relever que nombre de mariages qui avait atteint son maximum en 1972 (416 500) a notablement diminué, s’établissant à 254 000 en 1994, remariages compris. En 1996, a été enregistrée une augmentation brusque de 10%, du nombre des mariages, accompagnée d’une hausse importante du nombre d’enfants légitimés (112 000).

B) Le contexte juridique

Plusieurs facteurs ont conduit le législateur à conférer un statut juridique aux couples de concubins :

  • L’élimination des discriminations à l’égard des personnes homosexuelles
    • La demande de reconnaissance sociale du couple homosexuel s’est affirmée au terme d’une évolution juridique qui, dans les années 80, a permis d’éliminer les discriminations légales fondées sur l’orientation sexuelle des individus.
      • La loi n° 82-683 du 4 août 1982
        • Cette loi a fait disparaître du code pénal la dernière disposition réprimant spécifiquement l’homosexualité.
        • Elle a en effet abrogé le deuxième alinéa de l’article 331 de l’ancien code pénal qui réprimait les attentats à la pudeur sans violence sur mineur du même sexe alors que la majorité sexuelle pour les relations hétérosexuelles était fixée à quinze ans.
        • Au-delà du respect de leur comportement individuel, les homosexuels revendiquent la reconnaissance sociale de leur couple, ce qui a pu faire dire que sortis du code pénal, ils aspiraient à rentrer dans le code civil.
      • La loi Quilliot du 22 juin 1982
        • Cette loi a substitué à l’obligation de « jouir des locaux en bon père de famille » celle d’en jouir paisiblement.
        • L’homosexualité cessait ainsi d’être une cause d’annulation d’un bail.
      • La loi du 13 juillet 1983
        • Ce texte a supprimé les notions de « bonne moralité » et de « bonne mœurs » du statut général des fonctionnaires.
        • Parallèlement, en 1981, le Gouvernement retirait l’approbation française à l’article 302 de la classification de l’organisation mondiale de la santé faisant entrer, depuis le début des années 60, l’homosexualité dans la catégorie des pathologies.
      • Les homosexuels se sont ensuite vus reconnaître légalement le droit de ne pas subir de discriminations en raison de leurs mœurs.
        • La loi n° 85-772 du 25 juillet 1985
          • Elle a complété le code pénal en prévoyant des dispositions, reprises à l’article 225-1 du nouveau code pénal, sanctionnant les discriminations liées aux mœurs.
        • La loi n° 86-76 du 17 janvier 1986
          • Cette loi a introduit dans l’article L. 122-35 du code du travail une disposition précisant que le règlement intérieur ne peut léser les salariés en raison de leurs mœurs et la loi n° 90-602 du 12 juillet 1990 a modifié l’article L. 122-45 du même code pour protéger le salarié d’une sanction ou d’un licenciement opéré en raison de ses mœurs.
          • Cet article vise aujourd’hui également les refus de recrutement.
  • La prise en compte juridique du concubinage
    • En 1804, le Code civil est totalement silencieux sur le concubinage
    • Cette indifférence du Code napoléonien à l’égard du concubinage s’est poursuivie pendant tout le 19ème siècle.
    • Depuis lors, les concubins ne jouissent d’aucun statut juridique véritable.
    • Les règles qui régissent leur union sont éparses et ponctuelles
      • Les règles légales
        • En matière de logement, l’article 14 de la loi du 6 juillet 1989, permet à un concubin notoire depuis un an de bénéficier de la continuation ou du transfert du bail en cas d’abandon du logement ou de décès du preneur
        • En matière civile, l’exercice commun de l’autorité parentale a été reconnu aux concubins sous les conditions posées à l’article 372 du code civil. L’assistance médicale à la procréation, au contraire de l’adoption, leur a été ouverte (art. L. 152-2 du code de la santé publique).
        • En matière pénale, une immunité est reconnue au concubin notoire pour non dénonciation d’infractions impliquant l’autre concubin (articles 434-1, 434-6 et 434-11 du code pénal ou, en matière d’aide au séjour irrégulier d’un étranger, article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945) ; en revanche le concubinage avec la victime est une circonstance aggravante de plusieurs infractions (art. 222-3, 222-8, 222-10, 222-12 et 222-13 du code pénal)
        • En matière de procédure civile, le décret du 28 décembre 1998 a autorisé le concubin à représenter les parties devant le tribunal d’instance et devant le juge de l’exécution (art. 828 du nouveau code de procédure civile et art. 12 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992).
        • En matière fiscale, le concubin peut bénéficier de la déduction des frais de transport (art. 83, 3° du code général des impôts et avis du Conseil d’Etat du 10 décembre 1993) ;
      • Les règles jurisprudentielles
        • La jurisprudence a élaboré une construction juridique du concubinage permettant de pallier l’absence de statut juridique et notamment de règles gouvernant la liquidation de l’union.
        • Au nombre de ces figures juridiques, figurent
          • La théorie de la société créée de fait
          • L’enrichissement injustifié
          • La théorie de l’apparence
          • L’admission de l’invocation d’un préjudice en cas de décès d’un concubin
  • Le refus de reconnaissance du concubinage homosexuel
    • La Cour de cassation a toujours refusé d’accorder aux couples homosexuels les droits reconnus par la loi aux concubins hétérosexuels.
    • Dans deux décisions du 11 juillet 1989 rendues en matière sociale, la haute juridiction avait, en effet, considéré que les couples homosexuels ne pouvaient bénéficier des avantages reconnus aux concubins par des textes faisant référence à la notion de vie maritale, à travers laquelle elle a considéré que le législateur avait entendu viser la « situation de fait consistant dans la vie commune de deux personnes ayant décidé de vivre comme des époux sans pour autant s’unir par le mariage, ce qui ne peut concerner qu’un couple formé d’un homme et d’une femme » ( soc. 11 juill. 1989).
    • Cette jurisprudence a été confirmée par une décision 17 décembre 1997 en matière de droit au bail, la troisième chambre civile ayant estimé que « le concubinage ne pouvait résulter que d’une relation stable et continue ayant l’apparence du mariage, donc entre un homme et une femme» ( 3e civ. 17 déc. 1997).
    • Les homosexuels se sont ainsi vu refuser l’accès à des droits que l’épidémie de SIDA avait mis au premier rang des préoccupations de leur communauté :
      • transfert du droit au bail en vertu de l’article 14 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989
      • affiliation à la sécurité sociale en tant qu’ayant droit de leur compagnon en application de l’article L. 161-14 du code de la sécurité sociale.
    • Hormis l’assurance maladie au bout d’un an, les couples homosexuels ne bénéficiaient, en 1999, d’aucun droit découlant de leur vie commune.
    • La jurisprudence restrictive de la Cour de cassation sur le concubinage homosexuel était, à cet égard, en phase avec la jurisprudence européenne.
    • La Cour de justice des communautés européennes, par une décision du 17 février 1998, avait, par exemple, refusé de considérer comme une discrimination au sens de l’article 119 du Traité le refus à des concubins du même sexe d’une réduction sur le prix des transports accordée à des concubins de sexe opposé, relevant qu’en « l’état actuel du droit au sein de la Communauté, les relations stables entre deux personnes du même sexe ne sont pas assimilées aux relations entre personnes mariées ou aux relations stables hors mariage entre personnes de sexe opposé» (CJCE, 17 févr. 1998, Lisa jacqueline Grant c/ South-West Trains Ltd, aff. C-249/96).
    • De son côté la Commission européenne des droits de l’Homme considérait que, en dépit de l’évolution contemporaine des mentalités vis-à-vis de l’homosexualité, des relations homosexuelles durables ne relèvent pas du droit au respect de la vie familiale protégée par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.
  • Les difficultés patrimoniales auxquelles se heurtent les couples hors mariage
    • La principale difficulté à laquelle se heurtent les couples hors mariage, hétérosexuels comme homosexuels, est d’ordre patrimonial et successoral.
    • Leurs biens n’étant pas soumis à un régime légal, ils peuvent utiliser plusieurs techniques pour se constituer un patrimoine commun.
      • Ils peuvent procéder à des achats en indivision (art. 815 et suivants du code civil) et passer des conventions d’indivision (art. 1873-1 et suivants du code civil).
      • Ils peuvent procéder à des achats en tontine en vertu desquels les biens reviennent en totalité au dernier vivant.
      • Ils peuvent également procéder à des achats croisés entre la nue propriété et l’usufruit.
      • Ils peuvent enfin constituer des sociétés civiles ou à responsabilité limitée.
    • Toutefois, la transmission de ce patrimoine se heurte aux règles successorales civiles et fiscales qui considèrent les concubins comme des étrangers l’un à l’égard de l’autre.
    • En conséquence, en l’absence de testament, ils n’héritent pas l’un de l’autre.
    • En cas de dispositions testamentaires, leurs droits sont limités par la réserve légale.
    • Ils ne peuvent donc pas, contrairement à l’époux survivant, recueillir plus que la quotité disponible
    • De plus, sur la part dont ils héritent, les droits de mutation sont extrêmement élevés
    • L’adage selon lequel il faut « vivre en union libre mais mourir marié» prenait alors tout son sens, Les concubins souhaitent souvent avant tout pouvoir laisser le logement commun au survivant. La souscription d’une assurance-vie permet au bénéficiaire de toucher en franchise de droit un capital échappant en grande partie à la succession du prédécédé et pouvant être utilisé pour payer les droits de succession. Peuvent également être effectués des legs en usufruit qui permettent au légataire de conserver la jouissance d’un bien en acquittant des droits moindres.

II) L’adoption de la loi sur le pacs

Deux rapports, remis à la Chancellerie au printemps 1998, respectivement par M. Jean Hauser et par Mme Irène Théry, ont proposé des solutions alternatives pour régler les questions de vie commune hors mariage :

  • Le groupe « Mission de recherche droit et justice »
    • Ce groupe de travail présidé par Jean Hauser a adopté, pour régler les problèmes de la vie en commun hors mariage, une approche purement patrimoniale, à travers le projet de pacte d’intérêt commun (PIC).
    • Inséré dans le livre III du code civil, entre les dispositions relatives à la société et celles relatives à l’indivision, ce pacte envisageait une mise en commun de biens par deux personnes souhaitant organiser leur vie commune, sans considération de leur sexe ou du type de relation existant entre elles, qu’elles soient familiales, amicales ou de couple.
    • Le PIC était un acte sous seing privé mais il était néanmoins proposé que puissent en découler, éventuellement, sous condition de durée du pacte, de nombreuses conséquences civiles, sociales et fiscales liées à la présomption de communauté de vie qu’il impliquait.
    • Cette approche avait donc pour ambition ” d’éliminer la charge idéologique de la question ” en éludant la question de la reconnaissance du couple homosexuel.
  • Le rapport d’Irène Théry intitulé « couple, filiation et parenté aujourd’hui»
    • Ce rapport choisissait une approche fondée sur la reconnaissance du concubinage homosexuel accompagnée de l’extension des droits sociaux reconnus à l’ensemble des concubins.
    • Appréhendant le concubinage comme une situation de fait génératrice de droits résultant de la communauté de vie, il a proposé d’inscrire dans le code civil que le « concubinage se constate par la possession d’état de couple naturel, que les concubins soient ou non de sexe différent».

Au total, aucune des deux solutions proposées n’a été retenue. La Présidente de la commission des Lois, a souhaité qu’un texte commun puisse être établi à partir des deux propositions de lois déposées le 23 juillet 1997 respectivement par M. Jean-Pierre Michel M. Jean-Marc Ayrault

Leurs travaux, dont le résultat a été rendu public fin mai 1998, ont donné naissance au concept de « pacte civil de solidarité ».

De cette coproduction législative est ainsi née la loi n°99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité.

En proposant aux concubins un statut légal, un « quasi-mariage » diront certains[6], qui règle les rapports tant personnels, que patrimoniaux entre les partenaires, la démarche du législateur témoigne de sa volonté de ne plus faire fi d’une situation de fait qui, au fil des années, s’est imposée comme un modèle à partir duquel se sont construites de nombreuses familles.

En contrepartie d’en engagement contractuel[7] qu’ils doivent prendre dans l’enceinte, non pas de la mairie, mais du greffe du Tribunal de grande instance[8], les concubins, quelle que soit leur orientation sexuelle, peuvent de la sorte voir leur union hors mariage, se transformer en une situation juridique.

C’est là une profonde mutation que connaît le droit de la famille, laquelle mutation ne faisait, en réalité, que commencer.

III) La réforme de la loi sur le pacs

A) La loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités

Quelques années après l’instauration du pacs un certain nombre d’ajustements sont apparus nécessaires aux fins de remédier aux insuffisances révélées par la pratique.

Aussi, la chancellerie a-t-elle réuni un groupe de travail chargé de dresser un état des lieux, lequel déboucha sur un rapport déposé le 30 novembre 2004.

Les préconisations de ce rapport ont été, pour partie, reprises par le gouvernement de l’époque qui déposa une proposition de loi aux fins de réformer le pacs.

Cette réforme consista, en particulier, à modifier le régime patrimonial du PACS, soit plus précisément à basculer d’un régime d’indivision vers un régime de séparation de bien.

En 1999, le régime patrimonial du PACS reposait sur deux présomptions d’indivision différentes selon le type de biens :

  • les meubles meublants dont les partenaires feraient l’acquisition à titre onéreux postérieurement à la conclusion du PACS sont présumés indivis par moitié, sauf déclaration contraire dans la convention initiale. Il en est de même lorsque la date d’acquisition de ces biens ne peut être établie ;
  • les autres biens dont les partenaires deviennent propriétaires à titre onéreux postérieurement à la conclusion du pacte sont présumés indivis par moitié si l’acte d’acquisition ou de souscription n’en dispose autrement.

Par ailleurs, le champ de l’indivision était pour le moins incertain puisque la formulation du texte ne permettait pas de savoir avec certitude s’il comprenait les revenus, les deniers, et les biens créés après la signature du PACS.

De surcroît, l’indivision est un régime qui, par nature est  temporaire et lourd qui plus est.

Aussi, le législateur a-t-il préféré soumettre le PACS au régime de la séparation des patrimoines, suivant les préconisations du groupe de travail.

L’idée était de le rapprocher du régime de séparation de biens prévu par la loi du 13 juillet 1965 pour les époux aux articles 1536 à 1543 du code civil.

Le choix est cependant laissé aux partenaires qui peuvent toujours opter pour un régime d’indivision organisé.

C’est dans ce contexte que la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités a été adoptée.

B) La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle

La loi n° 99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité avait fixé le lieu d’enregistrement du pacs au greffe du tribunal d’instance.

La proposition de loi à l’origine de la loi de 1999 prévoyait pourtant un enregistrement par les officiers de l’état civil.

Toutefois, lors de son examen, face à une forte opposition de nombreux maires, pour des raisons symboliques tenant au risque de confusion entre PACS et mariage, l’Assemblée nationale avait confié cette compétence aux préfectures avant, finalement, de l’attribuer aux greffes des tribunaux d’instance.

Depuis la loi n°2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées, les pacs peuvent également être enregistrés par un notaire.

Lors de son intervention en 2016 aux fins de moderniser la justice du XXIe siècle, le législateur a entendu transférer aux officiers de l’état civil les compétences actuellement dévolues aux greffes des tribunaux d’instance en matière de Pacs.

Pour ce faire, il s’est appuyé sur le constat que les obstacles symboliques qui avaient présidé en 1999 au choix d’un enregistrement au greffe du tribunal d’instance avaient disparu.

Le Pacs est désormais bien connu des citoyens qui ne le confondent pas avec le mariage et la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe a permis d’introduire l’union homosexuelle à la mairie.

Qui plus est, ce transfert des formalités attachées au Pacs du greffe du tribunal d’instance à la mairie s’inscrit dans un mouvement qui vise à recentrer les tribunaux sur leurs activités juridictionnelles.

Désormais, ce sont donc les officiers d’état civil qui sont compétents pour connaître des formalités relatives au pacte civil de solidarité.

[1] V. en ce sens, notamment F. De Singly, Sociologie de la famille contemporaine, Armand Colin, 2010 ; J.-H. Déchaux, Sociologie de la famille, La Découverte, 2009 ; B. Bawin-Legros, Sociologie de la famille. Le lien familial sous questions, De Boeck, 1996.

[2] Il suffit d’observer la diminution, depuis la fin des années soixante, du nombre de mariages pour s’en convaincre. Selon les chiffres de l’INSEE, alors qu’en 1965 346300 mariages ont été célébrés, ils ne sont plus que 24100 à l’avoir été en 2012, étant entendu qu’en l’espace de trente ans la population a substantiellement augmentée.

[3] Le concile de Trente prévoit, par exemple, l’excommunication des concubins qui ne régulariseraient pas leur situation, mais encore, après trois avertissements, l’exil.

[4] F. Terré, op. préc., n°325, p. 299.

[5] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, op. préc., n°106, p. 53.

[6] P. Simler et P. Hilt, « Le nouveau visage du Pacs : un quasi -mariage », JCP G, 2006, 1, p. 161.

[7] Article 515-1.

[8] Article 515-3.

Cour EDH, 12 janv. 2017, req. n° 74734/14, Saumier c./ France : Risques professionnels et conventionnalité de la réparation forfaitaire

Résumé.

L’arrêt rendu le 12 janvier 2017 par la Cour européenne des droits de l’Homme a trait à l’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles. À l’unanimité, la Cour dit que le régime juridique (français) dédié, qui est exclusif d’une réparation intégrale, peu important la faute inexcusable commise par l’employeur, n’est pas constitutif d’une violation de la Convention européenne des droits de l’Homme et de sauvegarde des libertés fondamentales. L’exception de non-conventionnalité des articles L. 451-1, L. 452-1 et L. 452-3 du Code de la sécurité sociale est inopérante. Il n’y a donc pas discrimination.

Commentaire.

Alors qu’elle travaille pour un laboratoire, une salariée est exposée à du bioxyde de manganèse. Le contact avec l’agent chimique s’avère être des plus dommageables. L’intéressée contracte la maladie de Parkinson et doit cesser toute activité professionnelle. Son handicap est tel que l’assistance d’une tierce personne permanente s’impose.

Saisi, un tribunal des affaires de sécurité sociale reconnaît le caractère professionnel de la maladie. Dans la foulée, les organismes de sécurité sociale considèrent que la victime est définitivement inapte au travail. Saisie de nouvelles demandes, la juridiction sociale reconnaît la faute inexcusable de l’employeur et condamne ce dernier, dans le droit fil des jurisprudences respectives du Conseil constitutionnel (1) et de la Cour de cassation (2), à indemniser la victime de tous ses chefs de préjudices corporels tant patrimoniaux qu’extra-patrimoniaux. Et le juge de dire à la caisse, qui résistait du reste à la demande de l’assuré social, d’en faire l’avance.

Quatre ans de procédure auront été nécessaires en l’espèce pour que le droit soit dit et la salariée-victime remplie de ses droits. Le combat judiciaire est pourtant continué des années durant. Tour à tour ont été saisies une cour d’appel (CA Paris, 4 avr. 2013), la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 28 mai 2014, n° 13-18509, D) et la Cour européenne des droits de l’Homme dans le cas particulier. C’est que la demanderesse, qui certes a été indemnisée, n’a pas été complètement replacée dans la situation qui aurait été la sienne si l’acte dommageable ne s’était pas produit, à tout le moins ne l’a-t-elle pas été au vu des règles qui président d’ordinaire à la compensation du dommage corporel. Privée en l’occurrence de l’espérance légitime d’une créance de réparation intégrale, la salariée dénonce la double peine dont elle est le siège. Non seulement elle subit les conséquences préjudiciables de la faute inexcusable commise par l’employeur, mais elle considère de surcroît, à raison du caractère forfaitaire de la réparation allouée, qu’elle est discriminée au sens de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme combiné avec l’article 1er du Protocole n° 1.

Les règles en conflit. En droit civil de la responsabilité, l’étendue de la réparation est gouvernée par un principe d’équivalence entre la réparation et le dommage. En droit des risques professionnels, la règle est différente. En principe, la victime n’est pas fondée à obtenir la réparation intégrale des chefs de dommages subis (3). Au mieux, elle peut espérer (tous chefs de préjudices confondus) une majoration des dommages et intérêts compensatoires, peu important la forme qu’ils prennent. C’est dire qu’il est organisé en droit positif français, en toute connaissance de cause, des disparités de traitement entre les victimes atteintes dans leur intégrité physique en général et les salariés victimes de dommages corporels en particulier.

La constitutionnalité des règles. La question a été posée de savoir si les articles L. 451-1, L. 452-1 et L. 452-3 du Code de la sécurité sociale ne portaient pas atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit (4). Le Conseil constitutionnel a répondu par la négative (v. supra). Mais ce dernier d’assortir le brevet de constitutionnalité d’une franche réserve d’interprétation, à savoir qu’« en présence d’une faute inexcusable de l’employeur, les dispositions de [l’article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale] ne sauraient toutefois, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d’actes fautifs, faire obstacle à ce que ces mêmes personnes, devant les mêmes juridictions, puissent demander à l’employeur réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale » (cons. 18).

La doctrine de la Cour de cassation et les règles. La notion de « dommages non couverts par le livre IV » donna matière à hésitations. Fallait-il comprendre « dommages non couverts intégralement » ou bien « dommages non couverts tout court » tout court par l’une quelconque des dispositions du livre IV du Code de la sécurité sociale ? La Cour de cassation choisissait cette dernière interprétation (v. supra). Ce faisant, elle empêchait les salariés-victimes de demander une indemnisation complémentaire des chefs de préjudices forfaitairement indemnisés sur le fondement des articles L. 451-1 et suivants du Code de la sécurité sociale. Et la Cour de cassation de considérer, dans la droite ligne de sa jurisprudence, que les règles applicables à la cause n’engendrent ni une atteinte aux biens, ni une discrimination prohibée par les articles 14 de la Convention et 1er du Protocole additionnel n° 1 à ladite convention du seul fait que la victime ne peut obtenir une réparation intégrale de son préjudice (5).

Le brevet de constitutionnalité des dispositions critiquées n’étant toutefois pas des plus fermes (6), il y avait après tout matière à interroger le juge de Strasbourg quant à la conventionnalité du régime d’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles. C’est chose faite à présent. À l’analyse, la réponse apportée convainc peu.

La conventionnalité des règles. La Cour européenne des droits de l’Homme rappelle que, pour qu’un problème se pose au regard de l’article 14 de la Convention (combiné avec l’article 1 du Protocole n° 1), il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations analogues ou comparables (§ 51 et 66). Ceci fait, le juge européen suit le Gouvernement lorsqu’il soutient que les victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles sont dans une situation différente de celle des autres victimes. Sur cette pente, il est considéré, dans la mesure où le salarié est dans un lien de subordination juridique avec l’employeur, que la survenance d’accidents et de maladies dans le cadre de l’exécution du travail constitue un risque particulier (§ 33, 60 et s.). Soit. L’ennuyant c’est qu’il n’a jamais été discuté du fait qu’en raison de sa qualité particulière de travailleur dépendant, la victime était soumise à des règles spéciales.

Valeur de la conventionnalité des règles. Pour le dire autrement, la requérante ne conteste pas, à tout le moins pas à proprement parler, l’existence d’un régime spécial d’indemnisation sans faute des accidents du travail et des maladies professionnelles. Elle défend seulement qu’elle ne saurait être valablement privée de la réparation intégrale de chacun de ses chefs de préjudices alors qu’elle est victime d’un fait dommageable inexcusable.

Ceci pour dire que la conventionnalité des dispositions critiquées, tirée de la nature contractuelle des relations entretenues avec l’employeur, ne saurait emporter la conviction par faute d’être spécieuse. À raison précisément du contrat de travail, l’intensité juridique de l’obligation de sécurité de l’employeur est des plus vigoureuses. Le Code du travail est en ce sens. Son article L. 4121-1, al. 1er oblige l’employeur à prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs. Qu’un manque de diligence (i.e. une faute simple) soit reproché est une chose, qu’une faute inexcusable soit reconnue en est une autre. Du reste, contrairement à ce qui est soutenu par le Gouvernement et affirmé par la Cour EDH, le régime d’indemnisation d’une faute dommageable inexcusable n’est certainement pas enviable. On rappellera que la charge probatoire de la victime n’est pas réduite à la portion congrue. Il y a manifestement une erreur d’appréciation qui a été commise. La reconnaissance d’une faute inexcusable n’ayant en principe rien de systématique (v. toutefois C. trav., art. L. 4131-4), il est erroné de soutenir en l’espèce, et cela à plusieurs reprises, que « les dispositions [critiquées] garantissent l’automaticité, la rapidité et la sécurité de la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles » (v. par ex. § 16).

Portée de la conventionnalité des règles. Les juges français et européens sont manifestement confrontés à la limite de leur saisine. Au fond, c’est de la grave question des séparations du pouvoir dont il est question. Ce n’est pas à dire que des efforts n’ont pas été faits par le juge pour majorer le quantum des indemnités (7). Ce n’est pas à dire non plus que des demandes itératives n’ont pasété faites tous azimuts par la doctrine dans le dessein d’assurer la réparation intégrale des victimes du travail en cas de faute inexcusable de l’employeur (8). Rien n’y fait pourtant : le Parlement français refuse en conscience de légiférer sur la question et d’étendre le domaine d’application du principe de la réparation intégrale. Et aussi puissant qu’il puisse être, le juge n’a certainement pas le pouvoir de heurter frontalement la volonté de la Représentation nationale ni de s’y substituer.

Puisse alors la proposition présentée par le député Warsmann sur le sujet, qui a été enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 7 octobre 2016 (n° 4098), se révéler plus fructueuse que les quelques autres faites par le passé… « Tout a [peut-être] été dit, mais comme personne n’écoute, il faut toujours répéter » (A. Gide)…


1.- Cons. const., 18 juin 2010, n° 2010-8 QPC, cons. 18.

2.- Cass. 2e civ., 4 avr. 2012, nos 11-15393, 11-18014, 11-12299 et 11-14311 : D. 2012, p. 1098, note Porchy-Simon S., et D. 2013, p. 40, obs. Brun P. ; Dr. soc. 2012, p. 839, note Hocquet-Berg S. ; RTD civ. 2012, p. 539, obs. Jourdain P. – V. pour un rappel exprès et didactique : Cass. 2e civ., 19 sept. 2013, n° 12-18074.

3.- V. toutefois l’article L. 452-5 ; voir bien plutôt l’article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 déc. 2000 de financement de la Sécurité sociale pour 2001 qui alloue une réparation intégrale aux victimes de l’amiante.

4.- À savoir, entre autres moyens, au principe d’égalité devant la loi et les charges publiques énoncé aux articles 1er, 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, ainsi qu’au principe de responsabilité, qui découle de son article 4.

4.- Cass. 2e civ., 11 juill. 2013, n° 12-15402 : Bull. civ. II, n° 158 – Cass. 2e civ., 28 mai 2014, n° 13-18509, D – Cass. 2e civ., 21 janv. 2016, n° 15-10536, D.

6.- V. égal. en ce sens : Porchy-Simon S., « L’indemnisation des préjudices des victimes de faute inexcusable à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 : réelle avancée ou espoir déçu ? », D. 2011, p. 459.

7.- V. not en ce sens notre article, « Du droit des risques professionnels, panorama », RLDC 2014/3, p. 19 et s. – Contra Cass. ch. mixte, 9 janv. 2015, n° 13-12310 : Lexbase janv. 2015, note Bourdoiseau J. (perte de droits à la retraite, rente et revirement) – Cass. soc., 06 oct. 2015, n° 13-26052 : Lexbase oct. 2015 (perte de salaire, rente et revirement – suite et fin), note Bourdoiseau J.

8.- V. notre article, op. cit. ; v. égal. Coulon C., « Indemnisation des victimes d’une faute inexcusable de l’employeur : le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation enfin entendus ? », Resp. civ. et assur. 2017, veille n° 2.

(Article publié in Gazette du palais mars 2017)

Soc., 06 oct. 2015, n° 13-26.052 : Perte de salaire, rente et revirement (suite et fin)

Les conseils de prud’hommes ont été autorisés, moins d’une dizaine d’années durant, à se prononcer sur les demandes d’indemnisation de pertes d’emploi et de droits à la retraite dans un contexte de faute inexcusable de l’employeur ayant concouru à la survenance d’un risque professionnel. La Chambre sociale vient d’y mettre un terme. La présente décision s’inscrit dans la droite ligne d’un arrêt rendu en Chambre mixte le 09 janvier 2015

L’enseignement de l’arrêt ne souffre pas la discussion : Au nombre des conséquences de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle, il a été jugé qu’on pouvait compter la perte d’emploi et la perte des droits à la retraite causées par la faute inexcusable de l’employeur.

1.- Le marquage doctrinal de l’arrêt commenté invite le lecteur à prêter une attention particulière à la décision rendue par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Pour cause : c’est de revirement de jurisprudence dont il est question. Un temps, la juridiction prud’homale a été autorisée à indemniser la perte d’emploi et/ou la perte des droits à la retraite consécutives à un licenciement pour inaptitude dans un contexte d’accident du travail et de maladie professionnelle. Ce temps est manifestement révolu.

2.- En l’espèce, un salarié est déclaré inapte par la médecine du travail aux fonctions auxquelles il est employé dans l’entreprise. Et, en raison d’une impossibilité de reclassement, son licenciement est notifié par son employeur. Dans la foulée, les juridictions sociales sont saisies. Le tribunal des affaires de la sécurité sociale imputant la maladie professionnelle à la faute inexcusable de l’employeur, la victime demande à la juridiction du travail la réparation des préjudices liés à la perte d’emploi et à la perte de ses droits à la retraite. Saisie, la Cour d’appel de Paris n’y fait pas droit. Elle est confortée dans sa décision par la Cour de cassation en des termes des plus explicites : « Mais attendu que la demande d’indemnisation de la perte, même consécutive à un licenciement du salarié pour inaptitude, tant de l’emploi que des droits à la retraite correspondant en réalité à une demande de réparation des conséquences de l’accident du travail, la cour d’appel, qui n’avait pas à répondre à des conclusions inopérantes, a légalement justifié sa décision ».

3.- L’arrêt est remarquable à plus d’un titre. D’une part, la Chambre sociale de la Cour de cassation s’inscrit dans le sillon d’une jurisprudence fixée en chambre mixte en janvier dernier relativement à l’indemnisation de la perte des droits à la retraite (Cass. ch. mixte, 09 janv. 2015, n° 13-12.310. Lxb note J. Bourdoiseau). D’autre part, mais fort logiquement, la Cour étend le domaine de cette jurisprudence à l’indemnisation de la perte d’emploi.

Il était difficilement concevable qu’il en aille autrement, à tout le moins en droit, car, en équité, le dispositif avait le mérite d’assurer aux travailleurs victimes une réparation moins frustre que d’ordinaire. Il reste qu’il importait au juge de cassation de tirer tous les enseignements de la décision rendue en droit des risques professionnels par le juge constitutionnel (Constitution 4 oct. 1958, art. 68, al. 3). Pour mémoire, interrogé par voie d’exception sur la conformité de l’article L. 451-1 du Code de la sécurité sociale aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel considère « que le plafonnement de l’indemnité destinée à compenser la perte de salaire résultant de l’incapacité n’institue pas une restriction disproportionnée aux droits des victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle » (Cons. const. 18 juin 2010, décision n° 2010-8 QPC, cons. 17). Et la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation de dire pour sa part que « les dispositions des articles L. 451-1, L. 452-1 et L. 452-3 C. sécu. soc., qui interdisent à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de l’employeur, d’exercer contre celui-ci une action en réparation conformément au droit commun et prévoient une réparation spécifique des préjudices causés, n’engendrent pas une discrimination prohibée par l’article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 1er du Protocole additionnel n° 1, à la Convention, du seul fait que la victime ne peut obtenir une réparation intégrale de son préjudice » (Cass. 2ème civ., 11 juill. 2013, n° 12-15.402).

Il importait donc à la Chambre sociale de résister dorénavant à la tentation à laquelle elle avait pu par faveur succomber dans un passé récent.

4.- Désireux d’améliorer le sort réservé par le droit de la sécurité sociale aux victimes d’un risque professionnel, le juge social prit en effet sur lui d’inventer, il y a moins d’une dizaine d’années, quelques chefs de préjudice consécutifs au licenciement, distincts par voie de conséquence de ceux susceptibles de donner lieu à une réparation spécifique sur le fondement du livre 4 du Code de la sécurité sociale. Majorant le quantum de l’indemnisation, le juge fit ainsi échapper le travailleur victime à la compensation strictement forfaitaire des préjudices subis. Le dispositif était assez ingénieux. Pendant que le tribunal des affaires de la sécurité sociale était invité à se prononcer sur l’indemnisation de la perte des gains professionnels et l’incidence professionnelle consécutifs à l’accident du travail ou à la maladie professionnelle, le conseil de prud’hommes était autorisé à compenser des chefs de préjudices singuliers jugés alors (en opportunité) irréductibles à ces deux derniers postes. En ce sens, la Chambre sociale de la Cour de cassation décidait dans le courant de l’année 2006 : « lorsqu’un salarié a été licencié en raison d’une inaptitude consécutive à une maladie professionnelle, qui a été jugée imputable à une faute inexcusable de l’employeur, il a droit à une indemnité réparant la perte de son emploi due à cette faute de l’employeur ». Et d’ajouter « que les juges du fond apprécient souverainement les éléments à prendre en compte pour fixer le montant de cette indemnisation à laquelle ne fait pas obstacle la réparation spécifique afférente à la maladie professionnelle ayant pour origine la faute inexcusable de l’employeur » (Cass. soc., 17 mai 2006, n° 04-47.455. V. égal. en ce sens, Cass. soc., 26 janv. 2011, n° 09-41.342, inédit – 23 sept. 2014, n° 13-17.212). Dans la foulée, elle estimait que le salarié avait le droit de demander à la juridiction prud’homale une indemnité réparant la perte des droits à la retraite (Cass. soc., 26 oct. 2011, n° 10-20.991), et ce toutes les fois que le licenciement était prononcé en raison d’une inaptitude consécutive à un accident du travail jugé imputable à une faute inexcusable de l’employeur.

5.- En procédant de la sorte, la Chambre sociale s’opposait manifestement à la doctrine de la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation. En effet, cette dernière considérait pour sa part que « la perte de droits à la retraite est couverte par la rente majorée », laquelle répare « notamment les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle résultant de l’incapacité permanente partielle subsistant au jour de la consolidation » (Cass. 2ème civ., 11 juin 2009, n° 07-21.768 (1) – 28 févr. 2013, n° 11-21.015). La Chambre mixte ayant décidé qu’il serait mis un terme à l’indemnisation spéciale par le CPH de la perte des droits à la retraite, il ne restait plus qu’à stopper la compensation spéciale de la perte de l’emploi. C’est chose faite dans cet arrêt. La parenthèse (indemnitaire) est refermée. La sentence est certainement conforme à la loi : dura lex sed lex (2)…

6.- Une cassation partielle est néanmoins prononcée en l’espèce par faute pour la Cour d’appel de Paris d’avoir commis une erreur dans le calcul de l’indemnité de licenciement et dans celui des congés payés. Au visa des articles L. 1226-7 et R. 4624-22 du Code du travail, la Cour de cassation rappelle qu’en l’absence de visite de reprise le contrat de travail du salarié, en arrêt de travail pour maladie professionnelle, reste suspendu en conséquence de cette maladie, nonobstant la reconnaissance de son invalidité par la caisse primaire d’assurance maladie. Au visa de l’article L. 3141-5 du Code du travail, la Cour redit que les périodes pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause de maladie professionnelle sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé, dans la limite d’un an. En l’espèce, au vu de la suspension du contrat de travail, ininterrompue pendant une durée supérieure à un an, les juges du fond refusent au demandeur le bénéfice des dispositions de l’article L. 3141-5 du Code du travail. La Cour de cassation rappelle qu’il importe de distinguer la détermination de la durée du congé de l’ouverture du droit à congés payés (v. déjà en ce sens, Cass. soc. 11 mai 2015, Bull civ V, n° 163 – 31 janv. 2006, 7 mars 2007. Contra Cass. soc., 4 déc. 2001, Dr. soc. 2002, p. 356, note J. Savatier.

7.- À noter pour finir que faute pour le demandeur au pourvoi d’avoir produit aucun élément précis démontrant la progression salariale de collègues auxquels il pouvait utilement se comparer, la Cour de cassation considère que la cour d’appel a pu légalement considérer que les éléments de nature à laisser présumer l’existence d’une discrimination n’était pas réunis.


1.- « Vu les articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985 et les articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale, ensemble le principe de la réparation intégrale ; « Attendu qu’il résulte du dernier de ces textes que la rente versée à la victime d’un accident du travail indemnise, d’une part, les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité et, d’autre part, le déficit fonctionnel permanent ; qu’en l’absence de perte de gains professionnels ou d’incidence professionnelle, cette rente indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent (…). »

2.- Ce à quoi on répondrait volontiers avec Cicéron : summum jus, summa injuria (comble de droit, comble de l’injustice). Pour mémoire, l’accidenté du travail est prié de se contenter d’une réparation forfaitaire pendant que, possiblement oisifs, l’accidenté médical ou l’accidenté de la circulation sont fondés à demander une réparation dite intégrale des chefs de préjudices subis.

(Article publié in Lexbase, oct. 2015)