Le contrat d’assurance porté par une mutuelle se distingue radicalement du contrat d’assurance de droit commun, tant par son architecture juridique que par sa finalité sociale. Loin d’un contrat bilatéral de nature commerciale conclu entre un assureur et un souscripteur, il s’agit d’un acte d’adhésion à une entité collective, structurée comme personne morale de droit privé à but non lucratif, régie par ses statuts et par le Code de la mutualité (art. L. 110-1).
Cet acte d’adhésion n’ouvre pas seulement droit à une prestation : il marque l’entrée dans un collectif de protection solidaire, où le membre participant n’est pas un client mais un assuré-citoyen, investi de droits, de devoirs et d’une vocation à la gouvernance démocratique de l’organisme. En cela, le contrat mutualiste dépasse la seule logique assurantielle pour inscrire la relation contractuelle dans un projet commun d’organisation sociale de la solidarité.
Cette nature duale du lien unissant la mutuelle à ses membres a été consacrée avec force par l’ordonnance n° 2017-734 du 4 mai 2017, qui a introduit dans le Code de la mutualité un chapitre préliminaire intitulé « Principes communs aux mutuelles, unions et fédérations ». Ce chapitre affirme explicitement les valeurs fondatrices de la mutualité : non-lucrativité, liberté, démocratie et solidarité. Ces principes ne sont pas de simples proclamations : ils structurent de manière contraignante l’action des mutuelles, en délimitant tant leur champ d’activité que les conditions d’exercice de leurs missions assurantielles.
Le contrat mutualiste s’inscrit ainsi dans une relation d’assurance impliquant des engagements réciproques en matière de prestations et de cotisations, mais également — et indissociablement — dans une relation d’appartenance institutionnelle à une entité poursuivant un objet social collectif. Cette appartenance se traduit notamment par la participation aux décisions collectives, l’exercice du droit de vote, la contribution aux excédents non distribuables, et l’ancrage dans un fonctionnement statutaire transparent, tel que requis à l’article L. 110-1.
En outre, cette spécificité est renforcée par le principe de spécialité, dont le Code de la mutualité tire les conséquences juridiques tant au plan interne (interdiction de pratiquer plusieurs branches d’assurance dans un même organisme) qu’externe (interdiction de cumuler activité assurantielle et gestion de services médico-sociaux, sauf accessoirement : art. L. 111-1, III). La finalité sociale et la cohérence structurelle des mutuelles sont donc juridiquement protégées, au prix d’une limitation volontaire de leur champ d’intervention.
Ainsi, l’identité mutualiste se forge dans l’articulation entre finalité non marchande, appartenance collective et solidarité active, dans un cadre où la technique assurantielle est au service d’une éthique sociale. C’est dans cette logique que s’inscrit le contrat mutualiste, dont les effets ne peuvent être pleinement compris qu’en les replaçant dans l’ordonnancement normatif qui structure les rapports entre la mutuelle et les personnes concernées par son action : membres participants, ayants droit, affiliés, bénéficiaires.
1. Les statuts : socle identitaire et organique de la mutuelle
Dans l’architecture juridique qui régit les relations entre la mutuelle et ses membres, les statuts occupent une place centrale sinon fondamentale. Ils ne sont pas de simples actes constitutifs ; ils constituent l’acte fondateur de la mutuelle, à la fois support de sa personnalité morale, réceptacle de ses finalités sociales, et instrument de régulation interne. Le Code de la mutualité consacre cette fonction structurante à l’article L. 114-4, qui énumère de manière détaillée les mentions devant obligatoirement y figurer.
Les statuts déterminent ainsi :
- l’objet social de la mutuelle, sa dénomination, son siège, ainsi que, pour les organismes pratiquant des opérations d’assurance, les branches d’activité garanties, y compris en réassurance ou en substitution ;
- les conditions et modalités d’adhésion, de radiation et d’exclusion des membres, ainsi que les critères d’identification des ayants droit des membres participants ;
- la composition des organes dirigeants, le mode d’élection et la durée du mandat des administrateurs, la limite d’âge, les règles de représentation en assemblée générale, et les conditions de vacance des sièges en cas de démission ou de décès.
Par-delà ces éléments techniques, les statuts constituent le véritable socle identitaire de la mutuelle. En effet, ils traduisent dans leur contenu les valeurs constitutives du modèle mutualiste, telles qu’elles sont affirmées à l’article L. 110-1 du Code de la mutualité : but non lucratif, gouvernance démocratique, gestion désintéressée, principe de solidarité, participation des membres.
Ils ne se contentent donc pas de fixer les règles de fonctionnement ; ils incarnent un projet collectif, nourri d’un idéal d’entraide et de justice sociale. Le statut de membre ne se réduit pas à une situation contractuelle passive : il emporte participation active à la vie démocratique de l’organisme, dans le respect du principe fondamental « un membre, une voix ». Cette égalité de participation, quel que soit le montant des cotisations versées ou le niveau des prestations perçues, consacre l’adhésion à une logique d’égalité civique mutualiste, à rebours des logiques capitalistiques.
La portée normative des statuts est d’autant plus importante qu’ils sont opposables aux membres (art. L. 114-1, al. 1), sous réserve qu’ils leur aient été communiqués au moment de l’adhésion. Toute modification doit également leur être notifiée pour être applicable. Cette exigence participe de la transparence statutaire, garante d’une adhésion pleinement informée et librement consentie, fondement de la qualité de membre.
En définitive, les statuts forment le noyau normatif autour duquel s’articule toute la vie de la mutuelle. Ils garantissent la cohérence interne du groupement, tout en assurant le respect des principes d’organisation démocratique et de solidarité qui fondent la spécificité mutualiste. En cela, ils ne sont pas seulement un instrument de régulation institutionnelle: ils sont le réceptacle vivant de l’engagement collectif, porteur de l’identité, de la légitimité et de la pérennité de l’action mutualiste.
2. Les règlements mutualistes : fondement de la relation assurantielle
Si les statuts expriment le projet institutionnel et organique de la mutuelle, les règlements mutualistes en constituent le prolongement fonctionnel, en ce qu’ils organisent, de manière précise et normative, la relation d’assurance entre la mutuelle et ses membres. Codifiés à l’article L. 114-1, II du Code de la mutualité, ces règlements définissent « le contenu des engagements contractuels existant entre chaque membre participant ou honoraire et la mutuelle […] en ce qui concerne les prestations et les cotisations ».
Ils constituent ainsi, dans les opérations d’assurance individuelles ou collectives à adhésion facultative, le support juridique direct de la garantie assurantielle. L’adhésion du membre — constatée par la signature d’un bulletin — emporte acceptation expresse du règlement mutualiste applicable, lequel tient lieu de contrat au sens fonctionnel du terme. La force obligatoire de ce règlement repose sur son intégration dans un ensemble normatif cohérent, qui articule engagement personnel et appartenance collective.
L’importance de ce document tient également à la densité normative de son contenu, encadrée tant par le législateur que par le pouvoir réglementaire. Le décret n° 2022-388 du 17 mars 2022 est ainsi venu renforcer le formalisme de l’article R. 114-0-1, en imposant la présence de clauses précises, rédigées en caractères très apparents, notamment :
- les conditions d’entrée en vigueur des garanties,
- les exclusions, nullités et déchéances,
- les délais de prescription,
- les modalités de résiliation, de reconduction, ou de prorogation du contrat ou de l’adhésion,
- les délai de versement des prestations et la nature de l’indemnisation.
Ces exigences visent à garantir un haut niveau de lisibilité juridique, en phase avec le double objectif de protection de l’adhérent et de transparence contractuelle, qui irrigue l’ensemble du régime mutualiste.
Le contenu des règlements mutualistes est, par ailleurs, subordonné aux principes généraux énoncés à l’article L. 110-2 du Code de la mutualité, en particulier ceux de non-discrimination, d’égalité de traitement, et de modulation équitable des cotisations et prestations. Conformément à ce texte, et sauf exception liée aux opérations collectives obligatoires, la modulation des droits et obligations des membres ne peut intervenir que sur la base de critères objectifs, strictement encadrés, tels que :
- le revenu,
- la durée d’appartenance à la mutuelle,
- le régime de sécurité sociale d’affiliation,
- le lieu de résidence,
- le nombre d’ayants droit,
- ou l’âge du membre participant.
Il est en revanche formellement interdit, dans le cadre des opérations individuelles ou collectives à adhésion facultative, de fonder une modulation sur l’état de santé ou sur le sexe du membre ou du bénéficiaire. Cette interdiction est renforcée par les dispositions de l’article L. 110-3, issues de la transposition de la directive 2004/113/CE relative à l’égalité d’accès aux biens et services.
La rédaction du règlement mutualiste devient ainsi le lieu de cristallisation d’une relation contractuelle encadrée par des impératifs éthiques : il ne saurait être l’instrument d’une sélection des risques, mais doit être au service d’une couverture solidaire et inclusive. Le contrat mutualiste, tel que formalisé par le règlement, se distingue ainsi d’un contrat d’assurance de marché, en ce qu’il incorpore une logique redistributive, dans laquelle les plus faibles ne sont pas exclus mais protégés par la force du collectif.
À ce titre, les règlements mutualistes incarnent la transposition technique des principes mutualistes dans l’univers des garanties assurantielles. Ils permettent d’opérationnaliser, au sein d’un dispositif normatif accessible et encadré, les engagements réciproques entre la mutuelle et ses membres, dans le respect de l’esprit de solidarité qui fonde l’institution.
3. Le contrat collectif : support spécifique des opérations assurantielles groupées
Lorsque la couverture assurantielle est organisée dans un cadre collectif, la relation juridique ne repose plus principalement sur l’acte d’adhésion individuel du membre, mais sur un contrat écrit conclu entre la mutuelle et une personne morale souscriptrice, telle qu’un employeur, une association, ou un groupement professionnel. Cette modalité particulière est expressément prévue à l’article L. 114-1, III du Code de la mutualité, selon lequel « les droits et obligations résultant d’opérations collectives font l’objet d’un contrat écrit entre la personne morale souscriptrice et la mutuelle ».
Ce contrat collectif constitue le cadre juridique commun aux personnes physiques affiliées dans le cadre de l’opération. Il précise notamment les garanties offertes, les modalités d’affiliation, la répartition des cotisations, les exclusions éventuelles, les règles de reconduction et de cessation, ainsi que les mécanismes de gestion. Il organise donc une relation triangulaire, dans laquelle la mutuelle s’engage envers un groupe déterminé de bénéficiaires par l’intermédiaire d’un tiers contractant, lui-même engagé pour le compte des membres affiliés.
Toutefois, ce modèle collectif ne supprime pas nécessairement la logique d’adhésion individuelle. En effet, l’article L. 221-2 du Code de la mutualité prévoit que, dans certaines hypothèses, notamment dans le cadre d’opérations collectives à adhésion facultative, la signature d’un bulletin d’adhésion individuel demeure exigée. Cette coexistence entre un contrat collectif conclu avec un souscripteur et un règlement mutualiste collectif accepté individuellement soulève des difficultés d’articulation juridique, particulièrement en matière de détermination du support contractuel applicable et du régime contentieux afférent.
L’ambiguïté réside notamment dans le fait que le dernier alinéa de l’article L. 114-1 impose le recours à un contrat collectif écrit pour toutes les opérations collectives, alors que l’article L. 221-2, qui n’a pas été abrogé, continue de reconnaître la validité d’une adhésion par bulletin dans certains cas. Cette dualité non résolue peut entraîner une insécurité juridique, tant pour les mutuelles que pour les adhérents, quant à la source exacte des engagements réciproques, à leur opposabilité, et aux modalités de preuve en cas de litige.
Au-delà de ces enjeux techniques, le recours au contrat collectif soulève également des questions de représentativité et de consentement. Dans les régimes collectifs obligatoires, l’affiliation résulte parfois d’une décision unilatérale de l’employeur ou d’un accord collectif, sans que le salarié ait exprimé un consentement formel. Le droit de la mutualité tente d’encadrer cette réalité en imposant, par exemple, la remise d’une notice d’information (art. L. 221-6 C. mutualité), ou encore en régissant strictement les clauses de résiliation et de reconduction.
Malgré ces contraintes, le contrat collectif joue un rôle structurant essentiel dans le déploiement de la protection mutualiste à l’échelle des collectifs de travail, des institutions et des groupements. Il permet de mutualiser les risques à grande échelle, d’étendre la couverture à des personnes qui n’auraient pas nécessairement adhéré à titre individuel, et de faire vivre concrètement le principe de solidarité dans une logique professionnelle ou territoriale.
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