Ordonnance sur requête: procédure devant le Tribunal judiciaire
Les conditions – de fond – d’adoption des mesures conservatoires
==> Contexte
Il est des situations qui imposent au créancier d’agir immédiatement, faute de temps pour obtenir un titre exécutoire, aux fins de se prémunir contre l’insolvabilité de son débiteur en assurant la sauvegarde de ses droits.
L’enjeu pour le créancier, est, en d’autres termes, de se ménager la possibilité d’engager une procédure d’exécution forcée à l’encontre de son débiteur, lorsqu’il aura obtenu, parfois après plusieurs années, un titre exécutoire à l’issue d’une procédure au fond ou en référé.
Pour rappel, par titre exécutoire, il faut entendre, au sens de l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution :
- Les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif lorsqu’elles ont force exécutoire, ainsi que les accords auxquels ces juridictions ont conféré force exécutoire ;
- Les actes et les jugements étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarés exécutoires par une décision non susceptible d’un recours suspensif d’exécution, sans préjudice des dispositions du droit de l’Union européenne applicables ;
- Les extraits de procès-verbaux de conciliation signés par le juge et les parties ;
- Les actes notariés revêtus de la formule exécutoire ;
- Les accords par lesquels les époux consentent mutuellement à leur divorce par acte sous signature privée contresignée par avocats, déposés au rang des minutes d’un notaire selon les modalités prévues à l’article 229-1 du code civil ;
- Le titre délivré par l’huissier de justice en cas de non-paiement d’un chèque ou en cas d’accord entre le créancier et le débiteur dans les conditions prévues à l’article L. 125-1 ;
- Les titres délivrés par les personnes morales de droit public qualifiés comme tels par la loi, ou les décisions auxquelles la loi attache les effets d’un jugement.
Afin de répondre à la situation d’urgence dans laquelle est susceptible de se trouver un créancier, la loi lui confère la possibilité de solliciter, du Juge de l’exécution, ce que l’on appelle des mesures conservatoires.
L’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution dispose en ce sens que « toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. »
==> Définition
Afin d’assurer la sauvegarde de ses droits, le créancier peut solliciter du Juge deux sortes de mesures conservatoires au nombre desquelles figurent :
- La saisie conservatoire
- Elle vise à rendre indisponible un bien ou une créance dans le patrimoine du débiteur
- La sûreté judiciaire
- Elle vise à conférer au créancier un droit sur la valeur du bien ou de la créance grevée
Parce que les mesures conservatoires peuvent être prises sans que le créancier justifie d’un titre exécutoire, à tout le moins d’une décision passée en force de chose jugée, les conditions d’application de ces mesures ont été envisagées plus restrictivement que celles qui encadrent les mesures d’exécution forcée.
De surcroît, dans la mesure où il n’est pas certain que, à l’issue de la procédure judicaire qu’il aura engagée en parallèle, le créancier poursuivant obtienne gain de cause, ces mesures ne peuvent être que provisoires.
Aussi, de deux choses l’une :
- Soit il est fait droit à la demande du créancier auquel cas la mesure conservatoire est convertie en mesure définitive
- Soit le créancier est débouté de ses prétentions auquel cas la mesure conservatoire prise prend immédiatement fin
==> Domaine
- S’agissant des saisies conservatoires, elles peuvent porter sur tous les biens du débiteur à l’exclusion :
- Des revenus du travail
- Des indemnités de non-concurrence
- Des immeubles
- Des biens détenus en indivision
- S’agissant des sûretés judiciaires elles ne peuvent être constituées que sur certains biens que sont :
- Les immeubles
- Le fonds de commerce
- Les parts sociales
- Les valeurs mobilières
==> Conditions
L’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution dispose que « toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. »
Il ressort de cette disposition que l’adoption de mesures conservatoires est subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives :
- Une créance paraissant fondée dans son principe
- Des circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement
I) Une créance paraissant fondée dans son principe
Aucun texte ne définissant ce que l’on doit entendre par la formule « créance qui paraît fondée dans son principe », il convient de lui conférer un sens des plus larges.
==> Sur la nature de la créance
Il est indifférent que la créance soit de nature civile, commerciale, contractuelle ou délictuelle
Ce qui importe c’est qu’il s’agisse d’une créance, soit d’un droit personnel dont est titulaire un créancier à l’encontre de son débiteur
==> Sur l’objet de la créance
- Principe
- L’article L. 511-4 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit que « à peine de nullité de son ordonnance, le juge détermine le montant des sommes pour la garantie desquelles la mesure conservatoire est autorisée et précise les biens sur lesquels elle porte».
- Il s’infère manifestement de cette disposition que la créance dont se prévaut le créancier ne peut porter que sur paiement d’une somme d’argent.
- Exception
- Si, par principe, seule une créance de somme d’argent peut justifier l’adoption d’une mesure conservatoire, il est admis que, par exception, la créance de restitution ou de délivrance d’un bien peut également être invoquée à l’appui de la demande du créancier.
- Dans cette hypothèse, la mesure prendra la forme d’une saisie-revendication diligentée à titre conservatoire
==> Sur la certitude de la créance
Contrairement à ce que l’on pourrait être intuitivement tenté de penser, il n’est pas nécessaire que la créance soit certaine pour que la demande de mesure conservatoire soit justifiée.
Il ressort de la jurisprudence que, par créance paraissant fondée dans son principe, il faut entendre une créance dont l’existence est raisonnablement plausible.
Dans un arrêt du 15 décembre 2009, la Cour de cassation parle en termes « d’apparence de créance » (Cass. com. 15 déc. 2009).
Cass. com. 15 déc. 2009 | |
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Sur le moyen unique, pris en sa première branche : Vu les articles 67 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 et 210 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 ; Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la caisse de crédit mutuel Sud Seine-et-Marne (la banque) a été autorisée, par ordonnance du juge de l'exécution du 6 septembre 2007, à pratiquer une saisie-conservatoire sur le compte bancaire de Mme X... ; Attendu que pour ordonner la mainlevée de la mesure, l'arrêt retient que la banque ne justifie pas d'une créance fondée en son principe à l'encontre de Mme X... ; Attendu qu'en statuant ainsi, alors que toute personne justifiant d'une apparence de créance et de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 26 juin 2008, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ; |
Aussi, le juge pourra se déterminer au regard des seules apparences, lesquelles doivent être suffisamment convaincantes, étant précisé que le juge est investi, en la matière, d’un pouvoir souverain d’appréciation.
Il ne s’agira donc pas pour le créancier de rapporter la preuve de l’existence de la créance, mais seulement d’établir sa vraisemblance.
Aussi, une créance sous condition suspensive, voire éventuelle pourra fonder l’adoption d’une mesure conservatoire.
==> Sur la liquidité de la créance
Une créance liquide est une créance déterminée dans son montant et qui ne souffre d’aucune contestation.
S’agissant de l’adoption d’une mesure conservatoire, il n’est pas nécessaire de justifier de la liquidité de la créance. Elle peut parfaitement faire l’objet d’une contestation, ce qui sera le plus souvent le cas.
La détermination de son montant peut, par ailleurs, s’avérer incertaine en raison, par exemple, de la difficulté à évaluer le préjudice subi par le créancier. Cette situation n’est, toutefois, pas un obstacle à la sollicitation d’une mesure conservatoire.
L’adoption d’une telle mesure est moins guidée par le souci d’indemniser le créancier que de geler le patrimoine du débiteur.
==> Sur l’exigibilité de la créance
Tout autant qu’il n’est pas nécessaire que la créance invoquée soit certaine et liquide, il n’est pas non plus requis qu’elle soit exigible. Et pour cause, une telle condition serait incohérente eu égard les termes de la formule « créance qui paraît fondée de son principe » porteuse, en elle-même, d’une exigence moindre.
La créance fondant l’adoption d’une mesure conservatoire peut, en conséquence, parfaitement être assortie d’un terme non encore échu.
II) Des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance invoquée
Outre la justification d’une créance paraissant fondée dans son principe, pour que des mesures conservatoires puissent être adoptées, le créancier doit être en mesure d’établir l’existence de circonstances susceptible de menacer le recouvrement de sa créance.
Il s’agira autrement dit, pour le créancier, de démontrer que la créance qu’il détient contre son débiteur est menacée des agissements de ce dernier ou de l’évolution de sa situation patrimoniale.
L’ancien article 48 de la loi du 12 novembre 1955 visait l’urgence et le péril. En raison du flou qui entourait ces deux notions, elles ont été abandonnées par le législateur lors de la réforme des procédures civiles d’exécution par la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991.
Aussi appartient-il désormais au juge de déterminer les circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance du créancier, étant précisé qu’il dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation.
Il a ainsi été décidé par la Cour de cassation, dans un arrêt du 1er septembre 2016, qu’une telle menace existait dès lors que la société poursuivie ne justifiait pas ses comptes annuels depuis plusieurs exercices (Cass. com. 1er sept. 2016).
Cass. com. 1er sept. 2016 | |
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Sur le moyen unique : Attendu, selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 2 février 2015), que la société Bâtiment art et technique (la société B.A.T.) a été autorisée à faire pratiquer une saisie conservatoire à l'encontre de la société Arare (la société) qui en a sollicité la mainlevée ; Attendu que la société fait grief à l'arrêt de dire bien fondée la saisie conservatoire diligentée le 30 novembre 2012 à la requête de la société B.A.T. entre les mains de la Banque populaire de Paris (la banque B.N.P. Paribas Guadeloupe) en garantie de la somme de 433 405,53 euros, et dénoncée à la société le 4 décembre 2012 alors, selon le moyen : 1°/ que toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement ; qu'en se bornant à énoncer, pour décider que la créance alléguée par M. X..., ès qualités, et l'EURL Bâtiment art et technique était menacée dans son recouvrement, que cette société avait été placée en redressement judiciaire par jugement du 11 juin 2009 et avait par la suite bénéficié d'un plan de redressement homologué par un jugement du 16 juin 2011, bien que de tels motifs, tenant à la personne du créancier, aient été impropres à établir que le débiteur, la société Arare, n'était pas en mesure d'honorer cette créance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution ; 2°/ que toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement ; qu'en se bornant à énoncer, pour décider que la créance alléguée par M. X..., ès qualités, et l'EURL Bâtiment art et technique était menacée dans son recouvrement, que la société Arare n'avait pas donné suite aux mises en demeure qui lui avaient été adressées et n'avait formulé aucune proposition en vue d'un règlement de sa dette, bien que de telles constatations aient été impropres à établir que la société Arare n'était pas en mesure d'honorer cette créance, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs inopérants, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution ; 3°/ que toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement ; que la preuve de cette menace incombe au créancier ; qu'en décidant que la créance alléguée par M. X..., ès qualités, et l'EURL Bâtiment art et technique était menacée dans son recouvrement, motif pris que la société Arare ne justifiait pas de ses comptes annuels depuis l'exercice 2011, bien que la preuve d'une menace de recouvrement ait incombé à M. X..., ès qualités, et à l'EURL Bâtiment art et technique, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil, ensemble l'article L. 511-1 du code des procédures civiles d'exécution ; Mais attendu qu'ayant relevé que la société n'avait pas déposé ses comptes annuels depuis l'exercice 2011 et que le résultat de l'exercice 2010 faisait état d'un déficit de 143 365 euros, qu'elle n'avait pas déféré à la sommation des appelants, signifiée le 4 septembre 2014, de produire les comptes sociaux des exercices clos au 31 décembre 2012 et au 31 décembre 2013, qu'en cause d'appel la société B.A.T. avait produit aux débats les lettres de mise en demeure adressées à plusieurs reprises à la société, non suivies d'effets, et que cette dernière n'avait fait aucune proposition en vue du règlement de sa dette pourtant reconnue et exigible depuis le 15 mai 2010, la cour d'appel a, par ces seuls motifs procédant de l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation et sans inverser la charge de la preuve, légalement justifié sa décision ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; |
Les juridictions statuent régulièrement dans le même sens lorsque le débiteur mis en demeure de payer à plusieurs reprises n’a pas réagi (CA Paris, 16 oct. 1996) ou lorsqu’un constructeur à l’origine d’un désordre ne justifie pas d’une police d’assurance responsabilité civile (CA Paris, 28 févr. 1995).
Le Juge considérera néanmoins qu’aucune menace n’est caractérisée lorsque le débiteur a toujours satisfait à ses obligations ou que son patrimoine est suffisant pour désintéresser le créancier poursuivant.
En tout état de cause, il appartiendra au créancier d’établir l’existence de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de sa créance.
La violence: notion, éléments constitutifs et réforme des obligations
La question qui se pose ici est de savoir si les parties ont voulu contracter l’une avec l’autre ?
==>La difficile appréhension de la notion de consentement
Simple en apparence, l’appréhension de la notion de consentement n’est pas sans soulever de nombreuses difficultés.
Que l’on doit exactement entendre par consentement ?
Le consentement est seulement défini de façon négative par le Code civil, les articles 1129 et suivants se bornant à énumérer les cas où le défaut de consentement constitue une cause de nullité du contrat.
L’altération de la volonté d’une partie est, en effet, susceptible de renvoyer à des situations très diverses :
- L’une des parties peut être atteinte d’un trouble mental
- Le consentement d’un contractant peut avoir été obtenu sous la contrainte physique ou morale
- Une partie peut encore avoir été conduite à s’engager sans que son consentement ait été donné en connaissance de cause, car une information déterminante lui a été dissimulée
- Une partie peut, en outre, avoir été contrainte de contracter en raison de la relation de dépendance économique qu’elle entretient avec son cocontractant
- Un contractant peut également s’être engagé par erreur
Il ressort de toutes ces situations que le défaut de consentement d’une partie peut être d’intensité variable et prendre différentes formes.
La question alors se pose de savoir dans quels cas le défaut de consentement fait-il obstacle à la formation du contrat ?
Autrement dit, le trouble mental dont est atteinte une partie doit-il être sanctionné de la même qu’une erreur commise par un consommateur compulsif ?
==>Existence du consentement et vice du consentement
Il ressort des dispositions relatives au consentement que la satisfaction de cette condition est subordonnée à la réunion de deux éléments :
- Le consentement doit exister
- À défaut, le contrat n’a pas pu se former dans la mesure où l’une des parties n’a pas exprimé sa volonté
- Or cela constitue un obstacle à la rencontre de l’offre et l’acceptation.
- Dans cette hypothèse, l’absence de consentement porte dès lors, non pas sur la validité du contrat, mais sur sa conclusion même.
- Autrement dit, le contrat est inexistant.
- Le consentement ne doit pas être vicié
- À la différence de l’hypothèse précédente, dans cette situation les parties ont toutes deux exprimé leurs volontés.
- Seulement, le consentement de l’une d’elles n’était pas libre et éclairé :
- soit qu’il n’a pas été donné librement
- soit qu’il n’a pas été donné en connaissance de cause
- En toutes hypothèses, le consentement de l’un des cocontractants est vicié, de sorte que le contrat, s’il existe bien, n’en est pas moins invalide, car entaché d’une irrégularité.
Nous ne nous focaliserons ici que sur l’exigence relative à l’absence de vices du consentement.
==>Place des vices du consentement dans le Code civil
Il ne suffit pas que les cocontractants soient sains d’esprit pour que la condition tenant au consentement soit remplie.
Il faut encore que ledit consentement ne soit pas vicié, ce qui signifie qu’il doit être libre et éclairé :
- Libre signifie que le consentement ne doit pas avoir été sous la contrainte
- Éclairé signifie que le consentement doit avoir été donné en connaissance de cause
Manifestement, le Code civil fait une large place aux vices du consentement. Cela se justifie par le principe d’autonomie de la volonté qui préside à la formation du contrat.
Dès lors, en effet, que l’on fait de la volonté le seul fait générateur du contrat, il est nécessaire qu’elle présente certaines qualités.
Pour autant, les rédacteurs du Code civil ont eu conscience de ce que la prise en considération de la seule psychologie des contractants aurait conduit à une trop grande insécurité juridique.
Car en tenant compte de tout ce qui est susceptible d’altérer le consentement, cela aurait permis aux parties d’invoquer le moindre vice en vue d’obtenir l’annulation du contrat.
C’est la raison pour laquelle, tout en réservant une place importante aux vices du consentement, tant les rédacteurs du Code civil que le législateur contemporain n’ont admis qu’ils puissent entraîner la nullité du contrat qu’à des conditions très précises.
==>Énumération des vices du consentement
Aux termes de l’article 1130, al. 1 du Code civil « l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes ».
Pour mémoire, l’ancien article 1109 prévoyait que « il n’y a point de consentement valable si le consentement n’a été donné que par erreur ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol. »
Quelle différence y a-t-il entre ces deux dispositions ?
- Point commun
- Il ressort de la comparaison de l’ancienne et la nouvelle version, que les vices du consentement énumérés sont identiques.
- Il n’y a, ni ajout, ni suppression.
- Ainsi, les vices du consentement qui constituent une cause de nullité du contrat sont-ils toujours au nombre de trois :
- L’erreur
- Le dol
- La violence
- Différence
- Contrairement à l’ancien article 1109, l’article 1130 énonce des règles communes aux trois vices du consentement
- Ainsi, pour être constitutifs d’une cause de nullité du contrat, les vices du consentement doivent être de « telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. »
- Autrement dit, le vice doit être déterminant du consentement de celui qui s’en prévaut.
- De surcroît, l’alinéa 2 de l’article 1130 précise que « leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné »
- Cette disposition commande, en d’autres termes, d’adopter la méthode d’appréciation in concreto pour déterminer si la condition commune aux trois vices du consentement visée à l’alinéa 1 est remplie.
Le propos se focalisera ici sur la violence.
==>Notion
Classiquement, la violence est définie comme la pression exercée sur un contractant aux fins de le contraindre à consentir au contrat.
Le nouvel article 1140 traduit cette idée en prévoyant qu’« il y a violence lorsqu’une partie s’engage sous la pression d’une contrainte qui lui inspire la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. ».
Il ressort de cette définition que la violence doit être distinguée des autres vices du consentement pris dans leur globalité, d’une part et, plus spécifiquement du dol, d’autre part.
- Violence et vices du consentement
- La violence se distingue des autres vices du consentement, en ce que le consentement de la victime a été donné en connaissance de cause.
- Cependant, elle n’a pas contracté librement
- Autrement dit, en contractant, la victime avait pleinement conscience de la portée de son engagement, seulement elle s’est engagée sous l’empire de la menace.
- Violence et dol
- Contrairement au dol, la violence ne vise pas à provoquer une erreur chez le cocontractant.
- La violence vise plutôt à susciter la crainte de la victime
- Ce qui donc vicie le consentement de cette dernière, ce n’est pas l’erreur qu’elle aurait commise sur la portée de son engagement, mais bien la crainte d’un mal qui pèse sur elle.
- Dit autrement, la crainte est à la violence ce que l’erreur est au dol.
- Ce qui dès lors devra être démontré par la victime, c’est que la crainte qu’elle éprouvait au moment de la conclusion de l’acte a été déterminante de son consentement
Antérieurement à l’ordonnance du 10 février 2016, le Code civil consacrait cinq dispositions à la violence : les articles 1111 à 1115.
L’article 1112 prévoyait notamment que « il y a violence lorsqu’elle est de nature à faire impression sur une personne raisonnable, et qu’elle peut lui inspirer la crainte d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent ».
Dorénavant, quatre articles sont consacrés par le Code civil au dol : les articles 1140 à 1143. Fondamentalement, le législateur n’a nullement modifié le droit positif, il s’est simplement contenté de remanier les dispositions existantes et d’entériner les solutions classiquement admises en jurisprudence.
Aussi, ressort-il de ces dispositions que la caractérisation de la violence suppose toujours la réunion de conditions qui tiennent :
- D’une part, à ses éléments constitutifs
- D’autre part, à son origine
I) Les conditions relatives aux éléments constitutifs de la violence
Il ressort de l’article 1140 du Code civil que la violence est une cause de nullité lorsque deux éléments constitutifs sont réunis :
- L’exercice d’une contrainte
- L’inspiration d’une crainte
A) Une contrainte
==>L’objet de la contrainte : la volonté du contractant
Tout d’abord, il peut être observé que la violence envisagée à l’article 1140 du Code civil n’est autre que la violence morale, soit une contrainte exercée par la menace sur la volonté du contractant.
La contrainte exercée par l’auteur de la violence doit donc avoir pour seul effet que d’atteindre le consentement de la victime, à défaut de quoi, par hypothèse, on ne saurait parler de vice du consentement.
==>La consistance de la contrainte : une menace
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- La contrainte visée à l’article 1140 s’apparente, en réalité, à une menace qui peut prendre différentes formes.
- Cette menace peut consister en tout ce qui est susceptible de susciter un sentiment de crainte chez la victime.
- Ainsi, peut-il s’agir, indifféremment, d’un geste, de coups, d’une parole, d’un écrit, d’un contexte, soit tout ce qui est porteur de sens
==>Le caractère de la contrainte : une menace illégitime
La menace dont fait l’objet le contractant doit être illégitime, en ce sens que l’acte constitutif de la contrainte ne doit pas être autorisé par le droit positif.
A contrario, lorsque la pression exercée sur le contractant est légitime, quand bien même elle aurait pour effet de faire plier la volonté de ce dernier, elle sera insusceptible d’entraîner l’annulation du contrat.
La question alors se pose de savoir quelles sont les circonstances qui justifient qu’une contrainte puisse être exercée sur un contractant.
En quoi consiste, autrement dit, une menace légitime ?
Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article 1141 qui prévoit que « la menace d’une voie de droit ne constitue pas une violence. Il en va autrement lorsque la voie de droit est détournée de son but ou lorsqu’elle est invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif. »
Cette disposition est, manifestement, directement inspirée de la position de la Cour de cassation qui, dans un arrêt du 17 janvier 1984 avait estimé que « la menace de l’emploi d’une voie de droit ne constitue une violence au sens des articles 1111 et suivants du code civil que s’il y a abus de cette voie de droit soit en la détournant de son but, soit en en usant pour obtenir une promesse ou un avantage sans rapport ou hors de proportion avec l’engagement primitif » (Cass. 3e civ. 17 janv. 1984, n°82-15.753).
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Cass. 3e civ. 17 janv. 1984
Sur les deux moyens réunis : attendu que les époux x… reprochent à l’arrêt attaque (paris, 8 juillet 1982) de les avoir déboutés de leur demande de nullité, pour violence, de la vente de leur appartement et les meubles le garnissant alors, selon le moyen, que, “d’une part, la violence illégitime vicie le consentement, que la menace d’exercer une voie de droit est une violence lorsque l’avantage obtenu est sans rapport direct avec le droit prétendu, qu’en l’espèce, si un tel lien existait entre la menace, par la société crauzas-modelin, de se constituer partie civile et la reconnaissance de dette signée par les époux x… le 3 novembre 1976, aucun rapport de causalité direct ne pouvait être caractérisé entre cette même menace et la vente de l’appartement constituant le domicile conjugal et des meubles le garnissant, vente consentie par les époux x… sous la contrainte le 15 décembre suivant, qu’en décidant du contraire, la cour d’appel a directement viole les articles 1109 et suivants du code civil, alors que, d’autre part, le dol est une cause de nullité des conventions, que, dans leurs écritures, les époux x… établissaient les manœuvres dont ils avaient été victimes et le fait que sans lesdites manœuvres, ils n’auraient pas consenti à la vente de leur logement et de leurs meubles, qu’ainsi, faute par la cour d’appel d’avoir répondu sur ces points, elle a violé l’article 455 du nouveau code de procédure civile, et alors, enfin, que les juges du fond doivent motiver leur décision afin de permettre à la cour suprême de contrôler les éléments pris en considération pour décider que l’engagement pris sous la contrainte, présente ou non un caractère excessif, qu’en l’espèce, la cour d’appel de paris s’est seulement referee a l’évolution du marché immobilier entre 1967 et 1976, et a l’indice du cout de la construction, sans caractériser plus avant l’incidence de ces éléments sur le prix de vente de l’appartement ;
Que, de même, elle s’est fondée sur la liste du mobilier vendu et la nature des meubles, sans énoncer le moindre élément lui permettant de décider que leur valeur n’excédait pas “et ne pourrait, en tous cas, excéder la somme de 150000 francs”, qu’ainsi, la cour d’appel a violé l’article 455 du nouveau code de procédure civile” ;
Mais attendu, d’une part, qu’après avoir exactement énonce que la menace de l’emploi d’une voie de droit ne constitue une violence au sens des articles 1111 et suivants du code civil que s’il y a abus de cette voie de droit soit en la détournant de son but, soit en en usant pour obtenir une promesse ou un avantage sans rapport ou hors de proportion avec l’engagement primitif, l’arrêt, qui n’avait pas a répondre a de simples allégations, a pu décider qu’il existait un rapport direct entre le droit de créance découlant pour la société crauzas-modelin de la reconnaissance de dette signée par les époux x… et le règlement partiel de cette créance par l’imputation du prix de vente de leur appartement et du mobilier qu’il contenait ;
Attendu, d’autre part, que la cour d’appel a motivé sa décision en se référant, pour apprécier la valeur de l’appartement et des meubles des époux x…, au prix auquel ceux-ci avaient acheté leur appartement neuf ans auparavant, et a l’évolution du marché immobilier et de l’indice du cout de la construction depuis cette date ainsi qu’à la liste du mobilier figurant a l’acte de vente et a la nature du mobilier vendu ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 8 juillet 1982 par la cour d’appel de paris ;
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Quel enseignement retenir de la règle énoncée par la jurisprudence, puis reprise sensiblement dans les mêmes termes par le législateur ?
Un principe assorti d’une limite.
- Principe
- La menace exercée à l’encontre d’un contractant est toujours légitime lorsqu’elle consiste en l’exercice d’une voie de droit
- Ainsi, la menace d’une poursuite judiciaire ou de la mise en œuvre d’une mesure d’exécution forcée ne saurait constituer, en elle-même, une contrainte illégitime.
- Dans un arrêt du 22 janvier 2013, la Cour de cassation a estimé en ce sens, au sujet d’un cautionnement qui aurait été conclu sous la contrainte, que « la violence morale ne pouvait résulter des appels même incessants d’un banquier, dès lors qu’il existait une raison légitime comme celle de finaliser un acte de cautionnement pour garantir un concours bancaire à la société, dont le gérant n’était autre que le fils de la caution, et ce, bien avant la procédure de redressement judiciaire qui n’était intervenue que quinze mois plus tard et qu’aucun élément médical personnel ne venait corroborer la détresse psychologique dont elle se prévalait, qui l’aurait conduite à un discernement suffisamment altéré pour remettre en cause la validité de son consentement » (Cass. com. 22 janv. 2013).
- Limites
- La légitimité de la menace cesse, nous dit l’article 1141, lorsque la voie de droit est :
- Soit détournée de son but
- Il en va ainsi lorsque l’avantage procuré par l’exercice d’une voie de droit à l’auteur de la menace est sans rapport avec le droit dont il se prévaut
- La Cour de cassation a, de la sorte, approuvé une Cour d’appel pour avoir prononcé la nullité d’une reconnaissance de dette qui avait été « obtenue sous la menace d’une saisie immobilière relative au recouvrement d’une autre créance » (Cass. 1ère civ. 25 mars 2003, n°99-21.348)
- Soit invoquée ou exercée pour obtenir un avantage manifestement excessif
- La menace sera ainsi considérée comme illégitime lorsqu’elle est exercée en vue d’obtenir un avantage hors de proportion avec l’engagement primitif ou le droit invoqué
- La Cour de cassation a ainsi estimé que la contrainte consistant à menacer son cocontractant d’une procédure de faillite était illégitime, dans la mesure où elle avait conduit le créancier à obtenir de son débiteur des avantages manifestement excessifs (Cass. com. 28 avr. 1953).
- Soit détournée de son but
- La légitimité de la menace cesse, nous dit l’article 1141, lorsque la voie de droit est :
B) Une crainte
La menace exercée à l’encontre d’un contractant ne sera constitutive d’une cause de nullité que si, conformément à l’article 1140, elle inspire chez la victime « la crainte d’exposer sa personne, sa fortune ou celles de ses proches à un mal considérable. »
Aussi, ressort-il de cette disposition que pour que la condition tenant à l’existence d’une crainte soit remplie, cela suppose :
- D’une part que cette crainte consiste en l’exposition d’un mal considérable
- D’autre part que ce mal considérable soit dirigé
- soit vers la personne même de la victime
- soit vers sa fortune
- soit vers ses proches
1. L’exposition à un mal considérable
==>Reprise de l’ancien texte
L’exigence tenant à l’établissement d’une crainte d’un mal considérable a été reprise de l’ancien article 1112 du Code civil qui prévoyait déjà cette condition.
Ainsi, le législateur n’a-t-il nullement fait preuve d’innovation sur ce point là.
==>Notion
Que doit-on entendre par l’exposition à un mal considérable ?
Cette exigence signifie simplement que le mal en question doit être suffisamment grave pour que la violence dont est victime le contractant soit déterminante de son consentement.
Autrement dit, sans cette violence, la victime n’aurait, soit pas contracté, soit conclu l’acte à des conditions différentes.
Le caractère déterminant de la violence sera apprécié in concreto, soit en considération des circonstances de la cause.
La Cour de cassation prendra, en d’autres termes, en compte l’âge, les aptitudes, ou encore la qualité de la victime.
Dans un arrêt du 13 janvier 1999, la Cour de cassation a par exemple approuvé une Cour d’appel pour avoir prononcé l’annulation d’une vente pour violence morale.
La haute juridiction relève, pour ce faire que la victime avait «subi, de la part des membres de la communauté animée par Roger Melchior, depuis 1972 et jusqu’en novembre 1987, date de son départ, des violences physiques et morales de nature à faire impression sur une personne raisonnable et à inspirer la crainte d’exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent, alors que séparée de son époux et ayant à charge ses enfants, elle était vulnérable et que ces violences l’avaient conduite à conclure l’acte de vente de sa maison en faveur de la société Jojema afin que les membres de la communauté fussent hébergés dans cet immeuble » (Cass. 3e civ. 13 janv. 1999, n°96-18.309).
Il ressort manifestement de cet arrêt que la troisième chambre civile se livre à une appréciation in concreto.
==>Exclusion de la crainte révérencielle
L’ancien article 1114 du Code civil prévoyait que « la seule crainte révérencielle envers le père, la mère, ou autre ascendant, sans qu’il y ait eu de violence exercée, ne suffit point pour annuler le contrat. »
Cette disposition signifiait simplement que la crainte de déplaire ou de contrarier ses parents ne peut jamais constituer en soi un cas de violence.
La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser à plusieurs reprises que pour qu’une telle crainte puisse entraîner l’annulation d’un contrat, cela suppose qu’elle ait pour fait générateur une menace.
Dans un arrêt du 22 avril 1986, la première chambre civile a ainsi admis l’annulation d’une convention en relevant que « l’engagement pris par M.Philippe X… est dû aux pressions exercées par son père sur sa volonté ; que ces pressions sont caractérisées, non seulement par le blocage des comptes en banque de la défunte suivi d’une mainlevée une fois l’accord conclu, mais aussi par la restitution à la même date d’une reconnaissance de dette antérieure ; qu’elle retient que ces contraintes étaient d’autant plus efficaces qu’à cette époque M.Philippe X… souffrait d’un déséquilibre nerveux altérant ses capacités intellectuelles et le privant d’un jugement libre et éclairé »
La haute juridiction en déduit, compte tenu des circonstances que « ces pressions étaient susceptibles d’inspirer à celui qui les subissait la crainte d’exposer sa fortune à un mal considérable et présent, et constituaient une violence illégitime de la part de leur auteur de nature à entraîner la nullité de la convention » (Cass. 1ère civ. 22 avr. 1986, n°85-11.666).
2. L’objet de la crainte
Pour mémoire, l’ancien article 1113 du Code civil prévoyait que « la violence est une cause de nullité du contrat, non seulement lorsqu’elle a été exercée sur la partie contractante, mais encore lorsqu’elle l’a été sur son époux ou sur son épouse, sur ses descendants ou ses ascendants. »
Dorénavant, la violence est caractérisée dès lors que la crainte qu’elle inspire chez la victime expose à un mal considérable :
- soit sa personne
- soit sa fortune
- soit celles de ses proches
Ainsi, le cercle des personnes visées l’ordonnance du 10 février 2016 est-il plus large que celui envisagé par les rédacteurs du Code civil.
II) Les conditions relatives à l’origine de la violence
Il ressort des articles 1142 et 1143 du Code civil que la violence est sanctionnée quel que soit son auteur.
Contrairement au dol, elle peut émaner :
- Soit d’un tiers
- Soit de circonstances particulières
A) La violence émanant d’un tiers
L’article 1142 du Code civil prévoit expressément que « la violence est une cause de nullité qu’elle ait été exercée par une partie ou par un tiers. »
Pour mémoire, l’ancien article 1111 disposait que la violence est une cause de nullité quand bien même elle est « exercée par un tiers autre que celui au profit duquel la convention a été faite. »
Les auteurs justifient cette règle par le fait que la violence n’a pas seulement pour effet de vicier le consentement de la victime : elle porte atteinte à sa liberté de contracter.
Le contractant qui fait l’objet de violences est donc privé de tout consentement, d’où la sévérité du législateur à son endroit.
B) La violence émanant de circonstances
==>Exposé de la problématique
S’il ne fait aucun doute que la violence peut émaner d’une personne, qu’il s’agisse du contractant lui-même ou d’un tiers, la question s’est rapidement posée de savoir si elle ne pouvait pas dériver de circonstances extérieures au contrat.
Plus précisément, les auteurs se sont interrogés sur l’assimilation de ce que l’on appelle l’état de nécessité à la violence.
En matière contractuelle, l’état de nécessité se définit comme la situation dans laquelle se trouve une personne qui, en raison de circonstances économiques, naturelles ou politiques est contrainte, par la force des choses, de contracter à des conditions qu’elle n’aurait jamais acceptées si les circonstances qui la placent dans cette situation ne s’étaient pas produites.
L’exemple classique est celui du navire perdu en mer et d’un remorqueur qui profiterait de la situation pour lui imposer un prix bien plus élevé que celui habituellement pratiqué.
Doit-on considérer qu’il s’agit là d’un cas de violence, alors même qu’elle n’émane pas, à proprement parler, d’une personne ?
==>Hésitations
Les opinions divergent et la jurisprudence n’est guère abondante sur le sujet.
Certaines décisions, toutefois, paraissent ne pas exclure l’idée qu’il puisse y avoir là un cas de violence.
- Arguments contre l’assimilation de l’état de nécessité à a violence
- Le premier argument consistait à dire que lorsqu’un contrat est conclu alors qu’une partie se trouvait dans un état de nécessité, cela relève moins du vice de violence que de la lésion. Or la lésion n’est pas sanctionnée en droit français
- Quant au second argument avancé par les auteurs, il trouvait sa source dans une interprétation stricte des anciennes dispositions du Code civil qui n’envisageait pas que la violence puisse émaner de circonstances.
- Arguments pour l’assimilation de l’état de nécessité à la violence
- L’existence d’une lésion ne constitue nullement un obstacle à l’annulation d’un contrat, dès lors qu’il est établi que le consentement de la victime a été vicié.
- En outre, lorsque la violence résulte de circonstances, elle n’en a pas moins toujours pour origine, in fine, une personne qui a abusé des circonstances en vue de priver la victime de sa liberté de contracter.
==>Assimilation de l’état de nécessité à la violence en matière de contrat d’assistance maritime
Convaincue par ces derniers arguments, dans un arrêt célèbre du 28 avril 1887, la Cour de cassation a admis que les circonstances, qui avaient conduit le capitaine d’un bateau à accepter des conditions qu’il n’aurait jamais acceptées si son navire n’était pas en péril, étaient constitutives du vice de violence (Cass. req., 27 avr. 1887)
Plus tard, le législateur consacrera cette jurisprudence dans une loi du 29 avril 1916, relative au sauvetage en mer.
Désormais, elle figure à l’article L. 5132-6 du Code des transports qui prévoit qu’un contrat ou certaines de ses clauses peuvent être annulés ou modifiés, si :
- Soit le contrat a été conclu sous une pression abusive ou sous l’influence du danger et que ses clauses ne sont pas équitables
- Soit le paiement convenu en vertu du contrat est beaucoup trop élevé ou beaucoup trop faible pour les services effectivement rendus
Le domaine d’application de cette disposition est cependant circonscrit aux seuls contrats d’assistance maritime.
La question s’est alors posée de savoir s’il ne convenait pas de lui donner une portée générale
==>La reconnaissance de la violence économique
Dans un arrêt du 30 mai 2000, la première chambre civile a admis l’assimilation de l’état de nécessité à la violence en dehors du cadre d’un contrat d’assistance maritime.
Elle a affirmé à cette occasion que « la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion » (Cass. 1er civ. 30 mai 2000, n°98-15.242).
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Cass. 1ère civ. 30 mai 2000
Attendu que M. X…, assuré par les Assurances mutuelles de France ” Groupe azur ” (le Groupe Azur) a été victime d’un incendie survenu le 15 janvier 1991 dans le garage qu’il exploitait ; que, le 10 septembre 1991, il a signé un accord sur la proposition de l’expert pour fixer les dommages à la somme de 667 382 francs, dont, en premier règlement 513 233 francs, et en règlement différé 154 149 francs ;
Sur le premier moyen : (Publication sans intérêt) ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu les articles 2052 et 2053 du Code civil, ensemble l’article 12 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que, pour rejeter la demande d’annulation de l’acte du 10 septembre 1991, l’arrêt attaqué retient que, la transaction ne pouvant être attaquée pour cause de lésion, la contrainte économique dont fait état M. X… ne saurait entraîner la nullité de l’accord ;
Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que la transaction peut être attaquée dans tous les cas où il y a violence, et que la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
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- Faits
- Un particulier a été victime d’un incendie survenu le 15 janvier 1991 dans le garage qu’il exploitait
- Le 10 septembre 1991, il a signé un accord sur la proposition de l’expert pour fixer les dommages à la somme de 667 382 francs, dont, en premier règlement 513 233 francs, et en règlement différé 154 149 francs
- Demande
- L’assuré engage une action en nullité du protocole d’accord, en invoquant la violence dont il aurait fait l’objet
- Procédure
- Dans un arrêt du 18 mars 1998, la Cour d’appel de Paris rejette la demande formulée par l’assuré
- Elle estime que la convention ne pouvait pas être attaquée pour cause de lésion, celle-ci ne constituant pas une cause de nullité en droit français
- Solution
- Dans son arrêt du 30 mai 2000, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel estimant que la transaction en l’espèce pouvait parfaitement faire l’objet d’une action en nullité, dans la mesure où la contrainte économique à laquelle était soumis l’assuré lors de la conclusion de l’acte litigieux était constitutive du vice de violence et non d’une lésion.
- Analysé
- Ainsi, pour la première fois, la Cour de cassation admet-elle que la contrainte économique puisse constituer un cas de violence en dehors du contexte maritime.
==>La délimitation de la violence économique : l’arrêt Bordas
Dans un célèbre arrêt Bordas du 3 avril 2002, la Cour de cassation a estimé que « seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement » (Cass. 1ère civ. 3 avr. 2002, n°00-12.932).
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Arrêt Bordas
(Cass. 1ère civ. 3 avr. 2002)
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l’article 1112 du Code civil ;
Attendu que Mme X… était collaboratrice puis rédactrice salariée de la société Larousse-Bordas depuis 1972 ; que selon une convention à titre onéreux en date du 21 juin 1984, elle a reconnu la propriété de son employeur sur tous les droits d’exploitation d’un dictionnaire intitulé ” Mini débutants ” à la mise au point duquel elle avait fourni dans le cadre de son contrat de travail une activité supplémentaire ; que, devenue ” directeur éditorial langue française ” au terme de sa carrière poursuivie dans l’entreprise, elle en a été licenciée en 1996 ; que, en 1997, elle a assigné la société Larousse-Bordas en nullité de la cession sus-évoquée pour violence ayant alors vicié son consentement, interdiction de poursuite de l’exploitation de l’ouvrage et recherche par expert des rémunérations dont elle avait été privée ;
Attendu que, pour accueillir ces demandes, l’arrêt retient qu’en 1984, son statut salarial plaçait Mme X… en situation de dépendance économique par rapport à la société Editions Larousse, la contraignant d’accepter la convention sans pouvoir en réfuter ceux des termes qu’elle estimait contraires tant à ses intérêts personnels qu’aux dispositions protectrices des droits d’auteur ; que leur refus par elle aurait nécessairement fragilisé sa situation, eu égard au risque réel et sérieux de licenciement inhérent à l’époque au contexte social de l’entreprise, une coupure de presse d’août 1984 révélant d’ailleurs la perspective d’une compression de personnel en son sein, même si son employeur ne lui avait jamais adressé de menaces précises à cet égard ; que de plus l’obligation de loyauté envers celui-ci ne lui permettait pas, sans risque pour son emploi, de proposer son manuscrit à un éditeur concurrent ; que cette crainte de perdre son travail, influençant son consentement, ne l’avait pas laissée discuter les conditions de cession de ses droits d’auteur comme elle aurait pu le faire si elle n’avait pas été en rapport de subordination avec son cocontractant, ce lien n’ayant cessé qu’avec son licenciement ultérieur ;
Attendu, cependant, que seule l’exploitation abusive d’une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d’un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement ; qu’en se déterminant comme elle l’a fait, sans constater, que lors de la cession, Mme X… était elle-même menacée par le plan de licenciement et que l’employeur avait exploité auprès d’elle cette circonstance pour la convaincre, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;
Par ces motifs, et sans qu’il soit besoin de statuer sur la seconde branche du premier moyen, ni sur le second moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 12 janvier 2000, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles.
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- Faits
- Une rédactrice salariée de la société Larousse-Bordas a, par convention à titre onéreux en date du 21 juin 1984, reconnu la propriété de son employeur sur tous les droits d’exploitation d’un dictionnaire intitulé ” Mini débutants ” à la mise au point duquel elle avait fourni dans le cadre de son contrat de travail une activité supplémentaire
- Devenue ” directrice éditoriale langue française ” au terme de sa carrière poursuivie dans l’entreprise, elle en a été licenciée en 1996.
- Demande
- La salariée licenciée assigne son employeur en nullité de la cession sus-évoquée pour violence ayant alors vicié son consentement.
- Procédure
- Par un arrêt du 12 janvier 2000, la Cour d’appel de paris, accède à la demande de nullité de la salariée licenciée la requérante.
- Les juges du fond estiment que :
- d’une part, le statut salarial plaçait la requérante en situation de dépendance économique par rapport à la société Editions Larousse, la contraignant d’accepter la convention sans pouvoir en réfuter ceux des termes qu’elle estimait contraires tant à ses intérêts personnels qu’aux dispositions protectrices des droits d’auteur
- d’autre part, la Cour d’appel relève que l’obligation de loyauté due envers son employeur ne permettait pas à la salariée licenciée, sans risque pour son emploi, de proposer son manuscrit à un éditeur concurrent
- Les juges du fond en déduisent que cette crainte de perdre son travail, influençant son consentement, ne l’avait pas laissée discuter les conditions de cession de ses droits d’auteur comme elle aurait pu le faire si elle n’avait pas été en rapport de subordination avec son cocontractant.
- Solution
- Par un arrêt du 3 avril 2002, au visa de l’article 1112 du Code civil, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris
- La première chambre civil avance, au soutien de sa décision, que la seule situation de dépendance économique ne suffit pas à caractériser la violence cause de nullité contractuelle.
- Pour la Cour de cassation, le vice de violence ne pouvait être caractérisé en l’espèce que si la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvait la salariée était exploitée abusivement par son employeur.
- Or aucun des éléments sur lesquels les juges du fond se sont appuyés ne permettait d’établir l’existence d’un tel abus.
- D’où la cassation de l’arrêt pour défaut de base légale.
- L’affaire est renvoyée devant une autre Cour d’appel, à qui il est revenu la tâche de déterminer si l’employeur avait ou non abusé de la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvait la salariée.
- Portée
- La solution dégagée dans l’arrêt Bordas a été confirmée par la suite dans plusieurs autres décisions (V. en ce sens Cass. com. 3 oct. 2006, n°04-13.987 ; Cass. 3e civ. 22 mai 2012, n°11-16.826)
==>Consécration légale de l’abus de l’état de dépendance
L’ordonnance du 10 février 2016 est, manifestement, venue consacrer la jurisprudence Bordas en insérant dans le Code civil un article 1143 qui prévoit que « il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »
Il ressort de cette disposition que trois conditions cumulatives doivent être réunies pour que l’abus de l’état de dépendance soit caractérisé :
- Une situation de dépendance
- Le texte ne précisant pas de quel type de dépendance il doit s’agir, on peut en déduire qu’il ne vise pas seulement l’état de dépendance économique.
- Est-ce à dire que l’état de dépendance affective serait également visé ?
- Rien ne permet d’exclure, en l’état du droit positif, cette éventualité.
- Un abus de la situation de dépendance
- Il ne suffit pas de démontrer qu’une partie au contrat se trouve dans un état de dépendance par rapport à une autre pour établir le vice de violence.
- Encore faut-il que la partie en position de supériorité ait abusé de la situation.
- Aussi, l’existence d’une situation de dépendance n’est pas propre à faire peser une présomption de violence.
- L’octroi d’un avantage manifestement excessif
- Pour que l’abus de dépendance soit caractérisé, cela suppose que l’auteur de la violence ait obtenu un avantage manifestement excessif que son cocontractant ne lui aurait jamais consenti s’il ne s’était pas retrouvé en situation de dépendance
- Cette condition a, manifestement, été reprise de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dès l’arrêt Bordas, faisait de cette exigence un élément constitutif de la violence économique (V. notamment Cass. 3e civ. 22 mai 2012, n°11-16.826).
III) La sanction de la violence
Lorsqu’un contrat a été conclu au moyen d’un acte de violence, deux sanctions sont encourues :
- La nullité du contrat
- L’allocation de dommages et intérêts
==>Sur la nullité du contrat
Aux termes de l’article 1131 du Code civil, « les vices de consentement sont une cause de nullité relative du contrat »
Aussi, cela signifie-t-il que seule la victime de la violence, soit la partie dont le consentement a été vicié a qualité à agir en nullité du contrat
Cette solution, consacrée par l’ordonnance du 10 février 2016, est conforme à la jurisprudence antérieure (V. notamment en ce sens Cass. 1ère civ. 4 juill. 1995).
==>Sur l’allocation de dommages et intérêts
Parce que la violence constitue un délit civil, la responsabilité extracontractuelle de son auteur est toujours susceptible d’être recherchée.
Dans la mesure où, en effet, la violence a été commise antérieurement à la formation du contrat, la victime ne peut agir que sur le fondement de la responsabilité délictuelle (V. notamment Cass. com. 18 février 1997, n°94-19.272).